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Analyser les situations et pratiques scolaires de discussion à visée philosophique

Posted By admin On 30 septembre 2004 @ 12:09 In Quelles recherches ? | No Comments

Journées d’Etudes CERFEE-IRSA/LIRDEF 4/5 juin 2004
Iufm Montpellier et Université Montpellier 3

L’analyse des situations et pratiques professionnelles apparaît aujourd’hui centrale dans les processus de formation. Cette analyse peut donc être un moyen important pour les formateurs d’accompagner l’impulsion et l’approfondissement des…

nouvelles pratiques philosophiques à l’école, et un appui aux praticiens pour s’accompagner eux-mêmes dans l’intelligibilité et la pertinence de leur activité innovante.

Le symposium a tenté, dans cette perspective, de faire un inventaire des démarches et outils d’analyse disponibles ou souhaitables de ces nouvelles situations éducatives et pratiques professionnelles, en travaillantleur spécificité didactique. Il s’agissait notamment de prendre en compte :

  • la forme discussionnelle dominante qu’elles ont prises (comment analyser, par l’observation, la vidéo, le script etc. ce type de débat, sa spécificité épistémologique, l’éthique revendiquée, les différents types de dispositif, les interactionscognitivo-langagières du groupe, le rôle du maître, les fonctions des élèves etc.) ;
  • la visée philosophique qu’elles poursuivent (repérage des expériences à faire et/ou des types d’exigences intellectuelles à mettre en oeuvre) ;
  • leur effet démocratiquement socialisateur.

Du mémoire de maîtrise à la thèse, en passant par les masters (ex DESS ou DEA), on observe les méthodes d’analyse et de recherche suivantes, qui sont celles des sciences humaines :

  • enregistrements de séances, avec transcription linguistique des échanges, et étude des corpus (interactions cognitives des élèves avec le maître et vice versa;exercice de fonctions par les élèves, processus de pensée à l’œuvre…) ;
  • monographies longitudinales de certains élèves, à partir du corpus de leurs interventions dans les verbatims sur plusieurs mois ou années ;
  • observations de praticiens en classe, cliniques ou objectivantes (avec des grilles d’analyse), distanciées ouparticipantes ;
  • entretien non directif de recherche avec les enseignants, avec une analyse de contenu le plus souvent thématique (par exemple sur le choix et le sens des dispositifs, le rôle du maître, les compétences réflexives ou « citoyennes » développées chez les élèves, les retombées sur la classe…) ;
  • entretiens oraux ou questionnaires écrits d’élèves (cycle 3), sur le sens pour eux de ce type d’activité, et la façon dont ils s’y prennent ;
  • étude d’écrits d’élèves (à partir du CE1) avant, pendant (écrits des reformulateurs et synthétiseurs), et après les séances…

Les objets d’étude dépendent en partie du ou des objectifs poursuivis : apprentissage du philosopher, développement de pratiques langagières réflexives, éducation à la citoyenneté, construction identitaire du sujet…

- A. Perrin, professeur de philosophie à l’IUFM de Paris, présentait ainsi dans le symposium les ateliers de philosophie del’AGSAS, qui travaillent sur les préalables au développement d’une pensée philosophique par la posture du cogito, ce qui permettait aux participants de comparer ce type d’atelier avec des discussions à visée philosophique. Elle montrait comment l’introduction de la littérature de jeunesse incitait les enfants à émettre une pensée qui leur est propre.

Ces objets d’étudesont référés à des pratiques connues : protocole de Pautard-Lévine (cf A. Perrin), méthode autogestionnaire de Chazerans, communauté de recherche de Lipman, dispositif démocratico-réflexif de Delsol ou Connac, entretien de groupe de Lalanne, maïeutique socratique de Brénifier. Ils peuvent porter sur ces objectifs ou ces dispositifs (taille du groupe, disposition spatiale, entrée en matière,phases successives, temps métacognitif, répartition ou non de fonctions spécifiques dans le groupe, rôle ou non du tableau, utilisation du dessin, mise en jeu ou pas du corps…), sur les supports du questionnement (questions des élèves, romans ad hoc, littérature de jeunesse, contes, mythes philosophiques…), sur le degré de guidage du maître quant à la forme et au fond, sur les interactions verbo-conceptuelles(analyse du réseau de communication, tours de parole, approches quantitative et qualitative des échanges), sur l’articulation de l’oral et de l’écrit (cahier de philosophie), sur les compétences requises du maître et celles développées par les élèves, sur les démarches de problématisation, de conceptualisation et d’argumentation, sur la question de l’évaluation de ce typed’activité etc.

- Sur ce dernier point, J.C. Pettier et T. Bour faisaient part au cours du symposium de l’analyse comparative qu’ils ont menée entre deux groupes d’élèves d’IME (Institut Médico Educatif), l’un seulement pratiquant des discussions à visée philosophique, pour étudier l’impact de cette activité sur les apprentissages scolaires.

Les champs théoriques et les auteurs convoqués dans les recherches menées sont diversifiés : philosophie (notamment Socrate et les dialogues platoniciens aporétiques, Aristote et sa logique, le Descartes du doute méthodique, les méthodes actives et la finalité démocratique de Dewey, l’agir communicationnel de Habermas), didactique du philosopher (Lipman, Tozzi, Pettier…), sciences du langage, del’information et de la communication (notamment la pragmatique), psychologie sociale des interventions verbales (ex : école néo piagétienne de Genève, Goffman), psychologie développementale (Piaget et Kohlberg pour Lipman, Wallon, Vygotski, Bruner), psychanalyse (Lévine), sciences de l’éducation (théories socio constructivistes de l’apprentissage, avec les concepts de représentation/opinion, de conflitsociocognitif ; théories de la motivation), didactiques disciplinaires (ex : concepts de transposition didactique de Chevallard, de dévolution du problème de Brousseau), courants théoriques de l’éducation nouvelle (méthode coopérative de Freinet, pédagogie institutionnelle de Oury et Vasquez)…

Premier inventaire

Essayons d’organiser cet inventaire àla Prévert.

On pourrait distinguer notamment deux types d’outils :

1) Des outils d’analyse langagiers.

  • G. Auguet a opérationnalisé dans sa thèse (déc. 2003, Montpellier 3) un certain nombre de référents sur un corpus différencié de cycles 2 et 3. Il dégage, en s’appuyant notammentsur le concept de genre (emprunté à Bakthine), et sur celui de genre scolaire (emprunté à Schneuwly), les attributs d’une DVP (discussion à visée philosophique), qu’il considère comme un nouveau genre scolaire. Celle-ci, sur les scènes englobantes de la philosophie et de la pédagogie, et sur la scène générique du dialogue, engendre une posture à la fois locutive, intellectuelle etéthique, mettant en synergie, dans une compétence générique discursive, des capacités énonciative, interactionnelle, conversationnelle et textuelle.
  • V. Montreuil expliquait comment, dans sa maîtrise (2004), elle observait les interactions dans la classe de S. Connac à partir de la grille de Vion.
  • A. Delsol, à partir d’un extrait de corpus de sa grande section dematernelle, expliquait en quoi le passage du on au je permet d’installer ses élèves dans l’assomption de leur propre pensée (expérience du cogito dit J. Lévine), et comment il les y aide. La pronominalisation serait ainsi un indicateur de l’implication existentielle de l’élève. Un débat a eu lieu sur ce point. Car le on peut être refus d’implication, masque d’un je qui préserve sa« face » (Goffman), être la reprise d’un tout le monde le pense (le on préjugé de Heidegger), mais aussi bien esquisser une généralisation qui s’extrait du singulier empirique…

Une réflexion a eu lieu sur l’intérêt de ces outils langagiers : la théorie des actes de langage ; le genre comme forme discursive socialement construitedans et par les discours ; les formes énonciatives par lesquelles le sujet s’inscrit dans son discours avec plus ou moins d’implication ou de distance, et désigne la place de l’autre ; les places et rôles que chacun occupe dans un discours en fonction du cadre participatif, des contraintes et du contexte de l’échange ; les règles d’alternance, les tensions, continuités, ruptures qui structurent, dynamisent ouéteignent l’échange (analyse conversationnelle)…Mais ont été fortement soulevées les limites d’indicateurs langagiers pour rendre compte d’une pensée intérieure complexe, qu’ils ne saisissent que par leur transcription linguistique.

2) Des outils d’analyse plus disciplinaires, sous deux formes, philosophique et didactique :

a) P. Usclatexposait la substance de son DEA, qui vise à exposer en quoi la philosophie de Habermas permettrait d’éclairer philosophiquement la DVP pratiquée à l’école primaire, à partir de quatre concepts clés : la pratique de la communauté de recherche renvoie à sa « pragmatique universelle » ; celle de discussion à la recherche du « meilleur argument » ;l’éthique communicationnelle convoque la « situation idéale de parole » ; et le fait de devenir acteur « l’agir communicationnel ».

Un débat s’est alors ouvert sur une autre référence fondatrice, celle de Socrate et de sa maïeutique, avec des interrogations critiques sur le Socrate de Platon.

b) Sur la didactique du philosophercomme créatrice d’outils d’analyse :

  • M. Tozzi, en partant de la matrice didactique du philosopher élaborée dans sa thèse en 1992 (articulation de processus de problématisation, de conceptualisation et d’argumentation sur des notions et questions fondamentales), proposait pour les observations en classe de ces processus un tableau à utiliser de façon plus ou moinsapprofondie (de l’élève de cycle 3 au formateur d’IUFM).
  • P. Montero exemplifiait ce type d’analyse menée dans son mémoire de maîtrise en 2003.
  • S. Connac développait les analyses que l’on pouvait extraire de scripts de DVP. Il témoignait du travail de sa thèse (juin 2004, Montpellier 3), par une analyse quantitative permettant d’isoler lesévolutions d’une communauté de recherche au cours d’une année de recherche, ainsi que d’une analyse qualitative donnant des informations longitunales sur la maîtrise réfléchie et articulée des processus du philosopher.
  • Pour éclairer internationalement notre réflexion, P. Lebuis, professeur de philosophie à l’université de Montréal, retraçait ensuitel’historique de la méthode Lipman au Québec. Introduite en 1982 dans le cours de morale, la philosophie pour enfants s’est inspirée de Lipman dès 1985. A. Caron, M.F. Daniel, P. Lebuis et M. Sasseville ont d’abord travaillé (notamment au sein du CIRADE), sur des pré et post tests pour évaluer l’efficacité des pratiques inspirées de Lipman (tests sur la décentration, l’estime de soi…). Unedeuxième phase a davantage cherché à mutualiser les pratiques, à les raconter, en impliquant les praticiens en formation-recherche, jusqu’en 1992. On s’est intéressé depuis aux pratiques observées et reconstruites : qu’en est-il de ces démarches collaboratives, des compétences développées, de l’argumentation dans les séances ?
  • S. Brel, psychologue,responsable de la contribution française du programme européen Daphne (orientée vers la philosophie pour enfants comme prévention de la violence), partie des problèmes de gestion de groupes, montrait l’importance, dans les pratiques inspirées de Lipman, de croiser des indicateurs démocratiques (écoute, respect) et philosophiques (travail sur les présupposés, le questionnement, les contre exemples…).

Ce symposium a été une occasion forte de faire le point sur les démarches et outils actuellement disponibles pour analyser ces nouvelles pratiques, que l’on fasse une recherche universitaire, que l’on soit formateur à ces nouvelles pratiques, ou « praticien réflexif » (Schön).


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