Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Colloque Crap – Cahiers pédagogiques sur la culture 73

Atelier « Culture et pédagogie »

(Animation : Elisabeth Bussienne et Michel Tozzi)

Si on définit la culture comme un ensemble de repères qui permettent de lire le monde, de se situer dans le monde, en se fondant à la fois sur sa réflexion, sa sensibilité et ses connaissances, on remarque que l’enseignement ne suffit pas forcément à « faire culture » pour l’élève. Il y faut sans doute aussi l’investissement d’un sujet qui ne cherche pas seulement à accumuler les connaissances comme autant d’objets (pour par exemple réussir un examen), mais qui en fait quelque chose pour lui, y trouve du sens, des réponses à ses questions, des perspectives nouvelles. D’où une question pour le pédagogue : comment faire pour que ce qui est enseigné devienne culture ? En classe ou dans des pratiques d’ateliers, qu’est-ce qui freine ou facilite la constitution d’une culture ancrée à la fois dans la subjectivité et l’universel, qui nourrisse l’élève ?

I – Les obstacles

La réflexion de l’atelier s’est d’abord orientée vers les obstacles qui expliquent pourquoi tout ce qui est enseigné ne devient pas culture. Ces obstacles dessinent en creux des pistes d’action.

1 – Obstacles institutionnels

- Les programmes ne sont pas mauvais en eux-mêmes, mais ils impliquent une temporalité qui peut nuire à l’appropriation par les élèves des notions importantes. La contrainte des examens pousse à faire vite.

- On met souvent les élèves en situation de recherche ou de création, mais faute de temps, tout le travail de lien (entre eux et le monde, eux et les autres, eux dans une discipline et eux dans une autre) reste dans l’implicite. La contrainte du découpage disciplinaire laisse aux élèves le soin de faire les liens qui transformeraient une « série de connaissances » en une culture vivante. Les enseignants eux-mêmes manquent de temps pour, en équipe, réfléchir à la façon de faire ces liens et de les faire faire par les élèves.

- Une frilosité de l’institution fait que les « questions vives » qui pourraient donner du sens et de la saveur aux savoirs sont reléguées au second plan, « refroidies » par les manuels qui les abordent de façon désincarnée.

2 – Obstacles socio-économiques

- Pour certains parents, l’école doit être « sérieuse », rentable, et les activités culturelles ne le sont pas de façon évidente. C’est à mettre en relation avec une société qui demande qu’on soit rapide, efficace, qui privilégie le résultat et les compétences à la maturation de la personne. Les élèves, parfois consuméristes, privilégient aussi le résultat immédiat. Il y a partout une pression pour l’utilité qui fait obstacle à l’entrée dans la culture.

- La langue, le vocabulaire des acteurs culturels est parfois trop éloignée du langage des élèves, ce qui les empêche de jouer leur rôle de médiateurs.

- Certaines activités culturelles impliquent des sorties (parfois en soirée, comme au théâtre) ; il y a des familles qui répugnent à y faire participer leurs enfants, surtout les filles.

3 – Obstacles psychologiques

- La peur des autres, de s’ouvrir, de douter, de se tromper, le besoin de certitude sont des handicaps pour l’implication personnelle qu’exige l’entrée dans la culture.

- Les élèves ont une conception du plaisir comme immédiat alors qu’il faut du temps et des efforts pour se construire une culture et tirer du plaisir de cette construction.

- Le maître ne s’autorise pas toujours à partager ses passions et ses questions avec les élèves, à présenter la culture comme quelque chose de vivant qui le fait vivre, lui.

- Il y a aussi la crainte de ne pas savoir gérer la classe si on y introduit des questions vives, si on doit y accueillir l’émotion suscitée par elles, ou par des œuvres d’art ; on tend alors à les « refroidir ».

4 – Obstacles pédagogiques et didactiques

- On a compris qu’il est bon de mettre l’élève en situation de créer, de faire, mais c’est trop souvent sans réflexivité suffisante. On laisse à l’élève le soin de penser ce qu’il fait, de se nourrir des objets culturels qu’on lui fait « rencontrer ». Il y a d’ailleurs peu de recherches en didactique pour outiller les maîtres dans cette partie de leur travail.

- On vise souvent une accumulation de connaissances dans une perspective de transmission, sans vraiment tenir compte des questions que se pose (ou non) l’élève. On est du côté du produit plus que du processus.

II – Voici quelques unes des propositions qui naissent de l’examen de ces obstacles et visent à donner du sens pour permettre aux apprentissages de « faire culture » :

  • prendre le temps de travailler sur l’écoute ;
  • travailler sur les liens (entre disciplines d’une part, entre le vécu et les connaissances distanciées d’autre part). D’où l’intérêt de l’interdisciplinarité, contre le cloisonnement des savoirs ;
  • prendre le temps de mettre les élèves en appétit, être ambitieux pour eux, leur proposer des défis intellectuels ;
  • allier expression et réflexion ; dans le domaine de l’expression, passer par le corps quand c’est possible (voir par exemple le travail sur Claude Gueux, réalisé par des participants à cet atelier et présenté dans le Cahiers pédagogiques n° 445 page 31) ;
  • mettre en débat les questions vives (par exemple en histoire, la collaboration, la colonisation, l’esclavage…) ; faire que le travail ait des enjeux pour l’élève/sujet ;
  • provoquer, accueillir et travailler l’émotion chez l’élève ; partir de ses représentations et de ses questions ;
  • résister à la pression de l’efficacité, de la production, du résultat immédiat.

III – Un outil particulier : le projet

Scientifique ou artistique, associant généralement plusieurs disciplines, faisant place aux apprentissages instrumentaux, il fait souvent collaborer plusieurs enseignants ou un enseignant et un intervenant extérieur, ou une institution culturel. ll ouvre l’école sur le monde et s’enrichit des partenariats ainsi noués. Il permet de mettre en œuvre une « co-éducation » où l’école et son environnement culturel sont éducateurs à part entière. De plus, le projet n’est pas un programme, ce qui permet à l’élève de l’infléchir, d’y être acteur ; de l’imprévisible peut y surgir.

Mais parfois, le projet n’a sa place que dans les marges : hors du cours pour des élèves volontaires, ou dans des cadres spéciaux pour les élèves en difficulté, ou encore dans des dispositifs qui restent fragiles (voir ce qui est arrivé aux TPE, les menaces sur les IDD… Si l’une des forces du projet est peut-être qu’il est hors des habitudes à l’école, l’une des dérives du projet culturel est que réserver à la culture une place spécifique dans un cadre séparé dispense les maîtres de mettre les élèves en projet à l’intérieur du cours. Comme si la culture était, en effet, un supplément d’âme. Cela pose le problème de l’articulation des projets à la vie quotidienne de la classe, du transfert de la dynamique née du projet au reste de la vie et des activités scolaires. Et même dans le cadre d’un projet, certains élèves peuvent décrocher.

Mais si le mot « projet culturel » appelle souvent des connotations comme partenariat, présence d’acteurs issus du monde de la culture, dispositif lourd, coûteux en temps et financièrement1, ce n’est pas le seul sens du mot. Il est tout à fait possible de mettre en place des projets culturels dans le cadre du cours, au cœur des apprentissages. C’est peut-être plus facile dans le premier degré, où l’organisation du temps est moins contrainte et où le maître est polyvalent, mais des exemples ont été cités pour le second degré, par exemple en seconde, le défi de lire tous Germinal, le professeur s’appuyant sur des principes et techniques utilisés habituellement lors des défis lecture. Le résultat du projet n’est pas forcément une œuvre « visible », une création : l’important est que l’élève puisse se projeter dans des tâches, dans des apprentissages, et que le cours soit nourri de projets intellectuels ambitieux.

Pour que les savoirs « fassent culture », il semble aux participants de cet atelier que l’important est de fonder la pédagogie sur une culture de la question. Et cela peut se faire à tous les niveaux et dans tous les cadres.

1 Un véritable marché s’est d’ailleurs créé et il y a des écoles qui croulent sous les propositions et parfois font du saupoudrage faute de se résigner à faire des choix…

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