Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Compte rendu du symposium du Réseau d’Education Francophone (REF) 




Symposium international du Réseau Education Francophone

(septembre 2005, coordination M. Tozzi)

LA DISCUSSION A VISEE PHILOSOPHIQUE DANS L’ECOLE ET…

LA CITE :

QUEL PARADIGME POUR L’APPRENTISSAGE DU PHILOSOPHER ?

Un symposium a été organisé les 15 et 16 septembre 2005 à l’Université Montpellier 3, avec des chercheurs français, suisses, belges, québécois, pour faire le point sur les recherches internationales concernant la discussion à visée philosophique. On trouvera ci-dessous laproblématique abordée et le compte rendu du symposium



Problématique

« De nouvelles pratiques d’orientation philosophique se développent actuellement dans les pays francophones :

- à l’école, avec la « philosophie pour enfants » de M. Lipman, initiée aux Etats-Unis vers 1970 ; et diffusée dès 1985 au Québec, viale cours de morale ; puis en Belgique (ex : colloque du Parlement en fév. 2004) ; en France (tentative en 1985, ancrage en 1998), avec une diversification des pratiques, des formations ; maintenant en Suisse…

- dans la cité, avec en France le mouvement des « cafés philo » depuis 1992, mais aussi autour d’autres activités (Universités Populaires, bibliothèques…).

Ces pratiques s’originent certainement dans une demande sociétale diffuse de philosophie, consécutive à une crise des valeurs, plus largement du sens : mise en question de la transcendance divine par les philosophies du soupçon et de l’absurde (« mort de Dieu » de Nietzsche, émergence de l’inconscient et de la part sombre de l’humain), des utopies politiques (fin des « grands récits » alternatifs du 20ième), de l’idéologie positiviste du bonheur par la science (épistémologie d’une « raison limitée », « dégâts du progrès », conscience écologique…), primat d’un individu devenant, avec le « déclin des institutions » (Dubet) son propre centre, fragilisant le lien social etpolitique…

Ces pratiques nouvelles constituent une innovation pédagogique qui bouscule les représentations de la philosophie et de l’enseignement, car la philosophie n’est pas une matière scolaire au programme de la scolarité obligatoire de l’école primaire, et parfois du secondaire, dans les pays francophones :

- du point de vue de la professionnalisation croissante demandée par les systèmeséducatifs aux enseignants, elles interrogent une identité professionnelle en mutation, par la recomposition qu’elles exigent dans le rapport des élèves et des maîtres au (non) savoir et au pouvoir, et par la faible formation philosophique des enseignants qui les pratiquent ;

- du point de vue universitaire, elles questionnent :

philosophiquement la nature du philosopher, dés lors qu’il s’agitd’enfants et d’adolescents, donc l’épistémologie de la discipline ;

didactiquement, s’agissant d’une rupture avec la tradition de l’enseignement philosophique, et son épistémologie scolaire.

Se pose donc le problème de l’articulation de la professionnalisation des enseignants lancés dans cette innovation avec l’universitarisation de leur formation (question soulevée notamment en France aux colloques de Balaruc en avril 2003, de Rennes en mai 2003, de Caen en octobre 2004…).

Le symposium portera donc sur la façon dont s’articulent la professionnalisation enseignante et l’universitarisation de la formation et de la recherche dans les nouvelles pratiques philosophiques à l’école, en donnant épistémologiquement naissance à un paradigme spécifique del’apprentissage du philosopher.

Ce qui est récurrent dans ces pratiques, c’est la discussion comme modalité privilégiée de travail : quasi exclusive dans les cafés philo, largement dominante dans les pratiques scolaires.

On peut s’interroger sur le sens de ce primat.

Celui-ci semble d’un côté en phase avec certaines missions du systèmeéducatif : maîtrise de la langue, orale et pas seulement écrite (didactisation de l’oral) ; importance du débat sociocognitif dans les apprentissages (sociocontructivisme) ; accent mis sur l’éducation morale, ou à la citoyenneté (avec l’entraînement au débat démocratique) ; tentative de répondre à la crise du sens scolaire du rapport au savoir (par la motivation et lenon dogmatisme) et à la loi (par la coopération procédurale et éthique)…

Mais d’un autre côté les philosophes dénoncent assez consensuellement l’opinion-préjugé de l’expression orale des élèves, la doxologie ou la sophistique du « café du commerce », la démagogie de nombre de débats démocratiques. Le paradigme organisateurtraditionnel de l’enseignement philosophique n’est-il pas le cours du maître (son « œuvre »), les textes canoniques de grands auteurs (comme exemples et modèles de pensées), et l’écriture de l’élève (dissertation en France), pour apprendre à philosopher?

On peut donc s’interroger sur le sens de ces nouvelles pratiques :

1) Pourquoi, de fait, ont-elles pris laforme privilégiée de la « discussion » ?

2) Philosophiquement et didactiquement, la discussion peut-elle être, à sa manière, par rapport au cours du Maître, à la lecture et l’écriture, un chemin pour l’apprentissage du philosopher, une autre voie possible ? Et si oui, parce qu’une discussion n’est pas ipso facto philosophique, à quelles conditions? Ces conditions sont-elles réalisées, voire réalisables, dans les tentatives actuelles ?

3) La discussion à visée philosophique, par sa confrontation directe à l’altérité incarnée, sa relative parité des échanges, le déplacement du rapport du maître par rapport à la parole, au pouvoir et au savoir, s’affirme-t-elle, en sonémergence, comme une rupture avec la tradition philosophique de la magistralité (le cours ex cathedra) et d’activités reconnues comme philosophiquement formatrices (lecture et écriture) ? Ou peut-elle se penser et s’agir en complémentarité avec cette tradition de pensée et d’enseignement?

4) S’inscrit-elle dans la continuité del’histoire de la philosophie et de son enseignement (maïeutique socratique sur l’agora, disputatio du Moyen Âge, espace public pour la pensée de la philosophie des Lumières, « agir communicationnel » moderne…)? Ou s’agit-il d’une pratique innovante, voire de rupture, selon laquelle :

- les cafés philo inventeraient une nouvelle pratique sociale denature philosophique dans la société civile contemporaine;

- la discussion à visée philosophique en classe inaugurerait un nouveau « genre scolaire » du philosopher (Thèse de G. Auguet 2003) ? Et une nouvelle « institution » dans les pédagogies coopératives (Thèse de S. Connac 2004), pouvant notamment contribuer àl’éducation interculturelle (Thèse de Y. Pilo,, 2005)?

Bref, s’agit-il, philosophiquement et didactiquement, dans et hors l’école, d’une méthode légitime d’apprentissage du philosopher ? Et, dans ce cas, d’un paradigme organisateur spécifique de cet apprentissage ?

5) Quelle formation (objectifs,méthodes, contenus) semble alors souhaitable, voire indispensable, pour professionnaliser les enseignants, par rapport à la formation traditionnelle des professeurs de philosophie ?

Les interventions du symposium pourront porter sur ces registres distincts, mais complémentaires, avec comme fil directeur l’analyse de la manière dont ces nouvelles pratiques à visée philosophique sont travaillées par l’épistémologie de la discipline, et travaillent à leur tour son épistémologie scolaire.

 

Compte rendu du symposium

Symposium du REF 15 et 16 septembre 2005 (Montpellier 3)

La discussion à visée philosophique dans l’école et la cité : quel paradigme pour l’apprentissage du philosopher ?


Jeudi 15 septembre2005

(Synthèse E. Chirouter, professeur de philosphie à l’IUFM des Pays de Loire)

 

Introduction du symposium par Michel Tozzi, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Montpellier III, Directeur du CERFEE

M. Tozzi souligne que les “ nouvelles pratiques philosophiques ” qui se développent àl’école (débats sur des questions philosophiques entre les élèves dès l’école primaire) et dans la cité (café-philo), prennent de façon récurrente la forme de discussions entre pairs. Ceci est d’autant plus remarquable que le paradigme traditionnel d’enseignement de cette discipline (le cours de Terminale) a toujours discrédité ce type d’organisation. Alors pourquoi est-cespécifiquement cette forme que choisissent les innovateurs ? M. Tozzi souligne plusieurs explications :

* La discussion est en phase avec l’évolution globale du système éducatif, qui met de plus en plus l’accent sur la maîtrise de la langue orale, l’importance de l’éducation à la citoyenneté par l’exercice du débat et l’importance en général de laconfrontation positive entre pairs (socio constructivisme).

* La discussion prétend répondre à la crise scolaire (crise du rapport au savoir et du rapport à la loi).

Les questions que pose la récurrence de cette forme restent nombreuses :

* La discussion est-elle une méthode efficace pour l’apprentissage du philosopher ?

* Est-ce une vraie rupture avec l’enseignement classique de laphilosophie, ou peut-on envisager une complémentarité entre ces deux approches ? Les “ DVP ”Note1 à l’école primaire ne peuvent-elles pas être envisagées comme un préalable indispensable à une véritable démocratisation de l’enseignement de la philosophie enTerminale ? Bref quel dialogue peut s’instaurer entre ces deux démarches apparemment inconciliables ?

* Quelle formation est nécessaire pour professionnaliser les enseignants qui voudraient se lancer dans cette pratique ?

M. Tozzi se demande si cette forme discussionnelle est vraiment dominante dans le champ des Nouvelles Pratiques Philosophiques. Il distingue en fait deux versions de la discussion : la version forte et la version faible.

Dans la version “ forte ”, on travaille effectivement pleinement les interactions entre les élèves. Prenant souvent comme modèle la pédagogie institutionnelle, les enseignants mettent en place un dispositif très précis, où les élèves remplissent des fonctions de régulation et d’évaluation, et où la présence du maître tend à être la plusdiscrète possible. L’interaction entre pairs est un véritable objectif (au même titre que l’apprentissage de compétences philosophiques).

Dans les versions “faibles", où le maître est beaucoup plus présent pour guider la discussion et rappeler les exigences intellectuelles, M. Tozzi préfère parler "d’entretien philosophique de groupe ” .On pourrait dire quel’interaction est envisagée plus comme un moyen (parmi d’autres) pour permettre aux élèves d’avancer philosophiquement.

Si, même dans la version faible, on peut parler de discussion, alors cette forme est bien dominante.

Le symposium se pose la question de la teneur philosophique de pratiques si diverses : quelles garanties pour les exigences philosophiques ? Ce qui pose bien la question de la formation desenseignants qui se lancent dans ces pratiques sans être “philosophes ” de formation : comment à la fois faire le deuil de l’enseignant omniscient, qui doit avouer devant les élèves son humilité face aux problématiques posées (en philosophie il n’y a pas de réponse définitives mais des pistes que nous explorons). Et comment aussi faire valoir une exigence philosophique pour éviter toutedémagogie ? Il en va de l’identité professionnelle de l’enseignant, qui selon la formule de M. Lipman, doit pouvoir “accompagner le groupe là où il va ”.

 

Intervention de Nicolas Go, professeur de philosophie à l’IUFM de Nice.

N. Go propose l’analyse d’une séance de DVP en CM1 autour de la question “ Qu’est-ce quegrandir ? ”. Il s’agit pour lui de redéfinir la définition académique du philosopher. Il faut pouvoir “ rôder aux frontières ” de ses définitions. Qu’est-ce que la philosophie ? Dans l’histoire, on trouve déjà une pluralité de finalités : atteindre la sagesse, atteindre la vie heureuse, chercher la vérité, créer des concepts,“ penser sa vie et vivre sa pensée ”, on peut même refuser de la définir en affirmant qu’elle est d’abord un “ faire ”.

N. Go souligne la spécificité du philosopher : son objet est le réel tout entier ; il s’exerce sous l’idée de vérité(s) ; sa méthode est critique, radicale et totalisante ; il surgit del’étonnement ; et surtout il procède d’une “ nécessité intérieure ”.

En ce qui concerne la philosophie à l’école, la question principale est de faire surgir cette nécessité intérieure. Comment faire pour que cette activité, pourtant circonscrite au temps et à l’espace scolaire, soit porteuse d’authentiques enjeux personnels pour les enfants.Ceux-ci sont capables d’un vrai travail de pensée, à condition justement que l’on sache créer les conditions d’émergence d’un “ goût philosophique ”. A partir de l’analyse de la séance, N. Go développe les métaphores du rhizome et du marcottage pour décrire les cheminements complexes de la pensée philosophique enfantine. Les concepts semblent se construire defaçon souterraine à la discussion, ils surgissent à certains moments, se dissimulent à nouveau pour réapparaître plus tard. Il souligne également que sans le guidage de l’intervenant (M. Tozzi), ce travail du concept n’aurait certainement pas été possible. Grâce à toute une série de stratégies (d’accompagnement, de contrainte), l’action du professeur permet au groupe decheminer philosophiquement. La question de la formation du maître est donc bien centrale : quelles postures adopter pour guider le groupe sans le manipuler, pour rester garant des exigences intellectuelles sans brider la liberté de parole de chacun ? N. Go souligne l’importance de la durée : les séances doivent être régulières pour respecter le rythme de la pensée des enfants. Il y a toujours un moment où la problématique philosophique finit par émerger. Il faut savoir attendre ce moment. Mais le rôle du maître est bien de saisir cette émergence et de permettre son “ institutionnalisation ” dans la mémoire du groupe.

Une autre tension semble émerger de nos discussions : nous avons affaire à une discipline qui repose sur une “ nécessité intérieure ”, on nepeut pas philosopher “ froidement ” sans implication. Comment peut-on didactiser cette dimension ? On peut sûrement évaluer des compétences purement intellectuelles (argumenter, problématiser, conceptualiser), mais comment évaluer la dimension existentielle consubstantielle au philosopher ?

 

Intervention de N. Frieden, maîtresse d’enseignement et de recherche en didactique de laphilosophie à l’Université de Fribourg (Suisse).

Dans son intervention, N. Frieden analyse la naissance d’une option de philosophie orale à l’examen final (équivalent du Baccalauréat français). Dans cette épreuve, deux élèves doivent pouvoir, à partir d’un document non philosophique, dégager une problématique puis être capable d’épouser lesarguments et contre arguments du problème posé. N. Frieden fait le constat que cette épreuve n’a pas, au début, évité le risque de rhétorique : les élèves devaient savoir se placer dans une posture artificielle (il n’y avait justement aucune place pour cette “nécessité intérieure ” dont nous venons de parler). Les enseignants ont essayé de donner auxélèves des outils pour donner plus de profondeur et d’authenticité aux échanges : certains ont insisté sur la culture philosophique (en obligeant la lecture du Monde de Sophie), d’autres ont travaillé le vocabulaire, d’autres travaillent à l’aide de supports créatifs (peintures, films, littérature jeunesse). Mais les grandes questions que soulève l’introduction de cetteépreuve restent les suivantes : comment didactiser et évaluer l’oral ? Comment rendre l’oral philosophique plus profond ? Et toujours et surtout : Comment faire pour conserver, même dans une épreuve très académique, cet enthousiasme et cette implication personnelle propre au philosopher ?


Intervention de Marianne Remacle, assistante en didactique de la philosophie à l’Université libre de Bruxelles (Belgique)

M. Remacle nous fait part de son expérience d’un atelier de philosophie au sein d’une unité de soins psychiatriques qui accueille des enfants en très grande souffrance. A raison d’une fois par semaine et avec un groupe très hétérogène et instable, cet atelier vise à la fois des objectifs proprement philosophiques (passer de l’affectif aurationnel), et plus psychologiques (leur redonner leur statut de sujet). Dans un cas aussi extrême, la question de la nature philosophique des échanges est posée de façon accrue. Mais M. Remacle souligne surtout le grand intérêt des enfants pour ces “moments philo ”. A quoi cela tient-il ? A la nature même du questionnement philosophique qui touche à notre condition humaine ? A la nature du dispositif qui leur laisse l’opportunité d’une parole libre ? En tout cas, même si les échanges ne sont pas très structurés, on peut dire que les enfants s’engagent authentiquement dans la pensée philosophique. Contrairement aux élèves suisses, qui savent construire un discours formellement très bien structuré, sans être engagé dans ce qu’ils disent, les enfants de l’unité psychiatrique s’engagent sans pouvoir rationaliser leur pensée… Nous sommes ici aux frontières de la philosophie. Mais si l’on définit celle ci comme l’art de mieux vivre, on peut affirmer que les enfants en font ici l’expérience concrète.

 

Intervention de Jonathan Philippe, chercheur en sciences de l’éducation à l’Université libre deBruxelles

J. Philippe insiste lui cependant sur une définition plus rigoureuse du philosopher. Il a assisté aux ateliers de M. Remacle et confirme bien l’apport thérapeutique de ces séances, mais il s’interroge sur leur philosophicité. L’instabilité du groupe l’empêche très certainement de gagner en profondeur puisqu’il ne peut pas véritablement se construire en communautéde recherche. Le rôle de l’animateur est donc là aussi très important : c’est à lui de donner des outils (M. Remacle avait souligné l’importance des supports, contes, films, dessins), de saisir la portée philosophique des propos (même les plus anodins), et d’être garant de la mémoire du groupe (en utilisant la trace écrite). J. Philippe souligne également qu’il ne faut paséluder les arguments de ceux qui refusent de considérer la discussion comme modèle absolue de la pratique collective de la philosophie.



Pierre Lebuis, professeur de morale à l’Université du Québec à Montréal

P. Lebuis constate dans sa pratique que le modèle de la philosophie pour enfants peut être transposé à la formation d’adulte, à la formationdes enseignants et que cette transposition est une véritable rupture. Mais il ne suffit pas de mettre les gens en situation de communauté de recherche pour qu’ils soient capables d’animer dans leur classe des DVP. Il faut donc se méfier d’une dérive techniciste. Le dispositif donne les conditions de possibilité d’émergence de la pensée mais il n’est pas une recette magique qui permettrait à coupsûr cette émergence. Il faut que l’animateur soit bien conscient des enjeux philosophiques, éthiques ou politiques de la question posée lors de la discussion.

La question de la formation des enseignants est encore au cœur de nos débats : il faut bien sûr leur donner des outils d’analyse de pratique, mais il faut également les sensibiliser aux enjeux philosophiques des questions (et cela passe aussi par une certaine connaissance de l’histoire de la philosophie et des auteurs), et il faut leur permettre de repenser leur identité professionnelle : quelle est ma place dans la classe, par rapport aux élèves et à leur parole, par rapport aux savoirs et par rapport à la loi. ?

 

Vendredi 16 septembre 2005

(Synthèse A. Delsol, chargé de cours à Montpellier 3)

 

Lamatinée commence avec une présentation de la contribution d’une trentaine de pages de Jacques LEVINE (psychanalyste fondateur du groupe AGSAS –Association de Soutien au Soutien.) En l’absence du conférencier, c’est Michel Tozzi qui présente le texte et le commentera avec ses mots et l’aide de praticiens du groupe AGSAS.

Approche psychologique (dans une double dimensionpsychogénétique et psychanalytique), dont le but est de placer l’enfant dans une condition telle qu’il puisse prendre conscience qu’il est réellement « habité » par une conscience. Il s’agit d’ouvrir l’enfant au monde en questionnant le «de  quoi ça parle », objet principal du questionnement ? Qu’est-ce qui vient d’ailleurs (la famille, l’école,etc.) ; qu’est-ce qui vient du « moi » et renvoie aux conflits intra personnels, qu’est-ce qui peut aider à penser le monde même si les questions ne sont pas particulièrement originales. Les définitions proposées par Lévine sont étayées par des analyses très fines de corpus qui cherchent à montrer l’articulation synchronique du passage du « moi  poursoi » (référence de l’enfant à sa mère) au « moi groupal » (référence au groupe d’âge de l’enfant) puis au « moi adulte » (référence à l’universel.) Cette psychogenèse définit la pulsion du sujet selon trois niveaux. En premier lieu, le sujet doit être reconnu comme interlocuteur valable (équivalence.) En second lieu, l’enfant découvre l’humain au travers du langage qui entraîne ainsi l’évolution des représentations qu’il se fait du monde. Enfin, il acquiert la « pulsion civilisation » dès lors que les forces contraires peuvent s’articuler dialectiquement. Les « oui mais » seront des indicateurs d’un accès possible à la complexité.

La discussion qui suitcette présentation souligne l’intérêt de mettre l’accent sur l’enfant, tout en notant le risque d’une dominante du psychologique sur le philosophique. Méthodologiquement, plusieurs intervenants pointent la qualité des analyses des corpus et l’utilité des analyses cliniques pour démontrer les évolutions réalisées par l’enfant au cours des DVP. Evidemment, ce qui est discuté leplus c’est l’approche psychanalytique qui semble s’intéresser moins au processus discussionnel qu’aux interactions liées à la médiation sociale. Plusieurs interlocuteurs notent que l’originalité de la démarche c’est cette préoccupation de mettre le sujet pensant en contact avec ce mystérieux « déjà là » : cette sorte de sentiment océaniques’ouvre dès lors que le sujet rentrerait en contact avec le réel. Jean Charles Pettier, en accord avec ces grandes lignes, s’interroge cependant pour savoir si un tel modèle psychogénétique reste uniquement lié à l’analyse des protocoles et du contexte méthodologique, ou s’il est possible d’élargir cette démarche à l’Universel ?

 

Emmanuelle AURIAC, M.C.F. à l’IUFM de Clermont-Ferrand (France.)

Approche psychosociale de la DVP comme praxis scolaire (élève), champ de formation (enseignant) et objet de recherche (pragmatique du discours.)

Emmanuelle Auriac propose une entrée psychosociale dont l’originalité est d’observer comment ça se passe du côté de « l’élève », afind’apporter des réponses pratiques aux enseignants. Démarche et méthodologie propres au champ de la psychologie sociale et à la psycholinguistique. L’auteure analyse des corpus produits dans des discussions philosophiques de type lipmanien. Comment un élève, désigné comme « interlocuteur valable », va-t-il produire des énoncés dont les inférences pourront être reprises parses interlocuteurs ? Cet interactionnisme discursif est favorisé à la fois par le dialogisme et l’intercompréhension qui se déploie en tant que mécanismes discursifs au cours de la DVP. Ainsi, l’expression « oui mais » peut devenir un indicateur pour dénoter un degré de complexité dans la discussion ainsi que l’apparition d’un aspect dialogique. Emmanuelle Auriac prend acte du faitque les Instructions Officielles imposent dans les programmes le débat argumenté. Un chercheur en IUFM doit aussi apporter des réponses aux futurs formateurs. Sur le plan de l’argumentation, l’évolution relevée par Emmanuelle Auriac serait ainsi : la production d’idées serait favorisée dès lors que le dialogue est « ancré », c’est-à-dire quand l’argumentation estgénérée par le dialogisme. La question reviendrait alors à identifier comment les effets du langage sont « rationalisés » selon l’angle de l’intercompréhension, et comment l’enseignant pourrait se saisir de ces effets pour faire avancer la discussion.

La discussion qui suit cette présentation souligne l’intérêt de distinguer l’élève de l’enfant,mais il resterait à définir plus clairement la notion d’« interlocuteur valable » en tant qu’élève. Michel Tozzi note que le paradigme de l’argumentation risque de mettre au second plan l’interaction entre les deux autres processus de pensée, la conceptualisation et la problématisation. D’autres questions surgissent pour défendre la nécessité de garder de manière plusprésente en arrière plan une réflexion épistémologique qui permettrait de pointer les incidences des analyses de corpus selon les champs privilégiés par le chercheur. Un intervenant suggère qu’il serait intéressant d’effectuer une confrontation méthodologique selon qu’un script est analysé avec une optique plutôt psychologique, philosophique, linguistique, etc. Sylvie Queval souligne ledanger d’une instrumentalisation de la philosophie : si l’on met trop l’accent sur ce qui est « rationalisé », on prend le risque de diluer la DVP dans une sorte d’exercice de logique. Elle propose que la philosophie soit revendiquée comme un élément en plus dans les apprentissages et qu’en appelant l’élève à réfléchir logiquement sur des objets ordinaires de lavie, et non artificiel comme dans les autres matières, on amène l’élève à réutiliser tous les savoirs appris à l’école, autrement dit faire en sorte que ce soit la philosophie qui instrumentalise les savoirs scolaires afin de leur donner du sens en raisonnant sur des objets ordinaires de la vie.

Marie-France Daniel, professeure du département de Kinésiologie, Université deMontréal (Québec, Canada) : « Les échanges philosophiques entre élèves âgés de 10 à 12 ans sont-ils à caractère relativiste ou intersubjectif ? »

 

La philosophie pour enfants est davantage un processus qu’un produit fini tel que proposé par la philosophie traditionnelle. Ce qui fonde la PPE (philosophie pour enfants) est soncaractère dialogique et critique. Dans une approche lipmanienne, une étude s’est penchée de façon exploratoire sur les échanges des enfants de cultures différentes. L’analyse des résultats a dégagé différents types d’échanges entre élèves qui ont été reliées à trois perspectives épistémologiques. Une modélisation conclut que :A) Le dialogue philosophique n’était pas un mode spontané d’échange comme l’est la conversation. B) Le caractère des échanges entre les élèves se modifiait entre le début et la fin de l’année. C) Le processus de modification des échanges suivait un même patron quelle que soit la culture des élèves : au début de l’année les élèveséchangeaient de façon anecdotique ou monologique et ils se situaient dans une épistémologie reliée à l’égocentrisme. A la mi-année, les élèves échangeaient de façon dialogique non-critique et leur épistémologie était reliée au relativisme. A la fin de l’année ils se situaient dans un type d’échange quasi-critique qui chevauchait le relativisme etl’intersubjectivité. Seuls les groupes d’élèves qui possédaient de l’expérience en PPE échangeaient de façon dialogique-critique et se situaient clairement dans un épistémologie reliée à l’intersubjectivité. Marie France Daniel souligne que les résultats de cette analyse ne sont pas, pour l’instant, généralisables.

La discussion qui suit cettecommunication soulève dans un premier temps des demandes concernant la méthode d’analyse. Ce qui entraîne un questionnement sur la posture épistémologique et méthodologique relative aux catégories choisies par le chercheur. Mme Daniel précise que ces catégories n’ont pas été choisies par le chercheur, mais qu’elles ont émergé de l’analyse.

La discussion permetd’opposer deux types de pratiques très contrastées : celle où la guidance du maître est très présente ou forte comme dans les ateliers lipmaniens, et à l’inverse les ateliers de Lévine. La question du sentiment océanique éprouvé par le sujet au cours des ateliers de philosophie est de nouveau évoquée, soulignant ainsi l’intérêt à côté desprocessus de pensée de l’étonnement premier, ou de l’importance d’une « nécessité intérieure. » Marie France Daniel, tout en partageant en partie ces critiques, conclut qu’il faut être conscient que nous sommes dans un processus et bien évidemment qu’il faut être très attentif à ne pas évacuer l’aspect philosophique des ateliers pour enfants, même sicet aspect n’apparaît que sous la forme d’une visée.

 

François Galichet (France), professeur des universités en philosophie à l’IUFM d’Alsace :

« La DVP et la question de la croyance ? »

« Qu’est-ce que la philosophie ? » reste l’interminable question des philosophes : il faudraitéviter la question similaire « Qu’est-ce que le « philosopher » dans la DVP ? ». François Galichet propose d’orienter la réflexion épistémologique de la DVP vers le problème de la « croyance. » Si on interroge des enfants sur une question aussi triviale que « Quels sont les besoins de l’enfant pour grandir ? », on peutattendre deux types de réponses. Les premières informatives et biologiques seront de type empirique : il faut manger pour grandir. Les secondes relèveront de la sphère de la croyance dès lors que l’on prétendra qu’il faut manger impérativement ceci ou s’abstenir de cela. Cette notion de croyance n’est pas à confondre avec la « confiance » qui est une attente dumonde que l’on connaîtt ; elle n’est pas non plus à confondre avec « l’opinion », car la croyance est une sorte de normativité par rapport à soi ; elle n’est pas non plus à confondre avec la « foi », qui est intramondaine ( croyance en… ) alors que la croyance ( croyance que… sans le doute) nous ramène dans lasphère du prémondain. La notion de croyance est totalisante, posée comme évidente, exigence qui se réclame universalisante. La discussion philosophique, à la différence de la dispute philosophique, n’est pas un discours fondé à partir du concept, la discussion est un débat « esthétique », une recherche d’un jugement réfléchissant. Kant avait déjà procédé à cette distinction entre la philosophie pure et l’esthétique comme « normativité originaire » liée au domaine du droit, pour lequel le débat ne s’appuie jamais sur un concept, mais s’argumente autour de la discussion. La croyance épouse en quelque sorte cette « normativité originaire » qui peut devenir le lieu de départ de la discussion à visée philosophique. La croyance revêt alors un caractère de raison se déployant dans la sphère du besoin, c’est-à-dire du domaine biologique où le droit du besoin renvoie dans la discussion à un questionnement juridique. L’équation classique du « philosopher » : problématisation – conceptualisation – argumentation, se renverse sous la forme suivante : argumentation – conceptualisation – problématisation. Ainsi, la question du « Qu’est-ce que « philosopher » ? » pourrait prendre la forme de la prise de conscience faite par le sujet sur ce qu’il pense, pourquoi il pense, ouverture pour que le sujet découvre la dimension humaine du tragique. La croyance comme lieu de retournement vers soi, vers l’Autre et vers le Monde devient alors un lieu pour produire du philosopher.

Une discussion suit cet exposé. Sylvie Queval critique l’aspect trop dichotomique qui définit la notion de croyance ; par ailleurs elle s’interroge comment on peut laisser le sujet dans le tragique et dans l’aporie. Autre point de vue soulevé par les discutants, la discussion s’alimente à partir de l’opinion, on peut la concevoir à partir de la croyance maisil ne faut pas oublier que chaque discussion est aussi liée à des pratiques et à des règles. Ne faut-il pas dans ce cas analyser les effets des différentes modalités, car la croyance si elle fait partie du sujet, est difficile à expliciter ? Par contre, si la Vérité au sens platonicien est impossible à viser en posant la Croyance comme nouvelle visée, ne serions-nous pas face à un nouveau paradigme ? Comme le souligne Nicolas Go, la recherche du consensus provisoire est précaire, ce qui intéresse l’enfant n’est-ce pas justement l’infini ? La discussion utilise certaines étapes provisoires, part du fugitif mais progressivement, en questionnant ce qui fonde ses convictions, ses opinions comme celles des autres, n’est-ce pas cela entrer dans la dimension de l’infini ? Michel Tozzi, soulignel’intérêt de cette quête du sens à partir de laquelle l’enfant explore le monde. La découverte de l’infini, de la dimension tragique qui habite chaque sujet n’est-elle pas également à mettre en relation avec l’affect au sens deleuzien ? On reconnaît tous qu’au cours des DVP la pensée collectivement tend à stagner, l’ambition philosophique y est modeste ; ce qui estvisé c’est la réflexion du sujet sur le rapport qui peut exister entre une notion et un vécu. En dépassant les contradictions, on pousse le sujet à modifier ses croyances et on l’aide dans les moyens qu’il se construit pour rendre pertinente la conception qu’il a du monde.

 

Jean-Charles Pettier (France), professeur de philosophie à l’IUFM de Créteil :

«  Peut-on fonder la DVP avec les enfants sur les droits de l’homme, et particulièrement sur les droits de l’enfant ? »

Les droits de l’homme sont à la fois les références et la garantie de ce qui fonde la démocratie. L’homme est « libre » grâce à sa raison, né par principe « égal » aux autres hommes, et pour réaliser ses idéaux il faut qu’il construise cette raison. Les Droits de l’Homme sont nourris des Lumières dont les principes ont été critiqués par le marxisme et d’autres idéologies, ne voyant dans cette déclaration que l’entreprise d’une classe sociale, la bourgeoisie. Une autre critique est relative à la forme des Droits de l’Homme, pourquoi le choix fut une déclaration sans expliquer ces droits plutôt que leur discussion comme en appelaient des députés comme Sieyes ? Le choix stratégique et pragmatique tranché par des députés de la Convention fut donc la Déclaration et non celui de la discussion. En interdisant l’examen rationnel de ces droits, on évitait aussi leur remise en cause. Ainsi naissait un paradoxe étonnant : la raison, principe fondamental des Droits de l’Homme, n’a jamais été convoquée lorsque leurs rédacteurs les ont érigés ! Pettier fait référence à la notion « d’hominité » qui se construit à partir de ces Droits et en fonction de la singularité de chaque individu, réalisant leur possibilité d’existence en référence à ces mêmes Droits. Mais lorsqu’ils’agit de DVP, quelles sont les conditions qui permettent à l’enfant d’accéder intellectuellement aux conditions de ces Droits ?

Plusieurs discutants interpellent cette lourde question de la possibilité alors de faire assumer aux enfants une condition qu’ils ne seraient pas prêts d’assumer. Le rapport de la Déclaration et de la République naît dans un contexte historique en l’absence defondement, la vision du juridique était alors principalement fondée sur l’idée de Dieu, les Droits de l’Homme ne se terminent pas à sa Déclaration. Ce sont des droits à compléter par un processus tel celui de la démocratie qui en contextualise politiquement les principes. Le questionnement resurgit sur l’aspect provisoire et secondaire de la communauté de recherche : comment fonder le droit s’iln’y a radicalement rien de commun entre Moi et l’Autre. Evocation évidente de l’idée de totalité et d’infini de Lévinas où l’espace intersubjectif est posé comme un point de départ éthique dans la rencontre entre le Je avec Autrui. Dans cette relation éthique, Autrui vient interdire à Je de déchirer ce fond commun, tout eninterdisant que je l’aliène dans ma propre subjectivité. Ainsi, la DVP interpelle les causalités fondant le juridique. La DVP revêt bien le genre réflexif qui questionne la cohérence éducative et la pédagogie.

 


Notes
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