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Pôle philo de l’Université Populaire de Narbonne – Atelier de philosophie pour adultes (2006-2007)

Posted By admin On 18 octobre 2007 @ 0:15 In Les universités populaires | No Comments

On trouvera ci-dessous le compte rendu des neuf séances

de la troisième année de l’atelier de philosophie sur le temps

de l’Université Populaire de Septimanie (Narbonne)

Université Populaire de Narbonne (UPS)

PÔLE PHILO

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Cycle sur le temps (3ième année)

Séance du 7-10-06

(20 participants)

Séance 1 sur : « Le retard »

Introducteur : Romain

Animateur-reformulateur : Michel

Président de séance : Gérard

Synthétiteuse : Marcelle

De très nombreux participants ont enrichi le débat (18/21).

Michel accueille les nouveaux participants, distribue des compte rendus de séance de l’an dernier, résume l’esprit, le travail et les règles de fonctionnement de l’atelier philo pour adultes de l’Université populaire. Il rappelle le renouvellement pour la troisième année consécutive, comme choix de thème de réflexion : « le rapport de l’homme au temps », et les sujets proposés cette année par les participants sur ce thème. Tous les compte rendus des années précédentes sont sur le site de l’UPS.

Calendrier 2006-2007 : 7/10,11/11,16/12/06 ;

20/1/06, 3/3, 31/3, 14/4, 5/5, 2/6.

La séance du 11/11 portera sur le « rythme » (Michel et Marcelle); celle du 16/12 sur « Dire le temps » (Francis).

1) Introduction par Romain (20’)

Aborder la question du retard me paraît (entre autres) incontournable dans un atelier où l’on se propose de réfléchir sur le rapport de l’homme au temps. Car le retard touche à la fois, me semble-t-il, le problème du temps comme celui de l’homme. J’aurais pu peut-être, pour introduire et illustrer de manière claire et provocante – certains diraient « scandaleuse », arriver aujourd’hui avec un bon quart d’heure de retard. J’aurais pris le soin d’en avertir Michel au préalable pour qu’il n’introduise pas au pied levé et qu’il vous laisse attendre que la séance puisse effectivement commencer. Il va sans dire que le retard dont je parle là est celui qui s’estime, se mesure en fonction d’un temps, d’un moment donné à court, moyen ou long terme. Le retard comme fait, pour un évènement quelconque, de se produire un certain temps après l’horaire prévu. Ainsi vous auriez été victimes de mon retard, victimes du temps que je me serais accordé et que par la même occasion je vous aurais pris. Car prendre son temps, c’est aussi et surtout prendre le temps des autres. Mais vous l’avez probablement compris, je ne veux pas aller jusque-là, même si c’est très tentant, et préfère vous laisser imaginer la situation. Je dois bien reconnaître que c’est ainsi bien plus confortable pour moi. Voilà donc la première dimension du retard que je souhaitais introduire, celle qui se joue dans le rapport aux autres et donc à l’autre. Le retard (égoïste) qui fait qu’un individu s’accorde le temps d’autres individus.

En quoi le temps peut-il m’inscrire et me maintenir dans un rapport à l’autre et m’engager vis à vis de cet autre ?

Dans les années 1920, le philosophe allemand Ernst Cassirer résumait l’opinion commune selon laquelle Rousseau « n’analyse pas les idées avec précision ». À la différence de Kant, « un modèle de ponctualité », qui était devenu « l’homme à la montre ». Rousseau, l’excentrique ne supportant aucune contrainte, ne pouvait donc rien fonder en philosophie. À l’appui de cette thèse, une belle page des Confessions, dans laquelle Rousseau quitte « la dorure et les bas blancs, pose son épée et vend sa montre. » Les faits sont authentiques. Mais la légende, s’emparant de l’épisode, fera de Rousseau un être qui n’a pu trouver son bonheur qu’en dehors du temps, dans ces moments de rêverie qui échappent au pouvoir de la durée.

L’écrivain Pierre Sansot (qui était par ailleurs un grand lecteur de Rousseau), ne cachait pas lui non plus ses inclinaisons pour la rêverie, bien au contraire ; et ses flâneries l’ont plus d’une fois mis en retard. Il racontait dans l’un de ses ouvrages qu’à une époque de sa vie où il enseignait dans un établissement scolaire, il lui arrivait très souvent de s’attarder en chemin parce qu’une façade retenait son attention (et l’invitait à la rêverie), ou encore parce qu’il empruntait des voies détournées. Parce qu’il était coutumier du fait, et parce qu’ils le connaissaient bien, les surveillants de l’établissement s’occupaient de ses élèves et les faisaient patienter.

Le retard serait donc à certains égards, et aux dépens d’autres personnes bien souvent, une liberté temporelle que l’on s’accorderait. Mais ce temps n’est hélas pas nécessairement mis à profit par ceux qui se l’octroient ; ou du moins pas toujours ressenti comme tel. Ainsi, Pierre Sansot me confiait un jour qu’il n’avait jamais de temps, et que le peu de temps qu’il avait pour lui, il l’employait à rêver. Alors il s’est écrié : « Finalement, c’est la rêverie qui me prend le plus de temps ! ».

Nous savons qu’il existe, et il y en a peut-être dans notre entourage proche, des experts du moratoire, de cet art de remettre au lendemain. Mais quand cela prend des proportions excessives et tend vers le pathologique, on parle de procrastination pour désigner ces « retardataires chroniques ». Les conséquences peuvent s’avérer parfois désastreuses, et faire souffrir les retardataires comme ceux qui les subissent. C’est alors qu’il conviendrait de pouvoir « rattraper », « combler le retard », comme on l’entend souvent dans notre société soucieuse de tout maîtriser. Comme si l’on pouvait remonter le temps… Bien entendu il s’agit la plupart du temps d’un retard que l’on avait pronostiqué, et que l’on peut éventuellement réduire, voire annuler. Car je vous rappelle qu’une fois l’échéance, l’horaire, l’occasion passés, on ne peut plus les saisir. Kairos est chauve à l’arrière de sa tête, insaisissable donc, et il ne sert plus à rien de courir. Fugit irreparabile tempus (le temps fuit, irréparable) disait Virgile.

Que nous révèle donc le retard sur l’homme, et quant à son rapport au temps ?

2) Discussion (45’)

Synthèse de la discussion par Marcelle :

I) Les domaines que le retard met en jeu :

A) Le domaine individuel, par exemple biologique et /ou psychologique.

La lenteur de développement de certains enfants façonne des personnes qui resteront retardées, puisque le développement physique et mental est achevé en grande partie à la fin de l’adolescence.

B) Le domaine éthique.

. D’abord dans mon rapport à autrui, car si je me fais attendre, je mets l’autre en position de dépendance, il est en attente de moi. C’est une manière de ne pas prendre en compte les contraintes de l’autre, parfois de l’humilier ou de se faire désirer.

. Ensuite dans mon rapport à la norme : par exemple, il est impoli de ne pas être ponctuel.

. Enfin dans mon rapport avec mon propre désir. L’événement avec lequel j’ai rendez-vous, consciemment ou non, ne me paraît pas très désirable.

C) Le domaine politique et social.

Puisque souvent le retard fait prendre barre sur quelqu’un, cela permet d’exercer sur lui du pouvoir. Cela peut-être utilisé stratégiquement.

D) Le domaine ethnologique.

Les différentes sociétés, comme les différentes personnes, ont des rapports au temps variables, pouvant aller du très souple au très rigoureux. Les retards n’ont pas, dans un cas et dans l’autre, le même impact sur la vie individuelle et collective.

E) Le domaine économique et écologique

Le retard à un coût : temps de travail perdu, rendez-vous ratés, indemnités à verser, recherche scientifique qui stagne et laisse les autres prendre les brevets.

Le retard de la prise de conscience des dangers inhérents au développement accéléré des technologies risque d’avoir un impact très lourd pour la planète.

- On voit bien que le retard a de multiples enjeux, recherchés ou subis. Souvent, des impératifs se présentant simultanément, il s’agit de faire des priorités, quelque chose ou quelqu’un sera sacrifié et subira l’attente. Un kaïros, une opportunité, viennent détourner du but vers lequel on courait.

Mais il y a aussi une liberté qui est revendiquée par un sujet qui ne veut pas se laisser tyranniser par les contraintes temporelles, alors tant pis, il prend son temps !

II) L’interrogation sur les mécanismes en jeu.

Un retard systématique, chronique, peut prendre de telles proportions qu’il devient symptôme pathologique, on parle alors de procrastination. Est procrastinateur celui qui remettant toujours au lendemain, risque fort de ne plus passer à l’action.

Du côté de celui qui attend, cela a des effets de déstabilisation et d’angoisse, avec toutes les traductions psychiques et somatiques.

Le retard peut combiner de différentes manières les couples : conscient/inconscient, volontaire/involontaire. On peut bien sûr délibérément être en retard. On peut volontairement l’être tout en ignorant les raisons véritables de son comportement. On peut vouloir être à l’heure et déployer une stratégie inconsciente pour se retarder.

Une des difficultés à la ponctualité est de devoir mettre en adéquation le temps de l’horloge ou le temps collectif et social, avec le temps subjectif et individuel.

La ponctualité est l’occasion de faire coïncider deux séries d’événements. Cette simultanéité peut donner une sensation de plénitude (ex : l’orgasme simultané), de fusion, de jouissance. L’ambivalence que l’on peut ressentir devant la possibilité de la jouissance comme point d’arrêt du désir rendrait en partie compte de toutes les complications qui se présentent lorsqu’il faut être ponctuel.

Enfin, il y a aussi cette peur du rendez-vous avec la mort, qu’on aimerait retarder !

Le retard constitue un analyseur du rapport de l’homme au temps, à l’autre, à soi, à la vie, à la mort. Il valait bien que nous nous penchions sur lui, ensemble !

Pause : 15’

Ecriture : 15’

Lecture des textes écrits : 15’

Régulation : 15’

A la prochaine séance, on commencera par un tour de table sur le thème (le rythme), puis un apport sera fait, puis discussion sur le tour de table et l’apport, puis écriture…

ANNEXES : TEXTES DES PARTICIPANTS

Retard

J’aime bien essayer de comprendre les mots par rapport à leur antonyme, leur contraire. Or, quel est le contraire de retard ? Ponctualité ? Exactitude ? Avance ? Simultanéité ? Modernité ? Cela reste flou. Il me semble cependant que tout retard ne peut exister que par rapport à une norme, que cette norme soit temporelle et mathématique (l’heure ?) ou morale, éthique, politique. La France est-elle en retard ? Par rapport à quoi, par rapport à qui ? Et apparaissent alors les concepts à la mode (toujours flous) de modernité, post-modernité…

Francis

Blaise Pascal affirmait que « l’on ne peut être en retard si on est dans l’infini ».

Si l’on considère l’infiniment grand, il est vrai que le retard de quelques hommes à quelques rendez-vous semble à l’échelle planétaire sans importance.

Et pourtant le seul retard pour une poignée d’individus à mettre en place des mesures urgentes lors d’une catastrophe écologique ou autre peut avoir des conséquences tragiques.

A une échelle plus modeste, si les membres d’un groupe qui se réunit régulièrement comprend un majorité de participants arrivant fréquemment en retard, le groupe va avoir du mal à avancer et même à fonctionner.

Par contre, l’homme, dans son individualité, peut souhaiter, de la même façon que l’évoquent Blaise Pascal ou Pierre Sansot, lors de ses moments de liberté, se mettre hors du temps et interrompre par la pensée la réalité concrète, afin de prendre le temps de flâner, de vivre à son rythme.

Il sait pertinemment que ce qu’il n’a pas réalisé le jour même se fera peut-être le lendemain (« aujourd’hui peut-être ou alors demain »), quitte à force par ne pas se faire du tout ou très en retard, mais qu’importe alors semble t-il.

Muriel

Retard et relativité

La notion de retard me renvoie à la pensée du physicien Albert Einstein, qui dit que tout est relatif. En effet, un retard peut être admissible ou inadmissible selon les événements, les points de vue, les contextes, les situations, les cultures et les traditions : chacun crée sa notion du temps.

Dans le cas d’un avion raté par exemple parce que je suis en retard, si celui-ci s’écrase, il sera admis par mes proches et moi-même que ce retard est un bienfait.

En France, si je prends un train arrivant avec un retard de plus de 30mn, je peux demander à être remboursée par la SNCF. Un retard de ce genre est considéré comme inadmissible.

Mais au Maroc par exemple, il y a quelques années, lorsque j’ai pris l’autocar pour aller de Marrakech à Essaouira, je crois que si j’avais demandé à être remboursée pour le retard, on m’aurait regardé avec des yeux ronds. En effet, il est admis d’attendre tranquillement que tout le monde monte à bord après avoir discuté, s’être assis, que les poules soient bien installées avec leur propriétaire… Le voyage est pittoresque. S’il faut s’arrêter, on s’arrête le temps nécessaire. J’ai compris que la notion du temps n’était pas la même et qu’ici il peut se dilater. L’autre peut attendre à l’arrivée, c’est normal. Cela fait partie du voyage. Dans le même ordre d’idée, j’ai appris qu’en Afrique, il se peut qu’une personne soit invitée à manger chez des amis mais que si elle arrive seulement trois jours après parce qu’en chemin elle a trouvé mieux à faire, ce n’est pas grave, c’est admis. Elle arrive quand elle arrive.

Par contre, si vous avez un rendez vous d’affaire au Japon, arrivez une heure à l’avance sinon vous serez mal vu. Vous êtes invité à une fête dans l’Aude et vous vous retrouvez un peu seul en arrivant? C’est parce que vous ne connaissez pas « l’heure audoise ». Arrivez avec une heure de retard et vous serez très entouré. Vous êtes invité à un barbecue à San Francisco à 18h? Là, n’hésitez pas, soyez à l’heure. Il y aura déjà plein de monde à votre arrivée.

Vous êtes une star? Une personnalité reconnue? N’arrivez jamais à l’heure, c’est bien connu. Il faut vous faire attendre, vous faire désirer. Vous avez mille choses à faire, toutes aussi importantes, qui vous empêchent d’être à l’heure. J’ai un jour été bloquée dans un avion pendant une demi-heure à cause d’une personnalité politique qu’il fallait attendre absolument. Je n’ai pas demandé à être remboursée. Est-ce normal? Ai-je fait un acte citoyen?

Je repense tout à coup à la phrase du peintre Picabia qui dit qu’il n’y a rien d’important, seulement la valeur que nous donnons aux choses…

Ghislaine

Quand je reproche à quelqu’un son retard, suis-je objective ou dominatrice ?

Quand, d’accord sur un horaire, une personne est systématiquement en retard, est-elle incorrecte, dominatrice, manipulatrice ou victime ?

Qui, alors, exerce un pouvoir sur l’autre ? Puis-je obliger cette personne incapable de gérer son temps à respecter le mien ?

Dilemme. Car tout retard que l’on m’impose exerce sur moi un effet physique et psychologique très négatif : impatience, stress, tension.

Est-ce mon éducation et l’exemple reçus, j’ai toujours aimé la ponctualité réciproque.

Je ne l’ai jamais vécue comme une contrainte mais comme une politesse, la considération de l’autre, une mise à égalité enseignant-enseigné.

Mais, peu à peu, avec la fin de mes activités professionnelles, j’ai découvert le temps présent, le plaisir de couper le rythme habituel, de faire un choix dans mes activités, mais qui n’engage que moi, et non les autres.

Je ne crois pas qu’il y ait contradiction entre le besoin de ponctualité et le plaisir de goûter le temps présent et même de le suspendre. Par contre, être en retard ne serait-ce pas une fuite devant la réalité du présent ?

Andrée

Le temps et le RETARD dans ce temps.

La compréhension et mon estime de l’espace-temps du lieu où je vais n’expliquerait-il pas le pourquoi de mon retard ?

« Il faut partir à point ».

Le retard que je prends, je me l’explique toujours, qu’il me fasse souffrance, frustration, ou plaisir. Mon retard que j’impose à l’autre, je m’en excuse, ou je lui demande de me pardonner et j’y compte.

Mais lorsque je suis celui qui attend, je supporte bien ou mal le retard qui m’est imposé par l’autre : je lui rends gré ou le rend coupable, selon que je suis dans cet espace-temps retard avec plaisir ou déplaisir.

Le poète dit : « Dans la chaîne des jours nous formons le temps, utilisons le « présent » même dans le retard, car l’homme est le Temps qui s’écoule, après nous il ne sera ni temps ni retard, mais éternité ou néant ».

Anne-Marie

Le retard, un analyseur de l’ambivalence du rapport de l’homme au temps

- Approche descriptive : on peut être en avance, à l’heure, à peu près à l’heure, en retard, très en retard (ou être absent ! A partir de quel moment le retard, qui est non-présence, est pris pour une absence ?)… Le retard est mathématiquement mesurable : après l’heure, c’est plus l’heure ! L’avion a décollé, la personne qui attendait est repartie… Le retard, c’est la non coïncidence de la rencontre au moment où il faudrait…

Cette non coïncidence a des incidences affectives, et des enjeux normatifs.

- Approche affective : il y a, pour le retardataire comme celui qui attend, des temps de retard assumés (jusqu’à combien de temps?), supportés (par qui et vis-à-vis de qui ?), énervants, angoissants, explosifs (le retard peut se payer par la rupture)… Le retard génère souvent du stress, car il est de l’ordre du râtage. Ce dysfonctionnement a du sens : psychologique, car il peut faire symptôme (pathologie du retard, de la procrastination) ; mais aussi social, éthique, politique…

- Approche normative : car il y a le retard toléré, socialement accepté (un personnage important à l’emploi du temps surchargé) ; et le retard interdit ou pénalisé (dans la famille pour la sortie jusqu’à telle heure ; à l’école pour l’élève en cours, dans l’entreprise pour le travailleur qui doit pointer ; à l’hôpital pour l’examen prévu…) : dans le cas de retard, on balbutie, on s’excuse, on doit se justifier. C’est le retard impolitesse, relationnellement incorrect, qui prend du temps sur les autres, ou provoque du souci (chez le parent, le conjoint, l’amoureux…) : transgression d’un pacte, d’un rendez vous, d’un engagement, d’une fidélité dans la parole, déontologiquement répréhensible au travail, éthiquement irrespectueux dans les relations. La ponctualité est la « politesse des rois », et un critère de la notation administrative…

On peut être en retard involontairement (un embouteillage imprévisible) ; ou de façon « inconsciemment volontaire » (se trouver un prétexte qui retarde de fait le départ parce qu’on redoute un face à face, on veut fuir la réalité) ; ou de façon stratégiquement volontaire (un employeur qui fait attendre pour un entretien d’embauche, une femme qui veut faire monter la crainte et/donc le désir chez son amant).

Le retard peut être le signe d’une maîtrise de soi (refus de la tyrannie de la montre, valorisation de la rêverie, de la flanerie, du kairos ; aller à son rythme sans se stresser, prendre son temps), et l’indice d’une maîtrise sur les autres (le pouvoir de faire attendre, de rendre un autre dépendant de soi, en s’autorisant le retard, ou en l’interdisant).

Mais il peut être aussi le signe d’une perte de maîtrise : affective (l’angoisse qui monte quand on ne va pas pouvoir arriver à temps ou quand l’autre n’arrive pas, avec la reviviscence d’un sentiment fantasmatique de perte ou abandon) ; économique (tout retard de livraison entraîne des pénalités) ; sociale (la peur de « perdre la face », de ne plus être pris au sérieux) ; éthique (se sentir responsable et fautif)…

Le retard involontairement ou inconsciemment subi nous renvoie à la consistance et à la résistance du réel, au sentiment d’impuissance devant le temps qui passe et nous dépasse, nous aborde en nous débordant. Dans la modernité, nous sommes soumis à l’injonction (maîtrise, rentabilité et efficacité obligent), d’aller vite et bien, de ne pas prendre de retard (surtout sur les concurrents), de ne pas être « dépassé », et quand le retard est pris, nous sommes sommés de le rattraper au plus tôt. Le retard est la distance qu’introduit en nous un temps qui fuit, qui fait brêche de son insoutenable légèreté dans la norme des lois morales et juridiques, des coutumes sociales, qui fait limite à la toute puissance de nos désirs individuels.

Y a-t-il une issue ? Jouir, jouer et se jouer d’un retard assumé? lui donner le sens positif d’un retardement de l’échéance (et de l’ultime Echéance : la mort) ? en faire dans sa vie un pouvoir exercé sur soi et les autres? D’aveu de faiblesse, pourrait-il ainsi devenir résilience?

A moins au contraire qu’on ne prenne au sérieux les promesses de l’exactitude (car l’exactitude est promesse tenue), et que l’on est pour la ponctualité de la considération : par sa coïncidence dans la rencontre, elle serait comme la pleine assomption du présent, et la métaphore jouissive de la vie (de l’orgasme simultané au rendez vous accepté avec la mort). Arriver calmement sur le quai juste au moment où arrive le train, ce serait aussi peut-être réussir le rendez-vous avec soi.

Michel

Une VALSE avec Lacan

Ho ! Je danse avec Lacan

Une valse à trois temps.

Le premier temps pour tout voir,

Du matin et jusqu’au soir.

Le deuxième pour comprendre

Qu’à la fin il faut se rendre.

Un troisième pour conclure.

Valse lente ou qu’elle dure.

Anne de Lierre

PÔLE PHILO

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Cycle sur le temps (3ième année)

Séance 2 du 11-11-06

(20 participants)

Séance sur : « Le rythme»

Introductrice : Marcelle

Animateur-reformulateur : Michel

Présidente de séance : Anne-Marie

Synthétiseuse : Marcelle

1)Tour de Table (30’)

2) Apport supplémentaire de Marcelle (10’)

3) Discussion (30’)

Synthèse de la discussion par Marcelle :

Définir le rythme … ?

Selon une des sources de définition (Encyclopédia Universalis), le sens du mot se serait progressivement diversifié, au point de désigner des choses qui semblent sensiblement différentes. Le grec (rein) nous invite à penser en terme de flux, tandis que le latin nous invite à penser en terme de cycles. Ainsi peut-on parler aussi bien du rythme saisonnier, que d’un film qui a un rythme rapide, sans que l’on ait l’impression d’employer le terme à contre sens. Ceci signifierait que la définition voire la conceptualisation demande véritablement une réflexion approfondie :

  • en essayant de distinguer les notions voisines : la cadence qui serait la ponctuation, le tempo qui serait la vitesse d’exécution, la mesure qui serait l’évaluation de la vitesse. Ce que l’on voit encore en essayant de distinguer différents éléments, c’est que ces éléments mêmes ont des définitions qui sont assez imprécises et fonction des sources ;
  • en accumulant les attributs : le rythme est quelque chose d’immatériel, mais qui implique très fréquemment le corps ; il a de l’impact sur nos affects (plaisir, transe, angoisse, apaisement) ; le rythme introduit du qualitatif dans le quantitatif ; le rythme est un langage ; le travail sur le rythme donne lieu à de la créativité ; le décodage des rythmes naturels et l’utilisation quasi permanente de la rythmicité semblent être une activité essentielle de l’homme ; le rythme permet à l’homme “ d’habiter le temps ” ; le rythme serait originairement cosmique, et à ce titre nous serait constitutif ; le rythme nous permet de conjuguer le même et l’autre, de mettre de l’ordonnancement dans le réel ;
  • les différentes occurrences où l’on peut repérer du rythme : dans le corps propre, dans la nature, dans le cosmos, dans les créations humaines (danse, travail à la chaîne, etc.).

L’articulation de la nature et de la culture.

L’homme semble avoir un grand intérêt à “ travailler ” le rythme, à vouloir repérer d’abord, transformer en suite ceux qui sont naturels (ex : rythme cardiaque que les sportifs arrivent à faire baisser). Quelquefois nous arrivons même à créer par nos activités inconsidérées des changements climatiques susceptibles de perturber des cycles naturels.

En même temps un intérêt accru pour ce qui est “ naturel ”, nous fait être à la recherche de notre rythme propre, pour être en harmonie avec nous-mêmes.

On peut observer que le rythme en matière de poésie et de musique porte un symbolisme social historiquement daté : alexandrin pour l’époque classique, jazz à la libération, hip-hop aujourd’hui, par exemple. Les rythmes binaires et ternaires semblent les plus couramment recherchés.

De manière générale, nous avons déjà vu que l’humanité cherche toujours plus de rapidité, tout en déplorant cet emballement, entre autre chose parce que cela se fait au détriment de la pensée, qui elle, nécessite du temps.

La capacité de jouer sur les rythmes naturels et autres offre à l’homme un immense espace de créativité.

Les valeurs liées au rythme

  • Valeur fonctionnelle : certaines activités demandent à être en accord avec des éléments extérieurs, qu’ils soient naturels ou humains (ex : le rythme des saisons pour l’agriculture, ramer, danser en cadence, suivre une chaîne de production…) ;
  • la recherche d’une harmonie dans les rapports humains, en ajustant les rythmes de chacun (cet effet peut aussi être créé par la coexistence des différences) ;
  • la sagesse : le bon rythme est-il la recherche du sien propre, la capacité d’adaptation, ou bien un compromis subtil entre les deux ? Mais la notion de “ juste mesure ” d’Aristote ne semble pas être appropriée dans ce cas. Peut-être faut-il aussi savoir résister à la pression du toujours plus vite ;
  • la valeur esthétique : la notion d’harmonie y est centrale. Est-elle donnée par la régularité, qui produit un sentiment de sécurité, mais qui peut devenir ennuyeuse ? Est-elle donnée par des ruptures, des pauses, des changements ? Le rythme cyclique permet d’allier le changement et la répétition : cela permet par des alternances de temps forts et de temps faibles de rendre vivante la marche du temps. Le rythme est un langage qui permet entre autres d’exprimer ses émotions ou de créer chez le spectateur des états émotionnels variés.

Nous retrouvons ici l’immense champ de liberté et de créativité que constitue le travail sur le rythme.

En conclusion

Si cette séance de réflexion collective a été très productive au niveau des idées rassemblées sur la question du rythme, il est difficile de dire que nous sommes véritablement parvenus à conceptualiser cette notion là ; peut-être parce qu’elle nous est tellement consubstantielle qu’il est difficile de prendre le recul nécessaire.

Pause : 10’

4) Ecriture : 5’

Consigne : « Ecrire en une seule phrase un aphorisme en fonction de ce que vous avez entendu et dit ».

5) Lecture et prise en note des textes écrits : 15’

6) Régulation : 10’

A la prochaine séance, on commencera par une introduction par Francis (Comment dit-on le temps dans notre langue?), puis tour de table sur le thème, puis discussion. Pause puis écriture, lecture et régulation…

ANNEXES : TEXTES DES PARTICIPANTS

Quelques aphorismes des participants

(produits pendant le temps d’écriture, après le tour de table et la discussion)

  • L’idéal du « bon »rythme, c’est le secret de la sagesse : tenter de se synchroniser corporellement et spirituellement avec la nature, les autres et soi-même.
  • Le rythme est le court-circuit du flux.
  • Le rythme culturel est généralement en conflit avec le rythme biologique.
  • La récurrence de la rupture, l’échappement du mouvement : une horlogerie de la nature dont je suis la référence.
  • A chacun son rythme.
  • Le rythme est un cœur qui bat, une respiration, une vie.
  • L’homme moderne ne doit pas oublier que toutes les cultures humaines ont exorcisé leur angoisse de la mort en inventant des rythmes de vie souvent en harmonie avec les rythmes de la nature.
  • La rencontre des rythmes, c’est le hasard de deux libertés qui se respectent.
  • La chose unique, isolée dans le temps ou dans l’espace, une fois n’étant pas coutume, n’a pas force de loi, et donc ne sera pas retenue comme rythme.
  • La conception spirituelle du rythme me fait penser aux derviches tourneurs, qui vont tourner en rythme jusqu’à l’extase ou l’épuisement.
  • Le rythme est bon, quand il ne se ferme aucun possible.
  • Le rythme ne peut être qu’une affaire vitale.
  • Le rythme de chacun dépend de ses propres dispositions. Pour une bonne harmonie avec soi-même, il faut faire les choses à son rythme.
  • Si être humain, c’est être par définition imparfait, choisir d’être en rythme, est-ce chercher l’instant de perfection qui comblera notre imperfection d’être humain ?
  • Le rythme est mobilité. Le souffle le rend différent de l’uniformité. Pour ne pas s’entrechoquer dans le rythme universel ou celui de l’autre, la sagesse invite à la tempérance. Bienheureux celui qui s’accorde avec le chant du monde…
  • Le rythme c’est la vie, que l’on parcourt tantôt sur une mélodie, tantôt dans la cacophonie.
  • Le flux est la condition de l’émergence du rythme.

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TEXTES

L’homme en voulant être maître du temps, s’est lancé pour défi d’aller toujours plus vite, de faire plus vite, plus longtemps.

Difficile de vivre à son rythme quand tout s’accélère autour de soi.

Mais on peut aussi décider de suspendre le temps (« Oh temps, suspend ton vol »), de casser le rythme naturel ou imposé, parce qu’il ne correspond pas à ce que l’on est.

Et cela pour diverses raisons et dans différents domaines.

Comme par exemple le travailleur épuisé qui va décider de modifier, de ralentir ou même d’arrêter le rythme qui lui est imposé, sachant les risques que cette révolte va entraîner et les sacrifices qu’il va devoir faire.

Ou le musicien qui par envie de modernité, de changement ou de provocation, va enchaîner des rythmes discordants qui pour lui vont avoir un sens et vont lui permettre de rebondir vers une autre création (détruire pour reconstruire).

Casser un rythme va ainsi permettre de rompre la monotonie, en modifiant par exemple le rythme d’une activité qui depuis longtemps avait le même contenu, les mêmes horaires, la même fréquence et qui en perdait peu à peu son intérêt, sa légèreté, sa substance.

Le rythme biologique va même parfois être chamboulé pour ceux qui vont devoir être en activité la nuit et en repos le jour.

Il peut aussi y avoir véritablement le besoin de suspendre le temps, de l’arrêter, de freiner le cours agité de sa vie afin de se poser, se reposer, se mettre en veille.

Se mettre hors du temps c’est peut-être aussi rechercher, même pour de courts instants, une impression d’éternité, où il n’y a plus de rythmes, où tout est linéaire.

Muriel

Le rythme, emprunté au latin « rythmus », signifie : mesure, cadence, mouvement réglé, mesuré.

Il est une suite d’intervalles réguliers caractérisés par le retour périodique d’un repère.

Il peut être cosmique, biologique, social, musical etc.

Il est rapide, lent, lancinant, entêtant, perturbant, gênant, calmant, salvateur.

Il est contradictoirement une notion technique, limitée, formelle, et une notion universelle dans ses dimensions cosmiques .

Sa genèse, à mon avis, est consubstantielle à l’explosion primordiale, qui par sa puissance inimaginable, a permis la naissance de l’univers et son expansion rythmique, soumise aux aléas gravitationnels syncopés de la matière .

Ce premier rythme aléatoire est le fondement de tous les autres rythmes. Il est le rythme dans sa perfection.

Le rythme est le muscle qui permet l’animation cadencée du flux.

Gérard

Le rapport de l’homme au rythme

Il est difficile de définir la notion de rythme, par l’extension large de son concept : rythmes naturels physiques (cycle de rotation de la terre sur elle-même, saisons, courant alternatif…) et biologiques (chez l’homme respiration, battements cardiaques, cycle menstruel, cycle circadien du sommeil…) ; rythmes culturels et sociaux (commémorations et anniversaires, horaires de travail, « marronniers » pour les journalistes, rentrées scolaires pour les élèves, élections…).

Quant à sa compréhension, ou peut hésiter entre le rythme portant sur un flux (le rythme de développement d’un enfant, plus ou moins rapide), et le rythme comme structure, introduisant une périodicité, une répétition : du même dans l’autre, de la circularité dans la linéarité, où, même dans la variation (temps fort ou faible, tempo lent ou rapide), la régularité l’emporte, sécurisante et joyeuse dans le plaisir de la reconnaissance, ou ennuyeuse par sa monotonie (mais il existe des rythmes irréguliers, voire aléatoires…). Difficile cependant de penser le rythme indépendamment d’un découpage du temps, de toute mesure quantitative, à tout le moins d’une ponctuation, d’une scansion, même qualitative (par exemple dans la poésie, la danse…)

Notre questionnement, c’est le rapport du rythme à l’homme, à travers son rapport au temps.

Ce rapport interpelle la liberté humaine : car le rythme peut être imposé, et dès lors subi, qu’il soit naturel (s’essouffler en voulant courir trop vite) ou social (travail à la chaîne), ou accepté (biorythmes jugés équilibrants) ; ou qu’il soit délibérément choisi (utilisation de la RTT).

Il pose aussi le problème du bonheur : quel est le « bon rythme », au double point de vue pratique et éthique ?

Si l’on peut écologiquement penser que le bon rythme pour soi doit s’accorder au mieux avec les rythmes biologiques (les 3 fois 8 heures de travail perturbent le sommeil), ralentir si nécessaire un rythme trop rapide (stressant) ou le contraire (pour se stimuler) semble souhaitable pour la santé (une des conditions du bonheur ?).

Là où il y a problème, c’est quand on cherche à harmoniser (l’harmonie étant jugée comme une valeur) son rythme avec celui des autres, avec des rythmes sociaux ou individuels (une modernité trop rapide, un couple aux rythmes très – trop – différents, une marche collective en montagne…) ? Comment se (re)trouver soi-même, pour quel compromis sans compromission avec les autres? Faut-il assumer des ruptures, au risque de l’isolement, ou travailler les ajustements, au risque du décalage ?

L’idéal du bon rythme, c’est peut-être le secret de la sagesse : tenter de se synchroniser corporellement et spirituellement avec la nature, les autres, et soi-même…

Sachant que nul n’est parfait.

Mais que l’imperfection peut rendre ambitieux…

Michel

Arythmie

Le rythme des poumons, qui gonflent dans la nuit

Me disent tous les pleurs d’insoupçonnés naufrages.

Le spectre du passé, vient défiler sans bruit,

Il m’offre un passeport pour un nouveau voyage.

Le souffle de l’obscur vient frapper à ma porte.

Son ombre le poursuit, invisible cohorte,

Par l’entrebâillement pénètre en ma maison,

Et déchire l’habit, tissé par la raison.

Avec les viens et vas des palpitations

Crépite l’univers en un brasier sans flamme.

Le carillon du temps, ses trémulations,

Egrainent le tic-tac que chaque jour entame.

Anne de Lierre (1982)

PÔLE PHILO

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Cycle sur le temps (3ième année)

Séance 3 du 16-12-06

(18 participants)

Séance sur : « Dire le temps»

Introducteur : Francis

Animateur-reformulateur : Michel

Président de séance : Romain

Synthétiseuse : Anne-Marie

1) Intervention de Francis sur : les verbes dans le français comme façons de dire le temps (30’)

A) Modes et temps

L’esprit qui conçoit un état ou une action (verbe) peut les envisager comme réels, possibles, conditionnés, douteux, les envisager intellectuellement ou y associer des éléments affectifs. Pour noter ces diverses nuances, le français dispose de 4 modes dits personnels (parce qu’on peut les conjuguer) et 2 ou 3 impersonnels : infinitif, participe, gérondif.

Les 4 modes personnels

- l’indicatif : indicativus (qui indique un fait positif, réel)

- l’impératif : imperativus (qui impose un ordre)

- le subjonctif : subjungere = attacher sous (possibilité, désir, volonté)

- le conditionnel ou potentiel : soumis à une condition, qui est à la fois un mode et un temps

« Je pourrais être heureux si… » (potentiel)

« Je savais que tu viendrais. » (futur dans le passé)

Les temps en principe expriment les 3 notions de présent, passé, futur de façon absolue ou relative : antériorité, postériorité, concomitance.

Mais ce n’est pas si simple Ex : l’infinitif

- Est-ce vraiment un mode impersonnel et atemporel ? Est-ce un verbe ou un nom ?

- Il existe des temps : « On ne peut pas être et avoir été » (présent, passé).

- Il est souvent employé comme nom mais exprime un concept de l’état ou de l’action : le savoir, le pouvoir, le boire, le manger, le baiser… (ce qu’Orsenna appelle « les infinitifs paresseux »).

- Il exprime souvent l’injonction et sert d’aide-mémoire : « Entrer sans frapper »

« Téléphoner à X » (idée de futur).

Une curiosité : « Toi y en a balayer le cour » (personne : tu, injonction, futur). Ce parler petit nègre a fait l’objet d’un traité grammatical officiel distribué aux administrateurs des colonies à la grande époque coloniale.

B) L’indicatif

1) le présent : le fait s’accomplit au moment de la parole « Je parle ».

2) le passé : le fait a eu lieu avant le moment de la parole « J’ai parlé ».

3) le futur indique la postériorité par rapport au moment où on se place « Je parlerai ».

Apparaissent aussi les notions d’aspect, de valeur : richesse de la langue.

1) Le présent : c’est le temps de l’actualité ; difficile d’exprimer un temps très court qui n’existe pas, qui n’est pas encore et qui bientôt ne sera plus.

D’où l’élargissement :

- passé récent « Il sort à l’instant » ;

- futur plus ou moins proche « J’arrive… J’arrive… » ;

- présent qui dure : vérité générale. Ex : les proverbes : « Pierre qui roule n’amasse pas mousse. »

- présent de narration qui donne de l’intensité au passé et rend le récit vivant.

Un exemple pour enrichir ces notions d’aspect et de valeur du présent : au lendemain du 11 septembre, « le Monde » titrait : « Nous sommes tous américains ». Evidence peut-être sous le coup de l’émotion. Mais quelques jours après, ce n’est pas une vérité : « Nous ne sommes pas américains ». Il peut même y avoir des réactions politiques : « Nous ne sommes surtout pas … ; nous ne l’avons jamais été ; nous ne le serons jamais. »

2) Le passé

a) Passé simple qui vient de l’aoriste grec ; c’est un passé défini, complètement achevé.

b) Passé composé : passé indéfini, en contact avec le présent.

A u 18ème siècle on différenciait les deux : passé simple pour les faits antérieurs au jour précédent, parfait ou passé composé pour les faits du jour.

« La crainte fit les dieux, l’audace a fait les rois. »

La distinction a peu à peu disparu et le passé simple ne s’emploie quasiment plus, sauf chez les écrivains et uniquement à la 1ère personne.

Il faut dire : « Victor Hugo naquit en 1802. Je suis né en … » (prise de distance).

Pourquoi l’un a-t-il remplacé l’autre ?

- conjugaison et morphologie bizarres du passé simple. Ex : je pus, tu pus …, vous pûtes …

- explication psychanalytique : ne pas vouloir détacher totalement le passé du présent (refus de la mort ?)

- disparition plus rapide au nord de la France qu’au Sud : persistance en occitan ?

Un exemple : mon grand-père, un petit viticulteur du Minervois, me racontait sa guerre de 14 au passé simple, sans difficulté et sans erreur. Restes de quelques études classiques au petit séminaire ou survivance de l’occitan ? Les deux, certainement.

c) L’imparfait : comme son nom l’indique, qui n’est pas parfait ; c’est le temps de la durée, de la description, de l’habitude, de la répétition.

Nuancer : « Pendant le petit déjeuner, il pleuvait » durée.

« Pendant le déjeuner, il a plu » la pluie s’est arrêtée.

L’alternance passé simple/imparfait dans le récit est très difficile à maîtriser par les élèves/adolescents (confusions : je chantais, je chantai ; difficulté du 1er groupe : je chanta, je prena…).

Les écrivains modernes usent et abusent parfois de l’imparfait dans le récit, notamment dans l’expression du discours intérieur : « Il réfléchissait. Bien sûr qu’il détestait X… »

3) Le futur : L’avenir n’est qu’une construction essentiellement conjecturale de l’esprit, par conséquent sujette à mille aléas : flou.

A signaler : le futur d’atténuation : « On sonne, ce sera le facteur » ;

le futur de politesse : « Je vous demanderai de ne pas fumer» ;

le futur d’injonction : « Tu ne tueras point » (tu n’as pas à tuer) ;

l’auxiliaire aller pour le futur proche : « Je vais sortir ».

C) Le subjonctif

Mode de l’affectif, du fiat latin, du dubitatif, de l’hypothétique. D’après Orsenna : « c’est l’univers du doute, de l’attente, du désir, de l’espérance, de tous les possibles, c’est un mode révolutionnaire. »

- Vive les vacances = Que vivent les vacances (espoir).

- Différence avec l’indicatif : Je veux qu’il sorte (incertain).

Je sais qu’il sortira (certain).

D’où emploi erroné après « après que » : il faut dire « Il parlera après que vous aurez parlé. »

L’imparfait du subjonctif, même s’il est présent dans certaines formules : « dût-il se mettre en colère, je le lui dirai » n’est plus employé. Il est interdit aux 1ère et 2ème personnes (peut-être à cause des pluriels : chantassions, chantassiez) et son emploi à la 3ème personne est souvent une affirmation de distinction, d’élitisme, de snobisme (cf. Giscard, Mitterand…).

Un exemple : à la question reproche « Pourquoi n’es-tu pas venu à l’atelier philo », trois réponses possibles :

- Il eût fallu que je le susse (pédant et …équivoque).

- Il aurait fallu que je le sache (correct mais pas évident).

- Ch’savais pas (plus plausible).

D) Conclusion

Cet exposé, loin d’être exhaustif (impasse sur le conditionnel) essaie de montrer que l’emploi des temps et des modes dans la langue, loin d’être figé et normatif, est fortement influencé par l’espace et le temps, les modes de vie et de pensée, la subjectivité des locuteurs, la situation d’énonciation, l’environnement sociologique et politique…

Une étude reste à faire sur l’emploi des temps dans les textos. Je ne serais pas étonné qu’on y trouve des accointances avec « le petit nègre ».

Et pour finir en beauté :

« Une grenouille vit un bœuf

Qui lui sembla de belle taille

Elle qui n’était pas grosse en tout comme un œuf

Envieuse s’étend, et s’enfle, et se travaille… » (La Fontaine).

Bibliographie

- Le bon usage (Grévisse)

- Le style et ses techniques (Cressot)

- Grammaire raisonnée de la langue française (Dauzat)

Deux romans d’Eric Orsenna

- La grammaire est une chanson douce

- Les chevaliers du subjonctif

A déguster, à la suite, ces trois poèmes autour des temps.

COMPLAINTE AMOUREUSE

Oui, dès l’instant que je vous vis,

Beauté féroce, vous me plûtes !

De l’amour qu’en vos yeux je pris,

Sur le champ vous vous aperçûtes.

Ah ! Fallait-il que je vous visse,

Fallait-il que vous me plussiez,

Qu’ingénument je vous le dise,

Qu’avec orgueil vous vous tussiez !

Fallait-il que je vous aimasse,

Que vous me désespérassiez,

Et qu’en vain je m’opiniâtrasse

Et que je vous idolâtrasse

Pour que vous m’assassinassiez.

Alphonse ALLAIS (1963)

TOUJOURS ET JAMAIS

Toujours et jamais étaient toujours ensemble

Ne se quittaient jamais. On les rencontrait

Dans toutes les foires.

On les voyait le soir traverser le village

Sur un tandem.

Toujours guidait

Jamais pédalait

C’est du moins ce qu’on supposait…

Ils avaient tous les deux une jolie casquette

L’une était noire à carreaux blancs

L’autre blanche à carreaux noirs

A cela on aurait pu les reconnaître

Mais ils passaient toujours le soir

Et avec la vitesse…

Certains d’ailleurs les soupçonnaient

Non sans raison peut-être

D’échanger certains soirs leur casquette

Une autre particularité

Aurait dû les distinguer

L’un disait toujours bonjour

L’autre toujours bonsoir

Mais on ne sut jamais

Si c’était Toujours qui disait bonjour

Ou Jamais qui disait bonsoir

Car entre eux ils s’appelaient toujours

Monsieur Albert Monsieur Octave

Paul VINCENSINI

TROIS MOTS

J’ai rayé de mon vocabulaire

Trois mots qui me faisaient la loi :

« Autrefois », « Jadis » et « Naguère »

Trois mots assez jolis, ma foi

Mais qui vous tirent en arrière

Et font que l’on parle de soi

Comme un-qui-raconte-sa-guerre

Encor’ pour la « énième fois »…

« Autrefois », « Jadis » et « Naguère »…

Que l’encre me brûle les doigts

Que le cœur me tombe en poussière

Si jamais je les réemploie !

Le présent plus ou moins aimable

Nous vient, c’est déjà le passé…

Comment garder l’insaisissable ?

Cela, personne ne le sait…

Comme l’eau du torrent glacé…

Tout est fuyant, tout est friable

Entre nos doigts entrelacés…

Comment garder l’insaisissable ?

Sur film, sur disque à repasser

Ou comme denrée périssable

Mettre en mémoire et ressasser ?…

Lors, je m’enfuis sur l’autoroute

Des motos font du deux-cent-vingt

Les villes se ressemblent toutes

On ne les voit plus que de loin

Et parfois même, on a des doutes

On ne les reconnaît plus très bien…

Moi je roule coûte que coûte

Où sont les bleuets des chemins ?

Les villes se ressemblent toutes

Ma radio chante américain

Je l’entends plus que je n’écoute

ça fait silence à mon chagrin…

J’ai rayé de mon vocabulaire :

« Jadis », « Naguère » et « Autrefois »…

Que le cœur me tombe en poussière

Si jamais je les réemploie !

Jean-Roger CAUSSIMON

2) Tour de table : réactions à l’introduction et idées supplémentaires (30’)

3) Discussion (30’)

Synthèse du tour de table et de la discussion par Anne Marie :

- Le temps dans le langage est principalement lié au verbe.

L’inconscient a besoin d’un temps pour décrypter notre pensée avant de la dire (P. Chauchard). Ainsi notre langage serait déjà au passé, pendant que l’on parle au présent.

D’où la complexité entre langage et temps, entre langage et pensée.

Bien avant nous, des penseurs s’interrogeaient au sujet de la parole par rapport à la pensée : « Au commencement était le verbe ». Saint Jean dit ici la parole au présent : avant le dire il n’y a rien, le parler devient l’indicateur du temps. Même Karl Marx est de cet avis avec l’affirmation suivante : « La langue est la réalité immédiate de la pensée ».

- Le langage est fait pour exprimer la pensée, mais la pensée n’est pas faite pour la parole exclusivement : « Je n’en pense pas moins ! ». Y aurait-il un temps avant la parole, quand même nous l’exprimons au présent ?

- Le langage donne à la pensée une force dans la durée, et dit au présent, il est signe de toute puissance. Par exemple dans l’ordre donné : « Reste ici ! » ; dans l’affirmation : « Je reste », « J’aime », « J’adore ». Dans le langage affectif, on repère un glissement du sujet vers l’objet, qui prolonge le temps avant le verbe dit.

- Le langage exprime le désir d’arrêter le temps ou de le faire durer. Il peut aussi faire peur.

- Le temps dans le langage nous procure de la jouissance ou de l’angoisse, selon les limites qu’il exprime par le temps employé : présent, passé ou futur. Ceci est jouissif, parce qu’il nous permet de nous déplacer dans le temps, et de déplacer le temps : l’heure de l’hiver est décalée par rapport à l’heure d’été. Le voyageur se déplace d’un continent à l’autre et d’un temps à l’autre, il joue avec le temps : « Je serai en retard, ou en avance… ».

- Le temps est subjectif. On remarque son élasticité avec la durée. Il est plus objectif avec le concept, utilisé en parlant d’un objet : par exemple on parle d’une table en globalisant tous les styles, toutes les formes, le temps s’est évanoui dans l’intemporalité de l’abstraction.

On observe aussi de l’ambivalence qui raccourcit ou prolonge le temps dans l’usage des métaphores : « Oh temps suspends ton vol ! »…

- L’expérience des enseignants témoigne de l’appauvrissement de la langue parlée. L’enfant tout petit essaye de parler et s’embrouillera d’abord. En apprentissage avec son entourage, il devra acquérir assez rapidement le parler correct. Les expériences avec les enfants-loups ont montré que l’enfant n’ayant pas bien ou pas appris le langage tout petit, n’y parviendra pas lorsqu’il sera devenu adulte.

La ponctuation est souvent délaissée, voire oubliée, alors qu’elle change le sens d’une phrase : « Il pleut » (constat), « Il pleut ? » (question).

Parler à l’infinitif présent change aussi le sens du temps. « Il vient de partir » signifie que l’action se situe dans le passé immédiat, mais elle est dans le futur immédiat avec : « Il vient». Les mots à double sens modifient aussi le temps selon la phrase : « Il n’a qu’à partir » : ici le présent se tourne vers le futur, mais dans le même mot il y a le « disparaître », sous-entendu qui se tourne vers le passé. Saint Augustin dixit : « Il existe le présent dans la chose passée. « Je suis né à Anvers et je vis à Narbonne ».

La grammaire est modifiée, mais le présent reste le présent et évoque le mystère à cause du lien entre la pensée et le langage : je jouis d’un instant sublime, mais lorsque le ressenti s’exprime par le langage au présent, n’y a-t- il pas déjà un décalage subtil, un temps passé». Romain cite Corneille : « J’ai été ce que vous êtes, vous serez ce que je suis ».

Dans cette incertitude du futur apparaît l’évidence de la mort ; proche pour les uns, lointaine pour les autres. Le temps évoque la crainte.

- Le présent est actuel, maintenant la prise de sens, comme la poésie Chinoise (Haïku) ou la Japonaise (Haikaï). Cette poésie n’est-elle pas différente de composantes et de rationalisation, d’ intensité et de concision d’esprit par rapport à l’esprit occidental ?

Notre raisonnement qui décrypte la pensée dépendrait de notre ascendant ethnique et territorial ; en langage haïtien, il n’y a pas de futur…

Le temps dans le dire nous fait savoir que l’on est, le présent nous dit aussi que nous n’y sommes déjà plus. La pensée de Descartes nous interpelle : « Je pense donc je suis », mais l’on peut dire aussi : « Je parle donc je suis, je suis aussi dans le langage ». Serait-ce l’affirmation de notre exister (ex-ister), ex-être, de notre non-être, comme l’explique J. Lacan ?

En conclusion, le temps dans le langage indiquerait la motivation de l’injonction.

Le langage serait le véhicule pour que nous puissions nous déplacer dans le temps.

Le but du temps dans le langage serait d’être compris rapidement. Pour communiquer vite, on a inventé le texto : un autre langage, une langue hybride, en raccourci.

Il y aurait toujours difficulté de séparer le présent par rapport au passé ou au futur, au temps chimique, au temps oral, au temps de lieu, de territoire.

Le Temps n’existe-t-il que dans l’instant du verbe ?

Le temps dans notre dire serait-il aussi virtuel que le souffle qui accompagne notre langage, alors qu’on prétend parler vrai ?

Pause : 10’

4) Ecriture à partir de l’introduction, du tour de table et de la discussion : 10’

5) Régulation : 10’

A la prochaine séance, on commencera par lire nos textes, puis discussion, puis introduction d’un texte de philosophe. Pause puis écriture et régulation…

ANNEXES : TEXTES DES PARTICIPANTS

Le langage donne une consistance à l’évanescence du temps. Parler permet à la pensée d’exprimer avec nuance la complexité de repérer un instant par rapport à un autre, en précisant qu’il est situé en même temps, avant ou après.

Jean-François

Et si, pour échapper à l’uniformisation de notre mode de vie, de nos goûts, de nos choix qu’insidieusement l’on nous impose, on résistait à l’appauvrissement de notre langage ?

Le choix d’un mot, l’emploi d’un temps ne sont pas innocents, et révèlent notre personnalité. Celui qui maîtrise la langue assure sa domination.

Pour finir plus gaiement, quel bel esprit a dit : « Le verbe aimer est difficile à conjuguer : son passé n’est pas simple, son présent n’est qu’indicatif, et son futur est toujours conditionnel » ?

Andrée

Pourquoi se pro-jeter toujours dans un avenir incertain au lieu de se contenter et profiter pleinement d’un hic et nunc, d’un ici et maintenant déjà riche du passé ?

Romain

TEMPS ET LANGAGE

Le langage est un système de signes, de symboles qui désignent chaque élément du réel sans parvenir à le cloner. Ainsi chaque mot tout en voulant saisir le réel, le remplace par autre chose ; il crée un monde à coté de lui, ce qui fait dire que le langage ment.

Le temps est un système de repérage qui sert à découper la continuité d’une vie, d’une année, d’un monde….artificiellement. Cela devient flagrant lorsqu’il s’agit du temps présent, dont on a créé le concept tout en décrétant communément qu’il n’existe pas du fait qu’il s’évanouit dès qu’on en parle. Par contre si l’on vit une expérience contemplative ou un accès d’angoisse par exemple, le présent devient extensible, s’éprouve dans toute sa force et son amplitude, ce qui fait généralement dire (après coup !) qu’on était « hors du temps », afin d’éviter d’avouer qu’on est hors de son intelligibilité. C’est le sujet en désirant en parler qui se met de-hors puisqu’il faut du recul pour pouvoir en parler ; car l’extase ou l’angoisse au moment où ils se vivent se passent de la parole, n’ont pas de mots pour se dire. Ce qui caractérise ce présent, c’est la fusion entre l’objet et le sujet au point de faire un tout (ou UN). Il se vit dans un espace entre ce qu’on appelle le passé qui n’est plus et l’avenir qui n’est pas mais dont on sait la fin, donc entre deux temps morts. Mais alors qu’est- ce qui existe ? Ne serait ce pas plutôt le langage et le raisonnement, qui en nous mettant « hors de » ratent à la fois le sujet vibrant, l’objet de la fusion, le présent qu’ils nient, le réel qu’ils transforment ? Le langage ne nous fait-il pas vivre plutôt dans le Paraître que dans l’Etre ? Le présent serait-il le seul temps de l’Etre dans sa plus grande authenticité ? Le seul temps du réel ? Le langage ne servirait-il à qu’à nous sortir hors du réel pour nous éviter la folie de la fusion ? Pour nous manipuler ? N’est-il pas responsable en partie de nos malentendus et nos conflits ? Autant de raisons qui fortifient la nécessité de l’art, afin de dire le plus authentiquement possible ce que le langage courant ne peut pas exprimer.

Lili

LE DIRE DU TEMPS

Il me semble qu’il me faudrait, pour parler du temps, plus de quelques minutes et quantité de mots.

Le « DIRE » :

Vocabulaire.

Tous les mots ayant trait au :

• fractionnement : seconde, minute, mois, …, des éternités (et les numéraux)

• positionnement : hier, demain, tantôt, etc. (et les ordinaux)

Les adverbes :

• de temps : lentement, vite, rapidement etc.

imagés : gentiment, lourdement, etc.

Les autres :

• termes et locutions exprimant la durée, la persistance, la présence, l’imminence etc.

Mais tout ceci n’est rien s’il nous est impossible d’exprimer l’action dans le temps,

Le verbe conjugué

Et ce n’est certes pas un hasard si son nom est justement le VERBE.

Lui seul, selon le choix que nous ferons du temps et du mode, nous permettra (ici l’emploi du futur n’est pas anodin), de faire la différence entre l’instant, l’accompli et l’inaccompli.

Ces quelques observations ne sont bien sûr valables que pour la langue que je connais le mieux : le français.

Dans d’autres langues telles que le chinois, la plupart des langues africaines, la LSF, les verbes sont employés à l’infinitif — ici aussi nous retrouvons la notion de temps et d’infini — et les notions de temps sont exprimées différemment.

La philosophie n’étant pas l’apanage du monde occidental, il serait certainement intéressant de connaître les différences de la pensée induites par la manière d’exprimer le temps dans les différentes cultures. S’agit-il de philosophie ou d’ethno-philosophie ?

Dominique

« Ignorant qui te crois savant,

« Je te regarde suffoquer entre l’infini du passé et l’infini de l’avenir.

« Tu voudrais planter une borne entre ces deux infinis et t’y jucher…

« Va plutôt t’asseoir sous un arbre, près d’un flacon de vin qui te fera oublier ton impuissance.

« Robaiyat » , Omar KHAYYAM (poète persan du XI ième)

Traduction de Franz Toussaint

Misère et grandeur de dire le temps

- Dire le temps est un besoin psychologique : exprimer son impuissance devant le temps qui passe. « Oh temps suspends ton vol », dit Lamartine qui enrage de voir ce temps qui s’envole lui voler les meilleurs moments. Mais dire le temps est aussi désir d’en maîtriser le cours : écrire l’heure du rendez-vous pour ne pas oublier l’avenir qu’on a prévu…

- Dire le temps est difficile (impossible ?). Le mot n’est pas la chose : « table » n’est pas cette table, mais un moyen de la représenter dans et par le langage ; c’est une idée, qui dans sa généralité déréalise, ôte la singularité du particulier, renvoie à toutes les tables passées, présentes et à venir. Le mot rate donc l’unicité et la complexité de la chose. Dire le temps, c’est trouver des mots pour en parler, remplacer le concret d’un vécu pour nommer abstraitement ce qui passe et se passe.

- Cela ne porte pas à conséquence avec le temps objectif (celui de l’horloge), mesurable, quantifiable, linéaire, homogène, faits d’instants identiques et successifs : dire « une heure et douze secondes », c’est nommer une réalité objective, univoque, sans malentendu possible pour qui a une montre qui marche. Le langage est relativement adapté, de par son abstraction, au concept. D’où la philosophie (occidentale).

- Il en va tout autrement avec le temps subjectif, vécu, affectif, celui que Bergson nomme la durée, plus ou moins long ou cours, relatif, fluctuant, aléatoire. Le mot ici balbutie : il ne sait plus que dire après « Je t’aime », inadapté au qualitatif, à l’étoffe singulière de l’intense ou du vide, de l’évanescent ou du nuancé ; langage condamné au silence. Dire le temps paye ici le prix de la complexité. Le mot-concept, alors inadéquat dans le flou de sa généralité et dans la rigidité de sa froide précision, laisse place à la métaphore, l’image, le connoté. La poésie est cette tentative de piéger (prendre au piège des mots) le flux hétérogène du temps…

- C’est même paradoxalement parce qu’il ne fait que représenter le temps que le langage peut le présenter, le mettre en scène, parler au présent du passé et du futur, de la mort du temps ou de sa potentialité, faire exister dans et par les mots ce qui n’existe plus ou pas encore. Et même porter au réel du langage ce qui n’existera jamais, créer par l’imagination un certain non-être du temps comme « quasi-monde » : la fiction. Le récit (oral ou écrit, les deux codes du langage), est ainsi la façon qu’on trouvé les hommes de dire le temps qui passe, et ce qui s’y passe, ou pourrait s’y passer. Au temps de la mort (Que m’importe que le temps reste quand je ne suis plus !), la littérature oppose le temps imaginaire, qui vivra tant (le temps) qu’il y aura des lecteurs : une magnifique (ou dérisoire ?) tentative de lui dire non…

Michel

PÔLE PHILO

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Cycle sur le temps (3ième année)

Séance 4 du 20-01-07

(17 participants)

Séance sur : « Dire le temps» (II)

Animateur-reformulateur : Michel

Président de séance : Francis

Synthétiseur : Jean-François

1) Lecture des textes produits à la séance précédente (30’)

2) Débat après la lecture des textes (30’)

Synthèse de la discussion par Jean-François (quelques idées qui ont émergé).

- Il existe une grande variété de « dire » le temps selon les langues, les cultures et civilisations.

- Le langage oral est utile, à chacun, pour exprimer sa vision du monde et l’organiser. L’écriture réorganise, aussi, ce qui est pensé et vécu. Elle permet de réactiver la part émotionnelle du temps passé.

- Mais le langage, tout comme le « concept » est impuissant à « dire » le temps. Par son manque de souplesse et son objectivité, il ne traduit pas la richesse du temps du « sujet ».

- Ex : Bergson. Impuissance du langage à « dire » le temps. Car la durée s’exprime par l’étendue. En évoquant le temps, c’est à l’espace qu’on fait appel. Penser le temps sur le mode de l’espace, c’est bon pour le temps objectif, mais ce n’est plus opératoire pour le temps subjectif…

- Mais si « dire » le temps est difficile voire impossible, les mots sont bien utiles pour le re-saisir. Oralement ou par écrit, le langage est un moyen de capter, après–coup, le vécu du « sujet ». En mettant en mot sa propre vie, l’homme peut constituer sa mémoire, entrer dans le temps du récit, et élaborer son identité dans une continuité.

- Pour le bébé, le langage, par un lent processus, transforme l’image inconsciente qu’il a de lui-même et son propre corps en image consciente. La mémoire émotionnelle du passé permet l’émergence du «je». Cette construction de sa relation au monde par la parole ne peut se faire que dans la continuité. Le langage de l’autre renvoie à quelqu’un d’autre que lui-même. Selon Françoise Dolto, pour « fonder » les tout- petits, le langage doit avoir un sens, une structure élaborée.

- Pour avoir conscience du temps il faut d’abord être un « sujet ». Cette constitution d’un vrai « je », consistant, solide, qui pourra utiliser le langage, conditionne l’utilisation complexe du verbe. Se situer par rapport à l’autre dans une véritable relation permettra alors de « dire » le temps.

- « Je suis » signifie l’existence du sujet.

« Je suis Celui qui est » est réservé à Dieu.

- Dieu est Parole, Verbe, se conjugue-t-il ? Le « sujet» est limité, Dieu est illimité.

« Je suis » n’a pas d’attribut. Je ne suis pas quelque chose, mais « quelqu’un, et qui n’est pas quiconque » (Lacan).

- Le langage est un pouvoir, avec le poids des mots qui influencent (ordonnent par exemple). La parole peut donc devenir un outil de domination.

- Dans le langage, le code n’est pas le sens. Comme le parler « petit nègre », le « texto » est réducteur, appauvrit mon expression et tend à asservir l’autre.

- Le langage est un moule. Qu’il asservisse ou qu’il construise, il a plusieurs facettes ! Il doit être développé, ouvert…

- La supériorité de l’homme c’est son esprit, ce qui est aussi sa force. Pourtant, selon qu’il souffre ou qu’il est heureux, l’homme ressent la mesure du temps d’une façon différente.

- St Augustin : « Si tu ne me demandes pas ce qu’est le temps, je sais ce que c’est. Mais si tu me le demandes, je ne sais pas ce que c’est ».

- René Char : « Les mots qui vont surgir savent sur nous ce que nous ignorons d’eux ».

3) Lecture et commentaire de deux textes de Bergson (La pensée et le mouvant) par Michel (15’)

Pause : 10’

4) Ecriture d’un aphorisme : 10’

5) Lecture des textes (15’)

6) Régulation et planification des prochaines séances (15’)

- 3 mars : le concept de modernité (Francis)

- 31 mars : le temps de (dans) la poésie (Anne-Marie)

- 14 avril : l’art et le temps (Lili)

- 5 mai : temps réel et temps virtuel (Jean-François)

- 2 juin : quel avenir humain pour la planète terre (Gérard)?

ANNEXES : TEXTES DES PARTICIPANTS

Aphorismes

- Parce que nous avons du temps de reste, nous avons inventé la notion de temps : ça occupe !

- Le dire qu’est la maîtrise du verbe nous est-il inspiré par la recherche de l’éternité ?

- Tenter de dire le temps, c’est à la fois rater son étoffe subjective, et essayer par les mots d’en épouser les nuances…

- Si l’être humain ne possédait pas le langage pour exprimer le temps, le temps s’écoulerait tout de même à son propre rythme, perpétuel et immuable.

- Le sujet qui énonce, quoi qu’il énonce, dit forcément sa condition finie, car le langage est structuré dans et par le temps.

- Tous les mots du langage sont investis dans le monde intérieur.

- Un seul mot : vivre, est l’infinitf, qui exprime le moment fugace.

- « Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse (Vigny ?) ».

- « Je veux tout, tout de suite » (Antigone).

- Eternité ? 25 millions d’années-lumière ? Quel langage va m’expliquer ces expressions ?

- Le temps est une création qui peut faire jaillir du nouveau.

- Nous sommes en perpétuel conflit avec le temps, parce que nous ne voulons pas nous plier à lui. Nous voulons inverser les rôles.

- Chaque baiser échangé est un temps de bonheur qui t’appartient pour l’éternité.

- Le futur est un présent à la fois renouvelé et remodelé.

- Si le langage est moyen de communication et de transmission, les arts et la technique disent l’évolution du temps aussi précisément que le langage.

- Nous sommes dans le temps et le temps est en nous. Ce qui est certain, c’est qu’il nous emporte et nous tue.

Sur Temps et langage

- Notre langage semble définir une posture en rapport avec notre vécu de l’instant présent.

L’art et la manière de conjuguer le temps expriment la vision de notre rapport au monde et la conscience que l’on en a. Le langage structure notre corps (la posture) et un état d’esprit (la pensée). Il peut élargir ou restreindre notre espace et nous donner les moyens de nous déplacer dans le temps, par rapport à un point donné : j’ai été, je suis, je serai. Il met en lien.

- Je crois comprendre maintenant pourquoi le texto m’écorche presque physiquement. Lire un texte contracté ne contenant pratiquement que des consonnes transforme le langage, qui devient alors du code. Il y a là, pour moi, atteinte au langage de la même manière que les colons ont pu le faire avec le langage petit-nègre. Il n’y a plus de conjugaison possible. « Moi y en a vouloir des sous » ou « moi vouloir toi » ne dit plus le temps et ne crée pas beaucoup de « liant ». Pour moi qui aime écrire, si le texto est censé véhiculer du sens et qu’il concerne l’affect par exemple, alors là je me sens comme déstructurée à sa lecture, mon espace devient plus réduit parce que le langage est réduit. C’est une impression physique.

- A travers l’art et la manière de dire pour signifier, le langage nous sculpte dans un espace et un temps. Il situe notre relation au monde. C’est ce que montre, pour moi, tout le travail de la psychanalyste Françoise Dolto, avec, en particulier, son concept de l’image inconsciente du corps. Par exemple, lorsqu’elle conseille à un parent ou autre éducateur de dire à un bébé ce qui lui est arrivé dans le passé : « tu as été abandonné parce que ta mère ne pouvait pas faire autrement », ou de le prévenir de ce qui va lui arriver : « Nous allons te laisser ce week-end avec tes grands parents ». Même si l’on croit que le bébé ne comprend pas, dit-elle, l’enfant entend parce qu’il en a un ressenti, une perception et un certain lien se crée. Baignant dans un monde de sensations, il perçoit l’intention d’autrui. Le langage organiserait donc ses sensations premières et ainsi sa manière de se relier au monde. Il va donc construire ce que F. Dolto nomme son image inconsciente du corps, cette sorte de mémoire relationnelle qui l’accompagnera toute sa vie et induira ainsi sa façon d’être en relation, de se situer par rapport au monde, avec ses sensations.

Le langage laisse donc une inscription corporelle qui nous positionne dans un espace et un temps. Je le ressens très bien lorsque j’écris. J’ai souvent l’impression dans le processus d’écriture qu’en cherchant à structurer mes phrases et ma pensée pour donner du sens, je réactive en moi des mémoires émotionnelles du passé qui vont se réorganiser, et par là même agir sur mon corps au présent, en le redéfinissant, pour constituer une nouvelle posture.

Avec le présent, le passé et le futur pour thèmes, le langage ferait-il de nous les chorégraphes d’une danse à trois temps?

Ghislaine

Dans la répétition de nos formules linguistiques, nous apportons des repères aux teintes des jours, à des lieux et des espaces, à des régions et des gens que nous croisons. Nous pensons reconnaître le temps et nous voudrions le révolutionner, mais c’est lui qui nous bouscule. Il nous mène de main de maître. Quant à moi, je résiste.
Anne-Marie
« Si je pouvais seulement voir le bord de l’ourlet de sa robe ». Anne de Lierre.

La parole est marquée par le paradoxe : effort pour dominer l’impermanence du réel, et effacement de ce réel même, derrière la symbolisation qui en est faite dans les mots. L’acte de parler fait se succéder l’avènement (ici et maintenant) d’un réel que l’on peut situer dans le temps : au passé, au présent ou au futur, tout en en faisant un monde fictionnel, c’est à dire en l’effaçant dans et par son évocation. Apparition et disparition du réel sont dans un jeu de cache-cache, un jeu à éclipses, qui en plus de toutes les marques patentes de temporisation, font que le langage et la parole sont essentiellement en rapport avec le temps.

Mais qu’en est-il du sujet qui parle, qui dit “ je ” ? Sans doute subit-il cette même alternance : apparition / disparition, mais conjointement, il signifie que derrière cette impermanence qui apparaît dans l’énonciation, il y a quelqu’un qui perdure, que ce sera le même qui “ signera ” chaque fois qu’il dira je. Il faut noter que le sujet lorsqu’il fait parler l’autre dans le “ tu ”, le “ il (s)”, le “ vous ”, quand il s’associe à lui dans le “ nous ” confère à l’autre une continuité, une identité malgré le temps qui passe.

Remarque sur le texte de Bergson : Bergson dit “ le langage masque la durée ”, il fait davantage confiance à l’intuition, à la poésie, pour signifier cette durée. A cela on peut répondre que l’intuition ne se situe sans doute pas hors du langage d’une part ; et que d’autre part la métaphore, qui est l’une des ressources de la poésie, est ici même à l’œuvre lorsque pour dire le temps, on utilise des images dans l’espace. Pour se représenter le temps, on utilise communément des métaphores spatiales.

Marcelle

De l’intérêt du sujet à dire le temps

- Dire le temps subjectif de la durée, jaillissement nouveau et continu, qualitatif et hétérogène, est impossible pour Bergson, car nous pensons le temps avec les catégories de l’espace, de façon homogène et quantitative (une seconde égale une seconde, sans élasticité, sans état d’âme, sans la couleur ou la nuance de l’attente, de l’impatience, de l’ennui, du plaisir…). Le mouvement par exemple apparaît comme une succession de points, le changement comme une juxtaposition d’états. Le langage, forme de l’intelligence, passe à côté du flux continu, et de sa tonalité affective. C’est un outil de l’homo faber, qui fabrique du langage comme outil pour communiquer, et des concepts comme outils pour penser, mais est inadéquat à comprendre par intuition, de l’intérieur, le réel de l’être vivant et la réalité du temps spécifiquement humain.

- Et pourtant, malgré ce ratage originaire et structurel du langage humain à dire le temps de l’homme, celui-ci ne cesse de s’y essayer, dans la poésie par exemple, et plus généralement en inventant le vocabulaire des mots du temps : le mode des verbes (indicatif présent, passé simple ou composé, futur et futur antérieur…) ; les noms (instant, moment, durée, période, passé, présent, avenir…) ; les adverbes (jadis, autrefois, aujourd’hui, demain, encore…) etc.

- Nous ne pouvons souvent parler qu’en nous situant verbalement dans le temps ou par rapport au temps (ex : aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain…). Quand nous parlons par exemple de l’éternité, nous avons tendance à dire qu’elle est un temps sans commencement ni fin, alors qu’elle est plutôt hors temps humain, si elle est divine. Si Dieu est le Verbe éternel, celui-ci ne peut alors se conjuguer ; peut-on même dire qu’il est dans un « présent » indéfini (puisque c’est employer un mot du temps humain)?

- Mais qui fait ainsi parler Dieu, quel est le sujet de son énonciation ? Car c’est toujours un sujet qui parle, même quand il s’efface dans un énoncé impersonnel (par exemple celui d’une loi scientifique). Dans l’énoncé : « Je suis celui qui est (qui suis ?) », quel est l’énonciateur ? Dieu hors temps ou celui, homme dans le temps, qui recueille une parole historique ? Quelle est l’historicité d’une parole anhistorique ?

- De la même façon, quand Descartes dit « Je doute », donc « Je suis, j’existe », il dit qu’il existe vraiment, mais existe-t-il seulement maintenant, dans le temps qu’il le dit et autant de temps qu’il le pense, ou dans le temps de sa vie jusqu’ici ? Dire « je suis » engage un présent, ne peut se dire oralement qu’au présent, et pourtant suppose un avant. Je ne peux dire « j’ai été », puisque je suis encore, et pourtant pour être encore il faut déjà avoir été… Puis-je dire « je serai », car qu’en sais-je, et jusqu’à quand, ignorant le moment de ma mort ? Je ne peux dire : « je suis mort », ce qui serait faux, et pourtant je peux le dire, donc mentir. Je peux même dire n’importe quoi, et me contredire. Si je crois en la réincarnation, je peux dire : « Quand j’étais mort ». Comme le sujet pense exister objectivement dans et par le temps, et qu’il est en même temps subjectivement temporalité, toute parole est temporellement située, instituée, éprouvée.

- Le récit de vie, de sa vie personnelle ou/et professionnelle, inscrit notre vie dans le temps et comme temps. Il est une tentative pour dire sa vie passée. Mettre en mots du passé, son passé – individuel ou collectif -, en faire une histoire racontée, un récit, met de l’ordre chronologique mais aussi logique dans une vie, fait exister un sujet dans une continuité comme identité, une persistance, qui lui donne consistance. Le langage ici m’ouvre par son dire le sens de mon vécu : choix des événements signifiants et des mots précis pour les nommer, c’est-à-dire les inscrire dans du sens humain, de la compréhension de soi. La reprise langagière d’un déroulement, à la fois le décrit, le découvre et l’invente. Je crée par le langage le sens de ce que j’ai vécu, à la lumière aujourd’hui de ce que suis (devenu), désire et projette aussi. Le langage nous donne ainsi une mémoire de nous-mêmes à sans cesse réinterpréter dans le temps, qui est autre que l’inscription d’une histoire dans un corps. Toute (auto)biographie fait œuvre de soi, et nous constitue dans et par le langage. Puissance ici du langage, qui nous institue ainsi comme être humainement temporel, c’est-à-dire sujet…

Michel

PÔLE PHILO

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Cycle sur le temps (3ième année)

Séance 5 du 3-03-07

(18 participants)

Séance sur : « La modernité »

Animateur-reformulateur : Michel

Introducteur de la séance : Francis

Président de séance : Lili

Synthétiseuse : Dominique

1) Introduction de la séance (30’) : Francis

La modernité, qu’es aco ?

Pour lancer le débat, quelques citations de l’ouvrage d’Alain FINKIELKRAUT : Nous autres, modernes (Recueil de ses cours de philo à l’Ecole Polytechnique).

- Le moderne et le survivant : « le Moderne, c’est celui à qui le passé pèse. Le survivant, c’est celui à qui le passé manque. Le Moderne voit dans le présent un champ de bataille entre la vie et la mort, un passé étouffant et un futur libérateur. Parce qu’il aime un mort, l’élan du survivant vers le futur est cassé. Le Moderne, c’est celui qui court plus vite que le vieux monde parce qu’il a peur d’être rattrapé par lui. Le survivant court après le vieux monde en sachant qu’il n’a aucune chance de le rattraper… Le Moderne va de l’avant, le survivant regarde vers l’arrière. L’un est projet ; l’autre regret ».

- La consommation du monde : « A moderne, moderne et demi. Les archéo-Modernes déclarent que la société de consommation retire à l’individu la libre disposition de lui-même, qu’elle lui interdit de s’inventer, qu’elle bloque, par ses représentations, ses images, ses mirages, ses sortilèges, la dynamique égalitaire de l’histoire. Les néo-modernes s’enthousiasment pour ses vertus laïques et lui savent gré de poursuivre, sous les quolibets, la grande trajectoire profanatrice de la sécularisation et de la démocratisation ».

- Qu’est-ce qu’un siècle ? : « La Révolution française fut l’événement inaugural et même fondateur du 19ème siècle. L’homme rompant avec toute autorité transcendante ou héréditaire et prenant avidement son destin en main à l’instar de Napoléon, l’empereur parti de rien, telle fut la définition, enthousiaste ou critique, que dans la foulée de l’événement révolutionnaire, ce siècle se donna ».

- L’âge de la radicalité : « Moderne est l’époque qui discerne dans la succession un principe d’enrichissement et qui pense, comme l’écrit Cioran, que le temps contient en puissance la réponse à toutes les interrogations et le remède à tous les maux, que son déroulement comporte l’élucidation du mystère et la réduction de nos perplexités, qu’il est l’agent d’un accomplissement total des virtualités humaines ».

- Penser le 20ème siècle : « Il n’y a maintenant rien de plus prisé que le scandale, rien de plus bourgeois que la bohême, rien de plus recherché que la transgression. Notre époque a fait de la révolte de tous ceux qui savent se cogner aux interdits et aux stéréotypes un des principaux articles de sa morale ».

« Nous sommes soumis à la loi du changement comme nos ancêtres pouvaient l’être à la loi immuable. En tous domaines ou presque, l’obsolescence a eu raison de la permanence. Il n’y a donc pas de mérite particulier à faire bouger les choses, car elles se passent très bien de nous pour cela ; «ça déménage » avant même que nous songions à lever le petit doigt… Ce qui, pour solde de tout compte, caractérise l’entrée dans le 21ème siècle, c’est le conservatisme du mouvement ».

- L’âge d’or de l’accusation : « Fin de l’innocence et de la contingence : les hommes sont mis en demeure de répondre aussi de ce qu’ils n’ont pas voulu… Risques technologiques, risques alimentaires, risques sanitaires : notre société se met elle-même en danger. Et à mesure qu’augmentent nos pouvoirs, la négligence se révèle plus redoutable, plus maléfique que la méchanceté elle-même ».

Quelques autres citations tirées du dernier pamphlet de Régis DEBRAY : Supplique aux nouveaux progressistes du 21ème siècle.

« La modernité : la frousse dont nul passager ne doit rester indemne, de pouvoir à tout moment tomber du train. D’où la fameuse devise : il est dangereux de se pencher par la fenêtre ».

«Quand l’habitude d’appréhender l’histoire à travers l’actualité devient une seconde nature, les esprits lents qui s’obstinent à regarder l’actualité à travers l’histoire seront étiquetés d’emblée gardiens du cimetière. Le conformisme du neo finit ainsi par baptiser les archéos entêtés qui demeurent fidèles aux principes que les pros de l’adaptation ont eux-mêmes reniés ».

« La nouveauté fait preuve, la tradition est à charge. La jeunesse n’est plus un âge, c’est une valeur en soi ».

« Peut-être faut-il se faire à ce regrettable paradoxe : dans un pays comme l’Egypte, la modernité, ce sont les frères musulmans ».

« Aller contre l’opinion, c’est aller à sa perte. Elucubrer un progressisme sans optimisme, cela ne revient-il pas à vouloir la religion sans l’illusion, le mythe sans mystification, le boy-scout sans naïveté, un café sans caféine ? Peut-être, mais quelle autre issue ? »

Antoine GRAMSCI parlait d’allier l’optimisme de la volonté au pessimisme de l’intelligence. Dit autrement : renoncer au septième ciel et faire avec entrain son purgatoire sur terre. Et par impossible, sans perdre le sourire.

2) Discussion après l’introduction (45’)

Synthèse de la discussion par Dominique

Après lecture de quelques textes courts de Finkelkraut, Debray et Cioran, les participants interviennent sur les thèmes suivants (Ceci n’est pas à proprement parler une synthèse de notre discussion, mais essaye de rendre compte au fil des interventions de l’évolution du propos et de la pensée) :

- Quand apparaît-elle, comment la caractériser ? (C’est coton !).

— La présence du passé dans le discours : « Peut-on penser la modernité sans considérer le passé ? »

— Heidegger et la post-modernité : toute la pensée occidentale s’est arrêtée à Socrate. Il faut revenir à la pensée avant Platon (aux présocratiques), pour retrouver la question métaphysique essetielle : « Qu’est-ce que l’Être ? ».

— Le moderne est celui qui a peur de la mort. Hédoniste comme Onfray par échappatoire (par peur de la mort) ? Il serait plus judicieux d’« Avoir un peu plus peur de la vie et un peu moins peur de la mort » (Alain Finkelkraut).

— Chaque temps de l’humanité a eu sa modernité :“ La modernité : penser le présent, un défi ».

— La modernité : elle nous renvoie à la Querelle des anciens et des modernes (XVIIe siècle).

— Être moderne, est-ce revendiquer la « modernité » ou le « modernisme » ?

— La modernité, c’est le présent par rapport au passé en tremplin du futur. La modernité emporte la trace.

— Le ventre qui a porté le fascisme est encore fécond… (Bertold Brecht)

— Est moderne ce qui est nouveau, peut-être jusqu’à l’excès.

— La modernité est-elle l’apanage des morts célèbres, par leur universalité toujours actuelle?

— De la modernité, Cohen dit : « Toutes les religions sont rétrogrades », en opposition à l’évolutionnisme qu’il pose en principe : « Nous sommes notre propre facteur d’évolution ».

— La modernité : inventer sa vie ? Un moment de l’humanité (aujourd’hui) où l’homme cherche à inventer sa propre vie.

— Peut-on se revendiquer comme moderne sans réfléchir aux conséquences de nos actions ?

— Le paradoxe de la modernité est qu’elle sera considérée, classée et deviendra « classique ». (Jérôme Bosch est moderne).

— L’opposition du chronos et du kaîros… La modernité, c’est c’est ce qui vient faire rupture. La modernité comme rupture de la temporalité ; elle permettrait la mesure et l’appropriation du temporel.

— La modernité n’est pas cyclique, mais flêchée.

— Peut-on être moderne sans antériorité, car nous sommes faits du passé ?

— La modernité : une illusion que nous aurions de notre capacité à oublier le passé (« Du passé faisons table rase ! »).

— Être moderne : est-ce être en rupture avec les “lois universelles“. « Le changement est une loi » (Régis Debray).

— Teillard de Chardin parle de « la création évolutive ».

— La modernité : la différence, l’écart entre les bribes du passé et les matériels d’aujourd’hui. La différence ? Le désordre qui fait que le présent surgit.

— La modernité ? Ce qui reste d’éternel quant on supprime le provisoire. (Baudelaire, comme critique d’art).

— Quand la modernité atteint à la désuétude. Être moderne, c’est déjà être dépassé !

— La modernité dans son sens descriptif (une caractéristique massive d’aujourd’hui), et dans son sens normatif, comme injonction : « Il faut être moderne ».

— Quel est le contraire de la modernité : vieux, ancien, antique, dépassé, traditionnel, désuet, obsolète, ringard, rétro etc.

— Moderne ou à la mode ? La mode rend le moderne fugace.

— La Modernité : un concept théoriquement flou, une valeur à connotation idéologique, un enjeu politique et éthique dans et pour les débats contemporains.

Pause : 10’

4) Ecriture : 10’

5) Lecture des textes (15’)

6) Régulation et planification des prochaines séances (15’)

Séance satisfaisante, intérêt d’avoir eu les citations avant pour réfléchir, débat apaisé et réflexif, importance de l’écriture, pendant et après le débat.

- 31 mars : le temps de (dans) la poésie (Anne-Marie)

- 14 avril : l’art et le temps (Lili)

- 5 mai : temps réel et temps virtuel (Jean-François)

- 2 juin : quel avenir humain pour la planète terre (Gérard)?

ANNEXES : TEXTES DES PARTICIPANTS

La modernité

Qu’appelle-t-on modernité ? Est-ce que c’est tous les moments présents par où est passé la civilisation au fil de son évolution, par laquelle nous passons nous-mêmes actuellement ? Goya était moderne pour son époque par exemple. Dans ce sens là, cela signifie qu’il a même été avant-gardiste, mais on ne peut le dire qu’a posteriori.

Mais il semble plutôt que l’on parle de notre modernité à nous, et que l’on devrait presque l’écrire avec une majuscule, parce que c’est le nom que l’on donne à une période, comme on a parlé du classicisme, ou du romantisme (pourtant on ne dit pas « modernisme » mais « modernité » !)

Si c’est le cas alors, il faut trouver les bornes qui délimitent cette période et dire ce qui la particularise. Quel est l’événement repérable qui fait penser que l’on a changé d’ère ? Est-ce que c’est le développement de la technologie et des communications qui a modifié profondément la vie, en allégeant souvent la pénibilité du travail, en faisant de nous des consommateurs, en nous mondialisant ? Peut-être est-ce tout cela ?

L’holocauste du peuple juif semble être le témoin marquant le début de cette ère. Il y a eu l’utilisation de procédés industriels et techniques pour éliminer une partie de l’humanité, toutes les règles de morale ont été balayées par les auteurs et leurs complices. Ce serait la version extrêmement pessimiste de la modernité, dont une des caractéristiques serait la tendance à la dérégulation, volonté de penser, agir, commercer sans lois (La multiplication des lois n’étant qu’une des formes du discrédit de la loi).

Les retombées de ces dispositions à la « dérégulation » seraient, avec la faillite de la morale et de la rationalité, une ambiance profondément dépressive, qui, c’est le moins que l’on puisse dire, ne croit plus aux lendemains qui chantent.

Marcelle

Chaque rupture dans le flux du temps peut être appelée Modernité.

Chaque phase de modernité imprime une trace un peu plus marquée.

On reconnaît la trace comme telle, un pas dans notre évolution. On la nomme, on la classe. La modernité reconnue conduit au classicisme. Chaque trace devient un échelon vers une nouvelle modernité.

Ce paradoxe du classique et du moderne nourrit la querelle, mais comment envisager la modernité sans antériorité ?

La modernité a donc besoin de sérieuses références.

Dominique

Pour Baudelaire, critique d’art, la modernité, c’est la moitié d’une œuvre, l’éternelle, l’immuable, lorsque l’on a enlevé l’autre moitié, celle du fugace, du transitoire. Cette modernité ne dépend donc pas du progrès technique, et elle est peut-être même indépendante de lui. Elle se fonde sur des valeurs qui traversent les siècles, touchant tout ce qui est foncièrement humain dans l’Homme.

Mais reconnaître les droits de l’Homme, chercher en chaque être humain ce qui nous unit et non ce qui nous divise, ne pas penser « rentabilité » mais « partage », réaliser enfin que l’Univers et l’être humain sont inexorablement liés, c’est aussi cela la modernité. Et cette notion est bien liée au progrès de la conscience humaine.

Par contre, lorsqu’on aborde ce thème en Histoire, en économie, n’y aurait-il pas un glissement de sens ? Ne plus penser « France », mais adopter « l’idéologie dominante du mondialisme », se plier à la Pensée unique, faire l’apologie du libéralisme, vouloir déconstruire le passé et l’Histoire à tout prix, est-ce cela la modernité ? Le progrès ? Serait-ce plutôt du modernisme ? Quelles raisons animent ces « accros » du modernisme ? Peut- être l’espoir illusoire de se croire libres alors qu’ils sont esclaves des dernières idées en vogue.

Andrée

La modernité

L’auteur Hélène Potelet la compare au style baroque dans l’architecture : « Un mouvement abrupt où domine le trompe-l’œil, mais aussi le tape à l’œil, l’illusoire, le libre court à la fantaisie, à l’imaginaire. La modernité a de multiples tendances de modes diverses dans leurs visées, animées par un goût de sensualité, des extrêmes et de l’exubérance, à la recherche de l’effet à tout prix. Ce courant porte avec lui l’équilibre instable, totalement à l’opposé du classique qui prend ses appuis sur la rigueur des règles établies ».

La modernité serait un tremplin du futur où l’être est invité à sortir de lui-même, à devenir non-conformiste pour se situer dans un futur en vue. Vivant d’après un style à effet. La modernité serait cet élan humain de vouloir sortir du rang, qui se trouve happé par l’attrait ostentatoire, ce qui la différenciera de ce que fut le passé. On pourrait en conclure que la modernité est d’abord rupture et bouleversement, elle est vie, car elle est mouvement, elle est faite par l’homme et pour l’homme. Elle est née d’un désir de changement, et sa durée est soumise au désir de l’homme vers un changement. Il y aura toujours des temps modernes, tant qu’il y aura l’homme désirant pour conceptualiser un changement.

Anne-Marie

La modernité

Se conformer, sans discernement, aux goûts de l’époque, se laisser guider par les modes du temps présent mène sur des chemins hasardeux. Cette attitude de fuite en avant, sans recul et sans réflexion, fait oublier l’essentiel et le sens de la vie.

Mais au-delà du regard désenchanté porté sur le monde actuel, l’effondrement des traditions et la perte des repères habituels, la modernité n’est-ce pas, aussi, une liberté nouvelle pour de nouveaux progrès ? Dépouillée de l’inutile, elle participe à ce que nous sommes, et lorsqu’elle sera remplacée, elle aura été une étape vers ce quoi nous tendons, un surplus d’humanité.

Jean-François

Que veut dire modernité : l’actuel ? le contemporain ? une période dite « moderne » par rapport à une période contemporaine qui lui succède ? Et que veut dire l’ancien : le révolu par rapport au temps présent et à venir : le « moderne »? La modernité, est-ce l’essor d’une tendance au présent jusqu’à son apogée ? la décadence signant son arrêt et laissant la place à une modernité à venir ? La modernité serait-elle alors cyclique ? La modernité se passe-t-elle de l’héritage ? La modernité n’est-elle pas déterminée par de nouvelles connaissances techniques ou scientifiques donnant une orientation nouvelle aux modes de vie ? Ainsi, l’histoire nous parle de l’âge du fer, du bronze, de la révolution industrielle etc. ? La modernité n’est-elle pas déterminée par un renouvellement de la pensée philosophique, religieuse, ou économique?

La modernité présuppose un départ vers, un sens…vers quoi ? Les impératifs de la modernité sont : 1) Soyez riches ! Sa valeur première est l’argent.

2) Soyez jeunes ! Le vieillissement du corps est inacceptable.

3) N’attendez pas ! Le présent s’impose.

La recherche du sens est toujours alimentée par la question de la mort, plus précisément le temps de la mort, de l’instant où tout bascule : ce mystérieux « présent » ; et la question de la mort renvoie à la question vite occultée du corps ; son pourrissement, la violence de ses instincts, sa sexualité, la temporalité de ses exigences : le « présent » (exigences que toute société tente de différer, maîtriser, dompter, civiliser, policer).

Artaud disait : « là où ça sent la merde, ça sent l’être ». Or toutes les sociétés passent la « merde » sous silence. Qu’est-ce que l’on ne veut pas voir dans le corps, le présent, la mort, l’argent ? Quel rapport la modernité entretient-elle avec ces concepts et la question de l’être et du néant ? Quels rapports ces termes entretiennent-ils entre eux ? La psychanalyse montre un glissement de sens entre l’argent et les excréments. Alors qu’est la modernité quand sa valeur première est l’argent ? Quels mobiles inconscients la guident ?

Lili

La modernité, un serpent de mer ?

- La modernité, c’est « le caractère de ce qui est moderne » (Robert). Le moderne, c’est « l’actuel » ou le « contemporain », donc le présent, l’opposé du passé. Mais certains disent que, opposé à antique, c’est le postérieur à l’Antiquité, donc ça commence au Moyen Âge ; et les historiens, que les Temps modernes ça commence en 1453 (sortie du Moyen Âge, et finit à la Révolution, où commence l’époque contemporaine) : le moderne serait donc assez vieux !

- La modernité, ça commence quand ? A l’invention de l’écriture (5000 ans) ; à l’irruption de la démocratie grecque (5ième siècle avant J.-C.); à la Renaissance, où s’amorce bientôt précisément la Querelle des Anciens et des Modernes ; à l’irruption de la subjectivité avec Descartes : « Je pense donc je suis » (17ième) ; à l’émancipation par les Lumières de la Raison (18ième) ; à la création des Etats-Nations (19ième) ; au développement fantastique de la science et de la technique qui va nous apporter le bonheur (positivisme), avec les grandes utopies politiques : la révolution, le marxisme (fin 19ième début 20ième) ? Chacun de ces événements fondateurs introduit une rupture, une coupure, une brisure : un monde ancien s’écroule, un nouveau monde naît. La modernité, serait-ce à chaque époque, ce qui fait nouveauté par fracture ? La modernité ne commence pas alors, elle re-commence…

- Mais quelle serait alors la modernité d’aujourd’hui (formule non pléonastique si la modernité est relative à une époque)? L’inauguration des soupçons au 19ième : la mort de Dieu avec Nietzsche, la découverte de l’inconscient avec Freud. Ou (plutôt ?) la « fin des grands récits » (Lyotard), la « déclinologie », le retour du religieux (du new age aux intégrismes) : par opposition à la modernité des premiers, il y aurait la « post modernité » des seconds, qui serait la dernière des modernités.

Pourraient aussi caractériser notre temps : le changement de statut de l’enfance ; l’idée d’égalité entre hommes et femmes ; le développement accéléré du processus économique de globalisation-mondialisation capitaliste (analysé par Marx) ; la dériterrioralisation et la médiatisation du terrorisme ; le péril écologique et sa prise de conscience mondiale ; la montée de l’individualisme dans les pays développés, avec ses aspirations démocratiques, son invention et son souci de soi, sa lutte pour la reconnaissance, sa perte de repères, son déclin du père et sa crise de l’autorité, son affaiblissement du lien social, sa peur de la mort…

Michel

PÔLE PHILO

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Cycle sur le temps (3ième année)

Séance 6 du 31-03-07

Séance sur : « Le temps et la poésie »

Animateur-reformulateur : Michel

Introducteur de la séance : Anne-Marie

Président de séance : Francis

Synthétiseuse : Marcelle

1) Introduction de la séance (30’) : Anne-Marie

« C’est aussi difficile à un poète de parler de poésie qu`à une plante de parler d »horticulture». M’abritant derrière cette citation de jean Cocteau, vous me permettrez de ne pas vous présenter l’histoire de la poésie, ni de vous parler de l’évolution des différentes formes ou styles. Je me réduirai à approcher le rapport entre le poète et le temps. Déjà, tout un programme, me direz vous. Reconnaissons que le discours poétique sur le temps n’est pas l’apanage du seul poète. Même si, de tout temps, le temps a été le sujet des poètes. Explorons alors le rapport entre le poète et le temps.

Le temps est insaisissable, invisible à nos yeux. Seul, ses effets nous sont perceptibles : les rides, la décrépitude, toute manifestation de l’usure du temps. Le temps est notre maître à tous. Et bien sûr, le poète est un être mortel comme tout un chacun. Tentons de décortiquer le processus de création poétique. Les premiers témoignages de poésies sur le temps nous viennent des textes sacrés. Ainsi lorsque l’on parle des textes dits sacrés, comme la Bible ou les Védas ou encore le Coran, nous trouvons des textes dits révélés, c’est à dire directement dictés par le divin. Le poète n’est que le porte voix de ces textes sacrés.

Gérard Moore, dans son Panorama des idées contemporaines en 1930, affirme que « la poésie, c’est une chose créée par le poète hors de sa personnalité ». Déjà, pour lui, le poète est bien le créateur, il s’émancipe donc du divin. Jean Cocteau, même s’il affirme, lui aussi, le pouvoir créateur du poète, s’oppose à Moore en précisant que « la poésie ne résulte pas d’une inspiration, mais d’une expiration ». Pour lui, l’acte créateur vient de l’intérieur, comme un souffle expiré de son inconscient par l’artiste.

Examinons ces contradictions à la lumière de l’étymologie. Le mot poète vient du grec «poiein » : faire, d’où « poiêtês » : auteur, et « poiêma » : chose faite, oeuvre. Le poète, c’est celui qui construit, qui fabrique quelque chose. Et le produit fabriqué, aussi divers qu’il soit, n’aurait rien à voir spécifiquement avec la littérature. Poêtikos » signifie inventif, créatif ; «poiésis » : création, poème ; « poiia » : élément du composé féminin, exprimant l’idée de faire. Ainsi, dans la langue grecque, la poésie ressort de l’ordre du faire, c’est de la création.

Mais, élargissons notre prisme, à la lumière de cultures voisines. Attachons nous maintenant à l’étymologie du mot « dichter », qui traduit en néerlandais le mot poète. Dichter se traduit aussi par « très près » (être près du bord), dense, fermé, (les trous) bouché (s), épais, superposé, nombreux, serré(s) (pour les arbres d’une forêt), compact, calfeutré, uniforme (sans ondulation). « Leverbedichten », en dehors de poétiser, signifie aussi resserrer (une déchirure), fermer, boucher ou calfeutrer (une crevasse), rapprocher… Là, on n’est plus dans l’ordre du faire, de la construction, mais dans celui du comblement. Nous avons là deux façons d’appréhender la création : une par assemblage de ce qui est épars, l’autre par le comblement du manque, le resserrement, le rapprochement du disjoint.

A partir de ces significations, il est aisé d’aborder la thèse freudienne. Ainsi le poète, le «dichter », est tout près du bord, près du bord du Réel, dans l’acceptation sémantique lacanienne du terme Réel (ce que l’on ne peut pas dire). Je dirais que le poète est tantôt dedans, tantôt dehors du Réel. La poésie lui permet de garder l’équilibre.

« Au commencement de tout était le Verbe », nous dit l’évangéliste Jean de Pathmos, fils de Zébédée. Le verbe avant tout, et non l’inconscient. C’est parce que l’on parle, que l’on a un inconscient. L’inconscient est ce champ où tout communique avec tout, où tout est possible. Pas si simple à comprendre, je le concède, la Parole avant l’inconscient. Ce qui est spécifiquement humain commence avec la parole, y compris l’inconscient. Il y a trois pôles du dire du sujet : désir, jouissance et corps préoccupent tout dire. Tout discours, toute parole s’y ramène, si l’on y prête attention.

Reprenons : « Au commencement de tout était le verbe ». Le poète, lui, se dédouble. Arthur Rimbaud nous le dit : « Je est un autre ». La poésie est cette chose immobile sortie de l’inconscient traversant le temps vers la réalité et toujours immuable. Ne pensez vous pas que la poésie est sans doute autre chose qu’un assemblage de mots, elle est la saisie d’un réel. Le temps ne la transforme pas.

Le poème se situe aussi bien dans le contexte d’un monde spirituel, ou au contraire d’un monde matériel. Le poète donne place au même processus dans ces deux mondes différents. Il sait émouvoir le lecteur par la chose passée et par la chose espérée et à venir. En ce sens, il est visionnaire. Qu’il porte la casquette du gavroche, la redingote du gentleman, la robe de la gente dame, la toge du tribun, la bure du moine ou du chamane, qu’il soit homme ou femme, le poète est seul à véhiculer ce langage issu de l’espace immobile de l’inconnu, et seul à savoir le placer dans le décor de la réalité. C’est lui qui définit le rêve ou la réalité illusoire. D’aucuns pensent que la poésie n’est pas seulement langage, elle aurait à révéler quelque chose. Certains y trouvent le sentiment d’une signification, d’une portée particulière, qui procurerait une expérience poétique.

Le poète, retranché du commun des mortels ou marchant sur la ligne de bord, frappé ou ébloui par les chimères de la réalité, poétise et comble le manque. Il noue le lien entre la réalité et l’imaginaire. Que le poète appartienne à la période archaïque, classique, moderne, de la Renaissance, baroque ou dadaïste, post moderne, qu’il exprime des idées humanistes, religieuses, romanesques, lyriques ou même non conformistes, on trouve toujours un présent vécu, un instant, un bonheur ou une expérience douloureuse, un paysage qui indique le jour, une nuit, un soir, un matin ou une saison. Il peut placer le lecteur, grâce au fragment qu’il décrit, dans le futur ou dans le passé. Il y a toujours un élément du temps, quelquefois une perspective virtuelle.

Le secret ne résiderait il pas dans l’ancrage mystérieux d’un lecteur ému par un poème, ancrage dans ce langage et en même temps, mais inconsciemment, dans la logique du poète, qu’il soit mort ou vivant ? La poésie est un lien entre le poète, le poème et son lecteur. Le poète est sur ce fil, cette ligne non mesurable : il est hors du temps.

Armé du verbe, le poète est le maître du temps. Il est d’abord le premier à qui il s’adresse, lui-même, avant de parler à quelque autre : il se comprend, et espère que l’autre le comprendra et il le lui signifie. Le fait que l’autre l’entende lui permet d’exister, d’où l’idée que l’homme existe par le verbe, le parlêtre (Lacan). Le poète fige le temps par sa parole, qui se ramène, aux trois pôles du dire : le désir, la jouissance et le corps. Par exemple, lorsque Ronsard dit à Cassandre : « Mignonne, allons voir si la rose, qui ce matin était éclose… », il parle de désir, de jouissance, de corps, et pourtant il nous ramène au temps. Il nous émeut sur le temps qui passe, que nous ne pouvons retenir, alors que lui, il parvient à le rendre immobile. Il en est ainsi dans la description d’un champ de fleurs ou d’un coucher de soleil, ou du « son du cor le soir au fonds des bois » (Vigny)… Le poète tente, par son expression, de métamorphoser, de sublimer son expérience affective dans la parole mélodieuse et rythmée. Le poème est réussi lorsqu’il ouvre une voie ou qu’il interpelle le lecteur. Le poète flashe dans le temps, tantôt dans le passé, tantôt dans le futur ; parfois il réussit à donner l’illusion d’être dans le présent. Sa création devient une chose donnée, pour ceux qui seront après. Il défie le temps. Il défait le fil du temps. Lorsqu’on lit le poème d’un poète mort depuis 2000 ans, le rythme, la musicalité des mots, l’émotion restent intacts.

La floraison d’Hier La poésie et le temps

Dans une lettre follement égarée Regard furtif sur le présent,

D’une année étirée Regard sur un instant d’éternité,

Elle me saluait En transcendant la réalité,

Frappé par son bonheur Puisse la poésie dilater le cœur

Je pensais à elle De l’homme, à la mesure de tout l’univers !

La floraison d’hier, en Mars

Gelée et roussie. Jean-François

Je lisais sa demande

Et me souvenant de la réponse

Je lisais enfin ce qu’il y était

Je voyais comment elle les jours Où donc est il le temps charmant

D’hier commençait Où le mot m’arrivait si vite

Et que le fortsycla dés lors Le mot venant d’abord et la pensée ensuite

A nouveau commençait J’étais un poète vraiment

A s’étaler et fleurir

Comme si le jour ne partait plus. Tristan Bernard

Mais tout restait immuable

Et rien fut ajouté.

Peter W.JBrouwer (Traduction du Néerlandais par Anne de Lierre)

Quelques illusrations :

- Léo Ferer : « Chez moi le temps dure, et je sublime ».

- Alfred de Vigny : « C’est une prison perpétuelle ».

- Claude Vigée décrit l ‘espace-temps : « danse vers l’abîme ».

- Lautréamont : dans Malador parle de « la cage du temps ».

- Voltaire : « Le temps accouche, dit-on, de l’avenir ».

« Le temps n’est qu’une immensité / dont l’usage fait la mesure /

Et vingt ans après voilà l’éternité ».

  • Marceline Desbordes-Valmore :

« Que la vie est rapide et paresseuse ensemble ! / Dans la main qui s’égare, /

Et qui brûle et qui tremble, / Que sa coupe est fragile et lente à se briser ! ».

  • Alphonse de Lamartine : « Ainsi toujours poussés vers de nouveaux rivages /

dans la nuit éternelle emporté sans retour / Ne pourrons nous jamais sur l’océan des âges /

jeter l’ancre un seul jour ? ».

- Marcel Proust : « Les jours sont pareils pour l’horloge mais pas pour un homme ».

- Guillaume Apollinaire, dans Le pont Mirabeau, fait allusion à sa rupture avec Marie Laurencin, et au-delà évoque la fuite du temps semblable à l’eau qui s’en va :

« Sous le pont Mirabeau coule la Seine / et nos amours / Faut-il qu’il m’en souvienne/

La joie venait toujours après la peine / Vienne la nuit sonne l’heure /

Les jours s’en vont, je demeure… ».

Nicolas Boileau : « Hâtons-nous ! Le temps fuit, et nous traîne avec soi » /

Le temps respecte peu ce qu’on fait sans lui ».

- Oscar Wilde : « On peut toujours effacer le passé. Mais on n’évite pas l’avenir /

Ponctualité : voleuse du temps ».

- Rabelais : « Autrefois est-il advenu, advenir encore pourrait /

Le temps est père de vérité ; le temps mûrit toutes choses ».

- Anne de Lierre : « O combien de temps vont encore se succéder / Pour l’histoire de l’humanité ? / Des temps des catacombes / Les temps des bombes / des temps de guerres / des temps de paix / des temps de famines / des temps où prolifère la vermine / des temps d’aimer / des temps d’haïr / des temps de vivre / des temps de mourir / des temps de semailles / des temps de moisson / des temps des moulins à vent / des temps d’inoubliables printemps /

le temps d’ hier, le temps de demain / le temps qui chasse le chagrin / des temps d’ivresse / des temps de bonheur / Le temps passe, mais jamais ne meurt ».

- Anne de Lierre : « Le Maître temps porte l’histoire / de l’univers jusqu’à chez nous/

du chaos et de la nuit noire / dieu Chronos, glouton et jaloux / veille sur la nouvelle Olympe /

Il frappera sages et fous / quand vers les astres l’homme grimpe /

Mais quel nectar fallait-il boire / Pour advenir homo-sapiens ? /

De l’amour, de guerre et de gloire / Le temps prend tout, nul n’en revient ».

2) Discussion après l’introduction (45’)

Synthèse de la discussion par Marcelle

« Dans la poésie, l’anticipation est au cœur du temps et de la conscience, au cœur de l’éternité comme négation de la présence, comme négation de la continuité. La poésie est une éternité de la rupture dans l’essence de l’anticipation et de la totalité. Il faut dire que pour la poésie l’éternité est toujours liée à une absence, à une inédition de la conscience imaginée comme impossible de la présence, schème déterministe par excellence de la philosophie ».

Mousif Ouadai Saleh (Philosophe marocain)

Le seul décryptage de cette citation aurait sans doute pu être le support de toute notre réflexion, mais voyons ce que le groupe a avancé sur le thème des rapports entre le temps et la poésie.

La difficulté d’un thème qui rapproche deux notions difficiles à penser et à définir a très généralement été exprimée par les participants ; ils s’y sont néanmoins attaqués résolument. Le compte-rendu de la séance est lui-même difficile à faire.

Qu’est-ce que la poésie ? On va voir que dans chacune de ses spécificités, (comme sans doute dans toute production humaine), le temps est de la partie.

  • C’est un acte, il est dans la dynamique de la production. En ce sens il détermine un avant et un après.
  • C’est une manière de ressentir spécifique, une manière d’être au monde, manière d’être plus présent, d’être dans la présence.
  • C’est une manière de dire originale. La poésie utilise largement la métaphore. Ce procédé de pensée est efficace, lorsque par le choc de mots ou de concepts issus de domaines hétérogènes, se produit un effet de dévoilement. Il faut également souligner que le temps lui-même ne saurait se dire que par l’entremise de métaphores spatiales. Les aiguilles courent sur le cadran, le temps s’écoule, fuit, etc., etc.
  • La poésie est souvent utilisation du rythme.
  • La poésie est communication : quelqu’un “ parle ” à quelqu’un. Il y a celui qui est inspiré et celui qui reçoit le produit de cette inspiration, qui est ému, qui cherche parfois à analyser les processus de production de cette émotion, dans l’après-coup.

Le poète cherche à transcender l’humaine condition, qui est celle d’être et se savoir emporté par le flux temporel. Il réussit parfois à être le maître du temps, ou / et être hors du temps. Ce qu’il vise en fin de compte, c’est le réel, la chose en soi, celle qui, immobile, n’a pas été marquée par les mots et leur potentiel mortifère. (“ le mot est le meurtre de la chose ” Lacan). Le poète y réussit sans doute, du moins partiellement, parce que les grandes œuvres sont immortelles ; parce qu’en évoquant des sujets actuels ou éternels, il leur donne une portée intemporelle ; parce qu’il est dans un état de plénitude, et sait transmettre cette plénitude qui dilate le présent jusqu’à faire entrevoir l’éternité.

Ne pourrait-on pas dire que le poète vise l’impossible : se servir des mots, pour atteindre l’ineffable de l’être en soi ?

Les psychanalystes, surtout ceux qui se sont le plus intéressés aux rapports du langage et de l’inconscient, nous décrivent ce dernier comme ayant de larges similitudes avec la poésie. Les productions de l’inconscient (parmi lesquelles le lapsus), nous montrent que ce dernier met en œuvre des procédés qui sont ceux de la poésie elle-même : la métaphore et la métonymie. On y retrouve également ce même effet de dévoilement. Le mouvement des surréalistes illustre cela au plus prêt.

Pause : 10’

4) Ecriture : 10’

5) Lecture des textes (15’)

6) Régulation et planification des prochaines séances (15’)

Sujet difficile, car il ne s’agissait pas (seulement) de parler de la poésie, mais du rapport de l’homme au temps par et dans la poésie…

- 14 avril : l’art et le temps (Lili)

- 5 mai : temps réel et temps virtuel (Jean-François)

- 2 juin : quel avenir humain pour la planète terre (Gérard)?

ANNEXES : TEXTES DES PARTICIPANTS

Sur la modernité (dernière séance)

Il n’y a rien semble t-il de plus indémodable que la modernité.

Aujourd’hui tout se démode à une vitesse déconcertante.

Dans un système de la consommation et du jetable, les acteurs de la mode dont la cible privilégiée est le plus souvent les jeunes, s’ingénient ainsi à démontrer que ce qui est « tendance » sur le marché, moderne, « branché », n’a plus rien à voir avec ce qui se faisait au préalable.

Mais à y regarder de plus près, on se rend compte que tout ce qui semble innovant dans l’art, l’habillement ou tout autre domaine, a déjà été inventé. Il n’y a que les moyens techniques plus performants qui ont changé et ce sont eux qui sont véritablement modernes et innovants.

Ces moyens techniques se mettent au service de l’ « ici et maintenant », dans le sens où l’on peut profiter, grâce aux outils qui nous sont proposés (par le sport, la médecine parallèle…), du moment présent.

Mais il faut consommer vite, pour profiter encore et encore de tout ce qui est à notre disposition, si l’on en juge par exemple de la diversité, de la prodigalité des films à l’affiche des cinémas, des livres édités… parfois aussitôt consommés aussitôt oubliés.

Ainsi le concept de modernité pourrait reposer aujourd’hui sur le fait de privilégier, avec tous les nouveaux moyens qui existent, le culte du présent, en éludant par la même occasion le passé, considéré comme rétrograde, et le futur comme trop incertain.

Il semblerait en outre que la société, lasse et essoufflée d’avoir critiqué ou tenté de remanier, remodeler les valeurs anciennes en faisant table rase du passé, et en partant du principe qu’il faut détruire pour reconstruire, se serait accommodée d’un présent frileux mais sécurisant.

Celui-ci, sans grand élan, sans grand idéal, ni en fait grande modernité, donnerait à l’individu la vague impression de faire partie de son temps, sentiment qui serait renforcé et illuminé de façon plus ou moins factice par tous les dérivatifs que la technique met à sa disposition.

Est-ce un tremplin pour un nouveau changement profond et pour une ère véritablement moderne, une phase d’attente d’un changement plus radical répondant à l’injonction : le 21ième siècle sera spirituel (avec toutes les significations que l’on peut donner à ce mot) ou ne sera pas ? …

Muriel

Le temps

- Si je pouvais seulement voir La vie d’une rose

Le bord de l’ourlet de sa robe

Je ne scruterai plus le noir J’ai vu dans mon Jardin

Où lâchement tout se dérobe. A peine éclose

- Car, vois tu, demain est devant Très tôt ce matin

Hier est déjà la chose éteinte Pleurer une rose.

Sur tout ce qui reste d’avant

Le temps a jeté son empreinte. Ses larmes enrosées

- Mais nul n’a vu de son vivant De verre transparent

Ni rencontré sur cette terre Par le jour éclairées

Le temps enrobe de galant, Devenaient diamant.

Ni pour dire : bonjour mon frère.

- L’ire des jours trame mon mal. Mais … en fin de journée

Et les nuits n’ont pas de repères. Divine exhalaison…

Le temps est il le roi du bal ? La rose s’est fanée

Chimères ! Il me dit : espères ! Usée de floraison.

Anne de Lierre, mars 2007 Anne de Lierre

Le poète inspiré est-il maître du temps

Ou esclave asservi de l’idéologie ?

Il a recours aux mots pour sortir du néant

Mais se heurte toujours aux affres de la vie

Francis

Le poète du « verbe » engendre momentanément son temps, que le lecteur peut momentanément rejoindre.

Colette

Le mystère de la poésie

La poésie est un mystère, c’est-à-dire l’expression non rationnelle (métaphore, musicalité) d’un non-rationnel. D’où le défi d’une approche philosophique rationalisante de son essence.

Dire le temps qui fuit (« Oh temps suspend ton vol » dit Lamartine), et s’en désoler, pour paradoxalement mieux le fixer dans son envol, dans son vol du présent. Se placer hors du temps qui passe par l’injonction de sa suspension. La poésie est performative, car elle ordonne au temps de s’arrêter, et il s’arrête dans et par la poésie même, chaque fois qu’on la relis. L’émotion poétique est lovée dans les mots, à jamais, tout au moins tant qu’il y aura lecteur pour vibrer.

La poésie dilate le présent dans l’intensité d’une présence qui abolit dans sa densité toute attente d’un à venir, et surtout tout passé regretté, parce que toujours là dans l’émotion ressentie. S’ouvre la plénitude d’une béance qui comble, parce qu’elle n’espère rien que ce qu’elle accueille.

D’où vient (et nous vient) cette puissance du poème ? Du désir hors-temps de notre inconscient, qui nous échappe dans des lignes de fuite, dans, malgré et cependant par les mots ? La poésie serait une échappée belle, une réchappée de la mort, c’est-à-dire un désir qui fraye dans le langage ce qui est impossible à dire et à jouir ? Cette pulsion (impulsion) par le bas ferait, dans son immanence, sublimation par le langage.

On peut penser aussi, vision plus spirituelle que psychanalytique (mais est-ce vraiment incompatible ?), à l’attraction par le haut d’une inspiration divine, d’un amour absolu, ouverture à la transcendance d’un au-dessus et d’un ailleurs, à une éternité où le temps n’a plus cours, ne court plus, et nous laisse simplement être et vivre.

La poésie touche au réel de l’Etre, parce qu’elle échappe par la métaphore, l’imaginaire et le symbolique, à la réalité des regards aveuglés.

Michel

ma maman, elle était belle

oui, elle était belle, très très belle

mais elle ne le savait pas

non, elle ne le savait pas

ma maman elle était brune

et elle pensait que les blonds

avaient plus de lumière

elle était jeune ma maman

mais elle se voyait passée

ma maman souriait souvent

oui elle souriait souvent

ma maman chérie

mais aux autres

aux autres elle souriait

mais pas à elle

pas à elle

à son cœur elle grimaçait

je la voyais

mais elle ne me voyait pas

elle a eu cinq enfants

ma mère

oui mais nous étions tous bruns

pour ma mère

le bonheur s’appelait

demain

pour ma chère maman

le bonheur s’appelait

ailleurs

je la voyais chercher sans succès

son bonheur perdu

quelque part

au 17 avenue de Roustand

à Tunis

mais, nous étions loin bien loin

aux portes du désert d’Israël

la vie ne lui plaisait pas

le soleil interminable

la poussière et les bruits de canon

elle n’était pas faite pour ça ma mère

elle cherchait son bonheur perdu

et pourtant, il était tout près d’elle

prêt à jaillir comme un feu

comme une fleur

qui n’attend que d’être cueillie

elle ne se penchait pas

vers son âme

elle croyait aux cartes postales colorées

avec la tour Eiffel illuminée

il ne lui venait pas à l’idée que le bonheur

pouvait venir de l’intérieur

elle s’obstinait à le chercher ailleurs

elle était comme ça

ma maman chérie

mais pendant qu’elle cherchait

les pendules de la vie ne se sont pas arrêtées

le temps l’a rattrapée

mais ma maman chérie

m’a quand même donné une leçon de vie

lorsque sa dépouille enveloppée d’un drap blanc

reposait dans le trou

elle a dit

sachez mes enfants

que la mort existe

que la vie n’est pas éternelle

je veux que ma mort vous serve

à vivre pleinement

ici et maintenant

je veux vous voir faire de votre vie

une fête permanente

jetez-vous à l’eau

même au mois de décembre

si l’envie vous en prend

ne remettez rien à demain

parce que demain peut être trop tard

Simon

PÔLE PHILO

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Cycle sur le temps (3ième année)

Séance 7 du 14-04-07

(12 participants)

Séance sur : « L’art et le temps »

Animateur-reformulateur : Michel

Introducteur de la séance : Lili

Président de séance : Francis

Synthétiseuse : Lili

1) Introduction de la séance (30’) : Lili

Tout œuvre d’art dépend du créateur, du temps, du lieu, de la culture dans laquelle il se réalise. L’art est donc contingent.

Tout mouvement artistique introduit un changement dans la durée. Il a donc l’histoire de son devenir. Aristote écrit : « L’art concerne toujours un devenir, son principe d’existence réside dans l’artiste et non dans la chose produite ». « Ce devenir est contingent car son principe d’existence est extérieur à lui » (produit par l’artiste). Son devenir s’explique par sa genèse . L’artiste est la cause efficiente de l’œuvre dont il transforme la matière : cause matérielle. Aussi l’histoire d’une œuvre est l’histoire de la causalité qui l’engendre.

Toute matière étant périssable, soumise au temps de sa dégradation, l’art comme produit a l’histoire de son matériau. Une ruine qui se regarde comme un témoignage du passé se regarde aussi au présent. Elle a donc une double temporalité : celle de la permanence de la culture qui l’a vue naître et sa présence actuelle. Notons qu’une œuvre qui a disparu ne fonctionne pas comme œuvre.

Le passé de la tradition, qui permet l’apprentissage des gestes techniques, préside à l’avènement de l’œuvre.

Chaque art déterminé a une histoire propre, présente une évolution spécifique déterminée. Mais pour établir une succession ou une généalogie d’œuvres, il faut poser une norme, or toute norme est une prescription culturelle qui répond à un certain moment du goût.

Tout jugement esthétique est formulé toujours au présent, ce qui lui fait courir le risque de succomber au caprice de la mode (combien d’artistes furent reconnus comme tels après coup !). Comment échapper à ce relativisme pour éviter de penser la vérité comme intemporelle ? Ainsi l’art ne peut être conçu comme une essence stable, il doit être saisi dans le mouvement de sa production.

Hegel identifie histoire et esprit : « L’esprit se réalise d’après un processus complexe jusqu’à devenir esprit de l’humanité, esprit absolu devenant une conscience de soi universelle. L’histoire serait le nom de ce processus d’avènement progressif de l’esprit allant vers la réalisation de la liberté ». Elie Faure, un grand historien de l’art, appuie cette thèse en montrant que la succession des civilisations parallèle à celle des arts suit les étapes du développement de la conscience. Chaque étape connaît une évolution naturelle : son essor, son apogée, son déclin. On peut aisément superposer dans le temps la courbe de l’évolution d’une civilisation avec la courbe correspondante des arts du même moment. Hegel a permis de poser une unité morphologique du style et de l’esprit du temps. L’art est l’expression de l’histoire de son époque. Il est le fils de l’esprit du temps. D’autre part il donne les moyens de penser le changement de style autrement que comme un progrès.

Une œuvre a une valeur culturelle (historique) et une valeur d’exposition (esthétique). Paradoxalement sa valeur d’exposition détermine l’art comme appartenant au passé. Mais toute œuvre d’art est vue au présent. La distance temporelle obscurcit la signification originelle d’une œuvre. Hegel le dit joliment : « Les œuvres des Muses sont désormais de beaux fruits détachés de leur arbre… il n’y a plus la vie effective de leur être là…. Ainsi le destin ne nous livre pas avec les œuvre de cet art leur monde, le printemps, l’été…. Mais seulement le souvenir voilé ». Il montre l’inanité de l’idéal de restauration. La valeur historique s’oppose à la valeur esthétique, une œuvre ancienne n’est pas forcément moins belle qu’une œuvre récente et inversement. La chronologie n’est pas porteuse de sens.

Nous avons vu que, comme les civilisations et parallèlement à elle, les arts bourgeonnent, s’épanouissent, se fanent. Hume expose une théorie de la dégénérescence qui lie la dégénérescence des arts non à la corruption des mœurs comme on le disait au dix-huitième siècle, mais à une corruption du goût par excès de raffinement : pour plaire, les artistes font preuve « d’affectation, de pointes ». Pour Riegl, il n’y a pas de décadence mais changement de norme et naissance d’un nouveau paradigme. Pour lui il n’y pas ni maturation ni progrès dans la succession des époques ni des âges de l’esprit, pas de développement unifié, mais des arts. Il peut cependant y avoir maturation, progrès dans une même époque. Chaque style est intéressant par lui-même. Il introduit la relativité des valeurs esthétiques. Par contre, ce qu’on perçoit c’est un réseau de dépendance, d’écarts, d’influence entre les différentes époques.

Le problème qui se pose aux artistes d’une époque n’est pas celui de la norme pensée comme « nature », mais celui de la « création », avec ce qu’elle implique de changement et de nouvelles règles. C’est l’acte de création qui est important, déterminant. Créer c‘est sortir du néant, transformer un vide, un rien, en œuvre inédite à partir d’un matériau disponible. Quelle est la temporalité d’une création ? Si elle se fait au présent, quelle est la temporalité de sa réalisation ? S’agit-il d’une longue maturation, l’éclosion d’un déjà là ; l’effet de l’inspiration comme état de conscience particulier mû par une puissance qui la dépasse et l’agit ? Emane-t-elle d’une « vision » ? Relève-t-elle du génie et non pas seulement du talent ? Quelles sont les sources de la création ? Le génie serait-il génétique (rien ne le démontre) ? l’explication est-elle psychanalytique ? Le fantasme présiderait-il à la création ? Même Freud ne le pense pas : « L’analyse ne peut rien nous dire de relatif à l’élucidation du don artistique et la révélation des moyens dont se sert l’artiste pour travailler ; le dévoilement de la technique artistique n’est pas non plus de son ressort ». L’explication sociologique achoppe également par défaut d’explication du style, de l’originalité de l’œuvre créée. Pour Kant le génie n’obéit qu’aux lois qu’il se donne, il est une disposition innée qui donne à l’art ses règles et l’artiste est, pour lui, libre de toutes contraintes. Ce que conteste le philosophe Renault d’Allones : « Plus les règles imposées sont contraignantes plus l’art tente de les déborder.

- Il est une autre entrée du thème « l’art et le temps » qu’il serait dommage de négliger : c’est celle du temps faisant œuvre artistique ; ce qui révèle en même temps que la seule finalité de l’art, quelles que soient les époques est toujours de lutter contre le temps qui passe et efface tout, lutter contre l’absence, lutter contre la mort. Malraux définissait « la culture tout entière comme l’ensemble de formes qui résistent à la mort ». Les premières œuvres ont été des célébrations, des commémorations des grands événements de la vie religieuse (ou civile ou dynastique ou corporatiste), afin de conférer un peu d’éternité aux hommes. L’œuvre ainsi réalisée est immobile, figée comme un arrêt sur image. On peut trouver le souci du temps dans l’exemple de la successivité événementielle d’un bas-relief antique, ou d’une fresque médiévale de Masaccio (1425), ou la chronologie des autoportraits de Rembrandt, les saisons représentées par Monet en peignant la cathédrale de Reims à différents moments de l’année, la vitesse d’un train qui passe dans un tableau de Turner, jusqu’au mouvement Futuriste qui ne s’intéresse qu’à la représentation du mouvement de la vitesse.

- La préoccupation du temps se précise au fur et à mesure que s’effacent la dimension du sacré et les valeurs religieuses, jusqu’à ce que le temps présent, l’aléatoire, l’éphémère mobilise entièrement l’attention de l’artiste.

A partir de Kandinsky, Pollock, Klee, c’est le temps de la création qui compte. On parle de

« peintures minutes », d’art instantané, de performance, de happening. Le temps de l’œuvre est le temps de l’artiste au travail mais aussi celui du spectateur de plus en plus sollicité pour intervenir et faire œuvre à son tour. Le goût de l’instantané est aussi le signe d’un désir d’abolir l’histoire afin d’être dans un présent perpétuel. D’autres artistes montrent le temps par l’épreuve pour s’assurer de leur présence au monde. La vidéo inaugure le « monitoring- art » qui consiste à filmer en temps réel une œuvre vue en temps réel. Le spectateur est baigné dans le temps de l’œuvre. Le temps devient un matériau souple que l’on va pouvoir déformer grâce aux outils techniques actuels (accélérer, ralentir ou faire défiler en temps réel, retarder, raccourcir, réinterpréter). Le temps lui-même peut faire l’œuvre quand par exemple sa durée est prescrite, ou celle de son matériau, volontairement choisi pour sa capacité à se désagréger dans un temps relativement court. La vocation critique de l’art reste toujours d’actualité, ce sont les moyens de s’exprimer qui ont changé, ainsi que les valeurs proposées. Les premiers vont servir à remettre en question les autres.

Pour la première fois en art, l’artiste va choisir son corps comme matériau de travail ; il avait déjà utilisé le corps des autres dans le Body art, maintenant c’est son propre corps qui lui sert de médium de façon assez tragique puisqu’il va jusqu’à le mutiler (expiation des crimes nazis par une génération d’artistes allemands), ou faire filmer en temps réel son opération de chirurgie esthétique afin de critiquer l’impérialisme des canons de beauté.

L’artiste placé devant le vide laissé par l’évanouissement des valeurs religieuses et des utopies n’a eu d’autre choix que de remettre l’art même en question, d’interroger le réel, de critiquer les valeurs actuelles, et surtout de questionner le présent, seul capable de satisfaire son désir d’éternité, de tenter de le maîtriser comme une matière malléable. En faisant cela, il ne cesse de clamer, comme tous les autres Hommes qui l’ont précédé, son puissant désir d’éternité ou son désespoir devant le néant.

Faut-il conclure de façon pessimiste, en disant comme certains que l’art est comme le monde : vide, factuel, factice, comme la société de consommation où les objets d’art sont comme les kleenex, sans utilité réelle sinon de consommation ; ou faut-il chercher de nouveaux modes de relation de l’homme au monde (comme l’éveil de la conscience écologique semble le laisser entrevoir), de l’Homme à l’Homme. Y aura-il de nouvelles utopies ? Un retour au sacré comme le prédisait Malraux ?

Elie Faure écrit : « La tragédie fondamentale de l’esprit est d’épuiser la mystique par la connaissance et de n’avoir à choisir au bout de la connaissance qu’entre la mystique et le néant ». Quel sera le prochain esprit du temps ?

2) Discussion après l’introduction (45’)

Synthèse de la discussion par Lili :

- La temporalité de l’œuvre

L’œuvre d’art est triplement temporelle :

- elle s’inscrit dans une époque donnée ;

-elle est faite d’un matériau qui a une vie propre ;

- elle naît de la maturation de l’acte créatif.

Y a-t-il un reste d’intemporalité dans l’art ?

Comme le souligne un participant, qu’il s’agisse d’une création humaine ou naturelle, on retrouve le cycle : genèse, apogée, dégradation.

Notre échelle de temps est différente de celle de la nature, du monde ; ce dernier est aussi amené à disparaître dans une autre durée que celle que nous appréhendons… dans des millions d’années.

Le temps de l’œuvre n’est pas celui du spectateur.

Il existe un décalage entre la temporalité d’une œuvre et sa compréhension par les gens de son époque qui ne le comprennent pas, l’œuvre sera appréciée avec un temps de retard.

- Fonction de l’art

L’art peut :

-être de l’ordre de la connaissance sur le temps ;

-permettre la fusion entre le présent et l’éternité ;

-permettre à l’homme de laisser une trace qui va lui conférer un peu d’éternité ;

-être consolateur ;

-permettre de comprendre la condition humaine ;

-avoir une fonction magique (art primitif) ;

- trouver l’essentiel dans la beauté expérimentée de la nature ;

- procurer le plaisir de la contemplation ;

-être perçu comme une prouesse technique ;

-procurer de la liberté à l’artiste grâce à sa maîtrise technique ;

- être un moyen de se perfectionner…

- Jugement esthétique

Comment, pourquoi une oeuvre peut-elle être appréciée dans tous les temps ? Existe-il une universalité du beau ?

On apprécie une œuvre quand elle entre dans des normes connues ; dans le cas contraire elle surprend, rend perplexe. Tout jugement est fonction du goût.

- Le beau

Il est défini dans le groupe par la correspondance entre les goûts, les couleurs, les sons (Baudelaire).

Le beau est-il universel ? La beauté est-elle naturelle ou artistique ?

- La création

Elle est de l’ordre de l’anticipation. Elle se caractérise par trois dimensions temporelles : le passé préside à la maturation de l’œuvre, le présent voit la réalisation de l’œuvre, puis se projette dans son devenir (interprétations de l’œuvre).

- L’art et le réel

L’art est l’imitation du réel (Platon). Il est la réinterprétation de la nature par l’homme.

La nature est à elle seule une œuvre d’art.

Comment expliquer la bascule de l’art figuratif à l’art abstrait ?

Un objet utilitaire peut-il devenir un objet d’art comme le fit Duchamp avec « la fontaine » ? Par quel processus intellectuel ?

Beaucoup de questions sur l’art restent des interrogations : quelle peut être la définition de l’art, quand il se présente sous une multiplicité de formes aussi éloignées les unes des autres ?

Comment penser l’art de manière globale, synthétique ?

Comment définir le beau ? Une œuvre d’art doit-elle être nécessairement belle ?

Le sujet est vaste même jumelé au concept du temps. Les réponses des philosophes aux questions posées par l’art sont aussi variées que contradictoires, et chaque époque amène de nouvelles interrogations. C’est dire que l’art est bien vivant, et qu’on n’a pas fini d’y penser…

Pause : 10’

4) Ecriture : 10’

5) Lecture des textes (15’)

6) Régulation et planification des prochaines séances (15’)

- 5 mai : temps réel et temps virtuel (Jean-François)

- 2 juin : quel avenir humain pour la planète terre (Gérard)?

ANNEXES : TEXTES DES PARTICIPANTS

Sur la dernière séance (la poésie et le temps)

Mon ressenti à la lecture d’un poème : dans un premier temps, j’écoute la musique des mots, je m’en imprègne avant d’en comprendre le sens, et cela est déjà pour moi une bribe d’éternité.

Muriel

Le rapport de l’Homme au temps : l’Art

Pouvons-nous mieux comprendre notre époque, en observant les œuvres de nos contemporains sur l’évolution de notre société individualiste, tournée vers son intérieur, son néant ? Nous sommes très bavards sur les interprétations passées, mais dépourvus sur notre vision du devenir. L’artiste, lui, a un temps d’avance ! Michelle

Le rapport de l’Homme au temps à travers l’Art

S’il reste quelque chose d’intemporel dans la création d’une œuvre d’art, c’est que l’artiste a su saisir, au présent, une vérité essentielle pour l’homme. Expression différente du passé, mais qui s’inscrit dans le mouvement de son destin. Jean-François

L’art et le temps

Eteintes les lumières de la Foi religieuse et civile, l’homme cherche une lueur dans l’obscur mystère du présent pour y trouver un peu d’éternité. Il y rencontre la violence de l’angoisse, de la jouissance, des instincts qui étreignent sa chair et son âme. Il s’interroge alors sur le mystère du corps que l’on croit connaître, mais dont on ignore l’essentiel pour l’avoir maudit par habitude, séparé, délié de l’esprit (encore aujourd’hui, objet distancié par les artistes qui le mutilent). Demain célèbrera-on le temps des épousailles entre l’esprit toujours glorifié et le corps enfin reconnu, respecté ?

Cela suppose qu’aura cessé la « destruction créatrice » de la mondialisation : machine à chosifier, marchander tout ce qui existe, avec le matérialisme qui l’a généré. Et qu’existera un esprit-corps unifié, apaisé, par lequel l’art renaîtra à la transcendance. On parlera alors de l’esprit-corps du temps d’une nouvelle civilisation.

Besoin de rêver… Lili

Le rapport de l’homme au temps à travers l’art

- Toutes les grandes formes de la Culture sont des tentatives de « faire avec le temps ». La religion invente, face au temps humain qui passe et trépasse, l’immortalité de l’âme et l’éternité de Dieu. La science l’objective et le cerne en réalité mathématiquement mesurable (l’heure), et il devient une variable d’équation en physique (par exemple dans l’expression d’une vitesse), manipulable pour résoudre un problème. La philosophie en fait une notion à conceptualiser pour le comprendre (distinguons le temps objectif de la science et le temps subjectif de la conscience), et une dimension essentielle de l’existence pour maîtriser avec sagesse son cours et sa fin (« Philosopher, c’est apprendre à mourir », dit Socrate). Et l’Art ?

- L’art est dans le temps : il fait par là histoire (de l’art).

- L’art est temps : celui de la création. La création articule les trois dimensions du temps : elle est toujours au présent, même quand elle dure un certain temps ; mais elle n’est possible que par condensation d’un passé, de la trajectoire d’un artiste, au sein même d’une spontanéité, d’une instantanéité, d’une authenticité (toute création a son histoire). Et toute création est rupture, nouveauté, basculement vers un possible qui devient réel et ouvre sur l’avenir : elle advient et fait événement, éventuelle postérité, existence dans d’autres regards.

- Le temps est dans l’art : de multiples façons. Dans son matériau qu’il faut préserver ou restaurer ; dans la durée de la pierre architecturale et l’éphémère de la danse ou la statue de glace ; dans l’oubli d’une œuvre, sa (re)découverte ou sa pérennité.

- Et l’art dit le temps : le temple égyptien ou grec doit durer ce que durent les dieux ; il y a de l’immortalité dans l’élan des cathédrales vers les cieux ; de la mort dans le crâne des vanités de la peinture ou les rides d’un portrait ; de la régularité dans le rythme de la musique ; de la lenteur ou de l’accélération dans un film. L’art dit le temps quelquefois avec des mots (en littérature et poésie), mais avec la forme et la couleur, l’immobilité de la pierre et le mouvement des corps, la gravité d’un son, la légèreté d’une mélodie ou l’entêtement d’une mélopée.

Pourquoi la naissance historiquement située d’une œuvre peut signifier l’intemporalité d’une condition ? Pourquoi ce qui est fils de son temps peut parler à tous les temps ? Comment la subjectivité contextualisée et contingente d’un individu peut rejoindre l’universalité d’un message ? Est-ce parce que la vision artiste nous vient des Dieux ? L’art est-ce le divin qui parle à l’homme, et qui utilise l’époque pour délivrer un message éternel. Ou est-ce que quand quelqu’un parle de l’homme, tout homme peut se sentir concerné ?

Et pourtant l’art nous est opaque : toujours trop à côté de ce que à quoi je m’attendrais, toujours trop en avance, souvent reconnu après coup, et compris bien plus tard encore. Il me parle sans que toujours je comprenne, mais dès que pourtant je suis à l’écoute, je sens qu’il me dit quelque chose qui, si je la comprenais, ça me grandirait.

Michel

PÔLE PHILO

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Cycle sur le temps (3ième année)

Séance 8 du 5-05-07

(15 participants)

Séance sur : « Temps réel et temps virtuel »

Animateur-reformulateur : Michel

Introducteur de la séance : Jean-François

Président de séance : Francis

Synthétiseur : Jean-François

  1. Introduction de la séance (30’) : Jean-François

Quelques réflexions pour faire réfléchir

Temps réel/ temps virtuel

Le mot virtuel vient du latin médiéval « virtualis », lui-même issu de « virtus », « force », puissance. Dans la philosophie scolastique, est virtuel ce qui existe en puissance et non en acte (source : Aristote). Le virtuel tend à s’actualiser, sans être passé cependant à la concrétisation effective ou formelle : l’arbre est virtuellement présent dans la graine. En toute rigueur philosophique, le virtuel ne s’oppose pas au réel, mais à l’actuel : virtualité et actualité sont seulement deux manières d’être différentes….

…Le réel ressemble au possible : en revanche, l’actuel ne ressemble en rien au virtuel : il lui répond.

Aujourd’hui, la « réalité virtuelle » est fondée sur la reconstitution d’un espace à partir d’images de synthèse en trois dimensions dans lequel l’utilisateur est invité à naviguer…

(on parle volontiers d’immersion dans un environnement qui n’est ni concret, ni palpable, le temps pouvant en être une de ses composantes).

L’intelligence artificielle s’attache à créer un système informatique qui ressemble à l’humain, qui soit capable de raisonner, de comprendre, de penser. La réalité virtuelle adopte l’option inverse. Elle crée un monde fictif et irréel auquel l’humain doit s’adapter… Pour autant, la pensée humaine et l’imagination ne sont-elles pas les meilleurs vecteurs de création d’images virtuelles ? L’intelligence artificielle, par certains de ses errements et de ses échecs, a au moins servi à confirmer que la pensée est le propre de l’homme et sa véritable « force » face à la machine calculante.

Dans l’expression « réalité virtuelle », le terme virtuel est à la fois synonyme « d’artificiel » de « fictif », mais il signale aussi que l’artifice peut être porteur de vertus, celles qui répondent à certaines attentes spécifiques des hommes (vivre, revivre, anticiper). En cela il s’agit toujours de médiations et en quelque sorte de langage. Cela permettrait à la limite de croire ces réalités virtuelles porteuses d’une « puissance magique », mais cela n’interdit pas cependant de considérer tout simplement que ces réalités virtuelles ne sont que des moyens (intermédiaires, médiations) justifiés et construits en vue de fins humaines………

Pourtant, nous n’avons pas attendu l’apparition des technologies nouvelles de l’information pour apprendre à quitter le présent, l’ici et le maintenant, pour nous plonger dans le domaine immatériel de la pensée. Après tout, il suffit de se lancer dans la rêverie pour quitter le plan du réel et du présent, pour me livrer à mes pensées. Le savoir rationnel lui aussi permet de se situer sur le plan de la pensée dans les concepts, tout en se détournant du réel. Un seul désir qui s’empare de moi et je suis emporté dans le cours de mes pensées, et le présent ne m’intéresse plus. Je suis dans l’immatériel, dans le virtuel. Nous sommes dans la vigilance dans le flux de nos pensées, dans la projection de nos intentions. Rien de plus facile que de quitter l’ici et le maintenant. C’est ce que nous faisons d’ailleurs en permanence. Nous avons plus la tête dans nos pensées, dans du « virtuel » que dans le réel. La pensée permet très facilement de se déporter vers un ailleurs et un autrement et de débrayer en quelque sorte du présent. Cela ne date pas d’hier, puisque cela appartient en propre à l’existence humaine.

Le virtuel c’est une des dimensions de la réalité humaine…………………… .

- Selon Pierre LEVY « Le temps, comme étendue complète, n’existe que virtuellement »

….Le langage, d’abord, virtualise un « temps réel » qui tient le vivant prisonnier de l’ici et maintenant. Ce faisant, il ouvre le passé, le futur et, en général, le Temps comme un royaume en soi, une étendue pourvue de sa propre consistance. A partir de l’invention du langage, nous, humains, habitons désormais un espace virtuel, le flux temporel pris comme un tout, que l’immédiat présent n’actualise que partiellement, fugitivement. Nous existons.

Le temps humain n’a pas le mode d’être d’un paramètre ou d’une chose (il n’est justement pas « réel »), mais celui d’une situation ouverte. Dans ce temps ainsi conçu et vécu, l’action et la pensée ne consiste pas seulement à sélectionner parmi des possibles déjà déterminés mais à réélaborer constamment une configuration signifiante d’objectifs et de contraintes, à improviser des solutions, à réinterpréter ce faisant une actualité passée qui continue à nous engager. C’est pourquoi nous vivons le temps comme problème. Dans leur connexion vivante, le passé hérité, remémoré, réinterprété, le présent actif et le futur espéré, redouté ou simplement imaginé, sont d’ordre psychique, existentiels. Le temps comme étendue complète n’existe que virtuellement .

- Jean BAUDRILLARD est envoûté par le problème de la faible réalité de la réalité, à notre époque de plus en plus dominée par la technique, la médiatique, le développement du virtuel et du numérique, selon Edgar MORIN….

Jean BAUDRILLARD nous annonce le temps des simulations, de « l’hyper réel » dans lequel le territoire ne précède plus la carte, mais où la carte définit le territoire et peut être modifiée à volonté. Saurons-nous quand même garder un pied sur terre et ne pas nous évader définitivement dans les puces de silicium ? Réponse d’ici quelques années tout au plus !

« Aujourd’hui, nous ne pensons pas le virtuel, c’est le virtuel qui nous pense. Et cette transparence insaisissable qui nous sépare définitivement du réel nous est aussi inintelligible que peut l’être à la mouche la vitre contre laquelle elle se cogne sans comprendre ce qui la sépare du monde extérieur. Elle ne peut même pas imaginer ce qui met fin à son espace. Ainsi nous ne pouvons même pas imaginer combien le virtuel a déjà transformé comme par anticipation toutes les représentations que nous avons du monde. Nous ne pouvons pas l’imaginer car le propre du virtuel est de mettre fin non seulement à la réalité, mais à l’imagination du réel, du politique, du social – non seulement à la réalité du temps, mais à l’imagination du passé et du futur (c’est ce qu’on appelle par une sorte d’humour noir le « temps réel »). Ainsi sommes-nous bien loin d’avoir compris que c’en était fini du déroulement de l’histoire avec l’entrée en scène de l’information, fini de la pensée avec l’entrée en scène de l’intelligence artificielle, etc. L’illusion que nous avons encore de toutes ces catégories traditionnelles, y compris l’illusion de nous « ouvrir au virtuel » comme à une extension réelle de tous les possibles – ça, c’est l’illusion de la mouche qui prend inlassablement du recul pour mieux se cogner de nouveau contre la vitre. Car nous croyons encore à la réalité du virtuel, alors que celui-ci a déjà virtuellement brouillé toutes les pistes de la pensée »

Jean BAUDRILLARD la double extermination (Libération le 6 11 95).

Jean BAUDRILLARD illustre son propos en prenant pour exemple les négationnistes des camps de la Mort. Dans le temps réel, pour les négationnistes, il n’y a plus de preuves objectives, les camps d’extermination n’apparaissent plus que sur l’écran du virtuel.

« C’est bien la défaite de la pensée historique et de la pensée critique, mais en fait ce n’est pas sa défaite : c’est la victoire du temps réel sur le présent, sur le passé, sur n’importe qu’elle forme d’articulation logique de la réalité »…………

Il est donc important de ne pas seulement considérer le virtuel comme une sorte de péril qui viendrait en quelque sorte gangrener le réel. La virtualisation n’est pas nécessairement l’aliénation qui est son double menaçant. La virtualisation n’est pas un monde faux et imaginaire, c’est seulement la dynamique d’un processus que le mental met en place dans l’intersubjectivité. Du virtuel tout peut se manifester, la vérité comme le mensonge, les prodiges de l’intellect, comme ses sottises. Cette ambiguïté n’est d’ailleurs pas l’apanage du virtuel, c’est une spécificité du langage humain et rien de plus, puisque vérité et fausseté sont indissociables du jeu de l’expression dans des énoncés articulés. Le virtuel ne correspond pas simplement à l’imaginaire en général. Il a plus de rapport avec le champ des possibles qui doit passer à l’être qu’avec l’imaginaire en général.

Il se produit dans notre monde postmoderne une mutation de la conscience, une mutation dans laquelle la plupart d’entre nous sont emportés, une mutation qui est très mal vécue. Nous sommes au temps de l’exil forcé et la tentation est grande de se replier sur le terrain du passé. Le défi du virtuel doit être relevé avec intelligence et sensibilité. Il doit être accompagné, la tâche de l’intelligence est d’éclairer son sens.

Commentaires des textes proposés -Temps réel/ Temps virtuel (par Jean-François)

Le rapport au temps dans la réalité virtuelle.

La réalité, ce qui est réel, actuel, ce qui existe (s’oppose à l’illusion, au rêve à la fiction)

L’adjectif virtuel s’applique à ce qui est en puissance, potentiel ou possible (Aristote). « Virtualis, virtus, force » : le virtuel tend à s’actualiser, l’arbre est virtuellement présent dans la graine…

La « réalité virtuelle » est fondée sur la reconstitution d’un espace à partir d’image de synthèse en trois dimensions… (On parle d’immersion dans un environnement qui n’est ni concret, ni palpable, le Temps pouvant en être une des composantes)

En informatique on distingue le temps réel « strict ou dur » du temps réel «souple ou mou».

L’intelligence artificielle crée un monde fictif et irréel auquel l’humain doit s’adapter. Pour autant, il confirme la force de la pensée sur la machine calculante.

Le terme virtuel est à la fois synonyme « d’artificiel, de fictif » mais il peut être porteur de vertus, celles qui correspondent aux attentes spécifiques des hommes (vivre, revivre, anticiper).

C’est une médiation, un langage, non pas une puissance « magique », mais un moyen construit à des fins humaines.

De tout temps, l’homme a cherché à reproduire, représenter, reconstituer quelque chose de la réalité qui en soit l’équivalent :

  • revivre des situations passées, avec des « réalités virtuelles, support de mémoire, les livres, les encyclopédies, les arts dits évolutifs ou primitifs ;
  • vivre des situations par « procuration », à l’aide de médiations qui en sont comme des « réalités virtuelles » : tableaux, romans, mais aussi bilans comptables, tableaux de bord, journaux, télévision, simulateurs…
  • Anticiper le futur pour y projeter des attentes au travers de « projets-projections » qui sont de véritables « réalités virtuelles ».

Ces réalités sont les meilleurs moyens de révélation et de maîtrise des sens humains.

Nous n’avons pas attendu les nouvelles technologies pour quitter « le présent, l’ici et le maintenant ». Il suffit de se lancer dans la rêverie pour quitter le plan du réel et du présent. Nous avons plus la tête dans nos pensées, dans du virtuel que dans le réel. Le virtuel c’est une dimension de la pensée humaine.

Selon Pierre LEVY le langage virtualise un temps réel qui tient le vivant prisonnier de l’ici et maintenant, il ouvre le passé et le futur .Le passé hérité, remémoré, réinterprété, le présent actif et le futur espéré sont d’ordres existentiels. Le temps comme étendue complète n’existe que virtuellement.

Selon Jean Baudrillard – faible réalité de la réalité – le territoire ne précède plus la carte, mais la carte définit le territoire et peut être modifié à volonté – d’où un danger pour la conscience humaine.

« Aujourd’hui nous ne pensons plus le virtuel, c’est le virtuel qui nous pense … le virtuel met fin à la réalité, mais aussi à l’imagination du réel, non seulement à la réalité du temps, mais à l’imagination du passé et du futur. »

Nous croyons encore à la réalité du virtuel, alors que celui-ci a déjà virtuellement brouillé toutes les pistes de la pensée.

Exemples : le négationnisme des camps de la mort, pour le passé

Peur de l’avenir, résistances aux changements, mais aussi projection irrationnelle

Le « bug » de l’an 2000

C’est bien la défaite de la pensée historique et de la pensée critique, mais en fait ce n’est pas sa défaite : c’est la victoire du temps réel sur le présent, sur le passé, sur n’importe qu’elle forme d’articulation de la réalité

Ce danger de rendre virtuel la vérité historique existe en dehors des moyens modernes d’informations, par exemple, la théorie créationniste contre la théorie darwiniste

Conclusion : la réalité virtuelle à travers les moyens modernes d’information entraîne une intensification de l’instant présent (évasion, refuge, addiction perte de temps)

La réalité virtuelle recherche un rajeunissement du temps dans une culture hédoniste qui ne veut plus voir la réalité. Les images de la guerre du Golfe qui ressemblait à un jeu vidéo ont vite été rattrapées par la réalité de la mort

La recherche d’un futur excitant par l’envahissement des nouvelles techniques joue aussi le rôle d’une sorte de thérapie à l’angoisse existentielle. Exemple de la société japonaise, le téléphone portable remplace les tamagotchis. (Société de tradition, mais fortement tournée vers l’avenir. Le présent n’existant pas dans leur langue).

La virtualisation est peut-être une aliénation une menace un péril un monde faux et imaginaire. ( Exemple, la Bulle du Second Live – une population hétéroclite ou chaque résident est animé par des ambitions très variées : trouver l’âme sœur passer du bon temps en s’extirpant du quotidien, faire des affaires, recruter des fidèles, assouvir ces fantasmes…..)

Mais du virtuel tout peut se manifester la vérité comme le mensonge. C’est aussi une dynamique une organisation collective de structures qui reposent sur des moyens techniques portés par l’intelligence- ère du virtuel – ère de la constitution d’une conscience collective, outil porteur d’avenir, remarquable et fort, au service de la pensée humaine.

Le temps de l’écrit n’est pas plus lent, il est différent. Il relève du temps de l’humain de celui de la réflexion individuelle ou collective de celui des archives que l’on consulte comme une mémoire.

Le rapport au temps dans la réalité virtuelle ?

La réalité virtuelle existait avant l’informatique. Les supports électroniques jouent-ils un rôle d’accélération dans les processus de transformation de la réalité temporelle en réalité virtuelle ? Peut-être pas plus ou pas moins qu’il n’y paraît, que les autres supports de la pensée.

.

2) Discussion après l’introduction (45’)

Synthèse de la discussion sur « Temps réel / Temps virtuel »

Opposition de deux modalités du temps.

Le virtuel c’est le contraire du réel. Si l’arbre est en puissance dans la graine son devenir est potentiel, aléatoire, incertain.Le virtuel c’est tout ce qui a vocation à devenir réel.

La validation d’un billet de loterie ouvre tous les possibles, invite au rêve. Il y aura un gagnant, c’est une possibilité, voir une certitude, mais cette possibilité est hautement improbable pour une personne précise. La sanction du tirage ramène à la réalité.

Comme l’arbre qui ne pousse pas, le billet réellement gagnant, mais perdu restera définitivement virtuel.

Dans un projet, une des vertus du virtuel est de faire durer le plaisir. Le projet abouti, ce plaisir meurt de son actualisation.

Le virtuel est une attente, une espérance, une tension vers le futur. Dans un contexte électoral, le sondage est une réalité qui reflète à un moment donné l’opinion de l’électorat. Mais avant le résultat du scrutin officiel, la désignation de l’élu reste virtuelle.

L’épreuve de la réalité met fin à la virtualité. Les échangent virtuels boursiers sont sanctionnés par la réalité en fin d’opérations, à l’aboutissement de l’échange réel.

Le jeu virtuel peut être éducatif, mais il doit rester virtuel sans quoi il devient gravement dérangeant pour l’enfant qui confond virtualité et réalité. (La « mort virtuelle » du tamagotchi confisqué doit rester ce qu’elle est, un jeu).

La reconstitution de l’origine de l’univers est-elle virtuelle ou réelle ? Un « bing bang » en laboratoire peut simuler, peut-être réellement, ce qui s’est passé, mais avec une dimension d’échelle infiniment différente des origines.

La concentration physique et mentale du sportif relève à la fois du virtuel et du réel avant et pendant l’épreuve. Après la compétition, la réalisation de son objectif (ou son échec) est du domaine du réel.

Dans le virtuel tout est possible mais plus ou moins probable. Toutes les virtualités ne sont pas à égalité et non pas le même degré de réalité potentielle au regard du réel.

Le possible et le probable ne peuvent porter que sur l’avenir

Le virtuel, c’est aussi le réel qui n’est plus, le passé.

Les prédictions virtuelles sur l’avenir, faites autrefois, deviennent parfois réalités aujourd’hui, en particulier, dans l’intuition qu’elles portaient de certains progrès techniques.

L’imaginaire, le fantasme, le désir relèvent du virtuel et demandent à se réaliser. Le désir est de l’ordre du non réalisé. Le passage à l’acte peut être sanctionné par le poids de la réalité. S’il n’est pas conforme à la norme morale, il constitue une faute. Cette transgression nécessite une sanction incontournable et bien réelle.

« Le réel fait la preuve – le réel fait l’épreuve ! »

Le virtuel est toujours ancré à la réalité.

Il est difficile de dissocier le réel du virtuel tant il y peu d’adéquation des deux notions dans notre mémoire, qui n’est que dans le présent, et qui recrée, au présent, le passé.

Pause : 10’

4) Ecriture : 10’

5) Lecture des textes (15’)

6) Régulation et planification des prochaines séances (15’)

- 2 juin : quel avenir humain pour la planète terre (Gérard)

ANNEXES : TEXTES DES PARTICIPANTS

Temps réel / Temps virtuel

- Dans la perspective où virtuel est l’antonyme de réel

Il faudrait d’abord se demander ce qu’est le temps réel. On peut répondre à cette question en disant que le temps est ce que l’on le mesure, le temps de l’horloge, celui du vieillissement, des saisons qui se succèdent. Mais le temps est-ce une bien une chose, un être en soi en dehors de l’homme qui le pense ? Là-dessus Kant a jeté un doute en disant que temps et espace sont des catégories a priori de la pensée. De son côté, le monde est ce qu’il est, ni plus vieux qu’hier, ni plus jeune que demain. Pour Kant donc le problème que nous nous posons n’aurait pas lieu d’être car toute notion de temps en soi serait virtuelle.

Dans cette perspective, ce n’est que dans un deuxième temps que la puissance de la pensée, par des procédures spécifiques, pourrait objectiver le temps : par exemple en comparant différents états d’un même objet et en concluant que la variable efficiente quant aux changements constatés est le temps : l’objet a vieilli. Une autre procédure serait d’utiliser la métaphore spatiale : on peut voir les aiguilles courir sur le cadran. (Il reste quand même dans cette théorie un reliquat, « la variable temps », dont on est embarrassé !)

Le réel, si on le définit comme ce qui est encore vierge du traitement de virtualisation que lui fait subir la pensée, est un roc. Il est tout présent, autant dire qu’il est hors temps. Donc on ne peut plus parler de temps réel !

- Dans la perspective où virtuel se conjugue avec possible, probable, réalisé ou réalisable

Ici, me semble-t-il, on est d’emblée dans le domaine de la pensée, donc pris dans les catégories du temps et de l’espace, avec l’épreuve de réalité qui est toujours en perspective, comme sanction. Il faudra à moment donné, et ne serait-ce que sous forme d’éventualité, qu’il y ait coïncidence entre le monde virtuel de la pensée et les faits. Si c’est un projet, le jour où il se réalisera, il démontrera qu’il était plus qu’une simple virtualité. Si c’est une hypothèse scientifique ou historique, elle sera avérée si tous les arguments vont dans son sens et tant qu’aucun élément ne viendra l’infirmer. Sans la perspective de cette toujours possible survenue de l’épreuve de réalité, il y a le risque de se perdre. Le rêve même, avec ses fantaisies de tous ordres, parmi lesquelles les fantaisies temporelles, le rêve qui un moment nous fait prendre nos désirs pour des réalités, a son réveil.

Un mot concernant la culpabilité qui s’attache aux désirs interdits : ce n’est pas parce que l’éventualité d’une réalisation reste, que nous éprouvons de la culpabilité ; si ce n’était que simple virtualité, il n’y aurait pas de quoi fouetter un chat.

Dans la perspective que je viens de développer, il est difficile de soutenir la validité de l’expression « temps réel » au sens strict, je parlerait plutôt de temps de la réalité, où la réalité ne se conçoit que marquée par l’empreinte de l’homme et de sa pensée.

Marcelle

Je pense que le temps existe : si le temps n’existait pas, ma pensée serait statique.

La pensée dynamique permet la perception du réel et la création du virtuel.

Virtualité et réel sont intimement indissociables.

Je ne peux me perdre dans le réel, mais, dans le virtuel, il y a sûrement un risque d’errance.

La normalité est préservée par le juste dosage du réel et du virtuel.

Dominique

La mémoire virtualise le passé dans le sens où l’on peut y inscrire sa propre interprétation, ce qui en fausse les données réelles, de la même façon que les historiens n’ont pas forcément en main de façon précise toutes les cartes concernant les vestiges du passé.

La mémoire virtualise également le futur en se servant de données concrètes et bien réelles du passé ou du présent en les modifiant, les modernisant, et parfois les transgressant, pour imaginer et inventer un futur aujourd’hui virtuel et peut-être demain partiellement réel.

Muriel

TEMPS REEL TEMPS VIRTUEL

Pour savoir si je ne rêve pas, je me pince ; je suis aussitôt ramenée au temps réel par la médiation de la douleur ressentie par le corps hic et nunc. Je suis plongée dans mes pensées, une brise à l’odeur de chèvrefeuille m’enveloppe soudain ; le plaisir de l’odorat me fait sortir d’un coup de ma concentration mentale. Je suis témoin d’un accident ; au déclenchement de la situation, une douleur saisit mon estomac… Les exemples foisonnent d’expériences de plaisir et de déplaisir où le temps réel surgit dans une manifestation corporelle.

Le temps de la pensée est celui de la remémoration / réinterprétation du passé, ou celui de la projection dans l’avenir. Quand au temps présent, on sait que la pensée ne peut le saisir sinon dans son évanouissement.

Est-ce à dire que le temps réel est celui du corps et le temps virtuel celui de la pensée ?

Le corps est également le témoin de traces du passé : cicatrices, membre amputé ressenti comme persistant, douleurs de traumatismes somatisés, donc vécus en temps réel / virtuel ; il est aussi manifestation d’une projection en temps réel dans le futur (tous les besoins du corps : crampe de la faim, etc.) et manifestation du processus de vieillissement conduisant inéluctablement à la mort prochaine, qui se vit en temps réel/virtuel tant qu’il y a du vivant dans le corps.

Est-ce à dire qu’il y a de la pensée dans le corps ?que seul le corps peut « penser » le présent ?

Lili

Temps réel/temps virtuel

Le virtuel se situe au niveau de la pensée où tout est possible, où l’on peut avoir toutes les libertés d’inventer, de se projeter, mais aussi tous les dangers d’influences et de manipulations.

Le réel passe par la sélection du virtuel pour mettre en application des règles de vies, des projets, pour vivre ensemble dans le respect de l’autre et concrétiser des idées. Etre en accord avec le corps et l’Esprit.

Michèle

- L’intensité de la pensée virtuelle peut matérialiser la réalité, et rendre possible l’impossible, rendre le dur facile, la douleur plaisir.
-Toute réalité commence à germer par une pensée virtuelle, et si elle est suffisamment intense, elle se matérialise même à l’encontre de la logique, et parfois même contre les lois physiques : comme par exemple un karatéka qui casse des briques, des parpaings, par un seul coup de poing nu ; dans sa concentration extrème, il arrive a visualiser ; il voit sa main qui transperce, traverse la pierre, et il y arrive alors qu’a froid ce n’est pas possible.
- Le degré de l’intensité que nous pouvons apporter à notre virtualité déterminera nos capacités, nos limites et nos rêve à réaliser.
- La réalité et la virtualité peuvent et doivent s’associer, se compléter et s’ ‘harmoniser pour garder une bonne santé, un bon équilibre.
- CORPS – ESPRIT / MENTAL – PHYSIQUE / REVE – REALITE / SAGESSE – FOLIE.
- Le but est de veiller à cet équilibre à tout heure, la vie entière !

Simon

Temps réel, temps virtuel

- Première acception du virtuel : selon Aristote, ce qui existe en puissance (virtuel vient du latin vis, viris : la force, qui donnera viril, et aussi vertu), est potentiel (exemple : l’arbre dans la graine) ; par opposition à actuel, ce qui existe en acte, le virtuel qui s’est actualisé (l’arbre réel). Le virtuel s’oppose à l’actuel. Le virtuel en ce sens est donc un possible, et, sauf dépérissement de la graine, quasi nécessaire, car prévisible. Car cette graine là ne peut donner qu’un arbre par son développement. Le futur est ainsi déjà dans le passé : sauf qu’il n’est pas encore présent. L’actuel est l’avenir du virtuel, que celui-ci antécède chronologiquement, et détermine ontologiquement. Dans cette conception, on ne peut penser le virtuel que dans et par le temps, et présentement par rapport au futur, dont il est l’avènement : il est au présent ce qui pourra être. Mais pas forcément, car il n’est que possible, même s’il est hautement probable. Le probable est un possible qui a beaucoup de chances (théorie des probabilités) de se réaliser : je suis au loto un gagnant virtuel, mais de façon très improbable (croire au possible, même improbable, ça s’appelle l’espoir, et ça peut faire rêver). Il y a un degré de probabilité du virtuel. Le probable est à moitié actuel.

La science nous dit aujourd’hui qu’un gène (l’équivalent moderne de la graine d’Aristote), ne pourra déterminer biologiquement qu’en fonction d’un environnement (écologique, psychologique, social) : il incline (possibilité probable), mais sans absolument déterminer. Une potentialité n’est jamais une fatalité (sauf dans la croyance religieuse au fatalisme du « c’était écrit ») : car elle est pleine d’avenir (la promesse pour le meilleur, la catastrophe pour le pire).

On peut dire que le futur est déjà présent par le projet, que l’on peut définir comme un virtuel qui souhaite son actualisation (et pourtant il n’est pas encore, puisque sa réalisation le néantise ; il n’est projet que parce qu’il est virtuel). Et que l’irréalisme (politique ou autre), c’est du virtuel hautement improbable, qui signe son échec. Quant au passé, il est virtuellement présent dans et par la mémoire, qui l’actualise. Mais elle le déforme aussi, donc le virtualise (l’imaginarise).

- Il y a là une seconde conception du virtuel : ce qui est de l’ordre de la représentation, de l’image, de l’imaginaire, du symbolique, et non du « réel ». On oppose alors virtuel à réel : le roman, l’art, le jeu vidéo nous plongent dans des mondes virtuels, des « quasi-mondes ». ça ressemble, mais ça n’est pas le « réel » (c’est un monde imaginaire) ; le mot n’est pas la chose, mais la désigne (le langage virtualise), la carte n’est pas le territoire : le symbolique déréalise et virtualise.

On parle cependant de « réalité virtuelle », non comme d’un oxymore (expression contradictoire), mais pour signifier que l’homme a une expérience du symbolique et de l’imaginaire, et pas seulement des sens et de la perception. Le temps virtuel est par exemple le temps de l’imaginaire, de la rêverie, de la science-fiction, celui du désir, de la projection, nourris par le principe de plaisir (celui qui cherche à se satisfaire). Le désir, c’est du virtuel (dans le premier sens) qui cherche à s’actualiser. Il crée un monde virtuel (dans le second sens), imaginaire (le fantasme) : le « passage à l’acte », c’est de la transgression où le virtuel du désir s’actualise autrement que de façon masquée dans le rêve. Il fait alors « l’épreuve du réel », qui résiste (principe de réalité) de par l’interdit de la loi (ex : l’inceste), ou de l’impossible (à faire pratiquement). Il en résulte la sanction du délit, avec sa culpabilité responsable, ou l’échec concret. Le délire est du virtuel qui se prend pour du réel, au sens d’une perception partagée. La confusion du virtuel et du réel est ainsi dangereuse pour l’équilibre personnel et social (par exemple quand on prend la vie pour un jeu vidéo, quand on croit qu’un jeu vidéo, c’est la vie). La technique au contraire, c’est du virtuel qui apparaît un temps comme impossible, mais qui s’actualise parce qu’appuyé sur la caution réaliste de la science (les lois de la nature)… jusqu’au cauchemar parfois de l’apprenti sorcier. Le principe de précaution peut ainsi retarder du virtuel dangereux pour l’humanité.

Michel 5-05-07

PÔLE PHILO

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Cycle sur le temps (3ième année)

Séance 9 du 2-06-07

(18 participants)

Séance sur : « L’avenir de la planète»

Animateur-reformulateur : Michel

Introducteur de la séance : Gérard

Président de séance : Marcelle

Synthétiseur : Gérard

  1. Introduction de la séance (30’) : Gérard

La Planète en danger , ou le temps nous est-il compté ?

L’Ere planétaire commence à la fin du xv° siècle avec la découverte, par les Européens, d’un continent peuplé de cultures et de dieux inconnus.

L’unité microbienne du monde se réalise aussitôt. Le trépomène pâle (syphilis) traverse l’atlantique, se répand en Europe et en sept ans atteint la Chine par les routes des caravanes, tandis que notre bacille de Koch se rue sur les populations indiennes d’Amérique. Le tabagisme se répand en Europe et l‘alcoolisme frappe l’Amérique. Les pommes de terre, tomates, maïs se répandent dans l’ancien monde, le cheval, le blé, le café dans le nouveau. Un réseau de plus en plus serré d’échanges et de communication se tisse. La mondialisation s’amplifie au XIX° siècle, avec le déferlement de l’Europe colonialiste sur l’ensemble du globe. Elle se déchaîne au XX° siècle par deux guerres mondiales. L’économie est mondialisée. Le marché est global. Le capitalisme est pratiquement universalisé. L’écologie est devenue l’enjeu majeur de notre siècle actuel. L’orange bleue peut devenir noire. Aujourd’hui chaque habitant est un point singulier et il contient dans une certaine mesure homothétique, le tout planétaire. Ainsi chaque matin nous prenons notre café qui vient d’Ethiopie, du Brésil ou du Costa-Rica, et notre thé qui vient de Yunnan, nous écoutons nos radios Japonaises qui nous offrent des airs du monde entier, nous mettons des vêtements et des chaussures confectionnés en Chine, nous lisons notre journal dont le papier est fait du bois de Norvège ou du Brésil, nous écoutons une chanteuse noire interprétant la japonaise Buterfly de l’italien Puccini.

Nous consommons des pomélos de Californie et d’Israël, les ananas et mangues d’Afrique, les bananes de Martinique, les haricots verts du Kenya, le riz du Pakistan et le vin d’Australie et peut-être du Languedoc.

L’africain dans sa brousse ou dans son bidonville n’est pas non plus isolé : l’occident est en lui ; il subit les effets de la monoculture, de l’urbanisation, du système économique occidental, et il peut de moins en moins échapper au modèle d’habitat, de consommation du monde blanc. Portant l’unité planétaire est convulsive, déchirée. Les solidarités sont conflictuelles et les conflits sont solidaires les uns des autres. Les guerres d’Irak révèlent la dépendance du monde à l’égard des gisements pétroliers. Elles nous révèlent également que les interactions entre religions, ethnies, races, nations sont plus que jamais exacerbées. Dans ces conditions, les guerres de l’ère planétaire sont des guerres intestines. Comme dans une maladie auto-immune, où les cellules d’un même organisme n’arrivent pas à se reconnaître comme sœurs et se font la guerre en ennemies, les composants de l’organisme planétaire continuent à vouloir s’entre-détruire. Nous sommes bien dans l’âge de fer planétaire. Une conscience planétaire est certes insuffisante, mais elle est nécessaire pour sortir de cet âge de fer. Cette conscience doit porter en elle la convergence de plusieurs prises de conscience : la conscience anthropologique, la conscience écologique, la conscience tellurique, la conscience cosmique.

- La conscience anthropologique s’est renouvelée depuis que la préhistoire a reconnu l’unicité originelle de l’homo-sapiens, d’où se sont différenciées races et ethnies, et depuis que la biologie révèle l’unité fondamentale, génétique cérébrale, psychique du genre humain. C’est il y a plusieurs milliers d’années qu’a commencé la diaspora planétaire de l’humanité, chaque fragment s’isolant lui-même dans son langage et son écriture, ses rites, ses mythes, et s’appropriant par lui-même sa qualité d’homme. Il nous faut donc abandonner l’idée que les races et les cultures séparent originellement l’homme et il faut reconnaître le cordon ombilical commun.

- La conscience écologique, elle nous fait abandonner l’idée que notre environnement est fait d’éléments, de choses, d’espèces végétales et animales, manipulables et asservissables impunément par le genre humain. Elle nous révèle que l’ensemble des interactions entre les êtres vivants au sein d’un site géophysique constitue une organisation spontanée ayant ses régulations propres, l’écosystème, et que les écosystèmes sont englobés dans une entité d’ensemble, auto-organisée et autorégulée, qui compose la biosphère .Elle nous indique que la croissance industrielle, technique et urbaine incontrôlée tend non seulement à détruire toute vie dans les écosystèmes locaux, mais aussi et surtout à détruire la biosphère et à menacer finalement la vie elle-même. La Terre se désertifie à la vitesse de 30 hectares/minute à cause des déforestations sauvages, des incendies criminels, des pluies acides. L’eau douce et potable se raréfie dangereusement. Les décharges sont submergées et l’air devient irrespirable à cause de l’oxyde de carbone dégagé par les transports. Les GES engendrent une accentuation moyenne de l’effet de serre qui laisse prévoir une élévation de la température de 3 à 6 degrés pour 2050. Déjà aujourd’hui de nombreux évènements naturels nouveaux dans leur amplitude et leur constance, sont précurseurs du saut climatique dans lequel nous entrons. En 200 ans, l’homme aura provoqué ce saut climatique, comparable à celui que la Terre a fait naturellement en 5000 ans. Elle nous enseigne que la menace mortifère est de nature planétaire et dans ce sens, la conscience écologique est une composante de la nouvelle conscience planétaire.

- La conscience tellurique complète la conscience écologique. Depuis que, dans les années soixante, les sciences de la Terre ont pu s’articuler les unes aux autres , nous pouvons savoir que la Terre est un système complexe et fragile, autorégulateur et auto-organisateur ayant sa vie propre, son histoire singulière, son devenir évolutif. La biosphère et son humanité constituent un ensemble homogène et complexe. Nous sommes les enfants de la vie et ceux de la Terre.

Attention ne soyons pas des parasites, mis en danger de mort par les excès commis sur leur hôte, qui morte, ne les nourrit plus, ni ne les logent, deviennent obligatoirement des symbiotes. Quand l’épidémie prend fin, disparaissent les microbes mêmes, faute de support de leur prolifération. Non seulement la nature est globale, mais comme telle, elle réagit globalement à nos actions locales.

- Enfin la conscience cosmique nous permet de situer notre planète dans le cosmos. Nous ne sommes plus dans l’univers de Copernic ni de Laplace. Le monde n’est plus cette machine déterministe parfaite animée par un mouvement perpétuel autour du centre de l’univers : le soleil. Aujourd’hui le soleil est un petit astre de banlieue aux frontières d’une galaxie périphérique, dans un cosmos dépourvu de centre et où des millions de milliards de galaxies s’éloignent vertigineusement les unes des autres. Notre Terre n’est plus qu’un nano-point tièdasse dans ce gigantesque cosmos où règne un froid de glace, sauf dans le cœur des étoiles où règne une fournaise désintégrante. Le cosmos s’est formé dans une déflagration initiale à partir de quoi il a commencé à la fois à se refroidir, se désintégrer et à s’organiser. D’où venons- nous ? Où allons –nous ? Y a-t-il une finalité dans l’univers ? Notre vie a-t-elle un sens ? Sommes- nous seuls dans l’immensité de milliards d’années-lumière ? Sommes-nous devenus si étrangers à ce cosmos qui nous a engendrés ?

Cette Terre, notre Terre, si fragile, est la seule oasis connue dans cet immense désert sidéral et nous nous occupons que de nous-mêmes, humains, et jamais d’elle. Cet égotisme causera notre disparition. Ouvrons les yeux et notre conscience tant qu’il en est encore temps.

Ce n’est qu’à partir des années soixante que le développement des sciences biologiques, des sciences de la préhistoire, des sciences écologiques, de la Terre et enfin de la cosmologie et de l’astrophysique nous a permis de nous percevoir, de nous resituer et de nous concevoir dans la sphère de la vie, sur la Terre et dans le cosmos. Notre idée de l’homme n’a pas encore trouvée sa place étrange et complexe, elle oscille entre la vision philosophique qui en fait le seul sujet dans un monde réifié, et la vision scientiste qui ignore l’esprit humain. Il nous faut faire preuve d’un formidable effort d’accommodation. Il nous faut revoir la mission de maîtrise de la nature que Descartes et Marx avaient dévolue à l’humanité comme si nous en étions étrangers. Il ne s’agit plus de domination, mais d’aménager une coopération entre les puissances organisatrices de la nature et les aptitudes organisatrices de l’Homme. Il nous faut un double pilotage Homme- Nature. Il nous faut abandonner l’idée que nous avons trouvé la bonne formule du vrai développement, et que nos sciences de l’Homme et de la Nature sont quasi achevées, et que avons atteint la véritable conscience. Les solutions du socialisme réel nous ont fait régresser, le système triomphant libéral révèle ses carences dans la globalisation. Ses solutions posent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent, et le tout marché nous conduit à une impasse civilisationnelle. Nous allons comprendre que notre concept de croissance est erroné. Nous allons comprendre que nous sommes toujours dans la préhistoire de l’esprit humain. Nous sommes dans une ère agonique où comme jamais les menaces convergent sur la planète, sa biosphère, ses habitants, sa culture et sa civilisation. Le plus tragique est que toutes ces menaces (désastre écologique, réchauffement climatique, prolifération nucléaire militaire, manipulations génétiques) viennent des développements mêmes de notre civilisation.

Nous appartenons à la planète, elle est notre Terre-mère, et essayer de la traiter avec mépris et arrogance va devenir très vite délétère. La maîtrise de notre Terre n’a plus aucun fondement. Nous pensons être devenus ses maîtres, alors qu’en réalité nous sommes solidairement assujettis. Dans le grand débat de sa protection et de la vie, on peut être étonné du relatif silence des religions qui proclament que notre Terre est l’œuvre de Dieu, alors qu’aucune ne s’offusque de la voir polluée et en voie de destruction. Si la création est d’essence divine, le moins que l’on puisse exiger des religions, c’est qu’elles refusent qu’elle soit profanée. La responsabilité est collective, des responsables politiques aux industriels, des agriculteurs aux intellectuels, tous doivent diriger le mouvement de survie de la Terre et de ses créatures. La vision anthropologique de la philosophie est dépassée. Chacun, nous pouvons réellement faire activer sa sauvegarde par des pratiques quotidiennes nécessaires à sa survie. Notre façon d’éduquer, d’acheter, de refuser, de boycotter, de nous modérer, d’aimer et de respecter notre semblable et tous les êtres vivants peut y contribuer.

Pour éviter ces perversions et ces détournements, nous devons mettre du sacré dans la vie. Le sacré n’est absolument pas lié à une religion ou à un quelconque dogme, c’est simplement vivre avec la conscience que nous faisons partie du miracle de la vie, que nous-mêmes sommes un miracle de la nature et du hasard. Nous appartenons à cette unité où nous avons le privilège d’être porteur de conscience. Cette conscience et cet entendement que nous utilisons à des finalités de pouvoir et de domination doivent nous donner la mesure de notre responsabilité à l’égard de la vie, pour comprendre, prendre soin et aimer.

Le sens du sacré est en nous, et il suffirait de nous débarrasser de tout ce fatras de concepts intellectuels et métaphysiques qui l’étouffent pour le retrouver. Cette insurrection des consciences peut nous amener sur le chemin du « bonheur d’être ». C’est par la conscience plus que par son appartenance à une société qu’un homme s’identifie. Comment ne pouvons nous pas voir, que quand nous mettons du poison dans la terre, nous le retrouvons dans notre corps. Nous devons abolir toutes les divisions, les cloisonnements, les inimitiés, les haines, et retrouver cet état d’unité qui doit être la base du vivre ensemble. Cette unité, nous devons commencer par la réaliser en nous-mêmes. Il est temps que la philosophie s’empare de ce que la science dit au monde. Elle est encore trop ignorante et acosmiste, sans relation avec le monde sensible en tant que réalité organisée.

2) Discussion après l’introduction (45’)

Synthèse de la discussion par Gérard

L’avenir de la planète est relativement sombre, et la conscience collective peut nous aider à la sauver. Mais en tant que part du tout, nous devons en prendre conscience individuellement.

La vie humaine est issue de l’unité de la matière. Quand on parle d’avenir, il faut poser le triptyque Cosmos-Planète-Homme comme étant fondamental.

L’ère agonique, point critique, oblige l’homme à se surpasser, c’est une lueur d’espoir. Sommes-nous suffisamment sages pour que la conscience humaine sauve la planète et ses créatures ? Cette conscience rationnelle a permis le développement économique, aujourd’hui l’entropie du système est toute proche, et donc cette même conscience peut nous sauver.

Pourtant l’idée de conscience ne résoudra pas tout, son insurrection ne suffira pas, car l’homme baisse facilement la garde, et le fatalisme l’emportera.

IL faut rattacher cette conscience à l’attitude sacrificielle des insectes dont chaque individu peut mourir pour sauver l’espèce.

L’espoir est sûrement dans les générations futures qui possèdent la maturité écologique et la conscience affirmée des réalités.

Pourtant à ses débuts, l’écologie était d’esprit réactionnaire, décadent, en proposant comme unique alternative la décroissance.

Il existe une possibilité raisonnable dans le développement durable. La capacité de l’humanité à trouver des solutions à travers la science est un point d’espoir.

L’être n’est pas un virus et le développement n’est pas pernicieux intrinsèquement.

Pourtant l’homme reste dans l’avoir (possession) et l’être est délaissé (esprit).

Le responsable politique devrait prendre la mesure du danger qui nous guette, mais la variété des positions et des applications politiques est trop court en démocratie pour s’y consacrer durablement. Les rêveurs ont toujours tort à court terme et raison sur le long.

L’homme n’a une vision de son avenir qu’à deux ou trois générations, le futur après ce seuil tombe dans une sorte de magma nébuleux.

Toute la matière va se désintégrer dans une énorme contraction, et réfléchir au futur peut paraître dérisoire.

Pourtant, chacun en conscience, peut tenir une part active quotidienne pour préserver la santé précaire de la planète, la seule habitable ? Une super structure mondiale peut aussi agir dès maintenant.

La prise de conscience passe par l’éducation, et le paradoxe de l’écologiquement vertueux avec l’économiquement rentable est à revoir.

Le problème posé à la science est de trouver les techniques qui soient douces avec l’environnement, tout en étant de faible coût pour la collectivité.

Et même si cela était hors de prix, cela n’en vaudrait-il pas la peine, car il en va de notre survie. Marx disait que l’humanité ne se pose que les questions qu’elle peut résoudre.

N’oublions pas la conscience éthique, car même si ce n’est pas de notre intérêt, c’est de notre devoir. D’aucuns pensent que l’écologie peut avoir une dimension anti-humaniste, en pensant à laterre avant de penser à l’homme. Mais ils pensent encore comme si l’humanité était en dehors de la conscience tellurique, car sauver la Terre, c’est sauver l’Homme.

La planète est comme un accidenté de la route qui est polytraumatisé et qui fait un collapsus hémorragique. Que soigne- t-on en premier pour préserver le processus vital ?

Pause : 10’

  1. Bilan de l’année, et propositions (30’)

Du débat très riche qui s’ensuit, le groupe arrête les décisions suivantes.

- Prolongement d’une quatrième année de réflexion sur le temps. Problèmes soulevés non encore traités : patience et impatience ; le désespoir ; la nostalgie ; le remords ; le péché originel ; Dieu et le temps ; l’anticipation ; la science-fiction ; le temps politique etc.

- On commencera la première séance par « la mort ». Introduction de Gérard, recherche d’un texte Romain. A la fin de la séance, on décidera si cela donne lieu à une seconde, voire troisième séance

- Séances de 9h45 à 12h15.

- Calendrier premier trimestre : samedis 6 octobre, 10 novembre, 15 décembre.

ANNEXES : TEXTES DES PARTICIPANTS

L’avenir de la planète : qu’entend-on par cette question ?

Parlons-nous de la planète, l’astre issu du déchirement du voile quantique du temps au moment du Big Bang, cette parcelle d’univers qui, ainsi que l’Univers lui-même – d’après une certaine théorie qui me séduit – se refroidissant se transforme en fer dont les atomes se dilueront pour ensuite se recontracter en route vers un Big Crush pour tout recommencer au début ? Pour cette terre-là, il ne me semble pas que nous ayons une quelconque action sur le cours des évènements.

S’il s’agit par contre de notre jardin, les effets de nos actions (bienfaits et méfaits) sont mesurables.

A qui est le jardin du vivant ?

Dès l’apparition de la première protéine, la lutte commence. La multiplication des espèces, l’occupation de la « niche écologique ». Chacune des espèces vit au dépens de ou en symbiose avec. La bataille est sévère mais qui la commande ? L’A.D.N.

Si nous ne considérons pas comme primordiale la notion de conscience, ce qui décide de l’occupation de l’espace et de sa propre reproduction, c’est bien cet acide (désoxyribonucléique).

La laitue ou la méduse n’ont pas à analyser le processus pour mettre en place les stratégies permettant leur multiplication.

Grâce à sa complexité, l’homme a accès à la conscience, ce qui lui donne le pouvoir d’analyse et de recherche, la capacité de transmission des connaissances.

Depuis l’aube de l’humanité, tout en créant du sens, nous occupons l’espace en modifiant le paysage (la première modification est un mur). Nous trouvons des justifications à nos actions, bonnes ou mauvaises, et nous commençons seulement à en mesurer les conséquences.

Nous sommes le virus qui vit sur et par son hôte, la terre. Lui donner la fièvre ? D’accord, mais si l’hôte mourait, qu’adviendrait-il de nous ?

Cette prise de conscience n’est-elle pas l’apanage du nanti ? Comment empêcher que des populations en voie de développement suivent notre exemple ? Pouvons-nous leur dire, avec la suffisance qui caractérise notre société évoluée, que nous n’avons pas toujours fait le bon choix et qu’ils se gardent de reproduire nos erreurs ?

Leur conseiller de remplacer un bain par une douche (quand ils rêvent de boire), recycler les déchets (quand leur rêve est d’en faire) est-il cohérent ?

Au niveau collectif, l’éducation, l’exemple et l’entraide (et la régulation des naissances) peuvent être des outils pour ralentir le processus.

L’individu ne reconnaît que son groupe, la fourmi que sa fourmilière. Chacun ne considère son jardin que jusqu’au portail. La propriété (bornée) est le fondement même de nos sociétés.

L’ADN ne dit pas : « Qu’allons nous laisser à nos enfants ? ».

La conscience collective ne peut devenir planétaire sans un abandon consenti de l’individualisme et de l’égocentrisme. Quelquefois on y pense, et puis on referme le portail sur soi.

Un vœux pieux peut-être mais peut-on baisser les bras?

Dominique

Puisse tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible! Si les guerres sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu’à la Californie, la bonté qui nous a donné cet instant.

VOLTAIRE

L’avenir de l’homme sur la planète

Sur la passerelle, deux « sans-abri » discutent au soleil :

« Maudite époque pour la terre….mais elle s’en remettra dans plusieurs millions d’années !

L’homme qui en use sans limite, lui, ne va pas bien ! « .

Sans doute, le passé a usé ces deux personnes.

Aujourd’hui, en compagnie de leur chien, ont-ils compris par leur choix de vie, que leur futur ne s’inscrit plus dans la fuite en avant d’un monde inconscient, qui justement, met la planète en péril et détruit les hommes ?

Jean-François

L’avenir de l’homme sur la planète

Il vaut mieux parler de « l’avenir de l’homme sur la planète », que de « l’avenir de la planète ». Celle-ci est, selon la science actuelle, à moitié de son parcours. Sur notre planète formée depuis 4 milliards d’années, la vie a pu se développer grâce à des conditions très particulières, et disparaîtra quand notre soleil, à échéance équivalente, deviendra étoile morte. L’homme, apparu depuis « peu » à cette échelle du système solaire (2 millions d’années pour l’ « homo erectus », 100000 ans pour « l’homo sapiens »), aura peut-être disparu, pas forcément à cause des dégâts qu’il provoque, mais pour des causes diverses : astéroïde percutant la terre, glaciation extrême etc.).

La « question écologique » est donc une question posée par des hommes, une question anthropocentrique, centrée sur l’homme, et à (très) « court » terme (un siècle ?). « Que va devenir notre espèce ? » est une question posée à échéance de quelques générations. A cette échelle d’homme, la question est capitale, et urgente : il y va du niveau de vie de l’humanité, du problème du « développement », peut-être de la survie biologique de l’espèce.

Face à la question, deux thèses se confrontent, deux visions de l’avenir, dont on ne sait au total pas grand-chose, à cause de la faiblesse de notre capacité à anticiper finement le futur, qui reste largement aléatoire, imprévisible :

- l’une assez catastrophiste, dans la lignée de l’apocalypse dans sa version religieuse, de la peur de l’an mil, de l’angoisse devant les changements induits par la technique et la science (cf les craintes au 19ième siècle devant le chemin de fer et l’électricité) : la voiture crée les accidents, le nucléaire le risque majeur, les OGM ou le clonage la dénaturation des espèces etc. Les ressources naturelles s’épuisent ; l’effet de serre, multiplié par la consommation des pays émergents, va désertifier la planète, porteur de guerres par les populations déplacées avec la montée des eaux etc. La cause : une idéologie positiviste de la science et du progrès, une mondialisation capitaliste qui brade l’avenir des générations futures pour des intérêts financiers individuels et à court terme. On prolonge les courbes actuelles, et on prédit, faute de principe de précaution, qu’on fonce droit dans le mur.

- l’autre plus optimiste, pour laquelle l’inventivité de la science pourrait contribuer à résoudre les dégâts que par ailleurs elle occasionne (ex : des centrales nucléaires de plus en plus sures, l’invention de nouvelles énergies peu polluantes dans l’avenir…). « L’humanité, disait Marx, ne pose que les problèmes qu’elle peut résoudre ». Une « conscience écologique » naît, à partir des dangers pressentis et annoncés, qui cherche à conjurer la menace. Du point de vue biologique, ce serait la forme humaine de l’instinct de conservation de l’espèce. Mais il y a aussi une dimension éthique et politique de ce sursaut écologiste. Nous aurions un devoir vis-à-vis des générations futures, car nous ne faisons qu’ « emprunter la terre à nos enfants » (Proverbe Massaï). Ce qui implique la traduction politique d’une telle responsabilité (cf Le principe de responsabilité du philosophe H. Jonas) au niveau étatique, mais surtout mondial.

Face aux tenants d’une mondialisation capitalistique, où le taux du CAC 40 prime sur toute autre considération ; mais tout autant face aux adeptes plus ou moins radicaux de la « décroissance », qui mettent en cause la légitimité du « développement », et tablent sur le bonheur humain par l’être plus que par l’avoir, en réduisant drastiquement notre consommation, il émerge une notion inédite, celle de « développement durable ».

Le concept est complexe, ambigu, contradictoire, théoriquement assez mou, mais intéressant, provocateur, heuristique. Car comment concilier l’écologiquement respectueux, l’économiquement rentable et le socialement humain ? Tel est l’enjeu, dès lors que chaque composante de ce type de développement peut s’opposer (et s’oppose souvent actuellement) aux autres…


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