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Où en sommes-nous ?

Posted By admin On 31 août 2003 @ 17:08 In Sur l'analyse des pratiques professionnelles | No Comments

Près de sept ans se sont écoulés depuis le dernier cahier sur l’analyse des pratiques professionnelles (APP) que j’ai coordonné avec E. Bussienne. Que s’est-il passé depuis ? Indubitablement une montée en puissance de l’APP dans les systèmes de formation initiale et continue.

Cette extension est portée par certaines tendances lourdes :

• la tentative moderne, dans un contexte techno-scientifique…

d’efficacité, de rationnaliser les relations sociales (M. Weber), de gérer au mieux les ressources humaines, de techniciser la formation (ex : pédagogie par objectifs, référentiels, développement des didactiques), afin d’aller vers une obligation de résultats ;

• la force de l’individualisme , qui accroîtavec la liberté de choix la responsabilité de celui qu’on considère de plus en plus comme un acteur de sa vie personnelle et professionnelle ;

• la complexification des métiers de la formation, leurs difficultés croissantes devant l’hétérogénéïté des niveaux, l’individualisation des parcours, les incivilités, la gestion au quotidien de l’urgence, del’aléatoire, de contradictions.

• L’organisation de ces professions autour d’un professionnel autonome doté de compétences acquises et à actualiser tout au long de la vie, et relié à un corps dont la culture commune aurait dans l’APP un identifiant pour (s’)accompagner (dans) les évolutions?

• Parallèlement à cette extension, on observe un approfondissement et unélargissement des méthodes et des référents théoriques de l’APP. A côté de dispositifs ou situations maintenant relativement stabilisées (ex : études de cas, écriture, entretien d’explicitation, travail de groupe à partir d’un exposant volontaire) on constate :

• la reconnaissance à part entière du récit (professionnel) commeproducteur en lui-même d’analyse (? espace théorique dit M. Cifali). Le courant de l’autoformation (Carré, Dominicé, Pineau ) rencontre ici celui de la psychanalyse (Lévine, Blanchard-laville, Beillerot ) ;

• l’importance prise par l’ approche ergonomique , dont on ne parlait pas dans le dernier cahier : la profession apparaît comme une activité, et on val’analyser comme un travail, en analysant la tache réelle par opposition à la tâche prescrite. On va voir de plus près les gestes du métier, le genre professionnel et le style de chacun (Y. Clot), par vidéo-confrontation à soi-même, ou croisée entre pairs, explorant les dramatiques du travail et? l’usage de soi professionnel (Y. Schwartz).

• Le champ d’application de l’APP s’enrichit aussi des nouvelles pratiques de terrain : elle porte maintenant sur l’accompagnement , comme modalité nouvelle de la formation, et sur les innovations , dont on espère que l’analyse rendra plus transparents les processus en vue de possibles transferts. Avec la décentralisation, les projetsd’établissements et d’équipes pédagogiques et éducatives, il s’agit aussi d’analyser de plus en plus les pratiques de collectifs , et pas seulement d’individus, ce qui implique un renouvellement des pratiques et des référents. Les recherches sur la métacognition , processus de prise de conscience par la verbalisation de ses processus de pensée, la centration sur l’enfant et l’aide individualisée amènent enfin de plus en plus d’enseignants à aider leurs élèves à analyser leur métier d’élève (Perrenoud).

Questions théoriques

On s’interroge aussi pour savoir ce qu’il en est de l’APP :

• quant à son statut épistémologique . Il faut en effet distinguer le type de dispositif utilisé et la grille de lectureutilisée, celle-ci pouvant s’appliquer à plusieurs dispositifs différents. Si analyser, c’est construire de l’intelligibilité, faire des hypothèses de compréhension ou d’explication (selon la distinction de Dilthey) du réel, va-t-on se référer comme modèle d’analyse à un paradigme clinique (par exemple psychanalytique comme dans le groupe Balint), ou plus objectivant (et là on pourra opposer le modèleanalytique de Descartes à la pensée complexe de Morin) Peut-on articuler dans une pratique d’analyse des paradigmes théoriquement contradictoires dans leur hétérogénéïté (Ardoino)

• Celui qui mène l’analyse est-il un spécialiste (le psychanalyste dans le groupe Balint), un généraliste de la multiréférence en sciences humaines (de la sociologie des organisations à la didactique en passant par la dynamique des groupes et l’analyse transactionnelle), ou un simple animateur qui va favoriser les regards croisés des participants co-construisant le sens d’une situation exposée ou la logique d’action d’un exposant

• La complexité du réel, qui dépasse certainement nos capacités rationnelles d’appréhension, appelle aujourd’hui le formateur d’APP à lamodestie au c?ur de l’ambition de comprendre. Il dévolue davantage au groupe analysant un fonctionnement sur le mode d’hypothèses confrontées et d’ échos verbalisés. Rapport non dogmatique au savoir, car il n’a pas la vérité sur le réel, ni le dernier mot sur ce que vit, pense et agit un autre. Mais tiers qui introduit parole et silence, distance et empathie pour la compréhension de soi.

• On s’interrogeaussi sur le statut démocratique de l’APP . Un groupe d’APP peut être une communauté de recherche co-constructrice de sens dans un cadre consenti, parce qu’à la fois celui-ci protège les personnes et garantit une rigueur dans le travail. Il peut en ce sens contribuer à une socialisation professionnelle entre pairs à orientation démocratique

• On s’interroge enfin sur son terrainet ses objets d’application . On n’analyse pas par exemple de la même façon : une situation éducative ou pédagogique dans laquelle se croisent, dans un contexte déterminé, des logiques d’acteurs ; la pratique professionnelle d’ un acteur qui expose une difficulté ; la pratique collective d’une équipe en projet etc.

PROBLEMES INSTITUTIONNELS

C’est l’institutionnalisation croissante de l’APP qui soulève bien des questions :

• le mémoire professionnel fut le premier acte qui inscrivit en 1990 l’écriture sur sa pratique comme une modalité d’analyse en formation initiale. Mais son caractère obligatoire, son genre pris dans une forme scolaire et son évaluation finale amène àl’écrire pour un autre normatif, avant d’y voir un processus formatif pour soi-même ;

• de plus en plus de séquences préparées en centre de formation sont, après leur mise en oeuvre, analysées, mais elles sont prises dans un jeu de normes et de jugement, tant par le stagiaire qui pense à son futur examen, que par les formateurs qui pensent aux critères de réussite.

• Les dispositifs de formation, tant initiaux que continus, distinguent rarement, comme il serait souhaitable, la fonction d’animateur d’APP de celle d’évaluateur de ces mêmes pratiques. Dans les circonscriptions du 1 er degré, c’est l’inspecteur, sensible à l’écart par rapport au prescrit, ou le conseiller pédagogique, (présent aussi dans le second degré) dont le nom est surdéterminant dans la fonction, qui sont ces animateurs ?

• On a donc tendance à confondre allègrement l’ analyse , qui vise à co-construire du sens, à comprendre-expliquer ce qui s’est passé et comment ça fonctionne en sortant de l’affect et de la norme, avec le jugement de valeur (voilà ce qui est bien, conforme, et ce qui ne va pas, hors programme ou hors bonne méthode) ; ou avec le conseil ,qui porte sur l’avenir et non le passé, avec toutes ses nuances, de la proposition suggérée à l’injonction insistante. Le prélèvement et le traitement de l’information par exemple, quand on observe une classe avec l’objectif d’analyser et d’aider à l’analyse, est fondamentalement différent que lorsqu’on vise à juger et/ou conseiller.

• Or il s’agit là de deux réactions spontanées :évaluer une action à l’aune de ce que l’on croit bien, et conseiller quelqu’un que l’on sent en difficulté, ou qui fait problème par rapport à la ligne. Quand ces réactions sont légitimées par l’institutionnalisation de fonctions d’évaluation (inspecteur) ou de conseil (conseiller pédagogique), on mesure le chemin à parcourir pour que l’ identité professionnelle deformateur se centre sur la fonction d’analyste , et non de juge ou de conseiller

En conclusion, il reste à creuser dans deux directions.

• Au niveau théorique : l’analyse d’une pratique, au-delà d’une meilleure assomption de situations difficiles (fonction cathartique), facilite-t-elle réellement, par la verbalisation et la conscientisation, comme on l’escompte, l’évolution de cette pratique (fonction praxéologique) ? Si oui, par quels processus ? L’écriture a-t-elle un rôle spécifique dans cette dynamique, et si oui en quoi ? Quels sont les effets différenciés des divers dispositifs d’analyse, qui deviennent vu la demande croissante un véritable marché ?

• Au niveau institutionnel : l’extension rapide de l’APP interroge sur lescompétences des formateurs , des formateurs de formateurs, des types et des durées de formation nécessaire à l’APP ; il faut creuser le noyau de l’ identité professionnelle d’un analyste des pratiques, et reconfigurer l’identité de certaines fonctions pour incorporer cette dimension ; reste enfin à trouver les montages institutionnels par lesquels cette centration de la formation d’un professionnel del’éducation sur l’APP peut produire tous ses effets.


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