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Atelier de philosophie pour adultes de l’Université Populaire de Perpignan sur la précarité (2007-2008)

Posted By Michel Tozzi On 15 août 2008 @ 12:28 In Les universités populaires | No Comments

 

Université Populaire de Perpignan

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)

 

Cycle sur la précarité (2ième année)

Séance 1 du 13-10-07

Précarité et responsabilité

« Quelle responsabilité vis-à-vis d’une vie par nature précaire ? »

25 participants

 

Introducteur et animateur : Michel

Présidente de séance : Manuela

Secrétaire de séance : Marcelle

 

 

1)    Introduction par Michel

 

1) Présentation de l’atelier 

C’est la deuxième année de fonctionnement de l’atelier philo sur le thème de la précarité.

Programme de cette année :

-         17 novembre à l’annexe des Beaux-Arts.

-         22 décembre à l’Université ;

-         puis 2 février, 1er Mars, 26 avril, 24 mai et 21 juin

Il s’agit d’un atelier, dans la tradition de l’éducation populaire, et non d’une conférence-débat. Une séance forme un tout, mais les séances sont en lien entre elles. Chaque séance comporte :

-         une introduction sous la forme d’un apport accessible à tous, livré à la réflexion des participants (aujourd’hui par Michel Tozzi, professeur des Universités, animateur de l’atelier de  philosophie pour adultes de l’Université populaire de Narbonne et du café philo de Narbonne) ;

-         une discussion collective à partir de cette introduction (ce peut être un texte philosophique) ;

-         un temps d’écriture ;

-         un temps de lecture des écrits pour ceux qui le souhaitent ;

-         un retour sur le fonctionnement met un point final à la séance.

Un compte rendu des séances est fait, disponible sur le site de Robert : http://robsu.free.fr

L’animateur rappelle la liberté absolue des participants (de venir, de se taire, d’écrire…), mais aussi que l’on va se nourrir des travaux de tous (d’où l’intérêt de participer activement oralement et par écrit). Les co-animateurs de l’atelier tenteront de faciliter et d’accompagner la réflexion individuelle et collective en atelier.

 

2) Présentation de la question du jour :

Quelle responsabilité vis-à-vis d’une vie par nature précaire ?

Cette question s’inscrit dans le prolongement des séances de l’an dernier sur la précarité, plus particulièrement de la séance 2 sur la « précarité existentielle » (l’accident, la maladie, la mort).

- Sur le concept de précarité. Précarité signifie étymologiquement : « qui ne s’obtient que par la prière ». Et par conséquent qui dépend d’autrui (étymologiquement de Dieu). Un bien est par ailleurs juridiquement « précaire » quand j’en ai la jouissance sans en être propriétaire (locataire par exemple). C’est bien le cas de la vie : nous n’avons pas choisi de naître (certains croient cependant à la réincarnation…), ni d’ailleurs de mourir (on peut choisir parfois le moment de sa mort, non de ne pas mourir). Il y a dépendance au début comme à la fin. Biologique assurément ; spirituelle ? La vie nous a été donnée (par nos parents certes, le hasard des spermatozoïdes sûrement, Dieu ?). Je peux dire qu’une fois né j’en jouis, mais puis-je dire qu’elle m’appartient, où n’en suis-je que « locataire », au mieux « usufruitier » ? Avec la mort, elle m’échappe… A la naissance, est-ce un don (il y a alors dette), un prêt, un dépôt à faire fructifier ?

Précaire signifie aussi instable, et à durée limitée. La mort rend la vie à durée limitée, donc précaire. La vie est fondamentalement instable, puisqu’elle évolue et peut souvent bifurquer, voire basculer (l’accident, la maladie grave). Nous ne savons pas, malgré nos projets et décisions, de quoi notre avenir individuel ou collectif sera fait : il y a de l’incertain, de l’imprévisible, de l’aléatoire. Pendant combien de temps vivrons-nous avec la personne aujourd’hui aimée ? Combien de temps garderons-nous ce travail dans le privé ? Nos enfants trouveront-ils du travail ? etc. D’où un sentiment d’inquiétude, d’insécurité, voire d’angoisse, qui rend notre vie précaire psychologiquement, et pas seulement objectivement… On peut même penser que l’individualisme contemporain, parce qu’il met l’individu au centre de sa vie, renforce ce sentiment.

-         Sur le concept de responsabilité.

La responsabilité moderne repose sur la croyance que l’homme possède une raison, peut agir librement, en toute conscience et connaissance de cause. Elle entraîne une culpabilité au niveau moral d’un point de vue éthique, quant il y a manquement à un devoir (norme transcendante, éthique personnelle); et d’un point de vue juridique en cas de transgression d’une loi (responsabilité pénale), et/ou d’un préjudice occasionné (responsabilité civile). Un malade jugé inconscient au moment d’un délit ne sera pas jugé pénalement, mais interné, soigné.

En cas de problème, j’ai à répondre de quelque chose : je suis individuellement responsable de mes actes, et de mes intentions (un homicide involontaire est jugé moins grave qu’un meurtre avec préméditation). La responsabilité peut être collective, sans disculper pour autant d’une responsabilité individuelle. J’ai à répondre de quelque chose devant quelqu’un, qui représente une légitimité, une légalité, une norme transgressée : le parent ou le maître comme éducateurs, autrui comme victime, mon patron en cas de faute professionnelle, une institution (la justice), moi-même, en tant que j’ai une conscience morale (et pas seulement psychologique) etc.

- la question posée aujourd’hui porte sur la responsabilité d’une vie précaire : suis-je responsable d’une vie que je n’ai pas choisie ? Suis-je responsable de ce que j’en fais ? Suis-je responsable de ma mort quand je me la donne ? Suis-je responsable de la vie que je donne (parentalité), ou que j’ôte (tuer pour de l’argent ou à la guerre en héros) ? Être responsable dans la vie, est-ce être prudent, par instinct de conservation personnel, protection de ses enfants, ou respect d’autrui, pour ne pas ajouter du risque à la précarité ? Ou savoir prendre des risques (et savoir faire prendre certains risques à ses enfants), pour affronter la vie, s’y préparer, la vivre intensément, apprendre à assumerle risque dans  une vie de toute façon précaire?  Suis-je, en quoi et jusqu’où, responsable de la vie humaine, la mienne et celle d’autrui ?

 

 

 

 

 

2)    Synthèse de la discussion par Marcelle

 

Le sentiment de la précarité participe des instruments du contrôle social.

Bien que le sentiment de précarité constitue pour l’homme un fond de conscience, ce sentiment varie pourtant dans son intensité, et concerne davantage tel ou tel aspect. En temps de guerre, la présence de la mort peut-être constante, à d’autres moments, moins dramatiques,  prédominent l’insécurité concernant les biens et les personnes, et/ou l’insécurité socio-professionnelle. Actuellement ce sont les deux derniers qui nous obsèdent. Ils peuvent amener, parce que l’on a besoin de sécurité, à être dans une position de subordination et même de déresponsabilisation. Il n’est que de penser à ce que peut produire la crainte du chômage, “ si vous n’êtes pas content, il y en a dix qui attendent derrière la porte ! ”.

La précarité de la vie a été dans certaines occasions utilisée avec cynisme : “ chair à canon ” pendant la première guerre mondiale, les hommes, voués à une mort presque certaine, ne comptaient que par leur multitude, sans aucune prise en compte de la valeur individuelle de chacun. Cette pratique est sans doute un sommet dans la déresponsabilisation devant la reconnaissance que l’on devrait à toute vie humaine.

Dans un autre ordre d’idée, le sentiment de précarité, et ce d’autant qu’on se réfère à l’étymologie (“ qui s’obtient par la prière ”), constitue une des origines du sentiment religieux. Et l’on sait bien que les religions, quand elles ne se laissent pas aller à d’inexcusables dérives, se sont toujours souciées de fournir une consolation au sentiment de précarité, promesse d’éternité dans l’au-delà, charité ici-bas, et toujours idéal de vertu et de moralité.

 

Réflexions plus centrées sur la responsabilité.

(Le concept de précarité avait été travaillé pendant toute l’année passée).

La responsabilité aurait pour condition la lucidité et la liberté : pour être responsable, il faudrait connaître les tenants, les aboutissants et aussi les mobiles de nos penchants, comme de nos actions. Il faudrait aussi être capable de mener une réflexion correcte sur ce qui est juste et ne l’est pas. Or on sait bien que toutes ces conditions sont rarement réunies, parce que nous avons un inconscient, que nous pouvons nous tromper dans nos jugements, mais aussi parce que des tas d’éléments ne dépendant pas de nous peuvent entrer en ligne de compte.

Alors renoncer à être responsable ? Non sans doute (c’est la thèse de Derrida).

Il faut prendre en compte aussi toutes ces éventualités que je ne maîtrise pas, sinon pourrait-on même parler de responsabilité ? Il s’agirait d’un simple calcul, d’une déduction, où ce quelque chose en plus, de l’ordre de la dignité humaine, ne serait pas engagé.

Cette haute conception de la responsabilité n’est pas très courante, et on aurait plus tendance à se déresponsabiliser en reportant sur l’autre (individu ou institution) les responsabilités.

 

La question des assurances remet en vis à vis précarité et responsabilité.

Il existe des assurances vie, des assurances décès, des assurances responsabilité civile, invalidité, etc. Il faut remarquer que dans tous ces cas la question de la responsabilité se règle très généralement avec une compensation financière, même si la vie humaine n’a pas de prix. La société est impuissante à trouver des équivalences pertinentes. Cependant il peut y avoir aussi des sanctions pénales.

Le fait d’être bien assuré déresponsabilise-t-il ? Oui parfois, mais c’est aussi une manière d’anticiper un accident, une maladie possible, de se porter garant de sa propre précarité et de celle des autres (ex : dans l’assurance maladie par répartition, qui est l’inverse du système de capitalisation).

Dans les sociétés occidentales marquées par l’individualisme, la solidarité s’exprime de manière souvent institutionnelle, les sociétés de type holistique ont des solidarités, et donc une notion de la responsabilité plus collective (ex : solidarités intergénérationnelles)

 

En conclusion

Après une ère de confiance aveugle dans les progrès scientifiques qui nous donnaient un sentiment d’invulnérabilité, nous sommes entrain de découvrir douloureusement que non seulement chacune de nos vies est entièrement marquée par la précarité, mais qu’encore notre environnement l’est aussi, jusqu’au point même où notre planète et par suite notre espèce sont menacées. Et ce n’est pas une fatalité, nous en sommes en partie coupables, notre responsabilité est engagée pour préserver ce qui peut l’être.

Culpabilité, responsabilité, nous y regarderons de plus près à la prochaine séance.

 

3) Ecriture  d’un aphorisme (5’)

 

4) Lecture des textes (10’)

 

5) Régulation et planification des prochaines séances (10’)

Il est décidé de continuer sur ce thème de la responsabilité et de la culpabilité face à la précarité de la vie humaine, en s’appuyant sur un ou deux exemples, ou étude de cas  concrets.

 

 

Université Populaire de Perpignan

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)

Cycle sur la précarité (2ième année)

Séance 2 du 17-11-07

Précarité et responsabilité

« Quelle responsabilité vis-à-vis d’une vie par nature précaire ? » (2)

15 participants

 

Introducteur et animateur : Michel

Président de séance : Jean-François

Secrétaire de séance : Françoise

 

 

1)    Introduction par Michel

 

L’homme n’a choisi ni d’être vivant ni d’être mortel. Où est la liberté là-dedans ? Et pourtant vivre amène un homme à choisir, et c’est la mort, qui par son mystère, porte l’interrogation du sens. Sommes-nous libres et responsables devant ce paradigme de la précarité qu’est la mort ? La mort nous fascine, parce qu’elle nous met devant l’ignorance et l’impuissance de notre destinée. Elle trône dans nombre de productions culturelles : la littérature, le cinéma, la télévision etc., comme un point aveugle de butée qui ouvre sur l’inconnu, la radicale altérité. La peur peut cacher l’envie…

Il y a certainement une relation entre le désir et la mort. Tout désir totalement satisfait serait mortifère : il n’y aurait plus guère d’élan vital en jeu, puisque le manque qui nous fait courir ferait alors défaut. Lacan appelle cette coïncidence fantasmée du désir avec son objet la jouissance, déni de cette castration qui nous ouvre au langage et au symbolique : ceux qui s’en approchent sont dans la psychose.

Eros, la pulsion de vie, trouve toujours son contrepoint dans Thanatos, la pulsion de mort.

La preuve, c’est la prise de risque, du risque mortel. Pourquoi ce goût du risque, ces conduites à risques, notamment chez l’adolescent ; ou dans les sports extrêmes, où l’on risque sa vie ? L’instinct de conservation de notre animalité devrait nous rendre prudent face au danger, alors que souvent nous le recherchons. Y a t-il de la morbidité dans cette recherche : pourquoi jouer avec la mort, la défier ? Qu’y gagne-t-on, alors qu’on peut tout perdre ? Le kamikase, le héros,  la grève sévère de la faim mettent volontairement l’homme en danger. Le sado-masochisme prend plaisir à souffrir, le fumeur continue malgré la maladie, le danger du Sida n’évite pas les rapports dangereux. Comment expliquer ces comportements apparemment curieux et irrationnels de l’homme, qui dispose pourtant d’une potentialité réflexive ?

 

 

2)    Synthèse de la discussion par Françoise

 

Précarité et responsabilité à partir de quelques exemples

 

Rappel de l’atelier précédent « notre responsabilité devant une vie précaire ».

On ne choisit pas de naître. La vie nous est-elle donnée par nos parents seuls, par Dieu ? La vie nous est-elle donnée, ou seulement prêtée ? La mort n’est pas choisie, mais les modalités de la mort peuvent-elles l’être?

L’exemple des conduites à risques nous amène à réfléchir. Pour les adolescents par exemple : jeu du foulard, drogues, jeux dangereux ; mais aussi pour les adultes : sports extrêmes, tabagisme excessif…

Comment expliquer ces prises de risques qui semblent propre à l’espèce humaine ?

Pourquoi l’homme prend-il des risques mortels en toute connaissance de  cause ?

Quelques idées sorties du débat :

- Dans le risque, c’est l’ignorance qui prévaut sur la connaissance. L’homme est souvent inconscient des risques encourus, et cette inconscience est entretenue politiquement.

- La mort fait peur. La prise de risque, c’est de se rapprocher le plus possible d’elle, c’est flirter avec, jouer, braver cette inconnue. Comme dans Le Petit Prince, qui essaye d’apprivoiser, de désamorcer sa peur. Jouer à se faire peur pour se préparer à la grande peur de la mort.

- Prendre des risques, c’est ne pas rester passif devant la mort. La « provoquer », c’est essayer de la maîtriser, de la regarder en face, peut-être d’en triompher d’une certaine manière…

- On a besoin d’exister à travers des sensations fortes. Les conduites à risques sont différentes chez l’adolescent et chez l’adulte. L’adolescent aime braver l’interdit, c’est un défi identitaire.

On se confronte à la mort parce qu’on veut vivre intensément (la fureur de vivre). Pour se sentir vivant, on prend des risques. Braver la mort alimente le fantasme de toute puissance.On se prend pour Dieu, on est éternel ! L’ado se sent immortel, il a besoin de se confronter à des limites. Pour certains jeunes des banlieues, « je casse, donc je suis ». Est-on dans ce cas libre?

- On peut vouloir s’interdire de penser. Dans la souffrance, il peut y avoir une jouissance, au sens psychanalytique. Comment expliquer cette jouissance dans la morbidité ?

- Le kamikase et le héros mettent leur vie en péril consciemment. Mais le kamikaze est-il vraiment libre ? Dans toute servitude, il y a une jouissance. Pour certains, il est manipulé par un commanditaire responsable, et qui nie la valeur humaine, alors que le héros lui choisirait. Mais le kamikaze est un héros pour sa famille, sa communauté. Certains pensent que même si le kamikase est conditionné, il y a en lui comme en tout homme une part de liberté.

- On peut distinguer plusieurs cas de prises de risques : risques calculés et réfléchis de J. L. Etienne, de Bombard, du pilote d’essai ; risques non réfléchis dans le « jeu » du foulard qui étrangle, de la contamination par le sida, risques par ignorance. Y a-t-il plus de liberté dans le risque calculé et conscient que dans le risque inconscient ?

- Le risque est une forme d’apprentissage de la vie. On recherche ses limites sans penser forcement à la mort !

- Y a-t-il une responsabilité de l’homme devant sa propre mort ?

- On ne peut pas mettre sur le même plan le héros, le kamikaze, les activités comportant un risque calculé, les addictions (alcool, tabac), qui privent l’individu de sa liberté. Boire pour se désinhiber, oser prendre la parole en public, ce n’est pas du même ordre que le kamikaze.

- L’homme, comme l’a montré Freud, est porteur de la pulsion de vie mais aussi de la pulsion de mort. L’adolescent prend des risques avec le jeu du foulard parce qu’il n’y a plus de rites de passage. Les rites de passage permettaient aux adolescents d’accéder au statut d’adulte. Est-ce que Thanatos serait alors conjuré. Est-ce l’instinct de mort qui explique les conduites à risque ?

- Le jeu avec la mort aurait quelque chose à voir avec la castration, dont le fait de se savoir mortel est un des aspects. Pratiquer des jeux dangereux, des actes héroïques, c’est toucher la limite entre la condition de mortel et l’accès à un rêve d’immortalité. Les rites d’initiation consistent à faire passer le jeune par ce moment crucial d’où il devrait revenir instruit sur l’existence des limites. Être adulte c’est peut-être assumer la castration.

- L’homme est constitué d’un manque à être qui à l’origine de son désir. La mort  est une impossibilité à penser et à vivre, d’où l’élaboration de stratégies de déni ou de jouissance pour combler ce manque  Notre intérêt n’est-il pas de ne pas savoir le manque ?

- Il y a toujours du manque, on ne peut pas être tout ! Le déni de la mort peut-il engendrer le suicide ?

- On voudrait apprivoiser, jouir, pour faire l’expérience, au-delà de l’interdit, de l’impossible.

- L’adolescent est-il vraiment conscient qu’il frôle la mort ? Est-ce un défi ? Est-ce de la jouissance ? Il ne peut y avoir de réflexion, et de responsabilité, que lorsqu’il y a conscience.

- La conduite à risque est comme une ordalie : on veut se prouver qu’on est quelqu’un qui n’est pas quelconque, qu’on est choisi, qu’on laissera trace par l’exploit. C’est comme un rite d’initiation, qui manque cruellement aujourd’hui, et qui en tient lieu.

- Est-ce que je suis toujours conscient quand je pollue ? C’est une conduite à risque. Mais il y a de plus en plus une conscience écologique. Il pourrait y avoir un instinct de mort au niveau de l’espèce humaine. On sait, mais on continue… Les nantis milliardaires pensent-ils au futur de leurs petits enfants ? Accumuler pour eux, c’est une façon d’éloigner la mort.

- Mais les pollueurs, c’est chacun d’entre nous, qui doit repenser sa conduite. On est responsable de notre survie et de celle des autres, on doit gérer la précarité de tous. La responsabilité est individuelle et collective.

 

3) Ecriture  d’un aphorisme (5’)

 

4) Lecture des textes (10’)

 

5) Régulation et planification des prochaines séances (10’)

Il est décidé de continuer sur le thème traité en insistant sur la responsabilité et la culpabilité face à la précarité de la vie humaine.

Le sujet sera écrit au tableau pour être vu de tous.

 

Annexes

Aphorismes de quelques participants

 

- La mort est cet impossible à vivre et à penser qui nous donne paradoxalement le goût d’exister.

- Donnez-moi la sérénité d’accepter ce que je ne peux changer, la mort ;

  le courage de changer ce que je peux changer, la vie ;

  la sagesse de faire la différence.

- Être ou ne pas être jusqu’au bout, s’autoriser ou non ?

- La mort n’est pas un choix. Elle ne fait vivre que par la peur qu’elle m’inflige, la peur de l’inconnu.

- L’homme n’est pas libre devant sa propre mort.

- On n’est pas libre devant la mort. La vie peut nous apprendre la liberté.

- Instinct de vie, instinct de mort, mon cœur balance…

 

- A l’adolescence, les jeunes se confrontent à la perspective d’un monde réel, précaire. Ils n’y sont pas préparés, nourris de jeux vidéos, vivant leur vie par procuration dans un monde déréalisé qui ne connaît pas la précarité, et où la mort virtuelle est banale et provisoire. Passage brutal du virtuel au réel, et panique : suicides, violence, comportements dangereux, « adulescence » (De singly) des adultes qui refusent de grandir…

                                                                                                                                 Françoise

 

 

 

Texte sur Liberté et responsabilité / Précarité

 

Nous avons réfléchi sur cette question à partir du cas particulier des conduites à risques. Il est à remarquer que si l’homme est sans doute le seul être vivant à avoir la connaissance de sa précarité et de sa finitude, il est aussi le seul à mettre sciemment sa vie en danger. Dans ces moments là, il n’est plus comme tout autre animal, guidé par l’instinct de survie qui lui ferait au contraire éviter le risque. Alors cherche-t-il à vivre ou à mourir ? Sait-il ce qu’il cherche ? Ce sont des conduites irrationnelles bien que très fréquentes, qui doivent avoir des ressorts inconscients.

Si c’est moi qui provoque ma précarité, j’en suis acteur, auteur même et d’une certaine manière je la maîtrise, je ne reste pas dans la crainte et la passivité. J’affirme à la fois ma liberté et mon courage devant la mort. J’escompte de cela un supplément d’être, un supplément d’intensité de vie. Ce n’est pas du quitte ou double mais la mort ou l’exaltation.

Le jeu de la roulette russe sous ses innombrables déclinaisons est une façon de se mettre sur le terrain des Dieux, eux qui décident de la vie et de la mort des vivants, eux qui comme on se les représente ne sont concernés ni par leur propre mort, ni par le manque : immortels et tout puissants ! Jouer à la roulette russe, c’est participer un court instant de cela, et le prix immense à payer est l’éventualité de ne pas en revenir.

Cette expérience là est nommée pas les psychanalystes « jouissance », du moins illusion de la jouissance, illusion de l’abolition de cette castration, de ce manque qui est la marque de la condition humaine.

Les rites de passage décrits dans les sociétés traditionnelles et disparus sous leur forme instituée dans nos sociétés sont une expérience souvent marquée par la souffrance, la peur et l’inscription dans le corps (scarifications, tatouages). Ils conditionnent l’accès au statut d’adulte qui devrait se caractériser par un plus grand sentiment de responsabilité, une juste évaluation des risques, la prise en compte de la précarité de l’existence et enfin la capacité de jouer plus librement dans et avec les limites de l’humaine condition.

Si les conduites à risques sont parfois décrites comme des équivalents des rites de passage socialement institués, elles ne débouchent pas toujours sur cette heureuse issue, car le risque y est souvent inconsidéré. Et même si l’accident n’est pas au bout, elles restent une démarche individuelle qui n’a pas la vertu de faire entrer dans la communauté des humains, qui se savent limités mais aussi responsables de leurs actes.

Marcelle

 

 

Université Populaire de Perpignan

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)

Cycle sur la précarité (2ième année)

Séance 3 du 12-01-08

Précarité et responsabilité

« Responsabilité et culpabilité vis-à-vis d’une vie par nature précaire ? » (3)

25 participants

 

Introducteur et animateur : Michel

Présidente de séance : Dorothée

Secrétaire de séance : Marcelle

 

 

2)    Introduction par Michel

 

Nous avons défini la responsabilité dans la première séance (avoir à répondre de ses actes et de leurs conséquences devant quelqu’un), sous ses formes

-         juridique (être reconnu ou non responsable d’un fait par un tribunal), civile  (réparer les dommages occasionnés), ou/et pénale (être jugé conscient de ses actes au moment des faits, et puni en fonction de l’infraction commise) ;

-         et éthique : se sentir personnellement et en conscience responsable de ses actes, d’une situation.

La culpabilité, c’est l’état de celui qui est désigné (qualification juridique ou morale), ou qui se ressent (sentiment) coupable, à cause d’une faute commise. Il y a culpabilité lorsqu’il y a eu infraction par rapport à une norme apparaissant comme bonne : la loi, juridique (le droit existant dans un pays) ou morale. Le péché (par exemple originel), transgression de la loi divine, est le nom religieux de la faute.

En droit, n’est reconnu comme coupable que celui qui est considéré comme responsable, c’est-à-dire suffisamment conscient de ses actes dans la vie, en quelque sorte libre d’agir. Sinon, après expertise psychiatrique, il va à l’hôpital (c’est un malade), non en prison (où vont les délinquants). La culpabilité est liée à la responsabilité. Ce n’est pas toujours le cas : on peut se sentir responsable d’un fait sans s’en sentir coupable (ex : Fabius et le sang contaminé ; le conducteur de TGV qui voit se précipiter sous son train quelqu’un qui se suicide).

La question est donc ici de savoir dans quelle mesure nous nous sentons responsables et parfois coupables d’une vie précaire, c’est-à-dire instable et à durée déterminée par l’épée de Damoclès de l’accident, la maladie, la mort.

L’individualisme contemporain, qui met le moi, centre de son monde, au centre du monde, accroît la responsabilité de chacun, puisqu’il revendique la liberté de choisir, donc doit affronter les conséquences des actes qu’il pose. L’information grandissante sur les dangers qu’il court (voiture, nourriture, hygiène de vie, environnement etc.), accroît le sentiment de sa précarité, en même temps que sa responsabilité à les prendre en compte (ex : on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas pour le sida, la cigarette, l’obésité, l’alcool, la drogue, l’excès de vitesse etc.). Le moi-je d’abord et surtout et le savoir accroissent donc notre responsabilité individuelle, mais aussi, avec les medias, collective par rapport à ce que l’on voit quotidiennement de l’état du monde (guerre, famines, maladies etc.)…

Sommes-nous donc dans la modernité de plus en plus responsables et de ce fait coupables par rapport à notre vie, dans notre rapport à nous-même, aux autres et au monde ?

 

 

 

3)    Synthèse de la discussion par Marcelle

Au cours des précédentes séances, nous avons travaillé sous différents angles la précarité de la vie. Aujourd’hui, nous avons l’objectif de relier cette question à celle de la responsabilité avec son pendant : la culpabilité. De plus, le souci qui est celui du groupe de s’ancrer dans la réalité contemporaine va nous amener à appréhender de nombreux concepts en même temps : précarité, liberté, responsabilité, culpabilité, modernité, individualisme.

Ainsi ce que la discussion aura gagné en élargissement de la problématique, elle l’aura peut-être un peu perdu en rigueur. La synthèse tentera de retrouver les principales thématiques :

- Liberté et responsabilité.

- Responsabilité et culpabilité.

- Responsabilité et modernité (avec le thème de l’individualisme qui caractérise la modernité).

- Responsabilité et précarité de la vie.

 

Liberté et responsabilité 

Deux thèses sont évoquées :

  1. Pour être responsable, il faut être libre.
  2. On est responsable malgré les déterminismes.

1ère thèse : Notre responsabilité est restreinte du fait des nombreuses entraves à notre liberté : déterminismes sociaux,  injonctions diverses et contradictoires, manque d’information ou désinformation, lois de la nature, déterminismes biologiques, force psychique plus ou moins grande, notre inconscient.

2ème thèse : Nous avons la responsabilité première d’accroître notre liberté : en nous informant correctement (car souvent nous ne voulons pas véritablement savoir), en apprenant à dire non, en ayant le courage de faire des choix sans céder à la facilité, en exerçant sa liberté aussi souvent que possible, sans s’abriter derrière les déterminismes. Paradoxalement, cette thèse amène à dire que nous devons avoir d’autant plus le souci de notre responsabilité que nous avons de nombreuses entraves à notre liberté.

 

Responsabilité et culpabilité

Il faut distinguer responsabilité et culpabilité. Confondre les deux sentiments déboucherait sur une auto-accusation excessive, ou bien sur la fuite des responsabilités pour ne pas prendre de risques.

On peut être responsable d’un événement dramatique sans que sa culpabilité soit engagée. On est l’agent de l’action, sans en être le véritable auteur (cf : le conducteur de train qui écrase quelqu’un qui s’est jeté sur la voie). Il est pourtant très difficile dans des cas similaires de se défendre d’un sentiment pénible. 

Le sentiment de responsabilité devrait précéder l’acte (même si on doit aussi assumer ses actes a posteriori), tandis que la culpabilité ne peut être que relative au passé. A cette remarque il faudrait ajouter que très souvent, on se sent coupable de pensées et de désirs qu’il est plus difficile de situer dans le passé ou le futur.

 

Responsabilité et modernité marquée par l’individualisme

L’époque actuelle nous donne un sentiment fallacieux de responsabilité, alors que nous subissons des conditionnements multiples. Cela peut déboucher sur une culpabilisation infondée.

Parmi les accélérateurs de l’individualisme est désignée la télévision, qui nous décérèbre et nous rend nombrilistes (après moi le déluge …).

Mais l’époque actuelle n’est-elle qu’individualiste ? On constate une forte tendance à l’adhésion à des associations soit de loisir soit humanitaires, même si les  institutions politiques  et syndicales attirent moins. Les formes de lien social changent peut-être !

L’individualisme est-il toujours synonyme de déresponsabilisation ?

Pas forcément. Dans une situation plus collective, on pourrait se cacher derrière le groupe, à l’inverse, en tant qu’individu on peut être plus conscient de la portée de ses actes personnels. En matière d’écologie, l’action collective et généralisée aurait un impact décisif pour éviter ou réparer la dégradation de l’environnement, mais cela passe par la prise de conscience individuelle.

La question de la responsabilité collective et plus encore de la culpabilité collective est difficile à penser. S’appuyer sur des exemples permet d’y voir plus clair.

Ne devrions nous pas nous sentir dérangés à l’idée que nous vivons sur le capital accumulé par le colonialisme et les méfaits qui y sont liés ? Responsables, peut-être pas, mais coupables de ne même pas avoir « la reconnaissance du ventre » par rapport aux ex-colonisés !

Est-il légitime que l’humanité continue à être affectée du péché originel ? Que nous dit-on sur l’humanité à travers cette notion ? Que l’homme est essentiellement pécheur ? C’est une version qui est souvent reprochée aux religions. Mais est-ce que cela accroît notre niveau de responsabilité ? Cela serait un bénéfice certain !

 

Responsabilité et précarité de la vie

C’est sur fond de prise en compte de la précarité que se pose la question de la responsabilité et de la culpabilité. Nous l’avons peu évoqué à ce jour parce que cela avait traversé les précédentes séances et que cela avait été dit dès l’introduction.

Une idée s’est ajoutée, à savoir que c’est l’identification même des valeurs partageables qui est frappé de précarité, car elles deviennent relatives, subjectives.

La notion que l’on ne peut impunément mettre sa propre vie en danger, pas plus que celle des autres, que si on crée des dommages, il faut les réparer, indique cependant que le sentiment de  solidarité, avec le sentiment de responsabilisation par rapport à son prochain, est une voie intéressante pour faire face ensemble à ce qui nous affecte tous : la reconnaissance de la précarité de la vie.

 

3) Régulation et planification des prochaines séances (10’)

Il est décidé de continuer sur le thème traité à partir de la question : « Quelle liberté par rapport à une vie précaire ? ».

 

 

Université Populaire de Perpignan

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)

Cycle sur la précarité (2ième année)

Séance 4 du 2-02-08    Liberté et précarité

« Notre liberté vis-à-vis d’une vie précaire ? »

15 participants

 

Introducteur et animateur : Michel

Présidente de séance : Claude

Secrétaire de séance : Marcelle

 

1)                Introduction par Michel

A) Définissons la liberté comme une capacité de penser et d’agir, l’expression et l’impression, comme dit Spinoza, d’une puissance et d’une joie d’exister, spécifiquement humaine. Elle inclut la capacité de choisir, qui suppose pensée, conscience, délibération, et capacité de faire, par motivation, volonté, effort et courage. Cette liberté implique une certaine indépendance par rapport à des tutelles : celle par exemple de l’enfant par rapport à ses parents, de la femme par rapport à son mari, d’un peuple par rapport à son colonisateur…

Dans la liberté des modernes, il y a dans la notion une intention de réalisation personnelle, d’épanouissement individuel, qui s’oppose aux situations de domination (la hiérarchie asservit), d’exploitation (qui instrumentalise le sujet), d’aliénation (où l’on devient étranger à soi-même). Une conception individualiste de la liberté s’accomode mal de trois catégories :

-celle de l’impossible ou du déterminisme naturel : par exemple la soumission aux contraintes naturelles, biologiques (hérédité, besoins physiologiques), et physiques (les lois de la nature), qui entravent ma liberté physique;

 - celle du conditionnement, ou influence subie à son insu, qui engendre des habitus comme matrice de façons de penser et de se comporter (Bourdieu), qui entravent ma liberté psychique : conditionnement psychologique (l’inconscient de Freud), ou social (éducation, medias, publicité, consumérisme, propagande etc.)

- celle de l’interdit : limites (juridiques, déontologiques, éthiques) à ne pas transgresser, sous peine de sanctions, pour ma liberté morale.

Ces limites naturelles, psychologique, sociologiques et morales à la liberté comme espoir de voir réalisés nos désirs montrent que si elle est puissance, elle ne peut ni ne doit être toute puissance (qui n’est qu’un fantasme, de l’ordre du caprice infantile : tout tout de suite !)), et ce dans notre intérêt même. Car le désir ramène à des pulsions peu civilisées, destructrice du rapport à l’autre et de l’estime de soi. C’est pourquoi Kant a défini la liberté pas seulement négativement par l’indépendance, mais plus profondément par l’autonomie, la capacité à se donner à soi-même (autos) une loi (nomos), par la réflexion et la hiérarchisation de ce qui peut nous apparaître comme des valeurs : faire ce qu’on veut après réflexion plus que ce que l’on désire par impulsion ; la liberté, c’est de savoir dire non à certains de ses désirs. Ce en quoi la liberté est d’abord, par la nécessité de la réflexivité, celle de penser, et de penser par soi-même (sortir de « l’état de minorité » dit Kant), c’est-à-dire de philosopher.

 

B) La précarité de la vie humaine apparaît comme un déni de liberté : je n’ai pas choisi de naître, ni d’être mortel, je ne choisis guère, au moins consciemment, d’être malade, d’avoir un accident, ou d’échouer. Le « principe de réalité » (par opposition au « principe de plaisir » selon  Freud), est la piqûre de rappel de la résistance, voire de la « cruauté » (C. Rosset) du réel, dont la conséquence est la « conscience malheureuse » (Hegel), la « douleur d’être » (Lacan) : ce qui rend supportable la vie, dit Schopenhauer, c’est qu’elle finira. Ce pessimisme (réalisme ?) tente de rendre compte de l’illusoire du sentiment d’une liberté comme état humain. Pour le christianisme d’ailleurs, la liberté n’appartient pas à la nature originelle de l’homme, elle est un don de Dieu, la capacité de choisir le bien et non le mal.

 

C) Face à une vie objectivement précaire et menacée, comment donc penser la liberté humaine ?

 L’humanité a développé des stratégies culturelles pour conjurer cette déréliction, et ancrer un processus de libération :

- la religion, qui fonde l’espérance par l’immortalité de l’âme, la résurrection ou la réincarnation, repoussant les limites de la mort biologique, et ouvrant à une vie heureuse, dans l’au-delà et même l’ici-bas, par l’exercice de la vertu, vécue comme liberté volontairement orientée vers le bien ;

- la philosophie, comme visée de sagesse, transformation par exemple d’une représentation pessimiste du monde en une vie assumable et même souhaitable, par le plaisir raisonnable escompté (Epicure), ou le choix d’un consentement à l’ordre du cosmos (Epictète), réalisant une paix intérieure et une harmonie avec l’environnement naturel et humain ;

- la science, comme connaissance des lois de la nature afin de les utiliser par la technique pour satisfaire les besoins humains : faute de pouvoir voler, on invente l’avion, qui s’appuie sur la résistance de l’air, et transforme une contrainte naturelle en ressource humaine…

- l’art, qui faute de pouvoir changer le réel le réinvente, et crée un autre monde exprimant par l’imaginaire la satisfaction de nos désirs ;

 - il faudrait aussi parler du rôle de l’utopie politique, qui anticipe une société meilleure, et de la militance, qui cherche à la réaliser collectivement, faisant de la libération un processus collectif (Marx), et plus seulement individuel…

Les progrès scientifiques et techniques illustrent bien cette tentative d’accroissement de la liberté humaine, tant par la prise de conscience de nos déterminismes, qui permet de prendre du recul et de relâcher relativement leur pression, que par l’action sur ceux-ci. Exemples :

- pas d’enfant si je n’en veux pas par la contraception, pour que mon individu ne soit pas piégé par l’espèce ; ou un enfant si je ne peux pas en avoir par la procréation artificielle ;

- la mort quand je veux, par mes directives anticipées (Loi Léonetti de 2005), ou l’euthanasie médicalement assistée ;

- des appareillages de plus en plus sophistiqués pour retrouver des membres si je suis handicapé après un accident etc.

Avec cependant le paradoxe qu’en voulant accroître ma liberté individuelle (par la voiture par exemple), je peux accroître la précarité de l’espèce humaine par les rejets de CO2. On sait bien que la liberté individuelle doit avoir pour limite la liberté des autres (souvent d’ailleurs pour mon intérêt bien compris !)… Le processus de libération individuelle et collective est toujours sociohistoriquement situé, contextualisé, et ne peut se penser que par rapport à la façon dont l’homme donne sens à sa vie à travers des valeurs implicites ou explicites qui orientent sa vie.

 

4)    Quelques idées supplémentaires issues du débat par Marcelle

 

Le groupe est tombé d’accord sur le fait que l’on doive parler davantage de processus de libération que de liberté en soi, car les contraintes sont nombreuses et toujours renouvelées si tant est que l’on puisse en lever certaines.

Plusieurs stratégies ont été inventoriées pour réaliser ce processus de libération :

- La prise de conscience des déterminismes et de ce qui nous rend vulnérables.

- L’ouverture au monde et spécialement aux autres, avec le désir d’agir favorablement.

- Hiérarchiser les contraintes pour se concentrer sur celles qui sont contournables et/ou prioritaires.

- Donner du sens à notre vie.

- Utiliser les ressources de l’imaginaire, non seulement pour s’évader temporairement, mais aussi pour prendre appui sur les contraintes afin de les transcender, comme le fait l’artiste et même le scientifique

 

Mais des qualités morales sont nécessaires pour mettre en œuvre ce processus continu de libération.

En effet notre condition spécifique d’hommes fait que, à l’inverse des autres animaux, nous connaissons nos limitations et savons que nous « sommes des êtres pour la mort » (Heidegger). La tentation pourrait être de se voiler la face, de renoncer ou de s’accommoder à une posture de « servitude volontaire » (La Boétie). Il faut donc, à côté de la lucidité, du courage pour manifester cette puissance d’affirmation qui est le ressort de la conquête sur nos limitations.

 

Enfin le groupe a mis légitimement l’accent sur le volet social de cette libération, en prenant l’exemple de l’émancipation des femmes. Poser le principe d’égalité en droit est la condition première indispensable, l’éducation est aussi un moyen incontournable, sans aucun doute aussi la mise en place de solidarités.

 

En conclusion : si l’homme a cette particularité de se savoir essentiellement précaire, de connaître ses « finitudes », il a aussi cette capacité infinie de dépassement de ses propres limites, des limites imposées par les autres et par le réel.

 

3) Régulation et planification des prochaines séances (10’)

Il est décidé de continuer sur le thème traité à partir de la question de l’engagement : « Quelle relation de l’engagement vis-à-vis de notre liberté dans une vie que l’on sait précaire ? ».

 

ANNEXE 

Textes des participants

 

                                      Responsabilité-culpabilité dans une situation de Précarité

Je pense qu’il n’y a pas de responsabilité choisie sans liberté. Or nous sommes conditionnés, voire programmés par notre environnement de naissance, d’éducation, d’époque, d’hérédité – donc dépendants à tous les stades de notre vie. Il nous reste heureusement quelques ouvertures de libre-arbitre dans nos options matérielles, intellectuelles, voir spirituelles, dans notre capacité à résister aux pressions en travaillant sur notre ignorance de nous-mêmes et la
reconnaissance de l’autre. Dans un ensemble dont nous dépendons, qui nous construit et nous handicape tout à la fois, complexité contradictoire et déstabilisante, faire avec dans une nécessité de donner du sens à notre existence. Rien n’étant absolu, immuable ou permanent, nous pouvons être muselés et le rester, ou acquérir de haute lutte une certaine liberté d’action et de pensée dans un esprit critique, sans discrimination ou séparation, puisque nous sommes chacun une entité dans un ensemble où nous pouvons développer une (certaine) lucidité, dans une conscience globale où l’échappée devient possible et limitée. Inconfortablement, nous restons liés et libres tout à la fois, comme nous pouvons demeurer irresponsables et non coupables selon notre capacité, notre courage à résister, en se maintenant dans un juste équilibre d’un bonheur recherché par tous et de la souffrance rejetée. Dualité incontournable que nous ne pouvons éviter, mais accepter, comprendre et transformer, car il n’est pas interdit d’évoluer (mais tout le monde n’a pas cette faculté de résilience).

 

 

 

 

                                                                                                                                      Dorothée

 

J’ai essayé de concevoir un schéma-image inspiré par nos réflexions à propos de la liberté et par le concept de l’homme-univers développé par Dominique Sistach. Essayons de nous représenter avec nos espaces : l’espace extérieur, celui dans lequel on se meut et l’autre, l’espace intérieur, celui de la pensée. Imaginons une feuille de papier : elle possède deux faces. Considérons le verso, ce sera mon espace extérieur, et le recto qui sera mon espace intérieur. Faisons un petit trou au milieu, il permet le passage de l’un à l’autre côté.
Sur chaque surface du papier se trouve la limite de ma liberté, imaginons-là pour simplifier comme un trait circulaire ayant pour centre le petit trou. Au delà du trait c’est la non-liberté, l’interdit, le pas possible, le pas pensé…

Petit à petit je conquiers mes espaces de liberté, intérieur et extérieur, mais la surface sur laquelle je me déplace n’est pas limitée, je peux déplacer la ligne, (le trait circulaire), par la connaissance, la sagesse, la pratique de l’art, de la philosophie, la confrontation de mes idées avec celles des autres, etc.
Sur l’autre surface, si les différents paramètres qui me permettent de me déplacer sont réunis (capacités physiques, lois, moyen de transport, temps disponible…), je peux me déplacer dans ces limites. On peut imaginer que la surface se courbe légèrement et recouvre la totalité de la planète et même évolue dans la troisième dimension lorsque je grimpe un escalier ou que l’on m’oblige à monter dans un avion.
Si l’on m’emprisonne, le trait limite va se rapprocher du petit trou: on va me mettre au trou.

Si je suis libéré, le trait limite va s’éloigner. Toutefois ma liberté est illusoire, mes composés organiques, chimiques, électriques, culturels, socio-économiques conditionnent également chacune de mes actions et de mes pensées.
Je suis une espèce de robot, de droïde, muni d’un programme inscrit dans chacune de ses cellules, et qui jouit de l’illusion d’une liberté, laquelle comporte des limites variables.
Le papier n’est qu’une image elle aussi limitée. On peut considérer les deux surfaces comme infinies, et même comme Octavio l’imagine: le petit trou, infini, lui aussi.
Il s’agira pour le plasticien de formaliser ce concept avec un peu de matière ou une image virtuelle, pour en faire une œuvre présentable.

                                                                                                                                      Robert

 

 

 

Université Populaire de Perpignan

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)

Cycle sur la précarité (2ième année)

Séance 5 du 12-04-08   

« Liberté et engagement »

11 participants

 

Introducteur et animateur : Michel

Secrétaire de séance : Jacky

 

2)                Introduction par Michel sur l’engagement

On peut définir de façon provisoire l’engagement comme :

-         une façon de se lier soi-même à une personne, un groupe, une cause

-         de façon plus ou moins durable dans le temps

-         sous la forme d’un don de sa personne (en argent, temps, énergie…)

-         motivé par un idéal, une valeur et/ou un intérêt, une gratification.

On peut définir l’engagement au niveau philosophique à plusieurs niveaux :

- engagement d’ordre existentiel. Dès qu’on est né, sans l’avoir choisi (sauf à visiter le mythe d’Er de Platon avec la réincarnation…), on est comme dit Pascal « embarqué ». En sport, avec le coup d’envoi, nommé l’engagement, la partie commence. Dans et par la naissance, on ne s’engage pas, on est déjà engagé. Condamné au sens, à donner une direction, à « s’orienter dans la vie » (Kant). « Faire quelque chose de ce que l’on a fait de nous » (Sartre). Dans la perspective sartrienne, nous sommes liberté absolue, et donc engagé, ayant toujours à choisir en situation, parce que nous sommes une existence (une ex-sistence, quelqu’un qui se tient et se soutient en sortant de soi), un pro-jet (se jeter en avant), un avenir (un à venir, un advenir) et non une essence déterminée, circonscrite et close sur soi, au passé (Il n’y a que la mort qui fait de nous un passé, un destin). Tout homme est engagé dans la vie comme existence, et ne pourra s’en dégager ou en être dégagé que par la mort : la vie, il va falloir faire avec par notre existence.

- Engagement d’ordre éthique. Exister, c’est être quelqu’un pour autrui, et être soi-même à autrui (comme au monde et à soi-même, et même à « soi-même comme un autre » Ricoeur). Dès qu’on est face à l’autre, devant sa face, Lévinas nous dit que son visage a la figure de l’infini. Il me transcende et m’excède par sa radicale altérité (au-delà de moi), car il m’oblige par sa dignité de personne au respect : je lui suis en dette sans exigence de réciprocité. L’autre m’engage à être son obligé. Le rapport à autrui est un engagement d’ordre éthique : la reconnaissance de son humanité pour l’humanisme athée, de sa dimension spirituelle et divine pour un croyant. Mais dès que ce type d’engagement vis-à-vis d’autrui prend la forme du devoir, cet engagement devient une vertu, car une obligation peut être transgressée, comme une promesse peut n’être pas tenue : il peut y aller, parce que la liberté engage une responsabilité, de l’effort, de la volonté, du courage…

- Engagement d’ordre politique. « Les philosophes se sont contentés jusqu’à présent de comprendre le monde, dit Marx. Il s’agit à présent de le transformer ». Les situations de domination, d’exploitation, d’aliénation, de mépris, d’humiliation dans les rapports entre les hommes, qu’ils soient de classe, de peuples, de sexe etc., peuvent alimenter un sentiment d’injustice sociale face à des exigences de droits provocant une révolte, voire des révolutions, face au « désordre établi ». Il en est de même face à la maltraitance de l’environnement, des espèces, de la vie et de la terre. D’où un possible engagement actif, le plus souvent collectif, qui prend le nom de militance, pour faire cesser des « pathologies sociales » (A. Honneth), ou écologiques, du vivre ensemble dans la polis (cité) ou la nature.

Il s’agira dans notre réflexion de comprendre les mobiles et motifs, la nature, les objets, les évolutions de ces différents processus de l’engagement humain.

 

5)    Synthèse de la discussion par Jacky

Au premier abord, l’engagement n’est pas la démarche la mieux partagée par les êtres humains : certains s’engagent, d’autres, non. Mais si nous sommes condamnés à être libres, contraints en permanence à faire des choix, comme l’affirme J.-P. Sartre dans sa philosophie  existentialiste, pourquoi ce choix « choisit-il » l’engagement ? Quel en est le moteur : la passion ? l’émotion ? la sensibilité, l’affectivité… ou une compensation après de gros déboires, comme un dernier sursaut de vie ? Situés et impliqués dans un milieu historique,  nous sommes immanquablement influencés par l’environnement, le contexte social et culturel. Est-ce donc un engagement par l’action ou par la réaction ?

On peut abandonner sa position de simple spectateur pour servir une cause, prendre le risque de dire «  non ! » à la marche en avant du monde, de s’opposer, de surmonter la peur, de s’engager pour un idéal, pour donner du sens à notre vie, à la vie ; l’homme a besoin de vivre des choses qui ne sont pas seulement de l’ordre du gratifiant, du matériel : alors, était-il pessimiste (ou réaliste), Lyotard, quand il annonçait que « le temps des grandes utopies était révolu » ? Etait-il visionnaire A. Camus, quand il déclarait en 1957, lors de la remise de son prix Nobel : « j’appartiens à la première génération qui contrairement à toutes les autres, n’aura pas à refaire le monde, mais à veiller à ce qu’il ne se défasse pas ». L’engagement aurait-il donc changé de nature, dans ses objets, dans sa vision ? Puisque le monde change sans arrêt et rapidement, cet engagement sera-t-il suffisamment tenace, capable de s’adapter… et combien la lucidité devra l’accompagner !

De cet engagement, devons-nous attendre des effets, des résultats ? Mais c’est rompre avec l’idéal de donner sans attendre de retour; sinon que de désillusions, de vaincus en perspective, et de motifs de renoncement ! L’énergie dépensée à son service est-elle la cause ou la conséquence de l’engagement ?  

De l’autre côté de cette face éclairée de l’engagement, n’y a-t-il pas une réalité plus sombre : ne fait-on pas en permanence le constat de désengagements (absence de civisme, d’éducation dans la relation qui nous oblige par rapport à nos enfants, dans la relation à soi, d’absence de dignité élémentaire, de respect de soi) ? N’est-il pas le dernier refuge pour échapper à la triste condition humaine, ou la dernière illusion pour s’extraire de l’anonymat, une fuite face à tous les problèmes du quotidien. Ne serait-ce pas une ambition messianique de changer le cours du monde, et  d’occuper une place laissée vacante par le recul du sentiment religieux, de l’Etre suprême ? Et que dire de tous ceux qui se sont (l’histoire de France en regorge) trompés d’engagement ?

Les engagements se valent-ils tous ? Entre celui qui lutte pour sa survie.(a-t-il vraiment le choix ?), et celui dont la cause est celle d’améliorer le sort des autres ? Y a-t-il équivalence ?

Après réflexion, on ne peut s’empêcher de penser qu’il n’est pas possible de vivre sans engagement ; parler nous engage et l’on doit rendre compte de ce que l’on dit, parce que notre responsabilité est engagée.

Quant à la valeur morale de cet engagement, qui éclate dans l’action ou la parole, prudence doit-être gardée de ne pas sombrer dans un psychologisme qui ne mettrait en avant que l’intérêt, et ferait abstraction de toute recherche d’idéal : n’est-ce pas utopique de pouvoir vivre sans utopie ?

 

6)    Régulation et planification des prochaines séances (10’)

Prochaines séances les samedis 24 mai, puis 28 juin.

Il est décidé de continuer sur le thème de la transcendance.

 

ANNEXE 

Textes des participants


Comme contribution à la réflexion sur l’engagement, et ayant trouvé dans le livre de Michel Onfray (L’Innocence du devenir) des idées coïncidant avec les miennes, il m’a semblé pertinent de m’en approprier pour rappeler ceci : 
Qu’ « une pensée ne tombe pas du ciel des idées, comme une étoile morte et froide, mais qu’elle monte de la terre, à la manière d’une lave incandescente, et, plus particulièrement, qu’elle surgit dans un corps, d’un corps même, au cœur d’une chair incarnée dans une vie, une époque, un milieu ». Et que cette « incandescence suppose une histoire, un contexte, un monde, avec des parents, une famille, des rencontres, des souffrances et des joies, des désirs et des plaisirs, des affects, des passions, des tristesses, des aspirations, enfin tout ce qui habituellement définit le vivant dans la vie ».De même, pour « l’être conscient de la nature tragique (précaire, nous avons dit ici) du monde », la liberté ne tombe pas du ciel des concepts et elle n’est pensable et définissable que dans le « règne de la pure nécessité de la volonté de puissance (qui est principe homéostatique de tout ce qui est, et non aveugle pulsion de violence…), de l’ontologie noire constituée par l’inexistence du libre arbitre et la toute-puissance du fatum ».

Bien entendu, comme le précise Onfray, « volonté de puissance » dans le sens du « surhomme » théorisé par Nietzsche. C’est-à-dire : le « surhumain » (lire sur ce sujet Nietzsche et Salomé de Jean-Pierre
Faye), l’être « conscient de cette réalité métaphysique » et « désireux de la vouloir, puis de l’aimer ».
Donc, l’engagement  (pensée en action) n’a de sens que connaissant le tragique (la précarité) de la vie, la voulant et l’aimant, car alors est possible le mariage entre pensée et action, verbe et comportement, discours et existence, théorie et pratique. Puisque, comme le rappelle Onfray pour le philosophe, il faut que le discours et les livres ne soient pas distincts mais corrélés aux engagements, « reliés de manière conséquente ». Et ce qui est valable pour le philosophe (celui qui réfléchit à ce qu’il pense) est aussi valable pour tout autre être humain.
En effet, pour qu’il y ait engagement, il faut qu’il y ait cohérence entre la pensée et l’action, et que dans cette configuration la pensée soutienne l’action et l’action génère la pensée « dans de perpétuels allers et retours. L’un nourrit l’autre, et vice versa ».Sans oublier que cette cohérence est un « combat pour une nécessaire cohérence », et quel’objectif n’est pas tant de la réussir que de la rechercher, de la tenter…L’engagement est, donc et avant tout, passage à l’acte pour soi-même dans une perspective existentielle qui nous relie de manière conséquente aux autres. C’est pourquoi, se référant aux philosophes, Onfray dit que « la compréhension des livres de philosophie ne saurait faire l’économie de la biographie de la signature », que c’est à partir de cet engagement (cohérent) que nous pouvons échapper aux maux de l’époque  (« égotisme, solipsisme, élitisme ou banditisme ») et dire comment, « dans leurs existences respectives, Plotin est plotinien, Kant kantien, Spinoza spinoziste et Sartre sartrien ». Ce qui veut dire que nous ne pouvons non plus faire l’économie de la biographie de notre signature si nous prétendons nous engager dans ce combat contre le repli sur soi-même (l’individualisme égotiste), la résignation au réel (le fatalisme solipsiste), le complexe de supériorité (le narcissisme élitiste) et la loi du marché (la barbarie du banditisme capitaliste).
Et pour conclure, nous rappeler en toute circonstance cette phrase du Gai Savoir : « N’aie cure de n’être fidèle qu’à toi-même, et tu m’auras suivi », qu’Onfray fait aussi sienne ; car non seulement l’engagement ne doit pas être rhétorique mais il doit être fidèle au costume dont nous prétendons nous habiter.

                                                                                                                                 Octavio

 

Engagement ? ?

Faisant suite à notre réflexion sur la liberté toute relative, je pense que nous devenons cependant responsables de nos engagements : réflexion, décision, action, personnellement consenties, mais non libératoires pour autant ; l’engagement ayant pour effet de nous lier
moralement à une personne ou un groupe dans un objectif commun dans une intention responsable, individuelle et collective, où nous rencontrerons doute, conflit et marchandage.
Dualité : nous sommes responsables de nos choix et non coupables des circonstances dans lesquelles nous nous exprimons.  Aussi cette liberté relative peut nous sembler illusoire et prédéterminée, mais il nous reste la liberté de décision, du sens donnés à nos actions. Tout ou long du parcours de vie nous nous transformons selon les circonstances rencontrées, provoquées ou subies.  Et toutes nos erreurs resteront positives puisqu’elles nous inciteront à réajuster nous choix et nos motivations : processus évolutif d’une prise de conscience dans la nécessité d’intervenir propre à l’être humain. Il est d’ailleurs envisageable, incontournable même, de subir librement dans une finalité ciblée, gratifiante et personnelle. Et si nous ne faisons « pas gaffe », la vie peut-être une aliénation ou un accomplissement. D’où l’importante de nos options librement consenties ou refusées. Il n’appartient qu’à nous d’avancer ou de stagner, individuellement et ensemble.

                                                                                                                                                          
Dorothée

 

 

 

Université Populaire de Perpignan

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)

Cycle sur la précarité (2ième année)

Séance 6 du 24-05-08   

« La notion de transcendance »

15 participants

 

Introducteur et animateur : Michel

Présidente de séance : Jacky

Secrétaire de séance : Françoise

 

7)    Introduction par Michel sur la notion de transcendance

- La transcendance, étymologiquement, est ce qui monte (racine indo-européenne skand, qui a donné en français échelle) au-delà (trans). Il y a un mouvement d’ « ascension » (mot de même origine). C’est ce qui élève, et permet de s’élever. Symbolique de la verticale, de la flèche qui part vers le haut, vers les cieux. Spiritualité qui allège l’âme du corps et lui permet de monter, de prendre son envol, de s’élever au ciel. Ce qui inspire et aspire. Me dépasse et me fait me dépasser. « La grâce, c’est la pesanteur qui me tire vers le haut » (S. Weil).

- La trancendance est mouvement, mais aussi état : c’est ce qui par son essence est « en haut » (le monde sublunaire des anciens, celui des sphères parfaites ; Dieu-notre-père-qui-est-aux-cieux), par opposition au monde corrompu d’ici-bas. Ce qui est à la fois antérieur (m’antécède chronologiquement), extérieur (extra-mondain, car cela me et nous déborde) et supérieur (en espace, puissance, fondement). C’est ontologiquement l’Absolu, le cosmos (Stoïciens), la totalité (Spinoza), Dieu, l’Esprit (Hegel), l’Idée (platonicienne), la Valeur (l’Amour –du Christ -, le Vrai, le Bien, la Justice, la Loi – impératif Kantien -, le Beau…), l’Omega (Theillard de Chardin), la « main invible » (Adam Smith)…

- Le propre de la modernité est d’avoir « déverticalisé » la transcendance, de l’avoir « horizontalisée », de l’avoir « déhiérarchisée », de l’avoir aussi « désenchantée » (M. Weber). La République a coupé la tête au Roi, et instauré comme valeur l’égalité ; le positivisme scientifique rendu inutile l’explication par Dieu-la-Cause ; Nietzche a proclamé la « mort de Dieu » et des « arrières mondes ».

La sécularisation des croyances « mondanise » la transcendance, qui ne disparaît pas, mais se fait intra-mondaine : les « lendemains qui chantent » sont désormais ici-bas pour Marx, et le désir qui pousse à la recherche et au « toujours plus loin et plus haut » (la sublimation) est dans les profondeurs de l’inconscient pour Freud (C’est du bas et non du haut que vient la poussée). D’autres figures d’une « transcendance laïque ou athée» émergent alors progressivement dans l’histoire : celle de la Raison universelle (commune à tous les hommes et fondant leur dignité) de l’idéologie des lumières ; celle des Droits de l’Homme (remplaçant les devoirs envers Dieu et le Souverain), idée régulatrice démocratique de tous les progrès sociaux ; celle des utopies sociétales, socialistes et communistes, possibles hic et nunc par la Révolution ; celle du surhomme qui prend fièrement de la hauteur sur sa montagne (Nietzsche) ; d’un homme par lui-même « trans-ascendance » par son existence (ex-sistance) : sa transcendance, c’est sa Liberté, qui le fait ex : sortir de soi, se pro-jeter (jeter en avant) sans cesse (Sartre) ; jusqu’à remonter sans cesse, tel Sisyphe, le rocher en haut de la montagne, dont cette dure ascension fait sens pour sa vie (Camus).

- Mais nous sommes dans la post-modernité, qui a acté la « fin des grands récits » (Lyotard) : celle d’une science intrinsèquement libératrice (elle pèse aujourd’hui son poids de menaces guerrières et écologiques), celle des utopies alternatives (qui se sont révélées au pouvoir totalitaires)…

- Y a-t-il encore un avenir pour la transcendance ?

Faut-il le voir dans le retour de l’extra-mondain, du religieux (sectes, vitalité de l’Islam et de l’évangélisme… ?). Dans le renouvellement des utopies collectives intra-mondaines (altermondialisme) ? Dans un spiritualisme athée (type Comte Sponville), qui récupère les valeurs religieuses mais sans Dieu ?

Ou faut-il se résoudre à la « fin de la transcendance », qu’elle soit classiquement divine ou plus récemment athée ? Avec un hédonisme à la Michel Onfray par exemple, fondé sur l’immanence du plaisir, renouant avec le jardin d’Epicure (les Dieux existent bien pour celui-ci, mais ne se préoccupent en rien des hommes). Se rabattre sur une éthique minimaliste (« Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te fasse »).

A moins que la transcendance ne soit pour l’homme un besoin nécessaire, incontournable… Peut-on par exemple articuler le désir comme « propulsion » et la transcendance ?

 

8)     Synthèse de la discussion par Françoise

Comment se positionner par rapport à ces trois positions : la transcendance de l’humanisme d’inspiration religieuse (Ricoeur, Lévinas), celle de l’humanisme athée (Camus, Sartre, Comte-Sponville), celle de la négation de toute transcendance (Nietszche, Onfray, Rosset) ?

- La mondialisation de la culture nous a fait connaître d’autres religions : ce besoin n’est-il pas universel ?

- Notre histoire renvoie à la tradition judéo-chrétienne : était-ce, est-ce toujours nécessaire ? D’après F. Lenoir, les droits de l’homme sont nés en Occident parce qu’il y eu le « Christ philosophe ».

- Même si la religion (religare, relier) se réclame de l’Esprit, ne faut-il pas distinguer religion et spiritualité ? On oppose la religion comme croyance ritualisée à une spiritualité plus intérieure, une recherche personnelle, au-delà de l’intellect, mais aussi de l’affectivité. Il pourrait en ce sens y avoir une spiritualité sans Dieu, un « esprit de l’athéisme » (Comte-Sponville).

- La transcendance est une ascension vers le haut : métaphore de gravir une montagne. Certains n’ont pas besoin de chemins tout tracés, ou gravissent en ignorant le but. D’autres ont besoin de compétition (les egos fabriquent des inégaux…).

- La transcendance apparaît comme une inspiration (pour l’artiste), une aspiration (pour le vertueux), une attirance pour l’inconnu et l’Absolu.

- Elle peut mener à la transe. Qu’en est-il de mon identité en relation avec la transcendance ?

- Elle semble être en nous, nous englober, comme un mystère.

- On distingue l’athée, incroyant, de l’agnostique, qui n’en peut rien savoir ni croire.

- D’un point de vue matérialiste, l’homme est régi par des besoins qui déterminent sa vie. La transcendance n’a pas grand sens, sinon d’endormir le peuple pour le dominer. Concept mou, son sens s’est affadi, est devenu simple dépassement de soi. Il faut déconstruire le langage.

- Difficile de penser la transcendance sans émotion qui vient du tréfonds de notre être. Elle s’éprouve et ne se prouve pas, ou se prouve en s’éprouvant. Mais elle ne s’épuise pas dans l’affectif, l’émotivité, car c’est « une pesanteur qui tire vers le haut » (S. Weil).

- On parle de transcendance immanente, intra-mondaine, par opposition à la transcendance verticale, extra-mondaine, celle des arrières mondes : c’est celle qui n’a pas besoin de Dieu pour que l’homme s’élève.

- L’homme est un être pensant et conscient de sa souffrance, qui a besoin de s’apprécier et d’être apprécié par les autres (estime de soi). Ce qui le fait se surpasser grâce à des représentations qu’il s’est construites : aspiration au Bien, à la vertu, notion de responsabilité, de culpabilité, de punition, donc d’éthique…

- Pour Freud, l’homme se crée une civilisation qui dépasse ses instincts, et l’élève au-dessus de ses pulsions : c’est un processus de sublimation. La religion est pour lui la « névrose obsessionnelle de l’humanité ».

- L’homme a besoin de vivre avec les autres : il doit dépasser son égocentrisme vers le collectif, d’où tout un système de normes et de valeurs pour rendre possible la coexistence.

- La spiritualité permet d’accéder à un autre niveau de connaissance, non réductible à du savoir ; de sensibilité, non réductible à l’émotivité : elle est créative, comme dans l’art.

- Les artistes sont « habités » par l’idée d’un absolu qui les pousse à créer. Pour donner un sens à leur vie ? Il y a là une posture devant le mystère, souvent la souffrance, de l’existence.

- On parle de la Beauté, forme d’élévation au même titre que la vertu.

- Mais aussi d’extase (et il y a l’extase des mystiques). Y a-t-il dans l’orgasme une spiritualité explicite (cf le Kamasoutra) ou cachée, ou/et le simple soulagement d’un besoin physiologique ?

- En Occident rationnel et matérialiste, on oublie parfois la profondeur sacrée du mythe, et le sens des autres cultures. La transcendance est au-dessus, elle domine, prend le visage du pouvoir spirituel, institutionnel (l’Eglise). Il y a un européocentrisme qui tente de s’imposer au reste du monde.

- Pour éviter la domination, la transcendance doit rester un élan, une aspiration, une recherche personnelle. Elle n’est ni savoir dogmatique d’une Vérité absolue, qui mène au fanatisme, ni pouvoir d’un maître, qui mène à l’Inquisition. Quelque chose nous dépasse qui permet de nous dépasser…

- La notion de transcendance peut prendre collectivement en Occident la figure humaniste du Progrès, de la Révolution, des Droits de l’homme.

 

9)    Régulation et planification des prochaines séances (10’)

Prochaine séance le 28 juin, sur la transgression.

 

ANNEXE 

Textes des participants

 

Selon le dictionnaire :

- Transcendance (1640) : caractère de ce qui est transcendant.

- Transcendant (1405) : (de trans et ascendere « monter ») qui s’élève au-dessus d’un niveau donné (synonymes : sublime, supérieur)

- Transcendant en philo (1538, log.) : Se disait des termes qui dépassent toutes les catégories (Un, Être, Vrai, etc.). Qui dépasse un ordre des réalités déterminé ; « ne résulte pas du jeu naturel d’une certaine classe d’êtres ou d’actions, mais suppose l’intervention d’un principe extérieur et supérieur à celle-ci » (Lalande). « Un ensemble de croyances exprimant la valeur transcendante de la vie » (Renan).   Transcendant à…, d’une nature radicalement supérieure à… ou (en phénoménologie) extérieure à… Le phénomène, l’objet conçus comme transcendants (à la conscience).

- La transcendance, en philo : l’existence de réalités transcendantes (Dieu – substances permanentes et choses en soi – rapports de droit ou de vérité immuables indépendants des faits – objets extérieurs aux consciences, d’après Sartre).

- Transcendance de Dieu, par rapport au monde et aux consciences.

 

Mais, Dieu, objet extérieur à la conscience, est-ce qu’on peut le penser au-delà de la pensée ?

Non, il faut croire à sa réalité transcendante. Croire, pas penser, car un au-delà de la pensée est impensable !

Conclusion : en philo cela n’a de sens parler de la Transcendance qu’en se référant aux croyances ou aux termes « qui dépassent toutes les catégories » (Un, Être, Vrai, etc.), simplement parce qu’ils sont des concepts de l’entendement (« fondamentaux », Kant), de la pensée forgée pour nous représenter le monde et nous entendre.

Les termes Un, Être, Vrai, etc., ne sont donc des termes transcendants que parce qu’ils expriment des qualités génériques attribuées aux objets ou sujets. Ils ne peuvent avoir donc de la transcendance (dans le sens d’être supérieurs et extérieurs au monde) qu’en leur attribuant les qualités que l’on attribue à Dieu.

                                                                                                            Contribution de Octavio

 

J’aborderai cette réflexion sur la transcendance en commençant par une approche des mots s’y rapportant :

1) transcender peut vouloir dire dépasser une émotion négative, surmonter une situation difficile dans une connotation toujours positive. Dépasser par la voie de la réflexion et de l’action. Ceci par l’intermédiaire :

- du cerveau, siège de la pensée, des informations, centre des formations mentales, de ma mémoire ; 

- de l’intelligence, faculté du savoir : instructions diverses, capacité d’adaptation, compréhension, communication, aptitudes compassionnelles dites intelligence du cœur ;

- de l’esprit, réalité pensante et conceptuelle. Le souffle : émanation de la vie et des sentiments sur le plan religieux ou mythologique des êtres divins ou désincarnés, tels les fées, les spectres, le Divin ;

- de la science, recherche et connaissance évolutives de la formation des phénomènes de l’univers ( devenant souvent obsolètes au fur et à mesure des découvertes nouvelles ), domaine des savoirs multiples vérifiés par des méthodes expérimentales ;

- de la conscience,  capacité de connaître, de développer via l’esprit des jugements de valeur morale dont le cœur ( dans le sens de la générosité ) pourrait être le siège ;

- du spirituel,  finesse de l’esprit, intelligence brillante ou immatérialité de l’âme, reflet d’un principe divin dans la religion ;                                        

- du mysticisme, recherche philosophique ou religieuse de l’Union de l’Etre relié au mystère de l’univers portée vers l’inconnaissable ;

- de la métaphysique, recherche rationnelle et non sensible des causes et des effets de l’univers, principe premier de la connaissance de l’Etre Absolu d’ordre divin ou désincarné.

Cependant, il est une capacité d’être autrement, sans possibilité de précisions  définissables, comme par exemple l’inspiration concrétisée par la création artistique. Comme René Char l’a exprimé : « Certains jours, il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire ». Je me lance donc à nommer l’Indéfinissable.

2) Transcendance : état d’être au delà de la conscience même, dépassement de l’ego, hors de toute matérialité physique ou psychologique.

Je donnerai comme exemple, en mathématiques, il existe un nombre irrationnel qui n’est la racine d’aucune équation (algébrique à coefficient entier précise Octavio…).

L’homme, de par sa capacité à penser, vouloir comprendre, élargit le développement  du savoir et de la conscience, tout en faisant naître la craindre d’échouer, de perdre, de ne plus avoir ou ne plus être.

La transcendance est d’être au delà du savoir et de la compréhension, par le chemin de la conscience : aller au delà de celle-ci dans un dépassement du Moi et du Soi dégagés du  Connu, dans un totale Lâcher-prise.

Etat d’être que l’on ne peut appréhender intellectuellement ou scientifiquement, appelé aussi état de conscience modifié.

Etat illimité -unique- unifié de Pacification.

Expérience « impensable » ou immanente.

Etat de présence ultime intrinsèque.                                                                            Dorothée

 

Tant qu’il y aura des croyants en des forces extérieures à la nature, et des Eglises (religieuses ou athées) pour les encadrer, il y aura un avenir pour l’idée de la « transcendance »  de Dieu ou de la Révolution, puisque pour cela il suffit d’y croire.
Mais dans les sociétés de la connaissance, la transcendance est un mot qui perdra son caractère sacré et qui n’aura d’autre signification que celle qu’il a étymologiquement : c’est-à-dire simplement pour souligner l’importance de certains faits ou problèmes par rapport à d’autres faits ou problèmes moins importants. La transcendance, en tant qu’idée d’au-delà du réel, n’est présente dans aucune société pour la gestion du quotidien, même dans celles où le pouvoir temporel se veut spirituel (religieux). Sauf comme croyance exploitée par le pouvoir pour asservir les masses.

Et pour ce qui concerne le désir, c’est encore nécessaire de rappeler que les besoins physiologiques et psychologiques de l’homme ont leur origine dans la spécificité de sa matérialité vivante ! Comment oublier que la vie est déterminée et fonctionne, même dans le cas de sa plus grande complexité, grâce à sa structure et aux rapports entre la matière et l’énergie, qui constituent l’espace-temps de l’univers dans lequel l’homme existe et habite ! Comment donc relier l’immanence du désir avec la croyance en la transcendance ? Le désir étant l’expression d’un besoin devenu pulsion par la chimie neuro-cérébrale, même quand il est conscient, et la
croyance en la transcendance étant un produit de la subjectivité culturelle… Et cela seulement dans les contextes où la croyance prend le dessus sur la connaissance, et où l’on croit possible une autre connaissance que la scientifique.
Qu’on l’accepte ou non, tout effort philosophique d’articuler le désir -même comme « (pro)pulsion »- et la transcendance nous ramènera au phénomène religieux, à la religion et au refus de la raison, de raisonner.  Et, comme dans la question de la centralité du Soleil par
rapport à la Terre posée par Galilée, il faut retenir pourquoi les nouvelles hypothèses astronomiques triomphèrent sur celles qui étaient contre la sphéricité, même si elles paraissaient raisonnables… Simplement parce qu’elles possédaient une grande force explicative face à l’intuition et à la foi.
La question est donc simple : raisonner ou croire. Et la philosophie, comme la science, ne peut poser des questions sur l’irréel qu’à travers des questions rationnelles. Le raisonnable me semble donc de laisser les questions irrationnelles à l’irrationalisme des religions.
                                                                                                                                      Octavio

 

 

Université Populaire de Perpignan

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)

Cycle sur la précarité (2ième année)

Séance 7 du 28-06-08   

« La transgression»

participants

 

Animateur : Michel

Introducteur : Marcelle

Président de séance : Jacky

Secrétaire de séance : Marcelle

 

10)           Introduction par Marcelle sur la notion de transgression

Mai 68 : Il est interdit d’interdire

Les multiples commémorations de Mai 68 nous ont replongés dans cette période de remise en question de l’ordre établi, de contestation de l’autorité, de libération des femmes, de libération  de la sexualité, de libération des codes sociaux, etc.

L’homme est pris entre deux impératifs : celui d’être dans la loi qui le contraint mais le protège, et celui de s’aventurer hors de ces frontières.

Il faut se souvenir d’un des plus fameux slogans : « Il est interdit d’interdire ». Jusqu’où cette formule, emblème de cette période contestataire, organise-t-elle la transgression généralisée ? A proprement parler et contre les apparences, assez peu. En fait la formule est tout à fait paradoxale puisqu’elle prétend abolir toute loi. Or s’il n’y a plus de loi, du même coup il n’y a  plus rien à transgresser, et dans le même mouvement la formule réintroduit un interdit, celui d’interdire. Ce slogan a donc la vertu de faire toucher du doigt l’incontournable pour l’esprit humain de la mise en forme du réel que pose la loi. La loi ordonne au double sens du terme : elle est injonctive et elle met de l’ordre. La transgression est indissolublement liée à la loi. L’une ordonne, tandis que l’autre dérange, ou plutôt veut faire sa propre loi. Mais toutes deux ont en commun un caractère impératif.

Transgression,  mythologie et littérature

La mythologie grecque montre cette opposition entre ce qui est rangé et ce qui déborde sous les figures d’Apollon, le raisonnable, l’harmonieux, et de Dionysos. Dionysos est un dieu sauvage ; sa venue porte la folie et avec elle, l’effroi et le ravissement ; il touche au plus prêt au mystère de la vie, de la mort, du sexe. Apollon est la liberté sous la loi, Dionysos est la liberté hors la loi. Il n’est pas inutile de rappeler qu’à Delphes, ils avaient un sanctuaire commun, attestant ainsi que leurs règnes sont noués l’un à l’autre.

La mythologie judéo-chrétienne paraît moins ambivalente : l’obéissance aveugle d’Abraham est vertu, tandis que la transgression d’Adam et Eve est Le Péché Originel.

Il faudrait aussi parler des contes traditionnels, où souvent le processus d’autonomisation passe par une désobéissance : Le petit chaperon Rouge, Barbe Bleue, etc.

Puisqu’on en est aux textes, citons les grandes figures de la littérature transgressive : Sade, qui a donné son nom à une perversion ; Georges Bataille, qui était dans la transgression de triple façon : parce qu’il l’a théorisée, qu’il l’a pratiquée dans des relations peu orthodoxes avec sa mère et ses compagnes, qu’il a subverti dans son écriture les codes du langage. On peut aussi parler de Catherine Millet, plus près de nous, qui subvertit les limites imposées par la pudeur en parlant de ses propres comportements sexuels.

Les grandes formes de transgression ébranlent les fondements même de la culture en s’attaquant aux principaux interdits : inceste, meurtre, cannibalisme. C’est ce que mettent en scène les ménades, ces femmes déchaînées qui suivent Dionysos. L’ébranlement de ces tabous déstructure tout ordre social, toute communication et même tout langage : c’est la folie, c’est la psychose.    

Toute transgression est relative non à l’impossible mais à l’interdit, elle est mise en cause des lois symboliques fondatrices, et à un moindre niveau des codes, des règles locales, des coutumes qui structurent la vie en société. 

Il faut pourtant observer que la société elle-même, en certaines occasions, organise ou tolère des parenthèses dionysiaques pour ne pas dire orgiaques sous la forme de fêtes, férias, carnavals, bizutages, lieux de licence, etc.

Les limites qu’elles soient naturelles ou symboliques constituent l’horizon de notre désir, comment ne pas souhaiter élargir cet horizon là ?

 

11)           Synthèse de la discussion par Marcelle

 

            La transgression – A quelle condition la transgression est-elle justifiable ?

 

Petite revue sur la notion de transgression et des notions voisines.

Transgresser : passer par-dessus un ordre, une obligation, une loi. Porter atteinte à une loi (écrite ou non écrite, des hommes ou de Dieu…). Elle est susceptible de la discréditer, de la renforcer ou de la faire évoluer. Il y a la notion de passage à l’acte qui est absente de l’idée de simple contestation.

La transgression s’attaque à l’interdit (notion religieuse, déontologique, morale, éthique ou juridique), et non à l’impossible : il serait impropre de dire que la science transgresse les lois de la nature, ce qui est impossible. En réalité la technique utilise à son profit (d’où l’abus du terme transgression) ces lois.

Désobéir a primitivement rapport avec une personne : on désobéit à quelqu’un. Ce n’est que par extension qu’on emploie ce terme par rapport à un ordre ou une loi. Désobéir est plus dans l’ordre de la dissidence interindividuelle, cela signifie ne pas se soumettre à quelqu’un.

Pervertir : signifie renverser, détourner de sa fin ou de son sens l’ordre ou la loi. C’est une atteinte insidieuse, souvent très efficace. Les systèmes trop rodés finissent par se corrompre. L’entrée d’un élément extérieur peut être utilisée stratégiquement : en analyse institutionnelle ou thérapie familiale, pour faire évoluer un système, la perversion perd sa connotation péjorative, comme facteur de changement.

 

Toute réflexion sur la transgression suppose une réflexion sur la loi (et le désir).

- Une loi est légitime si elle est universalisable en droit et en raison (Kant). A l’autre extrême, une loi qui n’assurerait l’intérêt que d’un seul ou de quelques uns serait illégitime, même si elle est légale. Cela serait un privilège. De la même manière, la transgression qui viserait à ne prendre en compte que moi-même ne peut être défendue. «Je » ferait alors sa loi.

- Il semble que l’exercice démocratique du pouvoir soit le mieux à même de produire des lois  justes, puisqu’elles vont dans l’intérêt du plus grand nombre, ce qui est moins contestable.

A ce propos Sigmund Freud a imaginé un mythe, celui de la première organisation sociale à partir de l’état de « horde primitive ». Dans cette horde, le mâle dominant, le père, se réservait la possession de toutes les femelles, jusqu’au jour où les fils se révoltèrent et le tuèrent. Mais très vite ils ressentirent le danger d’être en guerre perpétuelle entre eux pour la possession des femelles. Alors ils décidèrent de s’interdire toutes les femelles de leur clan, et d’aller dorénavant les chercher dans d’autres clans. C’aurait été la première loi, celle de l’exogamie, qui ferait émerger la culture à partir de la nature.

- C’est en quelque sorte une loi forgée contractuellement, qui dès lors qu’elle est acceptée, va s’imposer à tous, même si elle brime l’intérêt immédiat de chacun.

Hobbes, et de manière un peu différente Rousseau, parlent  aussi de contrat social. Pour le premier, il faut un régime fort qui assure la coexistence pacifique, auquel chacun abandonne sa liberté, pour éviter la lutte de chacun contre tous. Le second est démocrate : la loi assure la volonté ganérale.

- La loi peut aussi être d’origine transcendante : les commandements divins par exemple.

- Que la loi soit contractuelle ou imposée, quand elle est édictée, elle prend un caractère surplombant qui la rend en quelque sorte transcendante et obligatoire.

- La raison dicte aussi sa loi et même elle devrait dicter toutes les lois.

 

Transgresser pourquoi ?

- Comme l’a dit St Paul, « c’est la loi qui fait briller le désir », c’est parce qu’un objet est interdit qu’il paraît enviable. La propension à la transgression est alors consubstantielle à la nature humaine.

- L’observation de la variabilité des lois, de leur relativité, dans le temps et dans l’espace, incite à ne pas les prendre trop au sérieux, donc à ne pas toujours les respecter :

    - par désir d’être soi-même (on l’a déjà vu) en place de législateur ;

    - parce que la loi brime la liberté individuelle et que la liberté peut apparaître comme une valeur suprême surtout quand elle n’empiète pas sur la liberté des autres.

     - lorsque la loi est très ou trop contraignante.

     - parce que les conditions de vie évoluant, les lois deviennent obsolètes (voir les lois concernant par exemple la bio-éthique).

      - parce qu’il y a des lois effectivement illégitimes et des lois inadaptées (même si on se donne souvent cette excuse quand on transgresse : je passe au feu rouge parce qu’il n’y a personne !)

 

Quelques situations où une transgression est utile, sinon nécessaire

- Ce sont celles qui se font sur le mode imaginaire : le rêve et la rêverie permettent de s’accommoder des brimades de la vie, l’humour aussi.

- La civilisation n’avance qu’en se remettant en question. On peut dire à la limite que des lois qui sont réécrites se transgressent elles-mêmes.

- Au niveau individuel, le stade où l’enfant « se pose en s’opposant » est constitutif de son  processus de maturation.

- Dans la démarche artistique, il est nécessaire de transgresser les canons en vigueur pour s’ouvrir vers de nouvelles possibilités.

- Il existe des lois injustes : des mouvements révolutionnaires sur le plan politique sont nécessaires.

 

12)           Bilan d’un an et demi d’atelier (10’)

Le bilan apparaît comme très positif. Michel, pris par d’autres activités sur Narbonne avec le changement de mairie, ne peut plus continuer à animer l’atelier. Mais il serait regrettable d’arrêter.

Le groupe manifeste la volonté collective de continuer. Jacky Arlettaz, sollicité par Michel, veut bien en assurer la continuité. Il est choisi pour l’an prochain le même thème qu’à l’atelier de l’Université Populaire de Narbonne : « Le rapport de l’homme à l’autre ». Une rencontre est prévue en mai ou juin entre les deux ateliers pour confronter le travail annuel commun…

Il y aura échange des compte rendus entre les deux ateliers.

Robert continuera d’assurer le lien avec Les Beaux-Arts pour la salle, les dates et les compte rendus.

 

 

ANNEXE 

Textes de participants

 

Transgresser

 

En élargissant notre réflexion sur la transcendance nous en venons à la transgression, chemin possible pour accéder au dépassement, à une liberté, au bonheur parois à un accomplissement.
Pour moi transgresser c’est résister. Etymologiquement transgresser signifie rester debout, désobéir, passer outre, s’opposer à l’ordre établi, à l’injustice : savoir dire non, prendre des chemins de traverse, mais aussi cultiver le doute afin d’innover, sans s’obstiner afin de reconnaître le juste de  l’erroné ou l’excessif, en sachant lâcher prise de son entêtement, égoïsme, orgueil ou systématisme, tout en cultivant l’humour en riant d’abord de soi même, démarcher.
Le principal attrait de cette démarche ambiguë pouvant être contradictoire, est la conservation d’un esprit critique, remettant en question toute pensée, instruction ou situation préétablies, extérieures ou personnelles, avant de se l’approprier et d’évoluer plus avant. Cela demande :
- Courage, pour s’opposer et s’engager dans l’inconnu
- Vigilance, contre une paresse naturelle à rester dans un kit tout prêt
- Discernement afin de rester conscient et constant sans obstination car il ne s’agit pas de se tromper de combat ou d’ennemis
- Humilité de reconnaître ses erreurs en les transformant en expériences positives tout en sachant reconnaître ses limites
- Imagination, base de toute création
- Travail, constat et sincère du développement de soi, de nos troubles, de nos carences, nous permettant de découvrir et dépasser nos capacités ignorées dans une recherche d’équilibre entre subir et découvrir, résister ou s’abandonner au train-train de ce qu’il est convenu de faire ou de penser.
Le danger est d’aller trop vite et trop loin dans une opposition systématique pouvant aboutir à la violence, l’égotisme, l’entêtement, l’enfermement.
Sans résistance physiologique et psychologique, nous aboutissons à la stagnation du corps et de l’esprit. Or l’intérêt d’exister c’est de redécouvrir, avancer, sinon créer, se dépasser parfois : passer de l’état de nature à l’état de culture, à chacun de choisir son dépassement.
Rester rebelle et lucide malgré le formatage ambiant, sans tout rejeter systématiquement : pour faire du neuf il faut défaire le vieux.
Et puisque nous sommes dans les « trans », la transgression ouvre la voie vers une transformation pouvant aller vers la transcendance :  « Eclore est une fracture, naître est un effort » Shakespeare.                                                                                                                                                                  Dorothée

 

  

 

 

 

 

 



 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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