La philosophie avec les enfants, un indicateur de la modernité
Sans entrer dans les distinctions historiques, sociologiques ou philosophiques sur les concepts de modernité, post-modernité, hyper-modernité etc., je définirai dans cette article la « modernité » comme ce qui caractérise les grandes tendances sociétales actuelles dans les sociétés dites développées : qu’elles soient en continuité (en prolongeant des tendances récentes, ou des courbes : par exemple l’aspiration des femmes avec enfants à travailler, l’individualisme des comportements, l’extension de la mondialisation, l’accroissement de la conscience écologique, le sentiment d’insécurité), ou en rupture avec les périodes précédentes (la déterritorialisation de la guerre avec le terrorisme, le communautarisme en France ou … la philosophie dès l’école maternelle).
Par « indicateur », j’entends ce qui fait signe de cette modernité, comme un poteau indicateur donne le sens, à la fois direction et signification.
Et par « philosophie avec les enfants », une pratique – sous-tendue par des conceptions et des valeurs – introduite dans les années 1970 aux Etats-Unis par le philosophe M. Lipman, visant à faire réfléchir dès leur plus jeune âge les enfants sur les problèmes fondamentaux de l’existence humaine, et qui se développe depuis le début de ce siècle en France à l’école primaire et au collège, dans les Universités Populaires et diverses institutions ou lieux dans la cité.
Ma thèse est que la philosophie avec les enfants est un des indicateurs de cette modernité : parce qu’elle amène à repenser l’enfance et à repenser la philosophie, dans et par le rapport de la philosophie à l’enfance et de l’enfance à la philosophie.
Ce qui indique la modernité de la philosophie avec les enfants, c’est la rencontre féconde entre :
- la place nouvelle de l’enfant dans la société occidentale contemporaine, la reconnaissance de sa parole, de ses droits, du caractère possible et souhaitable de l’élaboration et de l’expression de sa pensée ;
- une façon nouvelle d’aborder la philosophie, non comme champ universitaire théorique ou enseignement d’une matière scolarisée, mais comme pratique : pratique sociale et culturelle dans la cité, et pratique scolaire plus qu’enseignement à l’école.
L’enfant comme sujet d’une parole considérée
De « l’infans » au « loquans »
Il y a eu progressivement en occident une mutation conceptuelle de la notion d’enfance.
- Freud nous a révélé la réalité et la polymorphie de sa sexualité précoce. La psychologie développementale (Piaget, Wallon) nous a donné l’image d’un être en gestation, qui se mature au cours d’un devenir. La psychologie cognitive insiste aujourd’hui sur la précocité de ses représentations, par lesquelles il se construit très tôt une certaine vision du monde, à partir de la façon dont il traite son expérience. La psychologie sociale nous éclaire sur la manière dont les interactions avec le milieu familial et les pairs jouent dans la perlaboration de ses conceptions premières et de leur évolution. L’enfance et l’adolescence, au travers d’une étoffe temporelle, ont une spécificité affective, sociale et cognitive qui fut longtemps ignorée, et qui commence à être mieux connue.
- Cette approche psychologique, à la fois scientifique et clinique, a été certainement favorisée par le développement de l’idéologie et de régimes démocratiques. Ceux-ci ont mis en avant, en référence à des Conventions (ex : des droits de l’homme et du citoyen), et en les inscrivant dans leur Constitution, la notion de droits individuels. Juridico-politiquement établis, ils peuvent donc être revendiqués, par des luttes pour la reconnaissance (Cf. A. Honneth) dans une société où l’individualisme devient prégnant. Après la reconnaissance de droits pour le citoyen (d’abord uniquement un homme), ce fut la reconnaissance des droits des femmes (contraception, avortement, etc.), et aujourd’hui des enfants. La Convention internationale des droits de l’enfant (1989) accorde en effet à celui-ci nombre de droits individuels, opposables au pouvoir sur lui de sa famille (ex : maltraitance), de ses éducateurs (ex : interdictions des châtiments corporels), et plus généralement des adultes (ex : pédophilie). Pour ce qui nous intéresse ici plus particulièrement, le droit à l’expression de sa pensée.
- L’enfant est donc devenu dans la modernité un sujet. Un sujet de droit : l’enfant est désormais entendu par un juge lorsqu’il est victime, parce qu’il n’a pas été respecté dans ses droits. Mais aussi lorsqu’il est présumé coupable, parce qu’un sujet de droit non incapable, et l’enfant semble l’être de plus en plus tôt, est réputé responsable de ses actes (voir les projets d’avancer en France la majorité pénale).
Et un sujet au sens clinique. Les psychologues se sont mis à écouter l’enfance, longtemps privée par les adultes de parole, d’une parole digne d’être entendue pour ce qu’elle dit d’une subjectivité : celle d’un sujet désirant, jouissant et souffrant, à entendre et accompagner.
- Cette considération pour l’enfance a des conséquences essentielles pour les nouvelles pratiques d’éducation, traversées par une crise de l’autorité traditionnelle. Dans la famille, dite par les sociologues « libérale »1, l’enfant va avoir « droit à la parole », ce qui entraîne en son sein des discussions, ainsi que des négociations2. Après le tournant rousseauiste, qui place l’enfant au centre de l’éducation, les pédagogues de l’Education Nouvelle, comme C. Freinet, vont institutionnaliser des lieux et moments d’expression et de gestion de sa parole (comme le « Quoi de neuf ? » ou le « conseil coopératif de classe »). A l’école, l’élève va être placé, par la loi d’orientation sur l’éducation en 1989, au « centre du système éducatif ». Les didacticiens de discipline vont proposer des situations où l’enfant va construire activement, avec la médiation du maître, son propre savoir, en particulier en rentrant en « conflit socio cognitif » avec ses pairs. On développe, dès l’école primaire, et tout au long de la scolarité, le « débat » dans toutes les disciplines et dans la vie scolaire, à la fois comme objectif démocratique (éducation à la citoyenneté) et moyen d’apprentissage des disciplines scolaires.
- On le voit, aujourd’hui les juges, les psychologues, les parents, les enseignants sollicitent la parole des enfants, des élèves, et les écoutent davantage. Et ceux-ci se plaignent souvent de n’être pas encore assez entendus, pris en considération, respectés, de se sentir méprisés, preuve de la conscience de plus en plus claire d’un droit désormais revendiqué. A tel point que certains psychologues, philosophes, enseignants, politiciens dénoncent des parents asservis à la parole caprice d’un enfant-roi ou tyran, des classes bavardes où l’on ne sait plus se taire et écouter le maître… Un excès d’écoute de l’enfant ferait condamner des innocents (affaire d’Outreau). L’enfant selon eux parlerait trop et de travers, il faudrait liquider « la Pensée 68 » (L. Ferry, N. Sarkozy), qui a légitimé sa parole et son contre-pouvoir sur les adultes, instauré le primat de la spontanéité sur la réflexion, disqualifié l’expérience et la tradition, imposé le jeunisme : il faudrait garantir l’ordre dans une société où la parole des jeunes (surtout des banlieues) peut porter atteinte à l’ordre public, et restaurer le silence et l’autorité du maître et du savoir… La dénonciation même d’excès toujours possibles atteste de cette tendance moderne à considérer l’enfant non comme l’infans d’antan, étymologiquement et socio-politiquement (car la prise de parole est prise de pouvoir) « privé de parole », mais comme être loquans (« parlêtre » dit Lacan, être qui parle), par ses capacités de fait et une obligation de droit.
L’enfant comme apprenti-philosophe
Du « loquans » au « cogitans »
- Un des aboutissements de ce mouvement sociétal est qu’aujourd’hui, même certains philosophes se mettent à écouter l’enfant. C’est une rupture avec toute une tradition philosophique, qui considère, tel Descartes, l’enfance comme le lieu et le moment de l’erreur et du préjugé, ou tel Kant comme un état de « minorité » de la pensée. Une rupture avec toute une tradition philosophique de l’âge du philosopher, de l’âge nécessaire pour philosopher, et une rupture avec la tradition de l’enseignement philosophique français, qui soutient qu’on ne peut commencer à philosopher qu’en classe terminale de l’enseignement secondaire, celui de la « maturité », que donne d’une part l’âge, d’autre part l’instruction d’un savoir assimilé jusque là. Dans cette perspective, on ne peut apprendre à philosopher qu’en sortant de l’enfance, et philosopher même, c’est sortir de l’enfance. Il n’y a là logiquement aucune place pour cette idée qui paraîtrait saugrenue et provocatrice : apprendre à philosopher aux enfants.
A moins qu’on ne retourne la proposition : c’est parce que les enfants ne savent pas philosopher qu’il faut le leur apprendre, puisque l’enseignement a précisément pour objectif de nous apprendre ce que nous ne savons pas faire. Mais on serait encore loin de l’étonnement de Jaspers sur la profondeur des questions des enfants, la proposition de Montaigne de commencer la philosophie dès qu’ils sont à la nourrice, et sur la position de M. Onfray selon laquelle « les enfants sont spontanément philosophes, et quelques uns seulement le demeurent »…
- Pourquoi donc un philosophe écouterait-il avec intérêt un enfant, si ce n’est que tissu d’opinions à redresser? Parce que l’enfant, comme on l’a vu, a le droit à la parole, comme sujet et comme personne. Mais plus fondamentalement d’un point de vue philosophique parce, sujet de droit, l’enfant doit pouvoir disposer du droit de penser, ce qui crée pour le philosophe une obligation à la fois politique et éthique : car refuser ce droit de l’enfant serait le disqualifier comme sujet cogitans – et pas seulement loquans – comme être pensant, « pensêtre », qui caractérise son entrée dans l’humanité. Et ce droit de penser implique un droit d’élaborer, de formuler et d’exprimer sa pensée, de la soumettre à validation rationnelle, de la parler, de l’échanger, car il n’y pas de pensée sans langage – intérieur – ni de pensée à visée philosophique sans « publicité » (Kant), sans expression publique, profération en droit partageable dans une communauté d’esprit rationnels.
- Un professeur du philosopher comme pratique réflexive sur les grands problèmes humains – qu’il soit professeur des écoles, intervenant, enseignant de philosophie – doit éthiquement, pour que ce droit de penser de l’enfant prenne forme dans le système éducatif, postuler la possibilité pour l’enfant d’apprendre à philosopher, son éducabilité philosophique. A supposer même qu’elle fut impossible de fait, ce postulat éducatif devrait être posé, parce qu’il est politiquement et éthiquement exigé par le droit pour un enfant de penser, droit qui exige de l’école, du même mouvement, la garantie que ce droit pourra être exercé (car comme dit Kant, dès que l’on doit, on doit pouvoir…).
- Mais cette exigence en droit, cet « idéal régulateur » pour l’action, qui vaudrait même dans une impossibilité de fait, rejoint – élément nouveau et décisif pour les pratiques – une possibilité de fait. Les professeurs de philosophie qui développent dans le monde la philosophie avec les enfants et les adolescents3, partagent cette idée que les enfants peuvent apprendre à philosopher, et vérifient dans leur pratique les capacités réflexives précoces des enfants, leur aptitude à une « pensée dialogique critique » (M.-F. Daniel)4. Cette sous-estimation des capacités cognitives des élèves est aujourd’hui confirmée par la psychologie cognitive et la psychologie sociale. Les stades de développement de J. Piaget sont aujourd’hui questionnés : pas seulement à cause des progrès que l’on peut constater en travaillant dans la perspective de Vygotski sur la « zone proximale de développement de l’enfant »5 ; mais parce qu’ils n’ont pas été établis en situation réelle de classe, où l’analyse des verbatims nous donne une autre appréhension beaucoup plus productive du développement de la pensée des élèves dans et par l’interaction entre pairs dans un échange conduit par le maître.
- La communauté de recherche – concept issu de Pierce et Dewey – telle que pratiquée dans le monde par le courant lipmanien de « philosophie pour enfants », ou certains courants français et allemands par exemple, constitue une situation heuristique développant très tôt des compétences réflexives spécifiques, dès lors que certaines conditions psychosociologiques et intellectuelles sont réunies pour que la discussion ait une « visée philosophique ». Si on ne s’était pas rendu compte plus tôt de cette potentialité – malgré les constats fréquents de paroles profondes énoncées par des enfants – c’est parce que, n’essayant pas d’apprendre à philosopher aux enfants, car on le pensait impossible, ils ne pouvaient s’y essayer (effet pygmalion : toute performance humaine qu’on croit impossible a peu de chances de se réaliser, parce qu’on ne fait rien pour qu’elle se produise…).
- La modernité de la philosophie avec les enfants, c’est donc d’une part la reconnaissance de l’exigence du droit d’un enfant à penser en tant qu’individu, d’autre part la découverte de la potentialité pour l’enfant d’apprendre à philosopher, droit et capacité qui lui étaient antérieurement – et les résistances restent vives chez les philosophes – déniés. Droit qui doit s’exercer dans une école qui se veut démocratique, et potentialité qui peut se développer, mais ne se développe effectivement, c’est là le rôle de l’éducation et la responsabilité des éducateurs, que dans une démarche et des situations d’apprentissage construites et mises en place par l’enseignant.
- Découverte aussi, dès que l’on s’investit dans ces pratiques, que ces expériences d’apprentissage d’une réflexion problématisante, conceptualisante et argumentative peuvent passionner les enfants, en leur donnant le plaisir de penser, et d’apprendre à penser ensemble. Pourquoi ce plaisir? Parce que c’est une activité où peuvent s’exprimer et être accompagnées les questions qu’ils se posent eux-mêmes (et non les questions scolaires qu’on leur pose), ces questions existentielles, essentielles auxquelles un petit d’homme qui vient d’arriver sur terre se confronte pour élucider le mystère qui lui arrive, et dont il va lui falloir décrypter et construire le sens tout au long de sa vie avec d’autres ; dès l’école primaire avec ses pairs, et par la médiation de l’adulte, sans que celui-ci n’anticipe sur les réponses que l’enfant doit lui-même trouver si l’on vise le penser par soi-même. Prendre au sérieux la question de l’enfant sur son rapport au monde, à autrui et à lui-même, c’est saisir la portée anthropologique de sa démarche, l’effort pour entrer dans l’humanité et y grandir, et l’encourager dans ce désir. Considérer l’enfant comme un véritable apprenti-philosophe, c’est lui faire crédit qu’il est un être pensant, et le conforter dans cette posture en l’instituant en « interlocuteur valable » (J. Lévine), capable de mettre des mots sur le monde, de commencer à le penser pour s’y situer, pour qu’il s’expérimente et s’estime comme être pensant, situation favorable à son développement non seulement cognitif, mais affectif et social.
De l’enfance à la philosophie
Mais un philosophe peut écouter un enfant ou un élève pour des raisons autres que politiques (exemplarité d’une éducation à la civilité et la citoyenneté), éthiques (respect de l’individu et de son être en devenir) ou pédagogiques et didactiques (créer un espace d’émergence du questionnement, de confrontation constructive des opinions ou des tentatives de réponses, et accompagner la recherche d’un intellectuel collectif par une vigilance sur l’exercice de processus de pensée). Il peut avoir aussi des raisons philosophiques.
Qu’est-ce en effet que la posture philosophique originelle ? Se mettre et remettre devant une énigme humaine comme si c’était la première fois, pour s’en étonner, se pénétrer de sa profondeur anthropologique, en scruter l’épaisseur, la formuler sous forme de questions, comprendre en quoi elle est et fait problème, quels sont ses enjeux pour notre condition, entrer dans sa problématisation pour en construire une appréhension complexe…
Or l’enfant est lui aussi confronté pour la première fois aux questions que la vie, à commencer par sa vie, lui pose. Et il demande pourquoi, en quête de sens pour tenter de comprendre. Il y a une radicalité et une massivité syncrétique dans ce questionnement devant le monde qui ne cesse d’étonner l’adulte, et que la religion, la philosophie et la science vont reprendre chacune à sa façon au cours du trajet de l’histoire humaine. Être à l’écoute de cette émergence protophilosophique dans l’enfance (c’est à mon avis le sens des travaux de J. Lévine), c’est aborder peut-être l’essence du désir de penser par sa généalogie : le besoin de sens d’un être-pour-et-par-le-sens.
Il ne s’agit pas ici de mythifier l’enfance et de se laisser mystifier, mais de saisir dans son élan originel la philo-sophie, le désir rationnel de savoir à partir de questions qu’on se pose personnellement sur la condition humaine et son être-là jeté dans le monde. Les enfants savent habiter la question comme une urgence existentielle qui creuse le désir de savoir, et leurs questions perturbent nos certitudes de parents, de maîtres et d’adultes. En nous remettant devant ces questions, ils dérangent la quotidienneté de notre « divertissement » (au sens pascalien d’une fuite de nous-mêmes et des problèmes essentiels de notre existence), et nous font revenir au noyau dur de nos ignorances et de nos angoisses existentielles devant la vie, l’amour, la mort. C’est une opportunité, un kairos offert à l’adulte pour adopter ou reprendre une posture philosophique, en l’obligeant à réfléchir au lieu de se contenter d’une réponse rapide, à prendre conscience qu’en répondant à l’enfant au motif de le sécuriser, il tend à se débarrasser de la question elle-même pour vite reprendre le cours, la course de sa vie.
Mais ces questions d’enfant aident aussi le philosophe à se remettre à la tâche, comme si presque rien n’avait été dit quand le regard redevient neuf, avant toute la culture assimilée et l’histoire de la philosophie parcourue, qui peut faire aussi bien écran pour la réflexion qu’appui : comme si tout ce qui avait été déjà pensé ne suffisait pas à épuiser l’exigence de la réflexion devant la puissance de la question. « La métaphysique, dit Grothuysen, est la réponse aux questions des enfants ».
La philosophie peut donc avoir un certain rapport positif à l’enfance, qui n’est en rien l’enfance de la philosophie, dont il faudrait sortir au plus vite pour commencer à grandir en réflexion. Car le questionnement implique dans son constat d’ignorance, sa peur de l’absurde, son risque face à l’inconnu et à l’erreur, sa perplexité face à la complexité du monde, une attitude antidogmatique d’ouverture, qui inaugure une recherche, et initie pour un sujet un projet de savoir et un trajet d’apprentissage. La philosophie c’est la démarche qui laisse ce questionnement ouvert au-delà de toute réponse, de toute doctrine élaborée (« Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien »), qui voit dans la question un cadeau offert à la réflexion, qui ne peut refermer la question dans un système clos, même si la tentation existe d’en finir avec la question, et d’être dans « la » réponse (« La réponse, c’est la mort de la question » dit Maurice Blanchot. L’enfant est porteur d’une « culture de la question », que l’adulte cherche souvent à éteindre par son « culte de la réponse ».
Comme le philosophe. Il y a donc une affinité entre l’enfant et le philosophe, qui amène à repenser le philosopher : quand commence-t-il6 ? Comment le définir : philosophiquement dans sa démarche, didactiquement dans son apprentissage ? L’intérêt philosophique de la philosophie avec les enfants, c’est d’amener les praticiens de l’école primaire non professionnels de la philosophie, et les formateurs qui les préparent à cette tâche, à s’interroger sur cette visée « philosophique » qu’ils revendiquent dans leurs discussions, ce qui les conduit à une réflexion philosophique. Et son intérêt c’est aussi d’amener les professeurs de philosophie à s’interroger sur ce que c’est que philosopher, puisque c’est ce qu’ils veulent apprendre à leurs élèves, de sortir des allants de soi d’une corporation, de revisiter les philosophes pour éclairer la conceptualisation de cette notion, de se demander ce que cela peut signifier pour et avec des enfants, si c’est souhaitable et possible, comment etc.
Plus on cherche à élucider une pratique à visée philosophique, surtout lorsqu’elle est une innovation, plus on est ramené à ce qui fait l’essentiel de l’apprentissage du philosopher : apprendre à penser par soi-même les problèmes posés par l’existence humaine. Et c’est bien là en France le point nodal des discussions entre professionnels de la philosophie et non professionnels, et entre professionnels eux-mêmes, dès qu’il s’agit de philosophie avec les enfants et les adolescents, et de leur apprendre à philosopher : qu’est-ce que philosopher ? Qu’est-ce apprendre à philosopher ? Et qu’en est-il quand il s’agit d’enfants ? La tâche est donc, c’est un indicateur de modernité, à cause et au travers des nouvelles pratiques de philosophie avec les enfants, de repenser la philosophie, le philosopher, l’apprentissage du philosopher à l’école (On pourrait ajouter, avec les cafés philo, et dans la cité ?).
1 Le modèle de la famille libérale s’esquisse en France vers les années 1950 dans les classes supérieures, se répand après 1968 dans les classes moyennes, et dans la décennie 1990 dans de larges couches populaires.
2 Tozzi M., « L’autorité démocratique : une provocation conceptuelle ? », Les Cahiers du Cerfee n° 21, Université Montpellier 3, 2006.
3 Voir mon rapport pour l’Unesco : « La philosophie à l’école primaire dans le monde : état des lieux et recommandations » ( septembre 2007).
4 Voir son chapitre dans Apprendre à philosopher par la discussion – Pourquoi ? Comment ?, De Boeck, Bruxelles, 2007.
5 Moment où l’enfant peut faire quelque chose (ex : marcher) avec l’aide de quelqu’un, mais sans pouvoir encore le faire tout seul.
6 Lire sur ce point les magnifiques pages du premier chapitre de la thèse de Nicolas Go (Montpellier 3, 2006) sur la question des commencements en philosophie.