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Les enjeux d’une discussion à visée philosophique

Posted By admin On 30 septembre 2004 @ 16:09 In Discuter philosophiquement | No Comments

Un extrait de l’introduction de Michel Tozzi au colloque de Balaruc (avril 2003)

Par enjeu, nous entendons ce qui se joue d’important et d’urgent, à différents niveaux, dans et pour une activité humaine. Un enjeu éducatif peut être par exemple d’ordre éthique ou politique, psychologique ou social, individuel ou groupal, affectif ou cognitif, pédagogique ou didactique,…

mettre en jeu le rapport au savoir ou à la loi, avec un gain (ex : l’apprentissage ou la socialisation) ou une perte (ex : l’échec scolaire) etc. Il peut concerner l’enfant, l’élève ou l’apprenant, l’instructeur ou l’éducateur, le parent, l’usager ou le client, les responsables du système éducatif, des acteurs ou/et le système…

Il y a au moins sixenjeux selon moi dans les nouvelles pratiques à visée philosophique à l’école primaire et au collège.

  • Un enjeu langagier

La lecture (du maître ou des élèves, en fonction de l’âge des enfants), constitue souvent un support de départ dans ces activités (romans de Lipman,littérature de jeunesse, contes et mythes, brefs passages de philosophes…). Mais elle a pour objectif spécifique, non d’étudier le texte en lui-même, mais d’en dégager des questions à teneur anthropologique afin de les traiter en classe. De même, dès qu’elle est possible (CE2), l’écriture de l’élève (à la maison ou en classe) est parfois utilisée avant, pendant(ex : notes du synthétiseur), ou après le débat. Mais elles ne sont pas systématiques : on peut partir directement d’une question d’élève ou du maître, et s’en tenir à l’échange verbal.

Car c’est sur l’oral que repose fondamentalement ces pratiques. Elles rejoignent ainsi une des missions essentielle de l’école, la« maîtrise orale de la langue ». Et plus particulièrement l’oral dans son genre débat, qui est devenu l’une des activités transversales des programmes (débat d’interprétation en français, débat scientifique, débat pour « vivre ensemble »…).

D’où l’intérêt de certains didacticiens du françaispour cette innovation. Tout un courant travaille sur « l’oral réflexif » (E. Bautier, D. Bucheton…), en parlant plutôt d’activité langagière que linguistique, d’oral pour parler, mais aussi « apprendre et se construire ». Il analyse l’activité verbale dans ses dimensions affective (s’exprimer), pragmatique et sociale (communiquer), cognitive (penser). Il tented’articuler dans l’oral et le débat le langage comme apprentissage en soi, moyen d’apprendre et apprentissage de soi. Parler pour apprendre à parler, être écouté, se faire comprendre (ex : le « quoi de neuf ? »), mais aussi parler pour argumenter, convaincre, objecter et répondre, et enfin, par et dans l’interaction sociale verbale, développer sa personnalité. La « discussionà visée philosophique » (que nous appellerons désormais DVP), est une activité privilégiée dans cette perspective. Et c’est pourquoi nombre de praticiens et de formateurs, confortés par les orientations ministérielles et les recherches didactiques en français, tentent d’orienter l’oral et le débat vers une activité « réflexive », aussi bienméta-langagière que discursive, tremplin pour qui veut donner à l’échange une dimension philosophique. Infléchir l’oral vers une pensée explicitement réflexive (c’est le but de la DVP), actualise donc une sensibilité à la fois institutionnelle et didactique. Tel est le premier enjeu du débat réflexif : favoriser l’apprentissage d’activités langagièresà l’école, comme base d’un rapport médiatisé au langage, au savoir, à autrui et à soi-même.

Nous tentons quant à nous, avec D. Bucheton, dans un GER (Groupe d’Elaboration de Ressources) de l’Iufm de Montpellier, d’articuler le « débat d’interprétation » sur la littérature de jeunesse (Yacouba est-il courageux ?) avec laDVP (Qu’est-ce que le courage ?), esquissant ainsi une synergie entre didactiques du français et de la philosophie.

  • Un enjeu psychologique

L’enjeu de la construction identitaire, qui est un des éléments de l’approche précédente, est au centre de l’atelier philo de l’AGSAS (Association des Groupes deSoutien au Soutien) : « L’enfant y fait une expérience particulière de lui-même, en tant que lieu du cogito. Il découvre, plus nettement que dans d’autres activités, qu’il est porteur d’une dimension fondamentale de l’être : la pensée dont on est soi-même la source » (J. Lévine, psychanalyste de l’éducation). Par le retrait total de l’intervention dumaître, néanmoins présent derrière une vidéo, par la confrontation verbale avec ses pairs, par le visionnement ultérieur de la vidéo, il prend conscience en acte et par sa représentation de son activité cognitive en contexte social.

« Dans un cadre collectif, il s’entend émettre des hypothèses sur des problèmes majeurs (expérience du groupe cogitans)…ilest implicitement invité à faire partie du club de ceux qui cherchent à rendre la vie plus vivable…il est confronté au défi de mettre de l’ordre dans ses pensées sur le monde…il découvre que sa parole se double d’un travail invisible de la pensée, le « langage oral interne », dont la conscientisation est un facteur important d’enrichissement de l’image de soi et del’expérience de sa pensée » (idem).

Ce n’est donc pas l’apprentissage du débat ou d’une méthodologie de la pensée qui sont fondamentalement visés, mais leurs conditions existentielles de possibilité, l’expérience de la pensée. A. Pautard parle de « courant des préalables à la pensée ». Le protocole est néhistoriquement en maternelle, là où il s’agit, psychogénétiquement, de poser des bases réflexives, de développer des compétences qui deviennent invisibles pour ceux qui se les sont appropriées. Mais il ne faut pas croire qu’il s’agit d’un préalable purement développemental. Le protocole est repris jusqu’à la fin du collège.

Car la confiance en sa proprepossibilité de pensée doit être périodiquement réasssurée. L’adolescent en quête de certitude qui doute en son fort intérieur de ce qu’il est et va devenir doit refaire cette expérience valorisante pour être conforté dans son identité d’être pensant. L’élève en échec scolaire qui ressent la nullité de sa personne à travers la faiblesse de sesrésultats peut éprouver une restauration narcissique à se sentir capable d’exprimer une idée sur les problèmes existentiels de tout homme, qui lui font réintégrer cette communauté de destin d’une humanité fragile. Les instituteurs spécialisés de Segpa de collège qui ont tenté des DVP témoignent souvent d’une pacification de la classe lors de cette activité :peut-être parce que la mutualisation des énigmes humaines crée un espace public d’échange où chacun a intérêt à connaître les tentatives de l’autre ; parce que personne n’a le dernier mot et ne peut conclure sur ces questions par le rapport de force physique ou verbal…

A une période où la loi d’orientation de 1989 a promulgué de mettrel’élève au centre du système éducatif, le deuxième enjeu de ces pratiques, plus psychologique, est de contribuer à la construction identitaire de l’enfant et de l’adolescent par la conscience de ses possibilités réflexives, l’épreuve (le sentiment éprouvé et la preuve) de sa pensée, et de sa dignité d’être pensant.

  • Un enjeu politique

Depuis la rentrée 2002, les nouveaux programmes de l’école primaire ont institutionnalisé en cycle 2 et 3 une ½ heure de débat hebdomadaire en classe. Beaucoup d’enseignants, qui n’ont été formés eux-mêmes ni au débat entre eux ni à la pédagogie du débat, s’interrogent pour savoircomment procéder. Cette obligation est instaurée dans le cadre du « vivre ensemble », suite à la crise du lien social et politique dans notre pays, qui se traduit à l’école par une crise du rapport à la loi, de l’autorité magistrale, qu’on désigne notamment par « incivilité ». C’est pourquoi l’on se tourne aujourd’hui vers des méthodes longtempscritiquées comme subversives pour le système, parce qu’elles avaient mis au centre la réflexion politique sur le pouvoir dans la classe et dans l’école.

Les praticiens de l’éducation nouvelle se réclamant notamment de C. Freinet ou de la pédagogie institutionnelle ont en effet depuis longtemps mis en place des « institutions », comme le « conseil de classe »ou « conseil coopératif », structure de débat « démocratique » avec règles de fonctionnement co-construites, ordre du jour établi en commun, président et secrétaire de séance élèves, procédures de tours de parole, processus de régulation des conflits et votes majoritaires pour décider de sanctions ou de projets. Cette « démocratiescolaire » préfigurerait la « démocratie citoyenne ».

La démocratie comme régime politique implique en effet l’espace public du débat comme lieu d’égale expression et de pluralité des opinions, y compris minoritaires, des citoyens. L’école républicaine se donne explicitement comme mission de préparer par son enseignement le futur citoyen. Un desmoyens, outre l’instruction, consiste à faire vivre des situations qui entraînent les élèves à construire des compétences de débat dans un « espace public scolaire ».

On constate que nombre de praticiens qui ont instauré dans leur classe des « habitus démocratiques » se lancent aujourd’hui dans la DVP, notamment à partir de sujets sur laviolence, la loi, les règles, le pouvoir, la justice, la liberté…De la pratique du « conseil » à la DVP il y a un tremplin possible, dans la mesure où une structure qui facilite le débat est un socle qui va permettre, moyennant d’autres exigences intellectuelles, une discussion sur des questions philosophiques. L’éducation à la citoyenneté, objectif crucial du système éducatif dans lapériode, pourrait donc s’étoffer de cette nouvelle « institution », au sens de la pédagogie institutionnelle, que constitue la DVP, qui contribuerait donc à former un  « citoyen réflexif » Note1  : tel est le troisième enjeu.

  • Un enjeu éthique

Il ne peut y avoir de débat sans un certain nombre de règles (ex : on ne parle pas tous en même temps sinon on ne peut physiologiquement s’entendre ; un seul ne monopolise pas la parole sinon il n’y a plus d’échange ; pour que chacun puisse s’exprimer on ne l’interrompt pas quand il parle etc.).Certaines sont d’ordre technique (un seul parle à la fois pour éviter la cacophonie, il parle assez fort pour se faire entendre, sinon on répète ce qu’il dit pour le rendre audible ou on utilise un micro). Beaucoup impliquent une idéologie démocratique (chacun peut et doit demander la parole plutôt qu’il ne la prend, pour assurer un droit égal d’expression, permettre unepluralité des opinions, garantir un point de vue minoritaire dans le groupe…).

D’autres encore, articulées souvent avec les précédentes, sont d’ordre éthique (ex : on ne se moque pas de celui qui parle). Nous entendons ici par éthique , dans un contexte scolaire, l’appel à des valeurs hiérarchisées pour inspirer des pratiques qui leurdonnent sens afin qu’elles aient une finalité éducative. L’intérêt de la DVP est d’instaurer dans la classe une « éthique discussionnelle ».Cette éthique dépasse une finalité purement démocratique, en ce qu’elle met en jeu un rapport au savoir, et pas seulement au pouvoir (voir les enjeux suivants), et engage un rapport aux personnes, et pas seulement aux opinions.

Respecter un citoyen, c’est respecter un individu qui a des droits (il a le droit de s’exprimer donc il ne faut pas le couper) ; respecter une personne, c’est prendre en compte sa dignité d’être humain. L’attaque ad hominem tente de disqualifier dans un débat les idées de quelqu’un en s’en prenant à sa personne. Elle transforme le conflit socio-cognitif en conflit socio-affectif. Elle est une atteinte àl’intégrité psychique d’un sujet et détériore le climat collectif d’un groupe : certains participants, sous la peur du jugement négatif d’autrui, vont se taire, des leaders vont s’affronter, l’attitude de recherche va s’estomper dans une logique d’opposition ou l’on perd le sens des problèmes, de l’autoquestionnement, de la perplexité.

La« communauté de recherche » dont parle Lipman ne peut fonctionner en situation éducative qu’en travaillant sur ses émotions personnelles, en ne prenant pas une objection contre son idée pour une attaque contre sa personne, en pouvant être intellectuellement d’accord avec qui nous est antipathique, et en désaccord avec son copain. C’est très difficile de travailler à un niveau cognitif, car touteinteraction sociale (sans compter sa propre pensée) est imprégnée d’affect. Une des conditions, avec les enfants et les adolescents, dont la pensée est toujours à fleur de peau – mais tout formateur sait que c’est important aussi avec des adultes – est d’instaurer un climat individuel et collectif de confiance, où chacun s’autorise à parler sans se sentir immédiatement jugé sur sapersonne. Où le cerveau cortical n’est pas inhibé par le cerveau reptilien qui a besoin de sécurité, et le cerveau limbique qui a besoin de reconnaissance.

Cette exigence de confrontation cognitive sans affrontement passionnel est psychologiquement et psychosociologiquement déterminante au niveau de l’élaboration intellectuelle et de la participation groupale des individus, dont le seuil de toléranceà l’agressivité d’autrui est variable (un timide sera terrorisé et se sentira stigmatisé, alors qu’une « grande gueule » sera dynamisée et confortée dans un rôle viril de leader – ce sont d’ordinaire plutôt des hommes). Elle nuit quantitativement à la démocratie (le nombre de participants baisse), et qualitativement à l’avancée sur la question posée,parce les idées se rigidifient dans une dynamique d’opposition, n’intègrent plus les nuances, toujours traces de l’altération de ma pensée par autrui et de la complexité des problèmes.

C’est une éthique discussionnelle qui peut prévenir ces dérives, par le respect de la personne quelles que soient ses  idées. On touche plus ici aux processus qu’auxprocédures. On sent bien que demander : « On ne se moque pas » n’est pas du même registre que : « On lève la main pour demander la parole ». Dans une DVP, on « cherche avec », on ne lutte pas contre.

L’autre est moins un adversaire qu’un partenaire, mieux, un coopérateur. C’est pourquoi cette pratique éducative est en rupture avec lespratiques sociales médiatisées du débat (par exemple le débat électoral), qui ne se conçoit que sur le mode du pour et du contre, où le débat est un combat (dans débat il y a « battre », c’est pourquoi je préfère « discussion »), où l’on cherche à convaincre au sens de vaincre, à tuer l’autre, parce que déjà à deux ily en a un de trop !

On le voit, le quatrième enjeu de ces pratiques est de développer en classe la pratique éducative d’une éthique discussionnelle fondée sur le respect d’autrui dans sa personne.

Ethique qui, en développant le sens de l’humanité chez l’enfant, constitue une base du lien social, et partant politique.

  • Un enjeu cognitif, d’ordre réflexif

C’est un point central des activités proposées, puisqu’elles se revendiquent « à visée philosophique ». Leur finalité est d’apprendre aux enfants à « penser par eux-mêmes ». Certains parlent d ‘« apprentissage duphilosopher », d’autres, qui trouvent ces activités intéressantes en elles-mêmes, préfèrent l’expression « pensée réflexive », mais récusent le qualificatif de « philosophiques » pour les caractériser. Cette distinction, au cœur du colloque ainsi qu’en témoigne son titre, doit être problématisée et approfondie. Il y aurafacilement accord si l’on affirme que philosopher implique la mise en œuvre d’une pensée réflexive, mais l’on objectera que toute pensée réflexive n’est pas forcément philosophique (par exemple une démarche scientifique), a fortiori chez les enfants, dont on peut douter de leur capacité à « philosopher ».

On s’accordera cependant pour dire que philosopher,c’est une rupture avec la caverne de l’opinion, empêtrée dans l’émotion psychologique et le conformisme social de l’environnement familial, des copains ou des médias ; que c’est mettre en question et à la question ses certitudes spontanées, tenter de définir ce dont on parle et de valider rationnellement ses propos ; penser ce que l’on dit, ses présupposés et conséquences, au lieude se contenter de dire ce que l’on « pense », c’est à dire ce que l’on a dans la tête. Les pratiques convoquées essayent dans cette perspective de développer, en partant souvent du questionnement des enfants sur les grandes énigmes humaines, des capacités réflexives.

Nous avons pour notre part dégagé empiriquement dans les années 1990, avec des enseignants dephilosophie, et dans un objectif didactique (voir bibliographie), leurs réquisits vis à vis des élèves de terminale, qui pourraient témoigner de la trace d’une pensée réflexive. Cette « matrice didactique du philosopher » esquissait une définition à usage didactique, en l’absence d’un consensus philosophique, du philosopher : «Tenter d’articuler, sur des notions et desquestions posant problème à la condition humaine, dans l’unité et le mouvement d’une pensée impliquée, des processus de problématisation de ces notions et questions ; de conceptualisation de ces notions, à partir notamment de distinctions conceptuelles ; et d’argumentation rationnelle d’objections et de thèses, pour chercher une réponse à ces problèmes ». C’est cette« idée régulatrice » (au sens kantien) du philosopher, qui peut finaliser des pratiques à visée philosophique à l’école primaire et au collège. Et c’est ce que des praticiens tentent d’expérimenter, en testant ce qui est possible lors qu’on tient compte de l’âge des enfants.

Le cinquième enjeu consiste donc à éveiller lesélèves à la pensée réflexive, à penser par eux-mêmes pour qu’ils se situent mieux par rapport au monde, à autrui, à eux-mêmes.

  • Un enjeu pour la philosophie elle-même et son enseignement

Ces pratiques posent enfin des questions à la philosophie elle-même, et à sadidactique.

  • Comment penser le rapport de la philosophie à l’enfance et à l’adolescence ?

L’enfance a-t-elle le droit de philosopher ? Voire le devoir, pour cultiver son humanité (ce pourrait être souhaitable, tout en étant néanmoins impossible). Si elle a ce droit, sur quel(s) principe(s) éthique etpolitique le fonder ? Est-ce un droit de l’homme ? du citoyen Note2 ? de l’enfant (cf Convention internationale des droits de l’enfant Note3 )? Vaut-il mieux parler de « droit à laphilosophie » (J. Derrida), ou de « droit de philosopher » (G. Berger) ? Dans ce cas une école républicaine n’a-t-elle pas comme mission de permettre l’exercice de fait de ce droit formel ? Ce que n’a pas prévu aujourd’hui en tout cas l’école française institutionnellement, mais qui pourrait être le sens de cette innovation, sa philosophie politique.

Ou y a-t-il pour l’enfance un interdit de philosopher (ce pourrait être possible, mais non souhaitable) : comment alors le fonder philosophiquement ?

  • Ces pratiques étant généralement à base de discussions avec des dispositifs qui se veulent « démocratiques », qu’impliquent-elles de la relation entre démocratie etphilosophie ? Qu’en est-il historiquement et philosophiquement de cette relation ? Apprendre à philosopher peut-il être un garant intellectuel de l’exigence du débat démocratique dans l’espace public ? Apprendre à philosopher le plus tôt possible dans un « espace public scolaire » n’est-il pas alors souhaitable dans une perspective républicaine d’éducationà la citoyenneté ? N’est-ce pas l’une des voies d’un processus de socialisation démocratique des élèves ?

– Ces pratiques discussionnelles posent aussi la question didactique de la place de l’oral (de l’élève) et de la discussion dans l’apprentissage du philosopher à l’école. Peut-on apprendre à philosopher endiscutant, et pas seulement par l’écoute d’un maître, la lecture de textes ou l’écriture de dissertations ? A quelle(s) condition(s) dans ce cas une discussion (de façon générale, et plus particulièrement en classe), peut-elle être ou devenir philosophique ? Et si l’on commence à « philosopher » plus tôt, quelle progression, quel curriculum philosophique, pourdévelopper quelles compétences, selon quelles modalités, et par quelle évaluation (et faut-il d’ailleurs évaluer ?)?

– A ces questions d’ordre philosophique, éthique, politique, didactique, on peut ajouter une interrogation plus « épistémologique » : un enfant est-il capable de « philosopher » ? Ou est-ce pour lui unimpossible ? Quels sont les apports des sciences biologiques (neurophysiologie du cerveau par exemple) ou des sciences humaines sur la question (ex : stades du développement de la psychologie piagétienne, zone proximale de développement de Vigotsky, plus généralement psychologie cognitive, de l’apprentissage…) ? Quels sont les positions de la tradition philosophique sur « l’âge duphilosopher » Note4 ? Peut-on postuler « l’éducabilité philosophique de l’enfance » au point de vue scientifique, philosophique, didactique ? C’est en tout cas le présupposé de nombre d’enseignants.

Toutes ces questions ramènentinlassablement les praticiens et les philosophes de formation et de métier à la question principielle : qu’est-ce que philosopher ? Car c’est de cette définition que dépendront en grande partie les réponses. La « philosophie pour enfants » (M. Lipman) renvoie donc la philosophie à réfléchir son activité réflexive. Ce en quoi la didactique ramène bien àune réflexion sur les « contenus enseignés » ! Si philosopher comme le pense Deleuze c’est « créer du concept », ou élaborer une vision du monde, ou totaliser le réel (Hegel), rien de cette ambition en grande section de maternelle, comme d’ailleurs en terminale, ou dans un café philo, ou même dans une copie d’agrégation (Il est de bon ton de dire qu’Edgar Morinn’est pas lui-même philosophe !). Mais s’il s’agit plus modestement, mais radicalement, d’oser formuler les grandes questions anthropologiques et de s’y confronter, de se mettre en recherche par rapport à ces énigmes pour chercher des réponses, et de s’y essayer en confrontant ses essais à d’autres humains, alors la question de savoir si les interrogations massives d’un enfant n’inaugure pas un gestephilosophique, la question didactique étant alors de savoir comment l’accompagner…

Le sixième enjeu de ces pratiques à visée philosophique (il y en a certainement d’autres !), c’est d’interpeller la philosophie dans son rapport à l’enfance et à l’adolescence, et au delà sur ce qu’est le philosopher lui-même.

L’intérêt de la DVP est donc d’articuler par une activité langagière (enjeu 1), un processus de socialisation démocratique (enjeu 3), fondé sur une éthique communicationnelle de la personne (enjeu 4), avec l’apprentissage d’une pensée réflexive (enjeu 5), qui favorise l’élaboration identitaire de sujets en construction (enjeu 2) . Cette pratique interpelle la philosophieelle-même, ainsi que le paradigme classique de son enseignement (enjeu 6).


Notes
(Cliquez sur les pour revenir au texte)

1 – L’objet de la thèse en cours de S. Connac (Montpellier 3), est de montrer que la pédagogie institutionnelle est un cadre facilitant la mise en place d’une DVP dans une classe, et qu’inversement la DVP est une nouvelle « institution » qui enrichit historiquement cette pédagogie.

2 – Voir la thèse de J.C. Pettier sur cette question : La philosophie en éducation adaptée : obligation ou nécessité ?, Strasbourg 2, 2000.

3 – On y précise dans unarticle que « les enfants doivent être capable de bien penser et de s’exprimer clairement ».

4 – Voir quelques éléments en annexe.


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