Pôle Philo de l’Université Populaire de Narbonne – Atelier philo pour adultes sur le rapport de l’homme au temps (2007-2008)
Université Populaire de Narbonne (UPS)
Site : http://perso.wanadoo.fr/universitepopu.septi
PÔLE PHILO
ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)
Cycle sur le temps (4ième année)
Séance 1 du 6-10-07 9h45-12h15
(26 participants)
Séance sur : « La Mort »
Animateur-reformulateur : Michel
Introducteur de la séance : Gérard
Président de séance : Francis
Synthétiseur : Gérard
1) Introduction de la séance (30’) : Gérard
« Il n’en pouvait plus, n’arrivait plus à rien. Mais il a pensé à tout. Il a pris rendez-vous chez le notaire, réglé les questions d’héritage, laissé des lettres à des proches. Il a préparé ses vêtements, le révolver, la balle, et faute de courage ultime des barbituriques. Il a même payé ses factures en retard. Ceux qui retrouveront son corps constateront qu’il avait tout prévu, préparé son suicide comme on organise un voyage.
Le kamikase, lorsqu’il prémédite son attentat suicide, se prépare lui aussi à mourir. Il s’agit même souvent d’une préparation encadrée, à l’image d’une préparation militaire, avec ses aspects pratiques (armement, camouflage , financement), et ses aspects théoriques (sens du sacrifice, théologie appliquée).
Dans ces deux cas, se préparer à mourir, c’est tout faire pour ce but, vouloir la mort comme une délivrance ou un moyen d’obtenir quelque chose : la fin de la souffrance, une victoire remportée contre les mécréants, l’occident arrogant, ou simplement une place au paradis, une somme d’argent pour sa famille.
Mais si nous pensons que la mort ne nous apportera rien, qu’elle est au contraire privation de ce qui nous est le plus cher, bref si nous ne voulons pas mourir, si même nous voulons tout faire pour vivre le plus possible, se préparer à mourir a t-il simplement un sens? Il est difficile de se préparer à quelque chose dont nous n’avons jamais fait l’expérience. L’expression « ma mort « n’a probablement aucun sens. La mort de mes proches ou des autres m’indique que je peux mourir, mais ne me dit rien de ma mort. Ma mort ne peut être directement expérimentée.
Nous ne rencontrons que les conséquences de la mort : le deuil, la tristesse, la nécessité de l’adieu, le cadavre, le remords, les obsèques, le rendez-vous chez le notaire, etc. Nous rencontrons aussi les prémisses de la mort : la vieillesse, la maladie, la fragilité existentielle, mais nous ne rencontrons pas la mort; nous ne pouvons pas nous la représenter. Nous ne savons même pas ce qu’elle est, si elle ouvre sur le néant ou l’infini, nous jette dans le tout ou le rien du tout.
Comment s’y préparer?
D’ailleurs, que le suicidaire ou le kamikase s’y préparent ne signifie pas qu’ils soient, à l’instant de leur mort, véritablement prêts.
Peut-être entrevoient-ils alors, en un atroce éblouissement, que cet ultime renoncement les laisse devant la mort complètement démunis. Peut-être saisissent-ils à l’instant de mourir que c’est de ne pas renoncer à la vie qui nous y prépare le mieux.
Tant de sagesses et de religions qui, bien sûr, n’invitent pas au suicide ni au terrorisme, nous proposent au contraire de nous préparer à mourir, en renonçant dès maintenant à ce que la mort nous obligera à abandonner. Le bouddhisme , le platonisme, le pessimisme nous invitent ainsi à renoncer à la vie passionnée, à la vie inutile de nos souffrances, à la vie superficielle de notre corps.
Ecoutons Schopenhauer : » Par nature, la vie n’admet point de félicité vraie, elle est foncièrement une souffrance aux aspects divers, un état de malheur radical « .Cessons de nous raconter des histoires, comprenons la situation réelle où nous sommes. » Aujourd’hui est mauvais, et chaque jour sera plus mauvais, jusqu’à ce que le pire arrive ». Une vie heureuse est un oxymore. Voilà un thérapeute qui ne cherche pas à nous dorer la pilule. Il nous ôte carrément tout espoir, toute consolation, toute possibilité d’esquive.
On pourrait juger sa noirceur ridicule, risible même. Elle n’en demeure pas moins pédagogique. Nietszche ne s’y est pas trompé : « Schopenhauer est essentiellement un éducateur. Il commence par briser cette gangue de faux espoirs et d’horizons illusoires qui nous séparent du réel. En détruisant nos illusions, il nous rend la possibilité d’exister, de regarder d’un autre oeil notre mort proche et nos agitations éphémères ». Dans ce monde absurde, infiniment cruel, dépourvu de la moindre amélioration, il nous appartient de rester serein voire d’agencer, contre toute vraisemblance, un semblant de joie. Car ce désespoir n’est peut-être pas si noir. Serein et lucide plutôt. Schopenhauer suggère somme toute de résister au pire. Il renoue avec les philosophes de l’antiquité. Par delà les âges classiques et les Lumières, après le temps des Sciences et de la Raison triomphante, il revient à la pratique de la vie philosophique, à la vieille sagesse solitaire et dépourvue de Dieu.
Ne plus tenir à rien de ce qui nous retient ici bas, c’est être prêt à mourir.
Platon cite Socrate, qui dans les moments qui précèdent sa mort, parle ainsi de la mort. « Le philosophe ne craint pas la mort parce qu’elle n’est rien d’autre que ce à quoi il s’exerce toute sa vie ; philosopher c’est en effet réaliser les conditions de la séparation de l’âme et du corps, vivre en déliant l’âme du corps qui n’est pour elle qu’une prison dans laquelle elle est esclave des appétits du corps » . La pensée enfin allégée du fardeau du corps. Il est prêt à mourir. Il ne tremble pas, rassure ses disciples, et boit la ciguë. Il s’y préparait depuis des années, à chaque fois qu’il s’élevait par la pensée en dialoguant avec un interlocuteur, il n’avait qu’un seul désir, ne plus être corps, pouvoir atteindre la pensée pure.
« PHILOSOPHER, C’EST APPRENDRE A MOURIR » ne signifie pas uniquement qu’il faille apprendre à ne plus craindre la mort, mais aussi et surtout à s’élever au-dessus de toutes ces expressions du corps, souffrances comme plaisirs, qui gênent le parfait épanouissement de notre esprit. Voilà l’implicite : la mort est un Bien. La meilleure façon de s’y préparer est de s’en convaincre.
Les philosophes ont souvent voulu nous « préparer à mourir » par des exercices spirituels visant à nous soulager de notre crainte de la mort.
Ils utilisaient alors l’argument, célèbre chez Epicure, d’une mort qui n’est pas un mal, qui est en fait « indifférente » : la mort en effet n’est rien pour nous, parce que, tant que nous sommes vivant, la mort n’est pas, et lorsque la mort est, c’est nous qui ne sommes plus.
Pour le Bouddhisme, nous préparer à mourir, c’est appliquer les trois premières « nobles vérités » du Bouddha :
1° La vie est souffrance. 2° La souffrance est causée par l’attachement (aux objets, aux idées, aux individus, à la vie sous toutes ses formes). 3° Il existe un antidote à la souffrance : la cessation du désir, de l’attachement, du moi.
Il suffit de prendre l’exemple de l’amour pour comprendre tout ce qui nous laisse insatisfaits dans une telle proposition. Se préparer à la mort de l’être que nous aimons, ce serait donc rompre notre attachement à lui, pour supporter le jour où sa mort nous y contraindra. Autant dire clairement que nous ne devons pas nous attacher et que nous ne devons en avoir aucune envie.
De toute façon, seule une vie d’anachorète rendrait possible un tel détachement absolu.
Un autre argument classique, visant à nous convaincre que la mort est un Bien, est de nous présenter l’immortalité, si elle n’était que continuation de notre vie, comme un terrible ennui… Plutarque évoque ce récit de deux frères, Cléobis et Biton, fils d’une prêtresse argienne, qui implorent la déesse de leur offrir le plus beau cadeau qu’un dieu n’ait jamais offert à un homme, et sont retrouvés morts le lendemain matin.
Cette idée d’une mort délivrance culmine chez Schopenhauer, elle y est vue comme une bénédiction, la fin de cette angoisse que constitue notre existence de bipède, un retour à cette non-existence miraculeuse qui était la notre avant de naître : si nous frappions sur les tombes et demandions aux morts de revenir à la vie, ils secouraient la tête, conclut-il en un passage devenu le mot d’ordre du Pessimisme.
Mais que signifie : « la mort est un Bien », si le mort, qui n’est plus, ne sent plus rien, est incapable de constater que la mort est un Bien ? De plus, si la mort est un Bien, pourquoi en voudrait-on à ceux qui offrent ce Bien par le meurtre et l’euthanasie ?
Plus fondamentalement, se préparer à mourir, ressemble ici souvent à vouloir la mort. On peut opposer la façon de se préparer à mourir du suicidaire à celle du bouddhiste ou de certains philosophes, qui nous proposent aussi de renoncer, mais sans nous préparer au suicide .Mais si la mort est un Bien, pourquoi ne pas se suicider ? D’ailleurs Socrate se suicide puisqu’il refuse toute possibilité d’évasion.
Si nos grands-hommes s’étaient préparés à mourir comme Bouddha, Socrate et d’autres nous y invitent, auraient-ils réalisé leurs œuvres ? Si l’on est persuadé de l’impermanence de toute chose, comment vouloir laisser une œuvre dans l’histoire ?
L‘idéal monastique du Bouddha procure probablement la sérénité, mais le prix à payer est incalculable. Dostoïeski aurait-il écrit les « Possédés » s’il avait été serein ?
Victor Hugo aurait-il écrit avec la même rage, s’il s’était « préparé à mourir ». Gérard de Nerval s’est suicidé à 43 ans, en laissant derrière lui une œuvre névrotique, mais étant dément par crises, peut- on dire que son acte fut volontaire ?
C’est probablement parce qu’ils ne veulent pas mourir, parce qu’ils refusent la mort au plus profond de leur être, qu’ils s’épuisent ainsi à vouloir laisser une œuvre, à mourir plus loin que la mort comme l’écrivit Maïakovski. Si nous ne pensons pas la mort comme un Bien, comment se préparer à la quitter ? Lorsque Freud écrivait : « Si tu veux supporter la vie, organise toi pour la mort », il voulait dire que la meilleure façon de vivre, la plus intéressante en tout cas, était de vivre avec la pensée de la mort, de prendre pleinement conscience du risque de la mort, donc de fuir l’idée de notre mortalité, en intensifiant le cours de notre vie, contrairement aux Bouddhistes et aux Stoïciens qui nous offraient l’apaisement et la sérénité.
En quoi alors une intensification de l’existence tiendrait-elle lieu de préparation à mourir ?
On pourrait répondre qu’elle est ni un bien ni un mal en soi, mais un bien ou un mal selon les circonstances. La mort qui frappe un être en plein devenir, qui ne s’est pas réalisé dans l’existence, n’est pas la même que celle qui vient faucher un vieillard entouré de sa famille, remplie du souvenir de tout son accomplissement.
Se préparer à mourir est alors vivre. Atteindre une intensité telle qui épuise la vie en vivant de façon extrême. Atteignant son acmé, s’apprêter à retomber, en entrevoyant la mort.
Ne parle-t-on pas de l’orgasme comme d’une petite mort ? Ne dit-on pas que partir c’est mourir un peu ? Lorsque le sommeil nous impose son pouvoir, n’avons-nous pas un avant-goût de notre mort prochaine ? Nerval disait : « les premiers instants de notre sommeil sont l’image de la mort ». Mais ne s’agit-il pas de métaphores qui n’ont rien à voir avec la mort ? De plus nous n’aurons jamais épuisé la vie.
Comme nous n’avons qu’une vie, et qu’elle risque d’être interrompue à tout moment, se préparer à mourir peut signifier alors choisir ce qui est important, ne pas multiplier ses quêtes, mais au contraire essayer de réaliser ce qui nous semble l’essentiel à accomplir avant de mourir.
Emporter dans la tombe un secret, c’est interdire aux survivants de comprendre leur histoire, c’est les condamner à la souffrance, celle qui peut donner des névroses ou des psychoses (lire « le Secret » de Philippe Grimbert).
Demander pardon, se réconcilier avec ses parents, ses enfants, si les difficultés de la vie nous ont séparés, est une façon de se préparer à mourir, contrairement à ceux qui nous demandent de briser les liens avant de mourir, comme les bouddhistes. Il faut les renouer pour ne pas être détruit par une mort nous interdisant à jamais de le faire.
Se préparer à mourir, s’est plutôt se hâter de faire ce que nous estimons avoir à accomplir, et cesser de gaspiller notre vie dans des activités où ne nous accomplissons pas.
Schopenhauer se contredit. Lui qui a toujours dénoncé la vie comme une imposture, oscillant entre souffrance et ennui, un fardeau dont la mort nous délivre toujours trop tard, écrit ceci : « J’ai toujours espéré que ma mort serait facile, car à la différence des autres Hommes, le solitaire s’y entend en cette affaire. Au lieu de finir dans les singeries dont sont capables les lamentables bipèdes, c’est joyeux que je retournerai là d’où une grâce m’avait laissé partir, conscient d’avoir rempli ma mission ».
S’il se réjouit d’avoir rempli sa mission ici-bas, c’est bien que la vie ne vaut pas rien, qu’elle n’a pas été faite que de souffrance et d’ennui, et qu’une vie accomplie nous prépare mieux à la mort que le renoncement ».
2) Discussion après l’introduction (45’)
Synthèse de la discussion par Gérard :
« Plusieurs visions de ce thème se sont dégagées, et comme ce sujet est vaste, nous n’avons fait que survoler son analyse.
- Pour certains, la vie n’est pas un cadeau, elle est souffrance, mais il faut la vivre intensément, pour se préparer à mourir, car elle ne se produit qu’une seule et unique fois. La mort nous conduit vers le néant total.
Sigmund Freud disait que se préparer à mourir, c’est alors vivre.
Cette succession de souffrances, maladies, deuils, nous préparent à mieux accepter l’idée de notre mort. Le mourir est difficile, ce passage de l’instant T où l’on passe de la vie à trépas nous est intolérable. La mort devrait l’être beaucoup moins. C’est peut-être de quitter la vie qui est difficile, car la mort fait partie de notre destin commun. Peut-on l’accepter aujourd’hui aussi facilement qu’en des temps lointains ? Rien n’est moins sur, car notre époque valorise beaucoup la jeunesse, et la mort est devenue un sujet tabou : même les personnes âgées repoussent l’instant fatal en s’accomplissant dans la vie comme jamais auparavant. Les actifs, les performants, se doivent d’être rentables, et ce quel que soit leur âge. La retraite est repoussée, et pas seulement pour des raisons financières. La mort est un vaste trou noir où il faut éviter de se précipiter.
Marx disait que « La société ne se pose que les questions qu’elle peut résoudre », donc la mort ne devrait pas être une question ; on devrait pouvoir l’accepter, comme étant une issue fatale naturelle, inéluctable.
- Pour d’autres, après la mort il y a une autre vie, celle de l’âme auprès du père. Une autre vie peut se manifester sous d’autres formes (métempsychose, réincarnation…).
Le coma est également un tunnel qui prédispose à approcher l’autre côté représenté par une lueur blanche. Cette vision théologique de la mort devrait les rassurer, les réconforter, mais comment en être absolument certain ? Les funérailles des croyants devraient se dérouler dans la liesse, pour accompagner le défunt dont la vie terrestre fut vertueuse, et qui va rejoindre le paradis du Père éternel ; mais est-ce le cas ?
D’autres encore pensent que la planète peut mourir à l’échelle cosmique, et qu’il faut tout faire pour la préserver. L’idée du néant est réconfortante, car l’éternité si elle était possible pourrait nous rendre fous. Le suicide est une liberté, une solution pour dire : çà suffit , je pars maintenant car la vie m’est insupportable, c’est décidé je pars, comme le dit Cioran .
J’ai vécu la mort de mon enfant comme une honte indélébile, comme une anomalie, comme n’étant pas dans l’ordre des choses, comme une culpabilité de lui survivre accompagnée d’un immense chagrin et de beaucoup de temps pour se reconstruire, dit une personne, et ce malheur intime est universel .
Les souffrants recherchent toujours la vie comme un espoir de guérison.
Il existe plusieurs morts : l’arrêt cardiaque, respiratoire, la mort cérébrale induisent la mort du corps, la mort totale, la lyse (destruction des cellules).
N’est pas la conscience de notre mort prochaine qui nous déprime et nous lal rend intolérable ? ».
Pause : 10’
4) Ecriture : 10’
5) Lecture des textes (15’)
6) Régulation et planification des prochaines séances (15’)
Continuer au moins une deuxième séance sur la mort. Utiliser le texte d’Epicure
ANNEXE
TEXTES DES PARTICIPANTS
Quelques aphorismes des participants écrits en fin de séance :
- Mourir est notre dernier acte. Il s’improvise.
- La mort ne peut faire peur qu’à un individu qui se vit séparé des autres, et trop attaché à ce qui n’est pas essentiel.
- La mort est un concept, la vie est une action.
- Le passage de la vie à la mort dure combien de temps ? Une vie, sûrement une vie.
- Accepter sa mort, c’est prendre conscience du sens de la vie.
- C’est la mort des autres qui nous fait peur. Imaginons la mort instantanée de l’humanité, la représentation de la mort disparaît, et par conséquent la peur.
- L’important dans la vie est de toujours veiller à avoir l’âme bien chevillée au corps, avant que la mort ne les sépare.
- Ma mort donne du sens à ma vie, la vie nous confronte à la mort.
- L’infini est inconcevable pour la pensée humaine qui ne sait définir qu’un début et une fin. C’est pourquoi nous ne pouvons qu’intérioriser la vie comme un début et la mort comme une fin.
- Seule la mort nous arrêtera de parler d’elle. Alors le silence règnera.
- Ce qui est terrible, ce n’est pas la mort. C’est l’imagination du passage.
- Et si on comparait le plaisir de se laisser glisser, l’acceptation, le combat et la souffrance de l’amour à ceux de la mort …
- Sans la perspective de la mort, nous n’aurions pas la force de vivre.
- Mort : trouille, terreur du passage… La difficulté, c’est pour ceux qui restent. Quant à l’après ?
- Ce n’est pas la mort qui donne du sens à ma vie, c’est la vie elle-même !
- Donner une place à nos morts dans notre vie, pour que la pensée de la mort, de notre mort, enrichisse notre vie.
- Pour l’humanité, la mort est un grand trou noir sans fond. Faisons une ronde autour et dansons, ne sautons pas dedans !
- La mort est le terminus d’une vie que l’on va chercher à enrichir jusqu’à la fin.
- Ceux qui sont près de la mort nous font voir l’essentiel de la vie.
- A mort la mort, ou amor la mort ???
- A l’approche pessimiste de la vision de la mort, je préfère la vision biblique du corps mortel. Je veux croire que le souffle de l’être se situe dans le corps « symbolique », l’expression de soi, riche de toutes ses relations. Ce corps « symbolique » devient le « corps réel », le « soi » total par la mort. La mort peut être comme un tamis ou seule reste à la terre, la part matérielle, symbolique…
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Nous joignons pour éclairer notre réflexion le compte rendu de la séance de l’UP de Perpignan du 10-02-07 sur la « précarité existentielle ».
1) Introduction par Michel : miettes philosophiques
- Définition de la précarité.
PRECARITE : “ Situation dans laquelle l’avenir, la durée, la stabilité ne sont pas assurés ”. Etymologiquement du latin precarius : “ Qui s‘obtient par la prière ” (de preces, la prière). On voit que l’on signifie par là quelque chose qui dépend de la volonté d’un autre (ici Dieu), qui a pouvoir sur moi.
Autre sens dérivé de celui-ci, issu de l’histoire, et toujours en cours : “ Qui ne s’exerce que par une autorisation révocable ”. Par exemple l’expression “ à titre précaire ” se dit de la détention d’une chose pour le compte d’autrui (le locataire jouit provisoirement d’un bien qui ne lui appartient pas).
- Qu’en est-il alors de la “ précarité existentielle ” ?
C’est celle de la vie, de notre vie, dont on dit et sait qu‘elle est précaire, parce que sa durée n’est pas assurée, mais limitée par les incontournables de l’accident, toujours possible, la maladie, souvent probable, la mort, absolument certaine. Elle a une échéance qui fait brisure, fracture, coupure, une fin, la fin. Un point de butée aveugle (car il est impensable, une limite à notre compréhension, un mystère) : sur la mort, il n’y a de certitude que sur son existence, notre seule certitude objective peut-être (tout être vivant mourra). Mais aucun savoir sur ce qu’elle est, et s’il y a quelque chose après : dire par exemple scientifiquement qu’elle se reconnaît à un électroencéphalogramme plat du cerveau ne nous donne guère de connaissance expérientielle ou philosophique sur elle, et épuise encore moins le sens de notre mort dans notre existence.
Personne (sauf Dieu peut-être, s’il existe), n’est éternel. D’où notre fantasme d’immortalité (les Grecs appelaient les Dieux les Immortels). Et c’est parce que nous ne savons rien sur la mort que nous croyons. La croyance, faute de savoir. Croyance en l’immortalité de l’âme par opposition au corps, à la résurrection ou à la réincarnation… ou qu’il n’y a plus rien pour nous après : encore de la croyance, même chez les athées.
Avenir précaire parce qu’à durée limitée … Mais aussi imprévisible. Malgré le projet, l’intention de planifier par la volonté, de faire serment, de prévoir (par la science ou le marc de café), notre avenir, en tant que conscience et liberté, c’est l’inconnu et le risque. Pensons au bonheur comme état, qui est au cœur de notre désir : mais la vie, la conscience sont temporelles, c’est un flux, une variation, un aléatoire générateur d’incertitude.
D’où cette instabilité qui caractérise notre vie, que nous sentons à la moindre expérience profonde (l’amour, le vieillissement…), vulnérable et fragile : impression quand on ne maîtrise plus sa vie d’un déterminisme, d’un destin : celui du sentiment du tragique de l‘existence (“ Tout homme dès qu’il est né est assez vieux pour mourir ” dit Heidegger ; “ De l’inconvénient d’être né ”). Et aussi, quand prédomine l’élan vital (force néguentropique devant la loi de la dégradation universelle), le sentiment qu’il s’agit pour vivre d’une lutte sans fin : “ struggle for life).
- Devant cette précarité existentielle, comment l’homme peut-il réagir ?
Le suicide par désespoir (courage devant la mort, mais lâcheté devant la vie) ? Le suicide par libre choix de sortir du monde au moment choisi (les stoïciens) ? Chercher à donner un sens à une vie d’homme dans un monde absurde (Camus) ? Faire des enfants pour prolonger sa vie, ou une œuvre artistique ou scientifique, léguée pour sa postérité ? Se consoler dans la religion, en cherchant ici-bas une vie sainte dans l’amour des autres et de Dieu, dans l’espérance d’une vie bienheureuse au-delà ? Rechercher la sagesse philosophique en apprenant à mourir (Socrate), ou à vivre (Spinoza) ; dans un plaisir mesuré (Epicure) ? En acceptant l’ordre du monde (Stoïcien) ou en visant la transformation révolutionnaire du monde (Marx) ?
2) Synthèse de la discussion par Jacky
Questions posées comme invitation au débat :
- Quel est le sens de la précarité de l’homme ? Quelle couleur cela don- ne-t-il à notre existence ?
- Comment faisons-nous face à cette précarité existentielle ?
Réflexions au cours de la discussion (3/4 d’heure) sur :
- le groupe présent : que faisons-nous ici ? Nous avons la chance de confronter nos langages ! Nous sommes des nantis capables de dialoguer : ce n’est pas le cas de tout le monde.
- les questions posées : qu’inclut-on dans existentiel ? Est-ce essentiel ? Comment aborder la lourdeur de la question par la légèreté de la réponse ? Ma précarité est-elle la même que celle du voisin ? Comment peut-on nous même l’observer ?
Comment à partir de ressentis différents, peut-on philosopher avec la visée d’universalité ? - L’homme est un sujet pensant, contrairement aux (autres) animaux : peut-on vivre sans y penser ? Sans penser ? Comment prenons nous conscience de notre précarité?
- Cela dépend des moments, des circonstances : en fin de vie, quand la mort frappe à la porte ? Quand enfant, on prend conscience en même temps de la vie et de la mort ? A cause de difficultés financières ? Mais la précarité matérielle peut aussi rendre la liberté tant espérée ! Quand on donne la vie, que l’on passe le relais ? - Le fait du hasard : on ne choisit pas l’arrivée, mais on peut choisir le départ ; vivre est un accident, la vie n’est-elle pas une « maladie mortelle sexuellement transmissible » ? - Contraste entre les idées avancées : la vie est absurde, pourquoi doit-on lutter pour finalement mourir ? Est ce que cela en vaut la peine ? La vie est un cadeau , une dette ; je me dois de faire fructifier pour moi, pour les autres, ce que l’on m’a donné. La précarité c’est du piment : il faut profiter de cette inconnue.
- La religion comme aide : la religion introduit l’idée de l’âme, de la distinction à faire entre l’âme et le corps ; le corps mourrait main non l’âme. Le bouddhisme parle de l’impermanence et comment s’y préparer. L’au- delà et la promesse d’un autre monde rassure ; la religion comme pour nier la précarité humaine. - L’influence de la modernité : la question de la précarité devient plus douloureuse encore alors que paradoxalement l’espérance de vie des êtres humains augmente ; les média (entre autres) nous rongent petit à petit un peu de notre conscience ; l’épicurisme galopant, le souci permanent de rentabilité, la recherche constante de la performance et cette injonction à la jouissance exercent une forte pression.
Il reste, puisque l’on a trouvé des stratégies pour (sur)vivre, la question du sens ! Pourquoi ne pas transformer cette fin tragique en un acte, qui peut-être beau, pour donner de l’importance à ce que la vie a été ?
Les écrits de participants
La précarité est un sujet tellement grave que je me suis permis de l’aborder avec fantaisie, en quatre idées :
1- impossibilité de pouvoir conjuguer l’avenir au présent, et ne pas avoir assez d’avenir pour reconjuguer le passé.
2- Et si c’était ne plus savoir s’émerveiller d’être le vainqueur d’un concours de circonstances?
3- Quand je dis : « je suis en vie » je suis sûr qu’en écrivant en vie en seul mot (« envie »), je changerai ma perception de ma précarité existentielle.
4- La précarité de ma pensée, (par la culture par exemple), est le salut de ma précarité existentielle.
Jacky
Supposant élucidée la question de la nature et des causes de la précarité, se posent encore celles du sens qu’elle revêt et celle du comment s’en débrouiller.
Devant les urgences de la vie, on coupe au plus court vers la deuxième de ces questions : il faut assumer, et on assume plus ou moins bien, de gré ou de force. L’atelier de philosophie donne l’opportunité de se poser la première de ces questions, celle qui toujours passe à la trappe : la précarité de notre existence a-t-elle un sens ?
Eh bien sans doute n’en a-t-elle aucun, mais elle est paradoxalement le support de tout sens. C’est ce que Camus dit lorsqu’il parle de l’absurde et de la nécessité de construire du sens. C’est aussi ce que dit Marcel Conche lorsqu’il invite à rendre sa mort tragique. Devant ce trop d’imprévisible, et d’insensé, l’homme, cet être de raison, est poussé à essayer d’organiser l’avenir, de remettre en ordre le passé, de tirer les enseignements des expériences, de découvrir les lois qui régissent les phénomènes, de fractionner le réel pour avoir des îlots d’intelligibilité, d’agir sur les événements, d’avoir des activités créatives, d’établir des liens sociaux. Ce sont donc toutes les activités humaines qui sont mobilisées pour faire contre poids à cette masse d’incertitudes dont n’émerge que la certitude d’une fin.
On peut faire une contre-expérience imaginaire : celle d’une vie qui ne serait pas précaire, d’une vie qui n’aurait pas de terme. Nous serions immortels. Mais dans ce cas, à quoi bon faire ou faire bien ? Nul besoin d’ordre ou de morale, puisqu’il n’y aurait pas la sanction que représente la mort qui peut survenir n’importe quand. Nul besoin non plus de regretter ou d’espérer.
Mais tout aussi dramatique serait aussi la situation où tout serait certain, organisé, planifié, où l’instant de ma mort me serait lui aussi connu.
Marcelle
Université Populaire de Narbonne (UPS)
Site : http://perso.wanadoo.fr/universitepopu.septi
PÔLE PHILO
ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)
Cycle sur le temps (4ième année)
Séance 2 du 10-11-07 9h45-12h15
(24 participants)
Séance 2 sur : « La Mort »
Animateur-reformulateur : Michel
Introducteur de la séance : Michel
Président de séance : Philippe
Synthétiseur : Jean-François
1) Discussion autour de textes philosophiques (Epicure, Pascal, Jankélévitch, Lévinas).
Par Jean-François.
- Epicure, philosophe grec du IVème siècle avant J.C, est matérialiste. Si les dieux existent, ils ne s’occupent pas des hommes. Epicure écrit à son disciple Ménécée, que le bien et le mal s’articulent autour de la sensation. Il fait l’éloge de la vie. Pour lui tout le problème est de savoir si la mort a quelque chose à voir avec la sensation. L’homme se différencie des animaux par la pensée, il voit la mort de son prochain. C’est par la pensée qu’il peut se représenter la mort. Pourquoi a-t-il peur ? La mort entraîne la perte des sensations, et il n’existe donc plus. Si la mort n’existe que dans la pensée et que la pensée n’est plus, c’est le néant. Avant la mort on est vivant, et après on est mort. Donc pas de raison d’en avoir peur…
- Pour le philosophe du 20ième Vladimir Jankelevitch, c’est la représentation de la mort qui nous pose problème, et surtout l’imminence et l’éminence de l’évènement, car seule « ma mort » compte. L’homme ne sait pas quand il mourra. Ce moment à venir sera improvisé. L’incertitude du moment de la mort développe une angoisse. Le désespoir s’empare de l’homme lorsque le jour de sa mort est fixé (exemple du condamné à mort). Angoisse fondée, également, sur l’incertitude de l’au-delà.
Distinguer « mortalis » : mortel, sujet à la mort ; « moriturus », qui va mourir ; et « moribundus », mourant, moribond.
- Certains constatent qu’en fin de vie, l’homme redevient un enfant. Cette évolution probable entraîne la perte de la raison, voire de la conscience, et un glissement souvent en douceur vers la fin. N’est-ce pas dédramatisant comme échéance, ou au contraire dramatique cette déchéance ? Car en perdant ses facultés intellectuelles, l’homme perd son pouvoir de décision. Il ne pourra plus décider de mettre fin à ses jours, c’est trop tard !
- Il devrait être possible de demander à mourir. La possibilité de « directives anticipées », renouvelables tous les trois ans, existent en France, par lesquelles une personne peut préparer sa fin de vie, en revendiquant le droit de mourir dans la dignité. Mais il est difficile de tout prévoir, et il arrive que la même personne, qui a tout prévu, meurt dans les pires souffrances, parce que cette volonté n’est pas prise en compte par le milieu médical. La mort « décidée » pose ainsi problème. Elle repose sur la responsabilité d’un médecin ou d’un soignant. Celui-ci peut, par principe (« tu ne tueras pas »), refuser d’ »aider » le mourant.
- Le pouvoir sur la mort se pose d’une façon différente, selon le degré de conscience ou d’inconscience de la personne en fin de vie. Je dois pouvoir choisir, dire des choses sur le moment, mais si je suis inconscient, les neuroleptiques administrés contre la souffrance réduisent mon jugement et atténuent l’angoisse et la crainte de cet ultime instant.
- Un minimum d’attention aux autres impose, pourtant, de préparer sa mort en donnant quelques instructions écrites à une personne référente, pour ne pas laisser l’entourage dans le doute, et l’obliger à décider, ce qui peut être très culpabilisant. Nous pouvons donc en exprimant par anticipation notre volonté, permettre un tant soit peu de dédramatiser une situation difficile pour l’entourage.
- La mort est une évidence, il serait souhaitable de la recevoir comme une réalité qui nous dépasse, en privilégiant la vie, en faisant d’elle une perspective, un phare qui nous guide et permet de vivre sur terre, sans crainte et sans peur.
- Pour Epicure, l’homme n’a aucune raison de s’effrayer devant la mort, il faut s’accoutumer à l’idée de mourir, puisqu’après la mort il n’y a plus de sensation, Pour Pascal (1623-1662) au contraire, il faut avoir peur de la mort et travailler au salut de son âme. Il constate, que ses contemporains passent leur temps à oublier leur condition mortelle, grâce au « divertissement »et à la recherche du bonheur. Le refus de se préparer à la mort, c’est la plus grande de nos misères, c’est un leurre, un déni de la réalité.
- La mort est une étrangère dont nous ne savons au fond rien, et toute stratégie pour s’y préparer est une confrontation à l’altérité. Nous cultivons ce que nous connaissons pour éviter cette confrontation. La mort serait l’altérité suprême.
- Lévinas (1905-1995) se fonde sur une éthique transcendante. La mort, c’est l’impossibilité d’avoir un projet. La mort c’est la non-connaissance. Je n’ai pas de pouvoir, cela m’amène à me mettre en face de cet évènement, en me demandant qu’elle sens a -t-il pour ma vie ?
- Selon les stoïciens, dont Sénèque (55 avant J-C, 39 après J-C), nous devons avoir la liberté de quitter la vie quand nous le voulons. C’est un suicide philosophique par liberté et non par désespoir.
- Pour Kant (1724-1804) au contraire, le sujet que je suis est une liberté. Une liberté, elle-même ne peut poser le geste de se supprimer. Le suicide est donc immoral.
- Pour Nietzsche (1844-1900) « l’être n’est pas « tout fait » : il est devenir et donc (comme la vie) création toujours renouvelée, incessante fuite vers un « autre chose », ce en quoi il se dépasse constamment. » En l’homme existe donc, une force de vie, et toute pensée de la mort serait mortifère. Penser à la vie et non à la mort : « Deviens le Dieu que tu es ! ».
Quelques idées supplémantaires des participants :
- Ce n’est pas la mort qui nous fait peur, mais sa représentation.
- Médiatisation, marchandisation de la mort – L’inégalité sociale se trouve aussi dans la prise en charge de la mort.
- La mort comme fait sociétal – Nécessité de créer le métier de « thanatothérapeute »
- On n’a pas demandé à naître, peut-on se préparer à mourir ?
- Problème de l’au-delà ? Si tout se termine, dansons la mort !
- Je préfère me préoccuper de ma vie plutôt que de ma mort.
- On peut vivre comme si on était mort.
- On n’est pas certain de pouvoir choisir sa fin.
- La volonté de maîtrise de ma vie, au-delà de ma propre mort, est-elle illusoire ?
- Accepter de ne pas avoir toujours la maîtrise de tout.
- Paradoxe de l’environnement moderne : médiatisation de la violence et du danger permanent, en même temps qu’exaltation de la beauté et de la jeunesse.
- L’allongement de la vie accompagné, souvent, de la perte des facultés intellectuelles, nous entraîne dans un état qui nous échappe.
- Parler de la mort ne la vide pas de sa réalité.
- Excès de travail et de divertisssement pour oublier le sens de la vie provoquent un mal de vivre – non de mort.
- La non-vie, le non-être, le rien du tout. La mort est la preuve que la pensée ne peut pas tout maîtriser.
- Les rites nous protègent de la mort. Mais quand ils ont disparus ?
- Dieu est mort.
- La liberté, c’est de pouvoir supprimer sa liberté.
Pause : 10’
4) Ecriture d’un court texte : 10’
5) Lecture des textes (20’)
6) Régulation et planification des prochaines séances (15’)
Intérêt souligné d’introduire des textes de philosophes.
La prochaine séance commencera par un tour de table sur la question de la mort. Chacun réfléchit à ce qu’il dira. Ex : Jean-François abordera un point de vue religieux, Dominique la mort dans le fantastique, etc. Michel apportera un ou deux textes…
ANNEXE
TEXTES DES PARTICIPANTS
- « Nous avons une multiplicité de liens, d’attachements, de sentiments par notre relation aux autres. Mais l’homme a devant lui un adversaire, la mort, qui réduit sa toute puissance à néant. Ce qui fait la victoire de l’homme, c’est qu’il y a toujours la vie qui revient sans cesse, renouvelée… ou éternité ?
Michèle
- Je propose cette citation : « L’important n’est pas de savoir s’il y a une vie après la mort, mais si l’on est vivant avant de mourir ».
Jean-François
- « Je suis face à cette feuille blanche, comme face à ma finitude : impuissante ! »
Josiane
- La peur de la mort serait-elle la peur de sa représentation et de l’incertitude/ignorance du lieu, de la date, des circonstances…? C’est peut-être aussi la peur de ce qui précède la mort : la dégradation du corps et/ou de l’esprit, la conscience de notre précarité et de l’éphémère de tout ce que nous croyons posséder.
Certaines personnes réfléchissent sur la mort (la leur ou celle des êtres aimés), et cette représentation leur devient insupportable. Une fois la mort arrivée (celle de l’être aimé, évidemment), on reconnaît que la représentation préalable était bien plus mauvaise que la réalité (Cf Epicure). D’autres ne veulent pas penser à la mort, au point de la nier et/ou de l’ignorer, et vivent dans le divertissement. Il faudrait distinguer aussi la mort après une longue ou une courte maladie, et celle arrivée brutalement, où la personne ne peut pas avoir peur. Ce qui nous fait peur finalement, c’est tout ce qui est lié à la dégradation et précarité de notre être.
Elena
Maîtriser sa mort ?
L’individu contemporain, délaissant souvent les valeurs transmises par des institutions affaiblies, met consciemment sa liberté personnelle au fondement du sens de son existence (Est-ce une illusion face à son conditionnement inconscient et sociétal par ailleurs, c’est une autre question). Il aspire par exemple, et revendique même, de « choisir sa mort », comme il veut choisir sa vie… Certes l’accident et la maladie lui rappelle sans cesse le principe de réalité, son impuissance, et le caractère inexorable de la fin : la mort comme impossible à vivre et à penser.
Mais même au cœur de cette fatalité, il veut préserver sa part de liberté : expression orale ou écrite de la volonté consciente de mourir dans la dignité, d’être aidé pour mourir en cas de grande souffrance, ou d’état végétatif, refus d’un acharnement thérapeutique ; choix de l’inhumation ou de l’incinération ; testament pour prendre des dispositions post-mortem et léguer ses biens etc.
S’opposent à cette volonté du choix des circonstances de sa mort :
- des convictions éthiques et/ou religieuses. Par exemple l’éthique médicale traditionnelle (serment d’Hippocrate) a pour finalité de préserver au maximum la vie, et non d’accélérer la mort, ou d’aider à mourir quelqu’un, même quand il le souhaite… Certains pensent que la vie ne nous appartient pas ; elle nous a été donnée ou prêtée à titre précaire (par nos parents, la nature, Dieu) : nous n’en sommes que le locataire et non le propriétaire, qui seul pourrait en redisposer à son gré… L’enterrement est considéré par beaucoup comme la seule modalité moralement admissible.
- L’état du droit à un moment donné : l’euthanasie active est considérée comme un crime en France. Certains pays considèrent que l’euthanasie passive est une non-assistance à personne en danger…
D’un côté toute volonté de maîtrise de sa propre mort apparaît comme illusoire et dérisoire : agitation devant l’inéluctable, manque total de sagesse devant la fin de l’histoire, dont nous ne savons rien et sur laquelle nous ne pouvons pas grand-chose. Et pourtant grandeur d’un sujet dont la digité passe par le choix éclairé et responsable des actes de sa propre vie, suprême geste de liberté d’une destinée avant que la mort ne la réduise à un destin…
Si la philosophie doit nous apprendre à vivre, on peut penser qu’elle doit nous « apprendre à mourir » (Socrate). D’où les « stratégies philosophiques » devant la mort : le courage d’en sortir (Sénèque), le « consentement au réel » (C. Rosset), sa dédramatisation par changement de sa représentation (Epicure, les stoïciens)…
Michel 10-11-07
Université Populaire de Narbonne (UPS)
Site : http://perso.wanadoo.fr/universitepopu.septi
PÔLE PHILO
ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)
Cycle sur le temps (4ième année)
Séance 3 du 15-12-07 9h45-12h15
(20 participants)
Séance 3 sur : « La Mort et l’au-delà»
Animateur-reformulateur : Michel
Président de séance : Gérard
Synthétiseuse : Anne-Marie
1) Tour de table (50’)
Chacun se situe personnellement par rapport à la mort et à l’au-delà (voir en annexe l’intervention de Jean-François).
2) Synthèse du tour de table et de la discussion (30’) par Anne-Marie
Quelques idées discutées :
- Pascal dit : « le silence de ces espaces infinis m’effraie » : une raison pour lui de croire…
- Il est remarqué que l’on meurt dans la Bible à cause du pêché originel. Adam et Eve furent punis parce qu’ils consommaient le fruit de l’arbre de la Connaissance. Et le chrétien en porte la culpabilité de génération en génération. Il doit mourir avant d’être sauvé (par la résurrection). Mais pourquoi sommes-nous responsables de la mort ?
- Contrairement à la pensée d’Aristote, où l’homme doit durant sa vie se parfaire, et tendre vers la Connaissance du Bien.
- Faut-il croire dans l’Au-delà ? Comment se le représenter ? La croyance peut empêcher le savoir, elle est issue de l’éducation. Il faut distinguer croire et savoir, mais le savoir sur la mort n’éteint pas l’angoisse.
- D’après les historiens, Jésus est un homme qui a vécu, mais les chrétiens pensent que par sa mort et sa résurrection, il est devenu le Christ. Le prêtre distribue l’hostie, en disant « le corps du christ ». Le rite répète symboliquement l’anthropophagie : perdurer dans l’autre et par l’autre ingéré, pratiqué dans certaines groupes humains dits sauvages…
- Par opposition à la pensée religieuse, il est affirmé que toutes les religions parquent les hommes dans des enclaves, dont le but central est l’au-delà. ça brise les ailes à l’homme, l’empêche de vivre librement, et de penser par lui-même.
- La constatation de l’état de mort réel (le corps sans vie) semble nous questionner, ainsi que l’état de conscience dans le coma, voire la mort imminente. Des personnes au retour d’un état de mort imminente (E.M.I.) ont raconté des sensations, des visions : au bout d’un tunnel ils voient une lumière, de la chaleur, une main tendue ; ou retrouvent des personnes déjà mortes avant eux, etc. De nombreux livres avec des témoignages de ces expériences vécues ont interpellé la science. Celle-ci ne veut pas aujourd’hui mettre trop hâtivement ces expériences (non volontaires) dans la catégorie des hallucinations. Cela pose un problème surtout lorsque le corps médical a constaté un encéphalogramme et un cardiogramme plats, états de mort clinique.
- Des expériences ont été pratiquées depuis quelques décennies en Amérique, en France, en Inde, sur les différents rythmes respiratoires pour atteindre des visions, des sorties du corps, la projection des ectoplasmes, etc. Tout ceci dans le domaine du paranormal, accompli par des spécialistes yogis, avec un retour vers l’état de conscience. Les accompagnateurs de mourants et certains scientifiques guettent les signaux qui pourraient éclairer la science sur l’état de conscience après la mort, la persistance éventuelle d’une âme…
- Il est éprouvant de voir mourir quelqu’un qui n’accepte pas sa dernière heure, malgré la souffrance dans lequel il se débat. La loi sur l’euthanasie demandée par certains et crainte par les autres finira-t-elle par s’instaurer ? Elle apaiserait les angoisses de malades mourants. Les dérives et abus de pouvoir toujours possibles appellent à la nécessité d’une loi bien structurée. Il y a dans la loi Leonetti la possibilité de faire connaître des directives anticipées pour sa mort chaque trois ans. C’est une protection pour les soignants recevant des directives, et une aide aux mourants (voir en annexe).
- Le Suicide devrait pour certains être considéré comme un acte légal, non à juger, ni à empêcher.
- La métempsychose, ou réincarnation, sur laquelle s’appuie Platon et le bouddhisme, interpelle les uns et séduit d’autres. La mort reste un mystère. Nous sommes poussière, recyclable… Car la Vie et la mort sont Un. Tout se tient, et c’est cela le mystère.
- L’homme serait un sage, s’il pouvait concevoir la mort comme la fin d’une vie à parfaire.
- Au niveau imaginaire, la mort est un personnage masculin dans la littérature moderne ; dans les contes anciens elle est un personnage féminin. Les thèmes évoqués par le fantastique sont les figures de l’au-delà : les fantômes ; le sixième sens ; les morts ; la nuit des Morts Vivants ; l’accès au Paradis ; les TANATONAUTES de Weber, le clonage de WYLBEECK etc. Van Gogh a peint la Réincarnation. Dans Le Bain des Limbes, la mort n’a plus d’importance.
Pause : 10’
4) Ecriture d’une phrase résumant sa position. Voir en annexe.
5) Lecture des textes (15’)
6) Régulation et planification des prochaines séances (15’)
La prochaine séance portera sur un élément problématique de notre rapport au passé : le remords.
Elle commencera par quelques définitions (Jean-François V., Francis R.), une brève introduction de Gérard, et un texte de philosophe choisi par Michel.
ANNEXE
TEXTES DES PARTICIPANTS
Quelques positions des participants :
- La science ne nous apprendra jamais ce qu’il y a après la mort, car personne, jamais, n’en fera une expérience renouvelable. On est donc obligé de se contenter de croyances, faute de connaissances. En science, une expérience doit être vérifiable, renouvelable, et éventuellement réfutable. Donc on ne saura jamais (Jean-François V.).
- Je pense que pour l’être humain, il n’y a rien après la mort, sinon quelle discrimination par rapport à l’ensemble des plantes, l’ensemble du vivant. Pourquoi nous et pas eux ?
J’emploie « penser » à la place de « croire » volontairement, car « croire » a une connotation religieuse, et « penser » est réfléchi. Donc en dehors de toute représentations sociale (J.F)
- Ce que je crois ? Que l’avant et l’après restent à inventer, et que leur création est à notre charge, imaginaire au-delà de la science (Dominique).
- Je veux croire à quelque chose après la mort parce que ce serait trop difficile de penser à l’anéantissement total : une vie, c’est très court. Donc c’est plus sécurisant, apaisant, finalement c’est un acte de foi, parce que c’est un grand mystère après la mort, et jamais personne n’est venu nous en parler… (Christiane).
- A titre personnel, je ne crois pas en un au-delà consistant. Mais je crois à l’utilité de cette fiction, ou du moins à la persistance du questionnement, parce que la vie ne peut se concevoir que comme continuité et lien. La persistance de la question du rien ou pas rien, donne vie à la vie (Marcelle).
- Je crois qu’après la mort ce sera toujours une question sans réponse, faute de preuve (Véronique).
- Faute de Sujet après la Mort, il reste l’imaginaire, l’art, la croyance, la conviction athée, ou le Mystère (Michel).
- Je ne suis plus croyante, mais (mon dieu !), comme j’aimerais avoir la foi, cela m’aiderait à vivre (Danièle).
- La science ne nous apprendra jamais ce qui est après la mort (Suzanne).
- La mort et tout ce qui conserve après, ce sont les institutions de toutes les religions qui en ont fait leur fondement pour nous empêcher de vivre notre vie (Simon).
- La Mort n’est pas une absence, mais une différence de présence
- Je ne crois rien sauf en la peur panique de la Mort (Francis)
- Je crois en une force, en quelque chose d’à la fois indéfini et tout puissant, qui existe au-delà de notre mort : est-ce que c’est l’Humain, l’Amour ou une Présence ? (Jean –François).
- Je pense que nous ne pouvons achever en une vie terrestre la notre, et que nous avons besoin de plusieurs vie pour la réaliser (Helena).
- La mort est tout ce qui concerne l’après (Josianne).
- Je crois que la mort est mystère en ce qu’elle permet tous nos fantasmes, d’où l’espérance (Michèle)
- Rien ne me permet de penser ou de croire qu’il y a un au-delà. Et pourtant j’aimerais bien ! (Dominique)
- Avant la mort je sais. Après la Mort, la vie continue, je fait partie d’un tout (Colette).
- La mort, la fin de tout, fin de l’être, le froid , le néant, le plus rien du tout. La fin du temps, la fin de mon temps, mon désespoir» ! (Anne-Marie).
Ma mort et l’au-delà
La mort est une angoisse existentielle : celle des autres, quand ils sont proches, nous affecte profondément. Elle donne, même si elle provoque parfois du soulagement (culpabilisé), à cause de la souffrance du mourant, ou du poids physique et psychologique de sa prise en charge, le sentiment d’une perte, dont nous avons à faire le deuil ; elle nous renvoie au manque, moins celui du désir qui propulse, que celui du vide qui prive de sens, et nous laisse interdit. Quant à la notre, se mêlent selon les personnalités la peur de l’accident, de la maladie, de la déchéance, de la souffrance, du passage, de l’après.
Nous n’avons pas d’expérience de notre propre mort. Pourtant il y a des expériences de mort imminente (EMI), qui sont aujourd’hui un champ de recherche pour les scientifiques, dont « ceux qui en reviennent » disent qu’elles les ont pacifiés. Mais ce n’est pas la mort effective, puisqu’on est seulement « passé près ». Pas de réel savoir donc fondé sur l’expérience. L’expérience de la mort des autres nourrit notre appréhension, mais nous dit, au-delà des analogies, peu de choses sur la notre, qui reste singulière, et que nous devrons assumer seul. On a beau nous tenir la main, personne ne peut mourir à notre place ; et même si quelqu’un se sacrifie pour nous, viendra notre tour…
Devant cette angoisse de la mort, et tout particulièrement de la mienne, nous élaborons des représentations : il y a tout un imaginaire de la mort inscrit dans la littérature et l’art. Comme si l’on pouvait l’apprivoiser par une scénographie, une mise en scène qui l’embellit, ou permet de prendre du recul, de la tenir à distance.
On cherche à se sécuriser : en se disant, comme dit Schopenhauer, qu’elle est une délivrance devant la « douleur de vivre » ; ou en croyant que Dieu lui a donné un sens positif, par la vertu mise en œuvre ici-bas qui se récompense au-delà.
Le savoir pourrait paraître un pare-angoisse. Mais savoir que la mort est cliniquement un encéphalogramme plat, définir scientifiquement la mort ne me dit rien de son sens, ou de son absurdité. Et savoir que la mort biologique fait retourner le corps à la terre n’empêche nullement certains savants de croire. Faute de savoir, il nous reste la croyance, mais qui ne comble jamais totalement un impossible à penser et à vivre.
Car la mort ouvre chez l’homme un questionnement qui n’est refermé ni par le savoir ni par la croyance, même athée, car toute réponse à cette butée n’éteint guère l’acuité de l’angoisse, ni l’urgence ou la pertinence de la question. La mort reste un mystère à décrypter.
Michel
- On peut également repérer comment la culture depuis ses temps les plus anciens s’est emparée de cette question de la mort pour essayer de parer à la discontinuité qu’elle suppose. Les rites de sépulture, le culte des ancêtres, (qui peut éventuellement prendre la forme de la totémisation d’un ancêtre particulier), représentent même des phénomènes si spécifiques de toute société humaine qu’ils peuvent être la base de toute élaboration culturelle.
On voit se manifester envers les êtres disparus bien souvent des sentiments ambivalents : vénération et crainte. Pour cela les vivants « doivent » aux morts un certain nombre de choses de manière à procurer la paix aux uns et aux autres. Cette dette s’acquitte par des dépenses de sépulture somptuaires, des prières ou des sacrifices, etc.
Dans le cas contraire, les âmes des morts errent, toujours prêtes à manifester leurs maléfices, fantômes qui viennent tourmenter les vivants.
Certaines sociétés accommodent la question de la mort en postulant la résurrection des morts avec ou sans réincarnation, sous la même apparence ou sous une autre forme.
Les religions articulent leurs dogmes très largement autour de cette question de la mort de plusieurs manières : parce que les Dieux, eux, échappent à cette finitude, mais aussi parce les religions ont vocation à relier (cf : l’étymologie, religere), relier les vivants entre eux, mais aussi les vivants avec les morts. Par ailleurs les textes fondateurs ont une portée symbolique intemporelle.
Les religions ne se contentent pas de fournir des réponses souvent consolantes à la question de la mort en donnant un horizon d’immortalité, elles traitent aussi la question du début de la vie en proposant une mythologie de l’origine, car le début de la vie et la fin de la vie font partie des énigmes majeures qui taraudent l’homme.
Marcelle
- La Mort colle à l’homme dès sa naissance. D’abord inconscients (car on peut mourir bébé), petit à petit nous en devenons conscients, de par les dangers de situations (accident, guerre ou autre), ou de maladie.
Pour les uns, la mort les suit pas à pas, pour d’autres elle est chimère devant et repoussée au plus loin. D’une façon ou de l’autre, le spectre de la mort enserre l’être vivant dans un étau auquel il ne peut échapper, il pousse l’homme à se défaire de ce lien de désespoir, de se battre pour vaincre le jour, pour partir en avant, toujours, pour vivre coûte que coûte, faire son chemin de vie. Ce spectre lui insuffle des forces neuves, des idées de grandeur et de créativité, il le lie à son semblable jusqu’à l’union. Et l’homme, combattant dans l’armée humaine pour sa propre survie, ira mourir sur le champ de bataille du monde où il posera son empreinte, dernières graines de semence dans l’espoir de recommencer.
Une autre manière de déjouer la présence du spectre de la mort, c’est d’en faire son allié. Car il marche dans vos pas. Compagnon de votre vie, acceptez qu’il partage vos joies et vos peines. C’est admettre l’autre qui est en vous et qui porte votre nom et qui est celui qui mettra le point final. Mais il faut savoir l’oublier et, comme le roi ou la reine Carnaval, user de la vie désirante, en mettant des couleurs et des traits de lumière et de la gaieté sur vos masques. Et pour autant que le point final ne soit pas encore écrit sur votre histoire de vie, alors CARPE DIEM !
Et pour mesurer le temps qui vous reste, je vous invite à faire comme Jacques Brel l’a chanté, lui qui ne fut pas philosophe mais poète, je vous invite à la « Valse à mille temps ». Il chantait aussi « je veux qu’on danse, je veux qu’on rie, je veux qu’on s’amuse comme des fous, quand c’est qu’on me mettra dans le trou ». Car derrière la mort, ils viendront encore des milliers d’années ; tant de temps à nous reposer dans le sommeil des justes, avant que les clairons des anges célestes ne sonnent, pour un ultime éveil avant la distribution de la chose promise : le Paradis. La chose espérée, c’est l’homme qui la fait perdurer. Rien n’a bien changé depuis les temps antiques.
Sauf qu’il y eut une époque dont les restes de la civilisation ont perduré jusqu’à quelques décennies. L’homme est un cannibale à l’origine. Il mangeait l’autre pour subsister, pour devenir plus fort, puis pour se prolonger par l’autre. Heureusement les civilisations se succédant ont su abolir ce genre d’agapes. Jésus de Nazareth fut sans doute un anthropologue avant l’heure, pour avoir dit lors de la Cène en distribuant le pain en partage : « Prenez et mangez, ceci est mon corps », et lors de la distribution du vin : « buvez, ceci est mon sang » ; il dit aux apôtres de renouveler la Cène en Son Nom. Et le croyant mange l’Hostie en communiant, pour fortifier son âme et se relier à Jésus Christ le Rédempteur.
Si je ne m’abuse, ce fut Sénèque qui disait : « l’homme ne meurt pas, il se tue avec ses dents ». Ceci est encore de mise, nous savons que nous mangeons mal (écologie salvatrice !). Nos chercheurs s’emploient à nous faire vieillir de mieux en mieux, de plus en plus. Viendra-il le temps ou nul ne meurt ? D’ici là l’homme, aura subi probablement de visibles mutations. Mais nous, à qui la Mort aura ouvert sa porte, nous ferons partie de cette poussière dans laquelle le nouvel homme prendra germe. Nous serons dans le sommeil éternel, et pour ne pas avoir peur d’y faire des cauchemars, il faut vivre en paix avec soi-même, rien de plus simple. Vu de cet angle, la mort n’est rien en soi : un point final. L’arrêt du souffle. Mais nous craignons la douleur juste avant. Et comme le disait Alfred de Musset : « l’homme est un apprenti et la douleur est son maître », c’est le couperet final que nous appréhendons. Ce que l’être humain pourra ressentir après sa mort relève de la littérature. Car le cerveau de l’homme vivant est très fertile et n’a pas encore tout inventé, ni écrit. C’est ce que je pense en toute modestie, mais n’est-ce pas Socrate qui nous appris à douter, à chercher une réponse à chaque pourquoi et toujours à se requestionner ?
Anne-Marie.
Contribution de Jean-François B : l’au-delà pour les Chrétiens
Que savons nous de la vie dans l’au-delà ?….La réponse spontanée de tout chrétien familier des évangiles devrait être : « rien ».
La Bible enseigne dans ses premières pages que la mort est une conséquence tragique de la chute de nos premiers parents. Ainsi, nous apprenons que cet acte « historique » de désobéissance devait fatalement amener le péché et la mort dans le monde : « Mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras » (Genèse). « Le salaire du péché c’est la mort ».
L’histoire chrétienne est celle du salut : « félicité éternelle, le salut fait échapper à la condamnation éternelle », le salut se mérite. Pour sauver les hommes de la mort, le Messie attendu, le Christ qui accomplit les prophéties est venu. La fête chrétienne la plus importante est celle de Pâques. Pâques signifie passage - c’est aussi le rappel de l’exode, qui met fin à l’esclavage pour les Hébreux, Le Christ, par sa Résurrection, passe de la mort à la vie ; premier homme ressuscité des morts, il a vaincu la mort, et reviendra à la fin des temps. Si c’est la victoire sur la mort, c’est aussi la victoire sur le péché (Chant pascal de « l’Exultet » - « bienheureuse faute qui nous valu un tel Sauveur »). L’espérance chrétienne est traduite dans la dernière phrase de la profession de foi, « j’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir ».
Les chrétiens ne croient donc pas seulement à la survie de l’esprit, mais aussi à la résurrection du corps. L’Ancien Testament décrit la mort comme un état de ténèbres, de silence et de repos. Personne ne revient de la tombe, mais la mort ne met pas pour autant fin à l’existence. Dieu est en effet capable d’arracher l’homme à la tombe. Le Nouveau Testament précise ce tableau. Les morts «dorment», mais il y a une différence entre ceux qui sont morts en croyant au Christ et ceux qui l’ont rejeté. Les croyants sont «avec le Christ»; les autres non.
Plutôt que de réfléchir sur de telles espérances qu’ils considèrent comme illusoires, beaucoup de chrétiens estiment aujourd’hui plus important de se demander ce qu’ils peuvent faire pour garantir et faire progresser le bonheur, la paix la justice et la liberté en ce monde. Au lieu d’une vie nouvelle dans l’au-delà, ils espèrent une vie meilleure ici-bas.
Dieu donne le souffle à l’être. Le corps et l’âme ne font qu’un. Pour les chrétiens, il n’y a pas d’opposition entre le corps et l’âme. Dieu a fait en sorte que l’amour entre les êtres ait une dimension infinie.
La vie après la mort prend une couleur particulière pour les chrétiens : on ne recommence pas à zéro, on traverse la mort, comme le Christ a traversé sa propre mort, et surgit derrière une réalité plus grande encore.
La vie éternelle commence chaque fois que le chrétien prend conscience que son accomplissement personnel passe par « l’autre », sous le regard de Dieu. Chaque fois qu’il essaie d’avoir ce regard de Dieu sur les choses et les personnes qui l’entourent. Au-delà des apparences, tout geste d’amour a une valeur d’éternité. Les vivants d’aujourd’hui seront les vivants de demain. Vivre les béatitudes aujourd’hui à une valeur d’éternité. Pour le chrétien, le Christ indique le chemin, ce qui permet de changer sa présence au monde.
Extraits de la conférence présentée par « Bernard DUMEC »
à Léo Lagrange le 7 Juin 2007 : Approche biblique du corps
« Il y a une grande différence entre « le corps que j’ai » et « le corps que je suis » ! Le premier est un objet maîtrisé, dompté, le corps que j’ai maintenant, corps matériel, physique, « mesurable » (hauteur, poids, sexe, couleur de peau, des yeux, des cheveux…) fait d’organes etc. ; le corps tel que nous l’entendons dans notre culture ! Le second, le corps de la Bible, est d’un autre ordre : le corps physique est une réalité, comme tout ce qui est sur terre Le corps évoque donc un réel, un univers infini, mystérieux, à découvrir, toujours : LE CORPS que je suis !…..Le corps n’est pas l’enveloppe de l’âme spirituelle. Il est une unité, un individu, une personne, un être humain qui forme un tout : le corps c’est « moi » ! Sur terre, le corps que l’on voit… de moi, est donc « symbolique », puisqu’il évoque le mystère que je suis….
Pour l’homme biblique, l’être humain est aussi un entier, chez lui il n’y a pas d’opposition âme/corps ! Il est à la fois corps matériel, corps vivant, corps de chair (fragile et faible) et corps symbolique. Et quand il meurt, il ne change pas de corps : le « symbolique » seul retourne à l’humus, mais il reste Corps! Il entre dans le Réel qui n’est autre que le monde de Dieu. Il est totalement Corps »Réel »… Le corps symbolique, expression de soi, devient Corps Réel, le « soi » total. La mort peut être lue comme le passage par un tamis, où seule reste en terre la part matérielle, symbolique… Le Corps Réel n’est donc pas un « esprit », une « âme », mais il a une consistance unique, irremplaçable marquée éternellement par le corps symbolique, son histoire, ses relations, sa vie… etc.! Le corps symbolique doit donc un jour obligatoirement disparaître pour laisser place au Corps réel.
Du coup, l’être en tant que Corps est irremplaçable, unique et, selon cette conception de l’être humain, je ne peux avoir deux corps successifs par exemple. D’où la notion de résurrection qui ne s’entend que dans cette perspective ! JE suis corps, comme un morceau de puzzle, unique, qui tout en gardant son identité corporelle, va former un tout que le Christianisme appelle le CORPS total du Christ.
De plus, pour la Bible, au départ, l’humain est une réalité, investie du souffle divin qui fait un corps, et par là, rend éternel. Sans ce souffle, JE n’existe pas ! La Bible ne parle pas d’immortalité (même si, hélas, l’Eglise a repris ce terme) mais d’une adoption divine qui rend éternel.
Dès lors, la question n’est plus « comment vivre dans mon corps, dans ce corps, avec mon corps? La véritable question dans la Bible, c’est : « Comment vis-tu en tant que Corps ? Que fais-tu pour être Corps ? » - (fin de citation)
Le Grand Rétable de Narbonne, ensemble de pierres sculptées et peintes, illustre les différentes croyances du dogme catholique, depuis les tourments de l’Enfer, jusqu’à l’ascension des Justes vers le Paradis, réalisé afin d’instruire les chrétiens du XIV siècle. C’est la partie inférieure du Rétable qui nous intéresse. En-dessous des grands tableaux de l’Annonciation, de la Nativité, des Rois Mages, de la Présentation, de l’entrée de Jésus à Jérusalem et de la Crucifixion, se trouvent, sur la partie gauche, le Purgatoire et la montée du Christ au Paradis ; au centre, le cortège des Damnés, le Léviathan, la charette des Damnés ; sur la partie droite, la descente du Christ aux Limbes et les Patriarches.
Les dogmes sont des repères sur le chemin des chrétiens. Il est généralement admis, aujourd’hui, qu’ils peuvent évoluer. Pour preuve, le dogme des Limbes (une partie du Rétable – situation des Patriarches avant la venue du Christ et les enfants mort-nés qui n’ont pas reçu le baptême). Le 20 avril 2007, la Commission théologique internationale de l’Eglise catholique romaine publie ses conclusions sur la question, déclarant que les Limbes reflètent une vue indûment restrictive du Salut, et ne peuvent pas être considérés comme une « vérité de foi ».
Mourir
A jamais partir dans le néant
Ne laisser qu’un souvenir dans le vent
Brûlure dans le vent du Nord
L’empêcher quand il frappe et mord
Et laisser comme dernière empreinte
L’impact d’une éternelle étreinte.
Anne de Lierre 1973
Aude,
Ta mort a muselé des rêves insensés
Qui fusent abondants au cœur de la jeunesse.
La quête du bonheur, ces oiseaux élancés
Sont tombés dans le noir, la douleur et tristesse.
Dans le jardin de deuil, ou repose tes cendres
La question : « POURQUOI ? » s’est inscrit dans le vent.
Face à l’ultime mal, nul ne peut s’en défendre
Répondra l’Eternel : l’Amour vit hors du temps !
Anne de Lierre 2000
Université Populaire de Narbonne (UPS)
Site : http://perso.wanadoo.fr/universitepopu.septi
PÔLE PHILO
ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)
Cycle sur le temps (4ième année)
Séance 4 du 15-12-07 9h45-12h15
(23 participants)
Séance 4 sur : « Le remords »
Animateur-reformulateur : Michel
Président de séance : Francis
Définitions : Jean-François V. et Francis
Introducteur : Gérard
Synthétiseuses : Véronique et Anne-Marie
1) Lecture des définitions proposées (5’)
2) Présentation d’un court texte de Descartes (Les passions de l’âme), qui définit le remords et le repentir.
Descartes inclut dans le remords un doute sur le caractère bon ou mauvais de l’acte (version très atténuée du remords selon les participants). Sinon, dans l’assurance de la connaissance que l’acte est mauvais, il s’agit plutôt selon lui de repentir…
3) Intervention de Gérard
« Aristote disait qu’il existe deux sortes d’êtres. Ceux qui sont immédiatement ce qu’ils sont, et ceux qui ont à le devenir. Les animaux et les dieux relèvent de la 1er catégorie , les hommes de la seconde. Pas de problème pour les dieux : ils naissent dieux, vivent en dieux et sont immortels. Pas de problème non plus pour les animaux : du moment que leur environnement s’y prête, leur nature se développe spontanément sans jamais se dépasser elle-même. Aucun animal n’a besoin de s’animaliser pour devenir ce qu’il est. Alors que chez l’homme, c’est exactement l’inverse : il ne suffit pas qu’il naisse au sein de l’espèce humaine pour s’humaniser. Ce que Pindare énonçait dans une formule choc : « Deviens ce que tu es ». Ni dieu, ni bête, tel est l’homme.
C’est encore plus vrai dans l’ordre de l’action. Alors que l’animal ne peut que se comporter tant il est déterminé par ses instincts, ses capacités naturelles et l’environnement, l’homme est obligé de se conduire, ce qui requiert des normes et des règles orientées vers des fins. Ce qui fait que l’homme est un être moral et même le seul être moral qui existe en ce monde comme le dit Hans Jonas.
Pour mieux caractériser la morale, on peut prendre les choses à l’envers. Car le terme d’humanité a deux sens. Il caractérise en premier lieu l’espèce humaine. Dans ce cas, le contraire de l’humanité est la non-humanité, celle des plantes et des animaux. Mais en second lieu, il désigne l’humanité de l’homme, ce qui rend l’homme humain. Cette fois son contraire est l’inhumanité. Seuls les hommes peuvent se montrer inhumains, sans cesser pour autant d’être des hommes. Le comble de l’inhumanité est la barbarie, dont les animaux sont incapables. Ils peuvent être sauvages ou domestiques, mais jamais moraux ou immoraux.
Le remords est un sentiment douloureux et corrosif propre à la personne humaine. L’homme est capable de commettre de bons et de mauvais actes et de les conserver dans sa mémoire. Les premiers le rendent heureux et les seconds le rendent angoissé. Les hommes vivent dans l’histoire et le temps grâce à sa mémoire. Cette capacité cognitive de la pensée permet à l’homme d’évoluer dans le présent avec le souvenir du passé et l’espoir du futur. Sa volonté et ses choix sont conditionnés par sa culture (éducation, cercle familial, religion ou athéïsme, politique, etc.), par sa morale et par ses ressentiments. Après avoir acquis la conscience et la noèse, cet étrange animal obéit à ses affects les plus bas, comme la cupidité, qui peut engendrer la jalousie et la querelle. Il ne tue pas uniquement que par nécessité. Il peut être homicide, et en tuant son semblable, il s’autolyse. Son instinct rabougri par des millénaires de moralité ne lui permet plus de penser à la conservation de son espèce. Il commet des actes innommables au mépris de la nature humaine, ce qui le conduit parfois à édicter des lois aussi barbares que la peine de mort pour sanctionner ces actes.
C’est après avoir commis ces actes inqualifiables que l’on peut être pris de remords. C’est le ver qui ronge la conscience, sentiment douloureux d’avoir agi contre la loi morale. C’est une morsure qui torture la conscience et peut mener au suicide. C’est une honte qui signifie la chute de ses valeurs morales. Son éthique (qui est « l’esthétique du dedans ») disparue, il devient laid. Cette volition de sa mémoire peut l’amener à résipiscence pour éviter que le remords ne perdure dans son esprit afin de perturber le présent et rendre l’avenir incertain. Cette réminiscence de son acte, l’homme à la possibilité de l’édulcorer et même de la nier – par conditionnement- et aussi de la falsifier en devenant imprécis, volontairement ou non.
« Le remords consiste dans le sentiment d’un crime, et la crainte du châtiment » (Vauvenargues) ».
4) Discussion.
Synthèse de la discussion (40’) par Véronique et Anne-Marie
Selon Aristote, l’espèce humaine comprend deux sortes d’êtres : ceux qui sont, leur cerveau est animalier. Et ceux qui deviennent : l’enfant qui naît est un homme en devenir. Nietzsche a dit : « Deviens ce que tu es, fais ce que toi seul peux faire. » Cette proposition sous-entend que l’être humain en son devenir homme sera « selon ce qu’il peut », différent. L’homme est un être pensant et parlant, il a une conscience qui lui permet de se remémorer le passé, il est un être social et possède une culture (religieuse, politique…) ; son éducation implique une morale. Mais il peut avoir un comportement inhumain, barbare (guerres, tueries et autres bestialités). Car il y a parmi les hommes ceux qui expriment l’humain, qui règle ses actes avec sa conscience, et ceux qui ne pensent même pas, qui incarnent l’inhumain (ex : l’holocauste). Pour Hobbes, « l’homme est un loup pour l’homme ». Les guerres en sont la triste illustration.
A coté des êtres humains il y a d’autres espèces vivantes : les plantes et les animaux. Les animaux peuvent être sauvages, mais jamais barbares.
L’homme commet souvent des actes contraires à l’humanisme, et souvent est satisfait de lui-même. Il en résulte une laideur interne, qui peut provoquer du remords, mais pas toujours. Les procès de Nuremberg, de Papon et de Claus Barbie l’illustrent.
Le remords vient alors de la reconnaissance de l’action répréhensible commise ou omise dans le passé ; alors le remords ronge. Il peut-être individuel ou collectif (concernant un groupe).
Il n’habite pas le futur, il porte sur le passé, mais il est douleur, mal-être, peine dans le présent.
Il peut être très douloureux, amener une autopunition, voir même le suicide. Tout suicide après un méfait n’est pas forcement dû au remords, il est parfois un acte suprême de pouvoir et d’orgueil, décider d’être seul à ôter sa vie. (Hitler ?)
Les fonctionnaires du froid, (les nazis), exerçant sans réfléchir, se trouvaient dédouanés par un ordre donné, qui impliquait obéissance.
Sade fait remarquer que le remords, advenant à la conscience morale, est une réalité anthropologique : « l’homme n’est qu’un homme » (humani est), ajoutant que « la morale est un ramassis de préjugés ».
Le remords donne lieu à de nombreuses expressions d’autopunition : je me battrais ; je m’en mords les doigts ; j’en ai mal au ventre ; d’y penser me tord les tripes, etc.
La pathologie induite par le remords peut durer toute une vie. Si la douleur persiste, il n’y a qu’une psychothérapie pour en venir à bout.
Discussion
-Une première question survient au sujet du ressenti du remords. Pourquoi ce ressenti ? Il paraît s’appuyer sur le sens moral. Mais l’homme est-il toujours un être moral ? D’où vient l’origine du sens moral ?
- Le sens moral peut cependant faire écran contre le remords. De rares monuments aux morts des guerres expriment la pensée d’un : « plus jamais ça ! » : à Lodève, l’artiste Darde a taillé dans la pierre le drame familial que provoquent les guerres. Le monument représente un soldat mort avec la famille attristée à ses côtés. La famille peut avoir le remords de n’avoir pas empêché le départ, manqué un mot d’adieu…
Mais les monuments aux morts sont la plupart du temps des œuvres mettant en scène la mort glorieuse du soldat mort pour sa patrie, combattant pour un idéal. C’est une mort honorifique qui exalte le combat, et ne met pas en cause l’élément meurtrier et fratricide des guerres entre les hommes.
- Abraham a failli commettre un infanticide par amour de Dieu. Heureusement Dieu a fait remplacer l’enfant par un agneau. Néanmoins Dieu instaura le meurtre de diverses espèces vivantes (il n’y avait pas encore notre B. Bardot nationale !).
- L’homme manifeste, en dehors des guerres sanglantes dans le monde, son goût meurtrier à son profit : il pousse l’alimentation rapide (gavages et totaliments) pour achever plus vite la croissance des animaux afin de leur ôter la vie. Mais les profits ne vont pas à ces peuples entiers qui meurent tous les jours de famine. Une question émerge : « Les hommes ont le droit de vivre, mais les animaux n’ont-ils pas ce même droit ? Ou plutôt est-ce que l’homme a des devoirs envers les animaux? ».
-Pour interdire le remords, on cache le crime. Comme avec les expériences de Milgram des stimulations électriques, quand des savants demandent à des volontaires d’augmenter la décharge, alors que des acteurs stimulaient à leur insu la douleur, et qu’ils continuaient. Ou ailleurs, quand pour enlever la culpabilité des tireurs du peloton d’exécution d’un condamné à mort, on ne charge de vraies balles qu’un seul fusil.
-Quelqu’un fait remarquer que Einstein dans sa quête vers le tout savoir invente la Bombe Atomique : aurait-il connu le remords en connaissant Hiroshima ?
- Dans un de ses récents films, Woody Allen met en scène deux frères qui font un crime : le premier souffre de culpabilité après l’acte, le sens moral surgit comme autopunition ; le second minimise l’acte et s’immunise. On retrouve cette attitude chez « Sade », et au procès de Nuremberg avec Eichman et les fonctionnaires de l’effroi.
-Pour Hana Arendt le crime nazi est banalisé aux yeux de l’exécutant, il n’y voit rien que son quotidien auquel il n’a pas à réfléchir. Il exécute, comme s’il posait des écrous sur une pièce passant devant lui sur un tapis roulant dans une usine. Ne pourrait-il y avoir aucun remords lorsqu’on ne pense pas ? Le geste est alors fait par bêtise, par l’être non pensant. Le nazi ne voit pas son semblable dans tous ceux qu’il éliminait : le juif n’est pas une personne, il est personne, il n’existe pas, il est sans visage, un rebut ,un déchet .
- Pour qu’il y remords, il faut un acte fait ou omis, face auquel il y a regret et culpabilité.
- Si après un agir, la personne éprouve du remords, ce peut être positif, car le sens moral a pris le dessus. Cependant, le remords peut sembler insuffisant. Seul le désir de mieux faire est dynamique : il y a alors repentir. On remarque aussi que la société fabrique l’affranchissement de l’acte, avec des reconnaissances publiques.
- Mais le remords empêche-t-il la récidive ?
-Freud explique, dans son livre « Totem et tabou », la loi du père dans la horde primitive. Les fils convoitent le pouvoir et la place du patriarche, qui accapare toutes les femmes. Les fils désirent ce qui leur est interdit par le père. L’interdit devenu désirable sera transgressé. Ils se révoltent, tuent le père et le mangent. D’où la culpabilité après l’acte. Ils connaissent le remords et décident d’une loi : aller chercher des femmes ailleurs. La Loi est le gardien de la conscience morale dans tout groupe sociétal.
-Une participante conclut avec cette précision : pour que le remords puisse émerger il faut au moins être deux, soit soi-même face à soi-même – et son moi inconscient, soit soi-même et un autre. Ceci dans un même processus : « Reconnais ton tort et paye ta dette ».
Pause : 10’
5) Ecriture d’un texte (10’)
6) Lecture des textes (15’)
7) Régulation et planification des prochaines séances (15’)
La prochaine séance portera sur : patience et impatience.
Elle commencera par quelques définitions (Dominique et Colette), et un texte de philosophe choisi par Michel. Puis discussion, pause, écriture, lecture, régulation.
ANNEXE
TEXTES DES PARTICIPANTS
Pour conditionner l’être humain, il a toujours été nécessaire de lui imposer un nouveau mode de pensée. Celui-ci, surtout lorsqu’il est contraire à une éthique, à des valeurs morales, devrait être normalement rejeté. Mais les avantages secondaires liés à ce conditionnement, qui consistent en l’annulation de toute forme de remords, en une normalisation, une banalisation, peuvent sembler très confortables. Cela peut être rapidement la porte ouverte vers le pire plutôt que le meilleur, ces notions ayant pour chacun des connotations différentes.
De plus, aujourd’hui, à trop vouloir être tourné vers l’avenir, la modernité, la rapidité dans les actes et dans la pensée, l’homme ne veut plus s’encombrer des vestiges du passé et ne plus vivre dans le regret d’un monde jugé dépassé. Après s’être débarrassé des remords, il se débarrasse des regrets.
Muriel
Il me semble que les remords sont liés à l’éducation que l’on a reçue, et en fonction de ce que l’on nous a transmis étant enfant, on a plus ou moins de remords. Le sens des remords peut aider l’homme à revenir sur « le droit chemin », et essayer de modifier une conduite ou un acte futur. Cependant, parfois on n’a pas cette possibilité et la signification peut être et doit être l’acceptation d’un fait ou la vigilance/l’éveil pour d’autres évènements semblables qui arriveront dans l’avenir.
Il faut essayer de se libérer de la culpabilité, car elle donne naissance à une grande quantité de manifestations aussi bien sur le plan physique que psychologique. En me rappelant un livre que j’ai lu, j’ai vérifié la classification qu’avait fait l’auteur sur les types de culpabilité (Ch.7 de Métamédecine, Claudia Rainville). Il les divisait en quatre types dont découlaient tous les autres, à savoir :
1. La culpabilité d’avoir causé la mort ou la souffrance d’une personne.
2. La culpabilité d’avoir déçu un ou des êtres chers.
3. La culpabilité de n’avoir rien pu faire pour aider un proche.
4. La culpabilité d’avoir reçu plus que les autres.
Eléna
La signification du remords
Le remords, « vive douleur morale causée par la conscience d’avoir mal agi », laisse à l’être une trace irréversible et dérangeante. L’erreur passée pèse sur le présent comme une leçon amère, et la crainte du châtiment comme un lourd fardeau qui hypothèque l’avenir.
Si le mot « noir » de remords s’applique aux actes les plus graves que l’homme puisse accomplir, et contient une connotation destructrice à son équilibre, c’est le plus souvent les regrets qui nous habitent, regrets de nos mille et un manquements aux attentes de notre entourage. Parfois réparés avec un peu de tristesse, ces regrets sont vite oubliés.
Remords et regrets peuvent plus ou moins être fondés, au regard de la morale et selon une échelle de valeurs et de croyances propres au sujet. Mais seul un solide idéal de vie, profondément ancré dans notre pensée, devrait nous laisser la liberté d’agir sereinement, dans le respect des autres et de nous-mêmes.
Jean-François B
Remords, regret, repentir
Il est un fait que lorsque les êtres humaines prennent conscience d’avoir commis un acte qui génère en eux du remords, le sentiment douloureux accompagné de honte qu’ils éprouvent fera sans doute qu’ils éviteront toute récidive tant le ressenti de la souffrance morale leur est cuisant. Le sentiment de culpabilité qui s’ensuit peut parfois être destructeur. C’est pourquoi, à partir de cette pénible expérience, ils sont à la recherche du pardon dans le regard des autres, espérant ainsi se racheter.
Par contre, il est des êtres qui ne sont pas effleurés par le remords, et qui poursuivent leurs agissements malveillants ou malsains sans que ne s’interpose en eux le frein d’une quelconque conscience morale, à croire qu’ils n’en possèdent pas ou bien qu’ils la dénient pour mieux servir le mal.
Selon les circonstances, le regret peut également provoquer un état de conscience douloureux. Quant au repentir il se situe dans le regret d’avoir commis une mauvaise action et de se le reprocher, de s’en vouloir.
Danièle
La signification du remords
Le remords est l’une des façons de l’homme de se situer par rapport au temps. Le passé y insiste de manière invasive dans le présent, de façon malheureuse, et me poursuit : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn » (V. Hugo). Il traduit de façon dramatique l’irréversibilité du temps : ce qui est fait est fait, je ne peux l’effacer, revenir en arrière et agir autrement. Ce sentiment douloureux et punitif (remordere : mordre en retour) est le vécu présent d’un acte passé jugé comme regrettable : celui d’un sujet humain dédoublé par sa conscience, qui non seulement connaît et reconnaît l’un de ses actes (conscience psychologique intellectuelle et mémoire), mais évalue l’action commise (ou omise) comme mauvaise par rapport à une norme de conduite (conscience morale), et s’avoue coupable comme causalité responsable de ses actes et de leurs conséquences.
Le remords, fruit de la culpabilité engendrée par la conviction d’une faute ou d’un péché (ou par une telle assignation sociale par autrui), est une morsure qui peut ronger jusqu’au suicide lorsqu’on se sent indigne de survivre à la honte ressentie.
Il y a pathologie du remords soit quand on se sent coupable d’un crime que l’on n’a pas commis (ce qui peut paradoxalement amener à en commettre un pour justifier psychologiquement la culpabilité ressentie…), soit quand on ne se sent pas coupable (indifférence), vis à vis d’un crime que l’on a commis. La jouissance du crime pleinement assumée postérieurement, voire paradoxalement érigée en éthique par Sade, est considérée par l’humanisme comme une perversion inhumaine. Ce que celui-ci réfuterait comme de « l’éthiquement correct », du préjugé… Mais on sait historiquement par le nazisme ce que la « banalisation du mal » a produit, quand le fonctionnaire consciencieux ne pense plus (H. Arendt), ou ne voit plus dans l’autre un visage humain (Lévinas).
On peut donc considérer que le remords peut ne pas être le simple ressassement de celui qui cultive l’auto-flagellation ascétique ou le ressentiment (comme le pense Nietszche), mais comme une vigie éthique qui alerte sur notre partie sombre ou maudite (l’instinct de mort, Thanatos pour Freud) : car l’aspect punitif de la douleur qu’il procure n’est que l’envers d’une loi nécessaire face au fantasme de toute puissance de notre désir.
Le repentir (mea culpa, confiteor, acte de contrition qui va à résipiscence pour le croyant, désir de perfectibilité morale pour l’athée), peut ainsi rebondir sur un remords qui peut toujours virer au passéisme tragique d’un destin (Œdipe), pour se tourner vers l’avenir par le projet éthique d’un sujet reprenant librement en main une destinée à rectifier sans cesse par un idéal régulateur de l’action
Michel 26-01-08
Qu’est-ce que le remords ?
Le remords, le regret, le repentir, ces trois R s’emboîtent et sont à l’homme une épée de Damoclès qui se pointe sur lui après l’acte commis, mais aussi après un acte non commis où manqué. La petite voix de la conscience se charge de dire ce qu’elle en pense et installe un sentiment de culpabilité. Et dés lors, la vérité sur l’acte commis ronge en dedans, mine l’humeur, creuse l’estomac, serre la gorge, brûle les intestins, pèse dans les membres, obsède l’esprit et peut aller jusqu’au suicide pour supprimer ce mal, puisque la cause ne peut se supprimer, appartenant au passé.
Le remords est subi individuellement, mais il a un lien avec l’autre, il s’accroche à l’idée de l’amour, l’amour de soi ou de l’autre, de la petite blessure au meurtre de l’autre. Puisque l’amour est objet de désir, et que le désir est le moteur de la jouissance, celle-ci met en mémoire certains événements répétitifs. Il manque donc un quatrième « R » à ce trio, celui de la « Rupture» d’avec le passé culpabilisant pour faire autrement. Car tant que la vie va, le désir de jouissance est là.
L’homme devrait s’efforcer de connaître les aboutissements de ses pas dans sa traversée de la vie.
Celui qui n’a jamais ni Remords, ni regret, ni repentir se met à la hauteur de l’être parfait.
Le parfait est-il un être humain ?
Anne-Marie
Université Populaire de Narbonne (UPS)
Site : http://perso.wanadoo.fr/universitepopu.septi
PÔLE PHILO
ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)
Cycle sur le temps (4ième année)
Séance 5 du 23-02-08 9h45-12h15
(14 participants)
« Patience et impatience »
Animateur-reformulateur : Michel
Président de séance : Véronique
Définitions : Dominique et Colette
Synthétiseur : Jean-François B.
1) Lecture et commentaire des définitions proposées par Véronique et Colette (30’)
LA PATIENCE :
- Vertu qui fait supporter le malheur, les offenses. Aptitude à se maîtriser, sang-froid, calme, avec lequel on attend ce qui tarde à venir, constance. Qualité de qui sait attendre.
- Aptitude à persévérer dans une tâche longue.
- Jeu de carte qui se joue seul (aussi nommé « réussite »
L’IMPATIENCE :
- Manque de patience
- Incapacité à supporter quelqu’un ou quelque chose
LA PATIENCE
- De la patience comme vertu :
« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » nous dit Jean de La Fontaine.
Pour Plaute, le meilleur remède pour tous les problèmes, c’est la patience, et pour Horace « La patience rend tolérable ce qu’on ne peut empêcher. ».
Et Vauvenargues pense que « La patience est l’art d’espérer. ».
La patience est la plus héroïque des vertus, précisément parce qu’elle n’a pas la moindre apparence d’héroïsme. Giacomo Leopardi.
Pourtant, faire preuve de trop de patience ne serait-il pas une dangereuse faiblesse. On ne peut se laisser aller à la torpeur, à la paresse, au découragement!
- De la patience comme vice :
Pour Marcel Aymé « On n’a pas grand mérite à prendre patience quand on est incapable d’un mouvement de colère… ».
Et « Les limites de la tyrannie sont celles que tolère la patience de ceux qu’elle opprime. » Douglass.
« Il n’est rien de si aisé que de prêcher la patience aux affligés, quand on est dans la prospérité. » Chevalier de Méré.
La patience ? Forme mineure de désespoir, déguisée en vertu. Ambrose Bierce
Pourtant la patience est ce qui ressemble le plus à l’indifférence de la mort, et la mort seule apporte une solution aux problèmes de vivre. Pierre Baillargeon.
La patience, dans le désastre comme dans l’absence de désastre, demeurer le même.
- La patience est-elle une vertu culturelle ou cultuelle?
Dans la bible on avertit que l’impatience entraîne l’homme à faire des sottises, la patience vient à bout de l’orgueilleux, du belliqueux et de l’agresseur. La patience est une vertu de l’intelligence et du bon sens qui apaise les querelles et capte les faveurs de ceux qui ont le pouvoir.
Le Talmud conseille à l’homme d’être patient devant trois pulsions ou désirs : la nourriture (bénédiction préliminaire), l’acte sexuel (en allongeant les préliminaires) et la prise de parole (en tournant sa langue 7 fois ou en demandant l’autorisation de parler).
Dans le Zohar l’impatience, comme la colère entraîne l’individu à transgresser et à dépasser la mesure pour aller rejoindre les forces obscures et incontrôlables de l’Autre Côté (sitra ah’arah).
L’IMPATIENCE
- De l’impatience comme vertu
L’impatience bouscule tout et cette violence de celui qui ne veut pas perdre son temps n’est pas si éloignée que cela d’une vertu, comme l’explosion d’une liberté. L’impatience comme mouvement d’humeur n’est-elle pas une révolte contre tout ce qui peut ressembler à des chaînes ? Ne pas se résigner, secouer les ventres mous des conformismes étouffants. Le génie serait-il une longue patience, ou au contraire, une impatience qui explose. L’impatience peut être une vertu si on l’exerce envers soi-même.
Le génie est une longue impatience. Paul Claudel
- De l’impatience comme vice :
L’impatience, lorsqu’elle est manque de maîtrise fait figure de l’avidité qui rôde, qui semble toujours préférer le présent à l’incertitude de l’avenir, qui nie tragiquement la violence du temps et qui se brise sur le temps, parce que le temps ne peut s’accélérer !
C’est toujours l’impatience de gagner qui fait perdre. Louis XIV ;
Une petite impatience ruine un grand projet. Confucius ;
L’impatience – en n’importe quoi – est toujours signe de faiblesse.« [Swâmi Râmdâs]
DE LA PATIENCE ET DE L’IMPATIENCE
Patience et impatience ne sont dommageables que dans leurs excès, quand patience rime avec passivité et impatience avec violence et avidité. Elles nous sont toutes deux indispensables, la première pour nous aider à ne pas nous laisser démonter par les difficultés, la seconde pour nous pousser à nous défendre face aux situations qui nous sont nuisibles. Et si l’attente impatiente nous met à distance de nous-même et fait de tout délai une souffrance, la patience attentive nous réconcilie avec nous-même et fait du délai une source de plaisir, et d’approfondissement. Et même le temps passé dans l’attente de la mort peut-être dès lors un temps pleinement vécu !
Michel ajoute la conception de Saint Augustin, selon lequel la patience est une force de l’âme face aux mots nés de la passion ; et celle de Lévinas, pour lequel là où l’impatience s’emporte et voudrait que le temps soit plus court, la patience se décide à attendre sans rien désirer en retour, n’est portée dans sa contingence par aucune volonté, est une ouverture à l’inattendu, forme de « responsabilité pour autrui ».
Hegel parle pour la philosophie de « patience du concept », temps de la pause, de la réflexion, du ruminement de la pensée…
2) Discussion.
Synthèse de la discussion (50’) par Jean-François B. : quelques idées
La patiente est difficile à appliquer.
Est-ce que l’impatience est un indicateur de modernité ?
Peut-on mettre la patience en balance avec l’efficacité ? Elle peut être une passivité coupable, une forme supérieure de désespoir. Dans la patience il y a quelque chose de lourd, de religieux.
Les religions sont unanimes, si la patience est une vertu, l’impatience est une pulsion, un désir, une transgression condamnables.
Patience et impatience doivent être mesurées, les deux attitudes sont indispensables. En philosophie, la patience du concept ralentit l’action et permet de prendre du recul.
La patience est habitée d’un espoir, elle aide à ne pas se laisser démonter face aux difficultés.
Attendez un peu, soyez patients ! Il faut, pourtant, se méfier de ces conseils qui visent à figer les situations, qui visent l’impossibilité de sortir d’un état de fait, de passivité et d’inertie.
Les dictatures réclament la patience. Elles craignent l’impatience qui alimente la révolte et permet l’action.
La complexité de certains projets impose du temps et de la patience pour leur maturation et leur réalisation. L’impatience tue le projet, il est nécesssaire de donner du temps au temps, de consentir au réel. Il est indispensable de bien mesurer le temps pour chaque chose, sous peine de désordre résultant du conflit des priorités que l’on s’impose. L »impatience est dans l’air du temps : » tout, tout de suite » ; pourtant il y a un temps incompressible, incontournable, qui dépend de soi ou pas. Toujours plus vite, ne pas perdre de temps, ou la juste mesure nécessaire pour éviter la dépression.
La patience serait un art de dissimuler l’impatience. L’impatience serait mal vue. La patience est maîtrise de soi, elle attend le bon moment sans rien attendre en retour. La patience n’a de sens que par rapport à un but.
La patience, c’est aussi savoir saisir sa chance, savoir gérer sa vie avec sagesse. La patience demande une attention particulière au temps nécessaire pour remplir les tâches quotidiennes, respecter les rythmes biologiques, les heures de travail et de repos, ménager son corps sous peine de courir à sa perte, autant de contraintes inévitables imposées par le « juste temps ».
L’éducateur est confronté tous les jours au conflit entre « tout, tout de suite » et le « juste temps ». L’impatience, c’est peut-être l’incapacité de supporter la moindre frustration pour les tout-petits, dont les parents peinent à dire non et ne leur apprennent pas à désirer. L’impatience est, alors, une souffrance insupportable et immédiate, sans que la mesure des choses ne soit prise.
La montée de l’impatience dans la modernité résulterait de la difficulté de surseoir au désir : « présentisme moderne » du « tout, tout de suite. » L’air du temps serait aussi de jouir de l’instant présent : cette sagesse est-elle compatible avec patience et impatience ? N’avons-nous pas intégré des contraintes extérieures à nous-mêmes, par exemple aller vite sans être pressé ? L’impatience dans nos relations n’est-elle pas un défaut de reconnaissance de l’autre ?
Patience et impatience, équilibre fragile dans le domaine de la créativité.
Citation : « Vivre c’est se réveiller la nuit dans l’impatience du jour à venir, c’est s’émerveiller de ce que le miracle quotidien se reproduise pour nous une fois encore, c’est avoir des insomnies de joie ». Paul Emile Victor
Pause : 10’
5) Ecriture d’un texte (10’)
6) Lecture des textes (15’)
7) Régulation et planification des prochaines séances (15’)
La prochaine séance portera sur « Le péché originel » (une ou deux séances). Puis sur « Dieu et le temps : les notions d’éternité et d’immortalité » ; puis « organiser l’avenir ».
ANNEXE
TEXTES DES PARTICIPANTS
Patience et impatience
La patience ne nous est pas naturelle, le petit enfant est par nature impatient.
Ainsi toute notre vie nous devrons nous défaire de cette toute puissance infantile, de cette impatience, et en fonction de notre éducation, notre personnalité, prendre le temps d’apprivoiser nos pulsions de départ afin de devenir un être civilisé, humanisé, en paix envers lui-même et les autres.
Les stratégies totalitaires seraient ainsi instituées par un ou plusieurs individus qui n’auraient pas maîtrisé leur toute puissance infantile, seraient impatients de faire appliquer toute forme de contrainte, tout en imposant à leur peuple opprimé la patience la plus extrême pour obtenir une vague évolution de leur destinée.
Mais sans horizon et sans limites, la patience peut se figer dans la résignation et l’attente vaine. Pour rester une force, la patience doit être habitée d’un espoir, d’une promesse, d’une réalisation.
« Avec le temps et la patience, la feuille du mûrier devient de la soie » dit un proverbe chinois.
Cela vient à l’encontre du concept énoncé par Lévinas, où la patience consiste à attendre sans rien désirer en retour, le but futur conscient n’existe plus ici, mais laisse la porte ouverte sur l’inattendu.
Muriel
Patience et impatience
Selon les conjonctures, « Patience et Impatience » se succèdent et se mêlent.
Une vie qui a été marquée par la patience et qui s’en trouve récompensée prouve, qu’outre vertu, la patience est également sagesse. Par contre, si la patience n’est pas dédommagée en retour, elle peut devenir résignation et entraîner une inertie dont le côté affectif de l’être subira mais supportera tout de même les désagréables blessures.
N’oublions pas cependant que l’espoir et le courage sont de très bons alliés à la patience. Il faut donc se conditionner afin d’acquérir cette qualité mais surtout donner le temps au temps.
L’impatience peut revêtir différentes formes. Celle de la jeunesse en est une démonstration. Il y a également le manque à supporter quelqu’un ou quelque chose. Une trop forte impatience peut générer une fébrile agitation. Bref, toute difficulté même minime paraît insurmontable à l’impatient qui souhaiterait que le temps s’accélère.
Fort heureusement il est une impatience que l’on peut qualifier de bonne lorsque dans son aboutissement elle satisfait une envie (consciente) et un désir (inconscient) : attente d’un rendez-vous amoureux ou autre, une naissance, une sortie, les vacances ou un voyage etc. Il s’agit alors d’une impatience positive.
Danièle
On peut être patient sans être passif.
On peut être patient parce qu’on est optimiste.
On peut être patient parce que la vie est aussi une promesse.
On peut être patient car à l’écoute du temps présent, on a plus facilement l’intuition de l’opportunité, de l’occasion qu’il faut saisir.
Par contre, l’activisme à la mode relève le plus souvent de l’improvisation, et ne doit pas être confondu avec l’activité.
« La politique de civilisation répond à la grande décélération nécessaire du point de vue sociologique, écologique, psychique, intellectuel, dans les processus déchaînés, qui, s’ils ne
sont pas ralentis, infléchis, été déviés, nous conduisent aux désastres » (Edgar Morin).
(toute ressemblance avec… etc.)
Andrée
Une vie de chat : des besoins fondamentaux satisfaits selon leur rythme naturel, au moment voulu selon le temps voulu / ou bien une vie d’ogre : de boulimie, d’avaleur de temps, toujours plus, plus vite.
Courir après le temps qui nous court après / ou bien marcher dans le temps sans le devancer.
Claudine
Là où la PATIENCE ne se cultive pas, pousse la graine de L’IMPATIENCE.
LA PATIENCE c’est bâtir, pierre après pierre, c’est écrire lettre après lettre, c’est tricoter un pull ou une écharpe maille après maille. Etre PATIENT, c’est aimer, c’est donner, c’est partager.
L’ETRE PATIENT n’est jamais IMPATIENT, il ne sait pas ce que cela veut dire, parce qu’il voit, respire, regarde la vie avec des yeux d’amour et de remerciement continuel. Il vit avec la vie, selon sa volonté et son rythme. Il danse avec ELLE, il se laisse emporter là où ELLE veut, là où ELLE doit! Il lui fait confiance, il lui laisse les clefs, il lui confie son chéquier… et ELLE en retour le remplit de confiance, d’EMERVEILLEMENT, de JOIE ET de PATIENCE.
L’IMPATIENCE est le revers de la PATIENCE. Elle nous mène, nous achemine forcément vers le conflit avec soi et les autres, à la frustration, à l’incompréhension, à l’amertume, à l’insatisfaction continue, à la maladie, à l’abîme. A force de jouer avec elle, celle-ci finit par nous envahir, et nous détourne d’apprécier le GRAND MIRACLE DE L’EXISTENCE.
Elle fait, elle rend nos journées fades, on perd le sens de la rose, on ne voit plus le sourire d’un enfant, on reste indifférent à la caresse d’un soleil hivernal… On finit par passer à coté du MIRACLE.
Simon
Patience et impatience doivent être mesurées.
Au fil du temps présent, la patience rend tolérable ce qu’on ne peut empêcher et permet l’harmonie des relations aux autres.
Toutefois, la patience ne doit pas être résignation, immobilisme, indifférence déguisée, et paresse.
Si l’impatience, qu’aucune sagesse ne corrige, reflète l’incapacité de supporter les frustrations d’un désir insatisfait, elle est aussi source d’action, énergie vitale, libération de grandes forces créatrices, utiles à la construction du temps à venir.
Jean-François
Je pense que la patience est dans l’être, contrôle de soi.
La patience a ses limites, elle attend le bon moment. L’impatience est dans l’avoir (caprice, prise de pouvoir)
Mais le tout découle de notre comportement face au temps, devant lequel nous devons nous incliner avec patience ou impatience, lui s’écoule au même rythme.
Michèle
Patience et impatience
Réflexion par rapport au but attendu
Sans doute y a-t-il deux manières d’être patient (ou impatient), selon que c’est une disposition stable de la personnalité, ou bien que c’est une position conjoncturelle (j’attends mon tour d’être servi). Cette distinction en recouvre peut-être partiellement une autre : patience (ou impatience) sont-elles relatives à un but attendu ? Dans le premier cas, celui du « tempérament » patient (ou impatient), le but de l’action est indifférent, c’est-à-dire que face à n’importe quelle attente, la prise de position sera la même. Dans le second cas (la position conjoncturelle), le but conditionne la nécessité de la patience ou de l’impatience.
Réflexions sur les injonctions paradoxales dont nous sommes continuellement victimes
La patience nous est montrée en général, notamment par les religions, comme une vertu. Cela signifie qu’il nous est recommandé de différer notre jouissance, et ce même au-delà de la vie terrestre. Dans un autre domaine conceptuel, le principe de réalité doit soumettre le principe de plaisir qui a un caractère immature.
Par ailleurs, l’ensemble du développement des technologies et la tendance massive au consumérisme nous entraînent vers une impatience généralisée. La moindre attente pour passer un message sur internet est insupportable, alors qu’il n’y a pas si longtemps il aurait fallu des jours pour avoir un service de bien moindre qualité. La publicité nous fait miroiter qu’il faut acheter au plus tôt tel objet incontournable puisqu’il est, de plus, « offert » pour quelques jours encore à un prix imbattable. La mode est à « ce (ceux) qui bougent », au dynamisme, fini les vielles lunes et l’immobilisme ! On fait des déclarations et on se demande après, si on en a le temps, quel est le sens de ce que l’on a dit. Au diable ceux qui réfléchissent et tournent leur langue sept fois.
Envies et désir
La loi de la consommation nous plonge dans la confusion entre ce qui est de l’ordre des envies et ce qui est de l’ordre du désir. Pour les innombrables objets qui sont présentés à notre concupiscence, la même illusion se renouvelle : cet objet portera avec lui une immense jouissance. L’illusion est inextinguible quoique nous ayons expérimenté des milliers de fois qu’il n’en était rien. Nous poursuivons, dans la fébrilité, poussés comme des moutons par les publicitaires, aidés des politiques (relance de la consommation oblige !) le rêve boulimique de l’extinction du désir par la saturation d’objets. Est-ce bien notre intérêt individuel et collectif, à court, moyen ou long terme ?
Marcelle
Eloge de la patience
La patience est une façon, dans notre expérience humaine, d’assumer notre être-au-temps, soit par rapport à l’attente, situation où l’on se calme jusqu’à ce que quelque chose qui tarde finisse par se produise, soit dans la durée, où l’on persévère jusqu’à obtention d’un but ou la réalisation d’une tâche (exemple du moine copiste, patience de bénédictin). Dans les deux cas, il y a problème : le temps ne passe pas assez vite, l’événement n’arrive pas, la tâche est très longue etc. Il y a dans la patience, c’est l’étymologie du mot, une souffrance (pati : souffrir) dont on « pâtit » : celle du temps que l’on ne peut accélérer, mais dont on subit le rythme implacable, temps objectif de la montre, temps subjectif de la conscience. Celle plus générale de la vie, dans ses difficultés de tous ordres : on dit qu’il faut « prendre son mal en patience ». Mais dans la patience, ce rapport douloureux au temps et aux maux de la vie est enduré, par assomption stoïcienne de l’ordre des choses ou/et maîtrise volontaire et contrôlée de ses émotions.
Car par opposition, l’impatience, qui n’accepte pas que le présent ne soit pas de l’avenir, qui dramatise et rend tragique le rythme du temps, est déni du temps qu’il faut au temps pour passer, trouble du corps (bouillonnement, énervement, piaffement, palpitations, tremblements, explosion, colère, débordement des émotions etc.), défaut de contrôle, stratégie peu adaptée… L’impatience est souffrance doublée d’une impuissance : frustration temporelle d’un pas encore là, frustration pulsionnelle d’un désir non satisfait, ou toujours insatisfait. La somme de nos impatiences, si celles-ci étaient réalisées par le raccourcissement du temps qu’elles souhaitent, ferait que l’on aurait de fait presque pas eu de temps pour vivre… L’impatience aimerait donc si peu la vie ?
La patience a donc souvent été considérée, au-delà de l’état psychologique de calme, comme une vertu morale, voie religieuse du salut ou voie philosophique de sagesse. Elle pourrait l’être d’autant plus que la modernité produit de l’impatience, en valorisant d’une part la vitesse qui stresse et déséquilibre (la patience aime la lenteur et l’harmonie avec soi et le monde), d’autre part le consumérisme hédoniste qui frustre par son « tout tout de suite et tout le temps » (la patience régule le désir, tient à distance la pulsion).
On objectera que la patience, par sa capacité à subir et endurer le mal, peut faire le lit des dictatures, des promesses non tenues et des drogues sociétales (attendez encore, le temps des vaches grasses viendra plus tard avec les lendemains qui chantent, ou même dans l’autre monde !). Et que l’impatience au contraire nourrit les révoltes collectives contre l’injustice ou l’expression individuelle dans les œuvres d’art : mieux vaut transformer le monde (Marx) qu’accepter l’ordre des choses (stoïciens).
Faut-il en conclure : « impatience devant l’injustice, patience devant la maladie et la mort » ?
N’oublions pas que la patience, si c’est d’endurer ce que l’on subit dans le calme, c’est aussi durer dans la ténacité et la persévérance jusqu’à l’aboutissement de ses projets…
Michel
Récit
Ce matin, à 7H15, dans mon lit, à moitié réveillé, j’écoutais sans vraiment écouter, les infos sur France-Inter, et le temps passait. Toutes les 4 à 5 minutes, je jetais un œil sur le réveil, et je me disais, j’ai encore le temps, rien ne presse, et à force de tirer sur la corde du temps, il ne me restait plus beaucoup de TEMPS. Et plus le TEMPS commençait à presser, plus je devais prendre la décision de sauter du lit en courant au dernier moment, avant que le TEMPS ne se soit écoulé. J’étais aux toilettes et le TEMPS pressait, et voilà que mon système digestif se mettait aussi … à grignoter de mon TEMPS précieux, et refusait de coopérer, au lieu d’être compréhensif et solidaire. Mon Prof risque tout à l’heure de me faire une grimace et moi je vais m’excuser en bégayant, devant la classe. Mon intestin continuait à prendre son TEMPS, j’étais de plus en plus impatient. A la fin, j’ai craqué, et je lui ai dit Merde, ça fait dix minutes que je patiente mais là … trop, c’est trop.
– Toi, mon système digestif, tu ne penses pas que tu exagères ? Il est temps que tu te grouilles, que tu bouges, parce que je n’ai plus de TEMPS à perdre.
Là, j’ai reçu la claque de ma vie ! J’ai entendu une voix me dire : si tu n’es pas content, sache que moi aussi, je ne le suis pas ! Je croyais rêver, j’étais assommé, mon système digestif continuait de plus belle…
– Moi aussi, j’en ai marre de tes caprices, de tes exigences, de ton autorité, de vouloir tout, et tout de suite, tout le TEMPS. Il faut que tu apprennes à donner à chaque acte un TEMPS, sans ça tu cours à ta perte ! Tu te réveilles en retard au dernier moment, en grimaçant…. Et après tu en veux à tout le monde, tu ordonnes, tu exiges, et tu penses que le monde va t’obéir, va être à tes pieds ! Moi aussi, j’ai besoin de TEMPS pour me réveiller, besoin de TEMPS pour m’organiser et surtout besoin d’amour et d’écoute de ta part. D’ailleurs je ne suis pas loin de craquer, je me sens fatigué, épuisé…Ton manque de respect de mon TEMPS à moi et de la vie doit cesser ! Ça fait plus d’un demi-siècle que je travaille chez toi, que je fais de mon mieux pour ta santé, ta propreté. Je travaille sans relâche, sans compter les heures de travail : je frotte, je cire, je brosse, je rince ton corps de l’intérieur, pour qu’il puisse être avec le TEMPS toujours en bonne santé, avec une peau lisse, et un visage plus ou moins présentable. Depuis tout ce TEMPS que nous sommes ensemble, tu n’as jamais respecté les règles du jeu.
– Dis-moi c’est quoi les règles du jeu ?
– Je vais te le dire : c’est le respect des heures de travail…. Et du repos ! Tu n’as pas le droit de m’envoyer à toute heure, comme un anarchiste : des pizzas, de la mayonnaise, des chips, de la moutarde, du ketchup, des plats cuisinés chauffés au micro-ondes, de la charcuterie, tout cela me demande un TEMPS fou pour t’aider à digérer et je suis épuisé. En même TEMPS, en plus, tu m’envoies des bonbons, des chocolats, des sucreries de toutes sortes qui me collent à la peau, m’étouffent. Toi, tu t’en fous, tu ne penses qu’à toi. Tu n’as pas le droit de te comporter ainsi, car figure-toi, que j’ai droit aussi au repos, au temps libre, et je tiens à l’avoir. Je n’accepte plus de faire des heures supplémentaires, de travailler après huit heures le soir, je n’ai plus les forces pour… Tu ne mangeras plus ce que tu veux à l’heure que tu voudras, ça c’est fini ! Tu ne pourras plus te conduire en dictateur (tu sais comment ils finissent ?) ! Si tu continues à fermer les yeux et les oreilles, il sera trop tard ! C’est un conseil d’ami qui ne veut que ton bien, crois-moi ! Je peux te dire que je ne suis pas le seul à réclamer dans la boîte…..
– Ah bon !
– Dernièrement, j’ai entendu une conversation entre le cœur et les poumons ; le cœur se plaignait de palpitations et les poumons disaient avoir des sifflements, quant au foie, je pense qu’il est en train de baisser les bras ! Alors résumons-nous, la situation est loin d’être bonne… Si tu veux la changer, il est TEMPS de modifier ton comportement, ta façon d’être. Pour que tu puisses rester longTEMPS encore … il est encore TEMPS.
Simon
Autre texte : Eloge de la patience – reflexion sur le temps qui passe
La patience n’est pas maîtrise, mais accueil du temps. Elle ne consiste pas à répondre à la puissance du temps par la puissance de la volonté, mais par une volonté de non-puissance. Elle est manière paradoxale d’attendre, manière de prendre plaisir à l’attente
Et voilà pourquoi elle fut si souvent dite vertu féminine ! Pénélope à sa manière, la femme enceinte à la sienne savent que patience et longueur du temps font plus que force et que rage… Accueil aimant du présent, vertu qui donne au temps sa chance : voilà ce qu’est la patience. Et si l’attente impatiente nous met à distance de nous-même et fait de tout délai une souffrance, la patience attentive nous réconcilie avec nous-même et fait du délai une source de plaisir, et d’approfondissement. Et même le temps passé dans l’attente de la mort peut-être dès lors un temps pleinement vécu ! Eric Fiat
Lévinas a analysé le rapport entre l’attente et la patience de façon originale, en considérant que ce qui distingue l’impatience de la patience, c’est non pas la préférence pour le présent, mais l’absence de but futur conscient. Là où l’un s’emporte et voudrait que le temps soit plus court, l’autre fait preuve de patience et se décide au contraire à attendre sans rien désirer en retour : il subit l’attente. La patience de Lévinas est une patience qui attend, mais dont l’attente n’est portée par aucune volonté, qui est contingente. C’est une forme d’ouverture sur l’inattendu, ce que Lévinas désigne par la formule de « responsabilité pour autrui. » Ce renversement du concept s’intègre bien dans les spiritualités orientales, notamment.
Université Populaire de Narbonne (UPS)
Site : http://perso.wanadoo.fr/universitepopu.septi
PÔLE PHILO
ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)
Cycle sur le temps (4ième année)
Séance 6 du 15-03-08 9h45-12h15
(19 participants)
Le péché originel
Animateur-reformulateur : Michel
Président de séance : Francis
Introducteurs : Andrée et Bruno
Synthétiseur : Marcelle
1) Introduction de la séance
a) Andrée
Définition du péché, d’après l’Ancien Testament (selon Andrée)
= trahir - se détourner - refuser la loi - la transgresser
Les Prophètes ont particulièrement insisté sur le sens du péché en s’élevant contre les multiples violations de « la Loi » commises par Israël, ses aristocrates, ses rois (violences – usure abusive – dictature, etc.). Pour eux, le péché, c’est la rupture de la relation entre Israël et Dieu.
- Pourquoi le péché est dit « originel » ? Ce terme est né dans les écrits de Saint-Augustin qui croyait fermement à l’historicité d’Adam et d’Eve; l’Eden se situant dans un Orient très lointain. Selon cette lecture naïve qui est encore celle des créationnistes, la tradition fait remonter le péché originel au péché commis par Adam et Eve.
Dès le 17ème siècle, des penseurs et des scientifiques ont trouvé cette lecture impossible. Il a fallu adopter une lecture symbolique. On a, alors, insisté sur l’interprétation des mots.
Le « commencement » appartient à une description évènementielle. Par contre quand on parle de l’ « origine » du mal, on recherche la cause du mal. C’est la lecture symbolique de la Genèse qui permet d’approfondir cette recherche.
- Que représentent Adam et Eve ? Ce « couple » est le représentant, l’archétype de l’espèce humaine. Le serpent serait le mal, le côté animal qui est en nous (le serpent est dans le jardin avant l’Homme). Donc, le mal est en l’Homme. Il précède l’Homme.
Lorsque le 7ème jour, Dieu se repose, il laisse l’Homme, seul, libre. Adam peut choisir sa voie. Or, Adam choisit le mal. Son premier acte transgresse la loi, l’interdit, et obéit à son désir.
A partir de cet acte symbolique, on peut tirer plusieurs « leçons » de ce passage de la Genèse :
- l’Homme a son libre arbitre. Mais il a souvent tendance à transgresser la loi ;
- évocation de la difficulté des relations entre les êtres : domination ;
- désir de pouvoir ;
- relation du couple ;
- manque de responsabilité. Ex. : « ce n’est pas moi - c’est elle ».
- « solidarité » entre les humains. Conséquence collective, ex.: « la malédiction de Dieu sur l’avenir de l’Homme »
Effectivement, ce couple met au monde Caïn et Abel et c’est le « premier crime de l’humanité ».
* Adam et Eve : mythe sumérien, bien antérieur à l’époque de la rédaction de la Bible (VIIIème – VIIème siècle avant J-C).
* On retrouve le déluge dans beaucoup de religions archaïques.
b) Bruno
Bien que cette notion semble découler naturellement des chapitres 2 et 3 de la Genèse, concernant Adam et Eve chassés du jardin d’Éden, elle n’a pas été développée dans le cadre du judaïsme. Elle a été développée dans le cadre du christianisme, par St Augustin d’abord, qui a axé son étude sur une interprétation de ce récit.
Mais dans la mesure où c’est en tant que chrétien qu’il formalise sa pensée sur le sujet, il est légitime d’interroger aussi les textes fondateurs du christianisme, à savoir les évangiles et les lettres de Paul, pour voir s’ils font allusion à quelque chose qui ressemble à ce que nous appelons péché originel.
Le péché originel, c’est, rétrospectivement, ce dont le Christ est venu nous libérer. Le Christ est venu mettre fin au règne de Satan, le prince de ce monde. Dans l’évangile de Jean, Satan, l’accusateur, est dit « homicide et menteur depuis le commencement ». Il est menteur et père du mensonge, il tire le mensonge de son propre fond. Il est donc question d’une accusation, d’un meurtre et d’un mensonge à propos de ce meurtre. L’évangile dit qu’au moment de la mort du Christ, Satan va être jeté dehors. Le texte nous oriente vers l’idée que Satan va être démasqué, quand le récit de la passion va justifier le Christ contre l’opinion unanime de la foule à son sujet, proclamer son innocence là où tout le monde l’accuse.
« C‘est la miséricorde que j’aime, et non le sacrifice ». Les évangiles reprennent à leur compte cette phrase souvent répétée par les prophètes de l’ancien testament : Satan domine le monde en appelant « sacrifices » les meurtres collectifs qui ressoudent les communautés contre des victimes jugées responsables des divisions et de la réconciliation qui succède à leur mise à mort. Satan domine le monde en faisant croire qu’il y a un Dieu ou des dieux qui réclament qu’on leur immole des victimes pour nous donner la paix. Les évangiles montrent que, si Dieu il y a, il est non-violent et qu’il est la première victime d’un de nos « sacrifices »…
« Je vais vous envoyer des sages, des prophètes et des scribes, vous les tuerez, vous les crucifierez, pour que soit demandé compte à cette génération de tout le sang innocent répandu sur la terre depuis la fondation du monde, depuis le sang d’Abel jusqu’au sang de Zacharie », lit-on dans les évangiles synoptiques, à propos du même sujet.
Les évangiles, en matière de péché originel, nous orientent donc plutôt vers une relecture du mythe de Caïn et Abel, placé juste à la suite du récit de la chute, et dans lequel le terme de « faute » apparaît pour la première fois.
Le récit concernant Adam et Eve a néanmoins un rapport avec la question. C’est la jalousie qui pousse Caïn à tuer Abel, et c’est la jalousie qui pousse Adam et Eve à désirer ce que Dieu se réserve : le fruit de la connaissance du bien et du mal. La jalousie est excitée par l’interdit : « si la loi ne m’avait pas dit : tu ne convoiteras pas, je n’aurais jamais convoité », dit Paul. Paul explique que le Christ nous a sauvés en nous donnant la possibilité de vivre sous le régime de la grâce. Au régime de la lettre de la loi qui produit la rébellion et la crainte, il oppose un nouveau régime, celui de l’esprit. Sous le régime de la lettre, on ne peut pas faire le bien : le bien que l’on fait sous la contrainte n’est pas le bien, et la loi nous ferait plutôt convoiter le mal. C’est la convoitise qui provoque les rivalités qui seront ensuite expiées par des boucs émissaires divinisés.
Le péché originel, c’est l’origine comme péché, comme rébellion contre une loi qui condamne et qui nécessite sans cesse des expiations par les sacrifices. Le tout marche ensemble, et c’est ce tout que le Christ est venu remplacer par le commandement de l’amour, vécu jusque dans ses ultimes conséquences : dénoncer le meurtre fondateur, la convoitise qui y mène, et préférer le subir plutôt que d’y participer… 2) Discussion.
Synthèse de la discussion (50’) par Marcelle
La question n’est pas ici théologique, mais nous la posons d’un point de vue philosophique. Elle est donc formulée comme ceci : le péché originel nous éclaire-t-il sur la nature humaine ?
Même si un clivage est manifeste entre croyants et athées, le dialogue reste tout à fait possible dans le cadre plus général de la laïcité.
La discussion a mis en lumière quelques grands questionnements :
1° D’où vient le péché ? Est-il consubstantiel à la nature de l’homme ?
2° Quel lien le désir entretient-il avec le péché ?
3° D’où vient que l’homme a un sentiment moral, la notion du bien et du mal, et quelle place a la culpabilité ?
4° La place et la valeur de la liberté de l’homme.
1° D’où vient le péché ? Est-il consubstantiel à la nature de l’homme ?
L’homme est marqué par l’imperfection, il est bancal (pécher, c’est boiter) ; le serpent tentateur fait miroiter à Adam que s’il avait accès à l’arbre de la connaissance du bien et du mal, il serait l’égal de Dieu. Comment résister ! Voilà le premier péché commis, voilà la voie ouverte. Le Christ viendra racheter les péchés des hommes.
Mais en fin de compte, la question est surtout celle de la transmission. Comment Dieu, être parfait, engendre-t-il des êtres imparfaits ? Les Manichéens contournent la difficulté en disant que le mal est à imputer non à Dieu mais à un autre principe : Satan.
Autre question : la faute d’Adam doit-elle être portée par toute sa descendance ? Par l’humanité donc ? A cela St Thomas d’Aquin fait une réponse de gascon : les hommes sont corrompus par la faute d’Adam, mais ils ne sont pas pour autant coupables. Cela signifie que les hommes ont hérité, simplement de la possibilité de tomber eux-mêmes dans le péché, mais qu’ils gardent le libre arbitre de le faire ou non…
2° Quel lien le désir entretient-il avec le péché ?
« C’est la loi qui fait briller le désir » dit Saint Paul. Le désir nous appelle vers ce qui est interdit, inconnu, différent, au-delà de la limite. On peut même dire que s’y oser demande un certain courage, et être surpris que ce soit qualifié de faute.
Quant à la loi, on peut aussi dire que la responsabilité de l’homme est de lui donner une interprétation correcte, c’est-à-dire morale, car la loi crée tout à la fois la convoitise et le sacrifice. Il faut y distinguer l’esprit et la lettre. La loi de Dieu (également du père) peut être entendue de manière ambiguë. Elle dit tout à la fois « Suis moi » et « ne me suis pas ». Comment comprendre cette ambiguïté ? L’esprit de l’injonction est de suivre l’exemple et de ne pas chercher à être à la place de Dieu (du père).
Le message du Christ est plus clair, il est seulement « Suis moi ! », c’est un message d’amour.
3° D’où vient que l’homme a un sentiment moral, la notion du bien et du mal, et quelle place a la culpabilité ?
« L’homme est un animal moral », dit Aristote (Pour cela il est nécessaire d’avoir le choix entre le bien et le mal). Cette nature éthique de l’homme a-t-elle son origine dans le péché originel qui était, on se le rappelle : toucher à l’arbre de la connaissance du bien et du mal, ou bien est-elle advenue avec le sacrifice de ce qui est mal (mais on pense aussi au sacrifice du Christ) ?
On peut aussi dire que le péché originel, avec la possibilité de choisir le mal, constitue un processus de déshumanisation. Effectivement les hommes continuent à commettre crimes et atrocités.
La question de la culpabilité reste centrale. La culpabilité est-elle un moyen de contrôle social pour réguler la vie en société ? Doit-on porter la responsabilité de nos ancêtres ? Doit-on se considérer comme essentiellement pécheurs en action ou en intention ? Le sentiment de culpabilité est-il le garant d’une conduite morale ?
Une manière de tenter de se débarrasser de la culpabilité est de la rejeter sur un tiers, le serpent tentateur, la femme (Eve et toutes les femmes que l’on enferme sous des voiles). C’est désigner un coupable des désordres de la communauté, un bouc émissaire. A ce propos voilà la théorie de René Girard. Le Christ est venu dénoncer cet arrangement avec la conscience : le bouc émissaire n’est pas coupable. Mais dés lors les hommes sont informés qu’ils commettaient un péché. A partir de cela, s’ils persistent, ils sont coupables. On sait qu’ils ne se sont pas privés de continuer à choisir des boucs émissaires, le Christ lui-même.
4° La place et la valeur de la liberté de l’homme.
Le thème de la liberté apparaît de manière transversale dans les trois premiers points.
Notons encore que lorsque Dieu a crée le monde, le 7ème jour, il s’est retiré et a laissé l’homme libre. Ce qui est plus ambigu dans la Bible (au sujet du péché originel), même si on ne se réfère à ce texte qu’en tant que mythe fondateur, ce sont les places respectives de la liberté, de la connaissance et de la loi. Chronologiquement : loi – liberté – connaissance, ou bien on vient de le voir : loi – connaissance – liberté ?
Conclusion en sus des débats.
Dans les deux cas, il semble que la loi soit première. Il n’y a pas de liberté sans loi, mais est-il nécessaire de connaître ce que la loi veut nous interdire (au risque du désordre et de la culpabilité) ? Ne peut-on suivre le versant positif de la loi, ce qu’elle nous indique : le précepte, sans penser que nous y perdons notre liberté ? Comme le dirait La Palisse : la loi permet tout ce qu’elle n’interdit pas. Dans la loi de l’interdiction de l’inceste, si le petit nombre des femmes du clan est interdit, cela signifie que toutes les autres sont autorisées. A préférer sa Maman on s’interdit toutes les autres femmes !
Pause : 10’
5) Ecriture d’une question sur le péché originel (5’)
6) Lecture des questions (15’)
Voir en annexe
7) Régulation et planification des prochaines séances (15’)
Séance riche par la multiplicité des pistes. Nous continuons. Intérêt d’avoir le texte de la genèse sous les yeux, éventuellement des textes d’autres religions[1] sur la chute.
ANNEXE
TEXTES DES PARTICIPANTS
PATIENCE / IMPATIENCE (Dernière séance)
Considérer l’impatience comme une vertu, pour échapper au poids du « péché originel », mesure la souffrance ; l’impatience qui mène à la créativité, qui permet d’atteindre l’objectif que l’on s’est fixé (par essence, l’objectif ne viendra pas vers nous). L’impatience qui va positivement mener à l’action permettant la réalisation du désir et dont la patience est la mesure, dans le sens qu’elle représente le temps adéquat de réalisation.
Patience, désir, impatience : un équilibre fragile, une difficulté dans la mesure, un juste dosage pour échapper à la souffrance.
Dominique
Questions posées en fin de la séance (1) sur le péché originel
- Qu’est-ce que le péché originel ?
- Un mythe ? Tout est-il imaginaire dans les mythes ?
- Peut-on avoir une lecture laïque du mythe du péché originel ?
- Est-ce que la Genèse n’est pas un mythe qui nous parle à la fois des origines historiques de l’humanité et de l’enfance de chaque homme ?
- Est-ce que le mythe d’Œdipe ne fait pas écho au péché originel ?
- Quel est le rapport du péché originel au temps ?
- L’arbre de la connaissance est-il celui du Bien et du Mal, ou plus généralement de la Connaissance, du Savoir ?
- Le péché originel, est-ce celui de la chair ?
- Le péché originel est-il fondateur de la dimension éthique de l’humanité ?
- Le péché originel, entraînant l’apparition du mal et de ses conséquences, est-il nécessaire pour donner de l’intérêt à la vie humaine ?
- Est-ce la notion de péché originel qui crée le sentiment de culpabilité, ou la nature pécamineuse de l’homme qui génère cette notion ?
- Si le péché originel n’avait pas eu lieu, comment serait aujourd’hui l’humanité ?
- L’homme est-il naturellement bon ou mauvais ?
- Comment expliquer ce mal qui fait partie de la nature humaine ?
- Le désir n’est-il pas l’origine du péché originel, au sens de vouloir ce que l’on ne connaît pas et n’a pas ?
- Face à la découverte de son désir de meurtre, l’homme peut-il inventer d’autres systèmes que ceux existants, la loi humaine et la loi divine ?
- L’homme, à sa naissance, est-il héritier d’une faute dont il n’est pas personnellement coupable ?
- Sommes-nous condamnés à aller de commencement en commencement sans évolution possible ?
- Comment se libérer de la culpabilité ?
- Faut-il se libérer de Dieu pour se libérer de la faute ?
- Pourquoi la loi ne fonctionne pas seulement par un précepte qui indique la voie, au lieu de l’interdire ?
- La désobéissance a-t-elle fait de nous des êtres matures ?
- Et si l’homme se servait de Dieu comme bouc émissaire ?
- Pourquoi l’être humain a-t-il besoin de religions ?
Le péché originel
La Genèse est pour moi un mythe, c’est-à-dire un récit qui nous raconte une histoire pour mobiliser notre imaginaire afin de nous faire comprendre symboliquement des choses essentielles sur la condition humaine. Sa forme narrative, et son origine historique contextualisée (que le texte soit « inspiré » ou non par Dieu est une autre question), appellent des exégèses, une herméneutique à la fois historico-critique (utilisation des sciences : archéologie, histoire, linguistique etc.) et théologique (faire usage de la raison pour éclairer sa foi). Tentons une reprise conceptuelle du narratif, une interprétation philosophique de ce capital symbolique à disposition.
Le mythe du péché originel nous permettrait de mieux comprendre comment s’articulent et se nouent chez l’homme :
- la puissance d’un désir qui cherche à se réaliser (devenir Dieu), et qui prend la forme de la connaissance (désir de savoir, manger du fruit de l’arbre), de la sexualité (être ému et mu par la nudité qui montre la différence) ;
- la dimension éthique du processus anthropologique d’hominisation, par l’émergence et la conscience, face à ce désir, d’une distinction entre le Bien et le mal, le permis et le défendu. On nous parle d’origine (péché « originel »), mais il s’agit moins d’un ordre historique que de l’ordre symbolique du fondement, ce sur quoi repose l’humanité de notre espèce, une façon d’être à l’autre et au groupe qui ne repose pas sur la force brute, mais sur une loi légitimée par des valeurs;
- la nécessité chez l’homme de lois, d’interdictions et de sanctions pour vivre ensemble ;
- l’affirmation d’une liberté humaine comme choix responsable entre la poussée bio-psycho-sociale du désir et le caractère limitatif, civilisateur et structurant de la loi ;
- l’existence d’un sentiment de culpabilité face à notre désir, devant la loi (qui fait « briller le désir » selon Saint-Paul), et après une transgression.
Il s’agit de péché, c’est-à-dire du nom religieux de la faute. La faute est la transgression d’une interdiction prononcée par une loi, qui entraîne une sanction. Dans le cas du péché, c’est la loi divine. Contrairement à l’erreur, qui se trompe par méconnaissance ou inattention, la faute ou le péché connaît la loi, et la transgresse en connaissance de cause, et généralement de conséquence. Elle semble donc mettre en jeu une liberté responsable de ses choix, de ses actes et de leurs conséquences.
Tout au moins quand il n’y a pas destin, au sens des grecs : Œdipe transgresse la double loi du parricide et de l’inceste, mais ignore cette transgression au moment de ses actes, dont la connaissance lui révèlera a posteriori l’énormité. Il porte le poids du destin de sa famille, sans jamais pouvoir l’infléchir, se sauver ou être sauvé : c’est l’univers du tragique, de l’écrasement de l’homme broyé par une force qui le dépasse et le trépasse. La relecture de Freud est éloquente : il savait, mais inconsciemment, dans son inconscient, à son insu… ce qui permet de ne pas le disculper totalement. Sinon d’où viendrait son désir de savoir le fin mot de l’histoire, de son histoire ?
Eve connaît par contre l’interdiction de Dieu, et les conséquences de la transgression. Mais en même temps elle n’a pas la connaissance du Bien et du Mal (donnée par le fruit défendu), ne sait rien encore de la réalité de la mort, qui reste pour l’instant virtuelle, imaginaire pour elle, ni de la souffrance de l’accouchement, qu’elle n’a jamais encore expérimentés etc. Il lui faut obéir sans tout comprendre et sans vraiment savoir, par confiance ou amour divin. Elle a bien cependant le choix entre l’interdiction divine et la tentation du serpent. Et elle tranche en ce sens consciemment, librement, même si elle n’a pas toutes les clefs de la connaissance.
Ce qui fera poser à certains la question : à n’avoir pas toutes ces clefs, était-elle totalement libre ? Et est-ce parce qu’elle n’avait pas finalement toutes ces clefs qu’elle a fauté ? Parce que devenir mortel, c’est pas la joie : elle verra seulement quand elle y sera ! Si elle avait su, aurait-elle abandonné un état paradisiaque ?
Mais connaître, avoir ce que Dieu seul se réserve, qui doit être un trésor dont elle est privée, c’est aussi tentant ! Devenir Dieu soi-même… le créateur tout puissant, être comme Dieu, à « l’égal de Dieu » dit le serpent.
La transgression entraîne une culpabilité. Eve ne se rend compte réellement de la portée de son acte qu’en prenant conscience de sa nudité et de celle d’Adam : elle a honte de la chair mise à nu, de sa chair apparaissant comme dévoilée, frappée du sceau du désir, et en est effrayée : elle était nue dans le réel (pour reprendre les catégories de Lacan) de son être, elle se découvre comme déshabillée dans l’imaginaire du désir (le fantasme, le corps fantasmé), et le symbolique de la loi (le corps interdit, le péché de la chair). Elle découvre la pudeur, face à la nudité de son désir et de celui d’Adam, et se revêt d’un pagne, pour cacher l’objet cause du désir. C’est la transgression de la loi qui la met rétrospectivement face au désir, lui révèle anthropologiquement son être désirant (et mortel à la fois). Le péché est dévoilement du désir, qui me constitue comme homme, c’est-à-dire pécheur, inscrit dans l’ordre symbolique de la loi comme borne de ma toute puissance, qui me fait rentrer dans la société des hommes…
Michel 15-03-08
Université Populaire de Narbonne (UPS)
Site : http://perso.wanadoo.fr/universitepopu.septi
PÔLE PHILO
ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)
Cycle sur le temps (4ième année)
Séance 7 du 26-04-08 9h45-12h15
(13 participants)
Le péché originel 2
Animateur-reformulateur : Michel
Président de séance : Gérard
Introducteurs : Alex
Synthétiseur : Anne-Marie et Alex
1) Introduction de la séance par Alex
« Manger la connaissance »
Je vous propose d’aborder le péché originel par le filtre du temps, puisque c’est le fil conducteur de notre atelier philosophique.
Selon la tradition rabbinique, les histoires dans la Torah ne se déroulent pas nécessairement dans l’ordre chronologique, mais parfois par ordre de concept (« le futur expliquant le passé », par exemple). Cette vue est résumée par la maxime talmudique (traité Pessa’him 7a) : « Ein moukdam ou’meou’har baTorah »» « [Il n'y a] pas de « [plus] tôt » et « [plus] tard » dans [la] Torah »
Au niveau grammatical, l’hébreu biblique ancien se conjugue en inaccompli et accompli. Il est difficile de traduire cela en passé, présent, futur. Ainsi, j’aime et j’aimerai sont de l’inaccompli. J’ai aimé est accompli, c’est fini. Nous sommes sur deux plans différents pour appréhender le rapport au temps et cela pèse dans la traduction et dans la signification.
Ne revenons pas sur les deux récits de la création du monde de Genèse 1 et 2 et sur les questions que cela soulève dans notre conception du temps.
Le 3ème chapitre de la Genèse raconte un évènement, titré « La chute » pour la plupart des traductions chrétiennes. L’évènement est ce qui fait rupture, c’est quelque chose qui n’est pas prévu, qui change le cours des choses, qui fait qu’il y a un avant et un après. C’est un accompli, c’est un acte.
Mais lire le 3ème chapitre seul ne se suffit pas pour examiner cet acte, il faut d’abord lire le 2ème chapitre.
Ainsi la Isha (femme) (Gn 2.21-25) n’était pas encore créée lorsque la loi a été donnée à Ish (homme) (Gn 2.16-17). Elle n’a donc pu avoir connaissance de l’interdit que par la transmission de la parole du glébeux (l’homme).
Gn 2.16 précise que l’homme doit dire, il doit transmettre l’interdit. Il y a un ordre de transmission. Dans presque toutes les bibles chrétiennes, cette précision a disparu. C’est lourd de conséquence car cela oblitère l’importance de la transmission. Or toute la religion juive repose sur la transmission. A la Pâques juive, c’est le plus jeune de la maison qui demande pourquoi l’on fête Pessah. Si l’on prononce Pessah, la Pâques, « Pe–ssah » cela signifie : la bouche qui parle. La transmission est un commandement divin. La tradition orale est indissociable de la tradition écrite. « Haggada » signifie « récit de ce qui est dit ».
« 16. IHVH-Adonaï Elohîms ordonne au glébeux pour dire : « De tout arbre du jardin, tu mangeras, tu mangeras,
17. mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, oui, du jour où tu en mangeras, tu mourras, tu mourras. » (traduction Chouraqui).
L’on remarque ensuite que Dieu est en retrait, absent. Le Dieu d’Israël, dans ces chapitres 2 et 3, est un Dieu qui n’est pas omnipotent, omniprésent, omniscient, ce n’est pas le dieu panthéiste de Spinoza par exemple. En tout cas, ce retrait permet la liberté et par conséquent la responsabilité de l’humain.
Cela nous pose des questions sur l’origine du mal. A aucun moment, le mal n’est créé. Le mal ne fait pas sens, il est altération, voire perte du sens ou plutôt il est non sens. La parole du serpent reprend la parole de Dieu et la pervertit, l’altère, la détourne de son sens.
S’il y a évènement, il y a surprise, le mal n’était pas prévu, il fait irruption. Il y avait donc de la place pour lui, un vide, un manque, comme si la création n’était pas terminée, achevée. Ainsi le monde est créé ni achevé, ni parfait. Revenons à l’évènement qui nous occupe, s’il y a accompli, acte, c’est un acte qui ne réalise pas ce qui est prescrit, ce qui est ordonné, c’est un acte manqué. Même si ce sont les chrétiens qui stigmatisent ce concept de chute, de péché originel, car à aucun moment, le texte ne parle de faute ou de péché. Le mot hébreu « Hrèt » (חטא) qui se traduit généralement par pécher veut dire manquer, rater sa cible (Juges 20.16).
Dans le 2nd récit de la création, à Gn 2, la 1ère parole de Dieu à l’homme est pour donner la Loi. Mais cette loi ne commence pas par un interdit, c’est une bénédiction. « De tout arbre du Jardin, manger, tu mangeras. » Cet impératif est formulé comme une promesse.
Le verbe fait sens. La Loi, la 1ère loi, la loi première, primordiale, ordonne et promet la consommation, c’est une loi positive, un loi de vie, mais une loi conditionnée. La restriction qui suit, porte sur la limite ou la nature de la consommation. La loi est justement ce qui fait séparation, limite, barrière, inter-dit. C’est ce qui sépare le bon du mauvais, qui fait la part des choses, qui discerne, qui juge.
Je vous invite à porter un autre regard sur cet acte manqué, le regard des talmudistes modernes comme le Grand Rabbin Bernheim. Une lecture possible parmi d’innombrables autres.
Manger est naturel mais à une condition près, de l’arbre de la bonne ou mauvaise connaissance ( ידע), on ne mange pas. On ne confond pas manger et connaître.
La 1ère loi pose l’indispensable de la vie, manger est vital. Chercher à l’extérieur de soi-même ce qui permet à soi d’être. Etre vivant, c’est être dans le manque. Il faut se remplir l’estomac, les poumons, etc.
Ainsi manger : qu’est ce que c’est ? Ramener à soi pour satisfaire un besoin vital. Assouvir sa faim, subsister. Combler un manque. Consommer, c’est ramener l’autre que soi à soi, le faire soi-même, le réduire à sa volonté, le posséder, le maîtriser. C’est digérer quelque chose qui va disparaître en soi, qui est réduit à notre besoin, jusqu’à ce que l’on fasse ses besoins.
Connaître, est à l’opposé de manger. Lorsque l’on connaît quelqu’un, plus on le connaît, plus on a à découvrir de l’autre. C’est le contraire de l’appropriation, c’est le contraire de réduire l’autre à ses besoins.
Dans l’acte de manger, il y a un devoir de connaître certes. Mais manger la connaissance, c’est anéantir l’être, c’est ouvrir le manque à être. Ainsi la connaissance devient mauvaise si on la mange, et elle est bonne si on ne la mange pas.
Le verbe connaître est le premier verbe qui est utilisé au chapitre suivant. (Gn 4.1) Adam connaît ( ידע) Eve. Cette connaissance amène un enfantement. Ainsi pour connaître, la Bible comprend aimer.
Connaître n’est donc pas consommer. L’amour ne se consomme pas, sinon c’est de la prostitution.
Aimer, c’est connaître. Connaître, c’est naître avec, c’est être avec, c’est le contraire de l’appropriation, c’est la re-connaissance de l’autre. Lorsque je suis fâché avec quelqu’un, je ne le connais plus. La tradition talmudique nous enseigne que manger la connaissance conduit à la mort, les conséquences sont racontées avec le chapitre suivant celui du meurtre d’Abel.
Ne pas manger la connaissance, n’est-ce pas ce que nous tentons de faire par exemple dans nos banquets philosophiques, nos agapes ? Nous mangeons, plus pour nous connaître, que pour remplir notre estomac.
La cène n’est-elle pas une illustration bien singulière de la réponse donnée à la consommation du fruit par la consommation du corps et du sang ?
Ne pas confondre manger et connaître, c’est peut-être ne pas réduire l’Homme à la soumission au désir et à l’impératif de la subsistance, c’est-à-dire ne pas le réduire à la condition de bête, ne pas le réduire à « vivre et à penser comme des porcs » selon l’expression de Gilles Châtelet.
Je rejoins Bernard Steigler lorsqu’il nous dit qu’exister, c’est autre chose que subsister. Subsister, c’est reconstituer ses forces physiques, c’est se réduire à ne regarder que son assiette. Exister relève du symbolique, c’est transmettre quelque chose de singulier de son être. Exister, c’est mettre en œuvre des savoirs vivre singuliers qui font que chacun est un exemplaire échantillon unique et irremplaçable qui transmet à l’autre. Ainsi l’on ne peut exister sans connaître.
Cela Abraham Maslow ne l’a semble-t-il pas compris, car il n’y a pas chez l’homo sapiens sapiens de hiérarchie entre les besoins de subsistance et ceux d’existence, sauf pour le marketing qui découpe l’homme comme un porc, pour segmenter et cibler son action selon qu’il s’adresse au museau ou au rognon.
En cela, ce texte de la Genèse est bien actuel, il parle d’ici et maintenant. Quelques millénaires après l’écriture de ce texte, ne sommes-nous pas encore hypnotisés par le serpent au pied de l’arbre, comme nous sommes confrontés à cette société de consommation, qui nous siffle que tous nos désirs peuvent être exhaussés « parce que nous le valons bien », qui nous chante que tout est permis alors que rien n’est possible ?
Mais que répond le serpent à notre manque à être, sinon l’avoir ?
Ne sommes-nous pas dans une société de la « malbouffe », qui a perdu le sens de ce que manger veut dire ? Dans une société qui prétend que la connaissance est possédée par celui « qui veut des millions » ? Est-ce votre dernier mot ? N’avons plus rien à dire ?
Ne sommes-nous pas réduits à subsister lorsque nous nous « légumons » sans parole devant l’instrument moderne de la connaissance, « star académique » qu’est la télévision ? Justement, nous consommons, réduits à l’état de légumes en ayant l’impression de connaître alors que nous sommes consommés.
N’avez-vous jamais vu l’inscription sur les tee-shirts de ceux qui refusent d’être consommés : « Je ne suis pas une marchandise » ?
Consommer par exemple de l’art, n’est-ce pas réduire Picasso à une voiture, une œuvre d’art à un urinoir, fut-il de Duchamp ? Picasso que l’on va envoyer à la casse après usage, urinoir dans lequel l’on peut soulager ses besoins, est-ce notre conception de la création ? Est-ce notre conception de la connaissance ?
Où nous mène cette société, qui confond consommation et connaissance, qui réduit la connaissance à une consommation sans parvenir désespérément à assouvir notre manque à être ?
« En faim », que nous reste-t-il à faire avec tout ça ?
2) Discussion.
Synthèse de la discussion (50’) par Alex et Anne-Marie
· Jean-François marque son attachement à l’interprétation chrétienne et sa position contradictoire avec l’interprétation rabbinique.
· Michel note ce point du problème de la relation entre lectures rabbinique et chrétienne.
· Marcelle relève l’importance du manger et du boire dans la religion juive, aborde le sujet de la transsubstantiation qui lui pose question. Elle y note un passage à l’ordre du réel qui induit un ordre symbolique antécédent.
· Anne-Marie pose que si le manger est vital, le savoir est aussi la vie. Le personnage du Christ fait rupture en instituant le manger pour accéder à la connaissance. L’absence de Dieu entraîne le recours à la Loi. La Loi relève du symbolique. Le symbolique relève de l’absence. La lecture de la psychanalyse trouve là toute sa pertinence. La Loi fait le lien entre passé et présent.
· Lili porte son intérêt sur la transsubstantiation et y voit la limite du dualisme. Le corps et l’esprit sont indissociables.
· Dominique affirme que le symbole permet l’adhésion comme signe de reconnaissance. L’adhésion permet le rituel. L’objet du concept de péché originel est de supporter la souffrance.
· Suzanne assimile la transsubstantiation à de l’anthropophagie.
· Michel revient sur la traduction du péché par le manquer sa cible, il rappelle l’allusion psychanalytique de l’acte manqué.
· Simon précise que le « Hrêt » se traduit par rater sa cible.
· Michel fait le lien avec l’affirmation platonicienne que nul n’est méchant volontairement. Michel parle de ratage au niveau de la connaissance.
· Gérard évoque l’idée aristotélicienne de l’homme, animal moral, il rappelle que le terme de péché n’est écrit nulle part dans la Genèse. Il lit ce mythe comme une justification et un appel à la résignation à souffrir dans ce monde. Il évoque Voltaire.
· Josette, psychanalyste, affirme que le péché originel est un instrument du pouvoir de l’homme sur la femme et que ce concept fait peser une culpabilité colossale sur la femme. Elle y voit un discours qui justifie la malédiction de la souffrance sur terre.
· Jean-François nous dit que la malédiction permet de supporter la souffrance.
· Josette pose la question de savoir comment les autres cultures interprètent ce concept, en particulier en Asie, et lisent la place de la femme.
· Alex appelle ceux qui le désirent à s’affranchir d’une interprétation augustinienne qu’ils réprouvent, et à ne pas réduire ce texte fondateur et universel à une seule interprétation.
· Gérard : « si cela ne parle pas du péché… »
· Simon nous dit que dans la religion, il y a des symboles qui nous rappellent à l’ordre. La sortie d’Égypte correspond à sortir de son esclavage quotidien. Le symbole est un processus de conscientisation. Il nous permet de lutter et de nous méfier du risque d’oublier notre assujettissement.
· Michel note cette position qui insiste sur le caractère structurant de la Loi.
· Dominique lit ce chapitre de la Genèse comme le passage de l’enfance à l’age adulte. Par l’accès à la connaissance, l’enfant quitte l’état de nature pour accéder à la raison et devenir un homme.
· Michel pose le pourquoi de la transgression pour parvenir à ce processus.
· Dominique pense que la transgression implique le choix, donc la liberté, donc la responsabilité.
· Michel nous appelle à distinguer l’interprétation chrétienne et le texte.
· Lili évoque la place de la femme dans la hiérarchie de la réincarnation bouddhiste. Elle assimile la découverte de la nudité au marqueur de la découverte de l’autre et de la connaissance de la différence. Le péché originel est fondateur de l’existence de l’autre et de la séparation du corps et de l’esprit.
· Marcelle rappelle l’universalité de la notion de tabou et évoque la présentation freudienne du meurtre primitif et de l’appropriation de la Loi par l’Humanité. Elle attribue à Paul une vision pessimiste de l’Homme dont il fait un pécheur (« la loi fait briller le désir »). Elle met en exergue la dimension double de la Loi, promesse et interdit, positif et négatif. Elle aborde la question de la femme dans le concept de péché originel et propose l’explication que les femmes sont désirables.
· Anne-Marie note la découverte de la différence par la découverte de la nudité, qu’elle présente comme la découverte de ce que l’on ne possède pas. Le péché est de l’ordre du plus de jouir par la volonté d’intégrer l’autre, vouloir ce que l’on n’a pas.
· Suzanne pose la question du pourquoi Dieu nous a-t-il mis dans une telle situation.
4) Pause : 10’
5) Ecriture
Tour de table : chacun écrit une phrase sur ce que le péché originel nous dit de l’Homme.
6) Lecture
· Michel note que deux tendances très tranchées se dessinent parmi les participants à cet atelier, l’une positive, l’autre négative. Il appelle ceux qui le souhaitent à dire quelques mots sur leur perception de cette discussion.
· Gérard a un regard très négatif sur le concept de péché originel.
· Lili fait la part entre la perception négative de ce qu’on lui a inculqué dans son éducation et sa perception positive actuelle.
· Simon revient sur le caractère délibéré de la notion juive de péché. Rater sa cible est un raté délibéré.
· Michel pose que chacun n’a pas une lecture fermée de ce texte et accepte d’y lire un mythe. Le mythe permet l’interprétation. Ses rencontres avec des théologiens lui ont permis de prendre en compte que l’église conçoit les Ecritures comme un texte écrit par des hommes sous l’inspiration divine, non un texte divin. Un texte inspiré qui permet l’interprétation humaine. De même, le dogme est l’aboutissement d’une discussion théologique, et une fois prononcé, la discussion recommence pour l’interprêter.
· Suzanne note que la mise en scène de la culpabilité de la femme n’est pas innocente.
7) Régulation et planification des prochaines séances (15’)
Prochain rendez-vous : samedi 3 mai 2008, 9h45 à 12h15.
Thème : éternité et immortalité
ANNEXE
TEXTES DES PARTICIPANTS
- L’interdit permet, par la possibilité de sa transgression, l’exercice d’une liberté responsable de son désir, vis-à-vis de l’autre radicalement différent (Michel).
- Sans le péché il n’y aurait eu : ni la conscience de la différence de l’autre ; ni la conscience de la mort qui met en position d’égalité avec l’autre, fondant une morale du respect mutuel ; ni la nécessité d’une organisation sociale(Lili).
- Il nous faut considérer le « péché originel », mythe fondateur de notre société occidentale, comme une métaphore du passage de l’enfance à l’âge adulte, l’âge d’homme, l’âge de raison. Le livre de la Genèse n’est pas intrinsèquement le texte « sulfureux » qui nous oppresse encore. L’interprétation qui en a été faite par les théologiens et la hiérarchie religieuse l’a été dans un but « politique ». La genèse n’en reste pas moins le symbole de l’accession au libre-arbitre, de la possibilité de la transgression, de la possibilité de la loi (Dominique).
- Le mythe du péché originel renvoie à la question du désir, il permet de s’y confronter, mais aussi d’en poser la limite indispensable. Mais pourquoi est-il fondé sur cette inégalité qui enferme la femme dans la faute fondamentale ?
- L’homme, en inventant le péché originel, crée la notion de responsabilité, donc deliberté, ou plutôt de libération. Contrairement aux apparences, c’est le refus du déterminisme.
- Le mythe du péché originel est à l’origine de l’inégalité des hommes. Homme différent de la femme, fragilité des uns et des autres, pouvoir des uns et des autres. La transgression implique le désir d’être, de rester soi-même, d’être libre.
Université Populaire de Narbonne (UPS)
Site : http://perso.wanadoo.fr/universitepopu.septi
PÔLE PHILO
ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)
Cycle sur le temps (4ième année)
Séance 8 du 3-05-08 9h45-12h15
(19 participants)
L’immortalité et l’éternité
Animateur-reformulateur : Michel
Président de séance : Marcelle
Synthétiseur : Jean-François
1) Introduction de la séance
Nous commencons par un texte philosophique d’André COMTE-SPONVILLE, tiré de L’Esprit de l’Athéisme – Introduction à une spiritualité sans Dieu, chez A. Michel :
« La mort ne me prendra que l’avenir et le passé, qui ne sont pas. Le présent et l’éternité (le présent, donc l’éternité) sont pour elle hors d’atteinte. Elle ne me prendra que moi-même. C’est pourquoi elle me prendra tout et ne me prendra rien.
Toute vérité est éternelle, montre Spinoza. La mort ne m’ôtera que mes illusions.
Présentation de la philosophie – Chapitre 10 « Le temps » (extrait)
…Exister, c’est résister ; penser, c’est créer; vivre c’est agir.
Tout cela ne se peut qu’au présent – puisqu’il n’y a rien d’autre -, à quoi rien ne succède qu’un autre présent. Qui pourrait vivre dans le passé ou dans l’avenir ? Il faudrait n’être plus, ou n’être pas encore. Vivre au présent, comme disaient les stoïciens, comme disent tous les sages, ce n’est pas un rêve, ce n’est pas un idéal, ce n’est pas une utopie : c’est la très simple et très difficile vérité de vivre. L’éternité ?
Si elle est « un perpétuel aujourd’hui », comme le voulait saint Augustin, il est vain de l’attendre pour demain. Si elle est « un éternel présent », comme il disait encore, elle est le présent même : ce n’est pas le contraire du temps mais sa vérité, qui est d’être toujours présent, en effet, toujours actuel, toujours en acte. « Nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels », lit-on dans l’ETHIQUE de Spinoza. Cela ne veut pas dire que nous ne mourrons pas, ni que nous ne sommes pas dans le temps. Cela veut dire que la mort ne nous prendra rien (puisqu’elle nous prendra que l’avenir, qui n’est pas), que le temps ne nous prend rien (puisque le présent est tout), enfin qu’il est absurde d’espérer l’éternité – puisque nous y sommes déjà. « Si l’on entend par éternité, disait de son côté Wittgenstein, non une durée infinie mais l’intemporalité, alors il a la vie éternelle celui qui vit dans le présent » Nous l’avons donc tous, toujours : nous sommes déjà sauvés. Parce que nous sommes intemporels ? Ce n’est pas le mot que j’utiliserais. Mais parce que l’éternité n’est rien d’autre, dans sa vérité, que le toujours-présent du réel et du vrai. Qui a jamais vécu un seul HIER ? Un seul DEMAIN ? Nous ne vivons que des AUJOURD’HUI, c’est ce qu’un appelle vivre.
……. Le présent est le seul lieu de l’action, le seul lieu de la pensée, le seul lieu, même, de la mémoire et de l’attente. C’est le KAIROS du monde (l’instant propice, le moment opportun : celui de l’action), ou le monde comme KAIROS – le réel en acte.
Ce n’est pas parce que l’être est dans le temps qu’il dure; c’est parce qu’il dure qu’il y a le temps.
Vivre au présent ? C’est simplement vivre en vérité. Nous sommes déjà dans le Royaume : l’éternité, c’est maintenant ».
2) Discussion.
Synthèse de la discussion par Jean-François
a) D’abord bien comprendre le texte d‘ A. COMTE-SPONVILLE .
Le philosophe nous dit qu’il n’existe pas de passé, pas de futur, et qu’on est toujours dans le présent. Mais alors peut-on nier la mémoire qui nourrit le présent et que faire de l’inconscient? La mémoire, c’est le passé au présent. Le projet, c’est le futur au présent. Nous vivons uniquement au présent.
(Remarques des participants : celui qui est ne devient pas, donc n’est pas dans le temps. Au présent, il n‘est pas possible de ne pas garder la mémoire du passé, ni de vivre sans projet d’avenir. Le présent et le passé sont intimement liés. L‘inconscient est constitutif de l‘histoire personnelle, et demeure dans le temps).
Pour A. C-S., « Ici et maintenant » est l’éternité, quelque chose qui s’ouvre pour laisser place au moment propice, à l’occasion à saisir, opportunité favorable de l‘instant présent, «kairos », vision optimiste de l’éternité : même pour les athées donc, l’éternité existe.
L’éternité, c’est une succession de présents. L’éternité, c’est l’instant, le présent qui dure.
Au niveau du vécu de chacun, cela prend du sens. Au niveau du concept, c’est un raisonnement de type logique.
Pour Saint-Augustin, le temps n’existe pas : le passé est passé, le futur est futur, l’instant aussitôt né aussitôt mort. Le temps, je crois savoir ce que c’est parce que je le vis, mais si on me le demande, je ne le sais plus : impossible de le conceptualiser dit-il.
A. COMTE-SPONVILLE a un point de vue différent : plus de passé, pas encore de futur, mais en attendant il existe le présent (C.-S. parle de présent, et non d’instant) : « La mort ne nous prendra que l’avenir et le passé qui ne sont pas. Le présent et l’éternité (le présent donc l’éternité) sont pour elle hors d’atteinte ». Il n’existe qu’un présent éternel. Nous ne vivons que des « aujourd’hui ».
b) Est-que notre conception de l’éternité rejoint celle de A. COMTE-SPONVILLE ? Y a-t-il d’autres conceptions de l’éternité ? Qu’elle est notre position ?
L’éternité, dont il est question chez C.-S., moment présent d’un point de vue athée, exclut-elle une autre éternité qui a une connotation religieuse ?
L’éternité existe-elle ?
L’éternité n’existe que pour les êtres conscients. Par différence avec ceux qui ne le sont pas, qui se considèrent comme immortels parce qu’ils ne savent pas qu’ils vont mourir. Il ne peut y avoir immortalité que pour quelqu’un qui ne se représente pas la mort : celui qui est conscient ne peut faire l’impasse sur la certitude de sa mort. L’immortalité n’a de sens dans ce cas qu’après la mort…
Une difficulté provient du langage, qui est dans le temps : je ne peux dire par exemple : « Je suis mort ». Puis-je dire : « je suis éternel », puisque pour un athée un jour je ne parlerai plus ? La thèse de A. COMTE-SPONVILLE (je suis éternel) n’est valable que si nous n’avons pas de langage, et tant que je suis vivant, ce qui est contraire à l’idée d’éternité. C’est une théorie inhumaine. C’est par l’instant de la parole, le moment intensément ressenti qu’on est éternel. Instant, parole, éternité, trois concepts de notre réflexion.
Il est absurde d’espérer l’éternité, si elle n’existe pas.
Finalement A. COMTE-SPONVILLE introduit dans l’athéisme une représentation religieuse, celle de l’éternité, il se dit athée, mais fidèle à l‘héritage humaniste chrétien. Faut-il lui opposer M. ONFRAY, qui nie toute perspective religieuse et réfute le concept de religion? Le raisonnement d’A. COMTE-SPONVILLE semble dans une impasse : il ne pourrait pas tenir le même discours s’il n’avait pas un bagage philosophique, s’il n’était pas un être humain avec son histoire. Il choque plus les athées que les croyants.
L’éternité existe-elle en dehors de nous ? L’éternité, c’est l’Être.
L’éternité, c’est quelque chose qui n’a pas commencé et dure toujours, ne finira jamais (contrairement à l’immortalité qui a commencé mais ne finit pas). L’être est, il ne devient pas, il est éternel.
L’âme est-elle immortelle ? L’immortalité ne commence-t-elle qu’après la mort ?
Mon corps n’est qu’au présent, et ne peut qu’être mortel. L’action est toujours au présent. Mais si l’esprit et le corps ne font qu’un, peut-on parler de la même façon ?
Comment ressentir l’éternité lorsque je suis souffrant ?
L’éternité pour chaque être, si elle est au présent, ne dure-t-elle que jusqu’au jour de sa mort ? Je suis dans l’éternité et cela cessera. Si je suis une partie d’un grand tout, ce grand tout continuera pourtant sans moi .L’éternité a quelque chose d’insaisissable. Un mythe, impensable, improbable comme le temps.
Quel est le rapport entre Dieu et l’éternité? Que dit-on quand on dit : on ne peut penser Dieu qu’éternel ? Pour C.-S., l’homme l’est…
St-Augustin promet l’éternité à l’homme alors que l’homme à un début : ce serait plutôt l’immortalité… Le temps qui passe, fuit (« fugit »), ne nie pas la mémoire. Le souvenir n’est pas seulement l’instant de maintenant.
Difficulté à définir les mots : l’immortalité à un début (ma naissance ou ma mort ?) mais pas une fin (Etat de ce qui n’est pas sujet à la mort). Ou l’immortalité ne prend de sens que pour un être mortel et qui le sait.
L’éternité n’a ni début ni fin (durée sans commencement ni fin) : est-elle alors une durée, ou l’absence de temps ? Peut-on penser un temps sans commencement ni fin ?).
Après toutes ces interrogations, quelques critiques adressées à A.COMTE-SPONVILLE :
- si « la mort ne nous enlève rien », elle nous enlève, au moins, le présent.
- liée à l’instant présent, l’éternité est présentée comme un « kairos », instant propice : mais qu’en est-il de l’instant tragique ?
- la mémoire serait au présent. Mais notre corps et notre inconscient ont mémorisé le vécu d’hier ; le poids du passé pèse sur le présent.
- pourquoi est-il nécessaire de réintroduire l’idée d’éternité et l’histoire du salut, pour défendre une position athée ?
c) Quelques idées développées :
- L’éternité comme sentiment d’une partie de faire partie d’un tout (le cosmos, la nature, Dieu…).
- Il faut une valeur intense de l’instant présent pour qu’il ait la couleur de l’éternité (impression de suspension du temps). L’éternité est-elle la suspension du temps ?
- C.-S. parle d’éternité et non d’immortalité. L’éternité pourrait avoir une connotation athée (conçue comme le présent), alors que l’immortalité ne peut avoir qu’une connotation chrétienne.
- L’éternité représente une plénitude, à opposer au manque, plus radicalement au néant.
- Par une chaîne d’amour ininterrompue, faire du présent des instants d’éternité…
- L’éternité est un vide sidéral (sidérant ?).
- C’est un moment de bonheur qu’un instant d’éternité, car il éloigne des souffrances passées et de l’inquiétude du futur.
- L’éternité est une pensée religieuse inventée par les hommes pour les opprimer. Mais alors pourquoi un athée peut-il avoir besoin de cette notion ?
Pause : 10’
3) Ecriture : « En une phrase, où en êtes-vous sur la notion d’éternité ? ».
4) Lecture avec joker.
5) Régulation et planification des prochaines séances (15’)
Intérêt d’un texte philosophique pour démarrer la réflexion.
Prochaine séance le Samedi 7 juin, 9h45-12h15 : « Anticiper, planifier, programmer ».
ANNEXE
TEXTES DES PARTICIPANTS
- L’humanité étant bavarde, ivre de son génie, maîtresse de la nature, ne se conçoit qu’immortelle.
- Eternité, pointe absolue du désir d’un être (naître) fiché dans le temps.
- Chaque instant a valeur d’éternité lorsque les actions sont inspirées par les pensées les plus nobles.
- Eternité, formule chimique de l’ineffaçable inconnu.
- Pour réactualiser le présent, il faut de l’éternité.
- Pas plus que le temps, l’éternité ne peut être une vérité éternelle.
- On peut partir de quelque chose qui nous dépasse : qui a la vérité ?
- Tant que la vie est en nous, nous faisons partie de l’éternité : le coureur est dans l’éternité jusqu’à ce qu’il passe le relais.
- L’éternité est à opposer au néant.
- L’éternité, un concept réservé aux religions qui ne me concerne pas.
- L’éternité je m’en fous, elle n’est pas pour moi !
- La conscience d’éternité est imparable.
- Nihil.
- L’éternité, c’est l’éblouissement d’un moment exceptionnel.
- L’éternité est aussi inconcevable que les milliards d’années-lumière, mais je la pense comme
je crois à ces étoiles.
- Le passé est mort, le futur est inconnu. Seul le présent est réel donc vivant. Pour penser au passé ou à l’avenir il faut en faire du présent. A nous de faire du présent un instant d’éternité (Michèle).
- L’éternité, je ne veux y penser, ni pour moi, ni pour ceux que j’aime et qui sont morts : ils sont avec moi dans le présent. L’éternité c’est une chaîne d’amour ininterrompue (tout au moins je l’espère) (Josette).
- Un moment de bonheur intense est déjà un instant d’éternité qui permet de s’éloigner des souffrances du passé et de l’incertitude du futur (Muriel).
- Le concept d’éternité est non seulement impensable mais inimaginable, car basé sur le religieux. Lui-même fruit de la pensée d’hommes pour endoctriner d’autres hommes afin de les exploiter durant leur vivant (Danièle).
- Mon corps est énergie ; or l’énergie ne se perd pas dans l’univers (Andrée).
- Pour moi, l’éternité est surtout un concept religieux. C’est une notion inconcevable, inenvisageable, que j’évite de regarder. Ou d’un point de vue matérialiste, celui qui pense l’éternité est un grain de poussière dans l’immensité indescriptible. L’éternité, qui donne peut-être une idée d’énergie, de plénitude, devrait-elle être opposée au néant, au vide sidéral ? (Josiane)
- Chaque instant à valeur d’éternité lorsque mes actions sont inspirées par le plus petit geste d’amour (Jean-François).
Et encore, de Marguerite Yourcenar, dans Le temps ce grand sculpteur (folio essais) :
« Sur quelques lignes de Bède le Vénérable (extrait) ».
« La vie des hommes sur la terre, ô roi, comparée aux vastes espaces de temps dont nous ne savons rien, me paraît ressembler au vol d’un passereau entrant par une embrasure de la grande salle qu’un bon feu, allumé au centre, réchauffe, et où tu prends tes repas avec tes conseillers et tes liges, tandis qu’au-dehors les pluies et les neiges de l’hiver font rage. Et l’oiseau traverse rapidement la grande salle et sort du côté opposé, et, après ce bref répit, venu de l’hiver, il rentre dans l’hiver et se perd à tes yeux. Ainsi de l’éphémère vie des hommes, dont nous ne savons ni ce qui la précède, ni ce qui la suivra…
… La vie, telle que nous la vivons, n’est pas un moment de répit.
Mais l’image de l’oiseau venu d’on ne sait où et reparti on ne sait où reste un bon symbole de l’inexplicable et court passage de l’homme sur la terre. On pourrait aller plus loin et faire de la salle assiégée par la neige et le vent, illuminée, pour un temps, au sein de la triste grisaille de l’hiver, un autre et également poignant symbole. Celui du cerveau, chambre éclairée, feu central, temporairement placé pour chacun de nous au milieu des choses, et sans quoi l’oiseau ni la tempête ne seraient ni imaginés ni perçus ».
PÔLE PHILO
ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)
Cycle sur le temps (4ième année)
Séance 9 du 07-06-08 9h45-12h15
(19 participants)
Le rapport de l’homme au futur : anticiper, planifier, programmer
Animateur-reformulateur : Michel
Président de séance : Anne-Marie
Synthétiseur : Alex
2) Introduction de la séance : Michel
Le rapport au futur :
Anticiper, planifier, programmer
L’homme en tant qu’existence (ex-sistance, se tenir hors de soi) est pro-jet : il se jette sans cesse en avant de lui-même, entretenant un rapport structurel au futur. C’est du moins la définition sartrienne de la liberté. On ne peut alors vivre totalement au présent, même si c’est parfois proposé comme une sagesse par des philosophes contemporains (cf le présentéisme hédoniste de M. Onfray)…
Est-ce en effet possible de s’en tenir au présent quand on est un homme : l’homme est fondamentalement un être de désir, et désirer est toujours une projection dans l’avenir, un possible rêvé. Est-ce même souhaitable ? Un homme sans désir (l’ataraxie calme du stoïcien) peut apparaître comme sage, à moins qu’il ne vive comme s’il était mort…
- Anticiper, c’est tenter de prévoir l’avenir, ou tout au moins s’y préparer, ne pas être pris de court. Avec quelques avantages : prévoir pour agir, et s’adapter au mieux. Un homme qui n’anticipe guère risque d’avoir de sérieux problèmes, de se trouver dans des situations qu’il ne peut convenablement gérer. Anticiper c’est réfléchir à l’avenir, s’en distancier avant qu’il ne nous rattrape. L’avenir est largement inconnu, puisque ce n’est qu’un possible qui doit s’actualiser. Le réel n’est la réalisation que de l’un des millions de possibles, même lorsqu’il est probable. L’homme peut certes désirer cet inconnu qui l’attire, et l’accueillir comme un don, dans un lâcher prise. Mais lorsque cet inconnu est problématique, on peut parfois regretter son peu d’anticipation pour réagir. L’homme a besoin en effet de sécurité. Anticiper, c’est apprivoiser l’avenir, s’en faire une représentation. La science, en dégageant les lois de la nature, ses invariants, nous permet d’agir (l’avion décolle malgré la pesanteur parce que l’homme fait de la physique des forces).
Si l’avenir est souvent désiré, il peut rester un rêve peu crédible, dans lequel on se réfugie au présent. Mais si on veut que le désir se réalise, il faut y mettre les moyens : cela s’appelle la volonté, la ténacité, voire le courage. Planification et programmation peuvent être alors d’utiles outils.
Mais l’avenir peut aussi, et souvent, être craint. Et cette peur peut être paralysante. Mieux vaudrait alors moins anticiper, pour éviter l’inhibition…
Anticiper enfin diminue l’effet de surprise, l’imprévu, pour le meilleur (être prévoyant, prendre la mesure du danger possible et s’organiser en conséquence, faire de la prévention plutôt que du soin), mais aussi le moins bon (ne pas ou plus être disponible à l’ami qui débarque, rater le kairos, l’opportunité non prévue qui se présente).
- Planifier, au niveau individuel ou collectif, c’est se donner des objectifs et des moyens pour les atteindre ; c’est prévoir un calendrier, avec des moments précis et des étapes définies. La programmation, elle, rentre plus dans le détail : la tactique et pas seulement la stratégie, les coûts etc. C’est espérer faire rentrer l’avenir d’un projet sur papier ou dans la tête dans du réel prévisible, car organisé ad hoc. C’est une réduction de l’imprévu, de l’aléa. On peut faire même plusieurs scenarii, en jouant sur plusieurs variables, qui dépendent ou non de nous.
Bien sur la carte n’est pas le territoire, le plan la maison réelle, la stratégie n’est pas forcément efficace. Le réel est ce gêneur de la planification, cet objecteur du prévu. Mais au moins sait-on où l’on veut aller, a-t-on des repères, des finalités, des objectifs, dont on a besoin pour agir, et dont le réel terminal nous aidera à tirer leçon pour encore mieux planifier, en intégrant les éléments négligés, les nouvelles variables situationnelles apparues.
Bien des réalisations, même à court terme, gagnent à être anticipées et planifiées, en prenant la mesure des contraintes et des ressources. En tout cas pour ce qui est scientifique (la science joue sur la rationalité des causalités, des probabilités : on prévoit à coup sur une éclipse des années avant) ; technique (l’adéquation des moyens employés aux buts poursuivis est gage d’efficacité), économique (l’évaluation des coûts est un indice de rentabilité).
Mais dira-t-on la même chose pour l’art, où l’œuvre se cherche, prend occasion des bifurcations, s’inspire, et surprend jusqu’au créateur ? Et si l’on peut planifier aujourd’hui des rencontres sur internet, l’amour sera-t-il au rendez-vous : il ne se programme guère !
Pourtant toute promesse, tout engagement, toute fidélité anticipe sur l’avenir. Et heureusement pour la vertu…
Grandeur et limites de l’anticipation et de la planification…
2) Synthèse de la discussion par Alex
· Jean-François nous dit que le verbe « anticiper » le gène. Il fait la différence entre un évènement qui appelle notre action et un qui ne dépend pas de nous : il cite l’éclipse. Il fait le distinguo entre anticiper et prévoir.
· Jean Francis propose des citations :
o « Gouverner, c’est prévoir » (Emile de Girardin, journaliste et homme politique 1806-1881, auteur de « On peut tout faire avec des baïonnettes sauf s’asseoir dessus » [Pierre MENDÈS-France a dit : « gouverner, c’est choisir ».])
o « Mais ce jour et cette heure, nul ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, personne sinon le Père et lui seul. » Mt 24.36/ Mc 13.32 (référence à l’avènement du Règne de Dieu)
Pour employer la terminologie militante et/ou militaire, il fait la distinction entre planification et programmation, en plaçant leurs différences sur le même plan que la distinction entre stratégie et tactique. De même, les mots ne portent pas toujours la même signification selon qui les emploient. Par exemple, la planification démocratique de la CFDT des années 1970, avec sa dialectique entre le haut et le bas, n’a rien à voir avec la planification soviétique verticale et descendante de la même époque.
Jean Francis nous dit que si nul ne connaît ni le jour, ni l’heure, pour lui mieux vaut ne pas savoir, car pour lui cela ne sert à rien, sinon à subir le carcan de l’emploi du temps et cela enlève le sel de la vie.
· Marcelle propose deux anecdotes à notre réflexion. Lors d’un colloque de périnatalité, un obstétricien expliquait l’évolution de son métier qui consistait avant à accueillir la vie, puis est devenu celui de détecter les risques d’accidents et tares. Cette détection des risques pourtant ne lève aucune certitude, mais apporte des risques supplémentaires liés à la dangerosité des examens de détection. N’oublie-t-on pas que l’important, c’est ce que le sujet singulier a à y retrouver ?
Lors d’un autre colloque, un psychanalyste disait : « Il ne faut pas mettre la mort sans son je/jeu. » Il faut faire comme si on sera (là) demain. Le projet, ce n’est pas seulement une position par rapport à l’avenir, mais aussi par rapport au présent et au passé dont il tient compte.
· Josette : le fondement lié à l’angoisse de la mort nous pousse à maîtriser les contingences, la nature, notre condition mortelle. Elle oppose une position scientiste qui veut tout maîtriser et une position plus humaine qui fait avec ce que l’on ne peut maîtriser. On prévoit les tsunamis, les famines (René DUMONT dès les années 60) mais que fait-on de tout ça ? On ne fait rien, plus on a des outils sophistiqués, moins on maîtrise.
Elle fait part de sa prise de conscience que, dans la cure psychanalytique, l’on demande des choix pour maîtriser son avenir. L’on demande aussi aux jeunes de définir de plus en plus tôt leur projet professionnel. Elle estime qu’il y a un juste milieu à trouver, une voie, un chemin à tracer entre maîtrise et accueil.
· Michel souligne la voie étroite entre fatalisme et volontarisme.
· Muriel aborde le paradoxe entre les moyens et les résultats. Alors que l’on a la connaissance et les moyens de prévenir, pourquoi ne le fait-on pas ? La sagesse serait d’anticiper et d’agir.
· Simon, pour illustrer comment l’Homme aborde l’avenir, cite l’exemple des entraîneurs sportifs qui planifient, prévoient l’imprévu défavorable et enfin organisent la réaction à l’évènement. De même, pour un voyage, l’on planifie son voyage, les étapes, etc., puis l’on envisage les changements éventuels, et sur le moment on est vigilant pour réagir (scénarii).
· Gérard relève l’arrogance de l’Homme qui a la prétention de maîtriser la nature, c’est là que le bât blesse, la nature se venge. Alors imaginer un monde idéal sans la nature, certains philosophes s’y sont essayés. Les planifications sont abandonnées de nos jours. Le libéralisme par essence, refuse de planifier. Gérard voit là l’inconséquence de l’homme, en citant l’exemple des biocarburants. L’inconséquence nous conduit à la mort. Il faut nous débarrasser des idoles, capitalisme, communisme. Un philosophe américain affirme qu’une chose est bonne quand elle réussit. Mais comment le savoir à l’avance ? Au moins vivons avec le réel. « Un homme rencontre Dieu et lui demande si pour lui un million d’années vaut une seconde. Oui répond Dieu. Il lui demande si pareillement un million d’euros vaut pour lui un cent. Oui répond à nouveau Dieu. Alors donnez-moi un cent. Oui mais attendez une seconde ».
· Alex souhaite introduire le concept de liberté. Dans le rapport à l’avenir, entre les éléments que nous pouvons maîtriser et ceux qui nous échappent, interviennent l’espérance et la volonté. L’homme a besoin de répondre à son besoin de sécurité et à son angoisse existentielle avec l’espérance et la volonté. L’espérance sur ce que l’on ne maîtrise pas et la volonté sur ce que l’on a l’ambition de maîtriser. La connaissance ne sert à rien sans l’action, car vivre, c’est agir. Les interventions précédentes évoquent en lui le mythe prométhéen. Epiméthée, le titan, dont le nom signifie « qui réfléchit après coup » et qui distribue aux vivants les qualités (les plumes aux oiseaux, la fourrure aux mammifères, etc.) et oublie l’Homme. Ce qui contraint son frère, Prométhée (le prévoyant) de voler le feu à Héphaïstos et la tekné à Athéna. L’homme libre est comme Ulysse, ce héros prométhéen qui, pour ne pas tomber de Charybde en Scylla et se perdre, se fait attacher au mât de son navire et peut ainsi connaître le chant des sirènes sans succomber. L’homme libre, ne serait-il pas non celui qui n’a pas de lien mais n’entend pas et choisit de ne pas connaître, mais plutôt celui qui choisit la connaissance malgré, ou peut être grâce, en tout cas avec les liens qui l’entravent. Etre libre, ce serait choisir lorsque l’on peut et en tout cas affronter son avenir.
· Lili aborde le sujet de l’amour qui est la seule chose que la planification ne peut programmer.
· Gérard évoque un lupanar à Ephèse qui est annoncé par un pied gauche, une silhouette de femme et un cœur percé.
· Anne-Marie dit qu’à Ephèse, sur une porte est écrit : « ici la mort n’entre jamais »
· Philippe : le projet, c’est supposer que quelque chose va se réaliser. C’est une loterie, le hasard a une part importante dans tout ça. L’avenir n’existe pas. Le présent, c’est le projet en action. Toute l’existence est une suite de causes et d’effets. Quand on fait un projet, on suppose que ce que l’on réalise aujourd’hui aura des conséquences demain. C’est utiliser cette loi universelle des causes et des effets. Pour qu’une chose puisse se réaliser, il faut une part de hasard. On ne projette que le bon. Par la science, l’on s’approche d’un nouveau but, mais on s’éloigne d’un autre. Dans un projet, interviennent la loi du temps et la loi des causes et des effets.
· Michel note cette rencontre dans le projet de la volonté et du hasard.
· Jean Francis affirme que l’homme est animé par le goût du risque et le besoin de sécurité, il use du risque mesuré.
· Michel reprend que celui qui affronte le risque peut le faire de manière plus ou moins raisonnable tel l’alpiniste. Dans l’anticipation, il y a ainsi la rencontre de la raison et du risque.
· Maria Elena revient sur la liberté qui lui semble importante, mais aussi le courage et la force de faire.
· Michel conclut en notant que si la liberté devient courageuse, elle met bien des chances de son coté.
Pause : 10’
3) Ecriture : Michel propose d’écrire un aphorisme par une phrase courte sur le rapport de l’homme avec l’avenir. Il invite à écrire court et à ne pas hésiter à frapper fort sans avoir peur de faire de la philosophie à coups de marteau selon l’expression de Nietzsche (5’).
4) Lecture avec joker (15’).
5) Informations
- Rappel : Mercredi à 18h30 Conférence de Michel TOZZI sur la société du mépris.
- 3ème rencontre des Universités populaires à Saint Brieuc les 20, 21 et 22 juin 2008.
- Université d’été de Carcassonne les 28 et 29 juin 2008 sur « Science et politique » au Cloître de l’Abbaye, avec Edgar MORIN et Alain TESTARD
Reprise de l’atelier :
Le samedi 27 septembre 2008 de 9h45 à 12h15, puis le 15/11/08 et le 13/12/2008.
Un tour de table rétrospectif est effectué.
Michel nous dit son intérêt pour cet acte d’apprivoiser la philosophie et son projet de l’éducabilité philosophique de tous, qui répond à l’objet des universités populaires. Il affirme également son attachement à l’écriture qui intervient spécifiquement dans le processus de construction de la pensée. Il souligne l’importance de la maîtrise de l’impulsion dans l’organisation de la circulation de la parole dans l’atelier. Pour lui, l’impulsion empêche l’écoute. L’écoute requise pour l’exercice de l’atelier philo est une écoute cognitive qui permet de rentrer dans la vision du monde de l’autre.
- Propositions pour l’an prochain : après 4 ans de réflexion sur le rapport de l’homme au temps, nous aborderons la question du « rapport à l’autre ».
ANNEXE
TEXTES DES PARTICIPANTS
La phrase de chacun
· Courage d’une libre volonté devant un fatalisme toujours possible, obsession d’une sécurité devant l’aléatoire de l’avenir.
· L’homme est l’avenir de la femme. A. lui répond en écho : La femme est l’avenir de l’Homme (Aragon).
· J’étais, je suis, je serai. (référence à gros coup de marteau à « Ehyéh asher Ehyéh » [Exode 3.14])
· Bien gouverner sa vie, c’est résister au chant des sirènes.
· Si les poules anticipaient, le renard serait contraint d’aller au resto du cœur.
· Vivre, c’est se projeter dans l’avenir, mais la vie est par essence fragile et sa finalité est immaîtrisable.
· Sur le plan personnel, l’agenda bien rempli est un refuge qui permet…
· Delphine : La perspective de l’avenir…
· La mort étant plus présente dans l’esprit de l’humain lorsqu’il prend de l’âge, sa projection dans l’avenir devient plus incertaine.
· Je veux ce que j’espère.
· Anticiper, prévoir le développement durable de l’humanité pour qu’elle ne soit pas fichée, limitée, annexée.
· En voulant maîtriser notre avenir, on rejoint notre vraie destinée.
· Le péché originel ; c’est aller voir au-delà du prévisible contenu dans la menace.
· La destinée de chacun est la maîtresse du temps.
· L’homme pense connaître le temps, librement il se joue de l’avenir, et découvre qu’il ne sait que le présent.
· Programmation et intuition : merci, je suis présente ici et maintenant.
· Le funambule est dans l’obligation du présent.
· Nous pouvons essayer de prévoir l’avenir, mais nous ne pouvons habiter la maison de demain.
Sur le plan personnel, l’agenda bien rempli est un refuge, un confort qui permet d’oublier l’angoisse de la condition humaine.
La sagesse devrait permettre de trouver le juste milieu, programmer utilement son temps sans le figer, en gardant suffisamment de lucidité, d’énergie, de volonté pour prendre les devants, afin de réduire une réalité et des évènements non maîtrisables, insupportables à son entourage et à soi-même
Jean-François
Planification, efficacité, rendement, on ne peut le nier, ont permis une amélioration de nos conditions de vie. Mais enfant de la guerre, ces mêmes mots ont pour moi une connotation négative. L’intelligence, la volonté, le savoir qu’ils exigent ont servi aussi pour le bombardement au Japon, l’extermination des juifs, et plus récemment la délocalisation des entreprises et le démantèlement du Service public. Suivant la pensée d’Edgard Morin : « Assez de barbarie technique ! ». La mondialisation tue la civilisation.
Andrée
En marchant, nos pas passent continuellement du regret du passé aux doutes sur le futur.
Nous le faisons de façon mécanique, inconsciente. Nous avons un pied dans le passé, l’autre dans le futur. Ces deux pieds se relaient constamment, tout le long de la journée, de l’année, de la vie.
Nous faisons de même avec notre respiration, on inspire et on expire, sans prendre conscience de cet acte, qui est notre première condition de vie.
Entre l’inspiration future et l’expiration passée se trouve le PRESENT. Entre le changement du pied gauche vers le droit se trouve le PRESENT.
Entre l’écoute active et l’écoute passive se trouve le PRESENT.
Prendre le temps d’essayer de comprendre, d’écouter ce que notre corps nous dit, c’est être dans le PRESENT.
Prendre le temps de sourire à un matin, à un enfant, à un mendiant, c’est être dans le PRESENT.
LE FUNAMBULE sait être dans le PRESENT pleinement, il sait le saisir. C’est un homme éveillé, il contrôle son souffle, il travaille sa souplesse, sa force musculaire, mentale, et son écoute. Sur le câble, d’un pas mesuré et conscient, il marche sans précipitation, un pas après l’autre, il respire consciemment, il est PRESENT, il tient dans ses mains sa perche. IL s’en sert pour trouver l’équilibre entre le PASSE et le FUTUR. IL est à la recherche CONSTANTE du juste milieu entre son PASSE sans regrets et son FUTUR sans peur, sans crainte. IL trouve, capte et vit son PRESENT d’une façon intense, comme un maître, comme un Dieu. IL tient son destin entre ses mains.
Simon
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