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Trois enjeux pour un projet sciences-littérature-arts

Posted By admin On 31 janvier 2001 @ 14:01 In Divers | No Comments

Je vois dans l’action de la Fondation 93 “ Chercheurs d’art et de science ” trois enjeux, qui sont autant de défis :
– celui, global, d’un projet culturel très innovant.
Il s’agit d’un projet d’action culturelle, conçu et initié à l’extérieur de l’école, et pour l’école.

UN PROJET QUI FAIT SENS

En tant que tel,… celui-ci bouscule les cloisonnements disciplinaires, et les strictes logiques didactiques. D’où l’intérêt, et en même temps la difficulté pour les élèves, comme pour les enseignants, de pointer la spécificité de chaque discipline (biologie et arts plastiques), et les voies possibles de leur interdisciplinarité.
Est aussi posé le rôle des intervenants, tant dans leur relation entre eux (logiques scientifique et artistique sont a priori très distinctes), qu’avec les enseignants (trop grande absence de certains scientifiques, trop grande présence de certains plasticiens ?).
Est enfin interrogée la pédagogie du projet : fort investissement des enfants à long terme, qui mobilise beaucoup de temps (avec selon les expériences des retombées disciplinaires diverses significatives, ou undéficit de certaines parties des programmes à traiter …).
Il nous semble, face à la crise du rapport au savoir, que ce projet donne sens à des activités scolaires, parce qu’il s’enracine dans la dimension anthropologique de l’énigme humaine, en traitant la question “ qui suis-je ? ” par celle des origines : du monde, de la vie, de l’espèce humaine. Cette question qui taraude notre condition, le projet la travaille à travers le discours rationnel que construisent peu à peu les hommes pour tenter d’y répondre, et par la création artistique qui permet d’en exprimer les échos et ressorts imaginaires.

METTRE LA SCIENCE EN RECIT

- Deuxième enjeu : le discours scientifique prend ici l’allure d’un récit. Genre d’autant plusjudicieux qu’il s’agit bien de raconter une histoire, celle de la vie et des hommes. Choix épistémologique en phase avec la science contemporaine, puisque l’histoire et l’ethnologie par exemple ont consacré le récit comme genre scientifique, d’où émerge, au cœur de l’évènementiel, qui n’est pas l’anecdotique, du sens. Que la théorie ou les concepts puissent prendre forme descriptive ou narrative, et pas seulement explicative ou définitionnelle, amène à renouveler la pédagogie sur des bases épistémologiques nouvelles.
Cette forme littéraire permet de renouer avec l’attrait pour les enfants du conte, et plus fondamentalement du mythe, qui parle aux hommes des commencements et de leur histoire. Mais un mythe singulier, qui présente des garantiessur la validité de son propos, parce que, au contraire du mythe religieux fondé sur le dogme d’une vérité absolue transmise, ou de la fiction poétique d’un quasi-monde, il reste, en ce qu’il s’appuie sur des connaissances scientifiques évolutives mais non arbitraires, discutable, et continue d’être discuté dans une communauté d’experts.
Le récit comme aventure dela vie et de l’homme peut même prévenir la pseudo-linéarité des représentations naïves de l’évolution, par le jeu de ses rebondissements et bifurcations. Les enfants, ces hommes de demain, ont d’autant plus besoin, pour asseoir l’identité de leur origine commune, de ces histoires fondatrices de leur passé, qu’il y a crise des “ grands récits ” (J.F. Lyotard) del’avenir (celui des lendemains qui devaient chanter).
Le danger serait de faire croire que le “ récit scientifique ” est un mythe comme les autres, un parmi d’autres, fondé sur une croyance, celle de la raison (cf la position de l’anarchiste de la connaissance Feyerabend dans Adieu la raison), comme d’autres sont fondés sur la révélation ou l’imagination : la science estprécisément ce moment historique de la sortie du “ mutos ” (le mythe) vers l’“ épistémé ” (la recherche rationnelle des causes), dont c’est le rôle de l’école de faire partager aux élèves les avancées théoriques.
C’est la pratique opiniâtre, dans les ateliers scientifiques proposés aux enfants, de l’observation – et chaque foisque possible de l’expérimentation (si difficile quand il s’agit d’histoire, donc de temps long), qui fournira cette garantie d’une démarche rationnelle.

ARTICULER SCIENCE ET ART

On aurait pu se contenter du pont jeté entre discours littéraire et scientifique, de la réinscription des acquis de la biologie dans un langage accessible, sans avoir à brandir comme caution la rigueur univoque desformules mathématisées.
Mais la fondation 93 est allée plus loin : les enfants sont convoqués à se ressaisir de cette imprégnation scientifique des explications de l’histoire de la vie et de l’homme, pour en exprimer leurs échos émotionnels, leurs fantasmes sous-jacents, par leur imagination créatrice sous une forme plastique.
C’est le troisième enjeu : provoquer lalogique spontanée des acteurs pour croiser les regards. Le scientifique voudrait peut-être que les enfants, critère de leur appropriation de la théorie, illustrent plastiquement ce qu’ils ont compris. Le plasticien verra là probablement une vision réductrice des ressources de l’imaginaire, une subordination des potentialités de la démarche plastique. L’enseignant pourraêtre lui-même partagé, et osciller entre la pédagogie de la démarche scientifique et celle de la créativité artistique. Les enfants eux, pèseront de tout leur poids pour articuler à leur façon l’entendement et l’imagination, la raison et la sensibilité.
C’est en fait l’articulation du percept, de l’affect et du concept qui est posée par cetteexpérience, à la fois théoriquement et pratiquement. Continuera-t-on, dans la culture et à l’école, à faire des hiérarchies entre image et idée, métaphore et notion, vision du monde à travers la sensibilité et à travers la raison? Ou tentera-t-on le pari d’à la fois respecter les spécificités de l’art et de la science, en dotant ainsi les enfants derepères disciplinaires nécessaires, et d’en même temps transgresser les frontières trop étanches, car il y a de l’intuition dans la science et de la rigueur dans la création artistique ? Complexe …

Par Michel Tozzi, Maître de Conférences en Sciences de l’Education – Montpellier 3.


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