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La formation à la communauté de recherche en philosophie avec les enfants

Posted By admin On 30 novembre 2001 @ 19:11 In Quelle formation ? | No Comments

Dès lors que l’on approuve l’innovation de discussions à visée philosophique à l’école primaire, il nous semble nécessaire, en l’absence actuelle de formation au débat et à la philosophie des professeurs d’école , d’accompagner ces nouvelles   pratiques par la formation initiale et continue des enseignants volontaires ( parcours personnalisés ou options pour les PE2, stages du PDF ?).

Dans les…

stages que nous organisons à cet effet, nous utilisons :

- l’émergence et la confrontation des représentations des stagiaires sur le philosopher comme processus de pensée, la discussion comme pratique sociale, et la discussion philosophique comme concept à élaborer ;

- des apports sur cette notion de discussion à visée philosophique, et la façon dont elle tente de s’opérationnaliser avec des enfantsà travers différents courants de pratiques en France et à l’étranger (U.S.A. , Québec et Belgique notamment) ;

- le visionnage et l’analyse de pratiques diversifiées en cycle 2 et 3.

Mais nous pensons nécessaire de faire vivre en formation aux stagiaires des discussions à visée philosophique , et de les analyser avec eux, pour leur donner envie de les transposer dans leur classe.

Vivre de tellessituations, dans le groupe en formation, et les analyser à partir du regard croisé des acteurs, nous semble susceptible de modifier leur représentation d’une discussion philosophique, et de donner du sens à un dispositif qui voudrait articuler la maîtrise orale de la langue dans son genre débat, l’éducation à la civilité et à la citoyenneté, l’apprentissage de compétences réflexives, et la constructionidentitaire de sujets parlant-pensant. Par ailleurs expérimenter et analyser plusieurs rôles successifs dans le débat (exemple : président de séance, reformulateur, synthétiseur, discutant, observateur etc.) permet de mieux comprendre les difficultés auxquelles seront confrontés les enfants (parce qu’on en vit certaines soi-même), la logique des tâches constitutives de chaque fonction, les compétencesspécifiques qu’elles développent. Ainsi peut s’accroître la compétence de l’enseignant à concevoir, mettre en oeuvre dans sa classe et analyser un tel dispositif.

MISE EN PLACE DU DISPOSITIF

1 Afin de donner du sens à la situation proposée, il s’agit d’abord d’ expliciter les objectifs poursuivis  :

- devenir capable de faire discuter les élèves avec des exigences intellectuelles , en apprenantsoi-même à discuter philosophiquement ;

- savoir organiser en classe un débat démocratique , avec répartition du pouvoir du maître sur des fonctions diversifiées, en vivant et analysant soi-même une discussion qui se veut démocratique par ses règles procédurales et son éthique communicationnelle.

2 Puis seront décrites les différentes fonctions qui vont êtreconvoquées, pour que chacun se pénètre de leur logique sociale et cognitive d’acteur. Nous proposons (mais on peut simplifier, ou en trouver d’autres) :

    a) Le président de séance . Son rôle est :

•  de répartir démocratiquement la parole   dans le groupe à partir de règles explicites : on ne prend pas spontanément laparole ; elle est demandée et donnée par le président de séance par ordre d’inscription à partir de mains levées, et en prononçant le prénom. Il y a exception à cette règle pour ceux qui ne se sont pas encore exprimés dans le débat (pour que le maximum participent) : ils sont prioritaires ; mais ils perdent ce droit dès qu’ils sont intervenus ! Le président peut aussi vers la findemander leur avis à ceux qui n’ont pas encore parlé ;

•  de veiller à ce que personne ne se moque ou applaudisse, ni ne se coupe ; pour que l’échange se passe dans le calme, l’écoute et le respect mutuel ( régulation psycho et socio-affective du groupe, ? discipline ?, droit égal de tous à s’exprimer, quel que soit son point de vue, éthique de la discussion) ;

•  de gérer le temps du débat  : par exemple, dans un débat de 50′, il donne à + 20′ la parole au synthétiseur pour une synthèse partielle, et à + 45′ pour la synthèse finale. Il arrête la séance au moment prévu ;

•  de ne pas intervenir sur le fond. Il gère la forme du débat.

  b) Lereformulateur . Son rôle est, dans un débat qui a souvent tendance à partir dans tous les sens en fonction des interventions différentes et de l’ordre d’inscription (où l’on peut répondre à quelqu’un qui a parlé plusieurs tours avant), de construire du sens (au double sens du mot : injecter de la signification et construire une direction), en mettant notamment en relation :

•  lecontenu des interventions avec le sujet , la question posée, en pointant les apports significatifs et nouveaux pour qu’il y ait progression des idées ;

•  les interventions entre elles , pour montrer en quoi elles se répondent, se contredisent ou se complètent, changent de registre ou déplacent le problème. Il est utile aussi qu’il nomme les processus de pensée encours en relation avec le fond, pour situer les interventions : voilà une question, une thèse, un argument, une objection, un exemple, un contre-exemple etc.

Il a enfin une fonction de relance du questionnement , de recentrage sur le sujet ou de recadrage de la question.

  c) Le synthétiseur . Son rôle est de ne pas intervenir pendant la discussion, afin de pouvoir écouter tous lesparticipants (exhaustivité), comprendre ce qu’ils disent (fidèlité), garder trace de leur pensée, en prenant quelques notes. Et de se préparer à restituer leurs propos : en allant du plus simple (se contenter de redire ce qui a été dit dans l’ordre chronologique : cela remet en tête, mais c’est long, et on a une impression de répétition), au plus complexe : faire une véritable synthèse, quene retient que l’essentiel, restructuré par rapport au thème traité, ce qui suppose une structuration tout en écoutant et prenant des notes ! C’est lui qui ramasse tout ce qui a été dit par le groupe pour lui renvoyer l’image d’un intellectuel collectif qui produit.

  d) Le discutant . Son rôle est de construire sa pensée sur le sujet et de dire son approche. Il est souhaitable qu’il s’exprime, sinon ledébat cesse faute de discutant. Il doit se positionner par rapport à la question dans une dialectique entre le face à face avec soi et la confrontation à autrui, entre le devoir de parler et le droit de se taire.

  e) L’observateur . En retrait spatial vis à vis du groupe, il ne participe pas aux échanges. Il prélève des informations sur des points ciblés, pour focaliser son attention et accumuler deséléments pour l’analyse ultérieure. Il peut ainsi y avoir plusieurs observateurs :

•  sur le dispositif même du débat : observation de l’un des rôles (ex : reformulateur) ou de plusieurs (ex : président de séance puis synthétiseur quand il a la parole) ; ou de la dynamique du groupe (qui parle à qui, combien de fois ? climat de la discussion etc.) ;

•  surles processus de pensée activés pendant le débat, qui garantissent sa philosophicité : interroger, définir, fonder ou objecter ? Il est important de fournir quelques critères d’observation. Ex : typologie donnée ou à construire des interventions du reformulateur (redit, généralise, nomme un processus, recentre, interroge à la cantonnade, demande une précision nominative etc.) ;respect de l’ordre des mains levées, des exceptions pour les nouveaux, du temps pour le président.

3) C’est à cette occasion que sont explicités les trois repères pour juger de la visée philosophique d’une discussion :

•  interroge-t-on la question posée, les affirmations produites, s’interroge-t-on soi-même devant le groupe en tant que discutant  (processus deproblématisation ) ?

•  Essaye-t-on de savoir vraiment de ce dont on parle, de se donner des significations communes, de conceptualiser des notions, de leur donner un contenu précis, de faire des distinctions conceptuelles (processus de conceptualisation ) ?

•  Cherche-t-on à fonder rationnellement ce que l’on avance, à savoir si ce que l’on dit est vrai, à penser ce que l’on diten disant ce que l’on pense, à déconstruire non pour avoir raison de l’autre, mais pour aller ensemble plus loin (processus d’ argumentation ) ?

Bref est-on dans une communauté de recherche , où l’on (se) met en question, pose sa thèse comme une hypo-thèse à faire discuter dans le groupe, où l’objection est un cadeau intellectuel, où l’on ne cherche pas à (con-)vaincre, àlutter contre, mais à chercher avec ?

Les observateurs sont ainsi amenés à repérer dans la discussion les moments plutôt problématisants (à base de [ d'auto- ] questionnement), plutôt conceptualisants (où l’on distingue et définit les notions), plutôt argumentatifs (où l’on asseoit une thèse ou soulève une objection à l’aide d’arguments) ?

4 Une fois les objectifsexplicités, les fonctions décrites, les processus du philosopher définis, arrive le moment délicat de prise de responsabilité , la répartition des fonctions dans le groupe en notant fonctions et noms au tableau, puis l’aménagement de l’espace de façon fonctionnelle : les coanimateurs (P.S, R. et S.) sont à côté sur une face d’un carré, dos au tableau ; les discutants sedisposent sans trou sur les trois autres faces, et mettent en cavalier leur prénom devant eux pour faciliter la tâche du président ; les observateurs se décalent à l’extérieur, en vis-à-vis de ceux qu’ils observent ?

Dans toute cette phase de mise en place, on peut introduire bien des variantes suivant les objectifs poursuivis et son imagination pédagogique. Exemples :

•  Le président peutdemander à chaque discutant, en début (échauffement) ou en fin de débat (bilan personnel), d’écrire quelques phrases personnelles sur la question posée (ce qui permet d’articuler des écrits à la phase orale de la discussion). Il peut commencer ou finir, si le groupe n’est pas nombreux, par un tour de table. Il peut se contenter à la fin, de la perche tendue d’un ? tour de table de muets ?, avec droit de passer son touretc.

•  La fonction de reformulateur étant complexe, j’ai coutume la première fois d’être volontaire, pour offrir un matériau d’analyse aux stagiaires sur les exigences intellectuelles à introduire (Je précise qu’il y a là un exemple à analyser, non un modèle à imiter !). Mais cette fonction doit ultérieurement tourner.

•  Il peut y avoir un seul synthétiseur ouplusieurs. Par exemple un synthétiseur pendant les vingt premières minutes qui fait une synthèse partielle, et un second pendant les vingt dernières. Le premier synthétiseur peut devenir discutant pour la deuxième partie du débat et inversement, ce qui permet de vivre en une séance deux fonctions, et d’analyser avec le changement leur logique respective. La dernière synthèse peut être la synthèse de ladernière partie du débat ou celle de sa totalité etc.

•  Le nombre d’observateurs est variable en fonction du nombre total des stagiaires (il faut qu’il reste en sus du P.S., R. et S. sept à dix discutants !), mais m’apparaissent comme prioritaires l’observation des processus de pensée, puis du refomulateur qui veille à leur présence dans la discussion (on est plus habitué à un président ou unsecrétaire de séance dans les réunions?, et la dynamique collective relève de la gestion plus générale des groupes ?)

•  On peut introduire aussi d’autres fonctions, comme un responsable du micro ou d’une vidéo , si l’on veut utiliser pour l’analyse des enregistrements ; ou des secrétaires de séance, qui feront à froid une synthèse de la discussiondistribuée à la prochaine séance (transposition en classe, qui permet aussi d’articuler oral et écrit : des journalistes écrivent un article pour le journal de classe ou d’école).

5  Reste alors, avant de démarrer la discussion, à choisir le sujet du débat. Il est souhaitable de retenir un sujet susceptible d’intéresser aussi bien les enfants (car on pourra le reprendre en classe), que lesadultes présents. Beaucoup de questions métaphysiques s’y prêtent ex : ? Pourquoi dit-on c’est pas juste ? ?, ? Pourquoi meurt-on ? ?, ? Pourquoi dit-on c’est mal ? ?, ? Pourquoi la guerre ? ?, ? Est-ce qu’on est tous pareils ? ? etc.

Il est important que ce soit les stagiaires eux-mêmes qui choisissent le sujet pour être motivés (comme les enfantsen classe !), et qu’une majorité au moins se dégage pour l’aborder (on doit parfois choisir, voter).

Il s’agira d’une vraie discussion entre adultes, et non de jouer à une discussion entre enfants ! (Derniers sujets choisis : ? Qu’est-ce que grandir ? ?, et ? Peut-on faire de la publicité pour sa religion ? ?).

Le débat peut alors commencer, en un temps limité (45′), de manièreà   garder une heure à une heure trente pour son analyse.

L’ANALYSE DU DEBAT

Cette phase métacognitive et métadiscursive est un temps fort pour la formation, car c’est un moment de verbalisation du ressenti des fonctions, de conscientisation et d’appropriation des processus de pensée à visée philosophique.

Je donne méthodologiquement la priorité de parole aux acteurs, car si les observateursinterviennent en premier, les acteurs, au lieu d’analyser leur vécu affectif, social et cognitif, réagissent aux rapports d’observation, et tiennent des discours défensifs de rationalisation a posteriori (tout élément d’ analyse est pris spontanément pour un jugement de valeur vis-à-vis duquel on tend à se justifier).

? En tant que président de séance ? , commentanalyses-tu la logique de ta fonction, les difficultés rencontrées, les compétences requises, les points d’appui ? ?. La présidence de séance est souvent vécue comme un pouvoir ? celui de décider qui parle (les enfants disent ? le chef de la parole ?), qui incarne l’autorité, la discipline. C’est un rôle à investir, dans lequel il faut s’affirmer, s’imposer au groupe, assumer cepouvoir. La délégation explicite du formateur (du maître), la place symboliquement occupée au tableau peuvent aider, mais il faut se sentir à l’aise dans cette fonction d’importance.

Il est aussi vécu comme une responsabilité  : veiller à la liberté de chacun de s’exprimer et à   l’égalité de tous devant la parole (il n’y a pas de plus ? égaux ? qued’autres), faire respecter des règles et des tours d’intervention garantissant le droit d’expression, un climat d’écoute permettant la pluralité des opinions. La présidence est une fonction démocratique par excellence, car c’est une autorité qui autorise.

Les difficultés peuvent être de ne pas pouvoir parler quand on a   envie de réagir à ce qui se dit, de ne pas savoir à qui donner la parole en premierquand plusieurs mains se lèvent à la fois. De ressentir la pression de quelqu’un qui, frustré, veut intervenir de suite, et à qui ce n’est pas encore le tour, de ne pas enregistrer ceux qui sont sur les côtés, si l’on ne balaie pas visuellement et systématiquement le groupe, d’oublier la priorité à ceux qui ne sont pas intervenus, ou du moment auquel donner la parole au synthétiseur. On peut être géné par lesilence du groupe, au départ, et de temps en temps : que faire ? Avoir un échauffement à réguler  ou voir certains ne pas s’exprimer, ou toujours les mêmes lever la main, ou la frustration de ne plus entendre ce qui se dit quand on est centré sur la forme.

Ce qui peut faciliter le rôle, c’est le fait d’avoir les prénoms écrits pour pouvoir nommer les gens ; que les discutants respectent lesrègles ; qu’il y en ait peu qui s’investissent à la fois ; la notation successive des demandeurs, que l’on barre quand ils ont parlé ?

La reformulation , est très difficile : il faut écouter chaque intervention et la comprendre ; élever d’un cran son abstraction à partir d’un back-ground culturel ; voir en quoi elle amène quelque chose d’intéressant et de nouveau par rapportà la question traitée ; ce qui détournerait du sujet, ou qui est mineur dans son contenu ; garder en mémoire les interventions précédentes pour faire du lien et construire une progression ; repérer et dire comment elles se situent par rapport aux exigences intellectuelles d’une discussion à visée philosophique ; mais ne pas les juger sur le fond ; s’abstenir de dire son point de vue personnel et ne faireobjectivement alliance quant au contenu avec personne, sinon les interactions entre pairs se réorientent vers soi ; recadrer, recentrer, relancer le questionnement, demander des précisions etc.

Fonction d’autant plus complexe que les interventions sont hors-sujet ou sans lien entre elles (comment faire sens ?) ou trop longues ( comment résumer ?), que l’on se cantonne à du vécu, des exemples, des anecdotes, des opinions banales, (commentélever le débat ?) ; qu’elles font allusion à une culture savante non partagée dans le groupe (comment expliciter sans rallonger ?) ;   que l’échange est passionnel (quel est le fondement rationnel ?) ?

Mais elle développe sans conteste des capacités d’écoute, de décentration, de compréhension des propos d’autrui et de la logique de son discours, d’intelligence des relations entre lesidées, de construction d’une progression dans un échange collectif, d’interpellation intellectuelle d’un groupe et des individus qui le composent, d’appropriation fine des processus de pensée ?

Le synthétiseur exprime sa difficulté à écouter, comprendre et prendre en même temps des notes sur ce qui se dit ; à ne pas privilégier les idées proches des siennes mais à s’ouvrir àla dissonance ; à dépasser des notes et un rapport sur une base chronologique, à structurer et restructurer au fur et à mesure qu’il écoute et note ; à sélectionner les idées-clés par rapport au sujet au regard de l’accessoire et à ne noter que l’essentiel ; à rendre compte en un temps court et à chaud à l’oral en s’appuyant sur des notes brouillonnes ?

Il est souventfrustré de ne pas pouvoir intervenir, mais reconnaît que le rôle l’a forcé à écouter, à tenter de comprendre, à apprendre à faire des liens, à prendre des notes, à résumer l’essentiel, à s’exprimer en public à partir de notes, à articuler exhaustivité sur l’essentiel et fidèlité à la parole d’autrui. Sa responsabilité est de resaisir intellectuellement letravail du groupe, le donner à voir comme un produit collectif, et non comme une juxtaposition de positions. Alors que le reformulateur travaille à la progression collective du débat, le synthétiseur acte les avancées partielles, ou résume l’ensemble, en renvoyant au groupe l’intelligence de sa production. Deux fonctions qui contribuent à donner du sens, de la cohésion à un débat souvent éclaté.

Lediscutant peut éprouver des difficultés à entrer dans le débat : s’exprimer en public, risquer une pensée contestable, ne pas trouver le moment opportun, le biais pour s’introduire, se sentir minoritaire sur sa position, ne pas être au clair sur le sujet, bombardé par nombre d’interventions différentes, difficiles à comprendre, trop rapides à suivre… Il n’est pas évident de rassembler sesidées tout en écoutant autrui et de les écouter en réfléchissant soi-même, de construire une intervention dans sa tête, de la garder en mémoire pendant que les autres parlent encore en attendant son tour, de l’articuler précisément à la question posée, de la relier aux interventions qui précèdent, en particulier la dernière, pendant laquelle on est pris par ce que l’on va dire?. La questionpeut être floue, la formulation surprenante, les notions indéterminées, la réponse problématique. Il faudrait du temps et de la solitude pour réfléchir, et l’on est dans un flot de paroles et d’idées, avec l’urgence de se déterminer, de réagir ? On peut se taire, bafouiller, être déstabilisé.

Ce qui peut aider, c’est de réfléchir avant, ou d’avoir un temps individuel de silence avantla discussion, d’être interpellé si l’on se tait par le président (mais cela peut aussi bloquer), s’appuyer sur les reformulations ou une synthèse qui clarifient, avoir vu la question s’articuler, les concepts se définir, sentir monter une prise de position après certaines interventions qui encouragent ou provoquent ? L’art du discutant c’est de construire une pensée sur une question, à la fois à partir de tout son passéréflexif et dans l’interaction verbale cognitive. Une pensée très dialogique, parce qu’elle se nourrit des apports différenciés des individus du groupe, créative par l’urgence de sa confrontation à l’altérité incarnée.

L’ observateur peut être frustré de ne pouvoir intervenir sur le fond quand il aurait envie de réagir, se sentir exclu du groupe par son retrait spatial etlangagier. Observer n’est pas spontané : c’est une posture construite, un apprentissage qui demande un investissement particulier, une façon inhabituelle d’être là, une activité intense dans l’apparente absence. Le caractère ciblé de son observation, méthodologiquement nécessaire pour focaliser l’attention, le rend sourd et aveugle à certains phénomènes : à observer les comportements, on n’entendplus ce qui se dit ; à observer quelqu’un, on n’entend ni ne voit les autres ; à être attentif aux processus de pensée, on perd le groupe de vue etc.

Le gain de cette perte, c’est l’apport d’informations précises, observables, quantifiables, ou qualitativement plus fines sur ce qui est observé : le président qui ne voit pas une main levée, qui a dépassé le temps de la première synthèse, quis’inquiète de quelqu’un qui ne parle pas, qui laisse filer les interventions en délaissant son rôle etc. ; le reformulateur qui fait suivre le résumé d’une intervention d’une question à la cantonade, qui alterne questions au groupe et nominatives, qui lance une provocation, qui ne regarde pas celui qu’il reformule pour ne pas le relancer, qui demande ?  D’accord ou pas d’accord ? ? etc. ;   les discutants, dont le regardalterne entre président et reformulateur, qui prennent la parole spontanément sans lever la main, qui rentrent en relation duelle avec un participant, qui se taisent, qui posent une question au groupe etc. ; un groupe silencieux, au rythme lent, ou qui s’échauffe, respectueux ou qui s’énerve ; une phase d’appropriation de la question, où l’on cherche à définir les termes, à les mettre en relation, suivie de prises de position avecune logique plus argumentative, ou une alternance de ? moments ? problématisants, conceptualisants, argumentatifs ? Une synthèse plutôt chronologique , qui reprend même qui a dit quoi, assez longue, juxtapositive et qui fait peu de liens avec le sujet et entre les interventions, ou plutôt logique, très résumée, avec quelques idées fortement articulées entre elles par rapport à la question posée etc.

C’est la finesse des observations faites qui fait la qualité des analyses, et donc des prises de conscience.

. L’objectif de ce moment métacognitif, animé par le formateur, qui veille à ce que l’on ne reparle pas du fond, mais de ? comment ça s’est passé ?, est de produire de l’intelligibilité sur le genre ? discussion démocratique à visée philosophique ?. Ils’agit de construire collectivement de l’ ? analyse  ?, en évitant soigneusement tout ?  jugement  ? de valeur.

Non pas si ? ça s’est ? bien ? ou ? mal ? passé ?, où le vécu gratifiant ou désagréable se transforme en évaluation positive ou négative, et où l’on travaille sur le normatif , quiempêche de fait, pris dans le vécu affectif ou l’idéal normalisateur, de comprendre et d’expliquer le réel . Et non pas le ? tu devrais ?, tu ? pourrais ?, qui porte sur l’avenir à partir des disfonctionnements ressentis ou constatés, le ?  conseil  ?, qui va directement aux solutions avant même d’avoir approfondi la situation.

LA QUESTION DU TRANSFERT EN CLASSE

On le voit, ce double moment de la formation, qui doit être vécu plusieurs fois dans des rôles différents, vise :

•  à mettre personnellement en acte des logiques de fonction pour vivre les difficultés inhérentes à leur tâche, compte-tenu de la spécificité de la nature de chaque activité demandée, et des compétences qu’elle implique etdéveloppe ;

•  à s’entraîner à analyser le déroulement d’une discussion ? philosophique ? pour en comprendre les tenants et les aboutissants, le cadre et les exigences.

Ces deux phases de discussion puis d’analyse gagnent à être suivies d’une réflexion sur le transfert possible en classe . Bien des éléments sont communs aux deux situations : ungroupe interactif discussionnel qui échange sur une question pour chercher ensemble une réponse fondée. La difficulté vient des différences entre un groupe d’adultes en formation et une classe en situation scolaire ! Il faut bien travailler ces différences pour éviter les déconvenues dues à une application trop ? mécanique ? du dispositif : il faudra se ? bricoler ? le sien, dans untâtonnement qui peut être motivé mais parfois douloureux, parce qu’on est en apprentissage ! Comment donc transposer didactiquement ?

Par exemple, en grande section de maternelle, on ne peut guère aller au-delà d’un quart d’heure dans la même fonction avec :

•  un président de séance : c’est déjà bien de regarder qui lève la main et de ne pas donner la parolequ’à son copain !

•  un reformulateur qui a la difficile tâche de simplement redire ce qui vient juste d’être prononcé : car il s’agit à cet âge de construire des compétences qui nous semblent évidentes (quoique !) et donc nous sont devenues invisibles : arriver à écouter un camarade, être capable de comprendre ce qu’il dit, et le répéter au style direct (encore mieux, austyle indirect : ? Il y a dit que le bonheur, c’était d’être calme ?). Dans tous les cas, il est préférable d’avoir un petit nombre d’élèves, sous forme d’ateliers.

Le micro est souhaitable pour mettre les élèves à égalité de voix, et pour que chacun entende bien chacun. C’est un ? bâton de parole ? qui ritualise àqui c’est le tour d’intervenir. Des ? aménageurs-déménageurs ? peuvent mettre en deux minutes la classe en rond, puis la remettre en place.

Le président de séance, vu la spontanéité des enfants, va avoir à gérer beaucoup plus de doigts levés qu’avec des adultes, et subir beaucoup plus de pression de la part de camarades impatients d’intervenir : il a besoin de règles claires et strictes pourchoisir qui parle et dans quel ordre, s’organiser pour noter et barrer les prénoms. Les discutants vont devoir garder en tête ce qu’ils ont à dire en attendant, et apprendre à différer leur parole, à se discipliner.

Les reformulations et les synthèses seront plus proches en cycle 2 qu’en cycle 3, pour une question de prise de notes et de mémorisation. Elles seront essentiellement des redites purs et simples. La synthèse estessentiellement chronologique, dans l’ordre des notes prises. Le synthétiseur pourra s’appuyer (conseil d’un élève à un autre !) sur les reformulations pour noter ce qu’il a compris.

Il est difficile d’avoir des observateurs avant le cycle 3 : leur tâche doit être très ciblée pour ne pas qu’ils se dispersent. Une petite grille d’observation peut les aider à objectiver, car ils ont tendance à juger leurscamarades plus qu’à les observer? Ils peuvent observer un rôle particulier qu’ils occuperont par la suite, afin de comparer ce qu’ils anticipaient à ce qu’ils vivent dans la fonction ; poser, avec leur recul sur le fond, une question au groupe (quand le maître ou le président le demande) ; relever au cours de la séance pour s’approprier les processus de pensée : ? qui a posé quelle question ? ?,? quand on a essayé de définir un mot ou de distinguer les sens de mots voisins ?, ou ? qui soutient quelle position par rapport à la question et avec quel argument ? ?

Quant au maître, il met en place le dispositif, régule l’ensemble, soutient si nécessaire les coanimateurs, établit un climat de ? communauté de recherche ?. Il intervient de façon mesurée, pour ne pas pesersur la forme ou le fond du débat. Il n’est pas souhaitable qu’il intervienne sur le fond en donnant son avis, sinon les élèves ne pensent plus par eux-mêmes, ne s’autorisent plus à intervenir en leur nom propre, ne posent plus les questions qui les taraudent : ils sont dans le désir du maître, dans la logique de la réponse et non de la recherche, ils anticipent ce qui pourrait être la bonneréponse, celle attendue par le maître. La quantité et la nature de ses interventions est délicate : s’il intervient trop souvent, toute la communication se structure par rapport à lui, et il court-circuite les apprentissages des coanimateurs. S’il n’intervient pas, le débat risque de manquer d’exigence, de patauger dans les exemples qui ne décollent pas, car les élèves ne conceptualisent pas spontanément sans guidage. Alui de trouver par sa pratique le meilleur bricolage entre le maintien d’une structure ? démocratique ? et les exigences ? philosophiques ? de la discussion.

Michel Tozzi
Professeur des Universités en Sciences de l’Education à Montpellier3

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