Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Formation à  un débat démocratique exigeant en ECJS

Il est paradoxal que ceux qui doivent apprendre aux élèves la « méthodologie du débat argumenté », les enseignants, et ceux qui doivent former les enseignants à cet effet, les formateurs, n’aient pas été eux-mêmes formés au débat?

Dans un tel type de formation, que l’on peut ensuite transposer avec les élèves, il nous semble nécessaire au départ de…

favoriser l’émergence et la confrontation des représentations des stagiaires sur le débat. Souvent apparaissent alors les usages sociaux d’un débat-combat, où l’on cherche à lutter contre (le débat « éristique » selon Aristote), où l’autre est un adversaire que l’on cherche à (con-)vaincre. Les pratiques sociales de référence convoquées sont celles du débat médiatique,où

- soit l’on juxtapose des points de vue disparates sans interaction réelle, avec un journaliste qui coupe, moins préoccupé de ce que les participants apportent que de la gestion du temps et du nombre de personnes dont il faut entendre une phrase, où l’on donne le primat au témoignage vécu sur l’argumentation, et où personne n’a le temps de développer une thèse consistante ;

- soit, et c’est ledébat électoral, les protagonistes cherchent à se « tuer », sans jamais prendre en compte la pertinence du point de vue antagonique, en visant uniquement à marquer des points pour un auditoire susceptible de voter pour eux.

Sont-ce ces pratiques de références que l’école, dans sa finalité formatrice, doit didactiser ? Ou plutôt une pratique scolaire où l’on passe du lutter contre au chercheravec (le débat « heuristique »), où se pratique une « éthique communicationnelle » (Habermas), où l’exigence intellectuelle, qui élabore une formulation précise de la question posée (problèmatisation), qui circonscrit les termes du problème (conceptualisation), qui fonde rationnellement une thèse ou une objection, doit assurer la qualité du débat démocratique.Pour nous, c’est une option éducative ?éthique et politique- il s’agit de former un  « citoyen réflexif », qui sache échapper, sans angélisme certes, à la rhétorique creuse, la sophistique tueuse, et la doxologie molle où l’on dit ce que l’on « pense » sans souci de penser ce que l’on dit, où le droit démocratique d’expression n’a pas pour contre partie le devoir intellectuelde réflexion.

FAIRE VIVRE UN DISPOSITIF DEMOCRATIQUE

Une fois clarifié cette idéal régulateur du « débat citoyen scolaire », nous pensons nécessaire de faire vivre en formation aux stagiaires des discussions à visée démocratique, et de les analyser avec eux, pour leur donner envie de les transposer dans leurclasse.

Vivre de telles situations, dans le groupe en formation, et les analyser à partir du regard croisé des acteurs, nous semble susceptible de modifier leur représentation d’une discussion démocratique exigeante, et de donner du sens à un dispositif qui voudrait articuler la maîtrise orale de la langue dans son genre débat, l’éducation à la civilité et à la citoyenneté, l’apprentissage decompétences réflexives, et la construction identitaire de sujets parlant-pensant. Par ailleurs expérimenter et analyser plusieurs rôles successifs dans le débat (exemple : président de séance, reformulateur, synthétiseur, discutant, observateur etc.) permet de mieux comprendre les difficultés auxquelles seront confrontés les élèves (parce qu’on en vit certaines soi-même), la logique des tâchesconstitutives de chaque fonction, les compétences spécifiques qu’elles développent. Ainsi peut s’accroître la compétence de l’enseignant à concevoir, mettre en oeuvre dans sa classe et analyser un tel dispositif.

Afin de donner du sens à la situation proposée, il s’agit d’abord d’ expliciter les objectifs poursuivis  :

- devenir capable de faire discuter les élèves avec desexigences intellectuelles, en apprenant soi-même à discuter réflexivement;

- savoir organiser en classe un débat démocratique, avec répartition du pouvoir du maître sur des fonctions diversifiées, en vivant et analysant soi-même une discussion qui se veut démocratique par ses règles procédurales et son éthique communicationnelle.

Puis seront décritesles différentes fonctions qui vont être convoquées, pour que chacun se pénètre de leur logique sociale et cognitive d’acteur. Nous proposons (mais on peut simplifier, ou en trouver d’autres) :

a) Le président de séance. Son rôle est :

- de répartir démocratiquement la parole dans le groupe à partir de règles explicites : on ne prendpas spontanément la parole ; elle est demandée et donnée par le président de séance par ordre d’inscription à partir de mains levées, et en prononçant le prénom. Il y a exception à cette règle pour ceux qui ne se sont pas encore exprimés dans le débat (pour que le maximum participent) : ils sont prioritaires ; mais ils perdent ce droit dès qu’ils sont intervenus ! Leprésident peut aussi vers la fin demander leur avis à ceux qui n’ont pas encore parlé ;

- de veiller à ce que personne ne se moque ou applaudisse, ni ne se coupe ; pour que l’échange se passe dans le calme, l’écoute et le respect mutuel ( régulation psycho et socio-affective du groupe, ? discipline ?, droit égal de tous à s’exprimer, quel que soit son point de vue,éthique de la discussion ) ;

- de gérer le temps du débat  : par exemple, dans un débat de 50′, il donne à + 20′ la parole au synthétiseur pour une synthèse partielle, et à + 45′ pour la synthèse finale. Il arrête la séance au moment prévu ;

- de ne pas intervenir sur le fond. Il gère la forme du débat.

b)Le reformulateur. Son rôle est, dans un débat qui a souvent tendance à partir dans tous les sens en fonction des interventions différentes et de l’ordre d’inscription (où l’on peut répondre à quelqu’un qui a parlé plusieurs tours avant), de construire du sens (au double sens du mot : injecter de la signification et construire une direction), en mettant notamment en relation :

- lecontenu des interventions avec le sujet, la question posée, en pointant les apports significatifs et nouveaux pour qu’il y ait progression des idées ;

- les interventions entre elles, pour montrer en quoi elles se répondent, se contredisent ou se complètent, changent de registre ou déplacent le problème. Il est utile aussi qu’il nomme les processus de pensée en coursen relation avec le fond, pour situer les interventions : voilà une question, une thèse, un argument, une objection, un exemple, un contre-exemple etc.

Il a enfin une fonction de relance du questionnement, de recentrage sur le sujet ou de recadrage de la question.

c) Le synthétiseur. Son rôle est de ne pas intervenir pendant la discussion, afin de pouvoir écouter tous les participants(exhaustivité), comprendre ce qu’ils disent (fidélité), garder trace de leur pensée, en prenant quelques notes. Et de se préparer à restituer leurs propos : en allant du plus simple (se contenter de redire ce qui a été dit dans l’ordre chronologique : cela remet en tête, mais c’est long, et on a une impression de répétition), au plus complexe : faire une véritable synthèse, que ne retient quel’essentiel, restructuré par rapport au thème traité, ce qui suppose une structuration tout en écoutant et prenant des notes ! C’est lui qui ramasse tout ce qui a été dit par le groupe pour lui renvoyer l’image d’un intellectuel collectif qui produit.

d) Le discutant. Son rôle est de construire sa pensée sur le sujet et de dire son approche. Il est souhaitable qu’il s’exprime, sinon le débat cesse fautede discutant. Il doit se positionner par rapport à la question dans une dialectique entre le face à face avec soi et la confrontation à autrui, entre le devoir de parler et le droit de se taire.

e) L’observateur. En retrait spatial vis à vis du groupe, il ne participe pas aux échanges. Il prélève des informations sur des points ciblés, pour focaliser son attention et accumuler des éléments pourl’analyse ultérieure. Il peut ainsi y avoir plusieurs observateurs :

- sur le dispositif même du débat : observation de l’un des rôles (ex : reformulateur) ou de plusieurs (ex : président de séance puis synthétiseur quand il a la parole) ; ou de la dynamique du groupe (qui parle à qui, combien de fois ? climat de la discussion etc.) ;

- sur les processus depensée activés pendant le débat, qui garantissent sa réflexivité : interroger, définir, fonder ou objecter ? Il est important de fournir quelques critères d’observation. Ex : typologie donnée ou à construire des interventions du reformulateur (redit, généralise, nomme un processus, recentre, interroge à la cantonade, demande une précision nominative etc.) ; respect de l’ordre desmains levées, des exceptions pour les nouveaux, du temps pour le président.

C’est à cette occasion que sont explicités les trois repères pour juger de la visée réflexive d’une discussion :

- interroge-t-on la question posée, les affirmations produites, s’interroge-t-on soi-même devant le groupe en tant que discutant  (processus de problématisation ) ?

-Essaye-t-on de savoir vraiment de ce dont on parle, de se donner des significations communes, de conceptualiser des notions, de leur donner un contenu précis, de faire des distinctions conceptuelles (processus de conceptualisation ) ?

- Cherche-t-on à fonder rationnellement ce que l’on avance, à savoir si ce que l’on dit est vrai, à déconstruire non pour avoir raison de l’autre, mais pour aller ensemble plus loin (processus d’argumentation ) ?

Bref est-on dans une communauté de recherche, où l’on questionne, propose sa thèse à faire discuter dans le groupe, où l’objection est un cadeau intellectuel pour davantage fonder son point de vue?

Les observateurs sont ainsi amenés à repérer dans la discussion les moments plutôt problématisants (à base de questionnement),plutôt conceptualisants (où l’on distingue et définit les notions), plutôt argumentatifs (où l’on asseoit une thèse ou soulève une objection à l’aide d’arguments) ?

Une fois les objectifs explicités, les fonctions décrites, les processus réflexifs définis, arrive le moment délicat de prise de responsabilité, larépartition des fonctions dans le groupe en notant fonctions et noms au tableau, puis l’aménagement de l’espace de façon fonctionnelle : les coanimateurs (P.S, R. et S.) sont à côté sur une face d’un carré, dos au tableau ; les discutants se disposent sans trou sur les trois autres faces, et mettent en cavalier leur prénom devant eux pour faciliter la tâche du président ; les observateurs se décalentà l’extérieur, en vis-à-vis de ceux qu’ils observent ?

Dans toute cette phase de mise en place, on peut introduire bien des variantes suivant les objectifs poursuivis et son imagination pédagogique. Exemples :

- Le président peut demander à chaque représentant d’un point de vue préparé à l’avance individuellement ou en groupe de s’exprimer avant d’enclancher le débat ; d’entendre un despoints de vue puis de le faire discuter avant de passer à un autre ; chaque discutant peut aussi être appelé, en début (échauffement) ou en fin de débat (bilan personnel), à écrire quelques phrases personnelles sur la question posée (ce qui permet d’articuler des écrits à la phase orale de la discussion). Il peut commencer ou finir, si le groupe n’est pas nombreux, par un tour de table. Il peut se contenter àla fin, de la perche tendue d’un ? tour de table de muets ?, avec droit de passer son tour etc.

- La fonction de reformulateur étant complexe, le formateur ou l’enseignant peut la première fois exercer ce rôle, pour offrir un matériau d’analyse sur les exigences intellectuelles à introduire (précisons qu’il y a là un exemple à analyser, non un modèle à imiter !). Mais cette fonction doitultérieurement tourner dans le groupe.

- Il peut y avoir un seul synthétiseur ou plusieurs. Par exemple un synthétiseur pendant les vingt premières minutes qui fait une synthèse partielle, et un second pendant les vingt dernières. Le premier synthétiseur peut devenir discutant pour la deuxième partie du débat et inversement, ce qui permet de vivre en une séance deux fonctions, et d’analyser avec le changement leurlogique respective. La dernière synthèse peut être la synthèse de la dernière partie du débat ou celle de sa totalité etc.

- Le nombre d’observateurs est variable en fonction du nombre total des stagiaires ou d’élèves. Ne doit pas être négligé, en sus des fonctions exercées et de la dynamique du groupe, l’observation des processus de pensée.

On peut introduire aussi d’autresfonctions, comme un responsable du micro ou d’une vidéo, si l’on veut utiliser pour l’analyse des enregistrements ; ou des secrétaires de séance, qui feront à froid une synthèse de la discussion distribuée à la prochaine séance (transposition en classe, qui permet aussi d’articuler oral et écrit : des journalistes écrivent un article pour le journal de classe ou d’école). Biendistinguer un bilan personnel où l’on fait le point sur sa propre pensée et une synthèse qui rend compte d’un débat collectif.

Le débat peut alors commencer, en un temps limité (45′), de manière à garder une heure pour son analyse.

L’ANALYSE DU DEBAT

Cette phase métacognitive et métadiscursive est un temps fort pour la formation, car c’est un moment deverbalisation du ressenti des fonctions, d’analyse du groupe de discussion, de conscientisation et d’appropriation des processus réflexifs.

Il me semble plus pertinent méthodologiquement de donner la priorité de parole aux acteurs, car si les observateurs interviennent en premier, les acteurs, au lieu d’analyser leur vécu affectif, social et cognitif, réagissent aux rapports d’observation, et tiennent des discours défensifs de rationalisation aposteriori (tout élément d’ analyse est pris spontanément pour un jugement de valeur vis-à-vis duquel on tend à se justifier).

? En tant que président de séance ?, comment analyses-tu la logique de ta fonction, les difficultés rencontrées, les compétences requises, les points d’appui ? ?. La présidence de séance est souvent vécue commeun pouvoir qui incarne l’autorité, la discipline, celui de décider qui parle. C’est un rôle à investir, dans lequel il faut s’affirmer, s’imposer au groupe, assumer ce pouvoir. La délégation explicite du formateur (du maître), la place symboliquement occupée au tableau peuvent aider, mais il faut se sentir à l’aise dans cette fonction d’importance.

Il est aussi vécu comme uneresponsabilité  : veiller à la liberté de chacun de s’exprimer et à l’égalité de tous devant la parole (il n’y en a pas de plus ? égaux ? que d’autres), faire respecter des règles et des tours d’intervention garantissant le droit d’expression, un climat d’écoute permettant la pluralité des opinions. La présidence est une fonction démocratique par excellence, car c’est uneautorité qui interdit et autorise.

Les difficultés peuvent être de ne pas pouvoir parler quand on a envie de réagir à ce qui se dit, de ne pas savoir à qui donner la parole en premier quand plusieurs mains se lèvent à la fois. De ressentir la pression de quelqu’un qui, frustré, veut intervenir de suite, et à qui ce n’est pas encore le tour, de ne pas enregistrer ceux qui sont sur les côtés, si l’on nebalaie pas visuellement et systématiquement le groupe, d’oublier la priorité à ceux qui ne sont pas intervenus, ou du moment auquel donner la parole au synthétiseur. On peut être géné par le silence du groupe, au départ, et de temps en temps : que faire ? Avoir un échauffement à réguler  ou voir certains ne pas s’exprimer, ou toujours les mêmes lever la main, ou la frustration de ne plus entendre cequi se dit quand on est centré sur la forme.

Ce qui peut faciliter le rôle, c’est le fait d’avoir les prénoms écrits pour pouvoir nommer les gens ; que les discutants respectent les règles ; qu’il y en ait peu qui s’investissent à la fois ; la notation successive des demandeurs, que l’on barre quand ils ont parlé ?

La reformulation, est très difficile : il faut écouter chaqueintervention et la comprendre ; voir en quoi elle amène quelque chose d’intéressant et de nouveau par rapport à la question traitée ; ce qui détournerait du sujet, ou qui est mineur dans son contenu ; garder en mémoire les interventions précédentes pour faire du lien et construire une progression ; repérer et dire comment elles se situent par rapport aux exigences intellectuelles d’une discussion; mais ne pas lesjuger sur le fond ; s’abstenir de dire son point de vue personnel et ne faire objectivement alliance quant au contenu avec personne, sinon les interactions entre pairs se réorientent vers soi ; recadrer, recentrer, relancer le questionnement, demander des précisions etc.

Fonction d’autant plus complexe que les interventions sont hors-sujet ou sans lien entre elles (comment faire sens ?) ou trop longues ( comment résumer ?), que l’on se cantonneà du vécu, des exemples, des anecdotes, des opinions banales, (comment élever le débat ?) ; qu’elles font allusion à une culture savante non partagée dans le groupe (comment expliciter sans rallonger ?) ; que l’échange est passionnel (quel est le fondement rationnel ?) ?

Mais elle développe sans conteste des capacités d’écoute, de décentration, de compréhension des proposd’autrui et de la logique de son discours, d’intelligence des relations entre les idées, de construction d’une progression dans un échange collectif, d’interpellation intellectuelle d’un groupe et des individus qui le composent, d’appropriation fine des processus de pensée ?

Le synthétiseur exprime sa difficulté à écouter, comprendre et prendre en même temps des notes sur ce qui se dit ; à ne pasprivilégier les idées proches des siennes mais à s’ouvrir à la dissonance ; à dépasser des notes et un rapport sur une base chronologique, à structurer et restructurer au fur et à mesure qu’il écoute et note ; à sélectionner les idées-clés par rapport au sujet au regard de l’accessoire et à ne noter que l’essentiel ; à rendre compte en un temps court et à chaud àl’oral en s’appuyant sur des notes brouillonnes ?

Il est souvent frustré de ne pas pouvoir intervenir, mais reconnaît que le rôle l’a forcé à écouter, à tenter de comprendre, à apprendre à faire des liens, à prendre des notes, à résumer l’essentiel, à s’exprimer en public à partir de notes, à articuler exhaustivité sur l’essentiel et fidélité à la paroled’autrui. Sa responsabilité est de ressaisir intellectuellement le travail du groupe, le donner à voir comme un produit collectif, et non comme une juxtaposition de positions. Alors que le reformulateur travaille à la progression collective du débat, le synthétiseur acte les avancées partielles, ou résume l’ensemble, en renvoyant au groupe l’intelligence de sa production. Deux fonctions qui contribuent à donner du sens, de lacohésion à un débat souvent éclaté.

Le discutant peut éprouver des difficultés à entrer dans le débat : s’exprimer en public, risquer une pensée contestable, ne pas trouver le moment opportun, le biais pour s’introduire, se sentir minoritaire sur sa position, ne pas être au clair sur le sujet, bombardé par nombre d’interventions différentes, difficiles à comprendre,trop rapides à suivre… Il peut être prisonnier de sa préparation, qui le rend indisponible au point de vue de l’autre, ou facilement déstabilisé. Il n’est pas évident de rassembler ses idées tout en écoutant autrui et de les écouter en réfléchissant soi-même, de construire une intervention dans sa tête, de la garder en mémoire pendant que les autres parlent encore en attendant son tour, del’articuler précisément à la question posée, de la relier aux interventions qui précèdent, en particulier la dernière, pendant laquelle on est pris par ce que l’on va dire?. La question peut être floue, la formulation surprenante, les notions indéterminées, la réponse problématique. Il faudrait du temps et de la solitude pour réfléchir, et l’on est dans un flot de paroles et d’idées, avecl’urgence de se déterminer, de réagir ? On peut se taire, bafouiller, être déstabilisé.

Ce qui peut aider, c’est de réfléchir avant, d’avoir préparé, ou d’avoir un temps individuel de silence avant la discussion, d’être interpellé si l’on se tait par le président (mais cela peut aussi bloquer), de s’appuyer sur les reformulations ou une synthèse qui clarifient, d’avoir vu la question s’articuler,les concepts se définir, sentir monter une prise de position après certaines interventions qui encouragent ou provoquent ? L’art du discutant c’est de construire une pensée sur une question, à partir de sa préparation, mais en tenant compte de l’interaction verbale cognitive. Une pensée très dialogique, parce qu’elle se nourrit des apports différenciés des individus du groupe, créative par l’urgence de la confrontationà l’altérité incarnée.

L’ observateur peut être frustré de ne pouvoir intervenir sur le fond quand il aurait envie de réagir, se sentir exclu du groupe par son retrait spatial et langagier. Observer n’est pas spontané : c’est une posture construite, un apprentissage qui demande un investissement particulier, une façon inhabituelle d’être là, une activité intense dans l’apparenteabsence. Le caractère ciblé de son observation, méthodologiquement nécessaire pour focaliser l’attention, le rend sourd et aveugle à certains phénomènes : à observer les comportements, on n’entend plus ce qui se dit ; à observer quelqu’un, on n’entend ni ne voit les autres ; à être attentif aux processus de pensée, on perd le groupe de vue et inversement etc.

Le gain de cette perte, c’estl’apport d’informations précises, observables, quantifiables, ou qualitativement plus fines sur ce qui est observé : le président qui ne voit pas une main levée, qui a dépassé le temps de la première synthèse, qui s’inquiète de quelqu’un qui ne parle pas, qui laisse filer les interventions en délaissant son rôle etc. ; le reformulateur qui fait suivre le résumé d’une intervention d’une questionà la cantonade, qui alterne questions au groupe et nominatives, qui lance une provocation, qui ne regarde pas celui qu’il reformule pour ne pas le relancer, qui demande ?  D’accord ou pas d’accord ? ? etc. ; les discutants, dont le regard alterne entre président et reformulateur, qui prennent la parole spontanément sans lever la main, qui rentrent en relation duelle avec un participant, qui se taisent, qui posent une question au groupe etc. ; ungroupe silencieux, au rythme lent, ou qui s’échauffe, respectueux ou qui s’énerve ; une phase d’appropriation de la question, où l’on cherche à définir les termes, à les mettre en relation, suivie de prises de position avec une logique plus argumentative, ou une alternance de ? moments ? problématisants, conceptualisants, argumentatifs ? Une synthèse plutôt chronologique, qui reprend même qui a dit quoi,assez longue, juxtapositive et qui fait peu de liens avec le sujet et entre les interventions, ou plutôt logique, très résumée, avec quelques idées fortement articulées entre elles par rapport à la question posée etc. C’est la finesse des observations faites qui fait la qualité des analyses, et donc des prises de conscience.

L’objectif de ce moment métacognitif, animé par le formateur ou l’enseignant, quiveille à ce que l’on ne reparle pas du fond, mais de ? comment ça s’est passé ?, est de produire de l’intelligibilité sur le genre ? discussion démocratique intellectuellement exigeante?. Il s’agit de construire collectivement de l’ ? analyse  ?, en évitant soigneusement tout ?  jugement  ? de valeur.

Non pas si ? ça s’est? bien ? ou ? mal ? passé ?, où le vécu gratifiant ou désagréable se transforme en évaluation positive ou négative, et où l’on travaille sur le normatif, qui empêche de fait, pris dans le vécu affectif ou l’idéal normalisateur, de comprendre et d’expliquer le réel. Et non pas le ? tu devrais ?, tu ? pourrais ?, quiporte sur l’avenir à partir des disfonctionnements ressentis ou constatés, le ?  conseil  ?, qui va directement aux solutions avant même d’avoir approfondi la situation.

 

LA QUESTION DU TRANSFERT EN CLASSE

On le voit, ce double moment de la formation d’enseignants, qui doit être vécu plusieurs fois dans des rôles différents, vise :

- à mettre personnellement en actedes logiques de fonction pour vivre les difficultés inhérentes à leur tâche, compte-tenu de la spécificité de la nature de chaque activité demandée, et des compétences qu’elle implique et développe ;

- à s’entraîner à analyser le déroulement d’une discussion pour en comprendre les tenants et les aboutissants, le cadre et les exigences.

Ces deux phases dediscussion puis d’analyse gagnent à être suivies d’une réflexion sur le transfert possible en classe. Bien des éléments sont communs aux deux situations : un groupe interactif discussionnel qui échange ratonnellement sur une question vive. La difficulté vient des différences entre un groupe d’adultes en formation et une classe en situation scolaire ! Il faut bien travailler ces différencespour éviter les déconvenues dues à une application trop ? mécanique ? du dispositif : il faudra se ? bricoler ? le sien, dans un tâtonnement qui peut être motivé mais parfois douloureux, parce qu’on est en apprentissage? C’est l’enjeu qui doit soutenir la motivation : le rôle de l’école pour former un citoyen réflexif dans le cadre de dispositifs partageant le pouvoir du maître danssa classe !

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