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Comment formuler un sujet philosophique ?

Posted By admin On 31 mai 2000 @ 11:05 In Sur la didactique de l'apprentissage de philosopher | No Comments

Spontanément, c’est à dire sans y réfléchir, nous utilisons les mots sans signification très précise des notions qu’ils véhiculent (Nous ne savons guère de quoi nous parlons), et nous répondons à des questions ( sous forme de prises de position, d’affirmations, de thèses) avant de nous les être clairement formulées…
Et si philosopher consistait à définir ce dont… on parle et à l’interroger ? Travailler la langue pour travailler la pensée, travailler la pensée par et sur la langue…
Nous proposons deux hypothèses :
– La façon dont on aborde un sujet dépend de la façon dont on le formule.
– L’engagement personnel (porter le sujet, habiter sa pensée) dépend au départ de l’adhésion à telle formulation, selon qu’elle nous parleplus ou moins (être habité par un problème).
D’où l’idée, à la fois pour que chacun s’investisse individuellement dans le thème, et pour commencer à collectivement débroussailller celui-ci, que chacun construise à l’aide du groupe sa propre formulation.
Plusieurs propositions sont faites par les participants au cours de l’échange :

1 – On propose un mot, parce qu’ilapparaît comme tout un programme : les " émotions " (ou " l’inhumain "). L’indétermination est maximale par rapport à toutes les notions avec lesquelles on peut le mettre en rapport, et toutes les questions que l’on peut poser à son sujet.
Par exemple, dans la discussion, émotion a été mis en rapport avec : corps, inconscient, pensée, raison, intelligence, autrui, foule, foi,créativité, etc. Il faudra alors définir la notion, la distinguer d’autres, la mettre en relation…
Il y a aussi un choix : le mot est-il au singulier ou au pluriel ?
Le singulier renvoie à l’unité abstraite du concept (" l’émotion "), au-delà de la pluralité de ses manifestations concrètes. Interroger sera le définir : par ce qu’il n’est pas ou ce dont il est proche(d’où des distinctions conceptuelles. Ex : émotion / sensation, sentiment / passion / affect / affectivité / émotivité / sensibilité, etc.) ; par ce qui le caractérise, ses attributs. On peut poser des questions à propos de ou sur des notions, sans d’abord les définir, mais l’exigence de définir arrivera tôt ou tard. On met ici l’accent sur la compréhension du concept.
Le pluriel (" les émotions ") renvoie à la diversité de la notion, ses différentes manifestations concrètes, ou espèces. On travaille plutôt ici le concept en extension : énumération des différentes émotions, comparaisons entre elles (ex : les émotions / plaisir et les émotions / peines). Reste entière la nécessité dedéfinir chaque émotion, et surtout ce qu’il y a de commun à toutes, qui nous renvoie au singulier.

2 – On pose plusieurs mots coordonnés par " et ", ou une virgule :
– s’il y a deux mots (" émotion et pensée "), on est poussé par la formulation à étudier la relation entre les deux notions, ce qui est plus restrictif, et délimite le champ de la réflexion, par rapport à l’ouverture antérieure, plus indéterminée, qui balaye large, mais risque de disperser. On est aussi amené, pour cerner cette relation, à proposer des questions : " L’émotion est-elle un obstacle à la pensée ? " , ou " l’émotion nourrit-elle la pensée ? ". On est amené tôt ou tard à préciser le sens de chaque notion, puisque le sens d’une question dépend de celui des notions qu’elle articule.
– - S’il y a trois mots, le problème se complique. Ex : " émotion, vie et pensée "). Il y a à la fois élargissement et complexification. On peut ajouter vie à pensée parce que c’est moins restrictif, la pensée étant une des formes de la vie ; ou pensée à vie, parce quecelle-ci semble trop large et que l’on veut à moment donner spécifier. Ce qui compte, c’est de mettre en relation : émotion et vie, émotion et pensée. Mais on ne pourra pas faire à moment donné l’impasse sur la différence entre vie et pensée.

3 – On pose une expression, avec un point ou une question ; " Vivre avec ses émotions ( ? ) "(ou " Etre en accord avec sesidées ", ou " Prendre en compte le réel "). Ce n’est plus une notion puisqu’il y a plusieurs éléments en relation. Mais c’est plus déterminé que " vie et émotion ", puisqu’il y a un type de relation proposé ici : " avec ". Il faut donc examiner et la définition de chaque notion et le type de relations induite par l’expression. L’expression appelle aussi des questions qui vontla modaliser dans tel ou tel sens (" Faut-il ? Peut-on ? Dans quelle mesure peut-on ? En quel sens peut-on dire qu’on vit avec… ? comment ? ").

4 – On propose une question : " Comment vivre avec ses émotions ? ". " Peut-on travailler avec ses émotions ? ". "L’émotion s’éduque-t-elle ? ". "L’émotion est-elle une confusion pour la pensée ? ". " Y a-t-ilune intelligence des émotions ? ". " L’émotion permet-elle de connaître (par opposition à savoir) ? ". " La montée de l’individualisme change-t-elle le rapport à nos émotions ? ". J’ajoute : " L’émotion a-t-elle un âge ? un sexe ? ".
Sur chaque question, quels sont les champs à travailler ? Ex : éthique, esthétique, politique… ?

5 – Cepourrait être aussi une citation. On a parlé de Hegel : " Rien de grand ne se fait sans passion ", ou de Bergson.

Il y a eu dans la discussion des approches physiologique (émotion et corps), psychanalytique (émotion et inconscient, somatisation), historique (ex : l’histoire des larmes), sociologique (émotion individuelle, émotions collectives), anthropologique (" l’enthousiasme "religieux, la transe…).
On a interrogé l’histoire de la philosophie (ex : le daimon socratique, la dévalorisation de l’émotion dans la tradition rationaliste comme obstacle à la connaissance et à la sagesse, par le biais du corps opposé à l’âme ou à l’esprit).
Quelle approche philosophique (et non biologique ou des sciences humaines) peut-on faire de l’émotion ?
C’estl’enjeu des quatre prochaines séances.

Michel
Atelier d’écriture philosophique 31/ 01/ 2000


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