Le café philo de Narbonne
1996,
1997, 1998, 1999, 2000, …
REFLEXIONS
ET DEBATS
ALIGN=CENTER STYLE= »margin-bottom: 0cm »>SOMMAIRE
Introduction p.
3
Animer un
débat philosophique au café p. 4
(Article
paru dans les Cahiers Pédagogiques, n° 385, juillet
2000)
Comptes
rendus des séances p. 6
Questionnaire
destiné aux participants p. 50
Le café
philosophique : « Un défi pour la pensée »
p. 53
paru dans « L’oral argumentatif en philosophie »,
CRDP
de Montpellier, 1999)
Les enjeux
de l’animation d’uncafé-philo p. 58
(Intervention
au colloque international des cafés
Philosophique
de Castres 26/11/2000)
Un atelier
de philosophie àl’école primaire p. 63
(Article
paru dans Diotime-L’Agora, n°8, déc. 2000)
Articuler
des exigences intellectuelles sur un dispositif démocratique
p. 67
(Article
paru dansL’éveil de la pensée réflexive
chez l’enfant .
Discuter
philosophiquement à l’école primaire ?,
Cndp-Hachette, 2001)
Liste des
sujets abordés (avecrenvoi aux pages correspondantes) p. 74
Introduction
Dans
cette brochure, qui devrait intéresser en particulier les
animateurs et participants des café-philo, les professeurs de
philosophie et tous les apprentis philosophes (élèves,
étudiants, …) on trouvera :
Des
articles de fond sur les enjeux et l’animation d’un
café-philo, ainsi que le descriptif du fonctionnement de
celui de Narbonne.
Une
trentaine de comptes rendus des séances du café-philo
de Narbonne, ainsi que la liste des sujets abordés durant les
quatre premièresannées.
Deux
articles d’une classe primaire de CM1 qui s’inspire de
ce fonctionnement.
Ce
qui a guidé notre esprit pour écrire les comptes
rendus,c’est qu’une pensée collective pouvait
émerger d’un dispositif démocratique. La première
année, Alain effectuait la synthèse écrite et
orale, par la suite il ne s’occupera que de la synthèse
écrite : prise de notes pendant la séance avec
réécriture quelques jours plus tard. Brièvement,
le fil rouge de la réécriture des comptes rendus
est le suivant:
Seuls
les animateurs qui ont un rôle assigné dans le groupe
sont nommés (Michel comme animateur, Martine comme
synthétiseur, ou une personne désignée pour
présenter un thème).
Tous
les autres participants ne sont jamais nommés même
quand leurs énoncés apparaissent en style direct.
Les
comptes rendus ne suivent pas nécessairement le déroulement
linéaire de la séance. Ils tentent de reconstruire une
cohérence à partir de ce qui a été dit
partous les participants. Chaque interlocuteur intervient selon un
tour de parole : cela évite le désordre mais
produit souvent une apparence de désordre dans la succession
des énoncés. La discussion semble parfois confuse. Par
contre, on peut retrouver de la cohérence si on rassemble les
interventions en fonction des thèses défendues.
Ainsi,
ces comptes rendus essaient, au travers de la réécriture,
de retisser la cohérence de la discussion philosophique, en
effaçant les redondances et en reconstruisant la trame du
discours argumentatif à partir de la mosaïque des
différentes interventions.
réunissant ainsi dans la même brochure articles de fond
et comptes rendus des débats, nous avons voulu aborder à
la fois les problèmes liés à cette pratique
sociale nouvelle, et donner un aperçu sur le contenu des
questions abordées.
Alain
Delsol et Michel Tozzi
ANIMER
UN DEBAT PHILOSOPHIQUE AU CAFE
Michel
TOZZI – Maître de Conférencesà
l’Université Paul Valéry (Montpellier 3)
Le
café-philo de Narbonne, fondé le 31 septembre 1996,
regroupe en moyenne dans sa séance mensuelle (dix séances
par an), une cinquantaine de personnes(jusqu’à quatre
vingt-dix sur le thème : « Les femmes
sont-elles des hommes comme les autres ? »). Beaucoup
plus qu’une classe nombreuse de lycée .
Le
choix constitutif ayant été celui d’un échange
collectif, et non d’une conférence-débat, la
problématiqued’animation peut se résumer ainsi :
« comment discuter pendant environ une heure quarante cinq
à plus de cinquante, à la fois démocratiquement
et philosophiquement ? » Vingt personnes à peu
près (habitués et quelques nouveaux) y prennent la
parole, de une à trois fois : les 2/5 de l’assemblée,
c’est un nombre significatif rapporté à la loi
des grands groupes(Le nombre d’intervenants spontanés
diminue habituellement avec l’augmentation de leur taille …).
LE
DISPOSITIF
-
La coanimation est le choixdémocratique d’une
responsabilité collective à partager par des fonctions
distinctes.
-L’introducteur
de la problématique(différent à chaque
fois), pose en cinq minutes au début, les termes du
débat, et ne réintervient que plus tard ou pas du tout,
pour éviter toutefocalisation sur sa personne.
-
Le répartiteur de parole (Marie-jo, Martine V. ou
Nicole) gère la forme de la communication et régule
les processus socio-affectifs interpersonnels et groupaux .
-
Lereformulateur (Michel) à court terme (après
une ou trois interventions) construit du sens et de la
progression dans le débat collectif, en faisant le lien entre
les interventions et le sujet (pour éviter les dérives,
recentrer), et entre le contenu des différentes interventions
(pointage des questions, éléments de définition,
thèses qui émergent, arguments contradictoires, niveaux
ou registres de ladiscussion …) ; les reformulations ne sont
jamais évaluatives, mais à fonction explicitante, et
souvent à la fin questionnantes.
-Le
synthétiseur à moyen terme (Martine L.B) renvoie
au groupe, après une pause de dix minutes suivant une heure de
débat, et à la fin des deux heures à chaud,un
concentré structuré et valorisant des échanges,
permettant d’engranger les acquis et de rebondir.
-Le
synthétiseur à froid (Alain)
restructure plus en profondeur un résumé distribué
à la séance suivante.
Les sujets sont proposés par les participants, choisis
par les animateurs, et chaque fois annoncés pour le mois qui
suit (possibilité d’y réfléchir avant).
Type de sujets abordés : « La tolérance,
jusqu’où ? », « Qu’est
ce que l’autre pourmoi ? », « Peut-on
tirer des leçons de son expérience personnelle ? »,
« L’individualisme : épanouissement
personnel ou piège social ?»…
-
La parole est régie par des règles
démocratiques : la demander en levant la main. Nela
prendre que lorsqu’on y est autorisé – mais pas trop
longtemps (sinon il y a une petite clochette). Priorité
absolue à ceux qui ne sont pas encore intervenus (droit perdu
aussitôt qu’utilisé). Avec pour corollaire :
se taire et écouter quand on n’a pas la parole. Ne pas
couper quelqu’un qui parle ou manifester une réaction à
son discours.
-
Cet ordre rigide d’inscription peut ponctuellement être
rompu pour une ou deux réactions spontanées brèves.
La norme est l’appellation par le prénom (qui n’implique
pas forcément le tutoiement), proximité qui neutralise
la « raison sociale » de chacun et égalise
le poids des paroles.
-
La pensée
est règie par des règles philosophiques : tenter
d’argumenter ce que l’on avance ou objecte, pour savoir
si ce que l’on est dit est vrai – Essayer de définir les
notions, pour préciser ce dont on parle – Questionner la
question, pour bien comprendre le problème. Brefpenser ce que
l’on dit, sans se contenter de dire ce que l’on pense…
UN
LIEU CITOYEN
Par
l’instauration d’un espace communicationnel garanti par
desrègles de fonctionnement démocratique, des points
de vue différents peuvent se confronter de façon
pluraliste et respectueuse. Le café philosophique contribue
ainsi à (re-)tisser du lien social, à créer un
lieu citoyen qui favorise les conditions d’une interaction
pacifiée par la médiation d’une parole régulée,
qui (re-)donne le goût de l’échange.
sa vocation philosophique, il institue un groupe en « communauté
de recherche » (Lipman) : des individus forment le
projet d’approfondir collectivement un problème
difficile à résoudre, chacun donnant à sa parole
un statut d’hypothèse à interroger pour vérifier
sapertinence.
Le
« plus philosophique », par rapport à
l’idéal démocratique, est que la vérité
de la pensée, contrairement à la légitimité
d’une décision, n’est pas de l’ordre du
nombre ou du vote, mais de la qualité du« meilleur
argument » (Habermas), par lequel l’obéïssance
à la raison apparaît comme une liberté, et non
comme une soumission à quelqu’un qui nous aurait
(con-)vaincu.
La
pratique philosophique de la problématisation, de la
conceptualisation et de l’argumentation àvisée
universalisante, affine de ce fait la qualité du débat
démocratique, par la double exigence de la rigueur
intellectuelle et de l’« éthique
communicationnelle » (respecter et écouter l’autre,
chercher à comprendre sa part de vérité, avoir
besoin de ses propositions et objections pour asseoir sa propre
pensée). Utile garde-fou contre les deux tentations
démagogiques de toutedémocratie : le simple
échange des opinions sans recherche d’un fondement
rationnel et partageable(doxologie), et l’art de vaincre autrui
par la parole sans souci de la vérité
Cette
utopie démocratique et philosophique peut avoir bien des râtés
dans sa réalisation : expression depréjugés
sans recul critique, conflits socio-affectifs, dérive
narcissique (trouver un lieu pour se dire), terrorisme intellectuel
(exclusion par un langage ésotérique ou une culture
supposée à tort partagée)…
Tout
dépend de la compétence de l’animation pour gérer
un débatphilosophique dans un grand groupe :
énonciation, respect par les participants et rappel de
certaines règles comme conditions de possibilité d’une
telle discussion.
DES
RETOMBEES EN CLASSE ?
s’agit en fait d’inventer une nouvelle pratique
sociale de référence du débat philosophique
collectif. Car on ne connaît historiquement que la maïeutique
socratique à deux ou trois, des entretiens philosophiques, la
disputatio au Moyen-Age où se succèdent de longs
monologues contradictoires, quelques tables rondes de colloques
philosophiques à peu departicipants faiblement interactifs,
ou des dialogues écrits … Quid par contre d’interactions
verbo-conceptuelles rapprochées entre un grand nombre de
personnes.
Une
telle tentative pourrait à terme modifier la pratique de la
discussion philosophique en classe de terminale, comme en témoignent
déjà certains professeurs dephilosophie animateurs de
café-philo. De quoi nourrir la didactisation de l’oral
philosophique en situation scolaire.
Discuter
philosophiquement dans un café
30/09/96
(Café philo n° 1, compte rendu fait par Alain)
Lundi
30 septembre l’expérience d’un café philo
prenait forme à Narbonne. Environ 60 personnes allaient
prendre part à une discussion de deux heures. L’animateur,
Michel, introduit la discussion philosophique sous la formed’un
pari, “Quel est l’intérêt de discuter
philosophiquement dans un café tout en évitant les
propos, «café du commerce» ?”.
Quelques
règles avant de commencer
intervenant est invité à se présenter par son
prénom, à effectuer un commentaire (question, réponse,
demande d’éclaircissement de quelque chose qui vient
d’être dit…) de façon brève et
claire. Les participants n’étant pas a priori,
philosophes, Michel recommande “d’accepter toute forme de
langage, sans moquerie. Ce quiimporte c’est ce qui est dit et
non la manière dont cela est dit”. Michel lance la
première partie du débat qui va durer 45’. C’est
une discussion organisée, i.e. les prises de paroles se
succèdent selon l’ordre de la demande faite par les
participants. À gauche de l’animateur, Marie-Jo se
charge de noter les personnes qui demandent la parole. La priorité
est accordée à toute personne quis’exprime pour
la première fois.
Première
partie
Réflexion,
échange et vécu : la
réflexion a besoin du concours de l’autre : discuter
philosophiquement c’est : confronter mon opinion avec celle
d’autrui.
Attitude
d’esprit : nouvelle piste abordée, la discussion
philosophique implique de savoir écouter et tolérer des
opinions différentes des siennes. C’est unedisposition
à la recherche personnelle.
Contradiction
: un participant se fait l’avocat du diable “Quel est
l’intérêt de discuter si cela n’a aucun
aboutissement pratique, aucune influence”. Si parler ne se
traduit pas dans le faire, alors philosopher ne sert à rien.
Des réponses immédiatementfusent : le plaisir suffit à
justifier le fait de parler ; le discours politique a besoin de la
réflexion ; la réflexion éclaire l’action.
À ce moment de la discussion plusieurs personnes demandent à
l’animateur une définition de ce qu’est la
discussion philosophique. Celui-ci renvoie par un geste la réponse
à l’assistance.
Vérité
: la vérité de l’individu est-elle différente
de la vérité universelle ? Selon une intervenante la
vérité n’existe pas, elle n’est qu’une
parenthèse à l’intérieur de la vie, c’est
un humanisme qui vise un comportement moral afin d’éviter
le mal.
Raisonner,
argumenter : une nouvelle personne oppose l’opinion (ce qui
est dépourvu de valeur en soi) et, le propos philosophique qui
démontre et argumente les idées que l’on avance.
De plus, si l’opinion tend à convaincre ou nier l’autre,
le dialogue philosophique s’intéresse à savoir
pourquoi l’autre n’est pas d’accord avec ceque
l’on dit.
En
conclusion de cette première partie il y a eu 30
interventions émanant de 18 personnes différentes. La
question de départ comme on vient de le voir est d’emblée
abordée et s’articule autour de plusieurs points :
-
une réflexion du sujet à partir de ce qu’il vit,
-
une tournure d’esprit qui s’interroge sur soi mais aussi
en dialogue avec autrui,
-
un questionnement qui prendà partie la notion de Vérité,
-
une opposition à l’opinion, alors que l’idée
implique un discours construit et argumenté.
À
l’issue de cette première partie on peut tirertrois
conclusions. Tous ont respecté les règles fixées
au départ. Ensuite, la contradiction joue un rôle moteur
dans la discussion. Enfin, le débat se situe bien dans le
prolongement de la question de départ. Cependant, il semble
que certains termes mériteraient d’être explicités
: vérité, humanisme, opinion, raisonnement…
partie
L’animateur
relance la discussion à partir de ce qui vient d’être
dit dans la première partie, il définit la discussion
philosophique comme : une interrogation commune entre plusieurs
personnes au travers du dialogue, qui a pour objet deréflexion
“l’homme” et, pour réponses plusieurs points
de vue. L’animateur renvoie la balle dans le camp des
participants “Le terme de vérité a été
plusieurs fois évoqué, mais de quelle vérité
parlons-nous? Vérité universelle, vérité
individuelle ?”
Expérience
et vérité : un première intervention dégage
qu’au-delà des aspirations particulières du
sujet, celui-ci tendrait à soumettre son esprit à des
problèmes essentiels (vie, mort…). Selon un participant
“il y a une tension entre l’universel et soi”. Une
discussion s’enchaîne exposant différents points
de vue : la véritéuniverselle tendrait vers les
grandes questions tandis que la vérité liée à
l’expérience relèverait de ce qui est
scientifique, “la philosophie a pour domaine les valeurs, la
science a pour domaine la validation des faits. La science c’est
la raison plus l’expérience. La philosophie c’est
uniquement la raison”. En contradiction à ce qui vient
d’être exposé, une intervenanterappelle que la
physique moderne (la mécanique quantique), contredit ce qui
vient d’être énoncé. La physique moderne ne
dispose d’aucune certitude scientifique, actuellement, pour
vérifier un fait, “on ne peut pas prédire la
trajectoire d’un électron”. Un intervenant fait
dévier la trajectoire de la discussion vers les finalités
du discours, il propose de réfléchir au statut dela
vérité et de tenter de lui donner une définition.
Relativisme
et Universalité : l’animateur s’appuie sur ce
qui vient d’être dit et propose de réfléchir
sur le paradoxe suivant, “comment peut-on concilier dans une
discussion philosophique la réflexion qui tend vers
l’universelet la conservation de sa propre pensée ?”.
Pour certains des participants cette réflexion suppose que
l’accès aux vérités universelles passe
d’abord par la connaissance et l’histoire de la
philosophie. Nouvelle contradiction ; pour tel participant, derrière
tout discours abstrait il y a du sujet. Pour tel autre, la
philosophie ne peut pas être réduite à des
connaissances spécifiques. Pour telautre, philosopher est
synonyme de résister intellectuellement. D’autres
participants interviennent et rejettent l’élitisme du
savoir ; un soupçon est jeté sur le culturel et les
aspects historicistes de la connaissance… Pour d’autres
participants, d’un côté il y a : l’inaccessible,
l’universel, le culturel, c’est-à-dire une
distanciation par rapport à sa propre pensée et,d’un
autre côté, une attitude personnelle à
s’interroger sur les grandes questions de la vie. Une
intervenante rappelle que la pensée philosophique est
médiatisée par l’argumentation, la déduction
et le plaisir, a contrario une pensée telle que
le Zen déconstruit l’art d’argumenter (le logos),
la pensée Zen est conçue comme immédiate et
appréhendablepar l’intuition. Une autre personne résume
cette opposition ainsi :“la pensée orientale implique le
sujet dans un réel concret donc sans distanciation ; la
pensée occidentale implique le sujet dans un réel
abstrait donc avec distanciation”. L’animateur évite
que nous nous enfoncions dans une confrontation entre mode de penser
oriental/occidental. “Qu’est-ce qui différencie la
pensée individuelleavec un mode de penser ?”. Pour une
intervenante il convient de différencier deux termes : culture
philosophique et système philosophique. Le premier terme
renvoie à une tournure d’esprit, afin de questionner ce
que l’on vit. Par contre, un système philosophique
repose sur des idées et un mode de penser établi, il
existe plusieurs systèmes de penser. Cette réponse
déroute certains participants quis’étonnent du
manque de fiabilité des outils mis en oeuvre par les systèmes
philosophiques.
Michel
conclura cette première conversation en montrant que la
discussion philosophique c’est aussi accepter de se remettre en
cause, de douter, d’échanger ses points de vue avec les
autres et d’aboutirà des interrogations, des mises en
question. Le rendez-vous prochain est fixé. Avant de se
quitter, Michel demande aux participants des propositions de thèmes
: amour et altruisme, le doute philosophique par rapport à la
conviction et l’action, de la réflexion à la
pratique ou comment changer la vie, la passion et l’amour,
penser sa vie ou vivre sa pensée, philosophie occidentale et
“philosophie”orientale…
En
conclusion de cette seconde partie la “discussion
philosophique” fut définie comme étant un
discours argumenté et explicatif relevant soit du domaine de
l’histoire des idées, soit du cheminement de sapropre
pensée. Par ailleurs, la philosophie se penche sur le mode de
vie car elle met en question les problèmes qui se posent aux
hommes. La discussion est aussi plaisir de la parole qu’on
destine à soi ou aux autres. Mais, peut-être la
discussion philosophique est moins universelle que nous le pensons,
peut-être que ses frontières (la Grèce antique)
sont limitées dans l’espace et le temps. Peut-être
que laphilosophie est mortelle puisque que liée à
l’homme, mais ce soir-là, dans le petit espace du
Bounty, celle-ci n’y fut jamais mortelle ni ennuyeuse.
Pourquoi
se compliquer la vie quand celle-ci est si courte ?
21/10/96
(Café philo n° 2, compte rendu fait par Alain)
Un
peu plus desoixante-dix personnes ont devisé autour de la
question suivante : «Pourquoi
se compliquer la vie quand celle-ci est si courte ?
». L’animateur, Michel, rappelle que passer d’une
opinion assénée sur cette question, à une
réflexion philosophique ne va pas de soi. En fait, le sujet
est plus difficilequ’il n’y paraît.
Première
partie
Quelques
repères : tout d’abord la vie est-elle courte ? Par
rapport à quoi ? Et puis secompliquer la vie n’est-ce
pas réfléchir. Vie et réflexion sont mises en
relation : on se complique la vie parce qu’on réfléchit.
Sens
de la vie : est-ce le fait de s’interroger sur un sens
hypothétique qu’on donnerait à la vie qui la
complique et nous embarrasse l’existence ? Àcet instant
une participante infléchit la discussion : d’un côté,
il y aurait le sens commun où réfléchir
correspondrait à se compliquer la vie inutilement, d’un
autre côté, il y aurait la réflexion
philosophique renvoyant à un questionnement compliqué
car sa nature est de poser des problèmes et par là
même, complexifie ce qu’est la vie.
et pulsions : on se compliquerait donc la vie parce qu’on
s’impose des buts, des choix ? Est-ce nous qui fabriquons une
représentation compliquée du monde ? Est-ce le milieu
où l’on vit qui est compliqué et qui nous impose
de réfléchir ? De ces deux tendances, certains pensent
que prendre conscience que lavie est interrompue par la mort
entraîne le sujet à se fixer des buts ; pour d’autres,
la vie est compliquée parce qu’elle subit des
déterminismes, des contradictions contre lesquels on tente de
s’affranchir. Dans ces deux cas les finalités qu’on
s’impose ou qui s’imposent à nous entraînent
du complexe. Selon un participant le stratagème de “la
vie est courte” reviendrait à prendreune distance
salutaire afin de relativiser nos actions. Bref, la vie nous
paraîtrait courte car nous sommes désemparés par
rapport à la mort. Selon une autre intervenante l’être
humain est par nature compliqué, il l’est telle une
succession de plis d’où découleront des états
pulsionnels en fonction des situations de vie de chacun.
Pas
de consensus au pays du café-philo : face à l’idée
de “la vie est compliquée” soit parce qu’on
réfléchit au sens de la vie, soit parce que des
pulsions nous y engagent, une participante s’oppose à
cette dichotomie. Pour elle, tout être est par essence
compliqué et confronté à la même
complexité. La discussion interroge denouveau ce qu’on
peut mettre sous le terme “compliqué”, certains
pensent que les représentations liées à la
complexité différent selon les individus, Il y aurait
des stratégies différentes pour esquiver notre relation
avec l’idée inconcevable de ce qu’est la mort.
relevé parmi les propositions les stratégies suivantes
:
-
l’évitement, c’est-à-dire on pense à
des faux problèmes pour éviter de réfléchir
à ce qui nous titille. C’est l’attitude de celui
qui prend au sérieux ce qui est futile (ledivertissement, la
météo, le quinté plus…).
-
la dérision, c’est-à-dire l’emploi
d’une certaine forme de discours logique (ou sophiste) afin
d’évacuer tout questionnement car on soupçonne de
retomber dans l’incontournable idée de dieu (le mot dieu
faire sourire comme sion avait peur d’y croire…).
-
la mauvaise conscience quart-mondiste : i.e. on dénonce
ceux qui pensent parce qu’ils ont la panse remplie, alors que
les vrais problèmes seraient ailleurs (la misère dans
le tiers-monde, les sans-papiers, le condamné à mort…).
-
l’inconcevable, i.e. je recycle l’idée de
mort comme aiguillon pour vivre plus intensément le présent
(l’ombre de la mort éclairant la vie).
-
l’action: i.e. j’affirme mon existence en tentant
de changer le mondedans lequel je vis (militantisme politique,
syndical, humanitaire…).
-
le renversement de la question, i.e. au lieu de s’interroger
sur le “pourquoi”, certains proposent de chercher plutôt
des réponses dans le “comment”. Ainsi, en mettant
le présent en perspective on peut tenter d’éviter
de“ se compliquer la vie” et de la fuir (solution
personnelle, se transformer soi-même, new-âge…).
le
retour à la question philosophique : qu’est-ce que
la vie ? une suite d’événements, quelque chose de
flou qui a besoin d’être opposé à autre
chose pour exister ? une saleexistence qui se termine tragiquement ?
ou bien une “anima anemos” autrement dit
un souffle, un esprit ayant pour intention d’organiser
philosophiquement (dans un système de discours) une image
globale de l’idée de vie, c’est-à-dire un
concept.
partie
Le
sens de la vie a-t-il du sens ? : une participante plaide pour le
plaisir et la jouissance comme réponse à un besoin ou
à une pulsion face à cette autre chose qu’est, le
désir. Une personne rétorque immédiatement que
contre la pulsion s’oppose lasublimation. Nouvelle dichotomie
entre le conscient, le rationnel et les autres déterminismes
de la “boîte noire” de l’inconscient.
L’animateur, Michel, souligne que nous avons différents
concepts de l’homme et de ses choix; sommes-nous libres de nos
choix ?
Pour
une participante l’homme est biologiquementadapté pour
penser de façon complexe. À cela une personne rappelle
que cette proposition renvoie à un postulat existentiel, pour
elle il n’y a pas de vrai problème il n’y aurait
que des écrans comme par exemple l’amour, ou les
fantasmes que l’on peut projeter dans le futur. La sagesse
serait une façon d’élaguer les écrans. Une
autre tournure fait suite, certaines personnes s’impliquenten
affirmant leur croyance, leur valeur ou leur témoignage.
L’animateur, Michel, intervient en rappelant qu’il
convient d’éviter de juger la personne qui affirme sa
croyance. Il invite à porter plutôt une critique sur
l’argumentation du discours, en questionnant, en demandant des
explicitations et en tentant de dégager ce qui tient de
l’opinion.
discussion se termine avec des questions en suspens, et rendez-vous
est pris pour le mois prochain avec pour thème « Peut-on
concilier la nécessité du doute philosophique avec la
conviction d’un engagement ? ». (engagement dans le sens
politique, affectif, existentiel…).
En
guise de conclusion Dans la première partie du débat,
deux pistes m’ont semblé s’opposer :
-
Face à une vie dont les jours sont comptés on fait des
choix et de ce fait on complique la vie. La prise de conscience de
notre nature mortelle sesubdivise à son tour en deux
perspectives. Pour certains il convient de réfléchir
philosophiquement, hiérarchiser les questions les “pourquoi”
on s’interrogerait sur ce qui en vaut la peine. Pour d’autres,
distinguer le relatif de l’essentiel devrait nous guider à
chercher notre voie dans le présent. Ainsi, nous nous
intéresserions au “comment” gérer sa vie le
plusauthentiquement.
-
Face à notre condition de mortel, ce n’est pas
réellement la conscience qui peut nous aider. L’être
est traversé par des états pulsionnels, l’homme
est un être pensant compliqué. La sagesse relèverait
de savoir se délester des réflexions complexes liées
àd’inutiles recherches de problèmes lesquels
encombrent le présent puisque ces complexifications ont pour
source des états pulsionnels, c’est-à-dire de
vrais/faux questionnements. Ici, chaque individu doit faire son
chemin et abandonner l’illusion que le vrai existe.
Dans
la seconde partie du débat il m’asemblé que l’on
est passé d’une opposition “vie compliquée”
à une interrogation plus linguistique. En s’interrogeant
sur la notion “se compliquer la vie” les intervenants se
sont impliqués davantage. D’un côté,
certains ont insisté sur le “sens” à donner
à la vie, évoquant témoignage personnel,
convictions, valeurs, adaptation biologique,nécessité
du sens pour s’opposer à ce qui est injuste, ressourcer
le sens dans le présent disjoint du passé et futur…
D’un autre côté, quelques voix ont martelé
l’absence du “sens” dans la vie, certains l’ont
formulée de façon amusante, poétique ou bien
liée à la vacuité de la pensée face au
chaos. Pour conclure, il m’a semblé quenous aurions pu
prolonger de façon linguistique comment la pensée peut
penser lorsque les trois catégories du langage,
passé-présent-futur, sont réduites à
deux, l’accompli et le présent. Toutes les langues n’ont
pas les mêmes clivages que la nôtre. Ne conviendrait-il
pas parfois de se rappeler que le média (la langue) qui
véhicule nos idées peut aussi à notreinsu
déterminer la façon dont nous pouvons penser ?
Comment
concilier la nécessité du doute philosophique avec la
conviction liée àl’engagement ?
02/12/96
(Café philo n° 3, compte rendu fait par Alain)
Une
soixantaine de personnes se sont attelées à laquestion
suivante : «Peut-on
concilier la nécessité du doute philosophique avec
l’engagement (militant, politique…) ?».
Michel, rappelle que la conviction implique que nous disposions de
repères afin de comprendre et d’agir sur une situation
donnée, maisà leur tour nos idées sont soumises
au doute philosophique sans quoi on tombe dans le dogmatisme.
Problématique
: deux concepts, doute et certitude. Comment concilier
le paradoxe suivant, est-il possible de concilier ces deux concepts
nécessaires à l’engagement, ce dernier implique
que le sujet aitdes certitudes.
Première
partie
Dichotomie.
Le doute est posé de façon contradictoire.
L’individu aurait au minimum deux facettes, lapremière
liée à la sphère du privé la seconde à
celle du social. Cette considération impliquerait un aspect
normatif du doute quand il s’agit du cadre social et une autre
forme particulière quand il s’agit de la sphère
privée. Cette première approche est dépassée
par une nouvelle intervention. Le doute est défini soit
par rapport aux finalités soit par rapport auxmoyens mis en
oeuvre dans l’action.
=>
désaccord : pour certains participants il y aurait, consensus
sur les finalités et différend sur les moyens ; pour
d’autres, il y aurait d’abord un différend sur les
finalités “Ce n’est pas vrai que tous les
engagements qui réclament vouloir le Bien soientréellement
sincères !” des actions et du doute. Mais à
ce point de la discussion l’articulation semble toujours
opposer les deux termes : doute et action. Introduction
du concept de Bien qui selon les uns est posé comme un
principe unique alors que pour d’autres c’est une notion
fragmentée en raison de la multiplicité des opinions.
La multiplicité du doute et de l’action estliée
aux complexités des situations et le sens s’en trouve
relativisé. Le premier point de vue, plus académique a
pour intérêt de poser le problème de manière
philosophique : on part du concept. Le second point de vue qui part
de l’opinion est intéressant car il met en interaction
les deux concepts de la problématique : doute et
action.
Le
doute et l’Autre. Selon un nouvel interlocuteur la notion
du Bien a une origine, un aspect historique à partir duquel
sont fondées les valeurs. D’un côté le
doute apparaitrait dans la sphère de l’ordre
public ce qui n’empêche pas que ce même sujet soit
en contradiction dans la sphère du privé. Autrementdit
un pseudo-doute, puisque l’individu pourrait agir de façon
différente selon qu’il est à la maison ou dans un
groupe social. Une nouvelle intervenante souligne donc la nécessité
du doute vis à vis de soi et vis à vis de
l’Autre “Il y a un doute tourné vers soi par
peur de se confronter aux autres et un doute systématique de
l’autre car on se méfie des autres.”Dans ces
deux cas le doute reste un évitement de l’action
avec l’Autre, donc de n’importe quel engagement. En fait,
la nécessité du doute devrait découler de
la Liberté car lorsque le sujet est engagé dans
l’action il utilise le doute pour ne pas sombrer dans le
dogmatisme. Ici, le doute est posé de façon
dialectique, entre action et conviction (convictionen-soi,
conviction avec l’autre). Sans ce pont on évacue le
sujet avec le risque évident qui en découle, le
totalitarisme au nom des “idées”.
Le
doute et la théorie. Un des participants affirme que pour
lui “Il n’existe pas de doute sur les valeurs. Le
problème doit se poser non dans lathéorie mais dans la
pratique”. Une interlocutrice intervient, pour elle “le
Bien, l’Amour, l’Absolu…sont des instances1
non concrètes mais idéologiques. Façon dont une
société serêve. La théorie est une
sublimation”. Plus un type de société est
frustré plus il produirait de l’idéal. Ce qui
fait dire à une autre personne qu’une conviction non
dialectique (i.e. qui ne met pas l’Autre en perspective)
produit du dogmatisme, de l’exclusion de l’Autre et par
voie de conséquence un processus d’exclusion.
=>
La discussion de cette première partie dégage peu à
peu les deux concepts de la problématique d’une vision
symétrique. La valeur de ces deux concepts tend à être
nuancée et mise en interrelation. Pour la plupart des
participants, l’influence trop forte d’un concept sur
l’autre ne peut qu’être néfaste pour
l’individu. Eneffet, privilégier un seul choix, par
exemple le doute pour mettre entre parenthèses l’action
n’a aucun sens car on ne réfléchit pas pour
réfléchir mais pour finaliser une action. De même
agir sans le moindre cadre critique y compris vis à vis de ses
propres actions c’est courir vers la voie du dogmatisme. Ainsi,
dès la fin de cette première partie la discussion tend
àdépasser le paradoxe posé dans la
problématique : peut-on concilier à la fois le doute et
nos certitudes. Une partie de la réponse donnée serait
que les deux concepts ne s’opposent pas mais sont en
interaction.
Deuxième
partie
et expérience. Un participant énonce que “les
Idées ne sont pas faites pour être pensées mais
pour être vécues”. Pour une autre personne il
convient d’agir puis de faire le point, l’expérience
permet au sujet de prendre conscience et d’être sincère
car “le faire aun impact sur le psychisme”. La
question est, d’une part, de savoir si le “faire”
laisse la place au doute et, d’autre part, si l’expérience
individuelle s’oppose à l’expérience
collective ou historique. Ce qui fait rebondir la discussion vers un
aspect moral : l’expérience est-elle dangereuse ?
L’individu ne peut-il faire l’économie de
certaines expériences? L’individuet le rapport à
l’histoire ? …
Bref,
nouvelle fracture dans le groupe des intervenants. Pour les uns il
est clair que l’efficacité est au coeur de l’action
et qu’elle atteint son apogée si l’individu est en
sincérité à la fois avec lui même et avec
les autres. Pour les autres, il y a des apriori suffisants qui
rendent caduques l’expérientiel “à quoi
bon vérifier que le travail à la chaîne est
abrutissant ?”.2
Il
se dégagerait unpoint de vue où le sujet est engagé
d’harmoniser ses convictions et ses actes avec authenticité
et avec l’Autre en perspective. Le doute étant en
quelque sorte une machine à réajuster sans cesse ce
processus afin d’aller vers du toujours plus complexe. Selon un
autre point de vue, il apparaîtrait un certain pessimisme quand
l’expérience se réduit à la seule sphère
du sujet, une forme dehiérarchisation donnerait le primat à
ceux qui renvoie au social.
Comment
concilier les certitudes qui fondent nos actions ? Peut-être,
est-ce en distinguant le contenant (valeurs modelées dans les
déterminismes culturels et sociétaux) et le contenu
(réflexion, doute propre au sujet). La discussion
philosophique de cettesoirée a écarté le danger
de l’idéologie, cependant jusqu’où
pouvions-nous remettre en cause nos propres certitudes? Cela a
semblé difficile à définir. Pour le militant il
existe un noyau de valeurs incompressibles. Pour une jeune
interlocutrice ayant besoin de “se construire” sa
personnalité, il est évident que l’ouverture au
monde c’est l’expérience. Pour tel autre lemanque
de modèle reste ressenti comme une carence.
Au-delà
de penser que tout peut être faux et par là même
nous anéantirions notre propre existence dans le chaos, le je
pense donc je suis apparaît comme une première
certitude qui donne à la nécessité du doute
philosophique toute saportée. La dimension de cette démarche
méthodique du doute cartésien consiste à opposer
au scepticisme ou au nihilisme le roc inébranlable d’au
moins une certitude, celle du cogito.
L’amour
est-il une illusion ?
04/01/97
(Café philo n° 4 , compte rendu fait par Alain)
Environ
quatre-vingts personnes se sont donné rendez-vous pour
répondre à la question suivante : «L’amour
est-il une illusion ?».
Michel définit les deux termes dans l’acception – Amour
comme une relation amoureuse entre deux personnes etl’illusion
comme une erreur fondée sur l’apparence, cf. une
erreur de perception.
Problématique
: Comment concilier le paradoxe suivant, d’une part, l’amour
en tant que relation d’ouverture à l’autre qui
serait par essence, oblatif(désintéressé),et
d’autre part, l’illusion qui frapperait d’une
certaine folie la personne amoureuse.
Première
partie
Illusion
et réalité. Ladiscussion est entamée par
une prise de position concernant la définition de l’illusion.
On utilise des mots qui symbolisent et réduisent un type de
sentiment, ceci renvoie à une définition donnée
par la société. Pour cette personne le fait d’aimer,
“d’être là” implique le rejet de
l’illusion. Le terme illusion n’est pas
argumenté maisposé en termes de jeux de mots,
d’allusion. Une participante voit deux directions à
l’illusion : croire qu’on est amoureux et
s’illusionner de l’être. Dans le premier cas, le
sujet aurait une vision erronée alors que dans le second il
s’agirait proprement dit d’une illusion. À
propos de la relation “d’être là, présent
dans le réel”, une nouvelleparticipante indique que
l’illusion peut à son tour fabriquer le réel
dans lequel on vit.
Amour
et définition. Un nouvel intervenant établit les
frontières de l’amour selon un dispositif à
4 dimensions : intellectuel, spirituel, physiologique et physique. À
cela, un jeune participantrefuse la notion de donner des limites à
l’amour, sa réponse est de l’ordre du
spontané. Un nouveau participant relativise le principe d’une
définition stricte de l’amour : chaque individu
éprouverait des sentiments différents, cette
multiplicité rendrait impossible le fait qu’on puisse
s’entendre sur une définition. Une nouvelle participante
contourne la problématique dedépart. Pour elle,
l’amour est soit passion et donc destructeur de l’autre,
soit il est projection avec la conséquence de l’illusion
car on aime l’autre pour soi. De ce fait, si l’amour
est un rapport entre deux personnes il convient d’éviter
de demander à l’autre ce qu’on veut qu’il
soit, c’est-à-dire transformer l’autre en objet de
ses désirs. Leproblème est posé ainsi : comment
éviter l’illusion dans la relation amoureuse.
Amour
et durée. Une nouvelle intervenante s’interroge
s’il ne convient pas de se connaître soi-même avant
d’aimer quelqu’un. Cela évite des illusions et
permet de rendre durable la relation avecl’autre. Cependant,
elle demande si il est possible d’aimer sans relation en
retour. Pour confondre l’illusion une personne propose
de s’en remettre à la durée comme preuve que
l’amour qu’on vit n’est pas une illusion.
Une nouvelle personne rétorque à cette proposition que
la notion de durée n’est pas consubstantielle à
l’amour, elle oppose la notiond’intensité.
Pour un autre, c’est l’idée d’éternité
qui est illusoire, il propose de s’interroger sur une
définition concernant l’état amoureux. Pour lui,
vouloir l’éternité ou la fusion correspondrait à
des illusions.
Amour
et passion. Une autre personnepoursuit la discussion en
distinguant le rapport amour/illusion sous deux formes. D’un
côté, celui qui aime en respectant l’autre ce qui
implique une construction donc l’amour, d’un autre
côté, celui qui désire et voit l’autre
comme un objet ce qui implique une destruction de l’autre donc
une passion. Une nouvelle personne évoque l’amour
sous la forme d’un don de soi àl’autre et qui
n’est peut être qu’une intention de s’oublier
soi-même. Un participant propose d’envisager la question
sous une autre problématique : il convient de ne pas réduire
l’amour à la seule relation entre deux êtres.
Amour
et équation. Pour un participantl’amour est
déterminé par la culture d’une époque, il
suffit d’en faire une description historique. Ce à quoi
un participant répond qu’il s’agit là d’une
définition relative aux représentations et non à
l’essence de l’amour. Un nouveau participant
reprend l’idée d’une dialectique amour/contexte,
ce contexte seraitdéterminé par des sentiments
aliénés aux désirs, eux-mêmes conditionnés
par la famille qui est déterminée par le contexte
social.
Pour
clore cette première partie un jeune candide clame que les
désirs qu’il éprouve ne correspondent pas à
des illusions.
Deuxième
partie
Amour
et illusion. Michel rappelle qu’Éros est né
du dieu Poras représentation de la ruse, de l’expédient
et de la divinitéPenia représentation de la pauvreté,
de la pénurie. Éros sous la forme d’un enfant est
donc à la fois rusé et démuni. Par ailleurs,
Michel note que Freud a distingué l’erreur : perception
erronée qui peut être dissipée, de l’illusion
qui ne se dissipe pas. Une intervenante expose qu’il est
impossible de juger si les sentiments sont illusoires car on ne peut
être à lafois à l’intérieur d’une
situation et à l’extérieur de celle-ci. Il faut
qu’il y ait rupture, il faut sortir de l’amour
pour voir s’il s’agissait d’une illusion.
Pour un autre intervenant, l’autre peut être un obstacle
à son amour, il peut y avoir également des
rivaux ce qui entraîne une exacerbation du désir de
s’approprier l’objet dudésir, ce qui entretient
l’illusion. L’idée d’amour renverrait
à un désir invisible et caché. Une nouvelle
intervenante dit “je peux savoir ce qu’est l’amour
mais je ne sais pas ce qu’est l’illusion”;
il y aurait une différence entre l’unité du
présent et de la présence avec autre chose appelée
illusion hors de lasphère de ce que je peux connaître.
Les derniers intervenants évoqueront la relation de l’amour
liée à l’angoisse ; la nécessité de
l’expérience vécue : la chimère de la
notion de durée…
Certains
évoqueront leur gêne à propos du sujet dece
soir.
En
conclusion, parler d’amour est apparemment très
difficile car il faut parler vrai, et ce que l’on peut dire
risque d’être insupportable pour soi et pour l’autre.
C’est peut-être pourquoi on parla plus aisémentde
l’illusion.. Cette question apparaît dans Phèdre.
Socrate rencontre Phèdre à midi, pour eux ce n’est
pas l’heure de dormir “comme font la plupart des gens,
qui en raison de leur paresse d’esprit, se laissent vaincre par
la chaleur à la manière des troupeaux se reposant à
midi à l’entour d’une source”. Phèdre
vient de quitter le sophiste Lysias, lequel soutientla thèse
suivante : à l’homme qui aime il faut préférer
l’amant sans amour, car le premier est mis hors de lui tandis
que le second est raisonnable et reste maître de lui. Socrate
s’oppose à cette thèse. Pour Platon, la foule a
raison de mettre les amants et les philosophes du même côté
et de les accuser de folie. “Quand, à la vue de la
beauté d’ici-bas, on se ressouvient de labeauté
vraie, l’âme prend des ailes, elle est impatiente de
s’envoler mais elle ne peut le faire. Alors, portant son regard
vers le haut à la manière d’un oiseau, elle
néglige les choses d’ici-bas. Dans ce cas, on a tout ce
qu’il faut pour être accusé de folie”. Pour
les amis de l’opinion (la foule), le regard n’est pas
tourné vers l’Idée mais vers “les choses
qui selaissent prendre à pleines mains”. Ainsi, ce que
l’opinion appelle le réel c’est le solide, une
chose à prendre, à posséder. Seule, l’Idée
est capable de se souvenir, d’apercevoir ici-bas quelque chose
qui ressemble aux réalités de là-bas avant que
l’âme ne chût dans un corps. L’âme
excitée par le souvenir de la Beauté est hors
d’elle-même etne se possède plus. De ce fait, la
nature de ce qui est éprouvé échappe à
l’analyse, la Beauté est stupeur. Ne plus s’appartenir,
c’est bien cela la folie amoureuse, mais cette dépossession
de soi est aussi une possession divine (enthousiasma). C’est
par ce long détour exposé dans le Phèdre
que Platon nous conduit à considérer l’excellence
de la folieamoureuse, c’est-à-dire l’enthousiasme
correspondant à l’état le plus élevé
auquel peut prétendre s’élever l’âme.
Cet acte, le plus pur de l’intellect, consiste non pas à
se saisir d’une Idée mais à être saisie par
elle. Platon propose comme étymologie d’erôs
un sens rapproché d’himéros qui insiste
sur lerôle de la vue dans la naissance de l’amour “Erôs
coule en l’âme du dehors et ce courant, au lieu
d’appartenir en propre à celui qui l’éprouve,
il s’introduit de l’extérieur par les yeux,
c’est pour cela qu’il était anciennement appelé
esros de esrhein (couler dans)”. Platon utilise
la métaphore du plumage et del’âme tombée
dans un corps, elle s’échauffe sous l’ardeur de
l’amour qui se ressouvient de l’idée du Beau.
L’âme comme l’enfant qui fait ses dents, irrite,
démange et agace. Près de l’objet aimé,
l’âme se repose de sa souffrance et par la vue elle jouit
de sa présence. Ainsi, l’âme ayant recouvré
ses ailes, n’a que mépris pour ce que leshommes
estiment dans ce monde.
Dans
le sens de la philosophie grecque, l’amour est une
illusion pour l’opinion (la foule), mais une folie
nécessaire pour l’amoureux et le philosophe car elle
renvoie à l’idée de Beauté.
A-t-on
besoin d’une morale ?
10/02/97
(Café philo n° 5, compte rendu fait par Alain)
Pour
des raisons de transport, MichelTozzi ne pouvait arriver à
l’heure convenue. En son absence je commençai le débat
et on a pu constater l’excellente autonomie du groupe. Je
rappelai la question initiale “A-t-on besoin d’une
morale ?”. De façon générale cette
question renvoie à la philosophie qui s’intéresse
aux notions du bien, du juste, du courage… Ce que les Grecs
désignaient par le termed’éthique. Notre thème
de réflexion pour la soirée revient à discourir
du rapport entre l’action humaine et le jugement qu’on
peut en faire. Dans quelles conditions peut-on dire que telle ou
telle action est bonne ou mauvaise ? Il s’agit donc d’une
philosophie pratique, tournée vers des buts. Cette philosophie
n’est pas exacte mais relève du domaine de l’expérience
et reste sousl’influence d’autres connaissances :
traditions culturelles, religieuses, recherches individuelles…
Pouvons-nous énoncer quelques principes qui nécessitent
le besoin d’une morale, d’autre part, “a-t-on
besoin d’une morale ?”.
Société
et Individu. Un intervenant lance le débat, la morale
impliquerait la notion de mœurs donc du bien et du mal,
lesquelles seraient influencées par des lois. Ce à quoi
répond un nouvel intervenant, la société est
faite d’une somme d’individus, ces lois sont à
mettre en rapport avec l’éthique de chaque individu.
Une nouvelle personne fait unparallèle entre le Droit et
la morale. Il y a un aspect normatif où l’éthique
individuelle est amalgamée dans des codes et des règles
imposées, le Droit n’est pas forcément moral. Un
autre intervenant s’interroge sur la pertinence du terme
“besoin”, Quelle signification peut-on attribuer à
cette notion ?
Société
et Morale. Pour un nouvel intervenant, si l’on pose la
question en terme de “besoin” on ne se situe plus dans le
champ de la philosophie. Dans ce cas, nos réponses
relèveraient soit, de la psychologie, soit de la sociologie.
Il rappelle qu’un auteur comme Marx plaçait la morale
dans la sphère de la superstructure, i.e. sous le déterminisme
des moyens de productionsd’une société,
autrement dit l’infrastructure. Cet intervenant propose que
l’on s’interroge non en terme de “besoin d’une
morale”, mais en terme de savoir “s’il faut une
morale” ; ce qui impliquerait une nécessité qui
transcende l’individu dans sa quête du bien. Une nouvelle
personne demande alors s’il faut réinventer une morale ?
Cette question est rejetée par un autreintervenant, car pour
lui la question ne se pose pas ; par ailleurs la question initiale
lui semble mal formulée. Il affirme qu’il y a toujours
une morale qui relève du bonheur. Le fait qu’il n’y
ait pas de criminel heureux montre que la conséquence liée
au mal laisse son auteur englué dans ses actes, i.e. dans son
malheur. La discussion rebondit dans la sphère de l’individu.
Individu
et Morale .Pour une nouvelle personne la notion du bien et du mal
relèverait d’un comportement moral qui aurait pour
source l’individu. Un autre intervenant oppose la morale à
la conscience. La morale est de l’ordre des règles, des
normes qui édictent ce qui est bien et mal dans les actes d’un
individu par rapport à cequ’énonce la société.
Par contre, la morale à l’échelle de l’individu
impliquerait un travail personnel, un développement de la
conscience. Il n’y aurait pas que des grands crimes, il y
aurait tous les petits crimes anodins, ceux que chacun effectue
quotidiennement sans s’en rendre compte. À moins d’être
un saint, qui fait l’examen quotidien de sa conscience pour
savoir si ses actes ontprovoqué le bien ou le mal chez autrui
? Différents intervenants s’interrogent de savoir si la
morale implique uniquement une éthique circonscrite à
l’échelle de l’individu.
À
ce moment de la discussion, une nuance est apportée entre la
morale qui relève de l’individu et celle qui prendpour
principe la norme à une échelle plus large. Cependant,
l’hypothèse d’une dialectique entre morale et
société suscite l’idée qu’il
pourrait y avoir plusieurs morales dans une société et
que celles-ci pourraient évoluer selon les époques,
selon les lieux, selon les milieux. La question relative à
notre problématique est évidente, est-ce que le concept
de“morale” peut se disloquer en une multitude de
définitions où chaque explication renverrait aux
centres d’intérêts relatifs à tel ou tel
groupe. Si cela était le cas, il s’agirait de problèmes
de sociétés, d’identité d’appartenance,
de représentations psychosociales, alors dans ce cas nous
évacuerions la recherche d’une production d’un
concept relatif àl’idée de “morale”
et nous sortirions du champ de la philosophie.
Morale
et paradigme d’Universel. Un intervenant oppose deux types
de conception relatifs à la morale. L’une serait de
l’ordre du contingent, nécessaire et utilitariste,
répondant au besoin du bon fonctionnement de lasociété.
Ceci renverrait à des règles, des codes “Vérités
au-delà des Pyrénées, erreurs en-deçà”.
Un autre type de morale serait plus fondamental, il s’agirait
d’une éthique qui impliquerait une transcendance des
valeurs, une nécessité de juger nos actions. C’est
ce qui différencierait le déterminisme instinctif de
l’animal d’une autrefaculté propre à
l’être humain. Quelles que soient les formes contingentes
du bien et du mal, dans toutes sociétés et à
toute époque l’être civilisé a éprouvé
la nécessité de porter un jugement sur ses actes. Comme
le rappel cet intervenant, il y a une portée universelle dans
la morale. Une autre personne appuie l’idée qu’il
y aurait un comportement individuelnimbé d’universalité
et, en parallèle à l’échelle sociale, une
morale reposant sur des lois, des normes. Pour un nouvel intervenant,
avoir conscience de nos actes, en mesurer leurs conséquences
nous dispenserait d’avoir recours à la morale. Par
contre, la morale définie en termes de normes interviendrait
comme un frein, un interdit à nos comportements.
Michel
discerne dans la discussion le chevauchement entre deux conceptions.
La première relèverait d’une perspective
sociologique où la morale est définie comme une somme
de règles, le problème est alors pour l’individu
de savoir comment il se situe dans son groupe d’appartenance,
quelle est son adéquation avec les règlesformulées
et vécues dans le cadre d’une micro-société.
Dans ce cas, il s’agit d’une vision relativiste : autant
de groupes autant de morales. La seconde conception appréhenderait
l’idée d’un quelque chose qui transcende à
la fois : intérêts particuliers et intérêts
des groupes. Ceci rappellerait le Presque rien de Jankélévitch,
i.e. un sentiment de quelque chose àla fois non évident
et indémontrable mais dont dépend la totalité
spirituelle. Un Presque rien qui n’existe pas et qui est
pourtant la chose la plus importante “(…) pourquoi c’est
justement le mal qui est tentant, le plaisir nuisible qui nous
attire, le devant être qui nous répugne !”. C’est
également ce que Platon écrit dans le Banquet en
parlant d’un “quelque chosed’autre” dont les
âmes des amants sont éprises, et qu’elles ne
peuvent exprimer, juste deviner, suggérer.
Morale
individuelle et morale collective. Une série
d’interventions dans cette dernière partie de la
discussion vont mettre en rapport la distinction entre l’individu
et le collectif. Ceux quiaxent le fondement de la morale dans la
sphère de l’individu, voient dans la différence
entre le bien et le mal l’épanouissement de la vie, le
respect de soi et de l’autre, une propension à la
liberté et à la conscience. Ceux qui axent plutôt
un fondement dans la sphère du collectif voient une nécessité
de réguler les conflits entre personnes, un frein raisonnable
entre le principe de plaisir(individu) et le principe de réalité.
A l’optique pessimiste de voir dans l’homme un loup pour
l’homme, s’opposerait un vision optimiste appréhendant
le fondement de la morale comme un espoir d’humanité.
Pour
conclure, la morale concourt audéveloppement de la vie il
faut cependant tenir compte des aspects psychologiques des individus.
On peut être d’accord avec l’idée kantienne
que chaque individu porte en lui une part d’universel, mais les
a priori de Kant sont dépendants des capacités
psychologiques des hommes, ce que n’avait pas traité ce
philosophe. La philosophie morale est donc à mettre en rapport
avec la philosophie de l’esprithumain. Pour d’autres
participants l’évocation de la psychologie freudienne
(principe de plaisir/principe de réalité) montre une
autre nécessité, celle du rapport entre la philosophie
morale et la psychologie. Quant à l’opposition entre
morale individuelle et morale collective, il convient de rappeler ce
qu’énonce l’actuelle pensée systémique.
Il est incorrect de penser qu’unsociété se
réduit à la somme des individus qui la composent, et
d’en tirer la conclusion qu’il faille additionner les
effets des morales individuelles pour reconstruire l’écheveau
collectif. Comme l’écrit Bertalanffy “Le tout
est plus que la somme des parties”. De même qu’un
être ne se résume pas à la somme des cellules qui
composent son corps, cequi donne vie c’est l’organisation
d’une multitude de structures chimiques qui fonctionnent selon
un projet. Ainsi, comme nous le présentions au début de
la discussion, la philosophie morale s’interroge sur une
philosophie de la pratique qui est dirigée vers des buts.
Cette philosophie comme nous l’avons vu n’est pas exacte
et emprunte à d’autres domaines ses moyens pour fonder
sa critique. Dans la discussion de cettesoirée une note m’a
semblé faire défaut c’est la relation entre la
morale et la religion. Peut-être que certains débatteurs
habituels étaient absents ce soir là ?
Penser
sa vie, vivre sa pensée
24/03/97
(Café philo n° 6, compte rendu fait par Alain)
Michel
Tozzirappelle le fil rouge que nous tentons de suivre dans le cadre
du café-philo. La méthode qu’il propose pour la
discussion est celle du dialogue. Pour cela, Marie-Jo Bigou
enregistre les tours de paroles et, il est demandé à
chacun des participants d’exposer ses idées et d’écouter
celles des autres. Ainsi, un climat propice au dialogue devient
possible et laisse place non à la polémique(débat
d’opinions) mais à l’échange dialectique
(débat d’idées). Michel engage la discussion. Le
thème de la soirée : “Penser sa vie, vivre sa
pensée”, quelles idées pouvons-nous tirer de
ces deux expressions inverses ? Il conviendrait de définir ces
deux expressions, de les mettre en relation, afin d’en extraire
du sens.
Penser
& Vivre. Cette première partie de la discussion
interroge la relation entre “penser” et “vivre”.
Pour une intervenante, cela nécessite l’introspection.
Le sujet se place dans son histoire, il réfléchit sur
sa vie et effectue une projection dans l’avenir, i.e.il
construit mentalement une représentation qui va donner du sens
à sa vie. Une nouvelle personne indique que cela implique que
le sujet devienne spectateur de sa propre vie. Un nouvel intervenant
note l’aspect antinomique, entre le fait de “penser sa
vie” et de “vivre”. Penser sa vie serait doublement
en retard, d’une part, à cause de la rupture entre le
fait de penser une représentation de sa vie, et d’autre
part, larecherche du sens par rapport à nos projets implique
de surmonter les résistances liées aux représentations
que nous avons déjà construites.
Le problème de la capacité de penser pour penser.
Est-ce que le
fait de vivre sans penser est réservé aumonde animal
et le fait de penser sa vie une problématique propre au genre
humain ? Selon un intervenant “penser sa vie” implique
une méta-réflexion si l’on veut modifier sa
pensée. Mais avoir un jugement sur soi n’est pas
suffisant, la prise de conscience n’entraîne pas
forcément une modification. Par exemple, celui qui agit en
faisant le mal dans sa vie peut très bien en avoir conscience
sans pour autantmodifier sa façon d’agir. De plus,
selon cet intervenant les conditions d’aliénation des
masses font que les masses ne pensent pas au sort de leur existence.
Ceci tendrait à nier le fait que vivre sans penser n’est
pas du seul ressort du monde animal. Le débat s’anime,
il est vraisemblable ici que les paroles de cet intervenant aient été
mal comprises ou mal exprimées. Deux idées vont
émerger. Lapremière s’énoncerait ainsi :
toute action consciente implique un engagement de la conscience avec
l’idée de ne pas accompagner sa vie par la pensée
mais de construire un sens à partir de sa propre expérience.
La seconde idée évoquerait la pensée comme un
état particulier de la conscience, qui serait détaché
du fonctionnement trivial du mental (i.e. le va-et-vient incessant
plus ou moinsconscient auquel se livre le cerveau pour régler
des problèmes fonctionnels et psychiques).
Vers
un changement de la problématique. Pour
une nouvelle intervenante chaque être a la capacité de
penser mais cela entraîne de la souffrance, notamment si ce que
l’on pensenous met en contradiction, avec ce que l’on
vit. Cependant en dernier lieu, cette capacité donne à
chacun le pouvoir de transformer ou de se transformer. On disposerait
donc de stratégies face à des situations absurdes ou
impossibles. Mais la question reste entière, comme le rappelle
Michel, qu’est-ce qui donne du sens pour construire sa vie ? Un
nouvel intervenant pose la question de savoir s’il est possible
de s’auto-analyser ?Un autre intervenant pense que la
définition donnée à “Penser sa vie”
est trop intellectualisée. L’ordre de notre raisonnement
reste impuissant face au désordre de la vie, à cause de
cet incessant décalage (Penser et vivre). Pour élargir
le champ du contact de la pensée dans le rapport soi/soi, cet
intervenant oppose la qualité de la présence en
induisant le rapport soi/l’autre. Dans cecas, le décalage
souligné précédemment ne paraît plus
forcément aussi nécessaire. Comme le dit une nouvelle
intervenante, le problème semble plutôt être
appréhendé sous la forme de la seconde expression
“vivre sa pensée”, dans ce cas l’ouverture à
“l’autre” paraît nécessaire. Michel
indique que cette interrogation et l’irruption de“l’autre”
déplace la problématique dans la direction du regard
porté de soi vers soi au regard porté de soi vers
l’autre.
Vivre
sa pensée. Ce
changement de problématique ne va pas sans résistance.
Pour une intervenante la capacité depenser requiert pour tout
être humain la distinction entre la conscience d’un acte
accompagnée de ce qui a été fait et la pensée
sur ce qu’on a vécu. Cette mise en rapport impliquerait
la part de l’illusion de la réalité et la
question de savoir ce qu’est une perception exacte ? Une
nouvelle intervenante s’interroge sur le problème à
résoudre ; est-ce le“je” ou un“grand autre”
qui pense ? Pour un autre intervenant, la proposition “penser
sa vie” lui semble mauvaise car elle induit plusieurs sens. Ne
pas penser : n’impliquerait pas un manque mais un problème
de volonté, il y aurait une opposition entre “penser”
et les déterminismes liés, soit au sujet, soit au
système. L’idée de construire du sens renverrait
donc à la mise en rapport entre lepassé et l’avenir,
mais la complexité s’impose avec “l’autre”
qui est déjà là quand le “je” pense.
Par ailleurs, d’autres participants évoquent la relation
entre la liberté et la volonté d’agir du sujet.
Dans la discussion qui suit plusieurs participants introduisent des
aspects relatifs à : l’histoire (le cas allemand,
opposition entre ce qui a été faitet qui est connu et
ce qui a été pensé au même moment et resté
inconnu), les relations psychiques entre je/l’autre, enfin
d’autres opposeront la capacité du humble à
trouver dans son métier du sens là où celui qui
évolue dans des fonctions plus nobles ne sera pas capable d’en
créer une once.
Penser
et réfléchir. Michel
propose que l’on se penche sur la cohérence entre les
deux propositions ; “Vivre sa pensée et Penser sa vie”.
Selon une intervenante, cela renverrait à des valeurs : se
connaître et avoir des sentiments positifs. Pour tel autre, il
s’agirait d’établir une adéquation entre ce
que l’on fait avecce que l’on veut. Selon une autre
personne, cela impliquerait la confrontation d’un être
social avec d’autres êtres sociaux. De ceci, deux dangers
seraient à éviter : une conviction englobant l’autre
(totalitarisme) et le repli sur soi. Ainsi, la relation à
l’autre nécessite le doute qui permet de remettre la
pensée en route. Cette personne évoque l’incomplétude
de son être et ledésir de trouver chez l’autre,
la présence, le désir permettant de combler une partie
de ses brèches. Un nouvel intervenant notera que la pensée
n’est pas que philosophique, il y a aussi le désir et
l’existence. De plus, la pensée n’est pas toujours
en retard, elle est aussi une projection anticipant ce que l’on
désire vivre. L’articulation entre “penser sa vie”
et “vivre sapensée” aurait donc une forme de
réflexivité. Un nouvel intervenant opposera la pensée
du philosophe à la réflexion du scientifique qui
renvoie aux techniques (au computationnel et non au concept de
l’être). Selon cette personne, l’adjectif possessif
“sa” introduit une restriction de la pensée. Pour
lui, il serait intéressant de se questionner à propos
de la bêtise au risque de raterle sens de l’être
et de l’existence. Citant Lévinas, il rappelle que
l’homme n’est pas le gardien de l’être mais
celui de “l’étant” qui est tourné
vers la subjectivité de l’autre. La conséquence
de cette relation implique un mouvement vers le “bien”,
une dimension non totalitaire qui ne peut ni incorporer l’autre
à l’intérieur de sa pensée, nile nier
comme étant hors de sa pensée. Cette expérience
du ressenti devant le regard de l’autre conduit à une
exigence éthique qui s’oppose à la conception
impersonnelle, globalisante et totalitaire de la philosophie
hégélienne.
Michel
rappelle que nous sommes loin d’avoir épuiséle
sujet, mais que le plus important lorsqu’on fait de la
philosophie c’est de terminer une discussion avec plus de
questions qu’il y en avait au départ. La discussion
prend fin et les conversations reprennent de façon informelle
autour du bar. Le prochain rendez-vous est fixé pour débattre
de l’idée de la mort.
Pour
conclure ce compte-rendu qui n’est jamais totalement
exhaustif je m’intéresserai aux derniers propos
introduits par Jean-Louis : pensée chez le philosophe et
réflexion chez le scientifique. Il me semble que le philosophe
n’atteint jamais la connaissance car il ne dispose pas
d’instruments pour vérifier ce qu’il avance, au
mieux sa pensée peutle conduite vers la “sagesse”.
Mais plusieurs sagesses peuvent cohabiter sans réellement
entraîner de contradiction. Par contre, le terme de pensée
scientifique n’admet qu’une vérité non
contradictoire, au sens strict. Cette vérité comme l’a
énoncé Popper doit être falsifiable (i.e.
contenir ses limites, et son propre dépassement). On peut
comprendre de ce fait, le rôle desprocédures et des
calculs inférentiels, les seuls capables d’apporter des
réponses acceptables pour résoudre un problème
énoncé. En revanche, aucune recherche ne peut
s’élaborer sans un questionnement épistémologique
: influence de philosophe tel que Bachelard. On peut donc souligner
avec Jean-Louis qu’il existe une coupure entre le monde de la
science et celui d’une partie de la philosophie(la
métaphysique et l’existentialisme par exemple). Mais
pour traduire l’union entre les deux démarches
philosophiques et scientifiques on se référera à
Descartes. Lequel écrivait qu’il n’est pas utile
de consacrer plus d’un jour par mois à la réflexion,
les autres jours étant consacrés “au calcul et à
la dissection”. Ce pourrait être une explication dela
périodicité des rencontres du café-philo.
L’idée
de la mort est-elle instructive ?
07/04/97
(Café philo n° 7, compte rendu fait par Alain)
Michel
Tozzi rappelle le sujet “L’idée de la mort
est-elle instructive ?”. Chaque question de discussionfait
suite aux sujets proposés par les participants, lors du
premier café-philo. La discussion de ce soir est engagée
par l’animateur. Il demande si l’idée de la mort
est un problème humain qui donne du sens à la vie ?
Premières
interrogations. Quatre
pistes apparaissent dès l’introduction : elles
resurgiront tout au long de la discussion. La Mort comme
questionnement psychologique, spirituel, comme problème moral
et culturel (mise à mort de “l’autre”), une
relation au temps.
Métaphysiques
: spirituelle et humaniste. Une
première opposition entre deux idées nourrit la
discussion. Pour certains, la Mort constitue le “passage à
autre chose” : spéculation spirituelle vers un au-delà,
Pour d’autres, face au non-sens de la Mort, l’idée
entrevue serait une sorte de chaîne constituée par les
maillons de chaque génération : métaphysique
humaniste.
Un
participant rejette ces deux propositions, sa stratégie est
d’éviter de penser l’une et l’autre. Un
nouvel intervenant trouve également l’idée de la
Mort inacceptable et s’oppose au deux propositions : la
première à cause de l’irrationnel, la seconde
parce qu’il s’agirait d’une tentative pour
rationaliserquelque chose qui ne l’est pas.
Une
nouvelle piste est abordée par de nouveaux participants. La
relation entre Suicide et Vie conduirait à un jeu de séduction
entre le sujet et la Mort, “frôler la mort est
jubilatoire”. Ce nouveau jeu de masque entre la vie et la mort
ravive une polémique. Une participantes’oppose
catégoriquement à ce point de vue, telle autre mettra
en relation “suicide et liberté”. On aurait pu
clôturer cette partie de la discussion par ce qu’en
disait Claudel “Le suicide est un manque de savoir-vivre”.
Michel
reformule les différentes questions et oppositions. Face à
uneidée de la Mort scandaleuse, une approche séductrice
de la Mort semblerait souligner qu’il existe une liaison entre
Mort et Vie. De la Mort interprétée comme une rupture
biologique s’oppose la Mort interprétée comme un
rapport rupture/continuité.
Mort
et culture, la discussion va maintenants’organiser autour
d’une autre piste de travail. Une nouvelle intervenante note
que dans les sociétés primitives la peur de la Mort est
apparemment moins effrayante que dans nos sociétés. Une
nouvelle intervenante rappelle que dans la tradition juive ce n’est
pas la Mort qui est vue comme “une passage” mais c’est
la vie. Pour une autre personne l’idée obsessionnelle de
la Mort oblige chaque individu à serepositionner par rapport
au temps qu’il lui reste à vivre. La question revient à
tenter de comprendre, comment une telle idée si étrangère
à notre corps peut concevoir une telle échéance
? Cette relation au temps est rappelée par un nouvel
intervenant. Le tombeau fonde les cultures, athées ou
religieuses. Qu’il s’agisse des pyramides des pharaons ou
des mausolées de l’ex-URSS, il semblebien qu’il
existe un lien étroit entre le tombeau (symbole de la Mort) et
l’aspect culturel : i.e. le tombeau comme lieu qui interrompt
cette rupture du temps. Cet intervenant fait remarquer que la
religion chrétienne a pour caractéristique, un tombeau
vide.
L’idée
de laMort empêche donc toute impasse. Qu’il y ait une
approche métaphysique, une tentative de séduction (en
frôlant la mort), qu’il s’agisse de construire des
cultures autour du tombeau, l’idée de la Mort paraît
donc incontournable et inévitable.
Représentation
de l’idée de la Mort.Nouvelle
question : peut-on se représenter quelque choses de non
expérimenté ? Ce qui revient à se demander si
l’idée est une expérience ; c’est confondre
un concept avec une perception, une sensation éprouvée.
Pour un nouvel intervenant, le premier acte culturel c’est le
respect du mort quel qu’en soit la filiation métaphysique
: spirituelle ouhumaniste. Cependant, c’est sur cet aspect que
l’athéisme éprouve ses plus grandes limites. Un
nouveau rapport est rappelé, la relation du vivant et du mort.
Pourquoi les vivants veillent-ils leurs morts ? Idée de
l’existence d’une âme impliquant la séduction
et le rite que l’on fait au mort et de ce fait à la
Mort. Un nouvel intervenant indique qu’il s’agit
d’inscrire la Mort dans un cadrejuridique, c’est une
opposition à la barbarie. C’est la mémoire, la
trace, qui est ainsi conservée dans le rituel. Ainsi, la
sépulture devient le rapport à “l’autre”,
à dieu. Cet intervenant, note que ce n’est pas un effet
du hasard si la barbarie s’est opposée au peuple de la
trace. La barbarie nazie en cristallisant sa haine contre “l’autre”
a extériorisé unedimension métaphysique
La
Mort et phénomène de société. Un
nouvel aspect va être soulevé par de nouveaux
intervenants. Il concerne la relation entre la mort et la déchéance
et la souffrance. Il s’agit d’évocations, à
la foisplus concrètes et plus psychologiques. La mort y est
abordée comme absence de projet, comme commotion affective…
La question de l’aspect “instructif” semble dans ce
cas être très abstrait. Un intervenant clôturera
la discussion en montrant l’aspect décadent de la mort
lorsque celle-ci devient intégrée à un processus
gestionnaire, comme c’est le cas aux USA. Cette approche tourne
le dosà l’altérité absolue que propose
Levinas. Ce philosophe a proposé une idée de la mort
comme miroir, un devenir “tout autre” c’est-à-dire
une éthique, une approche qui s’oppose à Épicure
qui concevait la mort comme privation des sensations. Pour Levinas,
la mort est instructive dans le sens où elle devient un savoir
symbolique de la limite du temps.
Pour
conclure, je proposerai cette gravure de Albrecht Dürer Le
Chevalier, la Mort et le Diable (1513).
arrière plan figure la Jérusalem céleste,
l’iconographie symbolise la vie d’un chrétien
engagé dans le monde pratique. On voit le Chevalier croiser
l’image du Temps (le sablier) et de la Mort. Il n’ignore
pas ses ennemis, en quelque sorte il les dépasse, sachant que
ce qui doit arriver surviendra àl’heure dite, mais ce
qui importe à l’homme digne de ce nom, c’est de
mener le combat pour la vie, quelle qu’en soit l’issue.
Le regard de ce front impénétrable semble indiquer que
ce qui compte, c’est de mettre un nom sur ce qui l’anime
et d’avoir conscience de l’homme qu’il veut être.
Faut-il
réinventer la démocratie ?
20/06/97
(Café philo n°9, compte rendu fait parAlain)
Michel
Tozzi rappelle les règles de fonctionnement : les tours de
parole sont répertoriés par Marie-Josée Bigou
et Alain Delsol enregistre par écrit ce qui se dit afin de
restituer la présente “synthèse”. La
discussion de ce soirne résulte pas de l’actualité
mais d’une proposition faite en septembre “Faut-il
réinventer la démocratie ?”. Michel
communique quelques informations à propos d’un colloque
entre animateurs de café philo. En cette période
électorale l’enjeu de notre débat est d’éviter
que le propos dérive en tribune d’opinion, de façon
sereine ilconvient de poursuivre le difficile chemin : tenter de
philosopher. Ceci implique que la discussion se nourrisse de points
de vue contradictoires, d’explications argumentées,
d’éviter les a priori… Un climat serein
est donc nécessaire pour que la parole s’envole.
: définition Un premier intervenant évoque les
trois valeurs fondant notre démocratie :
Liberté-Égalité-Fraternité. Selon
cette personne, la question relève du rapport entre la théorie
et la pratique. Comment ces trois valeurs peuvent-elles avancer
ensemble et, existe-t-il des différences entre elles? Pour une
nouvelle personne, le hiatus découle d’unedéviation
relative à la représentativité. Les
préoccupations de l’homme politique censé
représenter des électeurs diffèrent des
préoccupations du citoyen. Une autre personne évoque un
changement de “paradigme”. Selon elle, s’interroger
sur le fonctionnement de la démocratie implique de
comprendre – comment le peuple se gouverne-t-il ? Ladémocratie
représentative renverrait à un rituel remis en cause
actuellement. En effet, selon cette personne le niveau d’étude
a changé, les individus sont davantage instruits et ne peuvent
se contenter d’être simplement représentés.
Ceci impliquerait qu’il faille réinventer la démocratie
: la loi des majorités plus le respect des minorités,
une implication…. Uneautre intervenante oppose à la
compétence du technicien la décision politique qui
repose sur des valeurs. Dans ce cas, n’importe quel citoyen
devient habilité à décider tandis que le critère
de compétence est en quelque sorte une façon de
confisquer la décision au profit d’un petit nombre
d’experts. Pour un nouvel intervenant, la démocratie
nécessite du temps parce que laréflexion a besoin à
la fois de comprendre et de mesurer les effets qu’entraînerait
telle ou telle décision. Or, la “modernité”
raccourcit le temps nécessaire à la décision.
Ainsi, les premières interventions semblent décrire
deux dysfonctionnements : la représentativité du
pouvoir, et l’accélération des prises de
décision.
Démocratie
: mode d’emploi Un nouvel intervenant retourne la question
“la démocratie est-elle viable ?”. L’argument
est le suivant : l’idée de démocratie
n’est-elle pas une utopie, peut-on parler d’un rapport
équitable entreégalité et liberté
? Est-ce une contradiction ou une tentation ? Une nouvelle personne
pense que la démocratie n’est possible que dans
une petite structure comme Athènes. Cet intervenant rappelle
que même à Athènes, seule une minorité
était considérée comme citoyenne. De fait, le
principe de démocratie se heurte à des problèmes
dedifférences individuelles : de même que le Nouveau
Testament est fondé sur un postulat utopique (l’amour),
la démocratie serait fondée sur le postulat de
l’égalité naturelle. Une nouvelle
personne propose un argument inverse : c’est parce qu’il
y a des inégalités naturelles qu’il faut une
égalité de droit. Une autre personne note le
repli des sujetsdans la sphère confinée de
l’individualisme qui implique une impossibilité au
dépassement de soi. De ce fait, la notion de liberté
est confisquée au détriment des revendications
catégorielles : la notion de liberté
impliquerait donc un dépassement du sujet. Pour une autre
intervenante la démocratie suivrait une évolution
historique : au 18ème siècle droitfondamental, au
19ème liberté économique, au 20ème
changement du besoin de liberté entraînant la notion de
contre-pouvoir.
Ainsi,
à ce moment de la discussion deux tendances se dessinent. La
première semble être plutôt de nature pessimiste :
il n’y a pas d’égaliténaturelle
donc rejet dans la sphère de l’utopie de l’idée
d’égalité. La seconde tendance plutôt
optimiste s’appuie sur le même constat pour justifier
l’existence d’un principe d’égalité
dans la société. Comme l’écrivait
Tocqueville, plus les égalités diminuent et plus le
sentiment de la sensibilité àl’inégalité
s’accentue.
Pouvoir
et contre-pouvoir Deux idées vont être
débattues : selon certains intervenants la démocratie
n’est gérable que dans le cadre de petites unités.
Si on admet quel’autorité ne peut être déléguée
au risque de tomber dans les contradictions de la démocratie
représentative, la forme la plus vraisemblable qu’elle
puisse avoir est celle de la démocratie directe. L’ambiguïté
qui découle de cette propriété est que soit la
démocratie devient une utopie, soit qu’elle ne
puisse exister qu’à de petiteséchelles.
La
deuxième idée discutée par un autre groupe
d’intervenants concerne la notion du contre-pouvoir. Un
intervenant rappelle à ce propos La Boétie qui
dénonçait de son temps les abus du pouvoir royal. En
montrant les contradictions de la tyrannie cet auteur annonçait
la réflexion deRousseau. Cependant, pour La Boétie le
contre-pouvoir était également à l’image
du pouvoir, ce qui nécessite une réflexion à
l’égard de la réprésentativité des
contre-pouvoirs. (A moins que l’idée de la liberté
selon La Boétie, comme je le pense, fût posée
comme une fatalité : niant ainsi l’idée de la
libération collective etne laissant de salut qu’individuel).
Démocratie
et médias Selon de nouveaux intervenants la démocratie
achopperait sur un autre type de représentation : l’image.
On peut supposer que le média le plusimportant actuellement,
la télévision, appartient aux annonceurs. Ils
contrôlent ce média et leur préoccupation est
celle de la rentabilité immédiate. De ce fait, la
politique devient spectacle et est soumise à des critères
du marché. Il y a des stars qui “font de l’audimat”
: le contenant devient plus important que le contenu. Il semblerait
donc que les vrais représentants du pouvoir soientailleurs.
Au début de la discussion Michel Tozzi rappelait qu’il
revenait d’un colloque entre animateurs de café philo.
Est-ce que la floraison de ce nouveau genre choisi pour la
philosophie est un chant du cygne ou du signe ? Est-ce un des
derniers lieux où la parole peut échapper au contrôle
des médias ? On peut penser que la philosophie, en choisissant
un lieu culturel et trivial à la place des salons du pouvoir,
distille sonarme préférée ‘“l’ironie”.
Il est vraisemblable qu’aujourd’hui les sciences humaines
telles que la sociologie étant devenues trop mathématiques
et statistiques se sont enfermées dans des sphères de
“techniciens compétents”. Ceci pourrait expliquer
l’engouement d’un public plus large pour la philosophie.
Pour
conclure, rappelons qu’Aristote fut le premier philosophe
qui classa les différentes formes de gouvernement. La
royauté, l’aristocratie, la république qui
ont toutes la même finalité: l’utilité
publique, le bien pour tous. Ce qui distingue ces trois genres, c’est
la manièredont le pouvoir s’exerce et est réparti.
Selon Aristote, la souveraineté est exercée soit, par
une personne seule, soit par un petit nombre, soit par la masse. Ces
trois formes de gouvernement en vue de l’intérêt
commun représentent des constitutions correctes. Par contre,
les gouvernements qui ont pour visée l’intérêt
d’un seul, d’un petit groupe ou de la masse sont des
formes de déviance.La déviance de la royauté
est la tyrannie, celle de l’aristocratie est l’oligarchie,
celle de la république est la démocratie (autrement
dit, la majorité des citoyens i.e. les plus pauvres dont les
intérêts sont opposés à ceux des riches,
dans ce cas Aristote considère cette forme de gouvernement
comme corrompue ou mauvaise, cf. Aristote, Politique). Aucune de ces
formes n’a égard àl’utilité
commune. Ce qui est intéressant dans l’explication du
philosophe c’est la définition qu’il accorde à
la démocratie : forme déviante de la république.
Par ailleurs, il relativise l’universalisme de la forme
républicaine, laquelle ne convient qu’à certain
type de peuples : Athènes et non les Macédoniens.
Ainsi, l’élève de Platon décrit lesformes
de gouvernement dans la suite de son maître, en ce sens la
République est donc une utopie. Et cette utopie a depuis
quelques années été soumise à la critique
des nouveaux philosophes, car pour Platon la description de la
société idéale précède l’examen
des moyens à mettre en oeuvre pour sa réalisation ce
qui laissait préfigurer les délires des futures
républiquespopulaires des pays de l’Est.
Ainsi,
au cours de la discussion nous avons pu remarquer les éclairages
critiques ; l’aspect utopique de la démocratie, les
rapports contradictoires (inégalités “naturelles”
et égalité de Droit), lareprésentativité
déviante…
Communiquer
vraiment est-ce possible ?”.
15/09/97
(Café philo n° 11 , compte rendu fait par Alain)
Michel
rappelle le sujet “Communiquer vraiment est-ce possible ?”.
Communiquer correspond à un paradoxe car face à une
multitude de moyens techniques invitant à communiquer on
constate l’existence d’une multitude de personnes qui
souffrent de ne pouvoir communiquer. Ainsi,d’un côté
il y aurait une injonction de la société pour
communiquer et, d’un autre côté, un désarroi
de ceux qui ne peuvent le faire.
Conflit,
interaction et dialogue
Pour
un premier intervenant, communiquer relèverait d’un
besoin biologique, cependant d’un point de vue social la
communication se traduirait par des enjeux de pouvoir entraînant
des conflits. Selon un nouvel intervenant communiquer ne
débouche pas forcément sur le conflit, l’harmonie
et le partage peuvent créer un espace propice audialogue. Un
nouvel intervenant affirme la nécessité de la présence
de l’interlocuteur pour que la communication soit possible.
Sans interaction, communiquer, ne serait pas une communication
réelle. Une autre personne pose la question de la relation
entre un lecteur et un auteur, n’y a-t-il pas communication
lorsque le message est différé ? Pour un autre
intervenant, il s’agirait d’une identification dulecteur
à l’auteur du livre et non communication. Mais pour une
autre personne, le fait de transmettre une idée par le média,
livre, implique qu’il y ait eu communication. Selon un nouvel
intervenant communiquer ne débouche pas forcément
sur le conflit
En
résumé, trois positions se détachent audébut
de la discussion. Le premier point, communiquer et conflit
s’oriente plutôt vers un aspect d’ordre
sociologique. Les deux autres points de vue, dialogue et interaction,
sont plus centrés sur l’être. On retrouve
l’antique question abordée par les sophistes, Platon ou
Cicéron : la fonction de la rhétorique. Autrement dit,
la forme du discours à la fois singulière etcharnelle
permettant de générer un espace mental commun entre
plusieurs auditeurs. La parole ou le verbe nécessite alors la
présence de l’interlocuteur non dans le but étroit
de le convaincre mais dans celui de tenir son esprit, son être,
en éveil. En ce sens, le dialogue est plus qu’un échange
d’informations, il devient un espace fugitif dans lequel se
réfléchit le questionnement métaphysiqueet
juridique du droit, de la liberté, de l’être. La
suite de cette discussion laisse en suspens l’outil qui sert au
dialogue : les mots.
Comment
définir “communiquer”
certains participants le terme paraît galvaudé, privé
de sens à cause de l’inflation due à l’usage
de ce mot. Un autre participant oppose un point de vue différent,
les moyens techniques mettent à disposition des outils de
communication nouveaux. La communication peut s’accroître
à condition de savoir s’approprier ces nouveaux outils.
question essentielle qui est poursuivie est de savoir si la présence
ou l’absence de l’interlocuteur obstrue la communication.
Deux tendances s’opposent. Pour les uns le dialogue nécessite
la présence physique de l’autre pour rendre réelle
la communication, l’outil n’étant qu’un
artefact, un simulacre. Pour lesautres, la communication du virtuel
n’est que la forme moderne de la communication. Une recherche
de définition est demandée par certains participants.
Michel
rappelle alors que les définitions fournies par les
dictionnaires sont toujours soumises à certaines réserves
car, le mot est polysémique. Ainsi, il est difficile dese
référer à une définition formelle c’est
la raison pour laquelle il est souhaitable de réfléchir
au sens que nous pouvons donner au concept communiquer, plutôt
que d’emprunter une définition qui ne serait que
relative. Notre questionnement est donc de savoir ce qu’est
“communiquer vraiment”. Il convient d’aborder le
rôle de la parole dans l’échange avecl’autre.
La parole est-elle un moyen ? Le mot qui sert à exprimer
l’idée atteint-il son but ?
Discours
et décalage
Pour
un nouvel intervenant, la communication est une transmission selon un
mode verbal. On peut distinguer deux types de communication. Le
premier type, d’ordre informatif est une communication
transitive (ex. donner l’heure à quelqu’un) ; le
second type c’est-à-dire le reste induit toujours une
part d’ambiguïté. La chose perçue n’arrive
jamais à être traduite par les mots, il s’ensuit
unesérie de décalages entre ce que veut signifier
telle personne et ce qui est dit. Le mode verbal même
correctement utilisé par le locuteur est en décalage
avec le perçu. Le discours est linéaire, il présente
les choses successivement dans un certain ordre. Afin d’être
audible le locuteur n’exprime que quelques fragments parmi la
multitude de ce qu’il perçoit et pense de la chose.
L’interlocuteur deson côté est à la merci
d’une série de parasites (quiproquo, malentendu…)
sans parler de la résistance à l’autre telle que
l’énonce la psychanalyse (i.e. une opposition entre
l’intention de celui qui dit et l’intention de celui qui
entend ce qui a été dit). Le sens étymologique
du mot “vérité” signifierait “tourner
autour de…” Le discoursserait alors sans cesse relancé
à cause de cette défaillance du mode verbal. Cette
analyse dénonce donc un préjugé métaphysique
lié à la croyance qu’une vérité
peut être exprimée. Une nouvelle personne conteste cette
restriction du communiquer : demander l’heure introduit
une question, une intention qui va au-delà d’un simple
échange formel. Un autre personneévoque la
communication pour-soi. Ce à quoi répond un autre
intervenant, communiquer avec soi est impossible si l’on
considère la part d’inconscient qu’on ne peut
soi-même saisir. Nous avons un besoin de l’Autre pour
projeter notre soi. La discussion tourne ensuite autour de la notion
de communion, partage de référents communs. Un nouvel
intervenant évoque le cas des tribus oùl’individu
n’existe pas (i.e. pas de moi constitué) et où
communiquer prend la forme de la transe collective. Peut-on
alors parler à propos du concept “communiquer” de
quelque chose d’universel ou bien est-ce une notion relevant
uniquement d’une métaphysique propre à la pensée
occidentale ?
Communiquer
et être
Communiquer
vraiment induirait selon de nouveaux intervenants d’autres
modes d’expression que le mode verbal. Au delà de
l’échange d’informations le sujet exprimerait
également le besoind’être. D’autres media
sont évoqués, l’expression artistique exprimerait
dans un autre registre certaines valeurs. Le questionnement poursuivi
est de savoir comment partager un minimum de points communs avec
autrui. Pour un autre intervenant, c’est le critère
d’exactitude qu’il convient de relativiser. Nous ne
disposons pas réellement d’un savoir surplombant pour
tout expliquer, c’est-à-dire pour“communiquer
vraiment” nous devons nous satisfaire d’un mode verbal
avec ses imperfections et tenter de le compléter à
partir des impressions que nous livre le langage artistique. Cette
pluralité du communiquer exclut le besoin de fusion et
d’opposition systématique à l’autre. Il
s’agirait alors non de chercher une vérité mais
d’établir dans le champ de la communication, unrapport
d’authenticité. Même si on n’oublie pas que
l’Autre résiste à ce qui est dit, il conviendrait
d’accepter que le message repris par l’Autre subisse des
transformations. Une jeune intervenante exprime la nécessité
d’un rapport duel pour rendre le dialogue possible même
si s’ouvrir à l’autre induit une part
d’impossible.
Enfin
une dernière intervenante opposera l’aspect subjectif de
la communication impliquée dans l’impression artistique
alors que communiquer impliquerait une attitude réclamant
de l’objectivité. Le domaine de l’art rendrait
compte au travers de son langage des quelques traits qui sont communs
à une société et rentrerait ainsi dans l’ordre
dela communication. Par contre, il serait difficile de concevoir
qu’un individu invente un langage connu de lui seul. Cette
hyper-expression irait à l’encontre du communiquer,
ainsi la communication impliquerait du commun avec l’Autre.
La
conclusion de cettedernière personne introduit la
prochaine discussion où l’on débattra de la
science. La création de tout langage nouveau est fondateur de
toute science, même si ce langage est incompris de ses
contemporains. La question sera alors de savoir comment délibérer
des limites d’une science lorsqu’un langage nouveau rend
caduque la façon dont on peut penser cet objet.
Faut-il
des limites à la recherche scientifique ?
13/10/97
(Café philon° 12 , compte rendu fait par Alain)
Le
sujet de cette discussion concerne la science et plus
particulièrement la recherche scientifique. Dans nos sociétés
on lui accorde de fortes attentes relatives au progrès,
faut-il aller dans son sens, jusqu’où ? oualors faut-il
lui imposer des limites. Dans ce dernier cas au nom de quoi peut-on
demander de lui imposer des limites ? Est-ce que progrès
scientifique égale progrès humain ? En d’autres
termes, les retombées de la science sont-elles toujours
valables pour le progrès de l’humanité ?
Dans
unpremier temps les intervenants décrivent la science en tant
qu’application scientifique. À partir de ce point de vue
il semblerait que des limites soient nécessaires pour ce type
de recherches. Cependant, une nouvelle question surgit, comment
établir un contrôle efficace et rationnel ? Un nouveau
questionnement émerge chemin faisant. Des craintes sont
exprimées, justifiées ou injustifiées est-ce
qu’il est possiblede vouloir limiter la science fondamentale
qui par essence ne connaît ni limites ni frontières ?
Le
refus vis à vis des sciences appliquées
premier intervenant affirme que l’homme serait déterminé
de façon innée par une volonté de puissance qui
engendrerait le conflit entre les hommes. Ainsi, la science ne serait
qu’un moyen, un outil, une technique au service du conflit. La
conclusion de ce point de vue pessimiste serait de placer l’homme
sous la tutelle d’une loi naturelle afin de contenir cette
volonté destructrice. Un nouvelintervenant appréhende
les applications qui éloignent l’homme de la “nature”.
Le clonage constitue un danger pour l’humanité, mais
également de nombreuses recherches en génie-génitique
ainsi que dans le domaine agro-alimentaire. Cet intervenant oppose
une philosophie où les vraies énergies se trouveraient
dans la Nature alors que les expériences des laboratoires
scientifiques joueraient aux apprentissorciers. La question posée
par cette personne est de savoir comment on peut retenir la passion
de l’homme. Ces hommes cherchent à comprendre et savoir
mais leurs découvertes sont souvent contradictoires
puisqu’elles produisent de la déstructuration. Un nouvel
intervenant, propose de désambiguïser deux mots -
découverte et invention. Par exemple Newton
découvre la loi de la gravité, ils’agit
d’une production de connaissance. L’invention elle
découle de la découverte. Or les inventions
n’échappent pas aux lois du marché, de ce fait la
recherche scientifique (vs invention) n’est ni gratuite, ni
réellement effectuée dans le but de fournir un progrès
pour l’humanité puisqu’elle appartient à
une puissance politique ou économiqueparticulière. Par
ailleurs, certaines recherches publiques sont sous l’emprise de
lobbies, ainsi le budget public des recherches physiques (CNRS)
affecte 90% de ses crédits au nucléaire et 10% pour le
reste. Pour cet intervenant, on peut donc honnêtement souhaiter
des limites à la recherche scientifique, la question revient à
dire comment est-il possible de mettre en oeuvre un contrôle
démocratique ?
fin de cette première discussion déplace la nécessité
des limites non plus au nom d’une loi Naturelle mais au nom
d’une loi reposant sur la raison humaniste.
de la science et langage scientifique
Un
nouvel intervenant partage cette dernière opinion mais soulève
la question du langage spécifique de la science. Comment un
sujet commun peut-il délibérer sur un sujet s’il
ne dispose pas du langage spécifique de lascience ? Un nouvel
intervenant rappelle qu’il est possible de traiter des valeurs
et décisions politiques si les experts explicitent les données
techniques. Si l’expert scientifique dissimule derrière
un discours abscons ses propos il cache la chose publique dans une
intention antidémocratique. Un nouvel intervenant affirme son
scepticisme à l’égard des scientifiques et
politiques, selon lui il revient aux usagers de la scienced’établir
des comités populaires afin d’établir le bien
fondé de ce qu’est le progrès scientifique.
Plusieurs intervenants s’élèvent contre le
principe du jury populaire à cause des dérives
démagogiques, les comités d’éthiques sont
également rejetés car ils diluent la représentativité
démocratique. La question reste entière :comment
inventer une instance démocratique pour contrôler les
recherches scientifiques. De nouveaux intervenants s’interrogent
à propos du procès fait jusqu’alors à la
science, il semble qu’on entrevoit la recherche scientifique
principalement sous ses aspects négatifs. Certains
reconnaissent qu’ils se sentent un peu dépassés
par le savoir scientifique tout en estimant que le progrès
scientifiqueengendre plus de bien que de mal. Un nouvel intervenant
note qu’il est étonnant qu’un groupe de personnes
dont le propos est la philosophie aborde la question des limites sans
mettre en perspective l’idée de la liberté.
En
matière de science on pourrait rappeler ici les propos de
Bachelard, les sciences ne sedéveloppent pas dans un vide
social. Si elles influencent le progrès de l’esprit
humain et modifient par leurs conséquences techniques les
civilisations, elles-mêmes naissent à un moment donné
de l’histoire, elles utilisent les moyens de l’expérience
et de réflexion que leur offre leur époque et se
heurtent aux obstacles religieux, philosophiques, politiques et
sociaux que celle-ci leur oppose. Dans laformation de l’esprit
scientifique Bachelard affirme que c’est en termes d’obstacles
qu’il faut poser le problème de la connaissance.
Recherche
fondamentale et expérimentation
Un
nouvel intervenant dénonce le retour à la “nature”
comme contestation de l’esprit scientifique. Il rappelle que
l’esprit scientifique implique le doute comme l’énonce
K. Popper, une hypothèse n’est scientifique que dans la
mesure où elle est réfutable, c’est-à-dire
qu’elle énonce ses propres limites sinon il ne s’agit
pas de science mais decroyance. Ainsi, le discours scientifique
génère ses propres lois internes, ses propres limites.
Par ailleurs, il rappelle qu’il ne faut pas mettre la science
là où elle n’est pas, son rôle n’est
pas celui de philosopher. La question de l’Etre reste l’objet
du philosophe celle du scientifique a pour objet la nature. Comme le
rappelle Heiddeger, le savant ne pourra jamais atteindre la structure
interne de l’Etre. Parailleurs, la science dite moderne vise
une connaissance objective, elle établit entre les phénomènes
des rapports universels et nécessaires autorisant des
prévisions dont on est capable d’extraire par
expérimentation ou observation la cause expliquant le
phénomène étudié. Ainsi, il convient de
différencier la science fondamentale de l’usage qu’on
en fait. Parler de limites c’ests’intéresser aux
usages de la science. Un débat surgit entre intervenants,
certains rappellent que la recherche y compris fondamentale est liée
à l’expérience, celle-ci ne saurait échapper
également au contrôle démocratique. Les
recherches actuelles notamment en physique sont de plus en plus
coûteuses et les théories ont besoin de dispositifs
expérimentaux onéreux. Ainsi, la recherche neserait
être uniquement appréciée dans le rapport
production de connaissances approche philosophique, des conditions
d’ordre sociologique, politique et économique sont à
prendre en considération.
En
parallèle de cette discussion d’autres participants
évoquent la relation science et bonheur, lafrontière
ténue entre le bien et le mal notamment dans le cas des
manipulations génétiques (pouvoir agir médicalement
au cœur de l’ADN mais également voir poindre le
risque de l’eugénisme).
La
fin de la discussion n’épuise évidemment pas le
sujet, les conversations informellesreprennent les nombreuses
questions laissées en suspens. Cependant, on pourra regretter
que la question de savoir ce qu’était la science n’est
pas été réellement abordée. D’un
point de vue historique il aurait été intéressant
de rappeler que la “science moderne” (qui s’appuie
sur une méthodologie expérimentale) naît en
Europe autour du XVIIéme siècleconjointement avec le
système marchand de la bourgeoisie. Ainsi, la science se
développe dans un cadre historique et se coupe des sciences
purement spéculatives des Grecs. Avec Copernic et Galilée
la science effectue une véritable révolution. La
science moderne devient mécaniste et considère le monde
comme une machine impliquant l’expérimentation pour en
comprendre le fonctionnement. Cette révolutionnécessita
la destruction de la conception aristotélicienne et
platonicienne de la physique classique. Pour les anciens et l’église
le monde était celui des apparences, le reflet corrompu du
monde des idées ou de dieu (le seul qui soit intelligible). La
physique mécaniste rompt avec la vision finalisée et
organisée d’Aristote, y compris celle de Lucrèce
(atomisme régi par le hasard). Le principe decausalité
du déterminisme3
régnera jusqu’au début du XX ème siècle.
Avec la nouvelle physique (Planck, Heisenberg…) la science ne
fournit plus que des lois de probabilité ou statistique, la
notion de“moment” d’un système qui
supposait l’antériorité de la cause par rapport à
l’effet n’a plus de sens dès que l’on sort
des trois dimensions pour se situer dans le continuum espace-temps.
Le fait que la science ne soit plus une certitude laisse peut-être
du champ libre aux pseudo-sciences qui expriment davantage le besoin
de croire. Pseudo-sciences pour lesquelles il serait plus urgent de
se poser laquestion de savoir comment les limiter !
Jusqu’où
peut s’affirmer la liberté d’un individu ?
17/11/97
(Café philo n 13 , compte rendu fait par Alain)
La
société revendique chez l’individu des droits au
nom de la Liberté, la problématique s’interroge
donc surla question des limites, i.e. jusqu’où peut-on
affirmer sa liberté ? Un premier participant introduit le
sujet par l’anecdote suivante : dans un musée un jeune
homme se livre à un spectacle égoïste pour
satisfaire son plaisir à regarder un tableau (la crucifixion
du Christ, Montegna XVè s.). Le quidam ne soucie pas de la
gêne faite aux autres personnes qui s’intéressent
à ce même tableau.L’idée de liberté
sera lors de la discussion tour à tour opposée à
la notion de responsabilité, puis de contexte et
enfin à la raison et à la folie. L’idée
de liberté semble à priori indéfinissable,
il faut pour pouvoir la comprendre parler de ce qui la nie. Autrement
dit, la liberté peut être davantagepensée
que connue.
Liberté
et Responsabilité
Les
participants engagent la discussion sur ce rapport. Trois notions se
dessinent : juridique, visà vis de soi, vis à vis
des autres. La société fixe des limites juridiques
mais le “reste” est à l’appréciation
de chacun, quelles sont les limites aux attitudes et comportements ?
Pour d’autres participants, on ne peut pas faire ce que l’on
veut. Il y aurait donc une remise en cause de la liberté
absolue. La liberté devrait de ce fait s’inscrire
dans le respect àl’autre. Ce premier questionnement
rend compte de trois pistes et fait surgir une nouvelle question,
celle du contexte.
Liberté
et Contexte :
Des
participantsénoncent les déterminismes qui entravent
la liberté, le monde de l’économie parce
qu’il peut engloutir le sujet dans des préoccupations de
survie, les idéologies qui aliènent le sujet, des
formes juridiques qui peuvent être oppressantes… Une
participante rappelle que le contexte économico-juridique peut
être à la fois garant de liberté d’entreprise
et obstacle. Pour unautre intervenant, la notion de libre-arbitre
sous-tendue dans certaines cultures peut être le déterminisme
qui induit la notion de liberté, ainsi cette idée
serait relative à un substrat culturel. Face à ce
déterminisme historico-économico-éthnoculturel
de nouvelles thèses sont avancées. Tel participant
affirme son idéalisme “être libre, c’est
s’appartenir” ; telautre affirme le lien entre
spontanéité et liberté “être
indépendant de toutes entraves”; tel autre se prononce
pour le renoncement qui libère ; pour tel autre c’est le
paradoxe des relations de dépendances qui nous ferait prendre
conscience de notre cheminement vers l’autonomie. Face à
cette diversité de nouvelles pistes, un participant réclame
à l’animateur ducafé-philo une définition
! Il lui est répondu que tout le travail d’une
discussion philosophique représente cet effort de
clarification, on dit l’un et son contraire. La mise à
plat des contradictions devrait, soit nous aider à dégager
une notion satisfaisante, soit nous rappeler que nous parlons de
choses que l’on ne connaît pas. En d’autres termes,
comme l’écrit J. Julliard (La faute auxélites)
on tente d’éviter de tomber dans “l’élitisme”
i.e. la démocratie sans le peuple ou de tomber dans le
“populisme” i.e. le peuple sans la démocratie.
Pour résumer cette première partie, un nouvel
intervenant rappelle que le contexte essentiel pour la liberté
a un nom : c’est la Démocratie. La démocratie,
seul statut juridique et politique qui institue le sujetcomme
citoyen i.e. celui qui a pouvoir sur la chose publique.
Liberté
et Tolérance à l’autre :
Un
type de société tend à parler àla place
des personnes jugées hors-normes ou folles (cf. M. Foucault).
Des interventions introduisent de nouvelles notions ; l’éthique
et l’acceptation d’une part de gêne de l’autre
; la liberté comme un idéal ; la liberté
comme une indépendance plus le mot arbitre. Mais des questions
restent en suspens, en quoi le respect de soi est-il une limite?
Jusqu’où admet-on la gêne del’autre ? Un
participant rappelle que la psychanalyse comme la tradition juive ne
croit pas à la liberté. pour la psychanalyse il s’agit
de quelque chose de virtuel pour la bible c’est quelque chose
d’innommable. Cette personne souligne l’ambiguïté
de ce rapport entre liberté et relation à
l’autre, ainsi la position nietzschéenne ne pense
l’être libre qu’à lacondition qu’il
assume aussi une structure de conflit. Le point de vue de Rousseau
est proche du philosophe d’Engadine. Tous deux déconstruisent
la téléologie naturelle sur laquelle s’appuie le
cadre platonicien et chrétien. Le devenir de l’homme
n’est plus porté par un individu ou une collectivité
projeté dans un mouvement finalisé. L’homme de
Rousseau ou de Nietzsche est responsable delui-même et de son
environnement. Pour Rousseau la perfectibilité de l’homme
s’articule avec la liberté, mais aucune puissance
ne le dirige vers un but, aucune “entéléchie”
ne le préforme. La dimension universelle est à acquérir
au travers de la particularité de l’individu.
Ainsi,
la liberté oscillerait aux franges de ce qui la limite
; “l’Autre” est à la fois un obstacle et un
tremplin, l’altérité est perçue comme un
paradoxe.
Qu’est-ce
que l’Autre pour Moi ?
12/10/98
(Café philo n°20 & 21 , compte rendu fait par Alain)
Michel
Tozzi présente brièvement les deux auteurs, supports de
la discussion : Max Stirner (1806/1856, L’unique et sa propriété)
et Emmanuel Lévinas 1906/1995, Éthique et infini,
dialogues avec Philippe Némo. Le premier auteur est
allemand, son œuvre se situe entreHegel et Marx. Cet auteur
récuse tout ce qui peut être d’essence
supra-individuelle et systématique. Il prône un
individualisme il est anarchiste. L’intérêt de cet
auteur est de défendre un point de vue construit à
partir de l’individu. Le second philosophe est français, il
tente d’éclairer le problème du contenu de la relation
inter-subjective. Nous sommes donc, apparemment, en présence
de deuxthèses différentes, la première énonce
que le je est au centre du monde ; la seconde déclare
que je est débiteur sans réciprocité de
l’Autre ? Quelques intervenants lancent le débat, et
Michel convient les participants à affirmer davantage leurs
opinions par rapport aux deux thèses présentées
en introduction.
Première
partie :
Les
deux auteurs présentent des points de convergences :Selon
plusieurs intervenants, ces deux auteurs présentent des points
communs. Stirner utilise l’Autre comme une "nourriture"ce
qui souligne l’importance de l’Autre pour son propre je.
Pour Lévinas l’Autre est un visage. Une intervenante rapproche
également ces deux philosophes "Stirner part d’un
constat de ce qu’est l’homme tandis que Lévinas fait interagir
le je avec le moi". En quelque sorte Stirner démystifie
et Lévinas mystifie, mais leur position resterait proche sur
le plan de la subjectivité. Pour une autreintervenante,
Stirner semble un peu provocateur en évacuant le problème
de la réciprocité, il n’y a pas de sentiments à
attendre en retour de l’Autre donc je utilise l’Autre
; par contre, Lévinas introduit le problème de
réciprocité puisque chacun et donc tous est responsable
de l’Autre même s’il n’a rien à attendre de
l’Autre.
deux auteurs présentent des divergences De
nouveaux intervenants prennent le contre-pied de ce qui vient d’être
énoncé plus haut. Pour Stirner l’exigence vient du
sujet alors que pour Lévinas elle s’impose de l’extérieur.
Un nouvel intervenant cite le 4ème paragraphedu
texte de Lévinas "son visage m’ordonne". Un
autre intervenant rappelle que d’un point de vue économico-politique,
Stirner prône l’utilitarisme. C.-à-d. l’ idée
d’organiser la société selon un fonctionnement hyper
individualiste. "Ne faudrait-il donc pas faire une relecture
de Stirner ? L’évolution ne donne-t-elle pas raison à
cet auteur ?" Une autre intervenante souligne que lanotion
de l’Autre n’a pas la même évocation pour les
deux auteurs. Une intervenante pose alors la question de ce que le je
doit faire avec l’Autre ? De nouveaux intervenants
relativisent les points de divergence et de convergence entre ces
deux auteurs. L’histoire est convoquée, ainsi un intervenant
rappelle que Lévinas d’origine juive écrit après
la shoah, et de ce fait, qu’il place l’éthique en amontdu
politique. Une nouvelle intervenante revenant aux textes souligne
l’évolution entre les deux métaphores : le désir
chez le premier auteur et l’objet de mon tourment pour le second.
La
nécessité de définir les notions fait évoluer
la problématique Plusieurs
personnes sont d’accord sur le fait que les deux philosophes tentent
de définir l’homme mais est-ce bien du même Autre
qu’il s’agit chez Stirner et Lévinas ? Michel Tozzi relance
cette nouvelle piste de réflexion, autrui est-il déformant
? Autrui est-il le même que soi, ou est-il différent ?
L’animateur de la discussion rappelle alors que la représentation
de l’Autre bouge sans cesse, mais lorsquel’Autre est
un miroir cela implique un rôle précis qui clôture
la dimension de l’Autre dans le temps et dans l’espace. Mais le
miroir peut aussi devenir trouble. Un nouvel intervenant souligne que
les individus sont souvent tentés de faire le "bien"
pour autrui par altruisme ou par projection de leur propre "soi"
mais cela entraîne des contradictions et prive autrui de
l’autonomie. De plus, "on peut se tromper quand onveut faire
le bien d’autrui". Pour une nouvelle intervenante, il semble
que ceci relève de la tolérance, c-à-d. savoir
ou bien pouvoir accepter l’Autre. Plusieurs personnes
interviennent alors simultanément à propos de
l’équilibre entre je et l’Autre. Michel
synthétise ces différents points de vue en demandant à
l’assistance s’il s’agit d’un équilibre impliquant la
toléranceou bien d’un équilibre impliquant un devoir
vis à vis de l’image que l’on se fait de l’Autre ? La
discussion prend un tour légèrement polémique
car les définitions données au terme l’Autre ne
sont pas toujours partagées. Nous approchons de la fin de
cette première partie, ceci appelle la synthèse de
Martine. Elle souligne que les commentaires des deux textes ont amené
une grande partie del’auditoire à contraster Stirner et
Lévinas. Brièvement, Stirner aurait une position
davantage politique et Lévinas une position davantage morale.
Pour Stirner le moi arrive à nier l’Autre, pour
Lévinas l’Autre constitue un égo-monde.
Mais cette morale utopique qui nous pose comme responsable de tous
les Autres, n’est-elle pas une entrave de la liberté ?
Deuxième
partie
Marcelle
Tozzi apporte un rapide éclairage de la psychanalyse
freudienne. L’Autre peut recevoir trois définitions
différentes : il est semblable, il estdifférent, enfin
il est une représentation symbolique. Cette dernière
définition renvoie à un concept purement
psychanalytique, car le langage contribue à façonner
l’individu. Façonné à son insu par le langage,
l’individu est entraîné dans quelque chose
d’irrémédiable. Ceci entraîne la question de
l’incommunicabilité et celle du mal car l’Autre est à
la foiséducateur et transmetteur du langage qui nous transmet
des interdits, des tabous. La relation à l’Autre est
donc complexe, car elle constitue le lien social avec du semblable,
mais aussi avec de l’Autre qui est radicalement différent
et aussi avec de l’Autre radicalement inaccessible.
Un
redémarrage confus maisfructueux en questions Pour
certains intervenants l’Autre implique de l’anxiété,
de l’angoisse, pouvant favoriser à la fois l’attirance ou le
rejet. Selon une intervenante, il y a une relation dialectique entre
moi et autrui. Pour un nouvel intervenant Lévinas a une
position identique à celle du Christ. Une nouvelle
intervenante rappelle que les deux auteurs sont àreplacer
dans leur contexte historique, plus utopiste pour Stirner et lié
à la psychanalyse pour Lévinas. Un nouvel intervenant
demande si le moi existe et si le postulat du rapport à
l’Autre n’est pas un luxe ? "Est-ce que tous nos échanges
impliquent la réalité du Moi ou est-ce que j’existe
parce que l’Autre ou les Autres sont déjà en Moi ?"
A propos du semblable une intervenante pose la questionde
savoir si nous naissons tous pareils ou différents ? Une suite
d’interventions mettent en relief les différentes relations
entre Moi et autrui selon le pôle privilégié.
Michel Tozzi souligne la nouvelle opposition entre Stirner et Lévinas
: le premier veut traiter l’Autre comme le je le
traiterait ; pour Lévinas il faut considérer d’abord la
dignité de l’être.
Peut-on
rejeter l’Autre au nom de l’individu ? Les
participants s’interrogent alors sur le fait de savoir si hier était
mieux ou plus humain qu’aujourd’hui ? Une intervenante rejette
l’opinion d’un âge d’or, selon elle notre époque
respecterait davantage l’individu. Un nouvel intervenants’exprime
pour le partage et contre l’égoïsme avec pour credo
l’amour. Un autre intervenant oppose l’intelligence d’un individu à
celle de la masse. Une autre personne rappelle que "la
volonté d’éliminer l’Autre est souvent énoncée
comme quelque chose de nomal, d’un point de vue symbolique. Mais le
danger c’est de croire connaître l’Autre car c’est alors
désigner celui-ci comme un bouc-émissaire."La
discussion tourne alors sur le fait de savoir s’il faut d’abord se
respecter avant de considérer l’Autre.
En
guise de conclusion, Michel Tozzi souligne combien il est
difficile de cerner le concept d’individu aussi bien chez Stirner que
chez Lévinas. Est-ce le respect del’individu ou le rejet de
l’Autre pour le premier, est-ce une négation de
l’individu pour le second ? Le débat pourrait se poursuivre en
s’interrogeant s’il s’agit de dire ET ou bien de dire OU lorsqu’on
met en relation ces deux notions. Enfin Martine apporte une note
concluante mais non conclusive à la discussion de la soirée.
Les problématiques du moi, de l’Autre entraînent
des systèmes qui représententdes notions différentes,
donc qui peuvent être pensées différemment. La
question est donc de savoir si la valorisation de l’Autre
n’est pas antithétique à la valorisation de Soi et si
la valorisation de Soi n’est pas antithétique à la
valorisation de l’Autre ?
L’art
naît de contraintes, vit de luttes et meurt de liberté.
16/11/98
& (attribué à Gide) 7/12/98 (Café
philo n °22-23, compte rendu fait parAlain)
Lors
de ces deux soirées trente à quarante personnes
s’étaient donnés rendez-vous au pub de "l’S en
ciel" pour débattre de ce thème. Michel
rappelle succinctement le fonctionnement et lance le débat
"les contraintesinhibent-elles l’art ou au contraire
sont-elles des leviers) ». Des artistes vont illustrer
le thème de ces deux soirées, pour la musique (Bruno,
Richard), pour la peinture (Jeannine, Christian, l’association "A
sa Place"), pour la sculpture (Jean), pour la photographie
(Anne), pour le théâtre (François).
Contrainte
et contraintes Bruno interprète à la guitare
une de ses compositions. Il explique qu’il s’était imposé
le rythme d’une phrase pour faire passer une idée "t’as
dû passer par la p’tite porte et la fermer pour qu’on
t’supporte". De nouveaux participants s’expriment à
partir de leurs expériences ; certains vivent lacontrainte
comme une exigence intérieure soulignant que peut-être
le mot "contrainte" est mal approprié pour exprimer
ce besoin. Le terme de "contrainte" se scinde en
"contrainte intérieure" pour désigner quelque
chose de spirituel, et en "contrainte extérieure"
pour désigner ce qui renvoie aux techniques. La question qui
suit est de savoir si la contrainte sert ou dessert lacréativité
? Selon un participant, les contraintes intérieures auraient
des conséquences positives. La peinture comme la composition
musicale auraient besoin de la contrainte, l’acte de créer est
rare, l’artiste recycle beaucoup, avant de créer, avant
d’extraire quelque chose du néant.
Pour
résumer, un problèmede définition se pose
d’emblée aux participants à propos de la contrainte,
est-elle une limite ou une exigence ? L’art semblerait balancer entre
une zone du conscient et une autre liée à
l’inconscient. Des techniques et des structures contraignantes
s’imposent à l’artiste : il s’agit là des contraintes
extérieures, l’artiste peut s’en libérer. Les
contraintes intérieures liées à l’inconscient
sont sansdoute plus délicates à dépasser, dans
ce cas les artistes parlent plutôt de sublimation.
Création
et finalité Une création artistique peut-elle
naître d’une commande ? Un exemple va illustrer cette question,
il s’agit d’une commandeexplicite, le thème est imposé
et concerne un bâtiment public. L’artiste a construit trois
espaces thématiques, un espace brut (l’architecture), un
espace poétique (le bâtiment dans la nuit), un espace
intérieur (une comédienne dans le bâtiment).
L’artiste utilise comme méthode des séries afin
d’explorer la structure de chaque espace. Le but est de faire émerger
une création d’ordre artistique, deslignes de force qui
renvoient à une approche plastique. La discussion qui suit
pose deux nouvelles interrogations : l’art est-il une représentation
du monde, l’artiste doit-il être nécessairement un
créateur ? Pour le comédien de théâtre,
l’artiste est davantage artisan qu’artiste car la création,
ici, découle d’un travail d’équipe : celui d’une
troupe. Pour d’autres intervenants, le problème en ce20ème
siècle paraît être l’accélération de
l’évolution en art, il semble qu’il faille de la nouveauté
à tout prix : Duchamp et sa cuvette de WC, John Cage
enregistrant 2’46 de silence, les peintures monochromes …
nouveautés et créations paraissent liées à
une volonté de conceptualisation. La question que posent
certaines personnes est de comprendre vers quellefinalité
tend cette recherche conceptuelle de l’art ? Cette question alimente
un nouveau clivage ; pour certains intervenants l’art aurait une
fonction symbolique assignée, l’art comme signe du sacré,
comme lieu de cohésion d’un groupe social ; selon d’autres
intervenants l’art reste un spectacle, une relation entre une œuvre
et un individu.
Pour
résumer : l’art utilise des techniques impliquant
effectivement des contraintes. L’artiste peut jouer avec les règles
imposées, il peut en créer de nouvelles, il peut
prendre des libertés avec les règles anciennes, Matisse
avec ses natures mortes "a su casser la carafe" et passer
ainsi à la couleur. La liberté évoquée
n’est pascelle de pouvoir faire ce que bon vous semble, c’est la
liberté portant sa propre finalité. Peut-on alors
parler de liberté, si l’art a pour source le sacré,
conditionnement du social ? Or, l’art est de plus en plus une affaire
individuelle et de moins en moins l’affaire d’un groupe. L’engouement
oriental pour l’éphémère souligne la question du
temps, éternelle question philosophique qui définit la
liberté comme unecapacité à s’extraire du
temps, une finalité contre la contrainte suprême : la
mort.
Peut-on
tirer des leçons de l’histoire?
11/01/99
(Café philo n°24, compte rendu fait par Alain)
Deux
séances seront consacrées à ce thème. La
première traiteral’histoire (notée H) dans
le sens de l’expérience collective (présentation par
Xavier, professeur d’histoire), la seconde traitera H dans le sens de
l’expérience au niveau de l’individu (présentation par
Marcelle, psychologue).
L’Histoire
commeexpérience collective.
Le
20ème s’achève laissant comme traces : des
grandes guerres, des camps de la mort, des goulags, la Shoa …
Mais on aurait pu également proposer le bilan du 16ème
siècle : Grandes pestes, famines, guerres de religion,
génocides dans le Nouveau Monde …Sachons que l’on tire
des leçons de l’histoire pour illustrer les enjeux du
présent. Les explications du passé tentent
alors de justifier le présent, soit de préparer
un avenir. Prendre au sérieux l’histoire, c’est traiter
celle-ci comme : une mémoire, une source de connaissance et
une science qui a sa méthode, ses processus d’analyse.
L’histoire étudie des faits, desdocuments écrits,
et plus récemment elle aborde l’analyse d’autres matériaux
y compris l’oral. L’‘histoire ne vise pas la notion de vérité,
l’historien considère qu’il y a différentes vérités
qui sont autant d’objets d’étude. L’‘histoire n’est
pas un objet clos et achevé, mais un objet en mouvement.
L’‘histoire a une finalité pouvant se résumer
ainsi :comprendre le passé, l’expliquer, préparer
l’avenir. Son but, pourrait-on dire, est que l‘histoire soit
appropriée par les individus ; n’est-ce pas là le
libre-arbitre ?
Les
premières interventions interrogent le lien passé/présent.
S’il n’existe pas réellement de lien,l’histoire
reste-t-elle un questionnement utile ? De nouvelles interrogations
opposent la diversité des interprétations de
l‘histoire. Y a-t-il un problème de transmission de ce
savoir ? Y a-t-il rationalisation de la lecture du passé
et du projet ? Est-ce que l’histoire est en mesure de valider
ses sources ? Comment se fait-il que les thèses
révisionnistes/négationnistes soient possibles ?Les
interrogations de plusieurs intervenants évoquent les
relations ambiguës entre histoire et idéologies.
Si l’histoire n’est qu’interprétation, est-ce
possible de comprendre ce qui s’est passé réellement
? De nouveaux intervenants opposent l’histoire aux histoires
des légendes (fabula) et des mythes. Un intervenant
demande si l’on peut étudier l’histoire sans but
?Ceci n’est pas possible, donc l’histoire
recherche-t-elle des coupables ? N’est-elle pas une machine à
fabriquer de la morale, relayant ainsi les interprétations
symboliques qu’assuraient autrefois les mythes et légendes ?
Peut-on
tirer des leçons de son expérience personnelle ?
8/02/99
(Café philo n°25, compte rendu fait parAlain)
Les
illusions des expériences amoureuses se répètent
malgré nos erreurs, car on confond changer de situation et
changement du comportement. Pourquoi les enfants maltraités
deviennent-ils des adultes maltraitants?. Change-t-on ou reproduit-on
un destin ?Déterminisme ou liberté ? L’inconscient
est-il l’acteur de nos illusions ? Les premières approches des
intervenants soulignent que l’homme apprend et mémorise puis
vérifie cela par la suite. Il y aurait une différence
entre enfant et adulte, et cela relèverait de la capacité
réflexive du second. Mais alors comment se fait-il que les
délinquants soient presque toujours des récidivistes ?
Est-ce que dans l’actionl’homme reste capable d’agir en fonction
d’une éthique ? Pour certains intervenants, la transgression
pourrait être source du plaisir de récidive. Pour
d’autres, les adultes posent avec l’apprentissage la question de la
conscience, problématiser la réflexion de nos
actions n’implique-t-elle pas le problème des valeurs que
l’individu doit s’imposer ou que la société doit lui
imposer ? Ainsi, en posantimpulsion/plaisir comme première
(i.e. l’action précédant la réflexion)
ne souligne-t-on pas une limite importante ; cet individu peut-il
tirer des leçons de son H ? Par ailleurs l’oubli de sa propre
H n’est-elle pas, parfois, un mal nécessaire ? De nouveaux
intervenants évoquent la possibilité soit d’une
causalité psychologique, soit d’une causalité
biochimique. Il est possible qu’il y aitdes déterministes
mais une question reste entière, y a-t-il un espace pour la
liberté ? Un nouvel intervenant propose un changement
de paradigme, le point de vue orientaliste n’aborde pas la ligne du
temps comme un espace linéaire mais comme un espace
en boucle, de ce fait la répétition n’est plus
considérée comme un enfermement dans de l’identique,
mais comme un passage vers du nouveau "unéternel
retour". Cette remarque souligne qu’une question peut
changer de sens selon le type de catégorisation auquel elle
est soumise.
En
conclusion, il n’a pas semblé qu’il soit plus facile de
tirer des leçons de l’histoire pourl’individu
que pour le collectif. Pourtant, en apparence cela aurait dû
être plus aisé au niveau de l’individu. Mais, nous
serions enfermés dans des déterminismes aux causes
internes/externes. Alors, la question est de savoir comment dépasser
les déterminismes qui nous conditionnent ? Probablement, cette
quête nous entraîne à rechercher la vérité
davantage dans le passé que dansl’avenir. Ce chemin
fait, cela demande alors de la volonté, car pour
dépasser les déterminismes il faut reconquérir
sa vérité contre les oppositions et/ou
oppressions de la société.
L’individualisme :
épanouissement ou piège sociétal ?
04/03/99
(Café philo n°26, compte rendu fait par Alain)
Une
quarantaine de personnes étaient présentes au « 1000
et 1 Notes » pour débattre du premier sujet et un
peu plus d’une cinquantaine pour le second café-philo.
Lors des deux discussions un peu moins de la moitié des
personnes prendront la parole à tour de rôle. Michel
rappelle les règles usuelles : demander la paroleà
Marie-Jo qui distribue les tours de paroles ; tout nouvel
intervenant est prioritaire ; chacun est invité à
respecter l’opinion des autres ; les interventions sont
priées d’être brèves et concises autant que
faire se peut. Le rôle de Michel est de re-formuler les
interventions pour favoriser au mieux la discussion, celui de Martine
est d’intervenir une première fois pour souligner
l’avancéede la problématique puis en fin de
discussion pour proposer une synthèse en guise de conclusion.
L’individualisme :
épanouissement ou piège ?
Nos
sociétés modernes se caractérisent par
l’émancipation de l’individu et sa
représentation comme sujet autonome. Certes, l’individualisme
total reste encore limité par un ensemble de normes telles
que l’état, la famille, l’école , les
religions … mais, l’irruption de l’individu en
tant que problème est un phénomène desociété
nouveau. Les premières interventions font l’écho
d’un constat : l’accroissement de l’individualisme
s’accompagne de celui de l’angoisse et de la solitude.
Quelle définition peut-on donner au mot individu ?
La définition change selon qu’il s’agit du
Socialisme, du Libéralisme ou du Socio-libéralisme
keynésien. A l’approcheéconomico-politique font
suites des approches psychologiques (l’individualisme
besoin social ou inné ?), des approches sociologiques
(l’individu est-il celui qui adhère à un
schéma collectif ou bien celui qui est seul hors d’un
groupe ?). Il semble que la société valorise
l’individu
au détriment du collectif. Mais le paradoxe c’est que
l’individu a besoin du lien social pour devenir un
individu et pour être défendu. Il doit se
préserver de la société, échapper à
ses contraintes, mais pourtant c’est la société
qui lui permet de s’émanciper d’elle-même ?
Un nouveau terme fait avancer la discussion : laLiberté.
Comment peut-on concilier la Liberté et l’individualisme ?
L’individualisme
conduit-il à
l’égoïsme et au chaos de la société
comme le prétendent certains ? Ou proposition inverse,
l’individualisme
est-il comme le prétendent les anarchistes un oméga,
i.e. l’aboutissement du respect de soi et de l’autre.
Selon eux, la société s’auto-organise, raison
pour laquelle ils rejettent l’idée de l’état
comme modèle d’organisation de la société.
Pour
conclure, deux pistes paraissent s’être dessinées
au fil de la discussion. La première va de la société
à l’individu, cette approche s’appuie sur
des définitions d’organisations politiques pour
maximiser le bonheur des individus. La seconde vade
l’individu
à la société, cette approche repose sur la
responsabilité de l’individu comme fondateur de
la société ; de ce fait l’individu
doit prendre conscience de ce qu’il est par rapport à
lui-même et de ce qu’il est par rapport aux autres.
Pourquoi
vouloir rester jeune ?
26/04/99
(Café philon°27, compte rendu fait par Alain
Notre
société contemporaine a un impact exceptionnel sur les
gens, grâce aux média et notamment à l’image.
Rester jeune semble être un impératif, une
injonction, un conditionnementpublicitaire. Notre rapport au temps
change, faut-il admettre qu’on est ce que l’on est ou
s’insurger contre la vieillesse ?
Pour certains intervenants, rester jeune renvoie à
un problème de valeur. Dans les sociétés où
la mort n’est pas refoulée la vieillesse incarne
la sagesse c’est-à-dire unétat désirable,
un rapprochement vers les ancêtres fondateurs. Dans les
sociétés modernes où l’idée de mort
n’est plus intégrée mais exclue, la vieillesse
devient alors un état indésirable. Pour d’autres
participants également c’est la résistance à
la mort qui induit l’idée de vouloir rester jeune.
Le questionnement rebondit sur le fait desavoir si l’on veut
rester jeune « pour soi » ou par rapport
à « l’autre » ? Dans cette
affaire quel est le rôle joué par le regard de
« l’autre », n’est-ce pas pour cela
que le monde de l’image, comme reflet du regard de « l’autre »,
a une si grande importance ?
Pour
conclure, au delà d’une première définition
liée à la santé et à la souffrance, deux
points de vue seront opposés durant la discussion pour tenter
d’expliquer le désir de vouloir rester jeune. En
premier lieu, il s’agirait de lutter contre levieillissement
synonyme d’un préjugé social qui désigne
la vieillesse comme celui ou celle qui n’appartient plus
au monde du créatif. Comment faire alors pour celui ou celle
qui veut prouver à « l’autre »
qu’intérieurement il ou elle est resté(e)
jeune ?
N’est-ce pas, peut-être, par la médiationdu
paraître extérieur ? En second lieu, il s’agirait
de la façon dont on interroge le problème. S’adresser
au monde scientifique, c’est demander des solutions d’ordre
quantitatif. En effet, la philosophie raisonne sur le plan du
qualitatif, la science sur le plan du quantitatif. Interroger la
science pour réfléchir à la question du
« comment faut-il vivre ? »,
n’est-ce pas tout simplement, se tromper d’interlocuteur ?
Le
café philosophique comme espacepublic ?
20/09/99
(Café philo n°30 , cpt rendu fait par Alain)
Pour
ce début de 4e année, le lundi 20 septembre
1999 lecafé philo étrenne provisoirement un quatrième
lieu, le bar de la Cascade : après le Bounty, L’S en
ciel, le 1000 et une notes. Une trentaine de participants se sont
rejoints pour cette 30e séance consacrée à
quelques réflexions sur la pratique sociale d’un tel
dispositif. Michel rappelle le phénomène "café
philo". "Il s’en est créé environ 150en
France, mais ce mouvement fait tache d’huile dans d’autres pays
(Belgique, Canada…). Lieu semi-public, semi Agora,
prolongement des Cafés des Lumières. Mais chaque café
philo est différent tout en restant dépositaire d’un
quelque chose de commun à tous. Qu’est-ce qui rend dans ces
lieux une écoute possible ? L’Antiquité nous a fait
connaître les dialogues socratiques, la rhétorique des
sophistes. Le Moyen Agefut célèbre pour ses disputes
telles que la controverse de Valladolid. Est-ce que le café
philo propose un nouveau style ? En général on y évite
l’épanchement narcissique, les déversements d’ordre
psychologique, le terrorisme intellectuel (la doxa, i.e. la culture
allusive supposée connue), on ne cherche pas à faire
des citations, on tente comme on le peut d’expliquer et de justifier
ce que l’on avance auxautres."
On
n’est pas de trop pour chercher un sens à la Vérité.
Un
premier intervenant s’interroge pour savoir si l’on parle pourne
rien dire, à cela un autre lui répond qu’en étant
citoyen, on a besoin d’un espace public, peut être faudrait-il
réfléchir en quoi cet espace développe la
citoyenneté ? De nouveaux participants s’interrogent : "Est-on
forcément conscient d’être citoyen lorsqu’on discute ?"
Une autre personne dira "Si on ne polémique pas dans
un café philo alors pourquoi allons-nous dans cetype
d’endroit ?" De nouveaux intervenants s’interrogent pour
savoir si on vient dans un café philo avec un esprit
contemplatif afin de relativiser la vie quotidienne, et en ce sens se
faire un peu de bien. Ou vient-on ici pour donner du sens à
des problèmes que l’on peut se poser actuellement ? Pour une
nouvelle personne il y a, selon elle, une volonté de
communiquer même si les points de vue de chacun sont
différents. Une autre faitpart de son enrichissement
personnel, "Ici on réfléchit avant de parler et
l’on réfléchit avec ce que disent les autres, c’est un
lieu d’écoute, un espace de tolérance." Une
nouvelle personne qui a préparé par écrit son
intervention dit "on n’est pas là ici pour dire
n’importe quoi, il y a une exigence de pensée, une
délibération pour obtenir un peu devérité
et l’on n’est pas de trop pour pratiquer ce projet."
Cependant, un nouvel intervenant apporte un point de vue critique, en
effet le renouvellement des participants n’est pas élevé,
on y retrouve peu ou prou les mêmes personnes.
On
recherche laVérité et l’on rencontre des vérités
La
discussion rebondit sur la portée de l’action de penser. Dans
un café philo, on ne cherche pas à agir ou à
s’engager, on met entre parenthèses l’action. Pour une
intervenante, "L’idée c’est quelque chose de non
concret donc qui estéloignée de l’engagement".
Selon une autre personne, "On parle quand même en son
nom, on s’expose et de ce fait on risque sa propre pensée ce
qui est déjà beaucoup." Plusieurs intervenants
rappellent qu’en réfléchissant au sens de la vérité,
on rencontre les points de vue des autres et que cela modifie souvent
nos propres opinions. Mais un intervenant doute que la pratique
collective de laconfrontation des opinions suffise pour fabriquer de
la vérité, l’évidence lui paraîtrait que
la vérité découle plutôt d’une pratique
individuelle. Ce à quoi un autre intervenant rétorque
que la vérité est un concept qu’il est bon d’aborder à
la manière des grecs, i.e. en posant la question de ce qu’est
une société juste. Ce type de débat montrait
qu’il y avait autre choseque du désaccord, au-delà de
la subjectivité de chacun il y avait des points de convergence
qui dépassait la simple juxtaposition des points de vue
subjectifs des uns et des autres.
On
recherche des vérités et l’on trouve unefaçon
d’être
Plusieurs
participants poursuivent ce débat entre vérité
émanant du "Je", du "Je empirique", du "Je
universel", mais au-delà se dessine un nouveau point de
fuite : comment reçoit-on la pensée d’autrui ? Que
fait-on de la parole de celui qui nous estétranger ? Pour
plusieurs intervenants ce n’est pas tant la rigueur de
l’argumentation qui leur parait importante mais le fait de devenir
plus tolérant vis-à-vis de l’autre et par la suite
vis-à-vis de leur entourage immédiat. Il y aurait un
aspect pragmatique qui ferait que l’on change dans son être.
On
cherche à formuler et on trouve le reformulateur.
Un
intervenant demande si le café philo produit une pensée
collective. Cette question relance la discussion abordée juste
précédemment : opposition entre ce qui relève du
singulier et du collectif. Un intervenant note quequiconque entre
dans un café philo est a priori apte à discuter. Mais
certains rappellent l’éternelle barrière du vocabulaire
et de la langue, la sempiternelle difficulté qui se dresse
entre ce que je pense et ce que j’exprime. Certains s’interrogent
pour savoir comment il est possible de communiquer clairement ce que
l’on a dans la tête. Comment favoriser l’élaboration de
la parole philosophique dans cet espace public ? Une personne dit"je
ne peux savoir ce que je pense que dans la mesure où je le dis
à quelqu’un qui m’écoute." Un intervenant
souligne qu’au-delà de la capacité d’être soi,
i.e. d’être reconnu dans sa parole, "Le rôle de
l’animateur en reformulant favorise sa compréhension et sa
prise de parole." Pour une autre personne "La
reformulation crée une mise à distance. Elle fait
passer le"Je" singulier vers quelque chose de plus
général, parfois de plus haut comme si c’était
un autre soi qui s’exprimait, mais tout en restant soi-même."
Pour un autre intervenant, le reformulateur court-circuite la
polémique en cassant le rythme de la discussion et en
infléchissant sans cesse l’écoute par rapport à
l’affirmation, i.e. l’intersubjectivité au détriment de
lasubjectivité.
Pour
conclure : la parole philosophique serait celle qui s’expose dans
tous les sens et qui s’exprimerait en pleine lumière au regard
de tous, comme cela se passait dans l’Agora des Grecs. Ce serait à
ces conditions de liberté que la parole philosophiquepourrait
vivre et circuler. Aujourd’hui, l’Académisme a enfermé
la philosophie dans le jargon de l’histoire de la philosophie. La
philosophie n’est plus souvent qu’un savoir d’experts, un pensum ou
des connaissances scolaires. Elle ne répond plus aux problèmes
que se posent les hommes de notre époque. Il semblerait
qu’elle ait glissé son ironie entre deux verres dans les cafés
philo. Le café philo est un lieu où lapensée
s’expose et expose l’intervenant qui prend le risque de parler. Mais
le dispositif du café philo, du moins le nôtre, favorise
l’écoute de l’autre, la confiance, la tolérance
entraînant ainsi les conditions suffisantes pour que chaque
intervenant puisse prendre des risques sans trop de risque.
C’est à la fois la grandeur et la limite que le café
philo propose à la parole philosophique.
Pourquoi
la Guerre ?
25/10/99
(Caféphilo n°31 , compte rendu fait par Alain)
Michel
introduit le sujet : les historiens ont recensé plus de 8000
traités de paix, peut-on en conclure que la guerre soit une
fatalité ou un problème de société ?
Bruno, introduit à la suite cetteproblématique en
soulignant la pluralité des causes : est-ce la cause des
militaires, des gouvernants, des révolutions, des croisades,
du rejet de l’autre ou bien est-ce que la guerre aurait une fonction
invisible en désignant et nommant un adversaire ? la guerre
jouerait-elle le rôle d’une forme moderne du sacré dans
le but de ressouder une communauté sur le point de se déliter
ou d’imploser ?
La
guerre, un inventaire de causes
Les
premières personnes qui interviennent définissent la
Guerre comme un conflit entre Etats. Il conviendrait donc de
distinguer, une majeure : leconflit armé entre pays avec le
conflit entre individus. Donc, serait guerre ce qui implique des
groupes organisés. Mais un problème se pose,
qu’advient-il des nations qui ne sont pas officiellement reconnues ?
Où classe-t-on les conflits qui sont commandités par
des mains invisibles ?
Pour
un nouvel intervenant, la guerre serait leprolongement de la
diplomatie lorsque la négociation n’a pas abouti, la guerre
serait due à la politique. Pour une autre personne, la cause
viendrait de la surpopulation, la guerre jouerait un rôle de
régulation, une sorte de malthusianisme, ici la cause serait
due à la démographie. Un intervenant fait remarquer que
la guerre est toujours le fait du plus fort, ce serait le goût
du pouvoir, le goût de prédateur qui l’emporterait :la
guerre comme une donnée psychologique. Une nouvelle
intervenante, fait allusion au comportement du monde animal où
la défense d’un territoire ou le contrôle d’un cheptel
par un mâle entraîne combat et même chez certains
insectes comme les fourmis de véritables guerres. Ainsi, la
guerre aurait des causes biologiques. Pour une autre personne, la
population augmente selon une progression arithmétique et les
richesses selon unprogression géométrique (i.e. plus
vite), les guerres pourraient s’expliquer par une mauvaise
distribution des richesses plutôt que par leur rareté.
En
conclusion de cette première partie, il y aurait une
pluralité de causes, apparemment on a rejetél’idée
qu’une seule cause puisse définir pourquoi les hommes se font
la guerre. Si la cause était la surpopulation ou le
déséquilibre des richesses, alors la guerre serait un
problème de société gérable par des
institutions supra nationales comme l’ONU. Dans ce cas, on pourrait
trouver des solutions. Dans le cas où c’est un fonctionnement
biologique qui pousse l’homme vers la guerre alors celle-ci se
présentecomme une fatalité. Des questions sont restées
en suspens : la guerre est-elle un débouché économique
? Est-elle une sortie de crise ? Est-ce une issue liée à
une politique de dictateur ? Les valeurs de chaque société
concourent également à entretenir ce feu guerrier, par
l’histoire, les commémorations … Valéry disait
que la mémoire est un produit dangereux. La fin de la
discussionsoulignera l’apparition d’un nouveau concept de la guerre
dans les pays occidentaux : la guerre propre. Après le concept
de guerre froide, où 2 super puissances utilisaient la
médiation de pays tiers pour s’opposer, aujourd’hui c’est la
guerre sans mort pour un camp par le biais d’une haute technologie,
et des dégâts énormes en matériels et vies
humaines dans l’autre camp.
Comment
la Paix ?
15/11/99
(Café philo n°32 , compte rendu fait parAlain)
Si
pour expliquer la guerre, on a pu faire un inventaire de plusieurs
causes non contradictoires entre elles, la question est de savoir si
l’on peut concevoir la Paix. Les moments de Paix
sont-ils des instants provisoires entre deux guerres, des équilibres
en faveur duplus fort, la pax romana ; ou bien faut-il voir
du côté de la justice ?
Une
première intervention pose la Paix comme une
conséquence d’un rapport de forces, par exemple l’armistice
qui suit la guerre de 14/18, mais peut-il y avoir une Paix sans
vainqueurs niperdants ? Un nouvel intervenant interroge la
définition du mot Paix, sa réponse est la
suivante "si la Paix c’est ce que nous venons de définir,
alors faisons le procès de la Paix". Quel serait le
contenu du concept de Paix ? Selon Kant, la Paix promouvait
une forme de rationalité, il défendait la thèse
qu’une délibération démocratique pouvait devenir
compatible et mettred’accord des parties opposées. Ce
philosophe dégageait le possible à partir d’une volonté
des hommes, comme le rappelle un intervenant "Quand je vis je
n’empêche pas les autres de vivre." La discussion met
à jour deux idées : d’un côté la Paix
suite logique d’un rapport de force c’est un constat historique ;
de l’autre la Paix comme une volonté librementdécidée
Mais
la discussion rebondit, sur les causes de la guerre. Pour plusieurs
participants il y a peu de Kant dans l’esprit ou dans le cœur
de l’homme et beaucoup d’agressivité. Est-ce que la culture
des commémorations, une part de l’éducation
n’entretiennent pas cegoût de l’agressivité ? Une
personne s’interroge à savoir si les hommes sont plus heureux
dans la Paix ? De nouveaux intervenants soulignent que le
déséquilibre des richesses dans leurs redistributions
au plan mondial est une poudrière. La culture canaliserait de
façon invisible l’agressivité des hommes pour défendre
ce déséquilibre. Face à cette approche
culturaliste régie par des loisnaturelles d’autres
intervenants opposent une approche où la culture pourrait nous
sortir de ce cycle infernal.
Un
nouvel intervenant introduit une autre question : comment la Paix
peut-elle franchir l’obstacle de l’irrationnel des foules. Ces
nouveaux aspects, agressivité ou irrationnel nous interrogent
pour comprendre : peut-on chercher unealternative ? Peut-on
canaliser ces forces irrationnelles ? L’irrationnel d’une foule peut
se décharger selon une orientation positive ou négative
(un soutien pour la Paix ou un pogrom …). Selon un
intervenant la gestion des conflits et la Paix ne peut être
définie de façon négative, il existe des rituels
symboliques. Ainsi les Olympiades inventées par les Grecs,
arrêtaient la Guerre et rompaient le cycle duconflit
mimétique. La Paix ne serait-elle donc pas le fait de
trouver un symbole commun. Un intervenant rappelle que le monothéisme
était une construction symbolique rompant ce cycle, car malgré
nos différences nous restons tous à l’image de Dieu et
c’est grâce à ça que l’on peut reconnaître
l’altérité.
En
fin de discussion, deux idées s’imposent : pour les uns, il
faut un cadre symbolique pour arrêter la spirale de la violence
et la sublimer ; pour les autres il faut une organisation
internationale qui ait les moyens de régler ou réguler
efficacement les conflits dans le monde.
Faut-il
avoir peur de l’an 2000 ?
6/12/99
(Café philo n° 33, compte rendu fait par Alain)
Pour
s’interroger si la peur de l’an 2000 était fondée,
une trentaine de personnes s’était donné rendez-vous au
restaurant Avenue 21. Michel introduit le sujet. « L’esprit
scientifique a peu à peu extrait le questionnement hors de la
métaphysique : des Lumières jusqu’au positivisme
d’Auguste Comte, le progrès scientifiquedevait entraîner
le progrès économique puis social et enfin culturel. Le
marxisme s’est intéressé au "royaume d’ici-bas".
Mais, le 20e siècle connut deux guerres mondiales
et 2 totalitarismes, et l’on fit le constat que la culture ne
nous protégeait pas de la barbarie. Par ailleurs, la science
n’est pas uniquement source de bonheur, elle a souvent deux faces
comme le nucléaire. Le principe de la raisonprésente
donc une limite dans son pouvoir de connaître. De nouveaux
problèmes doivent être surmontés,
l’environnement, le nucléaire, la mondialisation, les
délocalisations, annonçant ainsi ce qu’écrivait
P Valéry (L’avenir n’est plus ce qu’il était).
L’avenir est de plus en plus une source d’angoisse et d’incertitude.
Les peurs de l’an 2000 sont-elles fondées, ou est-ce la
résurgence de peursarchaïques ? »
Peur
et angoisse
Pour
un premier intervenant, la peur est relative au mythe du chiffre deux
fois mille. C’est la référencechrétienne
qui nous situe en l’an 2000, d’autres types de
civilisation situent notre année à une autre datation.
Pour une autre personne l’angoisse a toujours été
recyclée par des religions telles que celles des
millénaristes. Un autre dit qu’il faut avant tout
démystifier des peurs aussi futiles que celle de l’an
2000. Une autre personne affirme que notre imaginaire pourrait agir
comme un pouvoircréatif. Un nouvel intervenant pense que la
peur de l’an 2000 serait due à une cause psychologique
et biologique. Hier l’homme avait peur de ce qu’il ne
connaissait pas (les éclipses, la foudre…).
Aujourd’hui, l’homme est effrayé par ce qu’il
ne connaît pas, l’économie, la politique. Il y
aurait une distinction entre la peur et l’angoisse où
l’angoisse est une peur sans objet. Cequi angoisserait l’homme
c’est l’avenir.
Angoisse
de l’avenir
Un
intervenant évoque une crise des valeurs due à la
mondialisation. Leseffets pervers de la mondialisation auraient pour
conséquences le repli vers des niches nationales ou régionales
qui va à l’encontre des idées universelles telles
que les Droits de l’homme. Pour une autre personne, nous
aurions peur de nous retrouver face à nous-même :
« l’homme est-il mûr pour affronter à
la fois une angoisse existentielle alors que dans le même temps
les utopies tendentà disparaître ? ».
Un autre intervenant pense que le 20e siècle s’est
terminé en 1989. Il y a de nouveaux défis qui peuvent
être relevés comme l’ont démontré
les ONG qui ont provoqué le « bogue » de
la rencontre de Seattle. La rencontre qui voulait organiser la
mondialisation hors du cadre démocratiquey a été
dénoncée. Ainsi, des prises de conscience restent
possibles et de nouveaux grains de sable peuvent enrayer la
mondialisation. Ainsi, on redécouvre qu’au travers des
nouveaux problèmes posés par le monde de l’économie,
l’homme est de plus en plus renvoyé à lui-même.
Il faut donc assumer sa propre prise en charge avec son angoisse
existentielle et assumer son engagement politique pourcomprendre le
monde.
Crise
des valeurs
Un
nouvel intervenant remarque la perte de sens dans le monde. Une forme
de déshumanisation induite par le fait que le monde desobjets
tendrait à être plus valorisant que celui des personnes.
Un intervenant dit que nous n’avons plus d’espoir de
trouver toutes les réponses dans les sciences. Le positivisme
avait la prétention d’apporter des réponses.
Actuellement, la science fait l’inverse, elle est plus porteuse
de questions que de réponses. Selon un autre intervenant, nous
manquerions de phares, i.e. d’intellectuels engagéspour
montrer la voie. Une autre personne rejette ce point de vue. Pour
elle, l’angoisse ne viendrait pas du fait de l’absence de
philosophe existentiel tel que Sartre, mais du fait qu’on ne
cherche pas la vérité car on ne cherche pas ce que l’on
sait. Quand on parle de crise du sens pourquoi vouloir à tout
prix rejeter le paradigme judéo-chrétien. Celui-ci
incite l’homme à construire son sens par luimême :
« cherchez et vous trouverez »,
ce qui est le contraire de la position sartrienne. Il conviendrait
alors de se gérer soi-même sur un fond d’angoisse
gnostique ou agnostique. Michel rappelle que la crise du sens
pourrait être celle de la mort de Dieu, i.e. mort de
l’hypothèse de la transcendance. Ainsi, en dehors de
toute alternative collective,l’homme aurait-il la capacité
de se prendre en charge ?
Peur
et angoisse des nouvelles sciences
Un
intervenant souligne que nous voulons de plus en plus lerisque zéro,
i.e. une hyper réponse. Est-ce une peur culturelle ou une
angoisse ? Un nouvel intervenant note qu’actuellement
l’homme en manipulant le génome, touche ce qui définit
l’homme. Sait-il maîtriser cette nouvelle technique qui
est liée à l’éthique car elle remet
l’homme en cause dans son essence même. Nous ne serions
plus simplement angoissés par la peur du vide (la mort),nous
serions en train d’exprimer une angoisse identitaire : qui
repose sur le qui suis-je (moi génome humain).
En
guise de conclusion
Martine
résumera cettediscussion en rappelant que nous avons plutôt
cherché à définir des conséquences liées
à la crise des valeurs et du sens et moins à en
chercher les causes. Mais, chemin faisant nous sommes rapprochés
des causes qui pourraient expliquer les peurs de l’an 2000.
Celles-ci ne seraient pas uniquement liées aux incertitudes du
moment, mais inscrites au cœur même de la philosophie.
Aujourd’hui,l’homme assumerait difficilement le fait de
philosopher par soi-même ce qui entraînerait une source
d’angoisse. Des philosophes aussi différents que
Kierkegaard ou Sartre ont déjà démontré
que l’angoisse est un fondement de notre liberté.
Comment l’homme pourra-t-il se réaliser face à
lui-même au travers du progrès humain le plus abouti, la
génétique ? Pour lespositivistes comme Auguste
Comte il fallait « savoir pour prévoir et
prévoir pour agir »,
or actuellement on ne peut pas prévoir devant l’inconnu.
La question reste ouverte, l’homme va-t-il faire le bien ou le
mal ? Pourra-t-il s’imposer des limites face à la
plus grande liberté qu’il ait jamais connue : la
transformation de sonespèce ?
Dire
la vérité
philo n° 34, compte rendu fait par Alain)
60
personnes s’étaient réunies au restaurant Avenue
21. Le café philo débute par une saynète jouée
par Martine qui évoque le sujet du jour :la vérité
sous l’éclairage de la morale et de l’éthique.
Dire la vérité est-ce un rapport au discours ou
un rapport au réel ?
Vérité :
absolue, relative et construite
premières interventions mettent en relation l’immanence
de l’être et la vérité absolue ou
révélée, malgré l’instabilité
de l’être. Elle permet de donner un sens, une perspective
qui met en mouvement l’individu face à une quête.
Cette première rechercheécarte le mensonge et tente de
définir la vérité comme un objet de
réflexion même si la définition de cette notion
est difficile à trouver et même si les définitions
ne sont pas suffisamment satisfaisantes.
Cette
difficulté amène de nouveaux intervenants à
mettre en rapport lavérité avec la réalité :
« pourquoi cherche-t-on à connaître le
réel ? ». Cette nouvelle interrogation
entraîne de nouvelles questions : « quand on
juge le vrai et le faux, avons-nous tous la même perception du
réel ? ».
Autrement dit, notre rapport au réel est-il universelou
singulier ? Le débat s’anime et de nombreux
intervenants soulignent ou affirment l’aspect relatif et
subjectif de la perception, ce qui limiterait l’approche d’une
vérité universelle. Certains participants notent
que la science a renoncé à l’idée d’une
vérité unique, elle avance des vérités
modestes et limitées.
nouveaux intervenants avancent une troisième thèse.
Entre la quête d’une vérité unique
qui était la quête des grecs, il y a celle des modernes
fondée sur la science, i.e. l’argumentation la preuve.
Cette approche s’oppose à l’opinion (la doxa),
on peut donc fonder le discours sur desparcelles de vérité
Mais
en renonçant à ce qui est absolu et subjectif une autre
quête du sens apparaît, un autre rapport à la
vérité peut être recherché en
empruntant des voies autres que la science. Par exemple, un rapport
entre vérité et art (peinture,musique,
poésie…), pour tenter de dévoiler une autre
forme de vérité.
Vérité,
discours, mensonge et réalité
La
seconde partie de la séance souligne le rapport entre le
langage et la logique (Wittgenstein, Austin). Selon un intervenant,
ces auteurs ont montré qu’un énoncé a du
sens lorsqu’il représente l’existence ou la
non-existence d’une chose. Ainsi, une proposition élémentaire
est composée de noms qui ont pour référence des
objets et leur liaison. Les choses sont reliées parune
relation, et ce sont ces relations qui forment la structure logique
du monde et définissent la rencontre entre le langage et le
monde. Austin a étudié les fonctions du langage qu’il
appelle « performatif » lorsque les mots
accompagnent ou impliquent une action (ex.. : le langage
juridique). Ainsi, le réel peut se fonder sur le discours qui
l’énonce.
Une
nouvelle intervenante pense que la recherche de la vérité
amplifie le besoin de parler et que l’inflation du discours
entraîne du mensonge ou du malentendu. Pour une autre personne,
la quête du sens a changé dans le temps, au « connais
toi toi-même » a succédé la vérité
des Lumières qui prétendaitl’existence d’une
vérité absolue, synonyme de danger puisqu’elle
exclut les autres. La discussion s’enchaîne donc sur le
rapport entre vérité et l’autre. « Sur
quoi peut-on fonder cette vérité sur un rapport à
soi, sur un rapport à l’autre ? »
Quelssont les critères de certitudes, l’intime
conviction, l’introspection, l’intuition ? La
solution scientifique avance des vérités
démontrables et vérifiables, mais qui sont modestes.
Une question reste ouverte comment « Je » peut
être le critique de « Nous », quelle
éthique faisons-nous lorsque nous nous interrogeons à
propos du sens de lavérité ?
Toute
vérité est-elle bonne à dire ?
(Café philo n°35, compte rendu fait par Alain)
50
personnes sont réunies au restaurant Avenue 21. Le café
philo débute par une chanson de GuyBéart qui est
interprétée par Bruno : le poète a dit
la vérité, il doit être exécuté.
En suite, Jean conte une métaphore où mensonge et
vérité prennent les traits d’une vieille femme.
Enfin, Michel introduit la discussion : « Il est
souvent difficile de dire ou de partager la vérité
comme l’illustre les présentations de Bruno et deJean.
Il y a donc un problème d’éthique. En premier
lieu, est-on capable de se dire la vérité ? En
second lieu, toute vérité est-elle bonne à
dire ? »
Vérité
et Bonheur
intervenant rappelle que le misanthrope de Molière est celui
qui au nom d’un principe de vérité se
coupe de la société. Qu’est-ce qui fonde la
certitude de certains pour prétendre avoir raison contre tous
les autres ? N’est-il pas préférable
d’admettre qu’il n’existe pas une vérité
mais une multitude devérités. Un nouvel
intervenant se demande si le médecin doit tout dire à
son patient ? Ce à quoi une autre personne rajoute que
l’on peut cacher la vérité pour faire le
bonheur de quelqu’un ou par amour. Un nouvel intervenant
indique que l’idée de vérité était
pour Platon, attachée à celle du Bien. Or,
lorsqu’on parle debonheur en se référant
peu ou prou au bouddhisme on propose un autre type de problématique.
Une anecdote raconte que Bouddha donnait raison à deux vérités
contradictoires, en donnant raison à un disciple déiste
et un autre qui était athée. La raison en était
que Bouddha ne cherchait pas la quête de la vérité
mais celle du bonheur.
Vérité,
mensonge ou devoir
Un
intervenant pense qu’essayer de dire la vérité
ou mentir procède d’une volonté d’agir sur
l’autre,donc renvoie à nos intentions. Un autre
intervenant dit qu’il y a un conditionnement dû à
l’éducation, ainsi la politesse en tant que rapport à
l’autre serait une forme de largesse, vis-à-vis de la
vérité. La politesse en entraînant un
rapport à l’autre relativiserait du même coup le
rapport à la Vérité. Pour un nouvel intervenant,
le rapportVérité/Mensonge n’est pas jouable, il
faudrait comme l’écrivait Nietzsche passer au-delà
et s’interroger à la question de savoir pourquoi on
prétend que la Vérité est bonne à dire.
Cet intervenant poursuit en disant que si la vérité
est un présupposé ou cul-de-sac, n’est-ce pas
alors prétentieux de penser que c’est Bien que l’on
connaisse laVérité ?
De
nouvelles interventions font part d’expériences
personnelles où la recherche de vérité
impliquait que toute décision prise par un groupe le fût
à l’unanimité. La conséquence était
de paralyser l’action, car il est rare qu’il yait
unanimité. Cet exemple pose cependant la question du choix en
démocratie. La nature de la vérité de la
démocratie n’est-elle pas de donner à chacun la
possibilité d’exprimer son opinion même si
celui-ci s’oppose à tous les autres ? Suit une
nouvelle question : quel est le rapport entre le bien et le
juste ? La justice dit le droit et non lavérité
En
Conclusion, on a souligné les réserves dans le lien
entre Vérité et Bien, mais n’oublions pas ce que
disait Kant :c’est le devoir qui libère l’homme
de la détermination des contingences empiriques. Ainsi,le
devoir oblige le vouloir et l’agir de l’homme à
tenir compte des lois morales issues de la raison. Admettre
l’idée qu’il y ait un effet de la vérité
sur l’autre cela supposerait qu’on ait une vérité
ou une part de vérité. Mais quel est le sens de
« on »dans la question : doit-on dire
la vérité ? Si« on »
est le sujet « Je » cela impliquera des
rapports de force : prendre la parole, maîtriser le
langage, avoir un rapport vis-à-vis de la morale… Pour
dire la vérité il faut que chaque individu soit
porteur d’une vérité ou d’une partie
de celle-ci. Chaque individu devra alors habiter et incarner « ce
dire lavérité »,
et cela avec courage sous le regard des autres.
Peut-on
rire de tout ?
14/02/00
(Café philo n° 36, compte rendu fait par Alain)
Nous
étions ce soir une quarantaine de personnes à débattre
de ce sujet. Michel présente la question en soulignant en fait
la gravité derrière le rire. Le rire est une qualité
humaine, les animaux ont peut-être des émotions, mais ça
ne se voit pas. Or si le rire est le propre de l’homme,ce qui
lui permet de se décaler/décoller du réel
peut-on rire de tout et avec n’importe qui ?
Trois
approches du rire : physiologique, psychologique et sociologique
Une
première intervenante pose le problème de la décence.
Pour un nouvel intervenant il s’agit plutôt d’un
problème d’émission/réception, cette
personne renverse la question de départ et demande « si
on peut recevoir tout rire ? »
car pour rire il fautdécoder ce qui a été émis
avant d’en rire, celui qui rit il sait pourquoi il rit. Un
nouvel intervenant note qu’il a différents degrés
de rire : rire léger spirituel et rire lourd ce qui
supposerait qu’en plus d’interpréter ce que l’on
reçoit il y aurait aussi une façon de rire. En bref, il
y aurait une façon civilisée du rire et une autre qui
le serait moins. Un nouvelintervenant, pose la question de savoir si
le rire est maîtrisable ? N’y aurait-il pas une part
d’instinct dans le rire ? Il nous faudrait donc définir
davantage ce que nous appelons le « rire ». Une
personne intervient et propose une réponse de type
physiologique « le rire comme défoulement »
il nous libérerait du stress, il s’agirait alors d’un
effet bienfaisant, le cerveauétant stimulé par le rire
produirait des hormones du type endomorphines ayant des propriétés
antalgiques. Cela entraînerait une fonction psychologique, où
l’être humain chercherait à reproduire se genre de
stimulation. Un nouvel intervenant se demande si le rire évolue
avec l’âge. Un autre personne répond que selon
elle le rire est corrélé aux émotions, pour elle
les émotionsprennent des formes différentes selon les
individus. Les émotions relèvent le plus souvent de
notre inconscient et donc ne se maîtrisent pas forcément.
Une autre intervenante n’est pas d’accord avec cette
assertion, elle pense que le facteur social canalise les émotions,
ainsi les émotions sont en grande partie déterminées.
Un nouvel intervenant pense que le rire nous échappe et de ce
fait on peut rire detout, il serait comme mécanique, mais la
question qui se poserait alors serait de savoir si on a le droit de
rire de tout ?
Rire,
religion et psychanalyse
Un
nouvelintervenant rappelle, ici, le film « Au nom de la
rose » histoire d’un tome 2 où Aristote
aurait écrit sur le rire. Un moine franciscain (Guillaume de
Baskerville) enquête pour retrouver ce livre caché par
un autre moine pour qui le rire est condamnable parce que la religion
s’exerce sur les hommes par la crainte qu’elle inspire
alors que le rire affranchirait l’homme de cette crainte. Ce à
quoi une personnedemande si le rire libère de tous les
tabous. Un nouvel intervenant, note qu’il faut distinguer
humour et blagues car le premier est souvent construit sur
l’autodérision et le second peut être compulsif
soit avec une intention de moquerie qui vise souvent autre chose. En
fait nous sommes devant une première contradiction car le rire
entraîne quelque chose de positif sur le plan physiologique et
psychologique, en ce sens il exerce une actionlibératoire
mais comme il communique quelque chose il peut y avoir du rire au
détriment de l’Autre. Pour un nouvel intervenant, le
rire est à la fois libérateur et répressif, on
pourrait donc rire de tout mais il y aurait des limites. Les juifs,
peuple martyr, sont les champions du rire « la limite
absolue serait la bêtise et la folie car pour la psychanalyse,
l’homme fou est celui qui n’est plus capable de rirede
lui-même. » Toujours selon cette même
personne, pour questionner le rire il faut s’intéresser
au mot d’esprit. La logique du rêve est opposée à
celle des mots d’esprit. Selon Freud, il faut que le
refoulement soit réussi pour que le rire fonctionne,
c’est-à-dire il faut un travail de sublimation. Tout
pouvoir se construit sur de la terreur et de la crainte. Le rire
vient libérer leshommes de cette entrave, il remet en cause
notre rapport vis à vis de la sexualité et de la mort,
la blague salace a une fonction contraire elle renouvelle le tabou
sur la sexualité. Enfin, le rire sous la forme du mot d’esprit
nous constitue comme être exposé au langage, à la
sexualité et à la mort et en ce sens il nous rend
conscients.
Qu’est-ce
que le bonheur ?
10/04/00
(Café philo n° 37, compte rendu fait par Alain)
Bruno
entame la séance en chantant un texte de Félix Leclerc
« c’est un petit bonheur ». Laurent
introduit le sujet en rappelant que pour Aristote la quête des
hommes c’est la recherche du bonheur, êthicos . Le
monde antique tentait de définir lebonheur, « l’île
des bienheureux » et Platon cherchait à savoir s’il
existait une définition universelle. Le bonheur était
comme un modèle, par leur conduite les Anciens montraient la
voie, on sait que pour Platon cette voie était liée à
la contemplation, mais est-ce que cette voie est toujours de mise
aujourd’hui ou y a-t-il des voies modernes différentes
pouvant conduire aubonheur ?
Bonheur
durable ou éphémère
Pour
un premier intervenant, le bonheur se construit il est individuel. Un
autre intervenant rappelle laréférence des stoïciens
(prônant le courage et la maîtrise face à la mort)
qui s’opposait à la voie épicurienne (la
recherche du plaisir à ne pas confondre avec la jouissance).
Une autre personne rappelle que la littérature montre toujours
le bonheur sous sa forme tragique, c’est-à-dire ce qui
l’entrave. Un nouvel intervenant, pense que le bonheur ne se
construit pas, on l’accueillerait dansl’instant
éphémère. Un autre intervenant s’interroge :
est-ce que le bonheur correspond à une visée
essentielle, a-t-il une portée universelle ou bien
diffère-t-il selon les individus ? Mais comment peut
savoir si on est heureux si on ne sait pas ce qu’est le bonheur
demande une personne. Le bonheur est-ce de la joie une sorte d’état
de grâce ou simplement du bien être ?Plusieurs
participants s’interrogent sur la relation du bonheur avec le
temps : durable ou éphémère ? Pour une
autre personne, le bonheur peut être un état, une
sensation ou un idée. Un intervenant pense que le bonheur
dépend de nous et dure de façon suffisante pour que
nous le mémorisions. Un nouvel intervenant dit que le Bonheur
implique du désir et de ce fait entraîne un manque,car
l’homme est un sujet fini et le désir est infini. Le
bonheur deviendrait alors une sorte de rêve impossible à
atteindre ou à combler. Un intervenant conteste cette idée
de durée, car si le bonheur a pour condition le durable il
serait alors hors de notre atteinte. Cette personne pense plutôt
que le bonheur serait en forme de pointillé, une succession
de moments qui sont d’autant plus forts que l’homme est
unêtre fini.
Un
débat s’engage entre les participants. Pour certains, la
finitude de l’homme rendrait impossible le bonheur qui par
essence est infini. Pour d’autres, la finitude de l’homme
rendrait possible le bonheur car elle oppose bonheur à
malheur, thèse du renversement du malheur en bonheur qui
laisse l’hommelibre de cette transformation, c’est pour
cela que le bonheur serait possible et durable. On rejoint les deux
conceptions du bonheur selon le monde antique. La première
définition serait proche du bonheur défini par les
stoïciens, le bonheur est abordé sous une forme négative
c’est la recherche de l’absence de souffrance. Pour les
seconds, c’est une approche plus proche d’Epicure le
bonheur est certeséphémère mais recouvre des
états stables. Ces deux approches rendent cependant possible
la recherche du bonheur, bonheur positif pour les uns, négatif
pour les autres mais qu’il est possible d’atteindre et de
construire par l’éducation.
A-t-on
besoindu malheur pour éprouver du bonheur ?
Selon
une intervenante la compassion de soi et de l’Autre
impliquerait de se libérer de la contingence, le bonheur ne
serait pas tant lié au malheur mais à l’acceptation
d’une forme de renoncement. Une autre personne pense à
une forme minimaliste, le bonheur estdéjà là
c’est à chacun de le cultiver. Un nouvel intervenant
conteste cette idée du bonheur individuel et s’oppose à
la thèse bouddhiste de l’acceptation, « Comment
peut-on être heureux quand à côté de nous
c’est injuste ? ».
Pour un autre intervenant,bonheur individuel et collectif sont liés
à un contexte, un individu existe quand il appartient à
un groupe, sans le regard de l’Autre un individu serait un
non-sens. Cette seconde partie du débat opposera les
défenseurs d’une approche du bonheur dans son rapport à
l’individu à l’approche du bonheur dans sa
dimension liée au collectif.
En
conclusion, soit on cherche à se transformer soi-même
puis à transformer le monde ; soit on cherche à
imposer une société où le tout imposera à
chaque partie quelque chose d’intolérant. Mais, il est
plus difficile de transformer le monde que de chercher à se
transformersoi-même aussi la quête pour trouver « l’île
des bienheureux » reste encore, terra incognita.
Pourquoi
sehâter ?
29/05/00
(Café philo n° 38 compte rendu fait par Alain)
50
personnes s’étaient réunies au restaurantAvenue
21. Henri présente le thème de la soirée. Notre
civilisation semble nous pousser pour aller plus vite, nous sommes
emportés par quoi ? Souvent il s’agit de quelque
chose qui nous est extérieur. Henri interroge cette
relation au temps : Quel est notre temps ? et pourquoi
cherche-t-on à gagner du temps ? Le rythme imposé
par l’astronomie va à son train, alors quelleest
l’utilité du « hâter » ?
Un vin vieillit selon un rythme biologique ce qui s’oppose au
rythme d’une société mécanique qui impose
ses propres rythmes. Un constat s’impose : la société
économique dicte son temps ce critère économique
est-il suffisant pour fonder un « il faut se hâter ».
À côté de cet aspectquantitatif de la durée,
il y a un aspect qualitatif la pensée est-elle
quantifiable ?
La
société détermine notre rapport au temps
Selon
un intervenant, il y aurait un temps symboliquement différent
entre ville/campagne, l’idée de vitesse et de lenteur
dépendrait de ce point de vue. Pour un autre intervenant, le
monde économique enferme l’homme dans un destin, s’il
veut s’en échapper il peut vouloir se hâter. Une
autre personne dit que la société renvoie des images
positives de la jeunesse et de la vitesse. Une autre intervenantedit
que la société détermine le sujet, elle le
conditionne à aller vite et il y aurait un basculement de
« l’être vers le faire » valorisant
ce qui est quantifiable. S’intéresser à
« l’être » impliquerait la
maturation alors que la logique de « l’avoir »
impliquerait le quantifiable.
« Se
hâter » à cause de notre inconscient
D’autres
personnes interrogent la dimension psychologique. Pour un
intervenant, la vitesse apparaît comme un divertissement
pascalien pours’oublier. Un autre évoque les effets de
la séparation avec la mère. Sensation de manque qui ne
se comblerait jamais, induisant une éternelle immaturité,
le sujet chercherait à remplir ce manque dans la vitesse parce
que cela lui paraît réalisable. Une intervenante pense
que le temps social entrave la temporalité liée à
nos propres émotions, il y aurait un temps personnel,
singulier et un temps socialavec un rythme normatif.
Temps
linéaire et temps cyclique
Un
intervenant aborde différemment la question d’Henri
qu’il classe comme philosophie moraliste,condamnant le « se
dépêcher ». Selon cet intervenant on peut
considérer que la vie est courte et qu’il ne faut pas
perdre de temps, de ce fait il y aurait une urgence d’être
sage, une incitation à « se hâter ».
Pour un autre intervenant, la temporalité du politique (le
court terme) nous embarquerait dans un temps parcellisé et
linéaire. Par contre lorsqu’on chercheraitune finalité
de sens pour donner de la cohérence à un type de
société on recourrait au long terme. Une autre personne
met en relation « se hâter » avec la mort
et avec la brièveté de notre vie. Un autre intervenant
propose deux catégorie pour la notion de temps. La première,
un temps linéaire générateur de progrès,
dans ce cas si on est dans ce rapport au tempspourquoi
s’éviterait-on de se hâter ? Ce serait le
temps démocratique lié à la croyance au progrès
à l’urgence dans le domaine éthique et politique.
La seconde, un temps cyclique avec un paradoxe car plus on veut se
griser dans la vitesse et plus on veut que ça dure. Ce
temps nietzschéen, de la création du fractal du
multiple permettrait l’unification de l’universel etdu
concret. Selon cet intervenant, l’impossibilité de
croiser ces deux temporalités plonge actuellement la
philosophie dans une impasse. Comment croiser l’exigence
démocratique (temps linéaire) et l’exigence
aristocratique (temps cyclique) ?
vitesse et le Sage
Pour
un nouvel intervenant, il y aurait à l’opposé du
temps sablier celui de l’artiste qui expulse ce que l’on
a stratifié, mis en maturation en soi. Pour une nouvelle
intervenante, la question est de savoir pourquoi on cherche à
se projeter dans quelque chose qui nous coupe duprésent. La
recherche de la sagesse serait donc d’harmoniser notre vie dans
le présent et d’adapter son rythme à des
circonstances concrètes, c’est une question de choix car
si l’essentiel est de se hâter alors faisons-le, si
l’important est la maturation alors ne nous hâtons pas.
conclure : on aura vu que la notion de vitesse n’est
pas vraiment une valeur en soi, en effet le fait d’aller vite
pour aller vite souligne l’absurdité de cette
proposition. Pourquoi se hâte-t-on ? Nous avons vu qu’il
y a de nombreux déterminismes : psychologique,
sociologique, économique, symbolique. La sagesse serait de
savoir discerner vitesse etlenteur et de connaître son rythme
afin de maîtriser les effets contingents grâce à
la maîtrise de l’essence du temps. Mais force est de
reconnaître que pour s’approcher de cette sagesse, il
faut chercher longtemps et en aura-t-on le temps ?
ce besoin d’intimité ?
26/06/00
(Café philo n° 39, compte rendu fait par Alain)
Une
cinquantaine de personnes étaient réunies au restaurant
de l’Avenue 21, Chéco fit une présentation
humoristique appréciée. Du périodique du même
nom, passant par quelques romans, puis aux définitions
inventées ou académiques. Etymologiquement ce terme
désigne de domaine du dedans et du poursoi,
mais historiquement cette notion se développe avec le concept
d’individu.
Première
partie
Pour
une intervenante, une forme d’intimité relèverait
de l’éducation. Il y aurait un travail de
reconnaissance de l’image du corps permettant de construire
chez l’enfant une représentation de soi-même. La
pudeur ou l’intimité serait une façon de créer
une limite entre le monde intérieur et le monde extérieur.
Un nouvel intervenant s’interroge pour savoir s’ilpeut y
avoir transparence entre deux personnes. Il s’interroge pour
savoir si l’on peut habiter ce type de relation, car cette
transparence pourrait rendre trouble notre idée entre ce qui
est dedans et dehors. Pour une autre personne, c’est lorsque
qu’il y a coïncidence entre deux sphères
personnelles, lorsque l’intimité de l’autre
nous paraît visible qu’il peut y avoir rencontre. Un
nouvel intervenantpense qu’il ne s’agit pas d’habiter
une relation mais un lieu, l’intimité comme
topique. Il y aurait des lieux où l’individu peut
exercer son intimité, biologique, politique,
sentimentale… La discussion s’anime autour du rapport
« moi/moi, moi/les autres », l’intimité
comme sphère, comme lieu, comme valeur relative selon les
individus, les cultures…bref l’intimité
est définie peu à peu par les participants comme
quelque chose qui est à géométrie variable.
L’intimité est liée au culturel, à
l’éducation, aux valeurs de chaque société,
elle se construit de façon dialectique avec l’autre et
contre l’autre. Un intervenant s’interroge pour savoir si
le moi est séparé radicalementdes Autres. Un
intervenant pense que le concept d’intimité est
un artifice, une invention de la littérature, quelque chose
d’élitiste. Une intervenante note que selon
l’ethnologie, il existe un rapport proxémique défini
culturellement, au-delà de la peau il y a une distance
invisible, pour telle civilisation un écart de quelques
centimètres entre individus est jugé suffisant, pour
d’autresc’est une distance insupportable. Pour une autre
personne, c’est la sexualité qui jouerait le maintien ou
la séparation de cette distance. Un nouvel intervenant cite
Diogène le Cynique4
qui pour démontrer que la sagesse était plusproche de
l’animal que des dieux provoquait sans cesse. Pour ce
philosophe la pudeur ne servait qu’à cacher aux yeux des
autres ce que nous sommes et qui nous constitue. Le fait que nous
soyons mortels, i.e. notre unité originelle et par la suite
comme a écrit Nietzsche ce n’est plus la mort que l’on
cache mais la vie.
Deuxième
Partie
Un
intervenant note l’imaginaire et la forme symbolique liée
à la notion d’intimité. Adam et Eve sont
chassés du Paradis, ils perdent leur innocence et leur nudité.
Cette notion de pêchéoriginel entretiendra l’idée
de culpabilité et de punition, le corps devient alors un objet
plus ou moins tabou qu’il convient de cacher. La mythologie de
Sophocle avec Œdipe et la bible établissent une distance
par rapport au corps, il y a des interdits. Un intervenant
s’interroge pour savoir ce qui est transgressé lorsque
notre intimité nous semble agressée ?
L’animateur, Michel, demande alors sion peut concevoir
l’intimité dans un régime qui n’est pas
démocratique ? Une intervenante note que ce sont les
plus démunis, ceux privés d’espace publique qui
ont le moins voire aucune intimité, par exemple, le
SDF, le soldat, le prisonnier. Ainsi, il apparaîtrait que la
notion d’intimité ne naisse pas uniquement avec
le roman du 19ème siècle, ouqu’elle
soit uniquement le fruit d’une éducation à la
pudeur. Il n’y aurait vraisemblablement pas d’Agora sans
un certain degré d’intimité i.e. une
sphère de liberté propre à chaque individu, à
chaque citoyen. Les sociétés carcérales, les
sociétés fascisantes s’efforcent à rendre
tout sujet transparent, l’intimité
y est pourchassée, éradiquée. Force est
d’admettre que malgré les nombreuses contradictions
constitutives à la notion d’intimité qui
est à la fois : pour soi, avec l’autre, contre
l’autre… L’intimité fait partie du
kaléidoscope humain, parfois trop humain, maislimite
nécessaire pour élaborer les limites de la démocratie.
L’authenticité,
une vertu ? un leurre ?
(Café philo n° 40, compte rendu fait par Alain)
Quarante
participants ont ouvert cette 5ème année de
café-philo. Nicole définit successivement
l’authenticité
certification juridique, glissement vers le marketing, relation à
la vérité. L’authenticité serait
une vertu lorsqu’elle tend vers le bien, un leurre quand elle
tend vers la tromperie. Comment fonder la vérité,
l’authenticité de quelque chose et de façon plus
compliquée comment fonder « sa vérité
profonde » ? Nicoleconclura avec San-Antonio,
« Bérurier dégouline d’authenticité ».
Authenticité
et impossibilité
Les
premiers intervenants pensent qu’il est difficilevoire
impossible d’évoquer un « vérité
profonde » car ce sont les normes qui confirmeraient
l’authenticité. Pour une intervenante, le rapport
authenticité / sincérité appelle une réflexion
éthique, qui est également en dehors de nous.
Authenticité
etsensation
Un
nouvel intervenant apporte une thèse inverse, ce qui importe
serait d’être en conformité avec soi. Une
discussion oppose alors des arguments pour dire que ce sont les
normes qui influencent la certification de ce qui est authentique à
d’autres arguments qui présentent la singularité
du sujet commegarant de l’authenticité « il
faut éprouver en soi une sensation d’authenticité ».
Mais, une autre personne s’interroge « suffit-il
de développer cette singularité pour être
vertueux, car cette sensation peut également être un
leurre ? »
Authenticité
et moi authentique
Un
nouvel intervenant s’interroge si Socrate lui-même était
un être authentique, car la parole de ce philosophe se double
souvent de duplicité. Socrate, cherche-t-il le bien de
l’autre ? Un autre intervenantrépond que la ruse
pédagogique du philosophe ne vise pas seulement à
confondre une personne, les finalités du philosophe
développent un réel souci de recherche de vérité
et d’authenticité. Un nouvel intervenant note que ce
type de raisonnement socratique met en relation l’homme et
l’être, i.e. pose l’authenticité comme
valeur ontologique ce qui suppose que derrière chaque hommese
trouve un déjà-là, un moi authentique. Un
autre intervenant demande si le langage, véhicule de la
pensée, est suffisant pour faire émerger la prise de
conscience chez un sujet qui jusque là était censé
être dans l’erreur, dans l’inauthentique i.e. dans
un rapport faux entre ce qu’il est et son moi authentique ?
et l’Autre
Un
nouvel intervenant se réfère à Heidegger pour
dire que le déjà pensé n’est pas
forcément la première authenticité par rapport à
soi et aux autres. L’authenticités’effectuerait
en dehors de la raison comme rupture entre le logos et la nature. La
discussion verse alors vers la psychanalyse, « un sujet
n’est jamais en adéquation avec lui même car avant
de parler tout sujet est d’abord un sujet parlé ».
Nous serions face au paradoxe suivant : « le
signifié est défini par le signifiant, i.e. quel’homme
avant de rencontrer la parole a déjà été
nommé par la parole ». La proposition faite par la
psychanalyse renverse la proposition socratique car pour parler à
l’autre, pour parler du réel dans lequel l’autre
s’inscrit il faudrait que son réel soit authentique, or
pour la psychanalyse la construction du réel du sujet est un
leurre, « c’est un lieu defiction ».
Authenticité
entre Faire et Dire
Un
nouvel intervenant pense que la notion d’authenticité
implique celle de l’être profond« quand
celui-ci se ressent en accord avec ses actes, quand je suis ce
que je dis, quand il n’y a pas de différence entre ce
que je fais et ce que je dis ».
Plusieurs participants pensent que ce qui fait douter de
l’authenticité chez un individu c’est qu’il
est à la fois authentique sur certains points et
non-authentique sur d’autres. En fait larichesse de l’individu
conjugué au temps font qu’il y a à la fois doute
sur l’authenticité et cohérence.
Pour
conclure : Tout le monde a été d’accord
pour dire que l’authenticité des choses et des objets
dépendait d’une certification sociale. Il y aeu
désaccord pour définir l’authenticité de
soi à soi, de soi à l’autre et savoir d’où
je suis défini. La psychanalyse pense que l’authenticité
du sujet est structurée par l’inconscient qui est défini
comme un langage. Dans ce cas, toute recherche d’authenticité
serait illusion. Mais si l’inconscient, lieu du plaisir, peut
nous amener à devenird’authentiques sinistres on peut
alors se demander si « l’inauthentique recherche
de la vertu »
de la philosophie qui prétend faire de nous des êtres
sociaux capables de vivre ensemble, est une recherche authentique ou
un leurre ?
Dépouillement
du questionnaire distribué aux participants.
Parmi
les 50 à 60 participants en moyenne, 22 personnes ont répondu
(1/3 d’hommes et 2/3 de femmes), de 22 à 72 ans,
représentant une diversité relative : dugérant
de société à l’ouvrier boucher, de
l’écrivain à l’expert en BTP, avec pas mal
de retraités et surtout d’enseignants.
On
est venu au café philosophique parce qu’on en
a entendu parler(par quelqu’un, par un article du Monde), mais
surtout par curiosité. Ou parce qu’on aime la
philosophie et les débats d’idées. Par besoin de
s’instruire, d’échanger, d’entendre les
autres, de confronter sa pensée…
On
y revient par besoin, pour rencontrer des gens, pour la
communication respectueuse, la discussion agréable et libre ;
par plaisir, pour s’enrichir, réfléchir se
stimuler intellectuellement et “lutter contre le danger
d’Alzheimer”, pour écouter “des être
humains pensant, s’essayant à une pensée”,
“pensant à voix haute sans contrainte” ;intéressé
par les sujets traités, les débats, parfois des idées
originales ; à cause de l’ambiance, du climat, de la
tenue des débats, de la façon de les mener…
On
trouve très satisfaisant
collective : c’est “mieux que tout seul”, “permet
de maintenir la foule que peut rapidement délirer”,
“relance l’échange et le rend très vivant”.
La présidente connaÎt bien les participants, le
synthétiseur reformule et recadre bien, il y a dessynthèses…
Apparaît
comme positif : “le fait que des gens aient envie de se
rencontrer et se parler de sortir de chez eux pour échanger”,
“le phénomène de résistance à la
télé et de pensées prédigérées”,
“la communication, leséchanges d’idées,
les confrontations d’opinions”, “la discussion
qui va et vient, rebondit”, l’écoute mutuelle et
le respect de l’autre, un assez “bon niveau de tolérance
réciproque”, “le débat avec personnes de
catégories sociales différentes”, la diversité
des gens qui s’expriment, les interventions“personnalisées”,
l’engagement des personnes ; l’ouverture d’idées
assez large, la progression de la réflexion sous le thème
; les personnes qui dirigent le débat, la répartition
de la parole, “le fait de donner à chacun la possibilité
de s’exprimer”, le synthétiseur…
On
note comme critiques :
Les
sujets pas toujours “sublimes” ; le rythme d’échange
parfois trop rapide ; le manque de distance, de hauteur, de
références ; un public trop ciblé ; une “écoute
insuffisante quiempêche une réflexion liée du
groupe”, l’absence de débat : “trop
d’attente pour pouvoir répondre, ça bloque
l’échange”, “on donne sa réponse 4 ou
6 interventions plus loin” ; des interventions trop longues ;
ou trop préparées, ce qui nuit à la spontanéité
et à une bonne écoute.
Parmi
les suggestions :
Elargir
à d’autres catégories sociales ; limiter le temps
de parole de certaines interventions ; ne pas donner le sujet
d’avance, mais choisir parmi plusieurs propositions faitesen
début, et retenir des sujets d’intérêt
général ; provoquer des dialogues à partir de
questionnements ; quand un débat apparaît, prendre une
série d’interventions dessus avant de passer à un
autre thème ; laisser pendant un temps la possibilité
de répondre à ce qui vient d’être dit ;
proposer un prolongement à la réflexion par des
lectures ; centrer lessynthèses orales sur ce qui a été
effectivement dit ; prolonger par des rencontres moins formalistes,
faire un débat à la maison des potes…
Témoignage
d’une participante à une soirée du café
philosophique
suis venue par curiosité. Je reviens pour la qualité
des débats, la qualité des interventions, la qualité
d’écoute. J’ai l’impression que les
participants sont à la recherche d’une parole vraie,
authentique, qu’ils sont prêts à entendre les
autres sans chercher à les convaincre ou sans essayer de leur
prouverqu’ils ont tort. C’est ce qui me paraît le
plus intéressant et qui m’apporte le plus. Ecouter les
autres, et leur laisser le temps de parler sans les interrompre. Etre
écouté et savoir qu’on ne sera pas agressé
sécurise l’intervenant et lui permet de développer
sa pensée. Il me semble que cette qualité d’écoute
est possible grâce à la qualité del’animateur.
L’animateur sait donner à l’intervenant, par
l’intérêt qu’il porte à ce qui est
dit, l’envie d’aller au bout de son idée. Il sait
donner l’impression que tout ce qui est dit est important. Il
sécurise l’intervenant, lui permettant ainsi de mettre
son énergie dans son argumentation. Il est le garant de la
non-agression, de la tolérance et du respect mutuel. Jecrois
honnêtement, qu’une entreprise comme le café philo
ne peut être formatrice qu’avec un animateur de qualité
(ou du moins ne m’intéresse et ne m’apporte
qu’avec un animateur de qualité), c’est-à-dire
formé à la relation avec autrui et à l’écoute.
Toute prise de parole comporte un risque (ne pas être compris,
déclencher des réponses agressives), maisl’animateur,
qui est à la fois médiateur et régulateur limite
ce risque. Il me semble que la forme m’intéresse et
m’apporte autant que le fond.
Le
café philosophique : un défi pour la pensée ?
Michel Tozzi.
de Conférences en Sciences de l’Education, Montpellier
III.
Coanimateur
du café philosophique de Narbonne.
Sur
la scène moderne de la médiatisation, laphilosophie
est à la mode, en particulier sous la figure du café
philosophique. Outre le journaliste, cette émergence d’une
rencontre ouverte autour du débat d’idées peut
interroger par exemple le psychologue (quels symptômes
recouvre ce besoin d’échanges ?), le psychosociologue
(quelle dynamique interactionniste dans ce groupe de discussion ?),
le sociologue (quelle est la signification culturelle, sociale et
politiquede cette coproduction intellectuelle externe à
l’institution philosophique et aux systèmes de formation
?), le linguiste (comment fonctionne cette interaction verbale qui se
dit conceptuelle ?), l’historien (y a-t-il une filiation avec
la naissance de la philosophie sur l’agora grecque, ou la
tradition du café littéraire en France depuis le
XVIIIème ?), le politologue (quel lien dans ce lieu
semi-public entre la philosophieet la démocratie moderne ?)
etc.
. Mais la
philosophie, puisque le café porte son nom, est au premier
chef interpellée : phénomène singulier en effet
que ce lieu, extérieur à l’université et à
ses spécialistes d’histoire de la philosophie,
délibérément situé en dehors de la
relation enseignant-enseignés,et où s’affiche
publiquement une co-production dite philosophique entre non-experts,
dans une discipline pourtant réputée abstraite,
longtemps ésotérique, présupposant
institutionnellement dans notre société une initiation
rigoureuse, dans un cadre scolaire, par la lecture austère des
plus grands, et l’entraînement dissertatif au long cours.
Notion
contradictoire ou concept heuristique ?
. Devant ces
exigences, le café philosophique est-il une expression
contradictoire, impossible à penser, un lieu démagogique
d’usurpation, dedétournement du mot philosophie, dont
Socrate lui-même condamnerait le discours doxologique et
sophistique ? Ou bien cette apparence d’oxymore
contient-elle, dans son impensé linguistique, un paradoxe qui
donne à penser, et appelle à construire un concept qui
pourrait rendre compte, à travers une pratique sociale
nouvelle, ou pour le moins renouvelée, d’un certain
rapport à la philosophie, oral, interactif,collectif,
déscolarisé, à distance de la tradition
philosophique institutionnelle, doctrinale ou historique ?
. Si l’on
affirme qu’on ne peut philosopher sans maître ni
filiation, sans la solitude de la réflexion, sans l’écriture
et la trace de sa pensée, sans la lecture d’auteurs, la
connaissance de doctrines, l’immersion dans l’histoirede
la pensée occidentale, la cause est entendue. Ce n’est
pas la voie du café philosophique.
. Mais on ne
peut lui demander ce qu’il ne cherche pas à donner : de
l’ « oeuvre » philosophique, singulière,
originale, écrite, cohérente, puisqu’il s’agit
d’un « intellectuel collectif »,à
durée éphémère, constitué
d’interactions verbales ponctuelles, plurielles, souvent
divergentes, et entre non-professionnels de la discipline !
. Si l’on
tente donc de conceptualiser l’expression : « café
philosophique », il faut la problématiser,
c’est-à-dire lui poser de bonnes questions, d’un
lieu etd’un champ déterminés. Nous choisirons
pour notre part celui de la didactique de la philosophie.
. « Peut-on
faire de la philosophie dans un café dit philosophique ? »
apparaît de ce point de vue comme une question piège,
source de malentendus et de faux-débats, car elle met d’emblée
en scène la représentation ambigüe de ceque
recouvre l’expression « faire de la philosophie ».
L’élève de terminale qui rédige sa
première dissertation de l’année, et Heidegger
écrivant « L’être et le temps »
« font » tous deux de la philosophie !
. Mais pas
au même niveau et de la même façon.L’élève
est un apprenti-philosophe. Tout comme la majorité de
l’assistance d’un café philosophique est
non-spécialiste, c’est-à-dire n’a jamais
fait d’études supérieures de philosophie, voire
ne l’a jamais étudié à l’école.
Alors que Heidegger est un grand philosophe, un chercheur de la
discipline (un niveau intermédiaire serait celui du
professionnelde cet enseignement).
. S’agissant
de non-experts au café philosophique, on ne peut donc entendre
la question que par analogie avec celle-ci : « peut-on
faire de la philosophie dans une discussion en classe de philosophie
? ». A ceci près qu’il s’agit ici
d’adultes, volontaires, et dans un cadre non scolaire, ce qui
modifie le concept de transposition didactique,tel qu’il est
utilisé par les didacticiens.
. Or une
discussion, en classe comme au café, n’est jamais
philosophique en tant que telle. Mais elle peut le devenir. Il ne
s’agit pas d’accoler « philosophique »
à « café » pour que des
discussions philosophiques s’y tiennent. La vraie question est
alors : « Aquelle(s) condition(s) une discussion
peut-elle devenir philosophique dans un café ? ».
C’est une interrogation à la fois théorique et
pratique. Théorique, car il faut préciser ce qu’on
entend par « discussion philosophique », et par
« conditions de philosophicité » d’un
débat. Mais aussi pratique, car c’est l’analyse de
la façon dont se passentconcrètement les discussions
qui permettra de trancher dans tel cas particulieri.
. Certains
philosophes s’en tiennent cependant à la thèse a
priori de l’impossibilité de philosopher dans un café.
A cause du caractèrerédhibitoire :
- soit du
lieu, à vocation mercantile et doxologique ;
- soit du
public, qui en tant que « non -philosophe », ne
peut produire que de l’opinion, et non du savoir ;
- soit de la
conduite, du type « animation »,qui ne
construit pas une pensée cohérente, ou ne donne pas de
garantie intellectuelle « maïeutique »,
surtout quand il s’agit d’un animateur non-philosophe ;
- soit du
genre. Car la philosophie n’autorise qu’une pensée
personnelle, et non commune (aux deux sens du terme) ; et le dialogue
avec quelqu’un ou avec soi-même, et non undébat
collectif et éclaté.
. Ces
objections fortes doivent être elles-même interrogées
à la lumière de ce qui se passe réellement dans
les cafés philosophiques, puisque certains professeurs de
philosophie, a priori hostiles à la possibilité de
philosophicité d’une discussion au café, ont été
amenés,après participation, et a fortiori animation, à
nuancer voire changer de point de vueii.
Le débat partage donc les philosophes eux-mêmes.
. Et ceci,
parce que le « débat philosophique collectif »
n’est pas une pratique socialephilosophique de référence.
On ne peut donc trancher uniquement par la théorie dès
lors qu’il s’agit d’une innovation, qui , en
rupture avec des cadres institutionnels et praxéologiques
traditionnels, est à la recherche de modalités
spécifiques. On ne connaît historiquement que le
dialogue socratique hyper directif à deux ou trois, ou la
disputatio moyennageuse avec de longs monologuessuccessifs
contradictoires entre deux protagonistes. Et aujourd’hui le
cours magistral, la communication dans un colloque, la conférence
- « débat » (en fait questionnement à
l’intervenant), quelques échanges philosophiques
médiatisés, sous forme d’entretien à trois
ou quatre. Et l’étude des auteurs a officiellement
remplacé en classe les débats postsoixant-huitards
…..
. Nous avons
donc à inventer la pratique d’un débat
philosophique à plus de cinquante personnes ! Notre expérience
de participant et d’animateur de nombreux cafés
philosophiques en France et à l’étranger nous
amène aux réflexions suivantes.
conditions de philosophicité.
. Il est
difficile de prévoir si, pour un individu donné, une
discussion collective dans un café dit philosophique aura ou
non un retentissement philosophique. Et le groupe du café est
formé d’autant d’individus. Car si philosopher,
c’est se mettreà l’écoute de l’altérité
pour interroger ses opinions sur des problèmes essentiels pour
l’homme, et ouvrir pour soi une recherche de vérité,
chacun peut légitimement juger de son ébranlement
personnel pendant et après un débat. Et il est risqué,
au nom d’une expertise philosophique externe, d’évaluer
l’impact philosophique de chaque séance surles
consciences. Seuls, des entretiens par exemple, ou des traces
individuelles écrites pourraient permettre, comme en classe,
d’apprécier la philosophicité de la démarche
de chacun. Cette situation, qui n’est pas explicitement de
formation, relativise donc les affirmations péremptoires des
gardiens de l’orthodoxie philosophique et des prérogatives
de son corps magistral.
. Mais cette
opacité relative ne dispense pas cependant d’une
réflexion sur le caractère philosophique du débat
en tant qu’il est collectif et conduit. Le didacticien peut ici
s’interroger sur la nature de la transposition didactique de la
discipline opérée, assez implicitement d’ailleurs,
dans un tel lieu. De ce point de vue, la discussion nous a semblé
être ou devenir philosophique lorsquequatre conditions
tendaient à être réunies :
1°)
un minimum de règles, de l’ordre de la procédure
des tours de parole, puisées dans les pratiques de la
discussion démocratique, où la parole, pour être
à la fois libre et égale, doit être encadrée.
Dans un groupe important, un seul doit parlerà la fois,
avec priorité à celui qui n’a pas encore dit mot
(droit perdu aussitôt qu’utilisé). Chacun peut
prendre la parole et aller jusqu’au bout (droit d’expression),
mais il doit la demander, ne l’exercer que quand elle lui est
donnée, et en user, quand il l’a, modérément
en nombre et temps d’intervention (pour que le maximum de gens
puissent participer). Personne ne doit couper laparole à
quiconque (respect d’autrui), ni exprimer affectivement un
accord ou un désacord (pour éviter les réactions
émotionnelles de groupe, préjudiciables à
l’égalité des paroles, et à la sérénité
d’une réflexion intellectuelle).
Ces
règles sont parfois critiquées, car larigueur
formelle d’une telle procédure peut figer les échanges
: l’inscription d’un tour de parole diffère mon
discours, qui répond de façon décalée
dans le temps à une intervention précédente. La
spontanéité de celui qui parle, l’interaction
verbale nominative, la cohésion entre la succession des
interventions et la progression apparente des échanges
peuventen souffrir, de même que l’écoute des
autres quand on est focalisé sur ce que l’on va dire.
Mais la pensée est alors plus construite, l’affectivité
mieux maîtrisée, l’intervention plus longue.
Alors que la spontanéité est plus brève,
émotionnelle, non maturée, et la relation duelle
prolongée peu supportable pour un groupe qui peut réagir
ets’agiter.
On peut
se demander si la démocratie de la parole est une condition
nécessaire pour un débat philosophique. La vérité
n’est pas affaire de quantité de parole partagée,
mais de qualité de la pensée : un seul peut avoir
raison contre tous, qui n’aura droit qu’à trois
minutes. Un philosophe dans la salle, fortde sa réflexion et
de ses connaissances, n’aura-t-il pas légitimement plus
de choses à dire, et plus profondes, et donc droit à
plus de temps pour se faire écouter ? Mais autant alors
assister à une conférence d’un professionnel de
la philosophie. Ce qui est intéressant, dans la formule
philosophique du débat, c’est moins l’autorité
d’un expert (que vaut l’argumentd’autorité
en philosophie ?), que la possibilité pour chacun de
proposer aux autres une pensée soumise à leur
critique, et l’écoute d’une altérité
plurielle qui surprend et bouscule. C’est la réflexion
personnelle dans l’écoute, l’expression, la
confrontation. D’où des règles pour assurer un
travail conceptuel par ce moyen spécifiquequ’est
l’interaction verbale, et le modèle discussionnel
démocratique est ici heuristique.
2°)
Mais l’ordre du procédural explicite, s’il
est un facteur favorisant, et peut être nécessaire, de
la philosophicité d’un débat collectif, n’est
jamais suffisant. Il faut la présence de processusplus
diffus, de l’ordre de la psychologie individuelle, de la
dynamique socio-affective du groupe, et de l’éthique
communicationnelle partagée. Les procédures régulent
en partie, par le contenu des règles énoncées
(ex : ne pas manifester ses réactions lorsque quelqu’un
parle) l’affectivité prégnante, et sont
finalisées, en terme de droits et de devoirs, par des valeurs
concernantle fonctionnement démocratique des groupes (ex :
s’exprimer sans en abuser) et le respect, au-delà des
individus, des personnes (ex : ne pas couper quelqu’un, ou se
moquer). Mais elles ne garantissent jamais automatiquement leurs
effets sans l’adhésion du groupe et de chacun.
Engagement, écoute, confiance, respect, tolérance,
sont des attitudes finalisées par des valeurs, sans
lesquelles le débat philosophique estimpossible.
3°)
Mais cette éthique communicationnelle ne concerne pas
seulement le respect des personnes. Il faut se soumettre à
l’exercice de la raison, au « meilleur argument »
(Habermas), à la recherche de la vérité. Car on
peut, au niveau d’une procédure, échanger
démocratiquement desbanalités ou des préjugés.
On peut, au niveau des processus, discuter en confiance dans un
groupe et dans le respect des personnes ( par exemple en thérapie),
sans qu’il y ait de travail conceptuel. Pour que le débat
soit philosophique, il faut une exigence intellectuelle : « savoir
de quoi l’on parle, et si ce qu’on dit est vrai ».
C’est-à-dire mettre en oeuvre, sur des notions etdes
problèmes fondamentaux, et en habitant son discours, des
processus de conceptualisation, de problématisation,
d’argumentationiii.
Le groupe est en ce sens une communauté de recherche, où
l’on ose proposer mais sans jamais imposer, où l’on
a besoin des autres pour altérer sa proprepensée.
4°)
Assurer dans un débat collectif des procédures
démocratiques de prise de parole, et des processus
psycho-sociologiques de confiance mutuelle ; garantir dans un
débat philosophique une éthique communicationnelle
tant des personnes que des idées, tel est le rôle de
l’animation dans un café philosophique. Nousdisons de
« l’animation », et non de l’animateur-
car l’animation peut être collective. Nous distinguons
fondamentalement deux fonctions :
de
répartition de la parole, assumant la démocratie
procédurale et la régulation socio-affective. Il
s’agit notamment d’articuler le respect formel de
l’ordre d’inscriptionavec la souplesse d’interactions
plus spontanées.
de
reformulation des idées (fonction qui peut elle-même se
dédoubler entre reformulateur à court terme et
synthétiseur à mi-parcours et fin de séance,
avec trace écrite à posteriori). C’est elle qui
construit le sens à la fois collectif et philosophique du
débat, enrecentrant les interventions par rapport au sujet
traité, et en veillant, par la mise en relation des
interventions entre elles, à la progression de la réflexion
commune. Elle est plus spécifiquement philosophique, par la
compréhension des enjeux, la mise en évidence de
problématiques évolutives, de l’émergence
de concepts et de définitions, de l’ébauche de
thèses et dudéveloppement d’argumentations.
Double
compétence donc, souvent réunies sur la même
personne. Mais on peut être professeur de philosophie et
incapable de gérer un grand groupe, et psychosociologue
habile, mais étranger à l’exigence d’un
travail conceptuel. Cela n’écartepersonne a priori,
mais donne la mesure de la responsabilité à s’autoriser
à une telle animation hors, et c’est son caractère
instituant, de tout contrôle par une institution ou des
expertsiv.
. Il est
trop tôt pour déterminer la valeur, la portée et
les limites de l’émergence et du développement
des cafés philosophiques des années quatre vingt dix.
Les philosophes sont très divisés sur le diagnostic.
Beaucoup de non-philosophes, qui les fréquentent, ou les
animent, ont aussi leur point de vue sur laquestion. Que des
non-experts se saisissent du problème de savoir ce qui est
philosophique ou pas interroge : déspécialisation de la
philosophie ou/et édulcoration ?
. Le café
philosophique est un lieu que doit interroger la philosophie,
puisqu’il s’y réfère explicitement : mode
éphémère, démagogie médiocratique
? Ou pratiqueinnovante de la philosophie, où l’on parle
autrement que scolairement, où l’on aborde les problèmes
existentiels autrement que psychothérapiquement ?
. C’est
aussi un lieu d’où l’on peut interroger la
philosophie : quel est, quel peut être son rapport à
l’oral, à la parole vive, à la parole collective,
à un groupe dediscussion, où le concept tente de se
soutenir de l’interaction verbale ? Que peut être une
pratique « désuniversitarisée »
de la philosophie, animée, mais sans maître ni disciple,
sans autorité explicitement experte et mandatée ;
ponctuellement instituée, mais sans institution formative, et
néanmoins instituante d’un intellectuel collectif
autoformateur ?
. C’est
enfin un lieu où la réflexion philosophique peut
interpeller les sujets volontaires qui se soumettent à
l’exercice de la raison et de la critique, et à travers
eux, interpeller la cité, comme une parole vraie, garantissant
la qualité rationnelle des débats, dont le discours
démocratique, qui s’alimente de l’argumentation, a
bien besoin pour serecrédibiliser.
LES ENJEUX DE L’ANIMATION
D’UN CAFE-PHILO
Michel
Tozzi Maître de Conférences en Sciences de l’Education
Université Montpellier 3
Une des
tâches du philosophe, en tant que conscience de son temps, est
de dégager le sens de l’expression et du phénomène
contemporain "café-philo". C’est un débat qui
s’instaure alors, car certains n’y voient que mode éphémère
et trompeuse, dévoiement dans l’opinion, pseudo-philosophie et
démagogie, brefusurpation du sigle, alors que d’autres
saluent la renaissance philosophique d’un "moment agoraïque"
au sens grec, le redéploiement d’un "espace public"
au sens de la philosophie des Lumières et des penseurs
politiques de la démocratie.
PROBLEMATISER
LE CONCEPT
Il s’agit de
problématiser la question par une réflexion à
trois dimensions.
Epistémologique.
Quel est dans un café-philo, chez les participants comme chez
l’animateur, le sens cognitif de l’interactivité en cours, la
nature du rapport au savoir co-construit dans les échanges:
type de questionnement, relation à la doxa et aux concepts, à
la parole magistrale, aux doctrines philosophique et à
l’histoire de la pensée etc. ? Peut-on y développer par
exemple un rapport à la fois non dogmatique et non
relativiste à la connaissance ?
Ethique :
qu’en est-il dans ces discussions du rapport à l’autre, à
sa personne et àses idées, et du rapport au groupe ?
de l’institution de celui-ci en communauté de recherche ?
Est-ce un lieu où peut s’expérimenter une éthique
discussionnelle, communicationnelle, et une morale de la pensée
?
Politique.
Ce statut à la fois épistémologique (rapport à
la vérité) et éthique (rapport à autrui
età la communauté des esprits) de la parole et de la
pensée ouvre-t-il un espace public, dont les procédures
démocratiques qui président à l’échange
pourraient garantir, tant du point de vue des participants que de
l’animation, un rapport distribué au pouvoir ?
Pour
éclairer lephénomène, on pourrait proposer
l’hypothèse d’une rencontre entre la tradition française
du "café-parloir" depuis le XVIIIème
siècle, et une modernité où chercheraient
à se mutualiser les questions et à se formaliser des
réponses liées à l’angoisse engendrée par
la liberté de créer ses propres valeurs (fin des
transcendances et des grandsrécits), par l’affaiblissement du
lien social et politique, par les effets subis (économiques,
écologiques, sociaux, culturels) de la mondialisation …
Ce qui
apparaît nouveau dans l’histoire, contrairement au dialogue
socratique de l’antiquité ne concernant qu’un ou deux
interlocuteurs à la fois, et à la disputatio au
moyen âge, qui voyait sesuccéder deux longs monologues
contradictoires, c’est l’utilisation de procédures et
processus démocratiques de gestion de la parole dans un grand
groupe, couplée à des exigences intellectuelles de
problématisation (douter de ce qui est cru), de
conceptualisation (savoir ce dont on parle) et d’argumentation
(savoir si ce qu’on dit est vrai). Bref le défi socratique de
philosopher avec la foule, le moment d’un retour réussi dans
lacaverne, le pari d’une "démosophie", à
rejouer dans chaque café et à chaque séance.
Pour
certains, c’est pari impossible, car il ne sortira jamais une pensée
de la confrontation d’opinions. Le café-philo, c’est l’aporie
d’un oxymore. Deleuze fuyant les discussions. Pour d’autres, on est
au seuil de la pensée, là où l’opinion, en se
confrontantà son Autre, prend conscience de son
inconsistance, et d’une exigence de fondement : c’est la démarche
socratique des premiers dialogues de Platon. Et pour d’autres enfin,
on arrive à dépasser l’opinion dans et par la dynamique
même du conflit socio-cognitif : on fait ainsi l’apprentissage
du philosopher …
L’impossibilité
d’y voir clair vient de ce qu’on discutethéoriquement sur un
concept qui recouvre une très grande variété de
pratiques. Car on est – en terme d’analyse institutionnelle – dans
l’instituant, où beaucoup de choses deviennent
possibles par l’expérimentation, et certaines ne sont
peut-être pas souhaitables. Le café-philo est un lieu
hors-institution, un espace autorisé dans une démocratie
qui reconnaît le droit d’expression, mais dont sesaisissent
les acteurs de la société civile pour inventer de
nouvelles pratiques sociales.
Des
initiatives ici ou là, qui se reconnaissent dans un sigle
commun (même si ce n’est pas dans un café), ponctuelles
ou durables, individuelles ou collectives, isolées ou plus ou
moins en réseaux, encouragées par l’air du temps ou des
associations (comme Philos ou l’Agora 81),mais non fédérées
globalement, et dont certains animateurs éprouvent la
nécessité de se retrouver plus ou moins formellement, à
Paris, ou dans des colloques (Marseille, Apt, Castres).
Ce n’est
pas un appareil formatif, qui exigerait un diplôme d’animateur
ou délivrerait des certifications aux participants (bien qu’il
y ait des effets de formation, mais desurcroît). La
participation est totalement libre, souvent gratuite. Il n’y a donc
pas d’instance qui élabore et sanctionne des normes, hors de
celles que proposent des individus ou se donnent des groupes de base.
Et quiconque peut s’autoriser à devenir animateur
(s’auto-proclamer comme en psychanalyse).
FLOTTEMENT NORMATIF
Ce
flottement normatif, puisque l’expression "café-philo"
n’est pas une appellation contrôlée, un concept breveté,
un label déposé et donc protégé, est
cependant confronté au qualificatif de "philosophique".
Et c’est làoù commencent les débats : en quoi
est-ce philosophique, et est-ce bien philosophique ? On comprend que
ceux dont le cheminement personnel ou l’identité
professionnelle résonnent à cette notion aient leur mot
à dire …
Par exemple
pour être animateur, suffit-il d’être démocrate,
car il s’agit de café-"philo", et pas"citoyen"?
Faut-il être philosophe reconnu, professeur de philosophie,
avoir une formation philosophique préalable ou en cours, ou
avoir seulement une attitude philosophique … c’est-à-dire
? Comme tout dépend de la conception que l’on a de la
philosophie et du philosopher, de l’enseignement et de
l’apprentissage du philosopher, du rapport à la parole
magistrale, aux grands auteurs, à l’histoire de la pensée,
de lareprésentation que l’on se fait de l’animation etc., on
imagine l’éventail des positions. Selon que l’on met l’accent
sur l’ouverture (liberté d’expression, confrontation
intellectuelle, opportunité de réfléchir…)
ou les dérives ("opinionite", sophistique,
narcissisme expansé, terrorisme intellectuel…), on
s’occupera du bébé ou de l’eau du bain …
On peut très
bien être psychosociologiquement bon gestionnaire de la
vie de groupe et le manipuler, ou être démocratiquement
correct en donnant équitablement la parole à tous
les préjugés, ou brillant philosophe,
mais incapable de se dessaisir d’une parole ex-cathedra ou de
gérer un groupe nombreux…
D’où
l’intérêt, s’agissant d’un concept (café : lieu
de discussion, philo : activité de réflexion)
finalisant des pratiques, d’esquisser un idéal régulateur
(au sens kantien). Non pas une norme, au sens de normalisation, qui
s’érigerait en censeur des pratiques réelles, pour
décréter les bons et mauvais animateurs, élaborer
un Gault et Millau descafés-philo, ou un guide du routard de
la pensée, mais des principes, des repères proposés
pour l’action, qui tenteraient de répondre à la
question suivante : à quelles conditions une animation
de café-philo est-elle à la fois démocratique et
philosophique ? Ce qui implique de clarifier ce qu’est une animation
démocratique, une animation philosophique, et une animation
qui articule des deux…
UNE
ANIMATION A LA FOIS DEMOCRATIQUE ET PHILOSOPHIQUE
Si -et c’est
une option- la pratique visée n’est pas celle d’une
conférence-débat, où une personne autorisée
par une expertise reconnue expose longuement sa pensée etest
ensuite brièvement questionnée sur son propos, mais
cherche à instaurer la plus large discussion entre les
participants, se pose le problème de la distribution de la
parole entre pairs.
La question
préjudicielle "Faut-il une animation dans un café-philo
?" semble vite réglée. Dans un grand groupe, on ne
peut parler plusieurs en mêmetemps sans cacophonie auditive et
impossibilité d’échanger. La prise de parole ne peut
être l’effet d’un rapport de force, et doit être régulée.
La démocratie a inventé des fonctions (ex :
président de séance) et des procédures
(ex : tour de table, ordre d’inscription) qui sont à la fois
d’ordre technique (éviter les chevauchements inaudibles),
éthique (respect d’autrui), etpolitique (droit d’expression).
On pourrait
penser qu’à cinq ou six, on peut s’auto-réguler
collectivement (Mais à partir de quel nombre peut-on parler
d’un café-philo ?). Ce n’est pas impossible, mais très
difficile, et implique que chacun, en tant que participant, se
distancie de sa propre pensée et se sente responsable de
l’animation.
En fait ce
qui est en question, c’est moins la personnalisation de la conduite
d’une discussion, que la fonction d’animation de son
déroulement. La discussion n’est possible que s’il existe,
implicitement, ou mieux explicitement, des règles de
l’échange, un contrat de communication, collectivement
partagé au niveau des principes et pratiquement mis en œuvre.
Et l’animation, si et quand elle estnécessaire, est
fonctionnellement garante de ces règles de
fonctionnement, auxquelles elle est elle-même soumise. Plus ces
règles sont définies collectivement, plus d’ailleurs le
groupe s’en sent responsable.
Institutionnaliser
la fonction nécessaire d’animation comme garante de règles
par une personnalisation, c’est se donner le moyen de discuter en
grand groupe.Nous parlons d’ailleurs davantage de l’animation que de
l’animateur, car elle peut être distribuée en
sous-fonctions très utiles. Ex : président de séance,
introducteur de la problématique, reformulateur, synthétiseur
oral à chaud, secrétaire de séance à
froid par écrit etc., (rôles qui peuvent d’ailleurs
tourner). Une instance d’animation pose dans un café-philo une
double question :celle de son rapport démocratique au
pouvoir, celle de son rapport philosophique au savoir.
LE
RAPPORT DEMOCRATIQUE DE L’ANIMATION AU POUVOIR
Par exemple
la fonction dedistribution de la parole est un pouvoir, celui
d’organiser l’espace et le temps des discours. C’est aussi une
responsabilité à exercer avec équité.
Mais qu’est ce que l’équité démocratique
dans une discussion qui se veut philosophique ? Le respect
strict d’un ordre d’inscription, la priorité à celui
qui demande et n’a pas encore parlé, ou la sollicitation des
muets pour leur tendrela perche ? L’égalité du nombre
et du temps d’intervention de chacun, ou la priorité au
philosophe de la salle qui élève le débat par
une réflexion pertinente, un apport historique ou doctrinal ?
Le formalisme des inscriptions garantit à tout volontaire le
droit d’expression dès qu’il lève la main, mais on
répond à la quatrième intervention qui précède!
Quelques répartiessucessives en duo animent et donnent de la
cohérence au suivi des propos… mais peuvent lasser des
spectateurs rendus passifs ! Il y a ainsi des conflits de légitimité
: par exemple entre parole spontanée et différée
; ou entre le devoir démocratique de donner la parole à
chacun (il n’y en a pas de plus "égaux" que
d’autres), et l’impératif philosophique d’approfondir
laréflexion (toute intervention ne fait pas forcément
avancer)…
De même
le reformulateur a le pouvoir d’influencer et d’orienter la réflexion
: par le contenu de ses reformulations, par sa mise en relation des
interventions entre elles et par rapport au sujet, par ses
recentrages, recadrages et questions. Mais il a la responsabilité
de construire du sens pour le groupe, deveiller à une
progression. Le secrétaire de séance restructure les
apports à sa façon. Il a le pouvoir d’une synthèse
subjective, mais la responsabilité d’une reprise réflexive
qui rend compte du travail collectif etc.
Et c’est
quand le pouvoir est délégué, partagé,
accepté par le groupe, quand il devient uneresponsabilité
assumée, que le cadre de la discussion, sans lequel
elle ne serait pas possible, est démocratique. Aussi est ce
légitime, par rapport au pouvoir démocratique, de se
poser les questions : qui anime, et selon quelles règles ?
LE
RAPPORT PHILOSOPHIQUE DE L’ANIMATION AUSAVOIR
Si l ‘on a
pris au café-philo l’option d’une discussion philosophique
entre pairs, des procédures démocratiques sont
souhaitables. Ne faut-il donc pas affirmer comme principe "pas
de discussion philosophique en grand groupe sans démocratie de
la parole"?
Mais une
condition souhaitable (nécessaire ?) n’est pas forcément
suffisante. Il ne suffit pas que la discussion soit démocratique
pour qu’elle soit philosophique. Car il y va non seulement
d’un rapport au pouvoir, mais d’un rapport au savoir, à
la vérité des propos tenus, à l’instauration
d’un esprit collectif de recherche. L’animation porte avec le groupe
entier cetteresponsabilité, mais elle en est la fine pointe.
Nous pensons personnellement que l’animation, déjà
investie d’un double pouvoir de distribution de la parole sur la
forme et de reformulation sur le fond, ne doit guère
utiliser sa position "haute" (Goffman) pour prendre parti
sur les réponses, mais entretenir un rapport très
questionnant au savoir, car elle donne le ton des échanges. Si
elleproblématise, retourne les certitudes en question,
interroge les présupposés et conséquences,
remonte des positions contradictoires aux problèmes qui les
suscitent, elle facilite la réflexion collective, et la
proposition de l’avis de chacun comme hypothèse. Au
contraire, si elle dogmatise, procède par assertion,
elle induit des affirmations tranchées et des oppositions qui
la privent de recul ; sielle devient parole magistrale et référent
culturel, elle risque la révérence que l’on doit au
maître, peu propice à l’examen critique.
C’est le
rapport non-dogmatique au savoir, inspiré de l’esprit
socratique, le retrait volontaire d’une magistralité sur le
contenu, tout en maintenant un ferme guidage sur la forme, qui
autorise les participants à osers’engager, et à
débattre entre eux parce qu’entre pairs (ce qui n’empêche
nullement des reformulations, mais qui s’appuient sur les apports des
participants). Rapport non dogmatique donc, mais aussi non
relativiste, puisqu’il y a recherche en commun de vérité.
De ce point de vue, toutes les expressions ne se valent pas. Le droit
au pluralisme démocratique des opinions n’est pas
l’équivalence philosophique despensées. Le
respect de l’expression d’autrui n’est pas forcément
l’approbation de ses idées. Estimer quelqu’un n’est pas aller
démagogiquement dans son sens, mais le pousser
intellectuellement dans ses retranchements.
Nul n’a
philosophiquement raison par le fait qu’il parle fort, bien ou en
dernier, ou plus simplement par le fait qu’il s’exprime. Car parler
n’est pas penser. Aucune parolene fait philosophiquement autorité
: ni celle de Dieu, ni celle d’un chef, ni celle d’une institution,
pas même celle d’un philosophe (Aristoteles dixit). Personne ne
doit être philosophiquement cru sur parole. Car le discours
philosophique ne repose pas sur l’intimidation, la séduction,
la confiance, mais sur la consistance. Aucune autorité ne fait
argument pour la pensée. Une pensée ne vaut que par sa
validation rationnelle,fondée et confrontée. On
peut même avoir philosophiquement raison contre tous, car la
vérité n’est pas affaire de nombre ou de vote
démocratiques.
Le débat
philosophique est donc exigeant. Pour qu’une discussion soit
philosophique, il faut qu’elle articule, nous semble-t-il, dans
l’interactivité des échanges, des processus de
problématisation(interroger les "évidences"),
de conceptualisation (définir les notions), et d’argumentation
(fonder son propos et déconstruire, car c’est l’argument
qui fait autorité). C’est la présence et
l’interdépendance des trois processus dans la discussion dont
l’animation, particulièrement dans sa fonction de
reformulation, doit être le garant.
démocratique au pouvoir, rapport non-dogmatique et non
relativiste au savoir, tels sont les deux versants, citoyen et
philosophique, du café-philo. Le vieil aristocrate Platon
tranche contre le laborieux plébéien Socrate : la
philosophie n’est ni pour la foule, ni pour les jeunes. Au contraire,
élever la foule au-dessus d’elle-même, tel est le désir
(fantasme ?) socratique de l’animation d’uncafé-philo…
Un
atelier de philosophie à l’école primaire
Alain
Delsol, instituteur, docteur en sciences de l’éducation.
Cet
article décrit la mise en place d’un atelier de
philosophie dans une classe de cours moyen 1ère
année (enfants de 9/10 ans). J’appelle « atelier
de philosophie » une séquence durantlaquelle je
suscite la réflexion des élèves autour d’idées
qu’on pourrait qualifier de philosophiques. Il s’agit
dans ce type de dispositif didactique d’amener les élèves
à faire des « expériences de pensée ».
Autrement dit, à effectuer des opérations
intellectuelles où le but recherché est qu’un
élève puisse penser par lui-mêmeen tentant de
conceptualiser, de problématiser puis d’argumenter
son point de vue à
propos de thèmes tels que : Sommes-nous tous pareils ?
A-t-on besoin de justice ? La violence est-elle le seul moyen
pour se faire entendre ?
Je
ne vise pasà transmettre un quelconque contenu de
philosophie, j’invite les élèves à adopter
un geste mental qui favorise une pensée réflexive. Mon
intention est double. En premier lieu, je tente de centrer l’activité
de l’élève vers une posture qui favorise sa
réflexion ; en second lieu, je mets en place un
dispositif qui favorise un échange démocratique.
J’encourage le locuteur àfaire un travail
d’auto-réflexion, et le groupe d’interlocuteurs
à faire un travail d’écoute et de respect de la
parole de l’autre afin de construire une pensée
collective, c’est-à-dire un travail
d’hétéro-reflexion. Ainsi, ce type d’atelier
de philosophie cherche à mettre en jeu deux approches
complémentaires. La première relève d’un
travaild’auto-réflexion où les élèves
réfléchissent au sens des mots et tentent de définir
des notions, des concepts, c’est le moment de l’entretien
philosophique. La seconde approche relève d’un travail
d’hétéro-reflexion et concerne les
interactions entre les élèves qui tentent de
questionner les notions conceptualisées, c’est le moment
de la discussionphilosophique.
Tout
au long de l’année, j’ai rectifié
différents aspects relatifs au fonctionnement du dispositif de
l’atelier de philosophie. C’est l’histoire de ces
petites modifications et des problèmes auxquels je me suis
heurté que je présente dans ce compte-rendu.
Mise
en place de l’atelier de philosophie
Les
premiers ateliers de philosophie ont débuté vers la fin
du moisd’octobre. L’ensemble du groupe classe, soit un
effectif de 27 enfants, est regroupé chaque semaine le
vendredi lors de la dernière heure.
Cadre
du dispositif :
séance se déroule dans la salle de bibliothèque.
C’est une grande pièce spacieuse claire, qui n’est
voisine d’aucune autre salle de classe et s’ouvre sur la
cour de récréation. Les élèves apprécient
ce lieu et la forme non scolaire de l’atelier. Les 24 élèves
s’assoient sur des bancs disposés en« U »,
et les 3 animateurs leur font face, assis derrière une table.
L’enseignant s’occupe d’enregistrer la séance,
il est assis à côté de l’élève
animateur qui tient le rôle de synthétiseur.
3 animateurs
discutants
maître
+micro
A
chaque début de séance, l’enseignant rappelle les
règles de la discussion : « Pour
parler il fautdemander la parole ; on n’a pas le droit
d’interrompre un élève qui parle et tout élève
qui ne s’est pas encore exprimé est prioritaire pour
avoir la parole. »
Les élèves sont divisés en deux groupes :
les animateurs et les « discutants ».
Les
animateurs (le président de séance, le reformulateur
et le synthétiseur) sont choisis parmi les meilleurs
élèves par le maître. Ils occupent ce rôle
durant quatre séances. Le président de séance
donne la parole aux « discutants »,
intervient si certains élèves bavardent ou coupentla
parole de celui qui s’exprime. Il donne la parole régulièrement
au reformulateur qui écoute et écrit sur un
cahier ce que disent les élèves. Le reformulateur
redit en essayant de résumer ce qu’il vient d’entendre.
Le synthétiseur intervient moins souvent, donne son
opinion : « la discussion avance … tourne
en rond… on a bien ou mal définit lesnotions… ».
Enfin, il tente de proposer des questions lancées à la
cantonade. L’enseignant assis à côté de lui
l’aide pour relancer ou recentrer la discussion. Il enregistre
la séance avec un magnétophone. Chaque élève
qui prend la parole se lève, va vers le maître qui lui
donne le micro, puis il va s’asseoir une fois sonintervention
terminée. Le micro amplifie la voix et rend tout énoncé
parfaitement audible.
Un
tour de table débute chaque séance afin que chaque
élève puisse s’exprimer. Les opinions émises
servent d’amorce pour la discussion. En fin de séance
l’enseignant aide lesynthétiseur à
récapituler ce qui a été dit.
Commentaires :
D’emblée
on remarque l’entrain des enfants pour ce genre d’exercice.
Par rapport à un exercice scolaire, il y a davantage d’élèves
qui demandent la parole. Mis à part 4 ou 5 élèves
qui pour des raisons différentes n’interviennent pas,
l’ensemble du groupe est vif. La fin de la séance est
frustrante pourcertains car il leur semble qu’ils n’ont
pas suffisamment parlé à leur goût.
Deux
problèmes m’ont paru urgents de régler. En
premier lieu, trop de temps est perdu lors de la mise en place de
l’atelier et lors du tour de parole des 24 « discutants ».
En second lieu, le groupe des« discutants »
est trop important et certains élèves décrochent.
Bref, nous n’arrivons pas à dépasser l’étape
de la conceptualisation, c’est à dire à définir
le vocabulaire et les notions sous-jacentes au thème de
l’entretien philosophique.
Corrections
du dispositif :
L’atelier
se déroulera en classe, l’agencement des tables sera
proche de celui du schéma ci-dessus. Un nouvel élève
rejoindra le groupe desanimateurs et sera chargé du micro.
C’est l’élève chargé du micro qui se
déplacera vers les « discutants ». Par
ailleurs, 4 élèves observeront les animateurs avant de
devenir animateurs à leur tour.
A
l’issue de la séance, ils effectueront un commentaire
relatifà l’élève animateur qu’ils
devront remplacer. Enfin, un autre groupe de 4 élèves
(dont l’élève qui s’occupe du micro) aura
la responsabilité d’agencer la classe en début et
en fin de séance. Ainsi, nous perdrons moins de temps dans le
déplacement classe – bibliothèque, les
« discutants » seront un peu moins nombreux (19
au lieu de 23) et lesobservateurs renforceront la prise de
conscience du fonctionnement de l’atelier de philosophie.
Premier
ajustement
Nous
expérimentons ce nouveau dispositif durant les mois de janvier
et février. Le fait que l’atelier se déroule en
classe ne change pas le degré de motivation des élèves.
Les séances commencent avec beaucoup d’entrain pour la
majorité des élèves et laissent toujours une
partie d’entre eux sur leur faim à l’issue de la
séance. D’une façon générale,je
suis surpris d’observer l’attitude calme et sereine de
l’ensemble des élèves bien que cette séance
achève à la fois la journée et la semaine
scolaire.
Cadre
du dispositif
En classe les tables des élèves sont disposées
en « U » avec quelques tables à
l’intérieur du « U » qu’il
suffit de pousser pour retrouver un format conférence. Les
élèves responsables de cet agencement, ainsi que celui
chargé du micro vérifient que le fil du micro soit à
bonnedistance pour que chaque élève puisse être
atteint par le micro et puisse voir tout le monde.
Le
déroulement reste identique à ce qu’il était
précédemment. En fin de séance les observateurs
des animateurs font leurs remarques auxquelles les animateurs
donnent des réponses. Tout cela estenregistré.
Commentaires
La
mise en train est plus rapide. Les observateurs des animateurs
soulignent avec pertinence l’organisation del’atelier
ainsi que le rôle des animateurs. Illustrons d’un
exemple les effets du regard de l’autre. L’élève
qui observe le synthétiseur note que ce dernier devrait
plutôt écouter le reformulateur que les
« discutants ». Ainsi, il pourrait tirer
davantage d’informations s’il se concentrait sur sa tâche
évitant ainsi de répéter cequ’a dit le
reformulateur.
Par
contre, le groupe des « discutants » reste trop
important, il est difficile de faire autre chose qu’une
définition des mots liés au thème de la
discussion.
du dispositif
Les
effets des observateurs paraissant stimulants pour le groupe, je
décide de scinder le groupe des « discutants ».
Un groupe de 9 ou 10 « discutants » prendra
place au centre du dispositif, ils seront assissur des bancs. Un
second groupe de 9 ou 10 élèves observera les
« discutants ». Chaque observateur suivra un
« discutant » et prendra des notes : que
fait le « discutant » pendant la séance,
demande-t-il la parole, qui regarde-t-il… Il pourra
rédiger une question écrite et la poser à la
cantonade au cours de la discussion. En fin de séance, il fera
sesremarques à l’élève qu’il a
observé.
Deuxième
ajustement
L’atelier
divisé en 3 groupes : cette étape est mise en
route à partir du mois de mars. Les 27 enfants de la classe
sont divisés en 3 groupes afin d’établir une
rotation dans les différents rôles. Dans l’année
chaque élève aura été animateur deux fois
de suite, puis alternativement « discutant »
et observateur de« discutant ».
Cadre
du dispositif
À gauche du dispositif, dans l’axe central se trouve
la table des 3 animateurs(président, reformulateur et
synthétiseur) et au centre l’élève
« micro ». L’enseignant reste à
côté du synthétiseur. En face des animateurs
prennent place les 4 élèves qui leur succéderont.
À droite et à gauche des animateurs prennent place 9 ou
10 observateurs de « discutants ». Au
centre, un U est formé avec des bancsoù s’assoient
les 9 et 10 « discutants »..
observateurs de discutants
Tabledes 3
animateurs micro
discutants
maître
observateurs des discutants
observateurs des animateurs
Lors
de la discussion de véritables échanges prennent forme
« Je suis d’accord avec ce qu’a dit…
parceque… », nous dépassons enfin la
définition des mots. Les élèves émettent
des opinions autour desquelles il y a débat. Les observateurs
de « discutants » interviennent également
pour poser des questions. Les élèves tentent
d’argumenter pourquoi ils sont d’accord avec telle thèse
ou opposés à celle-ci. Au terme de la discussion, les
remarques faitespar les observateurs donnent lieu parfois à
de savoureuses analyses du style : Maxime a observé
Arielle « Tu as semblé absente, tu demandes pas
la parole et tu n’écoutes pas ».
Ce à quoi Arielle rétorque « J’ai
parlé une fois, et j’écoute mais je préfère
écouter lesautres ».
En fait, Maxime n’avait pas remarqué qu’Arielle
était timide et a confondu le côté réservé
de sa camarade avec du désintérêt, ce qui n’était
pas le cas. Benoît qui observe le président de séance
lui fait remarquer que ce dernier manque parfois d’autorité
et qu’il donne la parole depréférence à
ses copains. Ce regard fait prendre conscience à cet élève
et au groupe de la nécessité d’impartialité
que suscite le rôle de président de séance. Dire
à l’autre « voilà
comment je te perçois »
ensuite, que l’élèveobservé puisse à
son tout faire une objection conduit les enfants à réellement
habiter leur parole. Cette parole entraîne un méta
regard sur le
fonctionnement
de l’atelier et une réelle décentration de la
part de ces enfants de 9 ans.
En
conclusion
J’ai
procédé par petites touches pendant plusieurs mois
avant d’atteindre un fonctionnement convenable. Si onretient
comme hypothèse, qu’enseigner c’est d’abord
organiser des situations et des conditions d’apprentissage,
alors on peut considérer que cette recherche didactique est
cohérente et justifie un travail centré principalement
sur l’organisation de l’atelier de philosophie.
D’un
point de vue didactique,notre démarche s’intègre dans
le cadre imposé par les injonctions ministérielles qui
préconisent de placer l’enfant au centre du système.
Par ailleurs, le programme d’Éducation Civique incite
les enseignants à partir de la vie de la classe pour que
« l’enfant découvre les règles de
vie en société, les valeurs qui la fondent et fasse
l’apprentissage de sa propreresponsabilité .
(…) L’enfant réfléchit sur les valeurs
relatives à la personne et sur les normes de la vie en
commun ; il acquiert peu à peu de celles-ci une pratique
raisonnée. »
(I.O. 1995, pp. 28-29.et. 40)
D’un
point de vuephilosophique, les élèves sont plongés
dans une tâche non linéaire qui implique des processus
médiateurs. Au travers des interactions entre pairs l’élève
est appelé à considérer le savoir sous un autre
angle. Ce n’est pas un savoir transmis où l’un
serait le détenteur (le maître) et l’autre
(l’élève) un simple récepteur. La
construction dusavoir ne découlerait pas non plus d’un
développement dont la source serait interne, mais s’alimente
au travers d’une médiation externe dont les
connaissances sont loin d’être écrites à
l’avance. Pour ce faire, les élèves développent
leur pouvoir d’agir grâce aux autres et la réflexion
sur une parole en acte devient l’outil principal sur lequel les
élèves sontinvités à discuter.
Bien
évidemment, je ne prétends pas transformer en
« philosophes » les élèves ou
atteindre des changements spectaculaires grâce à
l’atelier de philosophie. Il s’agit de rendre faisable la
réflexion philosophique des enfants dans le cadre scolaire
afin dedévelopper chez eux une socialisation démocratique
authentique. Et nous pouvons supposer peut-être que si la
philosophie est considérée comme le couronnement des
études elle pourrait en constituer également la source.
Articuler
des exigences intellectuelles sur un dispositif démocratique
Alain
Delsol, instituteur, docteur en sciences de l’éducation.
Ce
chapitre décrit la mise en place d’un atelier de
philosophie dans une classe de C.M. 1 (enfants de 9/10 ans). Nous
appelons« atelier de philosophie » une
séquence où on suscite la réflexion des élèves
autour d’idées qu’on pourrait qualifier de
philosophiques. Il s’agit d’amener les élèves
à faire des « expériences de pensée »,
à effectuer des opérations intellectuelles où
ils puissent penser par eux-mêmes en tentant deconceptualiser,
problématiser argumenter (Tozzi) leur point de
vue à propos de thèmes tels que : Sommes-nous
tous pareils ? A-t-on besoin de justice …
Nous
ne visons pas à transmettre un quelconque contenu de
philosophie, nous invitons lesélèves à adopter
un geste mental (La Garanderie) qui favorise une pensée
réflexive. Pour ce faire, nous mettons en place une situation
qui favorise un échange démocratique. Les contenus des
ateliers philosophiques rejoignent les injonctions ministérielles
(B. O. 1995, 1999).
Ce
chapitre rappelle en premierlieu les différents ajustements
du dispositif, en second lieu l’intérêt de
rattacher l’atelier de philosophie au programme d’Éducation
Civique. Enfin, il décrit au travers des fonctions du
dispositif les apprentissages spécifiques qui en découlent.
en place du dispositif
Tout
au long de l’année, nous avons rectifié le
fonctionnement de l’atelier de philosophie. Les premiers
ateliers de philosophie ont débuté fin octobre.
L’ensemble du groupe classe est regroupé chaque semaine
le vendredi lors de la dernière heure. 24élèves
s’assoient sur des bancs disposés en « U »,
3 animateurs (le président de séance, le
reformulateur et le synthétiseur) leur font face.
L’enseignant s’occupe d’enregistrer la séance
à côté de l’élève qui tient
le rôle de synthétiseur.
janvier nous procédons à des modifications. Un groupe
de 9 ou 10 « discutants »
prendra place au centre sur des bancs. Un second groupe de 9 ou 10
élèves observera les « discutants ».
Chaque observateur suivra un« discutant »
et prendra des notes : que fait le « discutant »
pendant la séance ; il donnera des conseils…
Il pourra rédiger une question écrite et la poser soit
à un élève soit à la cantonade au cours
de la discussion. En fin de séance, il fera ses remarques à
l’élève qu’ila observé. Chaque
semaine le discutant deviendra observateur et vice versa.
Observateurs
de discutants
des 3 animateurs
micro
discutants
Maître
Observateurs
des discutants observateurs d’animateurs
rectifications apportent les changements attendus. La discussion
engendre de véritables échanges « Je suis
d’accord avec ce qu’a dit… parce que… »,
nous entrons enfin dans la discussion philosophique. Les observateurs
de « discutants »
interviennent également pourposer des questions. Les élèves
tentent d’argumenter pourquoi ils sont d’accord avec
telle thèse ou opposés à celle-ci.
Lien
du dispositif avec l’éducation civique.
Le
programme d’Éducation Civique incite les enseignants à
partir de la vie de la classe pour que « l’enfant
découvre les règles de vie en société,
les valeurs qui la fondent et fasse l’apprentissage de sa
propre responsabilité . (…) L’enfant
réfléchit sur les valeurs relatives à la
personne et surles normes de la vie en commun ; il acquiert peu
à peu de celles-ci une pratique raisonnée. »
(I.O. 1995, pp. 28-29.et. 40). Dans le programme d’Éducation
Civique, la première partie est consacrée à la
construction d’une citoyenneté responsable : "respect
de soi, respect de l’autre, devoir de responsabilité ;
sens du débatdémocratique ; écoute et
respect de la parole de l’autre", la seconde est
consacrée à la vie civique dans la société :
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen,
fonctionnement des institutions de la République. Le
dispositif de l’atelier de philosophie met en valeur les
notions de la première partie de ce programme et met en
pratique celles du second volet en proposantaux élèves
de vivre une situation fonctionnant selon les principes démocratiques
des institutions de la République.
Notre
démarche met en place une éthique communicationnelle :
respect de la parole de l’autre, besoin de l’autre pour créer
une « communauté de recherche »(Lipman)
dans la discussion. Nous favorisons chez l’enfant l’élaboration
d’une pensée intellectuelle rigoureuse : savoir
donner des définitions, penser ce que l’on dit,
questionner, argumenter, défendre son point de vue, critiquer
le point de vue d’un autre sans agressivité.
Rôle
et effets du dispositif sur les apprentissages
Le
président de séance garant de la loi
Il
doit donner la parole aux discutants en évitant les choix
sélectifs.Il doit rappeler à l’ordre ceux qui
bavarderaient. Il donne la parole au reformulateur, puis au
synthétiseur. Enfin, au milieu du débat il doit
également inviter les observateurs des discutants à
poser une question. Si la discussion s’anime, il doit jouer
d’impartialité lorsqu’une forêt de doigts se
lève. L’enfant incarne alors une partie du pouvoir du
maître de classe, il intériorise lacompréhension
de ce qu’est la loi pour conserver la cohésion du
groupe. Cette tâche était très appréciée,
notamment par les élèves les plus faibles scolairement
car elle valorise leur estime d’eux-mêmes.
Le
Reformulateur moteur dela conceptualisation
Il
s’agit certainement du rôle le plus formateur dans cet
atelier. Cette tâche est fortement liée au contexte :
le reformulateur doit écouter tous les élèves,
retenir ce qu’ils disent, noter une partie de leurs discours
puis restituer au groupe ce qui vient d’êtredit. Il ne
s’agit pas d’une simple redite, mais d’une
micro-synthèse : confirmer que la parole d’un élève
a été entendue et comprise, généraliser
en résumant les énoncés, reformuler dans un
style indirect ce qui a été énoncé dans
un style direct. Ainsi, l’action du reformulateur amorce les
bases d’une communauté de recherche. Ilconsidère
toute parole comme étant importante, il n’effectue pas
de jugement de valeur, il instaure un climat de confiance, de
tolérance, d’écoute, de non-agressivité
favorisant le débat. Mais pour que le débat se
transforme en discussion philosophique, il convient que
l’argumentation
desélèves s’appuie sur des notions clairement
conceptualisées. C’est ce type d’exigence
intellectuelle que la reformulation tentera de mettre en œuvre.
Tableau
n° 1 ; Paroles d’enfant observateur de reformulateur,
et reformulateur.
Séance L’adulte
L’adulte
L’adulte |
Ces
propos seront repris par la plupartdes enfants qui effectueront ce
rôle. L’élève prend conscience des
fonctions nécessaires pour reformuler ce qui vient d’être
dit. Mais lorsqu’il vit la situation il s’aperçoit
que c’est plus difficile qu’il ne le pensait et trouve
qu’écrire des notes rapidement c’est très
difficile. L’enseignant donnera quelques conseils pour utiliser
des abréviations, mais la tâcherestera compliquée.
La
prise de notes a induit chez les élèves qui ont une
écriture peu soignée un effet inattendu. Certains
enfants n’ont pas conscience qu’ils écrivent pour
eux. Suite à cette tâche, deux élèves ont
amélioré de façon spectaculaire leur graphieet
par la suite, arrivant à se relire, ont su mieux utiliser leur
brouillon dans des tâches de réécriture.
Tableau
n° 2 : paroles d’enfant reformulateur.
Séance JU |
Cet
élève prend des notes mais elles ne sont pas
suffisamment lisibles pour qu’il puisse se relire. On peut
penser que lorsque JU dit que pour écrire « il
ne faut pas être dans la lune » il veut dire
qu’il doit mémoriser ce qu’il a entendu et
compris. Or pour reformuler, on ne peut pas uniquement retenir de
mémoire, il faut également s’appuyer sur sa prise
de notes.
Le
tableausuivant montre la capacité de restitution lorsqu’un
élève arrive à concilier l’écoute,
la compréhension et une prise de notes suffisante. Un travail
de reconstruction linguistique est nécessaire pour réaliser
des micro-synthèses : passer du style direct au style
indirect.
Tableau
n° 3 : paroles d’enfant reformulateur.
Séance 6 |
Le
tableau suivant montre qu’une écoute active oblige le
discutant à penser ce qu’il dit, donc à
s’exprimer de façon intelligible. Le reformulateur est
obligé de faire répéter un discutant lorsque
son énoncé n’est pas suffisamment compréhensible.
Tableau
n° 4 : parole d’enfants CO reformulateur et AL
discutant.
n°12, 14/01/00, thème Doit-on respecter la parole de l’autre ? AL |
Le
synthétiseur moteur de l’argumentation
rôle est complexe car il demande à l’enfant de
pouvoir synthétiser les résumés du reformulateur
et estimer si la discussion va dégager une problématique.
Il tente de poser des questions lancées à la cantonade.
Le
tableau suivant montre que la qualité dutravail du
synthétiseur dépend en partie de celle du reformulateur
et de sa capacité à généraliser
Tableau
n° 5 : paroles d’enfants
Séance En Séance EM 14, 28/01/00 : thème Qu’est-ce que c’est l’intelligence ? Le |
Les
réponses de EM montrent que la compréhension du rôle
de synthétiseur n’est pas suffisant. Il a pris
conscience de la difficulté lorsqu’il était
observateur, il amême proposé un conseil judicieux
« écouter le reformulateur pour faire des
résumés ». Mais il se perd lorsqu’il
doit faire son résumé car il faut garder à
l’esprit la question initiale pour repérer les
différentes thèses élaborées durant la
discussion.
Le
tableau suivant nous fait découvrir comment une élève
arrive à repérer les diverses thèses du groupe.
Elle repère ce qui a été dit, elle n’hésite
pas à le répéter ce qui constitue une aide pour
les autres enfants. Elle les aide à bien situer le problème,
puis elle est capable de relancer la problématique en ouvrant
la discussion vers une nouvellepiste de recherche. Nous avons choisi
cet extrait car l’élève qui tient le rôle
de synthétiseur AN va reprendre les propos d’un élève
discutant, PA, or ces deux élèves ne s’apprécient
pas dans la vie de la classe, on pourrait dire qu’ils sont
chien et chat. Regardons ce que AN va dire des propos d’un
élève qu’elle rejette d’un point de vue
affectif.
Tableau
n °6 : paroles d’enfant synthétiseur
Séance PA |
On
apprécie dans cette intervention la reprise de ce qui a été
dit auparavant : l’élève utilise un
métalangage, il domine son sujet « il y a deux
thèses » puis propose une troisième pistede
réflexion . Enfin, il souligne le passage intéressant
énoncé par PA, de plus il insiste même sur le
fait que ce qu’il vient de dire est pertinent. Il semble que le
dispositif ritualise la parole, ce qui permet aux enfants de dépasser
leurs conflits affectifs lorsqu’ils se plongent dans les
exigences intellectuelles réclamées par l’atelier
de philosophie.
Les
discutants moteur de l’argumentation
Ils
tentent de donner des définitions, expriment leurs opinions
mais également argumentent leurs propos : pourquoi ils
sont en accord ou en désaccord avecles autres propos. Ici
l’exigence intellectuelle du débat s’appuie sur la
construction logique des phrases. On observera notamment les
connecteurs logiques « parce que…donc »
ainsi que le raisonnement des enfants.
Tableau
n° 7 : paroles d’enfantsdiscutants
Séance
|
Ces
trois discutants ont exercé une fonction d’animateur et
cette fonction a amélioré leur capacité
d’écoute. On notera la cohérence de la
discussion. Les enfants articulent vraiment leurspropos dans une
communauté de recherche. AN est « un peu pas
d’accord avec PA » elle reformule son énoncé
ensuite elle dit pourquoi son point de vue est différent en
opposant force physique à force d’intelligence. MA
reformule à son tour l’énoncé de AN pour
dire son accord et définit l’intelligence « être
fort avec lesmots ».
Cependant,
tout n’est pas parfait. Il est nécessaire que
l’enseignant intervienne parfois lorsqu’un élève
n’a pas fait l’effort de penser ce qu’il dit.
L’exemple ci-dessous en est l’illustration.
Tableau
n° 8 : paroles d’enfant discutant.
Séance EM |
Ici,
il s’agit plus d’un entretien philosophique que d’une
discussion philosophique.L’enseignant va aider l’enfant
sur le chemin de la connaissance en faisant en sorte que la réponse
soit donnée par l’enfant lui-même. Nous pouvons
apprécier la richesse de ce travail avec la conclusion de EM
« Donc en fait c’est compliqué de
choisir ».
Les
observateurs moteur de la problématisation
D’une
semaine à l’autre les élèves alternent le
rôle de discutant et d’observateur. Ils écoutent
les discutants, ils réfléchissent à unequestion
qu’ils écrivent puis demande la parole au président.
Ils questionneront soit le groupe soit un discutant en particulier.
Voici quelques exemples de questions qui sont en fait de véritables
problématiques
Tableau
n° 9 : paroles d’enfants observateurs dediscutants.
Séances
JU
CO |
Ces
exemples montrent que ces élèves restent attentifs à
la discussion, et posent des questions pertinentes qui la relancent.
La question de PA invite lesélèves à étudier
l’autre aspect de la question en opposant vérité
et mensonge. La question de MA interroge sur l’incidence des
petits mensonges. JU demande au groupe une définition très
philosophique. EM interroge le rapport opinion et loi. CO propose une
réflexion d’ordre éthique.
Pour
conclure
L’éveil
à la pensée est en cohérence avec les
injonctions ministérielles. Cela implique de plonger les
élèves dans une tâche non linéairequi
nécessite la mise en place de processus médiateurs. Le
dispositif présenté dans ce chapitre favorise les
interactions entre élèves et entre élèves
et enseignant.
La
littérature scientifique sur l’apprentissage présente
un certain consensus pour démontrer quel’apprenant
n’acquiert pas des concepts ou des méthodes de pensée
par une simple transmission directe : l’enseignant montre
et l’enseigné assimile. Selon Perret-Clermont,
Nicollet, Doise, Mugny tout apprentissage est contextualisé,
ce qui présuppose que la construction du savoir est d’abord
sociale. La confrontation des opinions des élèves
entraîne un déséquilibre inter-individuelet
intra-individuel, c’est-à-dire un conflit
« sociocognitif ». Les élèves
sont alors conduits à coordonner leurs opinions en vue
d’élaborer un accord interpersonnel pour maintenir leur
cohésion de pensée avec le groupe. On ne suppose pas
qu’un élève comprendra un concept par le simple
décodage linguistique et sémantique qui le définit.
Par ailleurs, le recours auxthéories génétiques
ou cognitives restent à ce jour peu convaincantes. Les
premières présentent l’activité mentale
comme un processus de traitement de l’information, les secondes
comme un système hiérarchisé de traitement
d’informations. Mais tout cela n’aide pas à
concevoir comment l’enseignement peut faciliter
l’apprentissage. Le dispositif de l’atelier de
philosophieinduit une série de déséquilibres
conceptuels, un certain nombre de confrontations authentiques pour
aider l’apprenant à élaborer un certain
formalisme de la notion débattue. Ainsi, lors de l’acquisition
d’une notion abstraite l’apprenant construit à la
fois « avec ses structures cognitives et affectives »
(Piaget) et « contre celles-ci » (Bachelard).
Liste
des sujets traités
(renvoi
à la page de la brochure lorsque le compte rendu a été
écrit)
31/09/96 Discuter
philosophiquement, quel intérêt ? p. 6
21/10/96 Pourquoi
se compliquer la vie quand celle-ci est
si
courte ? p. 8
02/12/96 Comment
concilier la nécessité philosophique du
doute
avec la conviction liée à l’engagement ? p.
10
06/01/97 L’amour
est-il une illusion ? p. 12
10/02/97 A
t-on besoind’une morale ? p. 15
24/03/97 Penser
sa vie et vivre sa pensée p. 17
07/04/97 L’idée
de la mort est-elle instructive ? p. 19
20/05/97 Faut-il
réinventer la démocratie ? p. 21
23/06/97 A
t-on besoin de Dieu ? p.
15/09/97 Communiquer
vraiment, est-ce possible ? p. 24
13/10/97 Faut-il
des limites à la recherche scientifique ? p. 26
17/11/97 Jusqu’où
peut s’affirmer la liberté d’un individu ? p.
28
15/12/97 Quelle
est la place du hasard dans notre vie ? p.
12/01/98 Les
utopies sont-elles mortes ? p.
02/02/98 Quelle
attitude devant l’art moderne ? p.
16/03/98 Les
femmes sont-elles des hommes comme les autres ? p.
20/04/98 Peut-on
toucher physiquement un enfant à l’école ? p.
travail est-il encore une valeur ? p.
08/06/98 Jusqu’où
peut-on être tolérant ? p.
14/09/98 Qu’est-ce
que l’autre pour moi ? p. 30
12/09/98 suite p.
16/10/98 L’art
naît de la contrainte et meurt de la liberté. p 32
07/11/98 suite p.
11/01/99 Peut-on
tirer des leçons de l’histoire ? p. 33
08/02/99 Peut-on
tirer des leçons de son expérience personnelle ? p.
34
épanouissement ou piège sociétal ? p. 34
26/04/99 Pourquoi
vouloir rester jeune ? p. 36
17/05/99 Responsable
mais pas coupable ? p.
14/06/99 Que
pourrait être la sagesse aujourd’hui ? p.
20/09/99 Le
café philosophique comme espace public ? p. 36
25/10/99 Pourquoi
laguerre ? p. 38
15/11/99 Comment
la paix ? p. 39
06/12/99 Faut-il
avoir peur de l’an 2000 p. 40
la vérité. p. 42
14/02/00 Toute
vérité est-elle bonne à dire p. 43
27/03/00 Peut-on
rire de tout ? p. 44
que le bonheur ? p. 45
29/05/00 Pourquoi
se hâter ? p. 46
26/06/00 Pourquoi
ce besoin d’intimité ? p. 47
une vertu ? un leurre ? p. 49
23/10/00 La
masculinité, c’est quoi aujourd’hui ? p.
2
LINHART Robert, (1978), L’établi, Paris,
Éditions de Minuit.
peut reprocher à certaines expériences de ne pas
résister à l’épreuve du temps, cependant
il est aberrant de décontextualiser l’expérience
de son contexte. Le cas de l’intellectuel à l’usine
dans une période de plein emploi, période durant
laquelle le monde capitaliste défrichait sans remords les
“bleds” de la France profonde ou les“hameaux”
des ex-colonies ne se compare en rien au travail que pourrait faire
un intello dans une usine aujourd’hui. Hier, il y entrait par
choix ; aujourd’hui il galère pour trouver un emploi.
Autres temps autres moeurs…
3
Tout événement de quelque nature qu’il soit est
effet d’une cause, d’où connaître l’état
d’un système à un moment donné permet
dans les limites de la connaissance de son époque de prévoir
en toute certitude l’état ultérieur de ce
système.
i
Sur cespoints, voir Tozzi M., « Contribution à
une didactique de l’oral philosophique », et « Une
pratique sociale nouvelle de référence : le café
philosophique », in Tozzi M., MOLIERE G., L’oral
argumentatif en philosophie et en français, C.R.D.P. de
Montpellier, 1998.
ii
cf les articles parus dans la revue des cafés philosophiques
Philos, dans le journal Le vilain petit canard, et
dans le n°10, oct. 1997, de l’A.R.D.A.P. (Association pour
la Recherche en Didactique de l’Apprentissage du philosopher).
iii
cf nos travaux sur la didactique de l’apprentissage du
philosopher depuis dix ans. Par exemple :
-
« Contribution à l’élaboration d’une
didactique de l’apprentissage du philosopher »,
RevueFrançaise de Pédagogie, n°103,
avril-mai-juin 1993, I.N.R.P.
-
« De la philosophie à son enseignement : le sens
d’une didactisation », in Savoirs scolaires et
didactiques des disciplines (coord. Develay M.), ESF, 1995.
iv
L’association Philos (qui publie une revue du même nom),
réseau informel des cafés philosophiques, fait état
du besoin exprimé par certains animateurs d’une
formation, notamment philosophique, à cette fonction.