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Un café-philo bien frais ! (Animer un débat philosophique au café)

Posted By admin On 31 mai 2000 @ 16:05 In Les cafés-philo | No Comments

Le café-philo de Narbonne, fondé le 31 septembre 1996, regroupe en moyenne dans sa séance mensuelle (dix séances par an), une cinquantaine de personnes (jusqu’à quatre vingt-dix sur le thème : “ Les femmes sont-elles des hommes comme les autres ? ”). Beaucoup plus qu’une classe nombreuse de lycée .
Le choix constitutif ayant été celui d’un échange collectif, et non… d’une conférence-débat, la problématique d’animation peut se résumer ainsi : “ comment discuter pendant environ une heure quarante cinq à plus de cinquante, à la fois démocratiquement et philosophiquement ? ” Vingt personnes à peu près (habitués et quelques nouveaux) y prennent la parole, de une à trois fois : les 2/5 de l’assemblée, c’est un nombresignificatif rapporté à la loi des grands groupes (Le nombre d’intervenants spontanés diminue habituellement avec l’augmentation de leur taille …).

LE DISPOSITIF

  • La coanimation est le choix démocratique d’une responsabilité collective à partager par des fonctions distinctes.
  • L’introducteur de la problématique (différent à chaquefois), pose en cinq minutes au début, les termes du débat, et ne réintervient que plus tard ou pas du tout, pour éviter toute focalisation sur sa personne.
  • Le répartiteur de parole (Marie-jo, Martine V. ou Nicole) gère la forme de la communication et régule les processus socio-affectifs interpersonnels et groupaux .
  • Le reformulateur (Michel) à court terme (aprèsune ou trois interventions) construit du sens et de la progression dans le débat collectif, en faisant le lien entre les interventions et le sujet (pour éviter les dérives, recentrer), et entre le contenu des différentes interventions (pointage des questions, éléments de définition, thèses qui émergent, arguments contradictoires, niveaux ou registres de la discussion …) ; les reformulations nesont jamais évaluatives, mais à fonction explicitante, et souvent à la fin questionnantes.
  • Le synthétiseur à moyen terme (Martine L.B) renvoie au groupe), après une pause de dix minutes suivant une heure de débat, et à la fin des deux heures à chaud, un concentré structuré et valorisant des échanges, permettant d’engranger les acquis et de rebondir.
  • Le synthétiseur à froid (Alain) restructure plus en profondeur un résumé distribué à la séance suivante.
  • Les sujets sont proposés par les participants, choisis par les animateurs, et chaque fois annoncés pour le mois qui suit (possibilité d’y réfléchir avant). Type de sujets abordés : “ La tolérance, jusqu’où? ”, “ Qu’est ce que l’autre pour moi ? ”, “ Peut-on tirer des leçons de son expérience personnelle ? ”, “ L’individualisme : épanouissement personnel ou piège social ?”…
  • La parole est régie par des règles démocratiques : la demander en levant la main. Ne la prendre que lorsqu’on y est autorisé – mais pas trop longtemps(sinon il y a une petite clochette). Priorité absolue à ceux qui ne sont pas encore intervenus (droit perdu aussitôt qu’utilisé). Avec pour corollaire : se taire et écouter quand on n’a pas la parole. Ne pas couper quelqu’un qui parle ou manifester une réaction à son discours.
  • Cet ordre rigide d’inscription peut ponctuellement être rompu pour une ou deux réactionsspontanées brèves. La norme est l’appellation par le prénom (qui n’implique pas forcément le tutoiement), proximité qui neutralise la “ raison sociale ” de chacun et égalise le poids des paroles.
  • La pensée est règie par des règles philosophiques : tenter d’argumenter ce que l’on avance ou objecte, pour savoir si ce que l’on est dit est vrai- Essayer de définir les notions, pour préciser ce dont on parle – Questionner la question, pour bien comprendre le problème. Bref penser ce que l’on dit, sans se contenter de dire ce que l’on pense…

UN LIEU CITOYEN

Par l’instauration d’un espace communicationnel garanti par des règles de fonctionnement démocratique, des points de vue différents peuvent se confronter defaçon pluraliste et respectueuse. Le café philosophique contribue ainsi à (re-)tisser du lien social, à créer un lieu citoyen qui favorise les conditions d’une interaction pacifiée par la médiation d’une parole régulée, qui (re-)donne le goût de l’échange.
Par sa vocation philosophique, il institue un groupe en “ communauté de recherche ” (Lipman) : desindividus forment le projet d’approfondir collectivement un problème difficile à résoudre, chacun donnant à sa parole un statut d’hypothèse à interroger pour vérifier sa pertinence.
Le “ plus philosophique ”, par rapport à l’idéal démocratique, est que la vérité de la pensée, contrairement à la légitimité d’unedécision, n’est pas de l’ordre du nombre ou du vote, mais de la qualité du “ meilleur argument ” (Habermas), par lequel l’obéïssance à la raison apparaît comme une liberté, et non comme une soumission à quelqu’un qui nous aurait (con-)vaincu.
La pratique philosophique de la problématisation, de la conceptualisation et de l’argumentation à viséeuniversalisante, affine de ce fait la qualité du débat démocratique, par la double exigence de la rigueur intellectuelle et de l’“ éthique communicationnelle ” (respecter et écouter l’autre, chercher à comprendre sa part de vérité, avoir besoin de ses propositions et objections pour asseoir sa propre pensée). Utile garde-fou contre les deux tentations démagogiques de toutedémocratie : le simple échange des opinions sans recherche d’un fondement rationnel et partageable(doxologie), et l’art de vaincre autrui par la parole sans souci de la vérité
Cette utopie démocratique et philosophique peut avoir bien des râtés dans sa réalisation : expression de préjugés sans recul critique, conflits socio-affectifs, dérive narcissique (trouver un lieu pour sedire), terrorisme intellectuel (exclusion par un langage ésotérique ou une culture supposée à tort partagée)…
Tout dépend de la compétence de l’animation pour gérer un débat philosophique dans un grand groupe : énonciation, respect par les participants et rappel de certaines règles comme conditions de possibilité d’une telle discussion.

DES RETOMBEES EN CLASSE?

Il s’agit en fait d’inventer une nouvelle pratique sociale de référence du débat philosophique collectif. Car on ne connaît historiquement que la maïeutique socratique à deux ou trois, des entretiens philosophiques, la disputatio au Moyen-Age où se succèdent de longs monologues contradictoires, quelques tables rondes de colloques philosophiques à peu de participants faiblement interactifs, oudes dialogues écrits … Quid par contre d’interactions verbo-conceptuelles rapprochées entre un grand nombre de personnes.
Une telle tentative pourrait à terme modifier la pratique de la discussion philosophique en classe de terminale, comme en témoignent déjà certains professeurs de philosophie animateurs de café-philo. De quoi nourrir la didactisation de l’oral philosophique en situation scolaire.


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