Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

L’atelier de philosophie pour adultes à l’Université Populaire de Narbonne

Trois activitÉs croisÉes

L’atelier de philosophie pour adultes s’est déroulé durant sa première année 2004-2005 pendant neuf séances à raison d’un samedi matin par mois de 10h à 12h. Le thème choisi, qui se poursuit en 2005-2006, est « le rapport de l’homme au temps ».

Son fonctionnement est au croisement de trois types…

d’activités distinctes mais complémentaires : la discussion orale, l’écriture réflexive, la lecture de grands textes de la tradition philosophique. Pourquoi ces trois activités, et comment sont-elles articulées ?

Ces trois types de tâches représentent selon nous trois types d’entrée dans l’apprentissage du philosopher, développant trois compétences philosophiquesde base : lire, écrire et discuter philosophiquement, qui articulent chacune les trois capacités philosophiques de base : problématiser une notion ou une question sur le monde, conceptualiser une notion ou opérer des distinctions conceptuelles pour la penser, argumenter rationnellement une thèse ou une objection avec une visée de véritéNote1 .

Nous pensons en effet, suite à notre pratique à l’école, en formation et dans la cité, que l’on peut apprendre à philosopher, outre par l’audition de cours magistraux ou de conférences si l’on est motivé :

- par la discussion réglée à exigences intellectuelles (comme cela peut se produire en classe avec desélèves de tous niveaux ou dans certains cafés-philo)Note2  ;

- par l’écriture de sa pensée, et dans des genres très diversifiés, et pas seulement sous forme de dissertation (comme cela se pratique dans des ateliers d’écriture philosophique)3  ;

- par la lecture de textes philosophiques (entrée traditionnelle, pratiquée aussi dans de rares ateliers de lecture philosophique)Note4 .

L’originalité est de croiser ces trois approches du philosopherpour les mettre en synergie, au lieu de les travailler isolément. Car dans un café-philo par exemple, il n’y a généralement pas de textes philosophiques proposés, ni d’écriture des participants (La seule écriture est parfois la synthèse à froid d’un preneur de notes distribuée au groupe à la séance suivanteNote5 ). Dans un atelier d’écriture philosophique, il y a des moments d’écriture, puis de lecture volontaire par les participants de leurs productions, éventuellement quelques discussions avant d’écrire ou autour des productions lues, mais rarement l’apport de textes philosophiques. Et dans un atelier de lecture philosophique, si l’on part de textes philosophiques proposés par l’animateur ou les participants, les discussions éventuelles porteront sur l’interprétation du texte, rarement sur la question plus globale dont il traite ou la thèse soutenue, qui amènent à décontextualiser l’échange, et il n’a guère en principe d’écriture. On trouvera évidemment des combinaisons diverses dans les pratiques, mais il y souvent une activitéprivilégiée, comme l’indique l’intitulé.


Atelier, non confÉrence

Il s’agit bien d’un atelier, et non d’une conférence-débat, pratique sociale stabilisée où un expert, dans la discipline ou sur une question, vient proposer en une heure et demi ses connaissances ou recherches, avec deux ou trois questions des auditeurs dans le dernier quart d’heure auconférencier, qui répond longuement. Ni de la formule de M. Onfray à l’Université de Caen, où le temps est partagé en une heure d’exposé et une heure de questions ou réactions. Nous avons eu par ailleurs ce type d’apport dans notre université par des conférences sur la bioéthique coordonnées par un professeur de philosophie.

Atelier signifie étymologiquement« éclat de bois ». C’est l’image de l’ébéniste chez lequel on va s’exercer à travailler le bois, comme ici on va s’exercer à travailler sa pensée. Dans notre atelier, l’animateur, professeur de philosophie pendant plus de vingt ans, ne se présente pas essentiellement comme un expert de la discipline, détenteur d’un savoir qu’il chercherait à transmettre : doctrines à expliquer, commentaires de textes. Il n’a pas non plus la figure du professeur qui vulgarise, interroge et évalue. Il n’y a dans l’atelier ni prérequis exigés, ni programme à appliquer, ni objectifs à atteindre, ni cursus à parcourir, ni fiche de présence, ni examen à noter : pas d’obligation de résultats ni même de moyens. Les participants sont desadultes volontaires rejoignant l’atelier quand ils veulent et venant à des séances pour eux facultatives.

L’animateur se veut plutôt un accompagnateur du « groupe philosophant » et de chaque individu qui s’essaye à penser, en veillant, par sa conduite de la séance, à ce que soient mis en œuvre des processus de pensée philosophiquement formateurs (problématisation, conceptualisation, argumentation). Il fait ainsi fonction de vigie des démarches réflexives.

Il doit détenir selon nous, pour qu’un travail se fasse, des compétences d’animation de groupe (gestion psychosociologique de la dynamique des échanges), et être au clair, pour que ce travail ait une visée philosophique, sur les dispositifs et exigences d’une discussion qui a cette visée, sur lesconsignes d’écriture permettant d’exprimer une pensée personnelle, mais cherchant une validité dépassant don expérience personnelle, sur le choix de textes philosophiques accessibles aux participants et la connaissance de leur contenu. Mais il n’est en aucun cas dans la logique d’une exposition magistrale. Tout au plus peut-il ponctuellement apporter si c’est nécessaire un éclairage particulier sur des points précis (son expertise est ciblée).

Compte tenu du type d’activité et d’interactivité demandés aux participants (le temps d’expression souhaitable pour chacun, le tour de table de lecture des productions écrites etc.), le groupe ne saurait dépasser une certaine taille. Sur vingt-cinq participants dans l’année, les séances ont oscillé entre 12 et 20 personnes, cequi semble satisfaisant.

Etant donné le principe du volontariat et le nombre fluctuant de participants à chaque séance, pour assurer à la fois la cohérence de chacune et la progression de la réflexion sur l’année :

- chaque séance forme un tout par elle-même (l’atelier peut donc être pris en cours de route, et une séance peut être sautée sans perdre pied), carelle explore un aspect du thème (le rapport de l’homme au temps), par exemple : « De mon rapport personnel au temps au rapport de l’homme au temps », « Qu’aurait fait Cro-Magnon d’une horloge ? », « Qu’est-ce que le temps ? », ou « Gérer son temps », avec un texte par séance ;

- mais il y a une progression del’exploration sur l’ensemble des séances : d’abord les questions liées à notre rapport au temps, et l’émergence des concepts qui sont liés à la notion de temps (sa carte conceptuelle), puis l’exploration de ses différentes dimensions : le passé, l’avenir, le présent, puis une reprise problématisante sur « qu’est-ce que le temps ? » etc.

Pour formaliser cette continuité, quand des participants font référence à des séances passées, l’animateur les explicite et resitue si nécessaire, car il est le fil conducteur de l’atelier. Une synthèse de chaque séance, faite par un participant et complétée par l’animateur, est par ailleurs distribuée à la séance suivante, avec possibilitéd’accéder à tous les comptes-rendus de l’année sur le site de l’UPS : http://perso.wanadoo.fr/universitepopu.septi

 

Des dispositifs

Chaque séance articule de façon spécifique les trois types d’activité, en les combinant chaque fois de façon différente. Il n’est pas simpled’avoir les trois dans la même séance, compte tenu du temps limité des deux heures. Peut-être jouerons-nous en 2005-2006 de la diversité des activités sur plusieurs séances et non une seule…

Si l’animateur-reformulateur reste stable et conduit l’atelier dans la durée, deux fonctions différentes sont réparties en début de séance sur des volontaires et changent à chaquefois :

- le président de séance, qui donne la parole pour les débats, qu’ils soient sur le thème du jour, sur l’interprétation d’un texte ou sur les textes des participants qui viennent d’être lus, selon deux règles précises : dans l’ordre d’inscription, mais avec priorité à ceux qui n’ont pas encore ou ont moins parlé ;

- lesecrétaire de séance qui prend des notes sur le déroulement, en particulier lors des débats. Ces fonctions, centrées pour la première sur la forme démocratique des tours de parole, la seconde sur la mémoire collective du groupe sur le fond, sont très formatrices pour les participants, dont certains s’y essayent pour la première fois.

Un participant volontaire introduit parfois pendantcinq minutes le thème du jour, selon ses compétences et avec préparation, fournissant un contenu pour démarrer une discussion.

- Les moments de débat sont limités dans le temps, pour respecter le temps des diverses activités, et gérés par le président de séance, avec des reformulations et des questions collectives ou individuelles de l’animateur.

- Les textes sont autantque possible distribués à la séance précédente pour prise de connaissance, relus collectivement puis individuellement pendant la séance (pour les nouveaux notamment), parfois présentés par l’animateur. On procède en deux temps : d’abord un débat d’interprétation sur le texte entre participants, gérés par le président. L’animateur n’intervientà ce stade que pour empêcher que l’on prenne position sur le texte pendant ce temps qui doit être consacré à la compréhension, car les « lectures » des participants sont très différentes et il est utile de les confronter entre elles. Il intervient éventuellement à la fin pour faire une synthèse des apports des participants (consensus et divergences), et/ou pour clarifier un pointproblématique ou non abordé. Dans un deuxième temps a lieu un débat sur les idées du texte, car les participants ont envie de réagir sur ce qu’ils ont compris et leur pose question.

Nous avons étudié à titre d’exemple des textes de Augustin, Pascal, Nietzsche, Bergson, Sartre…

-Les temps d’écriture, précédés ou suivis de discussion,démarrent par des consignes d’écriture précises (la tâche à faire, par exemple le genre d’écriture – exemple un aphorisme – le temps prévu…), et sont suivis d’un tour de table où les volontaires seulement lisent leur texte. Ces textes peuvent être retravaillés hors atelier, et les volontaires voient leur texte annexé au compte-rendu, avec le plus souvent seulement le prénom, ouanonyme.

Dans le bilan de fin d’année, il a été exprimé l’intérêt pour les échanges de la « diversité des personnes et des positions sociales ». « Cet atelier me permet en toute sérénité et confiance d’expliquer mon rapport avec le temps. J’ai découvert que ce rapport est loin d’être partagé avec les autres membres dugroupe. Cet atelier est un « lifting » intellectuel ». « Au départ j’ai eu une attitude passive et un peu confortable, celle de l’élève qui vient pour apprendre des choses, en prendre ou en laisser, avec une certaine distance et un certain scepticisme. Puis j’ai eu la révélation progressive qu’il est difficile de ne pas s’impliquer, donc de s’exposer, de se mettre en dangerface aux autres et surtout à soi-même. Et c’est profondément dérangeant mais certainement enrichissant ». « Les textes peuvent paraître difficile à certains, mais semblent élever le niveau du groupe, par l’apport de la profondeur d’une pensée. Les discussions mutualisent les expériences personnelles et les idées plus générales. C’est pas facile de passer de sonvécu individuel à une conception plus globale : l’apport des autres, le questionnement et les reformulations plus abstraites de l’animateur, les textes des philosophes nous y aident. L’écriture est laborieuse pour certains, surtout en si peu de temps, mais elle permet de poser sa pensée. Le choix de la même notion pendant toute l’année permet un approfondissement : le temps s’y prête bien par son aspectexistentiel. C’est un support de réflexion qui peut être creusé sous de multiples dimensions. Cela mérite bien une deuxième année ».



Notes
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1 Cf Penser par soi-même – Initiation à la philosophie, Chronique sociale, Lyon, 1er édit. 1994.


2 Cf www.philotozzi.com , voir les rubriques « discuter philosophiquement », ou « Les cafés-philo ».

Ou L’oral argumentatif en philosophie, Crdp Languedoc-Roussillon, 1999.


3 Cf Diversifier les formesd’écriture philosophique, Crdp languedoc-Roussilon, 2000.


4 Cf Lecture et écriture du texte argumentatif en français et en philosophie, Crdp languedoc-Roussilon, 1995.


5 Voir les articles de Marie Pantalacci et Alain Delsol dans Diotime n° 21, de Gisèle Mattely dans Diotime n° 27, ou celui de Romain Jalabert plus loin dans ce n° 28.

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