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La description : quelle place en cours de philo ?
Posted By admin On 31 mars 1999 @ 13:03 In Sur la didactique de l'apprentissage de philosopher | No Comments
La " commande didactique ", en classe de philosophie, ne semble guère à première vue laisser de place à la description, notamment dans la dissertation, forme canonique en France de l’apprentissage de la pensée.
Nous avons dans nos travaux défini la matrice du philosopher comme " l’articulation étroite, sur un problème essentiel pour tout homme, … et dans le mouvement et l’unité d’une pensée impliquée, de processus de problématisation d’affirmations, de conceptualisation de notions, et d’argumentation de thèses et d’objections "1
.
On conviendra aisément que décrire ne consiste ni à interroger ni à raisonner. Quantà la conceptualisation, elle convoque la pensée abstraite, alors que la description apparaît comme une verbalisation d’informations ou de perceptions -réelles ou fictives- d’ordre sensoriel, sensible, spatio-temporel, concret.
Et de fait la Logique de Port Royal (2ème partie, chap. XVI), distingue soigneusement la définition, qui vise l’exactitude et l’essence des choses, de ladescription, " qui donne quelque connaissance d’une chose par les accidents qui lui sont propres, et qui la détermine assez pour en donner quelque idée qui la discerne des autres ".
" L’horloge est l’objet que voici, sur le mur entre deux fenêtres ". L’approximation suffit pour reconnaître. Mais non pour connaître, car elle porte sur les accidents, qui peuvent disparaître sans destruction du sujet (ex :la jeunesse pour l’homme), et non sur les attributs, qui seuls délimitent le caractère essentiel de sa substance (ex : la pensée). Nominale et non conceptuelle, elle n’a donc de valeur ni logique ni ontologique (car elle s’en tient à la représentation, l’apparence phénoménale, et non à l’essence de la " chose en soi "( Kant).
Le célèbre passage du morceau de cire de Descartes montre bien enquoi la description sensible de l’objet râte ce qui perdure au-delà de ses variations sensorielles. La description est condamnée par une certaine théorie de la connaissance : si les sens ou l’imagination décrivent, seul l’entendement connaît, parce que seul il conçoit.
Husserl va au contraire accorder un crédit philosophique à la description. La phénoménologiedoit être une " psychologie descriptive ". " J’essaie … de montrer, de décrire ce que je vois " (Krisis I par 7). Il s’agit d’une " description directe de notre expérience telle qu’elle est, " non " d’expliquer ni d’analyser ". " Le réel est à décrire, et non pas à construire ou constituer ", car la perception n’est pas de " l’ordre du jugement, des actes ou de laprédication 2
".
Valorisation de la description parce que le phénomène ne renvoie pas à un être caché derrière. L’existant est " la série des apparitions qui le manifestent3
". La description vise à ramener (réduire) la chose vers ce qui la constitue comme chose, dans sa manifestation. On vise les essences, mais replacées dans leur existence même.
Sartre multipliera de son côté les descriptions pour rendre compte de l’existentiel, qui ne peut précisément se concevoir puisque " l’existence précède l’essence ". La descriptionpermet ainsi la connaissance de ce que la raison impuissante ne peut atteindre.
Dans la description par exemple du garçon de café, c’est le texte qui nous fait découvrir, moins pédagogiquement que par sa précision concrète même, qu’il s’agit d’un personnage façonné par l’habit d’une fonction qui structure sa relation à autrui, et qui met librement, dans une telle situation, du jeu entre lui etlui-même, entre lui et les autres.
La description apparaît donc comme une figure ambiguë en philosophie. Pour les uns, " définition " approximative des objets de pensée, approche trompeuse issue de la " connaissance " sensible du réel, ou des faux-semblants de l’imagination fictionnelle (raison pour laquelle Platon condamnait la poésie). Et pour les autres méthodeinstructive, parce qu’elle exprime la manifestation des choses, l’existentialité des conduites humaines, l’indicible de la raison, l’universalité au sein de la singularité spatio-temporelle.
Quelles conséquences en tirer pour une didactisation de l’apprentissage du philosopher ?
Si l’on veut entraîner les élèves à l’abstraction de la pensée, l’effort de conceptualisation doit viser des tentatives de définitions rigoureuses. Il vaut mieux définir l’homme comme un " animal raisonnable ", par la recherche du genre, de la différence spécifique, de l’attribut, que comme un " bipède sans plume ni poil ", formule certes pittoresque, qui permet de reconnaître qui c’est, mais non de connaître ce qu’il est vraiment.
Par ailleurs d’un point de vue argumentatif, où la raison philosophique doit viser l’universalité de son propos, on ne peut apporter de preuve par la description d’un exemple concret, qui reste toujours singulier, et sera contredit par un autre exemple (seul le contre-exemple peut débouter une généralisation abusive).
Nous voyons cependant deux cas où la description peut s’avérer utile dans une dissertation :
1 – Voir par exemple " Contribution à l’élaboration d’une didactique de l’apprentissage du philosopher ", Revue Française dePédagogie n°103, INRP, 1993. Ou Penser par soi-même, chronique sociale, Lyon et Bruxelles, 1994.
2 – Merleau-Ponty, Avant propos de La Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945.
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