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Compte rendu du 4ième Printemps des Universités Populaires– Bobigny – 26/28 juin 2009

Posted By Michel Tozzi On 16 juillet 2009 @ 10:30 In Les universités populaires | No Comments

Compte rendu du 4ième Printemps des UP – Bobigny – 26/28 juin 2009

 

Par Michel Tozzi, UP de Narbonne (reprise de la synthèse terminale)

 

La quatrième édition du Printemps des UP alternatives se situant dans le sillage du mouvement initié en 2002 par l’UP de Caen (car il existe d’autres types d’UP), a été organisé par l’Université citoyenne et populaire du 93 (UCP 93), et ouverte par son président, José Tovar, au chef-lieu du département (Bobigny), du 26 au 28 juin 2009. Il a réuni une cinquantaine de personnes autour de 14 UP représentées. Il s’inscrit dans un mouvement qui s’amplifie, puisque de nouvelles UP se sont créées (comme l’UP anarchiste de Seine-Saint-Denis), où vont l’être (comme l’UP de Paris 8, ou l’université du savoir des vieux et vieilles, dite des Babayagas). La convivialité était fort présente pendant les repas, et lors d’un spectacle donné pour l’UP le samedi soir par la compagnie très engagée politiquement « Jolies mômes »… Une subvention du Conseil général permettait d’assurer la logistique.

Alors que l’an dernier l’accent avait été mis sur le partenariat avec des collectivités locales, très discuté pour ne pas tomber dans la subordination face aux questions de subvention, de locaux  etc., c’est cette année le partenariat associatif, fortement représenté, qui était valorisé : présence d’associations d’éducation permanente notamment (mais aussi sur la mémoire de la colonisation), dans un département riche de ses traditions de formation populaire et de luttes (le Printemps avait lieu, comme au siècle 19 certaines UP, dans une bourse du travail).

S’est confirmée à cette occasion pour la majorité des UP une forte dimension politique (l’émancipation individuelle et collective par les savoirs critiques). Mais politique ne veut pas dire partisan : à part l’UP de Saint-Denis qui se dit explicitement anarchiste, nombre d’intervenants de ces UP ont été ou sont engagés, avec différentes nuances de la gauche : libertaire, communiste, socialiste, NPA… L’indépendance est revendiquée, et l’esprit critique s’y veut aussi autocritique.

La dimension territoriale de l’éducation populaire, fortement avancée l’an dernier par l’UP des Côtes d’Armor organisatrice, est affirmée aussi par certaines UP : UCP 93, par la spécificité multiculturelle du département en région parisienne ; UP de Narbonne (dite de « Septimanie ») ; de l’île Maurice, qui cherche à établir des ponts entre les diverses communautés structurées de l’île.

Deux objectifs sont poursuivis dans cette mise en réseau :

- la mutualisation des expériences des différentes UP (objectifs, programme, fonctionnement, pédagogie…), à travers ce réseau informel qui se réunit une fois par an, et a permis ou accompagné la création d’autres UP ;

- l’approfondissement d’un certain nombre de questions de fond récurrentes : que signifie l’expression « Université Populaire », assez contradictoire dans l’association de ces deux termes? Quels objectifs ? Quel public visé? S’il y a gratuité pour les participants : quel argent et quels locaux pour fonctionner ? Quel contenu diffuser ou s’approprier ? Quelles modalités pédagogiques ? etc.

Sur le vocable « populaire », il y a en effet selon Philippe Corcuff, une tension entre une conception politique de l’UP : ouverte à tous (c’est le cas de l’UP de Caen), au peuple au sens de Michelet, pour « démocratiser le savoir », le rendre accessible, comme base d’une citoyenneté consciente et critique (conception républicaine de l’idéologie des Lumières du siècle 18), mais avec des accents libertaires chez M. Onfray ; et une conception plus sociologique : orientée prioritairement vers les classes populaires, culturellement défavorisées, le peuple au sens de Marx, plus dans la tradition historique des UP du mouvement ouvrier (c’est le cas par exemple de l’UP de Bruxelles).

Il y a par ailleurs tension entre les termes « université », lieu officiel de production et de diffusion de savoirs académiques (à laquelle n’accède essentiellement qu’un public déjà bachelier), et « populaire », qui renvoie plutôt, individuellement et collectivement, à des savoirs plutôt pratiques, d’action, d’expérience…

Tension enfin entre un mode universitaire traditionnel de transmission magistrale, et une pédagogie plus participative, active, appropriatrice, traversée par l’esprit de l’ « éducation nouvelle ». D’où le thème choisi cette année :

 

« Savoirs savants, savoirs pratiques, savoirs critiques et citoyenneté :

quelles perspectives pour les UP aujourd’hui ? »

 

Ce thème a été décliné en quelques questions :

- Savoirs théoriques et/ou savoirs d’expérience ? Savoirs académiques et/ou savoirs critiques? Quelles sont les différences éventuellement repérables entre les enseignements délivrés par l’institution universitaire et ceux issus de l’expérience pratique (professionnelle, militante, etc.) que l’institution universitaire peine à prendre en compte ? Le savoir est il en soi émancipateur ? Y a‑t‑il des savoirs plus émancipateurs que d’autres, plus critiques que d’autres ? Ou est‑ce son usage social qui rend le savoir émancipateur ou aliénant ? Quel(s) publics, mais aussi quels types d’intervenants  visons nous ?…

- UP et autres porteurs de savoirs. Les Universités Populaires ne sont pas les seules associations prétendant faire de l’éducation populaire. Quelles modalités pédagogiques mises en oeuvre par chacun (du cours magistral au théatre‑forum, de l’atelier d’économie politique au café‑philo)…

- Les UP dans la société. Une UP a‑t‑elle vocation à dispenser tout savoir disponible, dès lors qu’il est scientifiquement garanti, parce que sa fonction serait de le rendre accessible au plus grand nombre, ou doit elle prioritairement s’intéresser à certains savoirs jugés plus susceptibles de favoriser un projet global de transformation sociale ? Les UP sont‑elles là pour compenser les insuffisances de l’institution universitaire qui peine à remplir sa fonction de formation à la citoyenneté ?

Les débats ont notamment porté sur la notion de savoir (s) critique(s). L’expression semble au cœur des UP présentes. Le savoir semble en soi critique, par son approche rationnelle du réel qui permet, comme l’a développé la philosophie des Lumières, de sortir de l’obscurantisme religieux (contre l’interprétation intégriste des écritures : exemple du créationnisme), des représentations  naïves du réel ou simplement du préjugé. Mais il peut être aliénant par son usage social, quand il est au service des décideurs par l’usage technocratique et bureaucratique de l’expertise. Les UP peuvent choisir, parmi l’ensemble des savoirs, ceux qui ont une portée de critique sociale débouchant sur des transformations collectives : sociologie critique, économie antilibérale, savoirs féministes sur le genre, philosophies du soupçon ou déconstructivistes etc. L’apprentissage du philosopher en atelier apprend par ailleurs à penser par soi-même, en dépassant les conditionnements familiaux, sociaux, publicitaires ou propagandistes….

Ce contenu des savoirs est essentiel à cause du pouvoir que confère le savoir, par ses applications techniques, et par l’autorité que donne la légitimité disciplinaire à ceux qui parlent en son nom et le diffusent. Le rapport dissymétrique entre savoir et non savoir, porteur d’une hiérarchie sociale entre d’une part ceux qui le produisent et l’enseignent, d’autre part ceux qui l’apprennent, entre ici en tension avec l’exigence démocratique (libertaire, pour des anarchistes ne se reconnaissant pas dans le vocable « démocratique ») d’un droit de chacun à se voir reconnaître une expérience, à prendre la parole dans l’espace public, et à décider en citoyen. Il peut y avoir des effets de prestance, de distinction, qui font qu’on écoute et croit un intervenant à proportion de sa notoriété supposée.

Cette dissymétrie, qui a un fondement épistémologique (le débat dans la communauté des chercheurs par l’administration de la preuve), mais qui peut produire des effets sociaux de soumission par la magistralité transmissive d’un contenu non discutable, peut être atténuée par l’adoption de certaines modalités pédagogiques :

- présenter le savoir non comme un discours sans sujet, mais produit par des personnes dans une pratique sociale de discussion, dans une fragilité épistémologique, évolutif et non définitif et absolu, pour développer un rapport non dogmatique au savoir (car il n’est que l’aboutissement provisoire – bien que non arbitraire – d’une confrontation entre pairs) ;

- introduire comme à Caen une heure de réactions-questions-discussions après l’heure d’apport magistral du conférencier ;

- favoriser comme à l’UP de Saint-Denis le débat salle-salle après la conférence ;

- tenter comme à l’UP de Lyon un cours dialogique, où deux conférenciers interviennent sur un même thème, puis en discutent entre eux avec différents points de vue ;

- ou développer comme dans le pôle philo de l’UP de Narbonne la pratique de l’atelier.

Celui-ci a pour finalité pédagogique et politique de substituer à la figure du chercheur universitaire-enseignant-conférencier qui a un public, la figure d’un animateur-tuteur accompagnateur, plus proche de la formation d’adultes que de l’université pour étudiants, considérant les participants-discutants, motivés et impliqués, comme des « interlocuteurs valables » (J. Lévine), avec leur expérience propre à valoriser, personnes-ressources dans le groupe, avec une dynamique d’échange en confiance et sans jugement, permettant une co-appropriation, voire une co-construction de savoirs. Il faudrait creuser comment ces figures du formateur ou de l’animateur se colorent en fonction de la discipline abordée, car un animateur philosophique ne s’y prend pas comme un formateur en sciences dures… Développer aussi comment l’expérience peut être traitée comme appui ou/et obstacle (il faut penser par mais aussi contre soi-même). Il a été aussi développé l’idée que le savoir, en tant que modification de la vision du monde et repère pour s’y orienter, n’est pas reçu de façon rationnellement neutre, parce qu’il ébranle dans sa réception, déstabilise intellectuellement et affectivement, affecte le sujet quand il s’incarne, « prend corps », et pas seulement l’esprit.

Autre piste : les UP peuvent aussi diffuser des savoirs peu ou non légitimés par l’université classique : savoirs pratiques ou d’expérience (professionnels, militants, savoirs liés à des expériences sociales – exemple de la Résistance, des histoires de vie -, à un âge – ex : les vieux ) ; porteurs de savoirs collectifs et pas seulement individuels (associations, syndicats…). Ainsi peut s’élargir le cercle des intervenants, en légitimant ceux qui en possèdent.

 

Nouvelles pistes de réflexion

 

Pourquoi se créent aujourd’hui des UP hors universités ? Le sigle UP semble convoité et est investi : effet de mode ? Besoin social, culturel, convivial ? Mouvance anticapitaliste ?

Une tension est apparue cette année, qui pourrait être approfondie l’an prochain, entre des finalités collectives ou individuelles : d’un côté une visée de transformation sociale, dans la tradition historique française des UP, liée au mouvement ouvrier, inscrite aujourd’hui dans une galaxie anti-capitaliste, voire anti-mondialiste ; de l’autre un plaisir individuel lié au désir d’apprendre, sans visée qualifiante (gratuité de savoir ?), avec la dérive possible d’un consumérisme ou tourisme culturel pour classes moyennes ou nouveaux retraités …

Le décloisonnement y semble intéressant : mixité sociale, ethnique (île Maurice), moyen de décloisonnement disciplinaire dans une France où les disciplines universitaires sont très spécialisées et étanches.

Il avait été signalé dès le premier Printemps à Villeurbanne l’élargissement dans certaines UP de la philosophie à un public jusque là interdit : les enfants (par des ateliers de philo pour enfants), et un territoire jusque là délaissé : la cité (exemple des cafés philo). L’accent a été fortement mis à Bobigny sur la prise en compte des femmes. Et aussi, plus nouveau, à travers l’UP des Babayagas qui vient de naître, du savoir des vieux et des vieilles : les 70 à 100 ans sont un problème sociétal inédit, et se pose la question de la production et de la diffusion de la connaissance sur cette tranche d’âge, ainsi que du savoir qu’elle-même  peut transmettre.

Par ailleurs, jusqu’à maintenant, les UP se sont développées hors universités classiques. Une fois de plus Paris 8 (ex Vincennes) innove pour ses 40 ans, en créant une UP « pour l’éducation populaire du siècle 21», interne à l’université, fortement adossée à un partenariat associatif, et s’adressant à des non bacheliers décrocheurs et de nouveaux retraités motivés. Ceux-ci seront considérés comme des chercheurs-animateurs (avec des méthodologie de recherche), détermineront eux-mêmes leur programme et choisiront leurs intervenants, le tout débouchant sur un diplôme d’université (DU).

Or la plupart des UP représentées sont non qualifiantes, fondées sur le bénévolat des intervenants et la gratuité des auditeurs-participants, ce qui a été interrogé par l’UP de Bruxelles, pour laquelle tout un public populaire a besoin de diplômes pour se professionnaliser... et pas seulement de bénévoles ou de militants…

Rendez-vous l’an prochain à Bruxelles, puisque c’est cette UP qui a été sollicitée pour organiser le 5ième Printemps des UP…

 

 

 

 


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