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L’accompagnement psychologique des pratiques

Posted By Michel Tozzi On 26 décembre 2008 @ 10:42 In Sur l'analyse des pratiques professionnelles | No Comments

DEFINITION ET SPECIFICITE DE L’ACCOMPAGNEMENT

DE GROUPES D’ANALYSE DE PRATIQUES PROFESSIONNELLES

PAR UN PSYCHOLOGUE DANS LE CHAMP DE L’ECOLE

 

Par Michel Tozzi, professeur émérite des Universités en sciences de l’éducation à Montpellier 3,

didacticien de la philosophie

michel.tozzi@orange.com     Site : www.philotozzi.com

 

La question est posée dans une rencontre annuelle de l’Association Nationale des Psychologues de l’Enseignement Catholique (ANPEC). Elle correspond donc à une préoccupation de professionnels définis par une profession (psychologue), qui se réclame dans sa formation (DESS), son statut et sa pratique d’une discipline (la psychologie), et qui oeuvrent dans un champ de pratique sociale spécifique, l’école et l’éducation des élèves, enfants et adolescents, dans une institution qui revendique un caractère propre.

Quels sont les enjeux actuels de cette question, est-ce un « symptôme » ? Y a-t-il par exemple de la part de l’institution une demande accrue vis-à-vis des psychologues pour qu’ils accompagnent davantage des groupes, notamment des enseignants qui rencontrent dans leur établissement des difficultés psychologiques dans l’exercice de leur métier. Un métier usant, où il y a de plus en plus une crise du sens du rapport au savoir (à quoi ça sert d’apprendre ?) et au pouvoir du maître (questions relationnelles, d’autorité…), engendrant beaucoup de souffrance : le psychologue serait alors requis, comme spécialiste dans la modernité de l’écoute et du traitement de la souffrance, tout particulièrement ici la « souffrance au travail »… Et ce à un moment où  la capacité à analyser sa pratique professionnelle pour s’accompagner dans les évolutions de sa carrière est devenue un élément central de la professionnalité des enseignants et personnels éducatifs, pris en compte dans leur formation tant initiale que continue.

Si l’hypothèse était avérée, le corps des psychologues concernés serait interpellé. Comment répondre à cet appel ? Cela pourrait poser un problème d’identité : il n’est pas simple par exemple pour celui qui écoutait dans sa pratique quotidienne dominante surtout des enfants d’avoir à écouter des adultes ; ni pour celui habitué à des entretiens individuels d’accompagner des groupes ; ni à celui qui écoutait une souffrance singulière de l’écouter en groupe ; ni à celui qui se centrait sur des personnes d’aider à analyser des pratiques professionnelles, où est en jeu un statut, une fonction ; ni à celui qui se référait dans une orientation analytique à la cure interindividuelle, d’intégrer des référents moins connus, comme la théorie psychanalytique des groupes, avec ses conséquences dans la pratique… Il y a là des déplacements qui impliquent des élargissements, des remaniements, donc des réticences, des obstacles au changement et à l’adaptation. Avec des répercussions sur la culture commune du corps, à réélaborer en partie : est-on légitime dans ces nouvelles pratiques, compétent, s’y autorise-t-on, doit-on refuser, ou se former, à quels référents théoriques et quelles pratiques, et que faire sur le tas face à de nouvelles tâches ?

Il s’agit alors de mieux identifier sa professionnalité en travail par rapport à des activités élargies.

 

Accompagner psychologiquement un groupe d’APP

 

Quels sont d’abord les identifiants d’une pratique psychologique d’un groupe d’accompagnement à l’analyse des pratiques professionnelles (APP) ?

Il ressort du travail de groupes de psychologues au sein de leur association (ANPEC) :

1) Qu’accompagner, pour un psychologue, c’est comme y incite l’étymologie cheminer avec. Quel type de cheminement ? Celui qui permet une expression de soi, qui se donne le temps et les moyens de faire advenir dans un individu la parole d’un sujet : extérioriser la façon dont on vit une situation, dans ses émotions et ses affects ; favoriser l’autorisation de dire et se dire, de s’entendre dire ; faire accéder au sens ce que l’on vit, en aidant par une prise de distance, un écart, une décentration, à une lecture, une auto-interprétation de sa vie personnelle et professionnelle; sortir de sa solitude par un étayage d’écoute d’une neutralité bienveillante. Une écoute sensible à la parole mais aussi aux silences, aux lapsi, aux blocages, aux refus.

Comment ? A travers une posture d’accueil et de disponibilité qui établit un climat de sécurité et de confiance, à partir d’un cadre structurant et contenant, qui donne à l’autre une place, libère un potentiel pour l’inconscient, pour le sujet de l’inconscient. Comme personne-ressource qui, dans son être-là, manifeste une attention soutenue mais une présence discrète, qui incite sans pour autant faire intrusion, dans une vacance du pouvoir non sans contre-transfert, mais qui refuse la position de maître supposé savoir. Posture d’ouverture, qui se synchronise avec l’autre dans le temps (question de rythme) et l’espace (miroir physique en face à face), à bonne distance cependant pour se protéger, ne pas confusionner, car au corps réel fait écho le corps imaginarisé. Cheminer sans être directif, mais non sans direction : accompagner un sujet jusqu’où il peut et veut aller dans l’élucidation de ce qu’il en est de son rapport (désirant) à l’a(A)utre.

 

2) Mais qu’est-ce qu’accompagner en psychologue un groupe ? Et quelle différence avec accompagner quelqu’un dans un entretien individuel, ou une pratique duelle ?

C’est mettre en place une organisation plus complexe en amont (disponibilité de plusieurs dans une unité de temps et de lieu ; organisation d’un espace circulaire avec ou sans table, où chacun a physiquement une (sa) place). Un cadre contenant avec des objectifs annoncés et des règles plus explicites, maintenues durant le travail, concernant tant la méthode proposée que l’éthique de l’accompagnement (s’autoriser à dire suppose confidentialité des participants et non jugement d’un exposant qui s’expose, et donc doit être protégé).

Il s’agit de faire circuler la parole, de ne pas fournir soi-même de solution, et de donner à chacun une place, une juste place. De s’appuyer sur la dynamique des interactions pour réverbérer des échos. De réguler les tentations permanentes de jugements ou de conseils (« Si l’autre se met à ma place, où je me mets ? » Lacan), et les conflits de pouvoir. De gérer l’hétérogénéité des demandes singulières (chacun compte pour un), mais aussi des non demandes (présence contrainte), qui peuvent faire obstacle à l’implication personnelle. D’articuler la parole de sujets singuliers, à parité dans le dépouillement de leur rôle social, avec leur statut (celui-ci pouvant être hiérarchiquement bloquant par les différences de poids de parole), et leur fonction (qui par l’exercice d’autres tâches professionnelles peut être une ressource par la diversité des regards).

 

3) Et qu’est-ce qu’accompagner en psychologue un groupe d’APP ?

Un groupe d’APP travaille les difficultés rencontrées dans l’exercice d’une profession, et en particulier la souffrance qu’il génère. Le psychologue a certainement un rôle à jouer, avec sa professionnalité spécifique. C’est un lieu où l’on peut être amené à revisiter sa pratique, à la mettre en question : on y travaille le changement et ses résistances à changer, la dialectique du même et de l’autre, de ce qui reste et sur lequel on peut s’appuyer, et du deuil de ce que l’on doit ou peut abandonner.

Il faut peut être distinguer les groupes dont les participants ne se reverront plus, où se jouent de manière atténuée les représentations de statut, où il est plus facile d’être sujet de sa parole, de se décentrer de ses rôles, parce que l’implication ne portera pas à conséquence à moyen terme. Et les groupes réels, dans l’établissement, qui se connaissent, ont une mémoire collective (faite de réussite comme appui, mais souvent de difficultés ou d’échecs), et dont les participants se retrouveront : le moi personnel s’y dissimule davantage derrière sa fonction professionnelle, il y a peut être des conflits latents ou déclarés. Comment dans ce cas travailler la subjectivité de l’individu au sein de sa pratique professionnelle ? Et apprendre à réguler psychosociologiquement des conflits, car il est bon que des choses puissent de dire, en présence et avec la garantie d’un tiers médiateur.

Il y a là des éléments nouveaux par rapport à une pratique duelle, et c’est peut-être un inconnu qui fait peur au psychologue clinicien.

 

Remanier partiellement son identité ?

 

1) Car l’identité commune qui se dégage majoritairement ici, et qui va fonder une spécificité d’approche théorique et de pratique, parmi les nombreuses figures du psychologue (ex : le psychologue cognitiviste ou développementaliste, le psychologue social, le psychologue du travail, le psychosociologue institutionnel etc.), c’est la figure du psychologue clinicien dans le champ scolaire : celui qui favorise une approche clinique du sujet, singulier, insubstituable, inaliénable, et du sujet de l’inconscient. Psychologue souvent lui-même, au passé ou au présent, en analyse, en psychothérapie ou en contrôle, sans être pour autant lui-même psychanalyste, mais dont la pratique d’entretien se veut d’« orientation psychanalytique » (quelle qu’en soit la diversité des courants, mais dont on sait en France la prégnance freudo-lacanienne).

Car quand on demande quelle est la spécificité de l’apport d’un psychologue dans le champ éducatif, celui-ci répond : ma posture, extérieure aux autres professions du champ, qui consiste en une écoute particulière, présente-distante, à implication travaillée sur soi-même, à formation spécifique par ses outils théoriques (ex : psychanalyse), et ses techniques (par exemple d’entretien), avec un code déontologique qui met en avant la valeur et le souci de la psyché d’une personne-sujet, dont la parole mérite une place et doit pouvoir s’exprimer et être entendue.

 

2) Cette identité de psychologue clinicien colle-t-elle avec celle d’un animateur de groupe d’accompagnement à l’APP ?

Quel différentiel de compétences, de référents théoriques ou de formation ?

L’animateur-formateur par exemple, qui est sur le même créneau de l’APP, est ailleurs. Le cœur du métier d’enseignant est de faire apprendre les élèves, de s’intéresser aux méthodes pédagogiques et à la didactique de l’acquisition de contenus. Il articule le relationnel et le groupal de la classe aux apprentissages. Il éveille notamment à la réflexivité consciente. C’est de ce coeur de métier qu’intervient l’animateur-formateur, souvent d’origine ou encore enseignant.

Mots clefs : enseigner, instruire, transmettre, éduquer, apprentissage, pédagogie, didactique, réflexivité, formation.

Alors que le cœur du métier de psychologue clinicien est d’écouter en entretien singulier le vécu affectif d’un sujet qui est celui de l’inconscient, et tout particulièrement sa souffrance ; il ne travaille guère sur et avec la raison ; il s’intéresse à la personne globale, et non à son statut social : à l’enfant ou à l’adolescent plus qu’à l’élève, à l’enseignant comme personne au-delà de sa fonction ; il est dans une relation d’aide toujours à la frontière du soin (care, prendre soin), ou en son coeur.

Mots clefs : accueil, écoute, sujet, personne, vécu, émotion, inconscient, souffrance, aide, soin.

Il y aura donc une spécificité du psychologue animateur de groupes d’APP, dès lors qu’il anime  de tels groupes avec des compétences qu’il possède déjà. Mais on peut aussi s’interroger s’il ne doit pas acquérir des compétences nouvelles ou complémentaires. Car il y a certes des éléments communs dans l’entretien duel et l’animation de groupes : on y facilite par exemple l’expression et le respect de la parole de sujets. Mais il y a aussi des différences : les participants qui entendent dans un groupe la parole d’un sujet ne sont pas formés à une posture et une écoute psychologiques. Cette parole peut produire sur eux des effets non analysés, comme ils peuvent réagir de façon non constructive. Que faire alors, comment réguler ? Les participants ont aussi des représentations d’un psychologue : quelle que soit l’intention de celui-ci de ne pas juger, certains vont développer une peur d’être « interprété » par ce sujet supposé les connaître et publiquement les dévoiler : que faire de ces représentations ? Qu’en est-il du transfert et du contre transfert dans un groupe, où l’on est confronté à la pluralité et non à une seule singularité ? Comment gérer les interactions dans la dynamique d’un groupe, lorsqu’elle est conflictuelle ou semble mortifère.

Le psychologue clinicien aurait-il peur du groupe, de son nombre, du conflit en cas de rapport de force se substituant au rapport de sens qu’il veut instituer (fantasme du groupe persécuteur)?

Pourtant le groupe est riche de potentialités : il peut jouer un rôle d’étayage au même titre que le psychologue, dans ses interactions, dans le croisement des regards et des référents théoriques de ses acteurs. Le psychologue-animateur n’est donc pas seul dans le groupe pour prendre en charge ; il peut s’étayer du groupe lui-même, et lâcher, comme il sait lâcher son fantasme de maîtrise dans l’entretien. Là aussi le cadre semble déterminant comme contenant, et une méthode d’analyse des pratiques (GEASE, GAPP etc.), dans ses exigences éthiques et méthodologiques, et à laquelle on peut se former,  peut sécuriser le groupe (…et son animateur), l’amener à travailler.

 

Le remaniement, ou l’élargissement de la professionnalité du psychologue peut être pour lui un enrichissement personnel et professionnel, si un certain nombre de conditions sont réunies (de transfert de compétences, d’acquisition de nouvelles compétences, de formation complémentaire, de reconnaissance institutionnelle…) ?

Travailler à l’aide à l’APP, c’est accompagner les personnes à s’accompagner elles-mêmes face à l’évolution difficile de leur carrière et incertaine de leur vie. C’est aussi les faire travailler en groupe, à un moment où l’individualisme peut ruiner les solidarités professionnelles et humaines. Or le groupe est socialisateur, il apprend à vivre ensemble : on peut y apprendre à écouter l’autre, le comprendre, et l’étayer ; on peut aussi y apprendre à parler, s’entendre et être entendu, et pas seulement par un spécialiste payé pour ce travail. A l’heure où l’on peut faire jouer à l’entretien individuel le rôle de renarcissation d’individus blessés par les formes d’organisation économique et sociale actuelles – ce qui évite la critique sociale du système à l’origine de ces blessures, en individualisant et psychologisant les solutions -, il n’est peut être pas inutile que des psychologues s’investissent dans l’animation de groupes qui développent des habitus de socialisation démocratique des individus et des groupes. Ce peut être une dimension politique du travail de psychologue.

 

 

 

 

 


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