Contribution à la réflexion sur une des deux questions de la
recherche.
L’analyse des pratiques professionnelles entraîne-t-elle une modification
de ses pratiques ? Pourquoi l’INRP pose-t-il aujourd’hui cette question
et en ces termes ?
- L’APP devient aujourd’hui une des stratégies privilégiées
de la formation, y compris pour les institutions de formation. Elle correspond
à la sortie d’un modèle de formation normatif et prescriptif,
fondé d’une part sur le jugement de valeur et l’écart
par rapport à une norme, d’autre part sur le conseil qui en découle.
Et à l’insuffisance d’un modèle d’apprentissage
fondé sur l’imitation de tours de main artisanaux stabilisés
et transmissibles. Elle est cohérente avec la conception d’un
professionnel confronté à des situations-problèmes difficiles
et aléatoires qu’il tente de résoudre en s’adaptant,
de manière autonome. La formation est en ce sens un processus de professionnalisation
où l’on s’auto-accompagne dans les changements inéluctables
par cette capacité d’analyser sa pratique.
- Elle s’inscrit dans un contexte théorique :
+ inspiré par la pensée complexe, qui approfondit le
concept de pratique professionnelle, de situation éducative, et renouvelle
ses paradigmes d’explication-compréhension de l’action
située ;
+ renouvelé par les théories de l’apprentissage et du
processus enseignement-apprentissage.
- La question telle qu’elle est posée interroge une affirmation
: analyser une pratique la modifie. Celle-ci devient une hypothèse
à vérifier. Elle pose le problème du rapport de l’analyse
à l’action, et elle le fait en terme de causalité.
Qu’est ce qui autorise théoriquement l’hypothèse
que la connaissance influence l’action ?
+ le paradigme objectivant techno-scientifique : par exemple la connaissance
scientifique des lois de la nature, en permettant le développement
de la technique, a accru la puissance de l’homme sur son environnement.
On peut s’autoriser à inférer qu’une meilleure connaissance
des pratiques, de leur logique et de leur environnement, permettra de les
infléchir ;
+ le paradigme clinique (en particulier psy-analytique), selon lequel
une meilleure connaissance de soi entraîne une meilleure assomption
de son histoire, la disparition de symptômes, le changement de certaines
conduites.
- On peut interroger plusieurs présupposés :
+ Y a-t-il des pratiques qui ne changent pas ? Ou toute pratique change t-elle
de fait ? Changent-elles en profondeur ou seulement en apparence ?
+ Si les pratiques changent, qu’est-ce qui les fait changer ? On peut
avoir un modèle causal du changement, linéaire et mécaniste,
ou très complexe. Quelle est la part, s’il y en a une, de l’APP
? Se combine t-elle avec d’autres éléments, lesquels,
quand, comment ? Il peut y avoir des facteurs externes au sujet (modifications
sociétales, institutionnelles - réformes -, évolution
du public, recomposition de la culture et de l’identité professionnelle,
spécificité de telle classe, de tel établissement, de
telle zone, opportunité d’une équipe, effet-formation
etc.) ; et des facteurs internes, conscients ou inconscients (roman familial,
expérience, âge ...).
- Comment vérifier cette hypothèse ? Par des observations ?
Mais comment observer un changement ?
+ Mais qu’est ce qu’observer un changement de pratique ? Quels
sont les critères pertinents du changement. Et l’écheveau
de sa (ses) causalité(s) ? Dans quel délai, compte-tenu que
le processus d’APP se fait dans le temps ?
+ S’il n’y a pas eu modification, est-ce parce que l’APP
n’apporte rien, ou parce qu’elle a été mal faite
?
+ S’il y a eu modification, est-ce à cause de l’APP, ou
d’autres facteurs ? Et dans quelle proportion ?
- L’APP peut avoir des effets : en matière de connaissance de
soi, de compétences à analyser. Mais pas forcément en
modifiant la pratique. On fait le pari qu’accroître l’intelligibilité
donne des points d’appui. Est-ce suffisant ? Est-ce même nécessaire
?
- Ce qui est par ailleurs interrogé, c’est l’écriture
sur sa pratique.
Qu’est ce que l’écriture amène de spécifique
par rapport à d’autres méthodes d’APP. ? Y a-t-il
un plus d’intelligibilité (par la précision du
texte -cohésion et cohérence-, sa nature, sa trace, son objectivation
etc.) qui accroîtrait l’opérativité ? En
quoi l’écriture favorise-t-elle des prises de conscience ? En quoi
une prise de conscience peut-elle être utile pour l’action ?
Michel Tozzi.
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