Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

La problématique de la lecture philosophique d’une oeuvre selon le discours des praticiens

(EXEMPLE DES DEUX PREMIERES MEDITATIONS METAPHYSIQUES DE DESCARTES)

I – L’ACTIVITE DE PLANIFICATION
A) L’édition choisie
B) Etudier l’œuvre en entier ou partiellement ?
C) A quel moment et combien de temps ?
D) Comment introduire et conclure l’étude ?
E) Comment commence, se déroule et finit une séance ?
F) Les élèves ont-ils à préparer chaque séance… ?
G) Articuler l’étude d’une œuvre aux notions et problèmes du cours ?
H) Articuler l’étude d’une œuvre à une dissertation ?
I) L’étude d’une œuvre et l’oral.
J) Quel degré de contextualisation ?
K) Conclusion sur le premier questionnaire.

II – LA MISE EN ŒUVRE DE L’ETUDE D’UN TEXTE LONG.
A) L’écart entre le prévu et le réalisé.
B) Lesdifficultés rencontrées.
C) Les satisfactions possibles.
D) Eléments de contextualisation facilitant la compréhension.
E) Quid de l’oral ?
F) Texte long et texte court.
G) Conclusion.

LA PROBLEMATIQUE DE LA LECTURE PHILOSOPHIQUE
D’UNE ŒUVRE EN CLASSE, SELON LE DISCOURS DES PRATICIENS

(EXEMPLE DES DEUX PREMIERES MEDITATIONS METAPHYSIQUES DE DESCARTES)

La présentecontribution prolonge un travail didactique sur la lecture philosophique des textes , et plus particulièrement sur la didactisation d’une oeuvre longue, par opposition à un court extrait . Nous abordons ici cette dernière à partir d’un exemple : les deux premières Méditations métaphysiques de Descartes, en nous appuyant sur les témoignages de quelques enseignants.
Nous avons tenté, à partir desdiscours sur leurs pratiques de quelques volontaires pour expliquer ce texte en classe, de repérer les questions et les difficultés rencontrées, les choix opérés dans la planification et la mise en œuvre de séquences. Pour ce faire, nous avons dépouillé deux questionnaires, constitués à partir de notre problématique globale sur la lecture du texte long (cf. note 2) : l’un en amont, sur laplanification de l’explication prévue en classe, l’autre en aval, sur sa mise en œuvre. Nous avons ainsi cherché à identifier les problèmes pratiques posés aux enseignants de philosophie quand ils abordent des oeuvres.
L’étude suivie d’une (ou de plusieurs oeuvres en TL) est une injonction programmatique (de l’ordre de la didactisation institutionnelle de la philosophie comme matière enseignée). Nous allonstravailler au niveau de la " didactisation praticienne " (J.L. Martinand), c’est-à-dire de la façon dont cette " commande " est traitée en classe par l’enseignant : quelle " transposition didactique " (Y. Chevallard) pour faire apprendre à philosopher des élèves, à partir de la lecture d’oeuvres philosophiques ?

I – L’ACTIVITE DE PLANIFICATION DE L’EXPLICATION D’UNE ŒUVRE ENCLASSE

Cette injonction amène à faire des choix : d’auteurs, dans la liste des trente quatre proposés, et d’oeuvres de ces auteurs, à partir d’un certain nombre de critères plus ou moins explicites. Ex : calibre du philosophe (Platon, Descartes, Kant) ; champ de réflexion (Le manifeste du parti communiste de Marx pour la politique, Le fondement de la métaphysique des moeurs de Kant pour l’éthique, Les fondements de l’esprit scientifique de Bachelard pour l’épistémologie etc.) ; affinités philosophiques ; relation avec le contenu du cours ; longueur de l’oeuvre; philosophe déjà familier à l’enseignant; œuvre déjà testée en classe ; accessibilité pour les élèves; type de section ou niveau de la classe etc.( ).
Mais une fois l’œuvre arrêtée, d’autres choix s’imposent : d’où cette activité de planification, qui fait de l’enseignant un décideur (M. Altet, J. Riff et M. Durand, F. Tochon …) .Cette planification est plus ou moins organisée, en fonction des enseignants. Constatons d’abord le biais qu’introduit la recherche par rapport au fonctionnement habituel : " la rédaction du premier questionnaire m’a amenée à me sentir quasi " coupable " de ne pas prévoird’entraînement particulier à l’oral , et à en organiser un " ( La question 11 : " Prévoyez-vous une préparation particulière à l’oral du bac ? " a donc été saisie comme un contrôle normatif a priori de la pratique). "Je ne planifie pas si longtemps à l’avance le travail " (Les réponses au questionnaire obligeaient à anticiper). " Je planifiehabituellement, mais pas autant dans le détail " (Les questions étaient nombreuses et précises). " J’aurais préféré ne commencer qu’en février, lorsque j’aborderai les questions relatives au savoir " (Il était proposé de commencer l’œuvre en début d’année).
Certains ont l’habitude ou la volonté de ne pas trop planifier : " La programmation du découpage dutexte n’est pas encore possible : elle le sera lorsque nous -la classe et moi- aurons commencé la lecture ". Les conditions de travail (non connaissance des classes pour la rentrée, classes nombreuses et difficiles) peuvent rendre impossibles ou très aléatoire toute programmation . Le plaisir de planifier est fonction de la gratification que l’on attend. Un collègue n’a pas rempli le questionnaire, significatif pour lui d’une "névrose organisationnelle " : " J’accorde à l’improvisation une place essentielle,à partir des questions des élèves que je sollicite. Si je savais ce que je vais dire et ce qui va se passer en classe, mon travail ne m’intéresserait plus ".
D’autres collègues trouvent que planifier sécurise : " il est nécessaire de s’organiser à l’avance ". " Je ne peux travaillerqu’en planifiant à l’avance, au moins la moitié de l’année à venir, ce qui me permet d’articuler de façon cohérente l’ensemble du travail. "Il y a les contraintes temporelles : " Planifier en gros, à cause du calendrier ". " Ne pas couper l’œuvre pendant les vacances ". Les obligations institutionnelles : notes, et donc devoirs : " Dans l’enseignement agricole, nous avons l’habitude deprogrammer en vue du contrôle continu ". La planification apparaît nécessaire aux débutants, mais plus facile en fonction de l’expérience : " Peu de problème, dans la mesure où je refais quelque chose qui est déjà rôdé ". Et a contrario : " N’ayant jamais étudié en continu que la première Méditation, il m’est difficile d’anticiper les réactions desélèves. "
Les choix, explicites ou implicites, portent notamment sur les variables ci-après.

A) L’édition choisie.
Il existe un marché scolaire avec ses stratégies (conception de l’ouvrage ; prix ; pénétration : possibilité pour l’enseignant de se procurer gratuitement ou à prix réduit des spécimens etc.). Ont été mentionnés comme éditeurs :Hachette (H), Larousse (L), Garnier-Flammarion (GF), Nathan (N), PUF quadrige (P), Bordas (B).
Nous avons relevé comme critères de choix :
– Eléments matériels. Le prix : L (le moins cher), H (28F), N, GF (34F alors que certaines vont jusqu’à 54F). La facilité à trouver l’ouvrage. Le format : maniabilité, volume réduit (H). Le poids (H moins lourd que GF).
– Exactitude et complétude.Edition de référence : Adam et Tannery (H). Choix de la traduction du Duc de Luynes, approuvée par Descartes (N,P). Texte avec objections et réponses (GF et P, différent du livre de poche). Texte bilingue, français-latin (GF/P).
– Présence d’un appareil pédagogique : Apports documentaires (textes critiques, chronologie, présentation du philosophe, éclairages historiques), notes en marges du texte, etnon à la fin (N).
Qualités des notes explicatives et documents, questions à la fin de chaque méditation, iconographie, numérotation des lignes (H).
Compte-tenu de ces différents critères, on constate naturellement des choix distincts, voire des stratégies divergentes :
– Edition imposée/choix entre deux éditions, mais de même traduction/liberté totale pour l’élève dechoisir son édition.
– Un collègue prend par principe l’édition la moins chère. Un autre donne le choix, à condition que ce soit la même traduction. D’autres aiment la diversité des éditions, des traductions (on se met alors d’accord sur la numérotation des paragraphes) et des appareils critiques qui se complètent. Notons qu’il s’agit d’un texte dont les différentes éditions sontproches. En revanche, pour les auteurs étrangers, il arrive que les traductions soient si éloignées qu’on a l’impression que ce n’est pas le même texte.
– Beaucoup apprécient les notes ; un les refuse, car elles sont " souvent trompeuses ".
– Alors que certains recommandent GF ou P pour bons élèves, et latinistes( ), un trouve que si H est moins " érudit ", il est moins "décourageant ".
Il serait intéressant de savoir comment ces critères se hiérarchisent et/ou se combinent. Et ce qu’il en est par rapport aux " routines ", et aux nouveautés qui sortent (Les éditeurs sont les premiers intéressés).

B) Etudier l’œuvre en entier ou partiellement ?
On relève l’explication d’une seule Méditation (dans une classe technologique) àquatre, en passant le plus souvent par deux, pratiquement toujours en entier, mais " en entrant plus ou moins dans le détail. "
La logique d’un texte long, par opposition à un texte court, c’est d’insister sur la continuité du texte et sur la progression de sa pensée. D’où l’idée qu’on ne peut sauter des passages : " Il me semble surprenant, si l’on étudie un extrait d’une œuvre longue, d’en gommer encore les longueurs par le choix de n’étudier que des passages. Le texte prend son sens dans sa progression interne ". " Etudiée complètement, à la limite mot à mot … Une méditation ne se " découpe " pas. Il faut appréhender le mouvement de la pensée dans sa continuité ". " Je ne pense pas découper le texte, mais l’étudier dans sa linéarité". L’argument est d’autant plus fort qu’il s’agit de ce texte : " surtout dans le cas précis des Méditations, qui se présentent comme une expérience de pensée ". Qu’en serait-il s’il s’agissait plutôt d’aphorismes (cf. Marc Aurèle, Epictète, Nietzsche) ? Un collègue cependant n’explique que le début et la fin de la deuxième Méditation. Il serait intéressant de savoirs’il s’agit d’un principe ou d’un choix au coup par coup : préfère t-on étudier la première partie du Gorgias ou des extraits couvrant tout le texte ?
Cohérence et progression de la pensée s’expriment par l’aspect argumentatif du texte : " Démarche argumentative ", " articulation logique ", " étapes du raisonnement ". D’où l’idée de titres pour les passages, et le faitde s’appuyer sur des paragraphes pour identifier les étapes : marques textuelles suggérées par le texte, telle traduction, ou une proposition pédagogique d’ouvrage. Il y a aussi l’idée que les paragraphes permettent aux élèves de se repérer, et peuvent favoriser la " mémorisation de l’enchaînement des idées ". Le " découpage ", programmation dans le temps d’un textelinéaire, s’appuie donc sur des " unités de sens ", mais traitables en une unité horaire (1 ou 2 h).
Le découpage est très différent : en trois à cinq " morceaux " pour chaque méditation, et de six (3+3) à 9 (4+5) au total. Par exemple, pour la même édition Hachette, la deuxième Méditation peut être découpée en 3 (par 1-4 ; 5-9, 10-18)ou 5 (1-4 ; 5-7 ; 8-10 ; 11-15 ; 16-18).
Ce qui frappe, c’est l’insistance sur la continuité du texte, la progression de la pensée comme autant de moments argumentatifs. D’où la nécessité d’un découpage fonctionnel, appuyé sur des paragraphes et des titres mémorisables. Cette exigence logique se combine avec la nécessité de séances discontinues de une à deux heures qui doivent à la fois former un tout, une unité de sens en soi, tout en étant reliées à ce qui précède et suit.
D’où nous le verrons des débuts et fins de cours qui sont autant de " rites " d’ouverture et de clôture internes à la séance, mais raccordant dans une séquence le logique au chronologique (Exigence moindre en cas d’immersion massée dans le temps). Le compromis entrecohérence du texte et temps accordé donne de fait des articulations aux scansions très différentes.

C) A quel moment et pendant combien de temps ?
On commencera à partir de la dernière semaine de septembre, en octobre, ou à la rentrée de Toussaint. Motifs invoqués : le temps de se procurer l’ouvrage, d’avoir fait une introduction générale à la philosophie, d’avoir parlé de ladissertation, de Descartes etc.
Le temps global consacré est très variable : en TL du simple au double (12 à 24h). De 1h par semaine " pour ne pas saturer les élèves " à le plus souvent 2h, mais jusqu’à 8h par semaine pendant 3 semaines (Immersion totale sur la totalité de l’horaire, et sans coupure de vacances). Quelques variantes : 12h en 2 semaines, 4 semaines, 6 semaines ; 14h en 7 semaines ; 20hen 4h hebdomadaires pendant 5 semaines ; 24h de 3 à 12 semaines ; 2h/semaine pendant 6 à 12 semaines. On notera qu’un collègue va faire les deux Méditations en 14h en STT et 20h en SMS avant Noël (Immersion), un autre de 16 à 20h voire plus en TS, et d’autres 12h en TL. Un collègue explique en TS la 1ère Méditation en 2h. Certains collègues donnent des fourchettes (18 à 20h, 16 à 20h voireplus, 4 ou 5 semaines), d’autres se donnent des butées (3 semaines au maximum, avoir terminé avant Noël).
Cela nous interroge sur la gestion du temps, et sur les raisons qui motivent tel ou tel choix. Pourquoi passer plus ou moins de temps sur une œuvre ? Quels critères : par rapport au capital-temps global, aux séries, aux autres activités jugées nécessaires ? Et comment passer ce temps : en discontinu ou enimmersion ? Une ou deux heures qui se suivent ? Quels sont les avantages et inconvénients de chaque formule ? Du point de vue du professeur (ex : traiter des notions à l’occasion du texte pour gagner du temps sur le programme) ? De l’élève (ex : lassitude) ? Il serait intéressant de savoir si chaque texte long est ainsi traité par chaque professeur, si c’est parce qu’il s’agit de Descartes, ou d’une expérience…

D)Comment introduire et conclure l’étude ?
Sur l’introduction, on constate des démarches contraires : aucune (mais une synthèse terminale) ; ou très courte : " le début étant incisif, je tiens à entrer rapidement et sans trop de préalable dans le texte " ; ou très structurée : " Descartes et l’ébranlement de la vision médiévale du monde (de 2 à 4h) plus leplan des Méditations (de 1 à 2h) ". L’introduction peut porter sur :
– la biographie : " pour avoir envie de lire un auteur, il faut rentrer en sympathie avec lui. Je présente l’homme avec quelques anecdotes ".
– l’œuvre complète, la doctrine, sa problématique ex : " L’arbre de la science ".
– le contexte historique : la pensée de Descartes et du XVIIème ; son originalitépar rapport à Aristote et la scolastique ; l’utilisation d’une vidéo : " Je projette l’émission cogito sur Descartes une fois, puis une seconde avec prise de notes, et explication de ce qu’ils ne comprennent pas " . Ou " utilisation fractionnée de la vidéo-cogito ".
Comment commencer une oeuvre ? Par une introduction magistrale, préalable, qui la situe dans différents contextes ? Avec un supportaudio-visuel ? Comment faciliter l’entrée dans un texte ? Faut-il un amont ? Des dispositifs sont proposés pour que le texte apparaisse comme une réponse au questionnement des élèves : autobiographie individuelle . " Réflexion des élèves par question/réponse sur le fondement de la vérité , " pour qu’ils aient envie de découvrir la démarche et la réponse de Descartespar rapport à l’exigence de vérité ". Travail écrit de 30′ : " A l’issue de votre scolarité, pensez-vous qu’il y a une connaissance indubitable ? " .Ou les élèves ayant lu les Méditations avant, je leur fais dire les étapes ". " Je leur demande de faire une synthèse préalable, un élève la présente, ses camarades l’interrogent et je rectifie au besoin". Ebauche d’un " dossier Descartes " etc.
Comment conclure une œuvre ? Faut-il une reprise des principales étapes, idées ? Faite par le professeur, les élèves ? Une contextualisation, un élargissement historique, doctrinal ?
" Je n’ai pas l’habitude de faire une synthèse. C’est intéressant mais je n’ai pas le temps ". Une synthèse est nécessaire, " sur la criseépistémologique et culturelle de la fin du XVIIème début XVIIIème ", et sur les perspectives post-cartésiennes. " Le professeur peut seul donner son plein sens à une doctrine en l’insérant dans l’histoire de la philosophie ".
D’autres font davantage la relation avec le cours, les notions. Certains s’intéressent aux élèves : " pas les idées de Descartes, mais leur vécu ". " J’embraye une discussion globale ". Sans oublier le contrôle et le bac : " interrogation écrite sur la connaissance et la compréhension " ; " explication d’un passage en groupe (45′), puis écrit individuel sur qu’avez-vous appris ?, et oral facultatif pour ceux qui le souhaitent ".

E) Comment commence, se déroule et finit une séance ?
Pour le début de laséance, plusieurs scenarii :
– Accent sur la séance précédente. Faire le lien (aspect contextuel) : où en est-on dans l’œuvre, à quel moment de la pensée ? Un élève doit résumer, est interrogé (éventuellement il y a un " tour " de passage ). Il peut être noté (vérification). Il y a là une fonction de transition.
– Ou/et on lit le passageà expliquer : un élève, mais ce doit être " bien fait ", sinon le texte est " massacré ". Ou moi, " de façon animée, pour faire comprendre intuitivement le texte. "
Dans ce dernier cas est mentionnée l’hypothèse qu’un texte mis oralement en valeur, en bouche et en corps, facilite sa compréhension par le lecteur, avec le découpage vivant des phrases, lesintonations, le message paraverbal ou non verbal.
Plusieurs " styles " et dispositifs dans le déroulement : " Etude dirigée du texte, avec appel à l’analyse collective et composante magistrale ".
– Le magistral peut prédominer (le prof explique) parce que les élèves sont peu coopératifs, pas très clairs ; on manque de temps si on les implique.
– Un élève explique,dit ses réponses (Idées, plan, concepts), le prof confronte avec les autres, il complète.
– Le prof construit le sens du texte par des questions collectives ou nominatives, " corrige ", donne des compléments. Dans ce cas, les élèves doivent prendre des notes structurées, garder des traces.
– Les élèves sont sollicités pour formuler incompréhension, critiques (La prise de paroleest jugée essentielle pour l’oral du bac).
– Il y a alternance en classe entre travail individuel, travail de groupe et plénière. (Car sans préparation préalable).
L’enjeu est ici de savoir, dans la façon dont le cours se déroule, si c’est plutôt le professeur (logique d’enseignement), ou plutôt les élèves (logique d’apprentissage) qui expliquent le texte. Et dans ce dernier cas : s’il y adébat entre élèves, ou si c’est le professeur qui fait les corrections ; et comment se combinent explication des élèves et stabilisation du sens par le professeur.
La fin de l’heure est souvent difficile : " la fin est aléatoire. Il est rare que la fin d’une séance coïncide exactement avec une séquence ". Elle " se termine quand la cloche sonne. Je m’arrange pour arrêter l’explicationà la fin d’un paragraphe ou d’une idée et pour introduire l’idée suivante par une question … mais c’est de l’ordre du bricolage ". " Cela ne me dérange pas de terminer l’heure alors que cela ne correspond pas à la fin de quelque chose ". On fait " selon le temps ", " si le temps le permet ".
Certains ne font pas de synthèse, ni de résumé dicté. D’autres font lire par lesélèves le passage expliqué ; esquissent un récapitulatif (l’avancée de la réflexion, les perspectives ouvertes, les questions posées) ; donnent les questions pour la fois suivante ; ramassent quelques préparations écrites ; font évoquer mentalement les points forts de l’analyse (gestion mentale) …
Pourquoi cette fin difficilement maîtrisable ? Cette non coïncidence entreséance et séquence thématique ? Problème d’anticipation d’une heure d’enseignement ? Beaucoup de questions. Ex : Vaut-il mieux donner une préparation en début ou fin de séance ?

F) Les élèves ont-ils à préparer chaque séance ?
Oui pour tous les collègues en L et S. Sinon " les élèves sont passifs ". Non en SMS-STT, car " La philo ne méritepas un tel investissement-temps à la maison par rapport au coefficient et aux 38 à 40heures de cours par semaine ". Préparation individuelle (un collègue n’exclut pas le collectif, un autre utilise un travail de groupe pour le plan global des Méditations) ; lecture antérieure des deux Méditations (et de l’abrégé des quatre autres pour quelqu’un). Au minimum lecture du passage (avec un compte-renduécrit quelquefois pour vérifier). Souvent relecture de ce qui a été vu et écrit la fois d’avant (Notes plutôt que texte, avec interrogation en début d’heure).
Le plus souvent questions écrites de guidage à réponse individuelle écrite (exploitées pendant l’heure, et parfois partiellement relevées). " Inscrites sur le cahier de TD ". Pour " mettre enévidence la problématique en liaison avec ce qui précède et la structure du raisonnement " un collègue demande aux élèves de lire certaines " objections " à présenter après l’explication de certains passages, un autre de se confronter avec d’autres textes. Un troisième demande de formuler des questions d’incompréhension ou de critique.
Qu’est-on donc en droit d’exiger ?Et qu’en est-il en fait (souci de vérifier ?) Cela dépend des séries. La préparation individuelle l’emporte : des préparations plus collectives seraient-elles utiles ? Il s’agit plus de poser des questions aux élèves, que ceux-ci ne formulent des questions au professeur, ou à eux-mêmes. Il y a là un compromis entre les guider pour qu’ils comprennent le texte, et vérifier qu’ils font bien untravail sur le texte (exigence scolaire). Comment faire pour qu’ils posent eux-mêmes des questions au texte ? Des questions d’incompréhension pourraient être aussi utiles que des réponses sur la compréhension …

G) Articuler l’étude d’une œuvre aux notions et problèmes du cours ?
Le rapport du texte aux autres activités est posé, car il est l’un des deux piliers du programme, par le biais de laliste d’auteurs. L’injonction officielle de traiter le texte en fonction de problèmes liés aux notions du programme n’est pas toujours reprise : " je n’étudie pas le texte directement en fonction des problèmes ".
C’est du texte ou à son propos que jaillissent les problèmes, plutôt qu’il n’est censé (comme dans le texte court), les illustrer. Il semble de fait y avoir une logique du texte long, dans lequelon rentre pour lui-même. " Les problèmes sont intégrés au texte étudié ". Il y a les " problèmes internes à la progression de la réflexion, les problèmes que pose cette réflexion, et ceux auxquels l’œuvre ouvre ".
Sont notamment cités : la nature et la portée de l’acte philosophique ; le problème de la connaissance : origine de nos connaissances (ex: les sens) et validité ; conscience et connaissance ; l’être et la vérité ; la relation à autrui et au monde ; la quête du sens … " " J’aurais traité juste avant le problème de la vérité et plus largement de la connaissance ".
La mise en relation avec des notions est majoritaire : " il est difficile de séparer notions et problèmes ". Mais il faut un certain volontarisme pour pointer systématiquement les notions à partir du texte. Le nombre des notions citées est quantitativement significatif. De une (La philosophie), deux (perception-imagination), trois (théorie et expérience, vérité, religion) à un balayage systématique : conscience, passion, autrui, illusion, perception, temps, langage, imagination, jugement, vérité, religion, liberté,philosophie. On trouve aussi : doute, idéologie, coupure épistémologique, qu’est-ce que l’homme ?, métaphysique, scepticisme, Dieu, sens, croyance, idée … Il y a même une proposition d’exercice spécifique : " relire les deux Méditations en cherchant les termes et passages qui ont un lien direct ou indirect avec le programme ". Ou bien " j’ai choisi Descartes comme fil conducteur de l’année etj’y fais référence pour quasiment toutes les notions du programme en vue d’obtenir des élèves la maîtrise d’une doctrine philosophique ". " Si huit heures de Descartes par semaine, c’est trop, j’étudierai parallèlement la conscience et l’inconscient deux heures par semaine ".
Le recours aux notions peut être un moyen d’accrocher : " Sans relier les notions au texte, ce dernier n’apparaîtpas aux élèves avec l’intérêt requis ". Inversément " L’œuvre donne à la notion sa densité historique ", et l’on peut percevoir son caractère opératoire pour poser ou résoudre un problème dans le cadre d’une doctrine. Une autre façon d’articuler est de donner au texte une " fonction d’orientation pour toute l’année ". Ici, on " marque les notionsrencontrées dans la marge du cours ", ou elles " sont signalées au fur et à mesure du déroulement ", ce qui est sur l’année " un gain de temps ".
La relation plus précise au cours est variable. " Pas forcément de rapport ". Ou " rapport étroit, qui le situe plus largement ". Que ce soit en amont : " Mon cours anticipera le texte, en situant Descartes " ; ou enaval : " De nombreux feed-back " ; " Chaque fois que Descartes peut être sollicité, je le convie en référence aux cinq Méditations.
Au fond une des problématiques de la planification, par cohérence d’ensemble et gain de temps, serait d’articuler étroitement cours, problèmes, notions, textes et auteurs.

H) Articuler l’étude d’une œuvre à une dissertation ?
Leproblème se pose dans la programmation d’un trimestre, compte-tenu de l’obligation de notes consécutives à des travaux écrits, et de la préparation aux épreuves de l’examen. Les réponses sont très diverses. De l’absence totale de lien, à un sujet déjà prévu, en passant par une éventualité.
Dans le premier cas, " reste que la question du transfert des problématiques qu’il renferme se pose ". Dans les autres, on pense soit au troisième sujet : mais il s’agit d’un extrait de texte en principe décontextualisé ; d’où l’ambiguïté quand on prend celui-ci dans un texte long expliqué en classe. Soit aux sujets-questions. " Peut-on douter de tout ? " est plébiscité. On trouve aussi : " Suffit-il d’être certain pour être dans le vrai ? " ; "Le doute est-il une impuissance ? " ; " D’où vient que nous nous trompons ? ".
On souhaite aussi que Descartes puisse être réinvesti dans un sujet proposé sur une notion abordée (ex : la conscience) ; ou dans d’autres tâches : écrire sa propre biographie intellectuelle. On propose aussi de repérer chez Descartes les processus de pensée du philosopher ; ou de compléter un "dossier Descartes ".

I – L’ETUDE D’UNE ŒUVRE ET L’ORAL.
L’intérêt de l’oral semble perçu, mais reste aléatoire, à l’initiative d’une interrogation du professeur (On appelle oral la réponse à une interrogation précise) : " Ils peuvent questionner, mais c’est surtout moi qui interroge ". " Il y a un droit à intervenir à tout moment, en justifiant sa question ". Comment faciliter les questions au professeur ? " Les questions sont bienvenues mais rares ; et je réponds souvent en classe aux questions que je pose " …
Quelles sont les opportunités ? Lire un passage ; plancher sur le cours précédent ; dire ses réponses aux questions écrites ; présenter certaines objections adressées à Descartes (cf. correspondance) ; répondre aux questions ; poser desquestions ; rapporter le travail de son groupe. Mais peu d’exposés, car " n’intéresseraient pas les autres élèves ". Utilisation pour l’oral d’un faible effectif (on objecte souvent le nombre), ou de l’heure dédoublée en série technologique.
Une minorité privilégie l’oral : " Mon souci premier pendant le travail effectué sur les oeuvres ". " Je les encourage à participer le plus possible, à faire le lien entre le texte et leur expérience ". Les stratégies réfléchies sur l’oral sont rares.
Même quand il est encouragé, l’oal est rarement évalué ou noté. A cause d’effectifs nombreux, et de manque de temps. Il y a aussi des réticences : " je résiste à l’idée de tout évaluer " ; " Une évaluationsystématique menacerait la spontanéïté du discours et provoquerait de la récitation ", " figerait les relations " ; " L’évaluation les découragerait vu leur difficulté à comprendre ". Il y a l’hypothèse que l’on peut entraîner les élèves à l’oral sans évaluation.
D’autres jouent avec l’appréciation sur le livret scolaire, pour " valoriser les élèves actifs même s’ils sont maladroits ". L’évaluation peut être diversifiée : " Je mets A, B, C, D. Après quatre interrogations une note sur 20 ". " J’évalue les réponses orales et les intègre dans la moyenne trimestrielle ". Un collègue met " le paquet " : une séance de deux heures sur chaque Méditation (sur un total de 12h), avecconstruction de la compétence de l’oral par travail en groupes (Explication d’un passage + question type " peut-on douter de tout ? ".
Pour la préparation de l’oral du bac, certains ne prévoient rien : " Dans un lycée de 2300 élèves, l’organisation d’un bac blanc écrit est déjà acrobatique, celle d’un bac blanc oral serait trop compliquée ". " J’ai renoncé à faire passer des oraux blancs aux élèves, il me semble que cela les angoissait plus que cela ne les libérait ". D’autant que très peu d’élèves sont concernés en S, et cela n’empêche pas de réussir en L.
On note quelques conseils donnés, vu son " caractère catastrophique ", et l’importance du coefficient en L. On a des simulations soit après chaque œuvre, à lafin de l’année, ou entre l’écrit et l’oral (par manque de temps). Formules diverses : un à deux élèves passent l’examen en présence des autres, puis analyse critique collective ; bac blanc d’établissement, avec oral de rattrapage pour certains seulement ; pour des volontaires uniquement, ou les plus faibles ; en groupes d’élèves où ils planchent entre eux ; présentation aussi par le professeur d’explications-types en classe entière. En fin d’année, tirage au sort d’une œuvre et d’un extrait.

J) Quel degré de contextualisation ?
Il y a consensus sur la contextualisation élémentaire, qui consiste, dans la phase de découverte, à (re-)situer tout nouveau fragment dans le contexte de ce qui précède. Et ce surtout à cause de la nature des Méditations, où " chaquepassage est un moment de la pensée ". " C’est essentiel pour saisir le mouvement du texte ". " C’est indispensable en début et fin de séance ". Parfois on renvoie à telle partie ultérieure (Ex : la cinquième Méditation pour l’union de l’âme et du corps).
Exigence qui devient, dès qu’on connaît la suite, et donc une fois l’œuvre achevée, en particulier aubaccalauréat, la nécessité de situer l’extrait dans l’ensemble de l’ouvrage, comme " moment " d’un avant et d’un après : élément qui constitue, contrairement au texte court " décontextualisé " du troisième sujet de l’écrit, un critère d’évaluation du lecteur candidat assez aisément opérationnel dans une introduction et/ou une conclusion.
Il y adivergence sur les autres niveaux de contextualisation. Depuis la conception qu’une œuvre se suffit à elle-même (le texte, tout le texte, rien que le texte) : " Un texte philosophique au niveau de la terminale, qu’il soit court ou long, doit surtout prendre sens par lui-même ". Jusqu’au rattachement à de nombreux éléments :
– des ouvrages antérieurs ou postérieurs de Descartes. Si l’on trouve surtoutle Discours de la méthode (pour comparaison), sont aussi cités les Objections et Réponses, les Regulae, les Principes, le Traité des passions, exceptionnellement l’œuvre scientifique (pour les TS). Le recours à l’œuvre complète serait " long et ennuyeux ". " Pas d’étude érudite pour les élèves ". Quelques allusions : la circulation du sang de Harvey, la théorie mécaniciste, la science universelle et le statut de la métaphysique.
– la doctrine cartésienne. " Ce serait trop complexe pour certains ". " Uniquement si cela s’impose pour la compréhension du texte ". Il s’agit plus de faire découvrir la doctrine que de l’illustrer. " J’ai moins le souci de relier la doctrine à l’analyse que de faire découvrir la doctrine à la lumière de l’analyse".
– Sur l’homme Descartes et sa biographie, les points de vue sont très tranchés. " Le cartésianisme pour moi, ce n’est pas l’homme Descartes "." A part quelques généralités : j’ai le souci de privilégier les idées ". Ou au contraire : " J’insiste sur tous les aspects qui le rendent " proche " de nous, qui permettent aux élèves de ressentir un hommederrière un texte, de rencontrer quelqu’un qui pense et pas seulement des idées ". On cite sa fragilité physique, sa scolarité, son souci de liberté, d’indépendance, de tranquillité, sa quête de la vérité, le savant, le tempérament méditatif, sa souffrance à la mort de sa fille, son intérêt pour les questions relatives à la santé. Il " manifestedans sa vie (Hollande, solitude, correspondance) l’exigence de la liberté de penser ".
– Sur l’époque . Allusion rapide, dans l’introduction ou la synthèse finale. C’est important pour certains : dans un état de crise, réaction de l’église, de la philosophie des sciences, " passage du XVIème au XVIIème ", " classicisme et universalité, science et technique, image " royale "du " sujet ", " lien avec les difficultés de Galilée, se concilier la Sorbonne, essor de la philosophie mathématique, statut de la recherche sous haute surveillance ".
– sur l’histoire des idées et de la philosophie. On y accorde de l’importance : Rapprochement avec Socrate, opposition à la scolastique, rôle charnière dans l’histoire, pivot dans la place accordée à l’homme dans lemonde, changement de paradigme, naissance de la science moderne, problème de dualisme ontologique, de l’espace et de la force, vérité-subjectivité-réalité, à comparer avec Leibniz et Spinoza sur l’union de l’âme et du corps, avec Kant sur la connaissance …
– Sur l’usage des commentateurs. " Je n’ai pas le temps de relire trop Descartes ou ses commentateurs ". " Je ne suis pas érudite, et mafonction n’est pas de former des érudits ". " Je commente moi-même ". " L’étude d’une œuvre est l’occasion d’approfondir mes connaissances. Mais je ne leur en ferais pas explicitement mention ". D’autres citent : Henry et Marion, Questions cartésiennes I ; A. Koyré, Du monde clos à l’univers infini ; M. Guéroult, Descartes selon l’ordre des raisons, structure d’un système ; Laporte, Laraison cartésienne en son temps …
Question : les commentaires relèvent-ils de l’érudition ? Ne peut-on s’en servir pour montrer la pluralité des lectures d’une œuvre ? Ne peut-on comparer devant les élèves les interprétations de Guéroult et d’Alquié ? …

K) Conclusion sur le premier questionnaire.
Notre premier questionnaire, antérieur à l’explication d’une œuvre enclasse, et portant sur sa planification, nous semble, malgré les biais imputables aux questions posées et au moment du questionnaire, apporter un certain éclairage :
– sur la façon dont quelques professeurs de philosophie envisagent la planification d’une œuvre philosophique en classe, en l’occurence les deux premières Méditations Métaphysiques de Descartes ;
– Sur les représentations qu’ils se font,à travers leur programmation, de ce que doit être une telle explication ;
– et notamment sur la manière dont ils pensent pouvoir gérer, dans leur pratique de classe, un certain nombre de variables institutionnelles (ex : lien œuvre-notions-problèmes, et œuvre-dissertation, préparation de l’examen oral …), ou personnelles (rapport à leur propre discours explicatif, place des élèves dansl’explication, degré de contextualisation jugé nécessaire etc.).
Au delà du constat d’une réelle diversité des pratiques, se sont esquissés certains consensus : la nécessité de découper le texte en rapport avec le mouvement de la pensée, de situer le fragment par rapport à ce qui le précède, de faire préparer un minimum le texte par les élèves. Des majorités s’affirment, pour juger que l’oral reste secondaire, à peu évaluer, que c’est au professeur d’expliquer le texte, qu’il faut poser des questions aux élèves pour éviter la passivité.
Mais il y a une minorité pour considérer l’importance de l’oral, développer sa compétence, y préparer au baccalauréat. Les intentions de pratiques (reflétant au moins partiellement despratiques réelles) sont très différentes par contre sur le fractionnement ou l’immersion de l’explication, le détail des découpages de l’œuvre, les façons de commencer ou finir l’oeuvre ou une séance, l’articulation avec d’autres pôles ou activités, les niveaux de contextualisation envisagés.
On sent bien que pèsent les contraintes institutionnelles (notamment temporelles), et aussiles modèles dominants d’enseignement (le maître supposé savoir, le primat de l’écrit …). Mais la variété des propositions montre le degré significatif d’initiative dont dispose un professeur de philosophie, et sa responsabilité de décideur vis-à-vis de sa façon d’expliquer une œuvre en classe. Cet espace ouvert donne du champ, au-delà du " savoir à enseigner "programmatique, à une recherche et des propositions didactiques…
II – LA MISE EN ŒUVRE DE L’ETUDE
D’UN TEXTE LONG

A) L’écart entre le prévu et le réalisé.
Planifier est déjà un choix. Nous avons vu que certains collègues, pourtant partant pour l’expérience (j’avais leur accord écrit), n’ont pas voulu ou pu remplir notre questionnaire sur la planification de l’étude dutexte de Descartes, trop détaillé pour des " non-planificateurs ", ou " planificateurs très souples " : " La programmation du découpage du texte n’est pas encore possible : elle le sera lorsque nous -la classe et moi- aurons commencé la lecture ".
Mais même ceux qui planifient ont conscience de l’écart probable entre le prévu et le réalisé. Conscience de prendre du retard: " En général, il faut plus de temps que prévu ". " Par expérience, je sais que je passe toujours plus de temps que prévu sur l’explication des premiers passages sélectionnés, de sorte que je suis souvent contrainte de remanier l’ensemble, d’abandonner le projet d’explication précise des derniers passages ". " Je planifie toujours, mais les débordements me mettentrégulièrement en retard ".
D’où le sentiment d’une programmation largement approximative : nécessaire, " même si l’on ne s’y tient pas toujours absolument ", " même s’il est parfois difficile de s’en tenir au programme fixé ".
La difficulté de tenir vient, selon les praticiens : de la nécessité de mettre en relation l’explication avec le cours, et plusgénéralement avec les autres activités ou les aléas. Mais surtout des élèves : " le surgissement de l’interrogation n’est pas entièrement prévisible ", " les questions des élèves peuvent entraîner dans des explorations non imaginées ". Ce questionnement provient soit de leur intérêt, soit de leur difficulté à comprendre le texte, d’oùplus de lenteur, d’explications, de débats.
On revendique donc une certaine souplesse (ex : fourchettes horaires) : " Planifier en gros, mais je m’accorde une certaine souplesse dans ma progression ". " Pour ne pas courir le risque d’enfermer mon cours dans une structure achevée et irrémédiable, je me sers de cette préparation comme d’un " filet " …, dont je peux m’échapper par des réflexions plus libres (A l’occasion de faits d’actualité, ou sur la demande d’élèves etc.) ".
Le deuxième questionnaire , après l’explication de l’œuvre va confirmer cet écart. " Il est difficile de mettre en œuvre le programme prévu ". Un indicateur objectif est le temps passé à l’explication : " J’avais prévu 12-15h et j’ai mis 20h ". " De 14h -20h, cela a donné22h30 ".
Ce dépassement peut être vécu comme un dysfonctionnement (" je n’avance pas assez vite "), ou une adaptation : " je n’appelle pas cela un dérapage : je crois qu’il s’agit plutôt de déploiement de la vie de la classe d’une part et de la recherche intellectuelle d’autre part, déploiement qui n’est jamais prévisible, et participe de ce que l’on peut appeler création ".
Car il y a les causes extrinsèques (cours supprimés : devoirs dans d’autres matières, activités sportives, journée point-bac, conseil de classe etc.), et des raisons internes. Exemple : " Au début de chaque heure, j’avais prévu de faire faire un rappel du cours précédent. J’y ai progressivement renoncé : le cours n’était pas toujours relu, il fallait que j’attende qu’une personne accepte de selancer. A la fin, je le faisais moi-même … " " Le temps m’a manqué : pour faire procéder à la fin de chaque séance à l’évocation mentale prévue ; pour que les élèves formulent à la fin de l’étude l’enseignement qu’ils retiraient de leur lecture … ". Dommage, car ce sont toutes ces reformulations qui permettent l’assimilation.
" Etant donné que j’aiperçu rapidement que la moitié de la classe ne comprenait guère la littéralité du texte…, j’ai dû au fur et à mesure apporter les éléments d’explication décisifs, préciser ou faire préciser le sens de tel ou tel passage, et non me contenter d’écrire au tableau sous leur dictée les différentes étapes de l’argumentation, avant de reprendre les passagesdécisifs, ainsi que je l’avais envisagé ".
" Etant donné que j’avais pour objectif premier la maîtrise de l’argumentation, j’avoue avoir ajourné les moments de discussion plus libres sur la pertinence de tel ou tel argument (le rêve, le Dieu trompeur) … J’estime avoir commis une erreur, car je n’ai pas ménagé un temps où les élèves puissent réagir de façon immédiate et désordonnée, ce qui aurait été nécessaire pour éveiller et maintenir leur curiosité ".
" Les écarts ont été moins importants que d’ordinaire ; le fait d’être engagé dans une réflexion sur les pratiques enseignantes me semble y être pour quelque chose, parce qu’il oblige à davantage planifier avec, comme revers de la médaille, moins despontanéité, de disponibilité pour accueillir l’imprévu … Je constate qu’au début de chaque séance, je n’ai pas proposé comme très souvent antérieurement, de travail en groupe sur les questions à préparer … Il n’y a pas eu de réelle synthèse finale .. mais trois heures d’interrogations orales (non prévues au départ). "
Un collèguerépertorie quelques " variables " expliquant selon lui l’écart : " l’intérêt des élèves, pas toujours envisageable a priori … le niveau de la classe, qui détermine sa capacité d’assimilation (il peut y avoir un monde entre deux TS) … les exemples qui viennent se greffer au cours pour l’enrichir ou le modifier … le rapport du professeur à tel texte, qu’il sent mieux, et qui peut lui inspirerde longs discours… le climat de la classe ".

B) Les difficultés rencontrées.
Il y a des difficultés qui tiennent pour les élèves au texte lui-même.
– sa longueur. " Pour l’élève de technique, un texte est long dès qu’il faut tourner la page. Sur mes 67 élèves de STT, aucun livre imposé en classe durant la scolarité n’a été lu en entier ;lorsqu’il en a assez, l’élève saute les pages, surtout descriptives, pour aller directement à la fin voir comment se termine l’histoire ".
– son type d’écriture. Outre les mots employés au XVIIème tels que " créance ", " commencer tout de nouveau ", " propre à exécuter ", il y a des problèmes concernant le vocabulaire élémentaire : " principes/malassurés/se défaire/cette entreprise/un âge qui fut mûr- que je pusse espérer d’autres après lui/différé/délibérer (pour ne parler que du 1er paragraphe) ". " Il est donc nécessaire d’avoir une double lecture : le texte original puis avec des synonymes ". Il faut souvent une véritable traduction en français courant. On signale aussi " cire ", et contre-sens sur" joints " (" deux et trois joints ensemble font cinq ").
La longueur des phrases est un handicap. " L’élève se perd dans principale et subordonnées. Il est donc nécessaire de faire des découpages de phrases, en insistant par la voix sur la principale, et en utilisant un ton moins appuyé pour les subordonnées. " Il faut décortiquer les constructions latines et une syntaxe complexe (traduction du latin et français du XVIIème).
-La nature de son questionnement, abstrait, portant sur le problème de la connaissance, peu en prise avec des problèmes quotidiens ou d’actualité.
Ce qui paraît en question, c’est le rapport de l’élève au français, à l’écrit, à la lecture, mais aussi à la philosophie, à la culture, à la classe, à l’école. Difficulté à faire ses préparations à la maison, à se concentrer, à participer, à se décentrer. Difficultés de déchiffrage et de compréhension du texte . " Ce manque de lisibilité a gêné les élèves qui n’osaient guère répondre aux questions, craignant de commettre des erreurs ". Difficulté de donner du sens à ce qui est lu (vivreavec Descartes et prendre au sérieux la démarche du doute) ; d’accepter d’aller au-delà du réalisme naïf des sens, de la conception positiviste de la science, d’entrer dans une attitude de mise en question. Ex : " Lors de l’hypothèse du Dieu trompeur, un élève musulman a quitté la classe, puis pendant une séance, s’est placé au fond sans travailler ".
" Alors qu’il me semblaitsimple de mettre, dans les treize cases représentant le découpage de la première Méditation, les treize idées principales, cette notion a dû être revue, alors que je la croyais acquise par les exercices type-bac faits antérieurement. Le descriptif l’emportait sur le réflexif (ex par 1 : Descartes parle de son enfance) ". " Ou bien l’élève prend l’idée de chaque paragraphe et lesjuxtapose, sans montrer leur enchaînement.
" La seconde Méditation a été plus difficile. Ils décrochaient rapidement. Comme ils n’ont pas vraiment le sens de l’effort, quand ils ne comprennent pas à la première lecture, ils ont du mal à imaginer qu’ils pourront ensuite saisir le sens du texte ".
" J’ai l’impression que presque toutes les difficultés sont liées à la situation,et sont fonction
– de la classe ; niveau, relations, proportion de redoublants …
– de mon état d’esprit ..
– du lien entre la classe et moi : paisible et dynamisant, ou stressant … de l’impression que j’ai de sentir ou pas les élèves, la classe ".
Dans cet inventaire à la Prévert, il faudrait distinguer de manière plus fine les déterminants socio-culturels (origine sociale des élèves suivant les filières et rapport au savoir scolaire ; la mise en question de Dieu pour un musulman…) ; institutionnels (capital temps scolaire et à la maison, coefficient selon les séries …) ; groupaux (dynamique de la classe et climat) ; personnels (enseignant motivé ou usé et s’ennuyant). Et les rapports à l’école (Apprentissage et socialisation), à la culture (pensée abstraite), à lamatière (philosophie) ; à la nature de la tâche (lire un texte philosophique), avec ses déterminants langagiers (maîtrise du français) et disciplinaires (décrypter des processus de pensée, habiter existentiellement sa lecture) ; à ce texte particulier de Descartes etc.

C) Les satisfactions possibles.
Quand les élèves s’intéressent au texte et au cours de façon minimale :" Sentir qu’ils ne s’ennuient pas ". Ou plus active : " Entendre les questions que (se) posent les élèves ". Quand ils s’investissent dans " la question de savoir s’il y a une vérité ". " Quand ils ont compris le sens du cogito ". " D’en voir un ou deux qui font des liens avec des concepts ou idées déjà abordées ". " Un élève à la fin d’uncours m’a dit qu’il n’avait jamais encore compris la puissance du doute avant la lecture de la première Méditation ". " J’ai été un peu désarçonnée par une question sur le paragraphe 9 : " Pourquoi Descartes prend-il soudain en compte cette opinion (" Qu’il y a un Dieu qui peut tout "), puisqu’il a décidé de rejeter toutes celles qui ne sont pas certaines ? Or il a appris celle-ci dansson enfance !) ".
Trois témoignages intéressants.
1- " Dans la perspective d’exposés dans l’année, deux garçons ont décidé de parler du Discours de la méthode. Ils ont présenté, au début de leur intervention, deux minutes de vidéo tournée dans la rue sur le thème : " Quand je vous dis Descartes, ça vous dit quoi ? " Puis ils ontdégagé l’essentiel de chaque partie du Discours, avec un schéma au tableau pour illustrer la deuxième maxime de morale, et avec un court extrait du film " Ridicule " concernant les preuves de l’existence de Dieu, pour illustrer un aspect de la quatrième partie (de fait ils n’avaient pas compris l’argument ontologique !) ; ils ont terminé par une " expérience ". Une table d’élèverenversée, l’un s’avance : " voyez-vous, dès que j’avance, j’ai tendance à tomber dans le gouffre du dogmatisme ". Arrive alors l’autre garçon avec un carton sur lequel est écrit en gros METHODE. " Cela va déjà mieux, mais quand j’avance, j’ai tendance à tomber de l’autre côté, dans le gouffre du scepticisme ! " Arrive alors un troisième larron avec un carton sur lequel estécrit : MORALE : " Et voilà je marche droit, en m’appuyant sur la méthode et la morale ! Les élèves étaient ravis ! ".
2- " J’ai ressenti une satisfaction certaine lorsque des élèves se sont investis réellement dans l’appropriation du texte, en particulier lors des exercices oraux.
Théâtralisation du texte. J’ai consacré une séance à demander auxélèves par groupes de quatre de préparer la mise en scène de la première Méditation en s’entraînant à récapituler et mémoriser les arguments : un élève jouait le récitant (Descartes présentait son projet, puis exposait ses difficultés, la nécessité d’avoir recours à un malin génie, et récapitulait à la fin, comme au début de la seconde Méditation). Deux autres mettaient en scène le dialogue intérieur que Descartes mène avec lui-même (Argument 1, objection, réponse à l’objection, nouvelle objection etc.)
Colloque des philosophes : deux heures de préparation par groupes (classe divisée en deux, les cartésiens et les anti-cartésiens). Distribution des Objections et Réponses. Puis une heure de colloque et uneheure d’échanges sur l’exercice (Après un bref bilan individuel écrit, où chacun indiquait ce qui l’avait ou non aidé dans la compréhension de Descartes. "
3- " Mes satisfactions en séries technologiques :
-Etude complète de la première méditation, sans rien sauter dans l’explication, sans mauvaise grâce de la part des élèves qui se sont pris au jeu de rappeler ceque Descartes avait déjà dit, ce qui leur permettait de comprendre l’enchaînement des idées du texte.
Satisfaction intellectuelle de voir les élèves ne pas rejeter d’emblée la pensée de Descartes, mais plutôt de tenter de la comprendre à travers tatônnement, voire erreur -car je ne cesse de répéter qu’avant de critiquer, il s’agit de comprendre, de faire l’effort de rentrer dansla pensée de l’autre.
-A propos d’une question d’un élève, j’ai été appelée à évoquer " le cogito " et j’ai invité les élèves à le chercher dans la seconde Méditation (alors que je faisais erreur ; il est dans la deuxième partie du Discours de la Méthode ) ; les élèves les plus courageux : 1/3 de la classe de SMS2, ont lu les sixMéditations et n’ont pas été frustrés de ne pas trouver l’expression ; certains ayant le texte latin ont cherché " cogito ", en vain. Rectification fut faite – curiosité et persévérance.
-Beaucoup de débats et d’éclaircissements entre élèves directement sans passer par l’intermédiaire du professeur comme arbitre. A la fin des Méditations métaphysiques, lesélèves de SMS1 m’ont demandé de faire des débats systématiquement sur la notion étudiée, une heure le vendredi : j’ai accepté et depuis Noël, cette heure fonctionne très bien. En outre ils ont mis au point un mode de communication pour que la parole ne soit pas coupée, et pourtant donnée à tous-, et ils ont modifié l’espace.
-Satisfaction intellectuelle aussi, de voir lesélèves capables, à travers les éléments du texte, de dégager les traits de la personnalité de Descartes, et de découvrir derrière les phrases ardues un homme comme eux, qui aime la chaleur, qui est " paresseux ", qui aime son confort, qui trouve sa propre entreprise de penser difficile. Humour réaliste aussi lorsqu’il écrit que " son esprit est libre de tous soins " :c’est-à-dire " sans souci d’argent et sans femme dans son lit " (traduction d’un garçon).
-Demande de la part des SMS1 d’entreprendre une lecture rapide pour aller droit au but lorsqu’on cherche quelque chose dans un texte long : je leur ai appris par exercice, la lecture japonaise rapide qui consiste à se mettre à une bonne distance du texte de telle manière que les yeux ne bougent pas mais embrasse la page d’un coup d’oeil; et de descendre avec l’index, les lignes à toute vitesse, lorsque l’on cherche une notion précise. L’exercice a été fait sur la question : dans la Méditation 1, Descartes parle-t-il de la liberté ? Les termes : liberté-libre-libéré- délibérer-détruire … leur ont sauté au visage, mais aussi solitude, croire. "
– Satisfaction chez les élèves :
.Lecturecomplète de la Méditation 1. Certains élèves avaient déclaré forfait avant même d’ouvrir le livre, mais ils se sont pris au suspens créé pour l’occasion.
.Compréhension d’ordre intuitif des paragraphes 1 à 6 après une mise en scène ; avec livre ouvert ou fermé ou pas de livre, écoute de la lecture comme un conte : " Il y a déjà quelque temps …" voix de conteur, voix de confidence, voix par endroit énervée, triste, lasse ou enthousiaste.
.Etonnement de voir philosopher en robe de chambre ; j’ai demandé de sortir les livres, puis de ne plus les toucher, bouger, mais d’écouter : j’ai installé deux chaises, une pour m’asseoir, l’autre pour allonger mes jambes, j’ai enfilé une robe de chambre (rire discret, étonné), puis me suis mise à lire :silence complet comme les petits enfants lorsqu’on leur raconte une histoire. Je me suis arrêtée au milieu du paragraphe 6, c’est là que nous avons commencé à réagir autour de la personnalité de Descartes et par ricochet de sa biographie.
.Capacité de faire des liens entre les idées : ce travail a été laborieux, mais finalement faire des liens, retenir ce qui a déjà été énoncé est devenu une attitude normale pour comprendre le texte long.
.Capacité de pouvoir discuter une idée d’auteur, en évitant deux pièges : le principe d’autorité et le jugement hâtif : " c’est bête de se poser toutes ces questions ".
.Fierté de constater qu’ils avaient " vraiment philosophé " avec Descartes par deux attitudes : comprendre, critiquerc’est-à-dire aller plus loin dans la compréhension en se posant des questions, en posant des questions au texte, en allant vérifier plus loin ce que l’auteur écrit ;et formuler des objections de l’ordre " si je dis que ou si Descartes dit que .. alors… ".
.Etonnement de voir que des idées de Descartes sont tout-à-fait d’actualité : qu’en fait on lui doit la notion de conscience libre même faceà Dieu, qui apparaît aux élèves comme l’autorité absolue. A cette occasion, beaucoup d’élèves ont compris, au lieu de tout rejeter en bloc, ce qu’on leur avait appris au catéchisme par rapport au Dieu créateur et pourquoi il leur était possible de se méfier aujourd’hui de cette croyance ; que la notion de conscience libre est fondamentale dans toute démocratie et chez toutepersonnalité.
.Intérêt de réfléchir sur leur vie et leur vécu : que la philosophie englobe véritablement, sous la forme même des concepts abordés, l’expérience et le savoir. Ont été sujet de discussion l’école, les maîtres, Dieu, ses propres illusions et préjugés.
.Satisfaction d’avoir compris la video sur Descartes du " cogito " passéeaprès le travail sur la personnalité, l’époque et la biographie de Descartes ? La consigne était : " Repérer au fur et à mesure de la projection de 20′, les éléments de documentation ou de commentaire que l’on retrouve dans la première Méditation ".

D) Eléments de contextualisation facilitant la compréhension.
A l’expérience, ce qui semble avoir aidé lesélèves : " les textes les plus efficaces ont sans nul doute été ceux des Objections et réponses, les élèves m’ayant indiqué lors de l’évaluation que ce travail leur avait permis de mieux s’investir dans le texte et de mieux le comprendre. " " La mise en perspective des Méditations sur fond de la recherche scientifique de Descartes, en mal de certitude et d’approbation des autoritésde son temps, est parvenue à faire comprendre son entreprise ". " Les enjeux de sa conception de l’homme, par rapport à la psychanalyse par exemple. "
Deux éléments de " contextualisation ", qui n’étaient pas proposés ont été soulignés : du point de vue de la pragmatique, " la lecture à haute voix par le maître, lecture expressive, accentuée, carl’élève du technique, quand il lit en silence, ne lit pas avec la bouche mais avec les yeux et n’intègre pas grand’chose ; et quand il lit à voix haute, il prononce des syllabes et des mots mais en occulte le sens. " Et la nécessité du " lien avec la vie quotidienne, car je crois que si ce que l’on évoque n’a pas de sens pour eux par rapport à leur vie, ils ne pourront pas l’intégrer ". Ce quipermettrait de comprendre un texte, ce ne serait pas seulement son rapport à l’homme, l’ouvrage, l’œuvre, l’époque, l’histoire des idées …, mais aussi la " présentification " du texte en classe, sa mise en bouche et en corps d’une part, et le lien à l’univers de l’élève d’autre part, deux variables facilitatrices de la construction d’un sens.
La contextualisation pose le problème de larecontextualisation du texte, en vue d’ une utilisation des notions, idées, arguments, notamment dans des devoirs, ou à l’examen écrit ou oral. La réutilisation pertinente est un critère de compréhension, mais au-delà d’intériorisation, puisqu’il y a transfert.
On note de ce point de vue l’utilisation d’analyses cartésiennes dans des sujets de devoir : " Peut-on douter de tout ? " " Suffit-il d’être certain pour être dans le vrai ? " La reprise à bon escient par exemple d’arguments contre la connaissance sensible ou rationnelle. " Une chose est de ne pas faire de contresens sur un texte lorsque des questions sont posées, une autre de s’en être suffisamment approprié l’intérêt et les enjeux pour donner ensuite à sa réflexion une dimension cartésienne… Si lesélèves songent à réfléchir à telle notion ou tel problème en fonction de la problématique cartésienne, s’ils pensent à se demander comment Descartes aurait traité cette question, alors on peut estimer que l’œuvre ne leur est pas restée extérieure ". On peut penser aussi à la " fréquence de la référence à l’auteur dans la suite dutravail de l’année ". Cette question du transfert en philosophie pourrait donner lieu à une recherche spécifique.

E) Quid de l’oral.
L’implication dans l’oral semble à la fois un indicateur et un vecteur de compréhension du texte. " Toute participation orale, volontaire ou provoquée, me semble un des facteurs essentiels de l’entrée d’un élève dans la pensée de l’œuvre. Sans cesigne extérieur, je ne sais pas s’ils comprennent, intériorisent (sauf dans certains devoirs où des connaissances sont utilisées) ". " Généralement, quand un élève pose une question sur un aspect du texte, je constate dans un des cours suivants qu’il a retenu ce passage, qu’il utilisera plus facilement l’idée évoquée. "
Il y a parfois une préparation directe àl’épreuve de l’examen. " Une fois l’explication des Méditations achevée, j’ai proposé cinq passages, chacun choisissant de s’inscrire dans l’un, en préparant chez soi. Puis il y eu trois heures d’interrogation orale. En classe, j’ai installé un bureau sur l’estrade et demandé à un élève de venir expliquer tel passage comme si j’étais l’examinateur et lui le candidat. Le public étaitchargé d’être très attentif et de repérer si le passage avait été bien introduit, bien expliqué, son intérêt philosophique bien dégagé etc. Il y a eu un côté ludique qui a plu aux élèves, le professeur se faisant soudain cérémonieux, les vouvoyant … " " Je reprendrai comme habituellement en fin d’année la première Méditation,en exercice d’oral de bac, exercice individualisé mais public, qui permet à la fois révision pour tous et précision pour les moins futés ou les oublieux. "

F) Texte long et texte court.
Il était instructif de comparer les deux genres scolaires. Au chapitre des ressemblances : " L’effort méthodique pour cerner le sens philosophique d’un texte ". " L’attention à la question posée par l’auteur, à l’argumentation, aux concepts, aux difficultés que présente le texte, aux failles possibles de sa démonstration ". " Dans les deux cas, le texte doit prendre sens en lui-même, même si on peut l’articuler à des perspectives plus larges. Le texte doit être envisagé dans son unité ".
Mais " le texte court peut parfois plus donner l’exemple d’une étude méthodique, méticuleuse, approfondie ". Il " souffre cependant d’un artifice méthodologique qui fait mine d’ignorer l’auteur, sa problématique, ses référents ", et reste un exercice d’acrobatie scolaire ".
" En fait en bien des endroits, j’ai découpé les parties en textes courts. C’est une réduction du texte long pour faire l’analyse des idées. L’analyse ne peut se faire quepar petits morceaux, ce qui est proprement la règle deux de Descartes ". " J’ai proposé un travail de groupes autour d’un questionnaire amenant les élèves à aller chercher en plusieurs endroits du texte long des éléments de compréhension, ce qui est un moyen de remettre les parties ensemble dans un autre ordre que celui de Descartes ".
La quantité de texte semble permettre un saut qualitatif:
" Le texte long permet de rendre l’auteur plus vivant parce qu’on peut passer du temps sur la vie de l’auteur, son époque. Il peut permettre aux élèves de sentir un homme qui pense ". " Il peut faire entrer dans une véritable réflexion philosophique où l’on apprend à mieux penser au contact de ce qui pense devant nous (l’auteur), comme un randonneur apprend à mieux marcher en mettant ses pas dansles pas du guide ".
" Chaque passage étudié se situe dans une démarche plus globale, par laquelle un autre niveau de sens est donné. L’enrichissement apporté est considérable, car on entre dans la pensée comme mouvement. Un texte bref est statique, il fait le point sur un moment de réflexion. L’œuvre longue est dynamique, montre une recherche, la pensée s’y construit. Il y a plusd’indices de compréhension ".
" Le texte long peut lasser. Mais paradoxalement, il peut obliger certains élèves à entrer dans l’œuvre ". " Il faut évidemment que les élèves gardent à l’esprit l’ensemble de la démonstration. Ces allées et venues de la partie au tout sont difficiles, mais enrichissantes ". " Il ne faut donc pas craindre de séjourner dansl’œuvre avec les élèves ". " Il faut sacraliser l’œuvre, leur faire comprendre qu’un philosophe ne prend pas la plume pour ne rien dire … La difficulté linguistique peut sembler si rebutante, qu’il importe de faire saisir que l’enjeu de la réflexion est tel qu’il vaut le coup de s’affronter au texte, malgré les obstacles que sa lecture présente ".

G) Conclusion
Le texte long apparaîtainsi comme l’occasion -la seule peut-être- de se plonger vraiment dans la pensée en acte d’un grand philosophe : une réflexion en mouvement dont on peut suivre la dynamique. Il est ainsi un défi, face à la difficulté de sa lecture pour de nombreux élèves, et un pari, devant la lassitude qu’il peut engendrer.
Pour qu’il prenne sens, il faut savoir rapprocher les problèmes que se pose l’auteur de ceux que seposent les jeunes, débroussailler les incompréhensions lexicales et syntaxiques, initier l’approche conceptuelle et argumentative.
La " lecture méthodique philosophique " que nous avons développée a été mise au point pour des textes courts. Si ces principes peuvent être transférés lorsqu’on découpe l’œuvre en plusieurs courts fragments, elle ne saurait suffire à rendre comptede la dimension progressive du texte long. Il faut ici travailler, au-delà de la transition d’un passage à l’autre, le mouvement d’ensemble, dans ses péripéties intellectuelles. (Pensons à l’analogie avec les " périodes longues " de l’histoire selon Braudel).
Au-delà de l’analyse des pratiques professionnelles, et du discours tenu sur elles, qui porte sur la " didactisation praticienne "(J.L.Martinand), et dont nous avons essayé ici de rendre compte à partir de quelques exemples, il est souhaitable de construire une didactisation plus " critique et prospective " du texte long, qui saurait articuler la lecture méthodique du texte court à la dimension au long cours de l’œuvre. C’est là l’objet d’une autre recherche….

Michel Tozzi
Maître de Conférences
Université PaulValéry
Montpellier III

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