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Compte rendu du Second Printemps des Universités Populaires

Posted By admin On 6 juillet 2007 @ 0:08 In Les universités populaires | No Comments

Narbonne et Perpignan – 22-24 juin 20071

Le Premier Printemps des nouvelles Universités populaires lancées à la suite de l’UP de Caen (M. Onfray notamment) en 2002 s’est tenu à Villeurbanne, du 23 au 25 juin 2006 (on peut en trouver un compte rendu dans le n° 31 de Diotime :

www.crdp-montpellier/ressources/agora/D031002A.HTM).

Le Second Printemps, coorganisé par les UP de Narbonne et Perpignan, s’est tenu successivement dans les deux villes, du 22 au 24 juin. Douze UP étaient représentées, depuis celles de Caen, Lyon, Narbonne, Avignon, à celles en construction (Saint-Brieuc, Nîmes, Aix-en Provence) en passant par celles qui ont commencé cette année (Montpellier, Grenoble, Seine Saint-Denis etc.). D’autres s’annoncent (Toulouse, Arles…).

250 à 300 personnes (gratuité de la participation, bénévolat des intervenants, selon les principes des UP) ont participé à ces trois journées, qui ont été un réel succès pour des villes moyennes excentrées. Il semble que l’on assiste à une montée en puissance, comme cela s’est passé depuis 1992 pour les cafés philo. Un mouvement se dessine (avec des projets dans d’autres villes), puisque l’UP de Saint Brieuc a proposé l’organisation du 3ième Printemps en juin 2008, et l’UP de Grenoble le 4ième en 2009.

On pourra entendre toutes les interventions faites (comme celles de l’an dernier), enregistrées par W. Bonomo.

L’ouverture a été faite par N. Cathala, cofondatrice de l’UP de Narbonne et présidente du Club Léo-Lagrange, qui accueille cette UP.

Deux préoccupations étaient à l’ordre du jour :

- un certain nombre de tables rondes autour d’une notion : la modernité, portant sur les savoirs critiques qui ont été élaborés par les sciences humaines pour conceptualiser cette notion, et sur leur diffusion dans la cité ;

- et au début et à la fin du Printemps, un temps de réflexion sur ce que nous pouvons appeler, à l’instar de ce qui s’est passé depuis 1992 pour les cafés philo, « un mouvement des nouvelles UP » : pourquoi la création de ces UP, quels objectifs, quels contenus, quels modes de fonctionnement ?

Les nouvelles UP : une forme de « mouvement social et d’éducation » ?

Concernant ce dernier point, deux objectifs étaient poursuivis :

1) Une meilleure connaissance mutuelle des différentes UP. Il paraissait important de savoir pour chacun ce qui se faisait ailleurs, pour en retirer des idées pour sa propre UP, pour aider aussi pratiquement au lancement des nombreux nouveaux projets en cours, et enfin plus théoriquement pour comprendre ce que signifient de telles initiatives aujourd’hui.

D’où une première phase descriptive, mais aussi problématisée par le rappel des débats de l’équipe lors de la création, du choix des thèmes et des méthodes, des bilans pour repartir une nouvelle année, qui introduisaient aux dynamiques de conception et de mise en œuvre.

Quelques éléments récurrents dans les présentations :

- Pour toutes les UP présentes, l’événement fondateur de l’UP de Caen (médiatisée par M. Onfray), avec une charte fondée sur la gratuité des participants et le bénévolat des intervenants.

- L’élément déclenchant de rencontres affinitaires, ou de réseaux constitués plus ou moins informels, la dissémination de telle UP vers d’autres, avec aide au lancement, l’aspect collectif de la responsabilité de l’UP, l’aspect « aventure » de cette expérience instituante.

- La grande liberté d’organisation (aucune contrainte institutionnelle), d’initiatives, de propositions de contenu et de formes pédagogiques.

- L’intention culturelle et éducative de rendre accessible les savoirs au plus grand nombre, et de toucher ceux qui sont écartés du savoir (lien revendiqué entre savoir et démocratie, dans la tradition de l’éducation populaire).

- La volonté chez beaucoup (mais pas tous), de diffuser largement des savoirs critiques, de conscientisation des liens entre savoir et pouvoir, favorisant l’analyse et l’engagement, avec une dimension militante, notamment politique (gauche, souvent extrème-gauche diverse : libertaire, Attac, LCR etc. Une délégation en projet d’une UP sur d’Aix-en-Provence était cependant constituée de patrons…de gauche…)

- L’insistance sur le désir et le plaisir de transmettre et partager, du côté des intervenants, d’apprendre et de comprendre, du côté des auditeurs et participants.

- La prédominance des sciences humaines (partout philosophie, souvent histoire, sociologie, droit, politologie…), parfois psychanalyse, littérature, art, avec quelques rares tentatives pour introduire les sciences dites « dures » (astrophysique à Grenoble).

- La présence dominante ou plus réduite d’universitaires et d’enseignants (quand il y a la volonté de mobiliser d’autres savoirs qu’universitaires ou académiques).

- Dans la mesure où des UP veulent affirmer leur totale indépendance institutionnelle, des problèmes de locaux, d’horaire, de financement (gratuité de la participation).

- Les débats internes sur la forme à donner à l’UP (association par exemple ; recherche ou refus de subventions…).

- Le choix souvent d’un thème fédérateur transversal pour les intervenants, qui colore les activités. Ailleurs, il y a différents types de cours ou des pôles de regroupement.

- La diversité des formes pédagogiques : conférences avec des « auditeurs » (qui peuvent se faire en amphi à de grands groupes), formule une heure d’apport plus une heure de débat (ex : UP de Caen), ateliers de travail avec des « participants », en groupes réduits et forte interactivité (Narbonne, Perpignan, Université « citoyenne et populaire » de Saint-Denis)…

- L’insistance ou pas sur les problèmes de territoire (l’UP de Narbonne est l’UP de « Septimanie », avec un fort pôle sur l’identité historique et géographique narbonnaise, l’UP de Saint Brieuc est celle des « Côtes d’Armor »).

2) Le deuxième objectif était une exploration de la question : quelle est la signification de l’émergence de nouvelles UP en France depuis le lancement de celle de Caen en 2002 ?

S’agit-il d’une pratique sociale, d’une pratique culturelle, d’une pratique éducative ? S’inscrit-elle dans le simple prolongement émancipateur des mouvements d’éducation populaire, ou d’un renouvellement relatif ou plus important du genre, et si oui en quoi ?

S’agit-il d’une forme nouvelle ou renouvelée de mouvement social, comme on a parlé d’un « mouvement des cafés philo », avec la multiplication depuis 1992 des cafés philo en France et à l’étranger, avec des rassemblements annuels de réflexion sur leur animation (exemple du neuvième festival Philo des champs en juillet 2007 à Revel).

A dix ans d’intervalle (1992-2002), à l’origine un homme, Marc Sautet au Café des phares à Paris, Michel Onfray à Caen (avec quatre autres comparses), qui ont l’intuition d’une demande sociétale latente, qui va cristalliser dans la société civile et s’étendre : deux professeurs de philosophie et philosophes. Le lien avec la philosophie est souvent explicite dans les UP : M. Onfray et S. Auffret à Caen, T. Wuilleme à Lyon, J. Vidal à Perpignan etc.; M. Tozzi pour les ateliers de philosophie pour adultes à Narbonne et Perpignan, P. Corcuff l’an prochain à Lyon ; ateliers de philosophie pour enfants : G. Geneviève à Caen, Alain Delsol à Narbonne et Perpignan etc.

Les questions suivantes ont été abordées sur le sens de cette émergence et de ce développement : ces Universités populaires sont-elles porteuses d’un projet culturel, éducatif, sociétal, politique ? Lequel ? S’agit-il d’une forme de résistance ? Si oui, à quoi ? Pourquoi des universitaires qui peuvent déjà diffuser des savoirs dans leur université éprouvent-ils le besoin d’en sortir pour aller dans des Universités populaires ? Que peut signifier aujourd’hui une Université Populaire ? Pourquoi, quand on connaît le caractère sélectif du système scolaire, un tel oxymore ? En quoi est-ce une université ? Est-elle populaire par son projet, son public ? Que signifie la gratuité pour le public et le bénévolat pour les animateurs ? Qu’en est-il du statut et de la diffusion des savoirs dans ces UP ? Pourquoi met-on l’accent sur les savoirs critiques, et sur leur diffusion, comme le montre le titre de ce second Printemps ? Est-ce que s’y cherchent de nouvelles formes d’enseignement et d’apprentissage (on avait l’an dernier une table ronde sur « Les UP et les pédagogies alternatives ») ? Est-ce un lieu de simple transmission d’enseignants qui rendent accessible le savoir produit par l’université, ou/et un lieu de co-apprentissage, de co-élaboration des expériences entre « animateurs » et participants? Comment s’y articulent théorie et pratique ? Comment échapper au simple consumérisme culturel ? Est-ce un lieu d’expérimentation sociale, culturelle, pédagogique, et si oui de quel ordre ? Sommes-nous dans l’instituant ou dans l’institué ? Qu’est-ce qui est en train d’évoluer chez ceux qui ont une expérience de plusieurs années ?

Des débats menés au début et à la fin du Printemps, quelques idées glanées parmi d’autres :

- Les UP ne doivent pas être une occasion pour déserter les luttes sur le terrain de la transformation du système universitaire, ni de croire que cette activité culturelle peut tenir lieu de substitut aux carences de l’Education Nationale, ou de la discussion citoyenne dans l’espace public (A. Marchand).

- On ne peut résorber – comme on a pu le croire parfois dans les Universités nouvelles du Parti communiste, qui tendaient à fonctionner sous une double autorité unifiée : celle du « vrai représentant du Peuple » et celle de la Science -, la tension entre « Université » et « Populaire » (P. Corcuff). Il faut plutôt la travailler dans une « équilibration des contraires » d’inspiration proudhonienne.

- L’UP peut être un des lieux de l’expérimentation sociale, culturelle, éducative, par la diffusion de savoirs critiques à un grand nombre, la mise en œuvre de pédagogies alternatives, et la contribution à l’éducation d’un citoyen réflexif (M. Tozzi).

- Les UP peuvent être un espace politique pour développer des libertés individuelles et collectives, et pour développer des valeurs partagées sur l’éducation ; on ne peut en parler sans rapport à d’autres institutions, vu la présence d’universitaires. Il faut rédéfinir leur fonction dans un monde qui a beaucoup évolué depuis les expériences d’UP antérieures, car elles sont un construit social (W. Bonomo).

- Le savoir est un processus et un contenu complexes, souvent en rupture avec l’opinion commune, d’autant plus s’il se veut critique. La tentation démagogique est de le simplifier, de réduire abusivement son opacité. Il faut maintenir sa spécificité, et la qualité dans sa diffusion (H. Solans).

- Le problème est alors sa difficulté d’appropriation : c’est un problème en grande partie pédagogique. Les universitaires ont de ce point de vue un handicap : leur habitus de la situation frontale, magistrale et transmissive, dont l’ambition démocratique peut être la clarté de l’exposition, mais qui ne prend pas toujours en compte les conditions d’appropriation du savoir, surtout quand il s’agit d’un public dont aucun pré-acquis n’est exigé.

- Les UP ont l’avantage de desserrer le carcan éducatif institutionnel : pas de prérequis, de programme, d’examen, gratuité des inscrits, public volontaire et non captif, bénévolat des animateurs, non contraints à une obligation de moyens, etc. Ceci peut favoriser une confiance, un non-jugement, une dynamique qui peut faire passer, les mots ne sont pas neutres, du statut de simple « auditeur » à celui de « participant », voire d’« interlocuteur », et entraîner, par les moments d’échange et de débat, une véritable dynamique de groupe.

- Alors que certains intervenants assument leur statut d’universitaires, d’experts sur tel champ du savoir, et veulent vulgariser leurs connaissances dans une perspective culturelle, ou plus militante s’agissant de savoirs critiques, d’autres rappellent qu’il y a d’autres types de savoirs, individuels ou collectifs, que les savoirs académiques : des savoirs d’expérience, professionnels, associatifs… et qu’il faut faire appel à des personnes-ressources non universitaires.

- On parle parfois d’une fonction d’enseignement, de transmission de connaissances, en précisant qu’on laisse du temps pour l’échange et le débat, selon la formule de M. Onfray : une heure d’apport, une heure de débat, pour que celui-ci parte d’une base solide ; et on parle parfois davantage, dans une certaine tradition de l’éducation populaire, d’une fonction d’accompagnement, d’une logique de formation, d’un rôle d’animateur, qui vise à développer des compétences et pas seulement à transmettre des connaissances, à jouer sur des dynamiques d’apprentissage individuelles et collectives, où l’expertise n’est pas seulement de contenu, mais de démarche.

- Il subsiste cependant de fortes tendances à l’offre ou à la demande magistrales, à l’effet médiatique de certains universitaires, et parfois au consumérisme culturel : mais pourquoi pas, si c’est pour satisfaire une soif de savoir ? Pourquoi d’ailleurs opposer apport sur des contenus et dispositifs d’appropriation, qui peuvent se compléter au sein d’une UP, selon les objectifs des intervenants et l’hétérogénéité des demandes du public ?

Quels savoirs critiques sur la modernité ?

Pour éclairer sur ce deuxième aspect du Printemps, l’approfondissement d’un thème (l’an dernier, il s’agissait de s’interroger sur : « Quelle idéologie des Lumières pour le 21ème siècle ? »), plusieurs tables rondes associaient des philosophes, économistes, historiens, sociologues, juristes etc.

La matinée du samedi était consacrée à des paroles longtemps et encore souvent niées : celle des enfants et des femmes, dont la modernité semble reconnaître, dans le droit et de plus en plus dans les pratiques, la légitimité.

La première table ronde porte sur la philosophie avec les enfants.

Alain Delsol (UP Narbonne et Perpignan), sciences de l’éducation, intervient sur les tenants et aboutissants de sa pratique dans les deux ateliers philo qu’il anime dans les UP de Narbonne et Perpignan. L’intérêt est à l’UP de créer un lieu peu institutionnalisé, en dehors de la famille et de l’école, où les enfants ont une liberté d’expression de pensée et de confrontation sociocognitive entre pairs dans un climat de confiance et sans jugement, sous la conduite philosophiquement exigeante d’un adulte bienveillant, réduisant autant que faire se peut la relation asymétrique adulte-enfant. La production d’ « expériences de pensée », une éthique de l’écoute favorisant l’estime de soi, une démarche de questionnement et des supports porteurs (comme les mythes grecs) lui semblent quatre conditions facilitatrices d’un travail à visée philosophique avec les enfants.

M. Tozzi (UP Narbonne et Perpignan), sciences de l’éducation, soutient la thèse que la philosophie pour enfants est un « indicateur de la modernité ». Car elle est au confluent de deux tendances fortes :

- la reconnaissance de l’enfant, par les juristes (l’enfant est un sujet de droit, selon la Convention internationale des droits de l’enfant) : il a des droits, et notamment le droit de penser ; par les psychologues (il est cliniquement un sujet à entendre dans sa souffrance) ; les éducateurs (l’élève est au centre du système éducatif ») : il a de fortes potentialités de réflexion, et peut apprendre en étant acteur de et dans ses apprentissages.

- le besoin sociétal de philosophie, pour travailler au plus tôt le sens de sa vie comme individu dans un monde incertain.

La didactique du philosopher, qui accompagne l’enfant pour trouver lui-même des réponses à ses propres questions, tente de fortifier chez l’homme, dés l’enfance, l’assomption de sa condition moderne ou post moderne.

S. Auffret, philosophe et historienne des idées féministes, analyse l’émergence du féminisme dans la modernité. La philosophie est machiste (où sont les femmes dans son histoire et son contenu?), et l’irruption du sexe trouble le rapport de la philosophie à la vérité.

Elle détaille les sept vagues historiques du féminisme occidental : Révolution française (Olympe de Gouges, Théroigne de Méricourt) ; 1830 (Saint-Simon, Fourier), 1848 (V. Hugo, Léon Richer, Jeanne Deroin), 1971 (André Léo et Louise Michel), les suffragettes avant 1914, le quotidien féministe La Fronde, Frida Kalho (Mexique) et le Front populaire, 1968 (après la guerre, S. De Beauvoir est plutôt dans un creux). Depuis 1990, on peut distinguer quatre courants féministes : l’universalisme abolitionniste du sexe, où il n’y a pas de sexe, mais un « genre » socialement construit : « L’un est l’autre » (E. Badinter), la femme est une personne juridique, indépendamment de tout attribut sexuel (Marcella Iacub), accord avec utérus artificiel, location d’utérus, prostitution-contrat, pornographie ; le féminisme pro-sexe : il faut encore plus de sexe (Ovidie, manifeste du porno féministe, éthique libérale d’une liberté acquise par le marché, pourquoi pas un tourisme sexuel pour femme ?) ; le mouvement allochtone issu de l’immigration : le voile est symbole de la discrimination (« Ni putes ni soumises »), halte à l’Islam, voire toutes les religions, oppressives des femmes) ; le post (ou plutôt le néo-) féminisme, dépassement du féminisme : c’est le différentialisme d’Antoinette Fouque, Sylviane Agazinsky, Séverine Auffret, Nancy Huston ; il faut admettre la différence, reparler sexe et non pas genre (avec les « genre studies »), arrêter le virilisme féministe, car c’est dans le corps des femmes que se produit la reproduction des hommes : le droit à l’avortement ne peut être un droit de l’homme. La différence, irréductible, ne doit pas entraîner la discrimination : pas de location d’utérus, critique radicale des rapports marchands dans la prostitution et la pornographie », etc.

Deux notions semblaient incontournables pour penser la notion de modernité : celle d’individu, pour signifier une tendance sociétale lourde du processus d’individuation, qui pose la question de sa nature et de ses effets sur la constitution du sujet moderne et sur ce qui fait – ou défait – dans un tel contexte le lien social et politique ; celle de rupture, pour penser le concept même de modernité (post-modernité etc.), en référence au passé, aux « Anciens », à la tradition…

Dans la table ronde sur « Individu et modernité », trois approches :

- celle de l’« individu situé » d’A. Marchand (UP Montpellier), économiste : ce qui unifiait l’homme et le citoyen dans la République était le droit de propriété. Le système de protection sociale construisait une propriété sociale pour ceux exclus de la propriété privée. Aujourd’hui, c’est la figure de l’entrepreneur qui l’emporte sur celle du propriétaire. Non plus gérer en bon père de famille, mais prendre des risques pour créer de la richesse, dans « l’économie sociale de marché ». Gérer l’école, sa famille et même soi-même comme un entrepreneur (de soi). L’homme n’est pas une monade isolé, il est connecté à d’autres, jamais les mêmes, quand il est parent d’élève, consommateur, usager etc., dans des situations où on cultive l’entre soi en gérant des « avoirs » communs. Les autres sont défaillants par leur catégorie du « sans » (logement – SDF – papiers etc.).

- Pour P. Corcuff (UP Lyon), politiste, il faut prendre les catégories de modernité et post-modernité avec prudence. L’indéniable processus contemporain d’individualisation est ambivalent : pour les uns (syndicalistes de l’effacement des collectifs de travail, psychanalystes de la mort des re-pères), il est négatif, en désagrégeant le lien social, avec sa pathologie dépressive de « la fatigue de soi », « la tyrannie de l’intimité », l’injonction de l’orgasme, la culpabilisation de la responsabilité. Pour les autres, il est émancipateur, par l’accroissement des choix, des marges de manœuvre, de la réflexivité (Giddens), tissage de nouveaux liens dans les familles recomposées (de Singly).

C’est une erreur d’identifier individualisme et néolibéralisme, un réductionnisme économiciste. Le capitalisme participe certes à une individualisation des sociétés humaines, mais il tronque le processus d’auto-réalisation des individus pas sa dimension marchande. Il faut donc débloquer cet empêchement, retourner l’individualisation contre le capitalisme.

Il faut redéfinir la modernité, qui signifie aussi colonialisme et Shoah, en utilisant la tradition pour redéfinir des « Lumières tamisées », notamment en réintégrant la dimension sociale comme condition de l’individualisation, ainsi qu’une identité plus fluide, ouverte à la pluralité.

Il faut penser l’émancipation dans la tension d’une contradiction, « l’équilibration des contraires » (Proudhon), et non dans la catégorie, toujours pour partie religieuse, de « la synthèse » (d’inspiration hégélienne). La justice sociale, comme répartition plus équitable de ressources entre personnes commensurables, ne doit pas oublier l’ouverture à la singularité, c’est-à-dire à l’incommensurable. Il faudrait s’efforcer alors de « comparer l’incomparable », selon l’expression de Lévinas. Une modernité redéfinie, assumant un individualisme non-marchand, puiserait alors des ressources dans la tradition (notamment le sens des liens sociaux) et des questions dans la post-modernité (en particulier en ce qui concerne une identité plus fluide, ouverte à la pluralité), pour résister à la nostalgie traditionnelle du « c’était mieux avant » et au relativisme post-moderne du « tout se vaut ».

- Pour T. Wuilleme (UP Lyon), philosophe, la modernité, c’est la laïcisation, la rationalisation (Weber), l’historicité et l’individualisme. Face à la difficulté de vivre celui-ci, deux discours :

- celui de la « précédence » : on n’est pas à la hauteur. Il faut donc retourner à la transcendance (religion, nature) ; ou à l’Être (Heidegger), le tout avant nous ; ou à la précédence d’autrui (impératif moral de Kant, visage de Lévinas, le A de Lacan), en s’en faisant reconnaître (Honneth) ; ou revenir au holisme, en s’enfermant par confort dans des bulles (Kaufmann) ;

- celui de la crise post-moderne : devant le néant, l’absence de repères, la dissémination du sens, le no past et no future, l’uniformisation, ou la fatigue de soi et de la performance, on se réfugie dans le présentéisme, l’actualisme, l’intensité de vie (drogue, refus de toute interdiction), la débrouillardise, le messie etc.

Quel dépassement de ces deux discours ? Articuler l’autre et le soi, sans mimétisme (Girard), en acceptant de se laisser influencer, mais sans s’y perdre. Se nourrir d’une multiplicité de modèles. Toutes les influences subies, je peux les choisir. A moi de déterminer ce que je veux devenir. Et maintenir une exigence éthique : là où il y a du pouvoir, il y a de la résistance. Parler en mon nom, en rentrant en conversation avec d’autres je. Entre le nous et le je, travailler le Soi.

Dans la table ronde sur « Modernité et rupture » :

G. Poulouin (UP Caen) montre que la modernité est une notion européene réitérée, toujours présentée comme un combat, donc une rupture, un moment fondateur. Il soutient que dans la « Querelle des Anciens et des Modernes » (sous Richelieu puis Louis 14), les anti-Modernes ont souvent convoqué les Anciens pour dénoncer dans les Modernes ceux qui soutenaient le pouvoir grandissant de l’Etat. Ex : Montaigne convoque le passé pour préparer l’avenir, les références aux Grecs permettent de lutter contre le christianisme, Boileau et La Fontaine s’autorisent un espace de liberté contre les modernes serviteurs de l’Etat, Swift est un ancien alors que Hobbes est un moderne, Wittgenstein est un « moderne résigné » qui accueille des « fantômes ». Le détour par les Anciens n’est-il donc pas souvent « progressiste ?

D. Sistach (UP Perpignan) montre que Nietzsche avait pressenti la modernité comme achèvement de l’histoire, rupture décisive et définitive. Non au sens triomphal de Hegel, mais au sens d’une déconstruction, d’une perte de sens (direction et signification). La seconde guerre mondiale est une brûlure (irréparable ?). Le temps est devenu hypothétique, il n’y a plus d’histoire, elle est brouillée, on la cherche. D’où les déclinologues (Beverez), les idéologues de la fin de l’histoire (Fukuyama), ou du monde (dégâts écologiques). La post-modernité serait un espace flou, une interzone, un drame shakespearien. A moins que nous ne parlions que d’un point de vue occidental ?

J.-L. Escudié prend l’exemple de la protection sociale. Au 19ième, la protection sociale n’est pas faite pour les hommes, mais pour le système productif. Il s’agit de dégager les vieux, les fragiles, de diminuer l’accident qui ampute la productivité, de protéger l’enfant comme future force de travail. Une macro rupture se produit quand la protection sociale devient une finalité du développement humain, et quand ses dépenses augmentent plus vite que les autres dépenses. Mais aujourd’hui les ruptures sont archaïques : allonger la durée du travail, supprimer les régimes spéciaux, franchise médicale, baisse du remboursement des médicaments, déclaration des accidents du travail comme congés maladie etc.

D’autres solutions seraient possibles : extension du salaire socialisé, salaires de formation ou d’inactivité, réappropriation citoyenne des Comités d’hygiène et de sécurité, développement des hommes et non des acquis financiers…

Deux champs de la culture paraissent incontournables pour analyser la modernité : celui de la science et de la technique, vu leur formidable impact aujourd’hui, et celui de l’art contemporain, dans ce qu’il nous signifie, avec une opacité souvent pour le public, sur ce que devient notre monde.

L. Mathieu (UP Lyon), sociologue, a précisé selon lui les exigences épistémologiques de la science, et l’éthique de sa diffusion. Il soutient l’autonomie nécessaire du champ scientifique par rapport au politique et à l’économique. Celui-ci doit construire ses objets de recherche, mettre au point des méthodologies rigoureuses et maintenir son système de validation entre pairs dans la communauté scientifique. Ne pas rabattre donc la science sur sa rentabilité sociale (réduire la science à de purs aspects pratiques est stérilisant pour ces applications ell-même), ni sur un aspect purement militant, même si les objets de recherche sont très impliqués chez le chercheur. Le rapport dans une l’UP reste asymétrique : le public a des savoirs propres, mais pas forcément dans le champ du conférencier.

W. Bonomo (future UP de Saint Brieux), ingénieur d’études, insiste sur l’aspect territorial des UP, qui peuvent à la fois s’ancrer dans un territoire donné, et s’ouvrir à l’universalité du savoir par les nouvelles technologies de communication (ex : internet) qui peuvent permettre la diffusion du savoir convoqué par les UP, et mettre les UP en réseau. Non pour tomber dans la mode des Techniques d’information et de communication, mais parce que ce peut être un outil intéressant de capitalisation des savoirs.

Il propose une typologie des UP, suivant deux axes : la dimension culturelle et la plus ou moins grande indépendance.

C’est J. Vidal (Up Perpignan), qui donnait en philosophe, dans la galerie d’art de Perpignan où se tenait le dimanche le Printemps, quelques clefs sur le sens de l’art contemporain, qui reprend à nouveau frais la question de la représentation. Après la boucherie de 14-18 naît l’avant-garde qui veut supprimer l’art et dissoudre la catégorie du beau (Duchamp, l’expérience surréaliste où l’inconscient poétique doit parler en son propre nom). Puis après la Shoa, l’art contemporain initie une critique radicale, où le « progrès » conduit à la barbarie. Dans un monde sans futur on a perdu le réel même (Baudrillard), et l’art rend compte de ces décombres, dont le marché de l’art va s’emparer. L’art pose donc les questions de fond de la post-modernité, qui sont fondamentales pour la recréation d’une subjectivité politique critique.

1 Ce compte rendu à partir de notes personnelles n’engage que son auteur, qui l’a cependant soumis pour des modifications aux intervenants du Printemps.


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