Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Pôle philo de l’Université Populaire de Narbonne – Atelier de philosophie pour adultes (2004-2005)

On trouvera ci-dessous le compte rendu des neuf séances

de la première année de l’atelier de philosophie sur le temps

de l’Université Populaire de Septimanie (Narbonne)

POLE PHILOSOPHIQUE

de l’Université Populaire de Septimanie (Cycle 2004 – 2005)

ACTIVITE : atelier de philosophie pour adultes.

ANIMATION : Michel Tozzi, professeur des Universités à Montpellier, animateur du café philo de Narbonne.

OBJECTIFS ET ESPRIT DE L’ATELIER : on ne vient dans cet atelier ni pour convaincre les autres (prosélytisme religieux ou politique), ni pour s’épancher personnellement (ce n’est pas un atelier psychologique), mais pour : écouter et s’enrichir des idées des autres (participants et grands philosophes) ; réfléchir et dialoguer rationnellement au sein d’une communauté de recherche sur les questions fondamentales de la condition humaine.

DATES ET HORAIRES : une fois par mois, un samedi matin, de 10h à 12h.

CALENDRIER : 9/10/04 ; 6/11 ; 4/12 ; 29/01/05 ; 5/02 ; 5/03 ; 16/04 ; 7/05 ; 4/06.

THEME ABORDE DANS L’ANNEE : le rapport de l’homme au temps.

MODALITES : les séances sont gratuites ; elles alterneront des discussions entre participants, des moments d’écriture personnelle, et une réflexion sur quelques textes philosophiques simples. Il est fortement souhaité de suivre le cycle en continu pour constituer un groupe permanent de réflexion. Mais on peut suivre ponctuellement une séance, qui forme en elle-même un tout, à condition de s’insérer dans l’esprit du travail collectif du groupe permanent, qui constituera une communauté de recherche sur le thème.

L’animateur n’est pas un conférencier qui apporte tous les contenus, mais une aide à la réflexion individuelle et collective. Il peut ponctuellement faire des points théoriques, proposer des textes de la tradition philosophiques, mais le travail de réflexion, s’agissant d’un atelier, est fait par les participants. Il veille aux exigences intellectuelles de la démarche, à sa visée philosophique : problématisation du thème (élaborer un questionnement, se questionner) ; savoir ce dont on parle (conceptualisation des notions, distinctions conceptuelles) ; et se demander si ce que l’on dit est vrai (argumentation rationnelle de thèses et d’objections) : penser ce que l’on dit, et non se contenter de dire ce que l’on pense.

SEANCE DU 9 OCTOBRE 2004

Présents : 20 participants. Durée : deux heures.

Dispositif : cheminement de « mon » rapport au temps à « notre » rapport au temps, puis vers « le » rapport de l’homme au temps (généralisation progressive).

1) Ecriture pendant 5’ d’un petit texte sur « Mon rapport au temps ». Ce peut être la description d’un événement, d’une anecdote significative de ma vie caractérisant mon rapport au temps. Ou un texte plus réflexif : mon rapport au temps professionnel/ personnel, ou mon temps de travail/de loisir, avant/après la retraite, l’évolution du rapport au temps dans ma vie etc.

2) Lecture de son texte par les volontaires, lentement et en laissant un temps après chaque lecture. Chacun note dans ce qu’il entend ce qu’il y a de significatif dans le rapport de l’homme au temps.

3) Discussion en partant de ce que l’on a écrit, entendu, noté sur « le rapport de l’homme au temps ». Qu’est-ce qui se ressemblait, différait, y a-t-il un fond commun au-delà des différences, qui toucherait à la condition humaine?

4) Ecriture anonyme, en 3’, sur un petit papier ramassé par l’animateur (il servira de départ pour la prochaine séance), d’un aphorisme sur le rapport de l’homme au temps. Un aphorisme est une phrase courte, souvent affirmative, parfois métaphorique, qui amène à penser, provoque à la réflexion (ex : « Tout homme, dès qu’il est né, est assez vieux pour mourir » Heidegger).

MATERIAUX RECUEILLIS DANS LA SEANCE

Expressions entendues : laisser (donner) du temps au temps ; gérer mon temps ; un temps mort ; au jour le jour ; souci du lendemain…

Mots connexes prononcés (carte conceptuelle de la notion) : passé, regret, remords, repentir / présent, instant, ennui / avenir, attente, (im)patience, projet, espoir, espérance, promesse / éternité, histoire, rythme, vieillissement, horloge, exactitude…

Distinctions conceptuelles opérées : temps objectif de l’horloge, observable, mesurable, mathématique, régulier / temps subjectif, intérieur, de chacun, variable ; temps psychologique vécu en tant qu’homme / temps biologique subi en tant qu’être vivant (avec ses rythmes, par exemple journalier, horloge interne propre, et processus de croissance-vieillissement) ; temps individuel / temps social (la perception du temps dépend des cultures, des civilisations, même la représentation du temps « objectif ») ; les trois dimensions du temps : passé, présent et avenir, et la flèche du temps…

Questions posées : quel est le rapport entre temps biologique et psychologique ? Le temps existe-t-il ? Peut-on maîtriser le temps ?

Thèses soutenues : on ne vit pas de la même façon le temps selon son âge ; le temps semble passer plus vite quand on vieillit (contestée par un participant) ; seul existe le présent ; le temps est pour l’homme une source d’angoisse.

Stratégies de l’homme face au temps constatées ou proposées : désir de le freiner ou de l’accélérer ; de le remplir (peur du vide, de l’ennui, du face à face avec soi), ou de le désemplir (peur du trop plein) ; de programmer, planifier, organiser, maîtriser, ou de lâcher, faire la pause, accepter ce qui vient.

Pour vivre heureux, il est proposé : de vivre dans l’instant, moment d’éternité ; de vivre l’avenir comme un projet, une promesse, un espoir ; de se décentrer du temps subjectif vers le temps objectif, stable, rassurant…

POLE PHILOSOPHIQUE

de l’Université Populaire de Septimanie (Cycle 2004 – 2005)

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES

Thème de l’année : Le rapport de l’homme au temps

SEANCE n° 2 du 6//11/04 (10h-12h)

(16 participants)

Suite à une demande de la première séance, Michel propose une première bibliographie sur le rapport de l’homme au temps :

  • Saint Augustin, Confessions, livre 11 chapitre 14, Flammarion.
  • Platon, Apologie de Socrate, ou Criton, ou Phédon, Hachette.
  • Epicure, Lettre à Ménécée, PUF ;
  • Bergson, La pensée et le mouvant, en particulier « Le possible et le réel », PUF
  • Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Nagel.

Lili fait circuler un ouvrage d’Edgard MORIN : L’homme et la mort

1) Michel propose sa lecture commentée des aphorismes écrits lors de la dernière séance dont le thème était : Quel est mon rapport au temps ? (1/4h). Il les a regroupés sous différentes rubriques : interrogation sur une définition du temps, et sur l’évolution de cette notion, ambivalence de l’appréhension du temps, le temps allié ou ennemi, propositions et sagesses (voir en annexe).

2) Le thème de réflexion de ce jour sera issu d’un des aphorismes de la 1ère séance :

Qu’aurait fait Cro-Magnon d’une horloge ? (discussion de 3/4h, avec Alain comme président de séance, Michel reformulateur et Marcelle synthétiseuse)

Le débat a comporté 25 interventions faites par 10 participants parmi les 16 présents.

Cette fiction anachronique provoque de multiples réflexions (la synthèse proposée est de Marcelle) :

  • Sur les origines de la notion de temps et la mise en place de sa mesure

La notion de temps serait donnée d’abord par des alternances d’états physiologiques (faim, sommeil), d’observations de l’état de l’environnement (jour/nuit, saisons), par la perception du mouvement (du soleil et des ombres portées ; cadran solaire)

  • Sur la difficulté à cerner la notion même de temps

Le temps est-ce ce qui passe ou est-ce l’immédiateté ?

Existe-il seulement ou n’est-ce qu’une représentation ?

Est-on temps, a-t-on le temps ou bien ni l’un ni l’autre ? La notion de temps est incernable sauf à utiliser l’espace comme métaphore.

Des appréhensions différentes du temps coexistent, temps vécu et temps représenté, temps objectif et temps subjectif.

  • Sur le lien entre la maîtrise du temps et le pouvoir

La prise de distance par rapport aux événements, le “ méta-regard ” sur eux, façon de s’extraire du flux qui nous entraîne, nous rend capable d’avoir de l’emprise sur soi, sur les choses et sur les autres.

  • Sur la finitude et l’angoisse qui lui est liée

L’homme qui se sait limité à différents égards et en particulier par rapport au temps, a du mal à se résigner, mais il pourrait constater que l’éternité n’est pas forcement souhaitable et que si son temps s’achève ce n’est pas pour autant la fin des temps.

  • Sur des manifestations humaines qui visent à se situer hors temps

Les rites et spécialement les rites funéraires (ex : arrêter les horloges lorsqu’il y a un décès dans une maison), l’art (le beau est intemporel),les peintures pariétales, les religions qui proposent la notion d’éternité.

  • Sur la prévisibilité des événements

Un événement est d’autant plus traumatique qu’il survient brutalement est qu’il était imprévisible.

  • Sur une proposition de sagesse

Ne pas chercher à maîtriser le temps, c’est se donner la possibilité d’en jouir.

Le mot de la fin : la question du temps est une question intemporelle !

3) Nous avons en fin de séance été invités, suite aux idées agitées durant la discussion, à écrire une lettre soit à Mr Cro Magnon (sous-titre : « votre temps et le mien »), soit à Monsieur le temps ( 1/2h).

4) puis tous ceux qui le voulaient ont fait lecture de leur texte (1/4h).

5) Nous avons terminé par une évaluation de la séance et les souhaits de participants pour l’avenir.

L’animateur de l’atelier, Michel Tozzi

Annexes

1) Les aphorismes de la fin de la première séance

- Le temps, qu’es aquo ?

- La vie existe-t-elle sans le temps ?

- Qu’est-ce que le temps d’une vie d’homme ?

- Quelle est la place de l’homme dans le temps-éternité ?

- Le temps, notion très subjective…

- C’est la rentabilité qui crée la notion subjective du temps

- Le temps : outil du bien-être ou du mal-être ?

- Le temps est-il un allié ou un ennemi ?

- Devant une arme braquée sur moi, la peur me prend : j’ai compris la finitude de l’homme.

- La vie est courte et passe très vite

- Avec le temps qui va, tout s’en va

- Le temps d’une vie : une parenthèse dans le néant

- L’homme veut avoir des projets : est-ce rassurant sur sa durée de vie ?

- Le temps va si vite qu’il faut l’employer au mieux

- Remplir son temps de préoccupations prenantes permet de vaincre l’angoisse de la condition d’homme

- Sagesse : mon temps peut être échu sans que ce soit la fin des temps…

- Faites un beau cadeau : offrez du temps !

- Le présent seul existe

- Savourer l’instant présent

- J’aime la vie

- Le rapport de l’homme au temps, analyseur du sens de sa vie

2) Lettres

Lettre ouverte à Mr. Cro-Magnon.

J’expérimente en cet instant même la pression de ce temps limité dont nous disposons pour écrire. Je m’adresse à toi donc, Mr Cro-Magnon, que j’ai bien envie d’écrire comme Chronos, celui qui dévorait ses enfants.

Nous n’avons pas tout à fait toi et moi la même notion du temps, bien qu’il nous tyrannise tout autant, mais pas de la même manière. La faim te tenaille et tu sais que dans quelques minutes tu n’y verras plus assez clair pour chasser ! Moi, je suis aussi inquiète si je n’ai rien dans mon frigo et que le magasin va fermer, mais de plus j’ai tout ce passé accumulé d’une humanité travaillée par la question du temps : la finitude, l’irrémédiablement passé, le futur incertain, l’inconsistance du présent.

Alors comme mes contemporains je prends le temps (avec un petit t ) en main ; je le chosifie (j’ai un capital temps), je le remplis, je le rentabilise, je le mesure, je le presse. Tu vois, je prends ma revanche sur le temps, c’était lui qui me tyrannisait, maintenant c’est moi qui le pressure. Dans cette lutte – n’ais pas trop de compassion pour lui – il reste le gagnant, car je ne sais ni l’arrêter, ni le ralentir, même l’accélérer. Il coule imperturbablement et je m’agite !

Depuis ton époque, on a peaufiné la notion de temps en faisant des distinctions conceptuelles : temps objectif et temps subjectif, mais c’est bien au regard des humains que cette distinction est valide. J’aimerais pouvoir sortir de cet humano-centrisme pour parler de quelque chose qui appartiendrait au réel lui même, qui désignerait la poussée des évènements. Mais hélas j’ai bien peur qu’avec le langage ce ne soit mission impossible.

Dans cette entreprise tu n’étais peut-être ni aussi naïf, ni aussi primitif que nous ne voudrions le penser, puisque tu as su mettre en image le mouvement des animaux sur les parois de tes cavernes.

A plus tard Mr. Cro-magnon, rendez-vous dans un univers intemporel, dans le ciel !

Marcelle

Cher Cro Magnon,
Quelle tristesse que tu aies eu une espérance de vie aussi courte, que tu
aies souffert du froid, la peur du noir et de l’inconnu derrière ces
montagnes, tu avais si peu de connaissances.
Quel bonheur, j’aurai eu de vivre comme toi avec pour seule contrainte : la
recherche de la nourriture.
Je te remercie de nous avoir laissé des empreintes de ton passage : tes
peintures rupestres, tes sépultures… Ce qui me fait dire que nous ne
sommes rien individuellement, vraiment rien sans les autres. Car toi et tes
successeurs, vous nous avez apportés tant, imagine l’évolution entre le jour
où tu as découvert le silex, et le degré de confort que nous avons atteint.
Si le temps ne fait pas toujours « son oeuvre » individuellement, il sert
vraiment à l’humanité.
J’aimerais te poser une question : te prélassais-tu au soleil l’été ou
avais-tu un emploi du temps bien établi? Nous avons aujourd’hui une pendule
qui nous indique l’heure, mais tu devais aussi avoir tes repères : le jour
et la nuit, les saisons, le temps d’une grossesse, des signes annonçant la
fin de vie d’un de tes proches.

.
Pourquoi cette question, car moi, je ne cesse de vouloir emplir les cases
des heures afin de ne jamais m’ennuyer et pourtant je n’ai pas de montre !!!
En fait, je voulais juste savoir si tu avais eu le temps de t’ennuyer…
Claudine

Monsieur Cro Magnon,

Je voudrais croire que vous ne me ressemblez pas.

Certes nous avons tous deux une horloge biologique : la faim et la soif, la fatigue, le sommeil.

Mais vous deviez sentir durement le temps de la faim qui tenaillait vos entrailles, celui incontournable et aléatoire de la chasse, et le temps de la peur dans la nuit de tous les dangers.

J’ai un emploi de fonctionnaire, le supermarché à portée de voiture, une porte qui ferme à clef, de la lumière et les congés payés.

J’ai aussi une sonnerie de réveil pour m’indiquer le début de ma journée, une montre pour ne pas être en retard, et je connais objectivement et précisément l’heure en pleine nuit.

Vous deviez vous contenter du jour qui se lève et se couche, plus ou moins long selon les saisons, de l’ombre portée sur le glacier, ou de celle des arbres…quand il faisait soleil.

Comment viviez-vous l’avenir ? Pour assurer les besoins vitaux certainement : manger, mais aussi prévoir un minimum, pour conserver les aliments, entretenir le feu pour les cuire et éloigner les bêtes.

Je suis un homme à projets, personnels et professionnels : je programme mon travail, je planifie mes loisirs. Libéré des questions de survie, j’organise consciemment ma vie à partir de besoins sociaux, culturels.

Votre présent pouvait-il être paisible, quand vous étiez rassasié, réchauffé, endormi, après l’amour ? Où aviez-vous le souci de l’après, ne dormiez-vous que d’un œil, dans la peur et l’angoisse ?

Je voudrais croire que vous ne me ressemblez pas.

Mais vous étiez déjà un homme.

Déjà vous preniez le temps de la création sur les parois des cavernes.

Et vous enterriez vos morts, preuve de la conscience de la perte, de la mémoire du passé à travers le culte des ancêtres.

Et moi encore je peux souffrir de l’aléatoire des relations, je crains l’accident sur la route et la maladie, je sens la vulnérabilité d’une vie qui va droit vers la mort…

Michel

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POLE PHILOSOPHIQUE

de l’Université Populaire de Septimanie (Cycle 2004 – 2005)

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES

Thème de l’année : Le rapport de l’homme au temps

SEANCE n° 3 du 4/12/04 (10h-12h)

(15 participants)

1) Discussion sur « Le rapport de l’homme au passé » (les prochaines séances, rapport au futur puis au présent, les trois « dimensions » du temps), avec président de séance, reformulateur et synthétiseur.

Dispositif du café philo : animation-reformulation (Michel), présidence (Lily).

Idées essentielles dégagées par la synthétiseuse (Josiane) :

« MICHEL : animation reformulation , Lily : meneur du débat, JOSIANE : compte-rendu

  • Influence du passé sur la construction de la personnalité ((ambivalence et ambiguïté de cette donnée)
    • Comment vit-on le passé ?
    • L’homme sans mémoire
    • Ce que le passé apporte en plus
  • L’étude de l’expérience personnelle : l’Homme face à son passé
  • Passé individuel et passé collectif

La discussion a débuté par une constatation : nous vivons dans une époque où la mode est à la célébration de nombreux anniversaires (pourquoi ce besoin de célébration ? et gêne devant ce phénomène) . Le passé collectif prend une grande importance et avec lui se pose la question du DEVOIR DE MEMOIRE.

S’agit-il d’une recherche d’identité dans ce passé collectif pour créer une identité et un avenir collectifs ? Ou d’un passé refuge par rapport à un avenir inconnu, incertain et angoissant ?

Le passé collectif représente-t-il une dette par rapport aux gens qui nous ont apporté tout ce qu’on a aujourd’hui ? Ou nous fait-il pointer un devoir face à nos ancêtres et à nos descendants ? (De protection de la planète entre autres).

Le fait qu’on sélectionne un certain nombre d’éléments et qu’on en oublie d’autres dans ce passé collectif peut amener une notion de dangerosité. En quelque sorte, le présent se sert du passé, on utilise et instrumentalise le passé par désir d’un retour au passé, d’une idéalisation de ce passé, d’une restauration de ce passé.

Ce retour forcé au passé (religion, faits historiques, etc. ) est différent du devoir de mémoire nécessaire : les leçons du passé à retenir pour ne pas renouveler les faits négatifs ; le passé peut servir à COMPRENDRE LE PRESENT.

Mais n’est-il pas naïf de croire que le passé peut prévenir certains faits (génocides, guerres, tortures, etc.) ? N’est-ce pas illusoire ? Et faut-il remettre en question ce devoir de mémoire ? Est-ce un garde-fou ? Le doute est toujours là. Seule l’expérience de sa propre expérience fait progresser ou agir, l’humanité piétine ; alors, le passé peut-il permettre de comprendre le présent ?

Selon les époques, les états d’esprit changent (l’esprit de revanche présent après la guerre de 1914 a disparu après la seconde guerre mondiale).

L’Europe a, semble-t-il, tiré les leçons du passé.

Le devoir de mémoire incite à changer le regard de soi sur le monde, et à faire preuve de vigilance notamment.. Individuellement, c’est certainement vrai. Mais sur le plan collectif, la question est posée : peut-on tirer les leçons du passé ?

Dans une conception négative de l’homme, on pourrait répondre non. Il existe un pessimisme face au collectif humain. Le collectif ressort de l’individuel. De même, l’individu s’identifie à ce qu’il prend de l’histoire..

PEUT ON AVOIR UNE EXISTENCE SI ON FAIT ABSTRACTION DU PASSE ?

La réponse est appliquée au collectif ou à l’individu. Dans ce travail sur le passé, on construit l’avenir avec ce qu’on prend du passé, et d’autre part, on n’a pas de prise : c’est le passé qui nous agit. Le passé collectif influe sur l’individu et inversement. En fait, c’est intimement mêlé.

L’inconscient nous possède. Et nous faisons avec tout ce qui est conscient.

Est-on enfermé dans notre inconscient ?

Il est vrai qu’on ne peut pas toujours cerner la part du passé dans notre comportement. On perpétue certains comportements de notre passé (violences, attitudes, etc.) sans en avoir forcément conscience La répétition, de façon un peu décalée parfois, est consciente ou inconsciente, mais le passé nous détermine.

Est on condamné par rapport à son passé ?

Le passé est-il un boulet ? L’enfant maltraité sera-t-il maltraitant ? Mais il y a une catalyse dans un sens positif et tous les enfants maltraités ne reproduisent pas cette maltraitance.

L’idée de revenir en arrière est courante. La mémoire est sélective. Les sentiments qu’elle génère sont nombreux et variés : nostalgie, regret de ne pouvoir revenir en mieux, arrêt sur les images de bonheur, souvenir ému du passé, on enjolive, on noircit.

Lorsqu’on avance en âge, on a conscience d’une relation étroite dans la prégnance du passé, de son rattrapage involontaire et de son caractère inéluctable.

Les historiens sont à la recherche d’indices objectifs.

Mais on perçoit LA VALEUR AFFECTIVE DU PASSE DANS LA NOTION DE PRESENT : on est dans le présent ; les traumatismes passés sont toujours intacts ; le passé a une réalité présente ; on est maintenant ce que le passé a fait de nous d’où la question :

EST-CE QUE LE PASSE EXISTE EN TANT QUE TEL ?

Son caractère irréversible (il n’est pas forcément un traumatisme ; voir certaines odeurs, la madeleine de Proust) nous amène à évoquer LE CONCEPT DE RESILIENCE : fait de dépasser, de rebondir (travaux de Cyrulnik).

On note l’importance de cette métaphore : on digère le passé (on avale, on assimile, on évacue, puis on évolue).

Mais on ne revient pas à l’état antérieur, on n’efface pas.

On ne peut pas dire : « le passé existe », mais : « le passé a existé »

ON N’EST PAS INDIFFERENT à la notion de passé : l’ambivalence importante dans cette notion, son aspect déterminant sont indéniables mais l’important est le questionnement :

« QUELLE UTILISATION PEUT-ON EN FAIRE ? »

2) Deuxième phase de l’atelier : Lecture d’un texte de Nietzsche : Seconde considération intempestive (1874), trad. H. Albert, Edit. Flammarion, coll. GF, 1988, p. 75.

3) Réactions au texte de Nietzsche, par rapport à la discussion antérieure.

Résumé des échanges par Josiane.

Il s’agit d’une comparaison entre l’homme et l’animal. L’animal étant représenté dans ce texte comme n’ayant aucune conscience du temps qui passe, et comme n’ayant aucun sentiment. Nietzsche a le sens de la provocation .

Le chien battu sait qu’il a été battu ; a-t-il la notion du temps ?

La notion de MEMOIRE est ainsi mise en avant. Mémoire qui a été transmise génétiquement

La CONSCIENCE d’un fait est différente du LANGAGE qui transcrit ce fait. En quoi le langage permet-il de renouveler sa mémoire ? La structure même du langage a à voir avec le passé; elle crée de l’avant et de l’après par les conjugaisons, par la structure des mots dans les phrases. C’est par et avec le langage qu’on représente le passé.

L’évènement antérieur a un rapport sur l’évènement futur.

Le langage animal est différent du langage humain , mais on a conscience d’une communication.

Le passé est sans cesse dans le présent. En parlant de MEMOIRE, on peut se demander si les amnésiques sont plus heureux que les autres ? L’homme sans mémoire existe par le regard des autres .

Ce n’est pas le passé qui est là, mais le souvenir du passé.

Les animaux paraissent plus libres parce que sans mémoire. Alors pourquoi ?

Les amnésiques sont-ils plus heureux, plus libres ?

Alors pourquoi les enfants adoptés sont-ils à la recherche de leur passé ? Ils ont donc besoin de ce passé.

On a envie de se projeter.

D’où l’AMBIGUITE.

Les Etats-Unis , nation relativement jeune s’inventent un passé. La recherche de racines est forte. D’où la question :

EST-CE QUE LA MEMOIRE EST UNE CONDITION DE L’IDENTITE DE L’HOMME

Il existe un rapport de causalité entre le Sujet , cause de l’action (présent), et l’évènement antérieur (passé) qui a un rapport sur l’évènement futur (futur).

Le passé peut-être vécu comme une trace de notre vivant.

4) Ecriture d’un texte en fonction de ce qui précède (voir Annexes) :

OU EN EST-ON DE NOTRE REFLEXION AU PASSE ?

5) Lecture par tous les volontaires de leur texte.

6) Brèves réactions sur la séance :

Le passé est révolu certes, mais il a une influence importante sur tout ce que l’on est, individellement et collectivement.

Nos origines nous façonnent. Leçon d’optimisme, de pessimisme ! Nous sommes fiers de certaines choses, nous ne voulons absolument pas en reproduire d’autres, tout en reconnaissant que parfois elles s’imposent à nous.

Le passé forge notre manière d’ETRE : être soi, être avec les autres, tolérance, acceptation de soi , des autres, des faits.

ANNEXES

1) Textes sur la séance du 6/11/04

Lettre à Cro-Magnon

Quand j’essaye de mesurer le temps qui nous sépare, j’éprouve un immense vertige. Quel chemin temps parcouru ! Toi et nous, sommes soumis à un même ensemble de rythmes élémentaires. Ce qui nous différencie, ce sont les temps de nos organisations sociales respectives. Tandis que tu passais les journées au seul rythme de tes besognes élémentaires, avec pour tout outil la pierre taillée, nous programmons notre quotidien en une suite d’activités, tant et si bien que notre temps est aussi fragmenté, trié, sélectionné, sérié, sophistiqué que nos connaissances, nos savoir-faire, nos outils. De l’immersion de la nature où tu étais, nous sommes passés à l’immersion dans la culture au détriment de la première, au point de nous poser la question de l’harmonisation de leurs rapports.

Toi et nous sommes confrontés à un temps majeur radical, celui de la mort. Les sépultures de ton époque prouvent cet obstacle absolu, cette suspension définitive de temps de l’après, frayant le chemin au désir d’immortalité et à la création de toutes sortes de dieux, jusqu’à l’athéisme tragique. Je serais tentée de croire que c’est le sentiment de révolte mêlé au sentiment de solidarité venant de la conscience de l’espèce qui a motivé les rites funéraires. Je me demande si ce n’est pas grâce à notre conscience de notre finitude que l’homme a senti qu’il devait tout tenter pendant le temps de sa vie, et ce faisant qu’a émergé son sentiment de liberté.

Mais alors que faire de cette liberté ? Choix égoïste, solitaire, insouciant, ou responsabilité ?

Lily

Monsieur le temps,

Je viens porter à votre connaissance une lettre de réclamation.

En effet il semblerait que votre prestation ne fasse pas l’unanimité.

De nombreuses personnes se plaignent de ne pas avoir assez de temps.

D’autres désirent que leur temps se passe autrement.

D’autres encore veulent que le temps s’arrête.

Peu de personnes en réalité sont satisfaites de vos services.

Au prix où vous nous les facturez (le prix de la vie !), il me semble qu’un effort tout particulier pourrait être apporté sur leur qualité.

En espérant que cette réclamation ne restera pas lettre morte, veuillez agréer,

Monsieur le Temps … Nathalie

Une chose nous différencie, alors que nous restons fondamentalement pareils avec nos émotions, nos joies, nos peines, nos angoisses, c’est la mesure du temps.

Rien ne change, pourtant toi comme moi, notre trace sera oubliée…

Jean-François

2) Textes sur la séance du 6/12/04

Deux ou trois idées sur mon rapport au passé

Le passé ne me concerne qu’en tant qu’il fait sentir sa présence, qu’il est présent, que je le sache ou pas, que je le veuille ou non.

Toutes les structures du langage sont temporalisées et temporalisantes : liens de causalité du sujet sur l’action, conjugaisons, évocation de la chose absente, diachronisme de la phrase, importance de l’ordre des mots dans la phrase, etc.

Le langage range les événements selon les catégories du passé, du présent et de l’avenir, avec les finesses de conjugaisons que l’on sait. A ce titre s’il travaille sur des évènements révolus, il fait exister leur représentation dans le présent, tout en les faisant « devenir » passés.

Pourtant le langage ne suffit pas à ranger les événements dans la temporalité rationnelle : il ne traite pas tout le réel, il est sujet à des achoppements, il peut aussi bien dire la vérité que le mensonge, il peut jouer avec la temporalité dans des fictions, par erreur, etc.

Je constate que j’ai écrit des réflexions qui ne me concernent pas spécifiquement comme la question posée semblait l’attendre, mais je me sors d’affaire en disant que la complexité des relations entre sujet, langage et temps m’interroge véritablement.

Marcelle

Le passé est la dimension irréversible du temps. Il ne revient plus à l’existence, seulement à la conscience, s’il n’est pas oublié, sous la forme du souvenir : il se déforme alors, qu’on le noircisse ou l’enjolive. On peut dire : « il a existé ». Existe-t-il dans le présent ? Peut-être dans l’inconscient, qui lui n’oublie pas, et où il demeure.

Notre passé n’est pas seulement antériorité, mais causalité : il nous détermine, car nous sommes à partir de et à cause de ce que nous avons été. Il enchaîne parfois, par la nostalgie de ce qui fut bon et ne reviendra pas, par le remords de ce qui fut mal et reste ineffaçable.

Il est possible de le « digérer », quand il renvoie à la souffrance, par un travail de deuil, et/ou en tentant de lui donner statut d’expérience qui fait grandir, mûrir.

Il est le témoin d’une histoire individuelle et/ou collective, la trace et le support d’une identité. D’où la nécessité de la mémoire, car l’homme sans passé est sans racine : il ne peut dire qui il est parce qu’il ne sait pas d’où il vient. Et le devoir de mémoire, qui garde le souvenir de l’homme ou le groupe inhumains, dont il faut faire leçon (« Plus jamais çà !), même si les célébrations peuvent être instrumentalisées… Le pardon même n’est pas oubli !

Michel

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POLE PHILOSOPHIQUE

de l’Université Populaire de Septimanie (Cycle 2004 – 2005)

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES

Thème de l’année : Le rapport de l’homme au temps

SEANCE n° 4 du 29-01-05 (10h-12h)

(11 participants)

Thème de la séance : le rapport de l’homme à l’avenir

Répartition des rôles. Présidente : Anne-Marie ; secrétaire de séance : Suzanne ; reformulateur et personne-ressource pour le texte : Michel.

1) Discussion

Dans un premier temps on évoque la séance sur notre rapport au passé. Il en ressort que nous avons besoin de racines pour pousser. On évoque aussi le devoir de mémoire pour ne pas renouveler les erreurs et les horreurs du passé. De toutes façons, on n’échappe pas au passé si on

admet le déterminisme, qu’il soit génétique ou environnemental.

Mado nous dit d’abord que puisqu’elle vieillit, ses projets sont de plus en plus à court terme car le temps manque, d’où la nécessité de l’employer au mieux.

Marie évoque sa foi et nous dit que si l’on est très croyant, on gagne en conscience que le présent n’est qu’un passage vers Dieu.

Andrée, qui trouve également que le temps passe vite, nous dit qu’on accélère encore en se projetant dans l’avenir.

Pour Jean François certes on se projette, mais c’est indispensable à l’action. Il compare cela à la germination : on sème, on n’est pas sur de ce qui va pousser mais c’est cela l’espérance.

Josiane pense qu’il ne faut pas rester l’arme au pied car si on n’est pas dans l’action, on plonge dans l’angoisse.

Jean François insiste sur l’espérance, elle nous ouvre à la vie et aux autres.

Jean Claude se réfère à la création artistique qui exige un projet dont la réalisation compte des incertitudes mais provoque une tension qui est porteuse de créativité.

Andrée estime que le peintre aux prises avec sa technique est forcément dans le présent pendant qu’il crée.

Anne-Marie pense qu’on est toujours en attente de la jouissance, et que cette jouissance passe par la création, car notre but est de laisser une trace.

Marcelle aborde le thème de la procréation et pose la question : est ce qu’on souhaite se dupliquer en créant du semblable ou, au contraire, veut on créer du nouveau et donc du différent ?

Jean-Claude souligne que le scientifique ne peut que se projeter dans l’avenir lorsqu’il fait de la recherche.

Andrée distingue en nous l’être social et l’individu. L’individu pourrait éventuellement vivre au jour le jour, mais l’être social qui travaille et possède un réseau de relations doit forcément se projeter.

Evelyne pense qu’on ne devient ce qu’on est qu’en se créant soi même jusqu’à sa mort. On est donc forcément tirés vers l’avenir.

On aborde l’éthique : Jean François pense que l’’on crée son éthique soi même.

Jean-Claude lui, pense que l’éthique est dans la transcendance.

Suzanne soutient que c’est l’expérience et donc l’existence qui crée l’éthique, du fait de la nécessité de cohabiter le mieux possible.

Evelyne pense qu’on est au dessus de la matière et qu’en transcendant notre propre matérialité, on devient tel qu’on se veut.

2) Débat sur le texte de SARTRE

Après confrontation sur les interprétations du texte par les participants, Michel nous éclaire

un peu sur le texte de SARTRE : « L’existentialisme est un humanisme ».

Il en ressort qu’il n’existe pas de nature humaine. L’homme ne naît pas homme, il le devient.

Il n’y a pas de déterminisme, donc l’homme est libre de devenir ce qu’il veut être.

Voilà grosso modo la thèse de SARTRE.

Une participante évoque l’homme avec un grand H. On lui fait remarquer que ce grand H ne

vaut que dans la théorie essentialiste (l’homme a une nature, une essence définie),

contraire à l’existentialisme (la condition de l’homme est d’être ce qu’il se fait.

Une autre personne se dit d’accord avec SARTRE lorsqu’il dit en substance, « je crois parce

que je veux croire ».

Un participant soulève le problème de la responsabilité : si on est entièrement libre de devenir

ce que l’on veut, on est totalement responsable du résultat.

Un autre fait remarquer que si SARTRE emploie la formule « l’homme est condamné à être

libre », c’est bien parce qu’il porte le poids de cette responsabilité.

Ici il est fait allusion à NIETZSCHE annonçant que « Dieu est mort » : ne tirant plus son

essence de la création divine, l’homme doit s’inventer.

Certaines personnes dans l’assistance croient en une transcendance, et pensent donc, à

l’encontre de SARTRE, que l’homme est d’essence divine. Elles ne croient pas en

un déterminisme strict, puisque notre liberté de devenir est incluse dans notre essence.

L’expression de ST AUGUSTIN « deviens ce que tu es » semble indiquer qu’il accepte l’idée

qu’on est en même temps libre et déterminé par notre essence divine : Adam a eu le choix de

croquer la pomme.

Il semblerait que la plupart d’entre nous, athées ou croyants, pensent que l’homme ne vaut

que parce qu’il se projette dans l’avenir et que c’est de cette façon qu’il se construit.

3) Ecriture (cf annexes) et 4) Lecture de leur texte par les volontaires.

ANNEXES : TEXTES

Le passé présent (4-12)

L’enfant heureux fonde l’adulte de demain et lui prépare une vieillesse sereine.

L’enfant malheureux alourdit l’homme mûr par le poids du passé.

L’homme a besoin du passé sans en garder la leçon.

Jean-François

La vie dépend de deux ou trois oui et de deux ou trois non prononcés dans la jeunesse pour se forger un idéal respectueux de la pensée humaine. Communiqué par Jean-François

L’avenir est plus rassurant lorsque l’attente se fonde sur une grande espérance.

Jean-François (29-01)

Le rapport de l’homme à l’avenir

Ce rapport dépend de la croyance ou de la non croyance en une transcendance appelée Dieu, par exemple. Cette transcendance qui ferait que l’être résiste et survit à la mort physique en nous donnant l’éternité, nous donne le droit de rater notre vie terrestre puisqu’on a une session de rattrapage. Lorsqu’on ne croit pas à la survie après la mort, sous quelque forme que ce soit, notre rapport au temps et à l’avenir peut être très angoissé à l’idée de tout rater ou de ne pas terminer ce qu’on a projeté. Ou au contraire, on peut être très serein à l’idée que quoi qu’il

arrive tout cela finira à plus ou moins brève échéance. Suzanne (29-01)

Le rapport de l’homme à l’avenir

D’un point de vue général, le rapport de l’homme à l’avenir est une difficulté extrême selon les croyances et les déterminismes que l’on a au départ, selon les espérances qui nous animent. L’inconnu est le plus puissant et me fait dire «devant ce problème je sèche». Je suis nécessairement tourné vers l’avenir comme vers le passé, mais je voudrais vivre au jour le jour pour obtenir une certaine sérénité ou jouissance de la vie.

Josiane (29-01)

Le rapport de l’homme à l’avenir

En préalable, je dirai ma difficulté à séparer les dimensions temporelles du passé, du présent et de l’avenir, puisque c’est forcement du moment présent que j’envisage l’avenir et cela en fonction de ce que j’ai vécu dans le passé.

Pour ces raisons aussi l’appréhension de l’avenir est ambivalente et mouvante, si je suis triste je risque de le craindre, si je suis de bonne humeur, je l’imaginerai sous des aspects favorables. La dimension de l’imaginaire s’attache à l’avenir encore plus exclusivement qu’au passé et au présent.

L’avenir est la dimension même du désir en tant qu’il nous soutient dans un processus non seulement de maintien de la vie, mais encore de conquête d’un ailleurs non encore advenu. Mais cet ailleurs inconnu par essence comment me le représenter ? Comme ce qui a déjà été, autre que ce qu’il est ou a été ? Dans cette dernière éventualité je fais acte créatif même si cette création ne peut-être intégrale, et devrait tenir compte des acquis des expériences antérieures.

On peut raisonner à l’identique si on parle de donner la vie, de procréer : l’être à venir sera nouveau mais porté par la transmission d’une histoire trans-générationnelle, la combinaison de deux patrimoines génétiques partiels qui donneront un individu original, avec une histoire qui lui sera propre bien qu’en continuité avec ceux qui l’ont conçu.

Enfin si l’avenir est la dimension même du désir de vivre, il est aussi la perspective de cet inévitable arrêt de la vie, perspective dont les humains ont le terrible privilège d’être conscients.

Face à cette position si paradoxale, les hommes prennent des postures existentielles bien typées, fuite en avant dans l’activisme, les projets, le surbooking, la maîtrise de l’emploi du temps, ou bien la mélancolie du « no futur » ou le divertissement, l’oubli dans les paradis artificiels.

Marcelle (29-01)

Le rapport de l’homme à l’avenir

Comme pour le rapport au passé vu précédemment, il est très ambivalent, et peut être orienté à l’opposé, mais c’est ce biface qui nous travaille :

- d’un côté c’est la possibilité de se pro-jeter, de se jeter en avant, d’ex(-s)ister comme dit Sartre, de désirer et vouloir, de tenter de maîtriser par le but, l’objectif, les moyens, la carte, le trajet, la prévision, la programmation, la planification, l’emploi du temps. C’est aussi créer de la différence, de l’inédit, de l’autre, de l’originalité, innover, faire œuvre de sa propre vie. Et aussi être disponible, accueillir, maturer, germiner, espérer, le plaisir du dépaysement, de la surprise ;

- mais ce peut être aussi l’attente qui n’en finit pas de voir l’avenir ne pas advenir, rivé à un présent qui ne décolle plus, l’impatience qui ne veut plus attendre, la peur de l’inconnu, de l’imprévisible, la confrontation à l’aléatoire, la prise de risque, la responsabilité des décisions, des conséquences, la répétition du passé sans ouverture, l’enchaînement aux statuts, aux promesses. Et la certitude de mourir, le sentiment de l’inéluctable, déjà écrit avant même d’avoir été agi…

Le rapport de l’homme à l’avenir oscille entre la joie de la création et le désespoir des déterminismes, le désir de toute puissance et l’impuissante fatalité, l’obsession de la maîtrise et la dérision de l’imprévu.

L’avenir pose le problème de mon devenir, de mon ad-venir : « faire, et en faisant se faire » (Sartre), c’est la version libre et responsable d’un homme qui ne peut se résoudre à n’être qu’un destin.

Michel 29-01-05

Monsieur le TEMPS,

Vous êtes lointain, tantôt très près, mais toujours fuyant. Vous régnez sur les êtres vivants. Nous aimerions vous loger dans un espace, vous remplir. Mais c’est Vous qui captez les humains et les situez dans votre pouvoir. Maître Chronos, insaisissable, vous avancez toujours, comme une boule invisible, qui roule et nous échappe. Quel nom pourrions nous vous donner, quand pour nous tout va mal, temps de malheur ? Mais lorsque tout va bien, vous êtes l’adoré, le temps de bonheur. Vous régnez ainsi depuis toujours sur le vivant et sur les morts. Serait-il possible que l’être humain saisisse un seul instant rebelle de votre pouvoir pour vous anéantir. Je ne le pense pas, et moi j’aimerais rester dans votre grand royaume, mais vivante.

Anne-Marie 09-10-2004

Mon rapport au temps

Mon temps est dans l’instant qui passe. Comment pourrais-je conter le temps en cinq minutes, alors qu’il est éternité ? Il est parfois lourd, parfois léger, parfois long, parfois fuyant. Il n’a ni mesure, si ce n’est le tic-tac de chaque seconde. Mais nul n’en peut tenir un instant dans sa main. Les jours se renouvellent, mais le temps s’en va, jamais ne revient? On mesure au Carbonne le temps de l’antiquité morte. Tout s’en va avec le temps, et moi je voudrais pouvoir le retenir.

Anne-marie 6-11-04

Le passé

Le passé ne revient jamais. Pourtant il se renouvelle dans notre présent. Il m’importe de le reconnaître pour exister. Je fais du présent mon demain, avec ce que je me souviens de hier. Et je transmets ce que je suis ainsi.

Un arbre sans racines est un arbre mort. Je suis comme l’arbre de la forêt humaine. J’ai besoin de mes racines qui sont mon passé. Si je n’avais pas de passé, il me faudrait l’inventer, pour m’identifier et pour à mon tour laisser une trace.

Anne-Marie 4-12-2004

Le rapport de l’homme à l’avenir

L’homme de 2005 est tellement plein de découvertes issues de lui, mises en commun, il s’élance toujours vers des changements, des améliorations. Toujours plus, toujours mieux. Ceci est moins certain. Car comme de la médaille, l’envers est souvent moins bien que l’endroit. L’homme invente, et ainsi se réinvente, il crée son futur avec son projet de vouloir se changer, il est comme l’athlète qui court, vers ce dépassement de lui-même, cette perfection qui le fera « le dieu du stade » au moins une fois. Il va de l’ avant, quelque soit son projet, brillant ou funeste, avec ou contre son semblable. Il porte en lui l’énergie nécessaire pour survivre l’instant qu’il pense et qu’il vit. Ainsi il essaie de laisser une trace, un nom, après son passage vers ce lieu d’où nul n’est revenu.

Anne-Marie DE BACKER (29-01-05)

(Pseudonyme Anne de Lierre)

Extraits de « Le Canevas du Jour  » par Anne de Lierre

Comment te nommer? Ce Temps

Tourne sur notre cadran les aiguilles, Parfois le jour est long et d’une grande attente

Des secondes vont, nul ne les gaspille, Et nul n’en peut saisir un instant dans sa main,

Pousse les heures du jour vers la nuit Pourtant il pèse lourd quand un tracas nous hante,

Sans aucun effort, ni lutte, sans bruit. Il devient tout léger quand rit le lendemain

Talonne « aujourd’hui », ratrappe » demain ». Ce temps ensoleillé, fleuve qui coule doux,

Cueille le temps d’une invisible main. Ce temps comme allié, qu’il vienne à pas de loup.

Comment te nommer, qui tout en tournant, Ce temps si prometteur qui sert ainsi l’oracle

Règne dans l’ombre sur mort et vivant? Un temps de grande PAIX, enfin son vrai miracle.

Anne de Lierre 3/9/03 Cette année à venir, mieux que toutes les autres

(Le Canevas des Jours) En Bonheur et Santé, Ce temps qu’il soit le vôtre.

(Le Canevas des Jours) Anne de Lierre

TOUJOURS

Les ans se suivent, ne reviennent Un peuple en marche peut prétendre

Pourtant sur le cadran du jour De découvrir le paradis,

Par les heures qui nous retiennent Le sage lui préfère attendre

L’aiguille fait le même tour. Semer le grain pour ses radis.

Et chaque chose a son contraire, La forte chaîne des aurores

Au bout du jour noircit la nuit. Ne peut se briser par nos mains

Le chant du vent sait nous distraire Ni ne se garde en des amphores

Mais le Temps passe sans un bruit. Elle noue le « hier » à « demain ».

Dans la Cité de Carcassonne L’homo sapiens porte l’histoire.

Chaque tour parle de l’antan, Dieu Chronos ne démentira,

Le Savant mesure au Carbonne Car guerre et paix font sa mémoire

De « quand » vivait l’humain d’avant. le temps s’en va, ne reviendra.

Le sommet de la pyramide Si l’alchimie est donc de vivre

Bâti par l’homme pointe au ciel, D’AMOUR pour l’autre corps charnel,

Nous dit l’essai pas très timide Ce seul ESPOIR qui nous enivre

D’atteindre Dieu, péché véniel… Garde le seuil de l’ETERNEL…

E T E R N I T E

Si l’homme meurt soldat, héros, tortionnaire,

Qu’il fut un casse-cou, chasseur ou chercheur d’or,

Un moine du Tibet, prêtre missionnaire,

Savant ou médecin, guetteur au mirador,

Il a la même fin que l’infante d’Espagne,

Et les enfants martyrs de tous les Oradours.

La dépouille des rois, des reines de Bretagne

Ne se raniment point, sauf par les troubadours.

Les os des trépassés, de César à Socrate

Durcissent sûrement le chemin d’Annibal,

Les corps n’y jonchent plus, de seigneur et pirate,

Des filles et garçons, morts au retour d’un bal.

Au jugement dernier serons-nous tous ensemble

Vêtus de circonstance avec un linceul blanc,

Avant l’éternité qui seule nous rassemble?

Espoir d’un au revoir, au campus le plus grand…

Mais quelque chose dit qu’il reste d’un poète

Le sel de sa pensée en prismes de quartz pur,

Brillance d’un roc dur, aimant de la planète.

Quand la Lumière luit, il vibre sur l’azur.

LE TIC-TAC DU TEMPS

Les heures passent

Du tic-tac souffrant

Les jours se lassent

En langueur partant.

La vie écoule

Ses gouttes de sang.

Le temps s’écroule

Sur l’autre versant.

Le tout c’est d’être

Pour toujours présent.

Mais c’est peut-être

Trop peu reposant…

Passe donc, passe

L’heure du jour

Va dans l’espace

Fuyant sans retour

L E T R I B U N A L D U T E M P S

Si tu meurs au Liban, Paris ou Barcelone,

Par la corde pendu, tué par un couteau,

Prends garde à l’assassin, avant que il soit bourreau,

Il peut être un héros d’un pays ou d’un trône.

On impose en Afrique un dieu par son icône,

Chez les peuples latins, la faucille, un marteau.

On massacre des juifs, en détruit tout flambeau,

Cet acte est commandé d’un très puissant neurone.

Le Tribunal du Temps veut effacer Jadis.

Un mot de l’homme juste en a contre lui dix.

Le pouvoir sait ce mal, veut transformer l’histoire.

Ponce Pilate aussi s’en lavait bien les mains.

Pourquoi l’humanité mêle misère et gloire

Au combat pour la paix, l’espoir des lendemains ?

Anne-Marie Debacker

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POLE PHILOSOPHIQUE

De l’Université Populaire de Septimanie (Cycle 2004-2005)

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES

Thème de l’année : le rapport de l’homme au temps.

SEANCE n° 5 du 05/02/05 (10h-12h)

(18 participants)

Thème de la séance : “ Le rapport de l’homme au présent ”

Michel : animation, reformulation ; Evelyne : meneur de débat ; Nathalie : compte-rendu.

  1. Discussion : ¾ d’heure.

Michel propose d’aller de l’expérience singulière vers l’universel.

Après quelques moments de silence, force est de constater la difficulté de parler du présent. Dès que l’on parle, on n’est déjà plus dans le présent.

Deux courants apparaissent : le présent n’existe pas / le présent existe.

  • Le présent n’existe pas.
  • On court après un temps qui est toujours devant, ou bien le temps est déjà passé.
  • Le présent n’existe pas parce que le temps est mouvement, et le présent instantané. Dans l’action, le mouvement est futur, il n’y a pas d’espace laissé au présent.
  • Dès que l’on pense, on n’est plus dans le présent parce que quelque chose se met en mouvement.
  • Le présent n’a pas trop de réalité en dehors de temps très forts qui donnent de la fulgurance au présent. Exemple d’un homme mis en joue par un ennemi.
  • Le présent est une invention de l’homme.
  • Dans l’action, on perd la conscience du présent, projeté vers le futur.
  • Le présent existe.
  • Caractéristiques du présent : fugacité, volatilité, inconsistance, relativité.
  • Le présent n’a pas de consistance mais on lui en donne une par convention sociale (ex : l’histoire “ moderne ”, ou l’époque “ contemporaine ” commence quand ?).
  • Le présent existe quand on a conscience de la succession d’instants.
  • Le présent n’existe que lorsqu’on a vraiment conscience de ce que l’on est en train de faire : être présent au présent, être-là, hic et nunc, ici et maintenant.
  • Un moment présent qui existe est celui de la jouissance : dilatation du présent.
  • Le présent est aussi la présence physique, le corps. Le corps fait faire l’expérience du présent : jouissance/souffrance.
  • Le présent semble exister dans certains moments de “ temps suspendu ” : devant un paysage, pendant un concert…A ces moments, pas de souvenir du passé, pas d’inquiétude de l’avenir : un “ instant d’éternité ”.
  • Le présent abolit l’espace, les frontières : moment de symbiose entre l’intérieur et l’extérieur, le passé et le futur. Tout n’est qu’unité.
  • Le présent peut exister à travers la répétitivité des tâches, la mêmeté, la pesanteur du quotidien.
  • Le présent est le temps de l’action qui peut permettre de lutter contre le passé, contre l’avenir, la mort. L’action est la présence de l’acte, l’acte le présent de l’action.
  • Le présent existe pour les enfants qui sont tout à leurs jeux. Mais il y a nécessité chez l’adulte de retravailler sa relation au présent, car il est déjà (trop ?) vécu, et a besoin de projets.
  • Il y a la question de la (non) conscience du temps chez certains malades mentaux.
  • Chez les occidentaux, le présent est mis au service du futur, pour sauver l’âme. Cette conception linéaire du temps sépare le corps de l’âme. Chez les orientaux, le présent se situe entre l’inspiration et l’expiration : conscience d’être (et non d’avoir) son corps.

Questions :

  • Pourquoi la mémoire immédiate est-elle la première à disparaître ?
  • Quelle est la durée du présent ? Rien, un moment, un siècle (le contemporain)…
  • Est-ce que le temps est la conscience du présent ou bien, le présent est-il la conscience du temps ?
  • Quel rapport entre temps et espace ?
  1. Texte de Blaise Pascal extrait des Pensées :

L’homme ne s’en tient jamais au temps présent ”

Lecture du texte, comprendre le texte, confronter les interprétations.

a) Il se dégage quelques réflexions autour du texte :

  • Vivre et être heureux : l’équation est un échec.
  • On vit pour l’avenir, pour trouver le bonheur dans l’avenir, pas pour le présent.
  • Les hommes ne sont pas sages car ils ne se contentent pas du présent.
  • On passe sa vie à ne pas vivre.
  • Si l’homme est malheureux, il ne le doit qu’à lui-même : “ Tout le malheur de l’homme est de ne pas savoir rester sage dans sa chambre ”.
  • Le passé et le présent sont nos moyens pour le futur, pour une vie humaine constructive.
  • Le présent existe, car c’est la seule chose qui nous appartienne. Si on le rate, c’est qu’on est soit dans le regret, soit dans la fuite.

Michel replace le texte dans l’œuvre et la vie de Pascal : la pensée de Pascal est une pensée chrétienne : la recherche du bonheur est une illusion. L’homme passe son temps à se divertir, c’est-à-dire à s’échapper à lui-même. Il ne regarde pas en face la réalité tragique de la condition humaine, ni la finalité qui peut donner le véritable sens à son existence. L’essentiel, c’est de cesser de se fuir dans le divertissement et de penser au salut de son âme.

Ce texte est un discours contre les libertins à la recherche du plaisir dans l’instant : Pascal est un ancien libertin, converti à un christianisme à l’exigence morale sévère.

b) 10 minutes de débat pour réagir à la thèse de Pascal :

  • S’échapper du présent, être à la poursuite du bonheur peut aussi être le bonheur.
  • Une contradiction est notée dans ce texte : Pascal souhaite que le présent soit une fin. Mais une fin est un projet, et le présent ne peut être projet.
  • Il y a une contradiction entre l’être et la pensée, une non-coïncidence. La pensée rate le présent, elle est toujours dans l’après-coup, ré-flexion.
  • La rencontre avec le présent se fait dans la sensation, le corps. Il y a conscience du présent dans le corps souffrant ou jouissant.
  • Ce texte est toujours d’actualité. Contrairement à la philosophie occidentale moderne (philosophie hédoniste ambiante du bien-être, du plaisir matérialiste, de la consommation), la philosophie orientale considère le présent comme la voie de la sagesse…
  1. Ecriture d’un texte en fonction de ce qui précède (Voir annexes sur “ Notre rapport au présent ”).
  2. Lecture de leur texte par les volontaires
  3. Brèves réactions à la séance :
  • Difficulté d’écrire un texte “ à chaud ” ; serait différent en différé.
  • Impression d’incapacité à traduire ses idées dans un texte.
  • Importance des textes d’auteurs comme support de réflexion.
  • L’écriture change le cours de la pensée, pose la pensée autrement.

ANNEXES : quelques textes de participants

Oui, Mesdames et Messieurs les Jurés, j’ai torturé le présent.

Pour avoir voulu l’accélérer, à la poursuite d’échéances scolaires, professionnelles ou personnelles,

Pour avoir voulu l’immobiliser, en sachant trop bien que certains instants étaient comptés et ne reviendraient plus.

Oui, j’ai mis le présent à mal mais je ne savais pas.

Je ne savais pas que présent veut dire rareté.

Je ne savais pas que présent veut dire intensité.

Je ne savais pas que présent veut dire éternité.

Et si aujourd’hui, je demande votre indulgence,

c’est sans doute qu’il me fallait en passer par là pour qu’enfin, ici, maintenant,

Le présent ait toute sa signification, et un peu de ma compréhension.

Nathalie

L’instant présent est déjà marqué par le passé ; lorsque nous y pensons le passé nous éclaire pour notre futur. Le futur pensé et de ce fait conscient est notre vie, notre présent, même notre « demain » qui est déjà là. Le présent est pour Blaise Pascal le seuil entre le passé et l’avenir. Ce seuil n’est-il pas le passage limite où nous passons d’un état à l’autre, sans couloir de no man’s land ? Une porte ouverte par où nous sommes dedans ou dehors. Ainsi le temps n’est pas la durée, il est mobilité, et notre esprit suit le mobile qui oscille entre le jour et la nuit, répétitif, d’un repère à l’autre sans changement. Notre esprit peut s’arrêter sur les différents repères et marquer l’instant des passages du mobile, mais le mobile n’a pas de lieu, ni d’espace. Dans « Orphée », Jean Cocteau dit que le temps est le découpage du présent et du futur. Le présent serait donc cette ligne invisible, qui change dans son immobilité (matin, soir, jour, nuit).Une seule goutte d’eau perle sur le roc, mais une successions des gouttes creuse le rocher .Notre condition humaine, devant cette porte ouverte, pose le dilemme pour vivre, « être ou ne pas être », et de là notre seule tentative depuis notre naissance est d’avancer, de vivre, de se projeter, d’espérer. La quête vers une satisfaction dans l’instant, tel qu’il est et qu’il vient, serait-ce cela être heureux, quand le roi se sait nu devant son royaume, et l’accepte? Cela rejoindrait un peu l’attitude des chamans et yogis, que l’on trouve dans les récits de l’Inde, sur leur chemin du nirvana? C’est être dans l’immobilité sans désir, sans espoir, dans une absence simulée. Je ne pense pas que le rapport avec le présent peut rendre heureux, mais le bonheur étant l’oiseau bleu qui s’agite devant nous, durant toute notre vie, nous le devons à l’envie de le poursuivre et d’essayer de le posséder. Et cela autant de fois successives que cette ligne du présent se déplacera.

Quant au présent, je viens de lire que Bergson prétend qu’il y a un arrêt virtuel, immobile, dans la mobilité de la course du temps. Anne-Marie de Backer

Le rapport de l’homme au présent

Le rapport de l’homme au temps, on l’a déjà vu, est tout à la fois essentiel, complexe et problématique, spécialement le rapport au présent. Il semble quasiment impossible de créditer la formule “ je suis dans le présent ” d’une validité sérieuse. Pourquoi ?

Parce qu’au moment où je l’aurai articulée, ce ne sera plus vrai si on se réfère à l’instant dont je parlais. Ce ne sera pas vrai non plus de cet instant d’où je parle, ne serait-ce qu’eu égard au temps qu’il faut pour dire. Il y a donc toujours un décalage entre “ l’état d’être ” qui se manifeste dans l’instant et la conscience que je peux concevoir/dire, qui est dans l’après coup.

Pourtant, il est indéniable que nous avons, hors de cette conscience réflexive, une autre conscience immédiate, qui nous fait sentir cette dimension de la contemporanéité. Mais dans ce cas là, peut-on vraiment encore parler de conscience, quand il s’agit par exemple d’avoir une réaction réflexe comme dans la conduite auto, ou dans le ressenti d’une douleur, dans l’action elle-même, le passage à l’acte ?

La conception de l’instant présent doit donc être à la fois donnée immédiate et construction réflexive, cette démarche de pensée abolissant elle-même le présent.

Quant à l’“ épaisseur ” prêtée au présent, il s’agit là d’une convention qui fonctionne tacitement entre les hommes, elle peut aller d’une fraction de seconde à un siècle, cette laxité témoignant de l’inessentialité du présent.

Encore une remarque sur la spécificité des différentes formes artistiques vis-à-vis du temps. Certaines productions sont amenées à persister dans leur état : la peinture, le cinéma, la sculpture, etc. d’autres se produisent dans l’ici et maintenant, on live : le théâtre, la danse, le concert. L’improvisation est le cas particulier où conception et exécution sont simultanés et livrés en direct au public.

Comme pour les catégories du passé et du futur, vis-à-vis du présent, les hommes sont en perpétuelle recherche dans des va et viens incessants, la position éthique étant peut-être de ne pas donner une prévalence exorbitante à l’une de ces dimensions, mais d’accepter la recherche, la tension, le paradoxe, et la mobilité.

Marcelle

Penser le rapport de l’homme au présent

Le présent existe-t-il ? Et que veut, voudrait dire pour le présent “ exister ” : être la seule réalité de fait, hors imagination, souvenir ou projection, ou une existence en pensée seulement, subjectivement consciente, socialement construite par convention culturelle? N’est-il déjà que passé ou avenir, fugace, volatile, inconsistant, insaisissable, illusion, en fait inexistant, car aussitôt mort que né ? Et d’ailleurs s’il n’est pas, est-il alors plutôt passé (un mort-né) ou avenir (un déjà là), car comment être en même temps les deux ? Est-il ce point (mais un point est-il du temps ou de l’espace ?), entre un avant et un après de la flèche (occidentale) du temps, nommé “ instant ” ? Est-il la vie contenue dans cet instant, sensation du corps souffrant ou jouissant, ou la conscience de cet instant, la suspension entre l’inspiration et l’expiration ? Et cet instant dure-t-il comme moment, et si oui combien de temps pour faire du présent : une seconde, unité de temps, une journée (le présent c’est le quotidien), un siècle (pour l’histoire, science du temps passé, le présent c’est le contemporain, histoire qui commence en 1914 !).

Par ailleurs, le présent, est-ce que nous le vivons ou le ratons ? Pour Pascal, alors qu’il nous appartient nous le ratons, obsédés par la quête d’un bonheur à venir par le divertissement. Mais qu’est ce que vivre le présent : ressentir les sensations du corps (le présent c’est la présence du corps, le corps présent), ou avoir conscience de ses sensations ? Peut-il y avoir présent sans conscience ? L’urgence du présent ne se nourrit-elle pas de temps forts, craintes et tremblements, élan amoureux, esthétique, spirituel ? Et quel doit être éthiquement, philosophiquement (sagesse), notre rapport au présent : quand on est malheureux, le fuir, par les bons souvenirs, l’imaginaire, l’espoir ou l’espérance, ou l’assumer comme indépassable de notre condition ? Ou s’y installer, temps suspendu, moment d’éternité, dans la saveur de “ l’être-là ”, où est perdue par symbiose la notion du temps : jouissance de vivre, contemplation, extase, sagesse hédoniste ou spirituelle ?

Bref, comment inventer notre rapport au présent dans la perspective de la sagesse, du bonheur ou du salut, c’est selon ?

Michel 5-02-05

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POLE PHILOSOPHIQUE

De l’Université Populaire de Septimanie (Cycle 2004-2005)

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES

Thème de l’année : le rapport de l’homme au temps.

SEANCE n° 6 du 05/03/05 (10h-12h)

(17 participants)

Thème de la séance : “ Qu’est-ce que le temps ?”

Michel : animation, reformulation ; Gérard : meneur de débat ; Mado : compte-rendu.

1) Travail sur un texte de SAINT AUGUSTIN (Confessions, 11, chap. 14)

Confrontation des interprétations des participants et éclairage. Il y a, comme nous l’avions déjà évoqué dès notre première séance, une difficulté à définir le temps, à le conceptualiser. Le temps semble une catégorie de la pensée qui peine à se laisser penser.

Pour certains, le texte est obsolète, car il est daté historiquement, n’intègre pas les connaissances scientifiques contemporaines. Le concept du temps est un concept d’époque, il dépend des connaissances scientifiques du moment.

Pour d’autres le texte est actuel par ses interrogations métaphysiques.

2) Discussion à partir du texte.

Passé et avenir sont du non-être, ils n’existent que présentifiés, rendus présents (par le souvenir ou le projet), présentement, car il n’y a d’existence réelle qu’au présent.

Le temps existe notamment par la parole, qui le nomme dans ses trois dimensions.

Le présent est d’ailleurs la condition d’énonciation d’une parole vive (alors que l’écrit est toujours passé). Toute parole orale qui dit le temps est au présent.

Il y a des pathologies où l’on ne vit que dans le présent : quelles conséquences pour une vie humaine que vivre dans l’oubli, ou sans le projet ? Le seul présent pourrait être une non-vie humaine.

Le temps semble être : mais existe-t-il ? Et qu’il soit ou ne soit pas, qu’est-il ?

Il y a difficulté à définir le temps parce que :

- d’un côté il a un aspect quantitatif, il est mesurable à l’échelle humaine.

Les faits, les évènements attestent de son existence. Il peut se compter. Il y a l’expérience spatiale des astronautes, la théorie de la relativité…

La condition humaine (naissance, vieillesse, mort) donne une échelle, une évaluation et une conscience du temps.

-D’un autre côté, la durée du temps est qualitative : temps élargi, allongé au cours d’une création artistique.

Il nous faudra approfondir la relation du temps à l’espace. Que signifie le “ décalage horaire ” ?

- Mais il est aussi et par ailleurs non mesurable : basculement permanent du temps, basculement de l’instant, basculement de la mort.

Le temps sans arrêt en mouvement est insaisissable et conduit au concept d’éternité, temps non mesurable et infini.

- Il y a par ailleurs une mystique du temps.

De l’interprétation du mot “éternité ” et de la répétition du mot “ être ” a surgit le mot “ DIEU ”.

L’éternité apparaît à l’homme fini et mortel comme un attribut de Dieu. Elle est difficile à penser pour celui-ci, parce qu’il n’est pas hors temps : elle semble liée à l’immensité, à l’infini.

Dieu dit : je suis celui qui est ………… C’est par excellence l’Etre

Il dit aussi : je suis le Verbe (Il le conjugue en première personne). Il se définit comme Parole

Certains contestent que l’on puisse être à la fois l’Etre, c’est-à-dire le tout, la totalité, la massivité, et la Parole, qui est non coïncidence avec soi, inadéquation…

Le temps doit être aussi pensé par rapport à l’Etre et au langage.

- Certains pensent que le temps est et n’est qu’une conception de l’esprit humain

Le temps est fabriqué par la mémoire (souvenir). Il est subjectif.

Il peut être une vue de l’esprit, une illusion, une création de l’esprit, une simple catégorie de la pensée sans existence ontologique (Kant).

3) Ecriture sur le temps.

4) Lecture de leur texte par les volontaires (voir textes en annexe).

5) Surprise avec l’arrivée à la fin de la séance d’un groupe d’enfants de l’atelier de philo animé par A. Delsol.

Moment très fort.

Les enfants nous ont fait part de leurs idées et réflexions sur le thème “ le rapport de l’homme au temps ”.

Sous une forme ludique, des dessins faits par un peintre qui assiste à l’atelier illustrent leurs cogitations qui sont proches de celles des adultes

Ce qui est remarquable c’est la conscience de leur responsabilité écologique quand à l ‘avenir de notre planète.

Les questions qu’ils ont (et nous ont) posées :

- Peut-on changer notre avenir ?

- Le temps est-il infini ? A-t-il une fin ?

- Peut-on penser son avenir ? Jusqu’où l’imagine-t-on ?

- Comment faire son avenir ?

- Le futur peut-il changer le présent et le présent le futur ?

- Est-on responsable de notre futur ?

- Les animaux peuvent-ils nous aider dans l’avenir ?

- Qu’est-ce que le temps ?

TEXTES

Le rapport au présent

Je ne crois pas à l’existence du présent.

Déjà il n’existe pas théoriquement, puisque chaque fraction de notre vie le détruit en devenant du passé.

Ensuite je ne vois pas pourquoi l’espérance du bonheur ne serait pas le bonheur (“ Ainsi nous ne vivons pas mais espérons de vivre ” dit Pascal).

Mais qu’appelle-t-on “ vivre ” ? Si on trouve la sérénité en espérant être heureux, et son équilibre en tirant des plans sur la comète, pourquoi pas ?

Personne ne peut indiquer à son voisin dans quelle direction il doit chercher le bonheur…

Lily

Le rapport de l’homme aux trois dimensions du temps

La notion de passé n’existe que quand je me souviens présentement ; celle d’avenir n’existe que lorsque je fais un projet dans l’instant. Le souvenir n’est là que comme une trace présente, le projet que comme l’image anticipée d’une trace, cette ébauche n’a pas encore de réalité. Seul le présent existe, parasité par la trace et la projection. Passé et avenir sont ainsi présentifiés par la parole et l’acte de penser.

Au présent je ne parle pas ce que je fais, exception faite du discours pédagogique et de la démonstration qui accompagnent l’action en cours, mais c’est une expérience passée réactualisée en vue de la transmission.

Quand je parle, le présent n’est qu’une béance, un manque me pousse à le combler par des mots qui deviennent automatiquement creux, donc ça rate, comme dans le même but convoquer le souvenir ou le projet

Le présent c’est à la fois la béance, le manque, l’angoisse, l’ennui, le vertige, mais aussi la béatitude, la jouissance, l’orgasme, la contemplation, la sérénité ; autant de situations positives et négatives qui ont à voir avec la notion d’éternité, car dans chacune de ces situations on perd la notion du temps.

Ces situations ont conduit l’homme à imaginer, en référence aux sensations positives, la notion de paradis et en référence aux négatives, l’enfer.

Pour donner du sens et finir de combler la béance, il ne lui restait plus qu’à imaginer Dieu !

Conclusion : le présent est vécu soit comme un trou, soit affreusement vide : l’enfer ; soit délicieusement plein : le paradis et la parole ne servirait qu’à tourner autour du trou pour savoir dans quel sens tourner !

Lili le 05 03 05

Le temps, c’est la sensation de la réalité de notre passage sur cette terre.

Le temps n’est rien qu’une manière de penser ou plutôt d’imaginer, l’imagination de la durée.

L’imagination du temps, c’est la matrice de toutes nos illusions.

La vie est essentiellement exigence de création, jaillissement continuel d’imprévisibles nouveautés.

Bergson dixit : c’est la durée réelle qui signifie à la fois continuité divisée et céation.

Le présent ne me fait jamais défaut, le présent seul est réel, le présent seul nous est donné.

Jean-Claude

Devant le mystère de l’éternité, notre conscience nous interpelle et veut obtenir une réponse pour, entre autres, justifier notre existence.

L’éternité, c’est le toujours présent de ce qui dure et change. Alors, à quoi bon l’attendre ou l’espérer ? Vous êtes dans le Royaume : l’Eternité, c’est maintenant.

Il faut définit l’authenticité de la vie au présent, et ne pas s’enfermer dans la nostalgie du passé ou l’espérance gratuite en l’avenir.

Il faut essayer d’échapper à l’énorme responsabilité en l’existence, qui nous conduit au destin, et s’engager vers l’aventure d’une existence tendue vers l’infini.

Le rêve d’une éternité heureuse, qui subsiste dans l’homme à côté du bonheur, n’est pas une aberration : notre conscience se pose toujours les grandes questions pour justifier notre existence.

Jean-Claude

Qu’est-ce que le temps ?

Le temps est une création de l’esprit humain.

Se poser cette question est une expression individuelle du “ Je ”.

Dire que Saint-Augustin s’approche de l’universalité, d’un texte d’une grande modernité, c’est faire fi de la période-temps (historicité), du temps qui passe et de la pensée du temps qui évolue.

Le temps qui passe n’existe pas, et pourtant il est là, vécu comme une obssession.

Jean-Claude Mancione

Qu’est-ce que le temps ?

Maintes fois j’ai pensé que le temps me poursuivait, je ne le voyais pas mais je me hâtais.
J’ai essayé de rattraper le temps, il m’échappait sans cesse.
J’ai pensé : « Où est passé le temps ? Je l’ai habillé de très belles choses…et ce temps m‘a dit : « je ne suis que les habits, je ne suis que les choses étalées ”.
J’ai cherché le temps au loin, dans un autre pays, « là il n’est pas le même  » pensais-je. Cependant je n’y ai su compter que les heures, les jours, les mois, les saisons, ce rythme biologique qui amorce un changement de tout être. Et être n’existe que dans notre raison, cette pensée où raison est.
Déjà dans le passé immédiat. « Si le temps est le fait d’être, seul Dieu a dit : Je suis Celui qui est, sans commencement et sans fin ”.

Le temps serait donc l’Etre, qui porte l’inclinaison, et qui mêle le passé au présent, le présent au futur, et fond le futur dans le toujours »(Montaigne).
Le temps est la préface à l’éternel. L’homme a mis ces repères selon les cycles et rythmes de sa propre vie. Le temps est donc le mouvement, le changement, la vie. La mesure en est pensée et comptée par l’homme.
Anne-Marie

Qu’est-ce que le temps ?

Cette question appelle une conceptualisation du temps, une définition de son essence. Mais peut-on penser le temps sur le mode de la conceptualisation ?

Difficile, car la temporalité est une dimension constitutive de la pensée humaine à au moins quatre points de vue différents, voire opposés. Il semble que le temps soit plutôt (ou si c’est simultanément, comment ?) un contenant, un contenu et un constituant :

  • on est dedans, comme s’il nous contenait, cadre réel de notre expérience (il nous précédait et nous survivra) ; car il est difficile en occident de ne pas situer ce qui (nous) arrive dans un temps (et un espace) objectif (s). Il serait alors une substance réelle, la matrice d’un monde spatio-temporel, existant en soi et sans moi, comme étoffe du monde…
  • on l’a (ou pas), comme si on en détenait (capital ou ressource) ou en manquait, (contrainte) ; il est alors comme un bien objectif, une quantité disponible ou rare à manipuler ?
  • on l’est, on est temporalité, comme s’il était une dimension de notre existence, son rythme. Le temps est alors ce vécu subjectif, qualitatif, durée et tonalité de nos affects, par exemple dans le regret psychologique ou le remords éthique, l’ennui, l’attente et l’impatience, le projet… La difficulté ici est de conceptualiser un vécu. Car conceptualiser, c’est notamment catégoriser : mais comment catégoriser, c’est-à-dire, isoler, séparer, dans le qualitatif d’un flux ?
  • A moins qu’il ne soit seulement une catégorie de la pensée qui permet de penser le monde et soi-même…Ici la pensée pense le temps comme l’une de ses catégories, une de ses conditions de possibilité, le cadre purement humain de notre perception, sans existence objective (ce à travers quoi nous percevons le réel) ?

On peut aussi tenter de le penser par son contraire, l’éternité, dont certains disent qu’elle est un attribut de Dieu. Mais c’est plutôt l’éternité qu’on pense à travers la catégorie du temps : elle ne “ dure ” pas, et n’a “ ni commencement ni fin ”. Dire qu’elle est hors-temps (ou un “ temps infini ”) nous renvoie à la définition du temps. Et donc qu’est-ce que le temps ?

Michel 5-03-05

Qu’est-ce que le temps ?

Il est défini par trois modes : passé, présent, futur. Mais au moment où je parle c’est déjà du passé.

Le temps n’existe que parce qu’il y a une notion d’éternité, dans la vie, qui nous dérange. Comme la mort.

Indéfinissable, ce terme trouve une cohésion dans l’esprit des croyants qui l’assimilent à Dieu.

Je ne crois pas en Dieu : que fais-je donc dans ce débat ?

Le temps n’existe pas, il n’est qu’une vue de l’esprit, une illusion, un artifice : une bonne thématique pour un débat philo…

J’essaye de vivre : est-ce cela le présent ?

Je ne veux pas avoir de passé, je n’ai plus de passé et mon avenir est juste la seconde chronométrée qui suit ce travail d’écriture.

Je ne suis pas malade.

Il faut cesser de marier philo et Dieu. La philo, c’est la capacité d’étonnement absolu pour chacun de nous. Je n’ai pas besoin de chercher un sens à toutes ces questions : la réalité ne me gêne pas.

Elisabeth

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POLE PHILOSOPHIQUE

De l’Université Populaire de Septimanie (Cycle 2004-2005)

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES

Thème de l’année : le rapport de l’homme au temps.

SEANCE n° 7 du 16/04/05 (10h-12h)

(19 participants)

Thème de la séance : « Qu’est-ce que le temps ?» (2)

Michel : animation, reformulation ; Nathalie : présidente de séance ; Alain : compte-rendu.

1) Travail sur un texte de BERGSON (L’évolution créatrice, 1907, chap. 4, Paris, PUF, 1963, EDIT. du Centenaire, P. 784-785) : débat d’interprétation (1) puis discussion (2). Synthèse d’Alain Delsol.

Le temps-longueur, le temps-invention, voilà les deux concepts sur lesquels le texte de Bergson nous propose de réfléchir. Le temps longueur serait celui du flux du réel qui se déroule comme une suite d’images dont notre esprit ne pourrait que prélever quelques instantanés. Le temps-longueur pourrait se définir ainsi : c’est celui de l’espace objectif, du quantitatif, du physique que l’on peut analyser découper et reproduire à l’infini, c’est la seconde qui est égale exactement à toutes les autres secondes qui l’ont précédée ou lui succèderont dans la « flèche du temps ». Le temps-invention pourrait se définir ainsi : c’est celui de l’espace subjectif, du qualitatif, du psychologique, des secondes qui nous paraissent parfois passer trop vite ou inversement, c’est le temps qui invite à l’invention et la création.

Les premières impressions du groupe à l’égard du texte de H. Bergson (extrait de l’ouvrage « L’Evolution créatrice », 1927, chapitre IV, Paris : PUF) furent de trouver ce passage ardu et difficile à expliquer. La problématique de l’atelier pour l’année en cours étant d’aborder la question du temps par rapport à soi-même, comment concilier ces deux concepts dans notre problématique ? Certains membres du groupe rappellent que Bergson, contemporain de Einstein et de Freud, a échangé ses points de vue avec le premier auteur mais pas avec le second. Est-ce que cette opposition conceptuelle qui prend appui sur la théorie de la relativité et occulte celle de l’inconscient reste pertinente ? Une discussion s’ensuit à la fois pour tenter d’expliciter le texte et pour essayer d’en faire la critique toujours avec l’esprit de reformuler ce travail dans le fil de notre problématique : qu’est-ce que le temps pour nous ?

Première partie (interprétation) : interrogation sur la métaphore du temps interprétée comme un mouvement cinématographique. Evoquer un temps physique, un temps objectif c’est chercher à définir quelque chose qui nous est extérieur, comparable avec la notion d’une flèche du temps pointant vers un futur. Pourquoi Bergson adjoint-il à l’intelligence la notion d’intuition ? On comprend la relation entre l’intelligence et la raison lorsqu’on appréhende le concept de temps-longueur. Le temps de la physique qui est quantifiable est opératoire et utile pour prédire scientifiquement l’avenir, et comparer des outils invariants. On comprend ce lien avec la conscience, laquelle appelle une décentration de la part du sujet. Si un individu ne se dédouble pas, comment pourrait-il prendre conscience et avoir une conscience agissante ? C’est ce processus qui permet l’observation, l’analyse et l’étude de phénomène. Mais pourquoi cette idée bergsonienne que l’approche de la complexité puisse gagner quelque chose avec cette notion du temps inventé, qu’est-ce que le temps inventé ? Beaucoup d’interlocuteurs n’arrivent pas à saisir le lien entre l’invention, la créativité et la relation au temps.

Deuxième partie (discussion entre participants) : oppositions entre différentes propositions pour comprendre cette notion du temps-inventé : serait-ce celui de la musique à la fois découpé en mesure mais dépendant du créateur (compositeur ou chef d’orchestre ou du mélomane). N’est- ce pas la même chose dans les autres arts ? Q’u’il s’agisse de la littérature, de la peinture, nous avons souvent un rapport au temps différent de celui de l’horloge… Au fil de ce questionnement, on s’interroge pour comprendre comment est-on passé du temps de la physique classique, celui des positivistes à celui de l’approche actuelle ? Retour à Einstein avec lequel s’entretenait Bergson : l’aspect mécanique d’un temps horloger a laissé place à celui du rapport complexe que le temps entretient avec l’espace et les étranges paradoxes auxquels il conduit, par exemple les fameux « jumeaux, l’un reste sur terre, l’autre part un laps de temps dans l’Univers à une vitesse proche de celle de la lumière. Au bout de ce laps de temps, celui qui est resté sur Terre est très vieux tandis que celui parti dans l’univers n’a vieilli que de quelques secondes ! » Ce serait cette nouvelle approche du temps qui aurait pu conduire le philosophe à ne plus penser de la même façon le temps car selon l’espace de nouvelles transformations apparaissent, ce qui va introduire de nouvelles corrélations entre le concept de temps et le concept de conscience. Ainsi, la physique moderne pourrait nous rapprocher d’une autre conception du temps : le temps-invention. Mais, alors comment pourrait-on encore parler de raison, de conscience, s’il n’y a plus de dédoublement de la part du sujet entre ce qu’il observe et le phénomène observé ? Si le sujet reste englobé dans le phénomène, l’absence de décalage, de mise à distance entre la chose et la pensée permet-elle encore un sujet conscient de sa propre pensée ? Un questionnement s’ouvre de nouveau sans apporter de réelles réponses : comment articuler cette nouvelle notion de Bergson « temps-invention » accessible par l’intuition opposée à l’intelligence discursive avec la prise de conscience nécessaire pour devenir un être pensant ?

2) Ecriture sur « le rapport de l’homme au temps ».

3) Lecture de leur texte par les volontaires (voir quelques textes communiqués en annexe).

TEXTES

Dépêche-toi, je t’attends, pas si vite, c’est trop tôt !

Réveils, montres, chronomètres….

Dès l’enfance, il semble que nous soyons tirés, poussés, malmenés pour tenter de nous faire rentrer dans ce moule-temps, ce temps étalon qui décidément paraît rarement coïncider avec notre propre rythme.

A vouloir lui résister, on en devient marginal.

A s’y fondre totalement, on en devient robot.

La gestion de cette oscillation permanente entre temps objectif et temps subjectif s’appelle Art de Vivre.

Nathalie 16-04-05

Temps-longueur et temps-création

Question abordée à partir de l’art :

  • il y a le temps matériellement nécessaire pour réaliser l’œuvre (la composition, la durée d’élaboration). Cela nous est imposé par le temps-longueur ;
  • et le subjectif, le temps-création, celui de la contemplation, de l’écoute, du rêve, devant l’objet unique, inexprimable, de tout ce que l’homme ne peut quantifier, instituer en catégories. Le pouvoir de réfléchir (sur) un objet et de le projeter vers l’infini…

Jean-Claude

Le temps du cadran corsette mes jours et mon souffle se cherche des bulles, entre les baleines qui piquent.

Marion

COMMENT ARTICULER LE TEMPS DE LA SCIENCE AVEC MA VIE ?

Dans le Temps quantifié par la science, il y a le jour et la nuit.

La nuit, le noir, comme le néant, quand je dors, le temps passe et je ne le sais pas, même quand je rêve en dormant (mon père disait souvent : « Qui dort est mort. », et « Dormir est perte de temps. »). Il est vrai que si je dors je ne sais si je me réveillerai encore, et je m’aperçois de l’heure qu’il est sur ma montre en ouvrant mes yeux. Le sommeil serait-il un temps de no man’s land où l’espèce vivante se trouve seule avec elle-même hors conscience, dans une situation d’étant où l’autre est exclu ?

Le jour, avec sa clarté, sa lumière qui invite à la mobilité, c’est le temps de travail, de se nourrir, le temps des loisirs, le temps d’aimer, c’est donc le temps où l’on vit.

Dans ce roulis du jour vers la nuit, le temps se fait blanc, se fait noir, comme le ying et le yang, le pour ou son contraire, la mobilité et le repos. Mais je vis avec les deux et parce qu’il y a les deux (si je ne dormais jamais j’en mourais, et si je dormais sans interruption je serais comme morte, car je ne saurais pas que je suis vivante). Je veux faire durer ce temps d’éveil et je m’organise. Puis je m’exécute, d’abord selon la nécessité vitale, et d’après mes préférences pour me personnaliser l’existence. Les besoins biologiques, boire et manger etc., deviennent rythmés aux mêmes heures. Je suis imbriquée au milieu de cette chaîne du temps que forment le jour et la nuit, j’aimerais qu’elle se rallonge mais je suis tiraillé sans cesse du jour vers la nuit. Le balancier du temps répète inlassablement : « Oui – non. Je viens, je pars », et si j’osais mieux l’écouter, je l’entendrais dire « je t’attends …».

Je n’ai pas envie de l’écouter. J’ai encore trop à faire

Anne-Marie DE BACKER

Temps-longueur et temps-création

- Temps-longueur, temps objectif de la physique, spatialisé et fléché, succession de points dans l’espace, enchaînements d’instants immobiles, photographiques pour rendre compte du mouvement uniforme, temps homogène où chaque seconde se ressemble et passe à la même vitesse, quantifié, quantifiable et mesurable, mathématique, froid et sans aucune sensation (« La science est l’idéologie de la disparition du sujet » dit Lacan).

J’y suis dedans, prisonnier de son irréversibilité, comme dans un destin menant inéluctablement vers la mort. Sans prise sur lui, je ne peux changer son allure, l’accélérer ni le ralentir. Il me transporte, et me trépasse.

Ce temps des horloges est pourtant, par son impassibilité même et sa rigueur, celui de la connaissance, de l’intelligence rationnelle : par lui je peux situer, dater un événement passé, reconstituer une chronologie, il est la condition de possibilité de l’établissement de l’histoire du monde, de la vie, des hommes. C’est le temps socialement partageable, identique pour tous : fiable, il me permet de fixer un rendez-vous, de vivre la ponctualité comme une vertu et un respect. Il permet de comparer des performances de sportifs, de juger d’une efficacité technique, d’une rentabilité économique. Devant l’incertitude subjective de l’avenir, il permet de prévoir le futur, en s’appuyant sur les lois naturelles : on peut prédire le moment exact d’une éclipse cent ans avant ! Il est la base de la balistique spatiale, de la programmation scientifique. Le savoir de ce temps est un pouvoir pour l’homme…

Temps-longueur, impuissance pour mon remords ou mon ennui, puissance pour ma connaissance !

- Temps subjectif de ma conscience, élastique, plus ou mois lent ou rapide, plus ou moins intense. Temps de la mémoire amère (le regret), apaisée (le repentir) ou euphorisante (ce merveilleux souvenir) ; instant de souffrance ou d’extase ; temps du désir, du projet, de la volonté, qui me constituent comme liberté à faire advenir. Temps de la sensibilité et de l’imaginaire, qualitatif, flux de la durée, hétérogène, propre à chaque individu original, singulier, irréductible : temps-création.

Quand je suis dans le temps, j’ai (ou je n’ai pas) le temps. Le temps est un avoir, un capital-temps. Et si je suis temporalité, le temps est la dimension de mon être : je suis plus ou moins heureux.

Au fond le temps est un capital objectif à faire fructifier subjectivement.

Michel 16-04-05

Qu’est-ce que le temps ?

  • Le temps serait une fiction, dans le sens où c’est un pur produit de la pensée.
  • C’est dans la conception Kantienne une des catégories a priori de la pensée, qui résiste à se laisser penser. « Si personne ne me demande ce qu’est le temps, je le sais, mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus », dit Saint augustin dans les Confessions.
  • On utilise volontiers l’artifice de la métaphore spatiale pour représenter la marche du temps : aiguilles qui tournent sur le cadrant de la montre, ombre qui tourne sur le cadrant solaire.
  • Le temps est mouvement : de l’eau qui passe sous les ponts ! La danse et la musique travaillent précisément le tempo. La parole, plus encore et à plusieurs égards, est dans la dimension temporelle. Ne parle-t-on pas de période d’un discours ? Ponctuation et modulation de la voix organisent le rythme de la phrase.
  • Le langage de manière générale est intimement lié à la temporalité :

. car les mots ont une histoire ;

. par la conjugaison des verbes ;

. par les locutions spécifiques : avant, après, maintenant, etc. ;

. chaque phrase est bâtie en elle-même comme une séquence temporelle : avec anticipation du sens dès le début de l’énoncé, et balayage arrière pour la vérification du sens quand la phrase se clôture ;

. enfin, c’est par l’opposition avec le concept d’éternité que l’on évoque ce quelque cette chose qui passe, qui est corruptible, marqué par la castration et l’entropie.

En conclusion il est curieux de remarquer que si les hommes sont assez en peine pour définir ce qu’est le temps, ils ont pourtant beaucoup de ressources pour le représenter.

Marcelle, 03-05

Mon rapport au temps durant ma vie professionnelle était à la fois du « au jour le jour » et du souci du lendemain, suivant l’état de stress, d’inquiétude, de bien être, les incertitudes etc. Aujourd’hui, la retraite, l’âge font que j’ai conscience du temps qu’il me reste à vivre. Mon désir à l’heure actuelle est d’apprécier ce temps au mieux, et de tendre vers la sérénité : en gérant ce temps.

En prenant le temps. Viviane Octobre 2004

Mr Cro-Magnon,

J’aurais bien aimé vous dire que, de votre temps à nos jours, l’évolution de notre espèce ne nous a apporté que des bienfaits. Malheureusement, j’ai le sentiment que je me trouve dans la même situation que vous dans ma recherche d’une vie meilleure. Et je crains fort pour mes descendants la rencontre de difficultés identiques. De ce fait, la notion de temps me semble dérisoire et inutile. Désolée si je vous parais pessimiste, mais peut être pourrez-vous me donner votre avis dans votre prochain courrier, cela me permettra peut être de réviser mon point de vue.

Dans cette attente, veuillez accepter mes encouragements avec mon bon souvenir.

Viviane, novembre 2004

Le temps est tel une fiction, c’est le film de ma vie : le temps passé projeté dans le temps présent et dont je ne peux pas écrire le mot FIN dans le temps à venir.

Viviane, mars 2005

Espoir et crainte, désir et volonté, instant et éternité

L’espoir et la crainte sont toujours au présent. Mais impossible de les vivre et difficile de les penser sans rapport à l’avenir. Ils colorent l’attente comme le blanc et le noir, l’optimisme et le pessimisme. Ce sont les enfants du désir, qui cherchent à être satisfait et redoutent de ne l’être point. Le désir est néguentropique, car il est créateur d’un investissement qui engendre l’espoir, et du même mouvement la crainte. Il donne forme au chaos au travers de ses pulsions. La liberté, plus consciente, en fait de même par la volonté du projet. La déception, c’est de l’espoir au passé, et de la crainte réalisée.

Il ne devrait y avoir ni crainte, et pas même d’espoir (et y a-t-il donc encore du désir, voire de la liberté ?), dans l’instant vécu comme tel, qui n’anticipe ni n’attend. Cette ataraxie (philosophiquement immanente), qui suspend le désir par volonté stoïcienne, ou le réalise par fusion chrétienne dans l’amour divin, ou par lâcher-prise bouddhique, est une expérience d’atemporalité. Celle de l’éternité ? Car l’instant, dans son être-là-pour-l’homme, est la métaphore de l’éternité. Métaphore seulement, car l’éternité EST, on ne peut même pas dire qu’elle demeure, car elle est hors temps, alors que moi je passe (et trépasse), je ne fais que (provisoirement) durer. Que pourrait désirer ou vouloir l’éternité, puisqu’elle n’a même pas le temps pour réaliser, espérer ou craindre, et même pas le désespoir d’en finir ? Et pourtant, comment penser un Dieu éternel sans toute puissance, certes sans désir du manque, mais à la volonté réalisée ? Et sans omni présence immanente à sa transcendance?

Michel, 03-05

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POLE PHILOSOPHIQUE

De l’Université Populaire de Septimanie (Cycle 2004-2005)

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES

Thème de l’année : le rapport de l’homme au temps.

SEANCE n° 8 du 14/05/05 (10h-12h)

(15 participants)

Thème de la séance : Gérer le temps – Gérer mon temps

Président de séance : Francis ; synthétiseuse : Marcelle ; animateur : Michel T.

C’est Michel D. qui introduit la séance :

« Gérer son temps pour gagner du temps, mais quel temps ?

  • du temps-argent, celui qui régit la productivité, le retour sur investissements, la masse salariale, celui que l’on a appelé « la denrée-temps » ?
  • du temps de vie, celui qui nous permet de rester jeune, de vivre sans penser à nos articulations ?
  • du temps plaisir, celui que l’on consacre à ses enfants, ses amis, ses passions ?
  • du temps-expérience, celui qui capitalise le savoir, qui permet de mieux appréhender la vie, celui qui fait que l’on voudrait être vieux avant que d’être jeune ?

La gestion du temps est à l’origine un concept d’entreprise, un concept managérial qui évolue (avec le temps!) vers un objectif relationnel : bien gérer son temps c’est être plus disponible, un objectif de bien-être : moins fatigué, moins stressé, tout en gardant le but initial, être plus efficace pour gagner du temps ; car le temps c’est de l’argent.

Cette évolution est en elle-même révélatrice du comportement humain. D’une gestion initiale d’un temps objectif (gérer les heures, les minutes pour raccourcir les délais de livraison, rentabiliser chaque poste de travail…), on est passé à une volonté de gérer le temps subjectif. L’homme, par cette manœuvre, tente de s’approprier le temps en le rendant porteur des ses symboles et de ses valeurs (valeur-expérience, valeur-plaisir..), pour se faire croire qu’il ne le subit plus puisqu’il le gère !

La gestion du temps n’est pour moi que la culture de son propre rapport au temps et aux autres. Savoir être lent pour accomplir une tâche plus vite, savoir dire non pour préserver son temps disponible (chasser les voleurs de temps : les collègues, les réunions…), savoir à quelles heures on est le plus efficace (la chronodynamie ).

En conclusion c’est une méthode pour avoir plus de temps pour son essentiel donc pour vivre mieux ».

Marcelle fait la synthèse du débat qui a suivi :

« Essentiellement deux pistes ont été ouvertes : celle de la nécessaire maîtrise du temps et celle non moins nécessaire de la déprise.

1) Gérer son temps pour ne pas se laisser manger par lui. On retrouve là le mythe de Chronos qui dévorait ses enfants, jusqu’au jour où grâce à un subterfuge, un de ses fils Zeus, le chassa vers l’Italie. Là, Chronos ayant trouvé son maître, pacifié, installa l’âge d’or.

L’exposé préliminaire de Michel était une réflexion pour rationaliser la gestion du temps, Faire sa part aux différents emplois de son temps : temps managérial (le temps, c’est de l’argent), à l’optimisation de son espérance de vie, au temps du plaisir, à l’exploitation de l’expérience acquise.

Il s’avère que ce n’est pas la précipitation qui peut aider à gagner du temps, mais plutôt qu’il faut savoir prendre le temps de la réflexion pour discerner où est l’essentiel, savoir faire des choix, savoir dire non. Cette gestion rationnelle, purement managériale au départ, en vient à privilégier la valeur relationnelle et humaine, la connaissance de soi et des autres.

Une partie du débat a très largement exploité et complété ces pistes ouvertes.

Plusieurs personnes ont parlé des changements opérés par la cessation de l’activité professionnelle, c’est-à-dire par la diminution de la part du temps contraint au bénéfice du temps choisi, et par la prise en compte du fait que le temps à vivre est forcement moindre que le temps déjà vécu. Il semble qu’alors le temps relationnel (relation avec soi-même et avec les autres) prenne plus de valeur. Cesser son activité salariale n’est pas se retirer de la société comme le suggèrerait le terme de « retraité » !

Une part du débat à porté sur la dialectique qui existe entre contrainte et liberté en matière d’organisation du temps. Un patron, organisateur du temps des autres n’est pas forcément plus disponible que son employé, qui se contente d’exécuter sans avoir à prévoir le devenir de l’entreprise. Ce ne sont pas toujours les événements ou les autres qui grèvent notre liberté, Nous nous rendons souvent prisonniers d’un stress infondé. A l’inverse dans des situations de forte contrainte, une marge de liberté peut être retrouvée.

2) A côté de la maîtrise du temps est apparue la nécessité de la « déprise ».

Il y a le temps de l’urgence où « le temps s’accélère » : il faut savoir laisser opérer les réactions réflexes qui elles sont quasiment instantanées. A l’inverse il faut parfois laisser la possibilité aux choses, aux idées, aux personnes de mûrir en prenant leur temps.

Il y a des moments où il faut être présent au présent, donner sa présence à l’autre ou jouir de l’instant.

Il y a le moment de décider où de conclure sans se perdre dans les hésitations.

Il y a le temps du désir qui se dissocie du temps chronologique.

Il y a les opportunités à savoir saisir au vol. C’est la notion grecque de kaïros.

En conclusion nous avons repéré les enjeux que renferme l’utilisation de notre temps. Responsabilité et liberté se trouvent noués, souvent corrélés au sentiment de culpabilité car nous savons notre temps compté, sans pour autant en connaître le compte, mais nous souhaiterions que le bilan fasse apparaître une bonne utilisation de ce capital temps ».

TEXTES

Gérer mon temps

Le temps quotidien nous est donné, et il est vierge au départ. Dans une organisation sociale traditionnelle, nous avons une gestion imposée par le programme de travail prescrit, le fameux planning, et surtout par la modernité, avec tous ses impératifs de rentabilité.

Au temps e la retraite, il y a une grande souplesse, un éventail important de possibles : à nous de choisir !

Mais la notion de responsabilité persiste : on ne peut pas employer ce temps (qui nous est donné), sans le déterminer par une motivation, un intérêt pour nous et pour autrui.

Jean-Claude 14-05-05

Gérer mon temps?

Je ne le gère pas, il me gère et me digère. Le choix, la liberté de maîtriser le temps, ce n’est pas le luxe du retraité (beaucoup de retraités s’ennuient ou sont stressés), c’est le luxe du sage. Or, je n’ai pas atteint cette sagesse. Pourtant ma jeunesse a été baignée par l’idéologie post soixante-huitarde (hippie. Moustaki: « Nous prendrons le temps de vivre »). Mais je n’ai jamais su goûter le bonheur de ne rien faire.

Gérer le temps

Est-ce une question politique? Certainement, puisque, la liberté, le choix de gérer son temps et surtout celui des autres est l’apanage du pouvoir. Mais est-ce si simple? Comment interpréter l’échec (très relatif) des 35 heures (c’est plutôt un succès mais pas pour tout le monde)?

Avoir du temps peut faire peur. Mais le temps, c’est aussi la liberté. Tout cela renvoie à une capacité individuelle de goûter l’instant, sans souci de responsabilité, d’efficacité, de culpabilité. On n’est pas très loin du KAIROS.

Francis, 14-05-05

Oui je gère mon temps pour moi, oui mon objectif est de trouver du temps pour ce que je veux faire, pour ce que j’aime et pour ceux que j’aime. Ce temps plaisir m’oblige à discipline et rigueur ; mais en m’imposant ces contraintes, je me rends disponible pour moi et pour les autres.

Prendre le temps c’est ne pas se laisser prendre par lui, c’est bonifier chaque parcelle de temps choisi, de temps voulu pour réduire le plus possible le temps subi.

Mais je risque de paraître alors comme un égoïste, est ce un droit de s’arroger la qualité de son temps ?

Oui si je pense à mes devoirs, oui si je n’oublie pas les autres, oui si je me rends disponible, oui si je ne perds pas en route les règles sociales et les valeurs humaines, oui si je transforme mon capital-temps gagné en capital générosité. Le retour sur investissements doit être en priorité pour les autres.

Michel D., 14-05-06

Gérer mon temps, gérer le temps

Mon premier souci, lors de ma « cessation d’activité », a été de « casser » le temps, c’est-à-dire le temps auquel j’ai été longtemps soumise.

Mon temps actuel, je le gère, dans la mesure du possible, en fonction de mes goûts, de mes désirs.

En même temps la logique me fait prendre conscience, parfois douloureusement, que le temps à vivre se raccourcit.

Je m’applique donc à ne plus considérer le temps comme « années à venir », mais à le ramener en « temps-minute », c’est-à-dire au temps présent, et à savourer cette extraordinaire jouissance à être, ici et maintenant.

Andrée, 14-05-05

Gérer mon temps, c’est tenter, en acteur rationnel, d’utiliser mon capital-temps objectif (les journées ont et n’ont que 24 heures) de façon la plus épanouissante pour moi. C’est-à-dire, à la façon de Bentham de « l’arithmétique des plaisirs, » en minimisant en temps et énergie ses-les-mes contraintes (Ah les copies à corriger !), et en maximisant le temps et la jouissance de ses-des-de mes ressources. C’est chercher, en décideur de ma vie, la meilleure combinaison (Leibniz dirait la meilleure « compossibilité »), entre mon activité professionnelle d’enseignement et de recherche et ma vie personnelle, familiale ou non. Arriver à être bien dans chaque situation, sans avoir à me dire : « Je pourrais ou devrais être maintenant ailleurs ou faire plutôt autre chose », réaction qui alimente souvent l’insatisfaction ou la culpabilité (On connaît bien la réaction d’une femme qui travaille et se dit qu’elle ne s’occupe pas assez de ses enfants, ou d’une mère qui regrette de ne pas consacrer plus de temps à sa carrière ou à elle-même). Au fond, explorer l’articulation entre la plénitude de l’instant savouré, qui vaut en soi et pour soi, comme une perle dans son écrin, avec la planification de ce qui est important pour moi, et ne pourrait s’actualiser sans savoir anticiper et trier l’essentiel de l’accessoire, ou l’urgent du « peut attendre ». Ce qui m’aide, c’est par exemple, alors que ce pourrait être un poids, la porosité entre temps professionnel et personnel, dans la mesure où la passion pour la recherche en efface la frontière (c’est l’intérêt d’aimer son travail), mais de plus en plus le ressenti théorisé que le temps qui reste m’est objectivement compté, et que ce serait dommage, autant que le pouvoir sur ma vie le peut, de le perdre en le gâchant.

J’ai bien conscience de considérer et vivre ici le temps de la modernité, celui du temps grandeur qui a une valeur économique comme avoir à faire fructifier, avec un « retour sur investissement » pour mon « économie psychique », soucieux d’une utilité personnelle et/ou sociale (d’une rentabilité), et d’une efficacité gratifiante par rapport aux objectifs poursuivis.

Mais il y a des avantages non négligeables à la planification : c’est parce que j’organise à un an et demi mon emploi du temps professionnel, où une bonne partie du temps dépend de mes décisions, que devient possible la compossibilité successive d’activités pour moi motivantes. Je programme donc le plaisir ou la joie escomptée.

La limite de ce type de fonctionnement, c’est l’indisponibilité à la divine surprise, le plaisir découvert, et non recherché, le temps qui apparaît détourné ou volé du point de vue de l’organisation, mais qui est offert par le kairos, l’opportunité qui se présente, par définition imprévisible, mais délicieuse.

Le rêve serait de pouvoir concilier la programmation, l’organisation de ses satisfactions escomptées avec le plaisir de l’occasion liée à la main tendue du hasard, à l’heureux étonnement de la fortuité. Mais tenter d’articuler maîtrise et déprise, mise en forme de sa vie et accueil de l’imprévisible, c’est encore essayer d’organiser et de s’organiser, y compris dans le lâcher-prise : l’homme de la modernité occidentale ne se débarrasse pas si facilement de son petit moi, qui vise la rentabilité hédoniste du temps, et l’efficacité de l’action pour y parvenir…

Michel 14-05-05

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POLE PHILOSOPHIQUE

de l’Université Populaire de Septimanie (Cycle 2004 – 2005)

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES

Thème de l’année : Le rapport de l’homme au temps

SEANCE n° 9 du 4/06/05 (10h-12h)

(11 participants)

Il s’agissait de faire le bilan de l’année 2004-2005, et des propositions pour 2004-2005.

Il ressort de l’ensemble des remarques sur le jour (samedi), l’heure (10h), la durée (2h), que l’atelier se déroulera en 2004-2005 le samedi de 10h à 12h15, avec une pause de 5’ en cours de séance.

Accord sur le parti-pris pédagogique et philosophique d’articuler discussions, textes et écriture de textes, même si tel ou tel d’entre-nous se sent plus ou moins à l’aise dans tel ou tel type d’activité.

Les discussions sont satisfaisantes. Le texte doit être court, accessible, il « monte le niveau », en développant des idées nouvelles ; il faudrait l’avoir avant la séance pour y réfléchir. Le temps d’écriture est souvent trop court. Peut-être ne pas avoir systématiquement les trois activités à chaque séance. La répartition à chaque séance de rôles de président et secrétaire de séance est formative.

Le climat est serein et sérieux, on est en confiance.

Un participant à l’atelier, ou un intervenant extérieur pourrait parfois introduire le sujet.

Travailler l’équilibre entre un lieu pour se raconter, qui ancre la réflexion dans le vécu, le concret, l’affectif, le « marquant », et un lieu de réflexion, qui élabore rationnellement des idées à prétention générale, et même universelle.

Il est décidé de poursuivre sur le thème du rapport de l’homme au temps, qui n’est manifestement pas épuisé au bout d’un an et demande approfondissement !

Suggestion de pistes : le temps de l’inconscient (introduction de Marcelle) ; le moment opportun (Kaïros) ; le rapport du temps à l’espace ; ce qui marque le temps et subsiste : la trace ; notre responsabilité vis-à-vis du futur (cf le philosophe Jonas) ; la présence ; la question de l’origine, par exemple le péché originel (et de la fin ?) ; les moments du temps hors temps…

CALENDRIER

Début de l’atelier : samedi 15 octobre à 10h au club Léo Lagrange.

Ensuite les samedis : 5 novembre, 10 décembre, 21 janvier, 11 février, 11 mars, 15 avril, 13 mai, 10 juin.

TEXTES

Vivre un Atelier Philo?
Depuis ma jeunesse où j’avais eu des cours de philo magistraux, dont je me souviens surtout des noms de quelques uns, et le nom d’un seul prof (car il m’avait fait aimé le nihilisme), j’ai vécu cet atelier de philo avec un certain bonheur.
Merci à l’animateur et l’instigateur, merci Michel Tozzi pour ce Temps tant donné.

Anne-Marie
Réfléchir sur le Temps
Le Temps est à moi personnellement le sujet le plus poignant et le plus vaste à explorer par la pensée. Réfléchir sur le temps c’est essayer de lui donner une dimension, espace, mesure, par rapport à soi, par rapport à l’autre, par rapport à ce que nous savons, par rapport à ce que nous
imaginons, le tout connu et l’inconnu. C’est cet inconnu qui nous intrigue, alors qu’avec le connu nous devons composer. Ha! si le temps vrai nous était conté, mais hélas, le temps nous est surtout compté.

En transcrivant cette réflexion sur le temps, je pense »je suis dans le temps », je ferme les yeux et mon esprit écarte les grilles célestes , un long fuseau de clarté s’étire devant moi.

Loin,très loin au milieu un point sombre dans la grisaille du lointain. Je ne jubile pas d’avoir vu cette lumière qui peut être « LE TEMPS ».

Je doute encore et me dit c’est probablement la rétrovision, ce chemin parcouru qui s’inscrit sur l’écran de ma pensée, n’est il pas l’image miroir? Cette image qui nous vient inversée.

J’ouvre mes yeux, l’oiseau sur la branche de mon tilleul en fleur chante et l’enfant dans le jardin crie en jouant, les cerises rouges luisent au soleil, le temps est au beau, le printemps s’essouffle, le temps de l’été arrive à grande allure.

Et pourtant c’est nous qui avançons, tant que le souffle s’échappera du clavier de nos poumons, et tant que le sang chuchote dans nos veines, monte vers nos tempes et nous dit « je suis encore là »…
Peut-être à l’automne nous repenserons ensemble : « qu’est-ce au juste ce Temps du cosmos pour nous petites créatures pensantes ? », mais en attendant prenons le temps des vacances au mieux comme il vient.

Anne-Marie 6-06-05

Vivre un atelier Philo

Cela demande une participation personnelle assez dérangeante, mais sûrement enrichissante. Ce n’est pas anodin, construire sa pensée par l’écoute, la lecture, l’écriture. Je pense par moi-même, mais aussi grâce aux autres.

Jean-François

Réfléchir sur le temps

Le temps où j’en suis ?

L’atelier a pu créer une inquiétude, renforcer une insatisfaction fondamentale face au temps.

D’un côté, dessiller les yeux sur une composante difficile de la vie, la fuite du temps, de l’autre reconstruire une sérénité lucide.

Est-ce bien à propos de citer Pierre SANSOT ?

« Flâner ce n’est pas suspendre le temps, mais s’en accommoder sans qu’il nous bouscule ».

Jean-François

Eloge de l’instant, jusqu’à quand ?
L’instant est le temps suspendu.
L’arrêt sur image de la flèche tendue dans la métaphore spatiale.
Une sorte de verticalité en abscisse dans l’ordonné (l’ordre donné) d’une continuité horizontale. Le moment entre expiration et inspiration, suspension du vide et/ou du plein, souffle et rythme dans la métaphore vitale. Un presque rien qui est un presque tout, puisque c’est le seul moment de rencontre avec le réel. Il peut être heureux ou souffreteux, biface d’une lame tranchante, âme qui arme ou larme qui désarme.
Il y a un éloge à faire de l’instant joyeux.
A ne pas pouvoir le posséder, le prolonger, autant s’y immerger. L’instant par immersion est anhistorique, suspendu, léger dans son éphémère, mais consistant dans la densité de sa jouissance, de la jouissance, extase par co-incidence insensée du corps désirant.
Cet hédonisme peut être égocentré dans la dérive consumériste de l’instant possédé qui nous possède. Mais il peut aussi, dans son rapport au monde, ouvrir à la disponibilité, au cadeau du Kairos, comme d’une main tendue sort une rose épanouie. Il permet à l’autre, comme à moi-même, d’émerger dans la surprise de l’imprévisibilité créatrice.
Le verbe aussi sait conjuguer ce présent, ou rendre présent : il (re-) présente, met au présent, présentifie l’absence, du souvenir heureux ou de l’espoir anticipé (sauf à dire « je suis mort », l’impossible du présent, qui n’est plus que cadavre vidé de son sujet).
Il y a enfin la méditation, non l’instant maîtrisé ou fantasmé de « l’arithmétique des plaisirs » (Bentham), mais celui de la déprise du corps et de l’esprit : dans ce lâcher-prise, rien n’a plus de prise sur moi. Qu’importe alors que je n’ai prise sur rien ? L’instant jubile alors, dit-on, du goût de l’éternité.
Mais peut-on vivre et penser l’instant sans le temps ?
Car la durée est la condition de possibilité du récit, de l’identité individuelle et collective, de la mémoire et de son devoir, du sédiment, de la strate, de la trace, de l’écriture et de la rature, de la fidélité en amitié et en amour, de la responsabilité de ses actes, du pardon qui n’est pas l’oubli, du repentir qui nous réconcilie, du projet qui nous construit. C’est la condition de la promesse, de l’engagement, de la volonté, et en définitive du désir, qui nourrit le fantasme et le rêve, l’espoir et l’espérance…
La limite de l’éloge de l’instant, c’est celui de la durée.
Car c’est la durée qui fait œuvre et chef d’œuvre : œuvre de soi dans la permanence de l’identité perlaborée au fil du temps ; œuvre des actes projetés, posés et assumés ; œuvre par et dans la gestation, la maturation, la ténacité de la création, et jusqu’à l’inachèvement.

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