Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Quelle démarche pour la formation aux nouvelles pratiques scolaires à visée philosophique avec les enfants?

Quelle démarche pour la formation aux nouvelles pratiques scolaires à visée philosophique avec les enfants?

Michel Tozzi, didacticien de la philosophie, animateur, formateur et chercheur en philosophie pour enfants, professeur émérite à l’Université Montpellier 3

I)  Proposition de démarche pour la recherche sur la formation

Pour réfléchir sur la formation aux Nouvelles Pratiques à visée Philosophique (NPP) dans le système scolaire, il nous semble de saine méthode de parcourir les étapes suivantes :

 1) Déterminer les finalités, objectifs et enjeux (pédagogiques, didactiques, philosophiques, politiques…) poursuivis pour la formation des élèves à l’apprentissage du philosopher, et en particulier les compétences visées. J’entends par compétence les « connaissances, savoir faire et attitudes mobilisables dans une situation donnée pour accomplir une tâche ».

2) Définir en fonction des finalités, objectifs et enjeux déterminés, la ou les méthodes utilisées pour y parvenir (Exemple : Lipman, Tozzi, Lévine, Brénifier…), les dispositifs (Exemple : DVP), outils (Exemple : enregistrements…), supports (Exemple : albums de jeunesse, mythes, textes philosophiques…) mobilisés, ainsi que les connaissances acquises (Exemples : définition de l’amitié, distinction conceptuelle ami/copain…).

3) Préciser les compétences des enseignants nécessaires pour qu’ils développent, par ces pratiques à visée philosophique, les compétences des élèves précédemment définies.

4) Formuler, en fonction des trois points précédents, les objectifs de la formation proposée, les méthodes de formation souhaitables cohérentes avec ces objectifs, les dispositifs, outils et supports utilisés dans cette formation, les connaissances utiles à une visée philosophique, ainsi que le cadre spatio-temporel de la formation.

5) Expliciter, par une pratique réflexive de formateur, les présupposés philosophiques, pédagogiques, didactiques, politiques d’une telle formation, et leurs enjeux.

II) Ma démarche de formation

1) Les objectifs poursuivis dans la démarche que je propose sont l’apprentissage du philosopher dans un cadre démocratique. Les  visées sont pédagogiques (il s’agit d’apprendre) ; didactiques (il s’agit d’apprendre à philosopher) ; politiques (il s’agit d’apprendre à débattre démocratiquement avec des exigences intellectuelles, d’éduquer à une citoyenneté réflexive dans un espace public scolaire). L’enjeu est d’inventer une pratique scolaire (et sociale au café philo) nouvelle, articulant étroitement philosophie et démocratie, ce qui a été rare dans l’histoire de la philosophie et de son enseignement.

Les enjeux sont multiples : philosophiques (préciser ce qu’on entend par philosopher et apprendre à philosopher, apprendre et faire apprendre à des enfants à philosopher), politiques (apprendre et faire apprendre à débattre, s’éduquer et éduquer à une citoyenneté réflexive), didactiques (inventer des pratiques scolaires de l’apprentissage du philosopher avec des enfants), langagiers (maîtrise orale de la langue par l’apprentissage de la discussion, genre de l’oral ; apprentissage d’un usage réflexif, et non fonctionnel, de la langue)…

Les compétences développées chez les élèves  (sur l’ensemble du cursus scolaire) consistent, en ce qui concerne la visée philosophique des pratiques en classe, à devenir capable d’articuler, à l’oral (discussion) et à l’écrit (écriture, lecture), sur des questions et des notions en lien avec les problèmes posés à la condition humaine, dans un rapport habité au sens et à la vérité, des capacités de problématisation (questionnement), de conceptualisation (définitions, distinctions conceptuelles) et d’argumentation rationnelle de thèses et d’objections.

Et ces compétences consistent, en ce qui concerne la visée démocratique, à devenir capable de discuter démocratiquement, c’est-à-dire d’écouter et de comprendre autrui (sans  déformer sa pensée) ; d’oser parler en public, en prenant le risque du jugement d’autrui ; de participer à un débat, en maîtrisant ses affects ; d’élaborer et de formuler un point de vue argumenté (position tenue, objection ou réponse à une objection) ; de respecter des règles de prise de parole…

Par ailleurs les compétences, qui se développent toujours au contact de tâches réelles, sont différentes selon la fonction tenue pendant une discussion : un président de séance par exemple apprend, compétence sociale, à gérer la forme d’une discussion, à regarder un groupe en le balayant de son regard, à y répartir la parole selon des règles démocratiques (ordre d’inscription, priorité aux moins-disants, perche tendue aux muets etc.) ; un reformulateur, centré plutôt sur le fond des échanges, apprend à écouter (sans intervenir), comprendre et redire ce qui vient de se dire ; un synthétiseur en plus prend des notes, et restitue au groupe l’essentiel de ce qu’il a compris à partir de ce qu’il a noté ; un discutant apprend à lever la main pour demander la parole, et attendre qu’on la lui donne en différant son propos, à écouter les autres sans les couper ou se moquer, à élaborer sa pensée dans l’interaction sociale verbale d’une altérité incarnée plurielle, en mettant en œuvre des processus de pensée, à exprimer donc son point de vue en le fondant en raison, mais aussi à faire progresser une réflexion commune (responsabilité plus collective), en évitant les redites et en apportant des idées nouvelles etc. ; un observateur apprend, selon le « métier » exercé lors de telle séance, à observer la répartition démocratique de la parole dans un groupe et son climat, ou à analyser comment les élèves précédents exercent leur cahier des charges, ou à repérer la mise en oeuvre de processus de pensée au cours de la discussion. Il peut y avoir aussi d’autres fonctions : des aménageurs-déménageurs de la salle pour la mettre en rond pendant la discussion ; un responsable du micro qui le donne aux élèves désignés par le président ; un responsable du temps. Il peut y avoir aussi deux variantes du synthétiseur :  le scribe qui écrit quelques idées essentielles au tableau et les lit en fin de discussion ; ou deux journalistes qui prennent des notes sans participer, puis les confronte après la discussion pour faire une synthèse, tapée à l’ordinateur, corrigée par l’enseignant et distribuée à la classe la semaine suivante. A un moment où les enfants ne savent pas ou guère écrire (maternelle et CP), des dessinateurs s’avèrent utiles, qui illustrent une notion (Exemple le bonheur), puis verbalisent leur « concept iconographique » de la notion (A. Delsol) etc.

2) La méthode que je privilégie au primaire et au collège est, pour développer ces compétences, la mise en place d’un dispositif : la discussion à visée philosophique et démocratique (DVPD), avec sa phase métacognitive de ce qui a été philosophiquement et démocratiquement vécu. Ce dispositif est inspiré, du point de vue didactique, par l’approche socio-cognitiviste par compétences de l’apprentissage du philosopher élaborée dans ma thèse en 1992 ; et d’autre part, du point de vue pédagogique, de la pédagogie institutionnelle (élèves en rond, répartition de fonctions responsabilisantes diverses entre les élèves : président de séance, reformulateur, synthétiseur, observateur etc. ; règles de répartition de la parole…). Le point de départ est toujours une question d’élève choisie par le groupe-classe (vote), surgie de la vie de classe, d’école, de la vie sociale ou d’une boite à questions, ou à propos d’un texte-support anthropologiquement consistant proposé (album de jeunesse, mythe, phrases de philosophes etc.), suite à un débat interprétatif sur ce texte. Le dispositif articule souvent l’oral, activité principale de la discussion sur cette question, et l’écrit en amont, en cours, ou en aval des échanges. Le groupe, sous la conduite active du maître, va ainsi élaborer des contenus : formulation de questions, explicitation de présupposés et conséquences, définition de notions à l’issue de processus de conceptualisation, production de distinctions conceptuelles, énoncés de thèses et d’arguments pour les soutenir ou les combattre…

3) Les compétences des enseignants à développer en formation pour cette méthode d’apprentissage du philosopher me semblent les suivantes.

D’abord, comprendre et s’approprier les finalités et objectifs poursuivis par ce type de pratique, ainsi que les compétences des élèves recherchées.

Notamment se clarifier la visée philosophique de la discussion comme intellectuel collectif ou communauté de recherche, par la maîtrise de certains processus de pensée nécessaires pour apprendre à penser par soi-même : la problématisation (mettre en doute, interroger une affirmation, une notion, une évidence, un préjugé, élaborer un questionnement en explicitant un présupposé ou en dégageant une conséquence, questionner la question, la déplacer…) ; la conceptualisation : définir un mot-notion en précisant son contenu conceptuel, en passant de l’approche extensive de la notion (exemples ou contre-exemples, champs d’application) à son approche compréhensive par l’énoncé de ses attributs essentiels ; faire par rapprochements ou oppositions des distinctions notionnelles pour préciser la spécificité d’un concept… ; l’argumentation rationnelle : recourir à des exemples et des faits, puis à des contre-exemples, mieux à des arguments plus abstraits de différents types ; maîtriser le raisonnement logique, les inférences, la non-contradiction ou le dépassement d’une opposition….

Ensuite, concevoir, mettre en place progressivement, animer, réguler et analyser le dispositif (DVPD), qui est complexe, à adapter selon l’âge des enfants (de 15’ en maternelle à une heure pour les 8-10 ans tout compris : mise en place, discussion, analyse ;  et à ajuster selon telle ou telle classe, dont chacune a sa dynamique propre. Il s’agit ici de compétences en programmation d’une séance : clarté des objectifs et des compétences, prévision du cadre spatio-temporel, recherche de supports adéquats. En animation d’une DVDP, la clarification du rôle du maître est essentielle, car en rupture avec des postures habituelles de rapport au savoir, à la parole et au pouvoir : il ne fait pas cours mais facilite l’échange entre élèves, il ne délivre pas un savoir, en recherche lui-même sur des questions difficiles et toujours discutables, il écoute attentivement les élèves, n’exprime pas son point de vue personnel pour ne pas influencer sur le fond. Il doit apprendre à accompagner psycho-sociologiquement un groupe pour éviter la dérive de conflits sociocognitifs en conflits socioaffectifs.

Pour animer une discussion, il doit se doter d’une boite à outils et l’utiliser à propos : questionner la classe ou un élève, reformuler le propos d’un enfant ou résumer l’échange en cours, lancer le débat, recentrer ou recadrer sur la question traitée, faire le lien entre les propos énoncés et la question, demander une précision, une définition, une thèse, un argument, une objection, une réponse, un exemple ou un contre-exemple quand c’est trop abstrait, une idée plus générale quand on ne décolle pas des exemples et du concret, nommer les processus de pensée utilisés, souligner une idée nouvelle, assurer la progression intellectuelle de la réflexion, repérer une distinction conceptuelle ou une définition émergentes pour la creuser, montrer chez un élève la contradiction entre deux propos émis, appeler à creuser une contradiction entre plusieurs thèses énoncées etc.

De plus il doit être capable d’animer après la discussion une phase métacognitive qui a pour objectif la verbalisation des élèves de leur vécu et de leurs actions (notamment langagières et mentales, parfois comportementales), ce qui provoque des effets de conscientisation des fonctions exercées, de leurs difficultés et des moyens de les dépasser, et des processus de pensée mis et à mettre en oeuvre. Analyser et conduire en classe ce type d’analyse d’une  situation éducative (la DVPD) s’apprend : il faut être au clair sur les différents points d’analyse (les diverses fonctions, le respect des règles du débat, les processus de pensée), et la méthode d’analyse (Exemple : priorité de parole aux acteurs sur les observateurs). 

4) La formation proposée est à adapter selon qu’il s’agit de formation initiale de futurs professeurs ou de formation continue ; selon qu’elle est sur la base du volontariat ou avec un public captif qui doit émarger ; selon la durée possible : une demi-journée ne donne lieu, faute de temps et de mise en pratique, qu’à une information ; une formation en alternance permet une pratique de terrain, suivie d’une analyse lors du retour en formation.

III) Quelques principes fondateurs pour concevoir une formation

1) Apporter en stage de formation un certain nombre d’informations sur la philosophie avec les enfants, d’ordre historique, méthodologique, pédagogique, didactique, philosophique (voir plus bas, sur les « contenus informatifs »).

2) Faire vivre aux enseignants-stagiaires ce qu’ils vont faire vivre à leurs élèves, pour pénétrer de l’intérieur dans la logique de l’acteur, se confronter à ses difficultés, essayer des stratégies pour les surmonter… Bref, pour mieux comprendre la situation formative dans laquelle on met les enfants. Comme les fonctions réparties entre les élèves sont diverses et tournent entre elles, développant chacune des compétences spécifiques, l’enseignant aura intérêt à se confronter à plusieurs fonctions du dispositif, au cours de séances de formation différentes, car on se fait une représentation différente du dispositif selon la fonction qu’on y tient, et l’enseignant doit en avoir une représentation globale.

Il lui faut notamment s’entraîner à observer les processus de pensée à l’œuvre dans un groupe (le type de pensée contenu dans ce que l’on dit), ce qui est inhabituel et difficile, car il faut repérer, à travers le dire langagier, la pensée en acte. Exemple concernant la conceptualisation : quand un élève dit « Valéry est mon ami », il faut entendre : « Exemplification d’une notion, approche du concept par son extension, les cas auxquels il s’applique » ; quand il dit « Un ami c’est quelqu’un que l’on a choisi et à qui l’on confie ses secrets », il faut entendre : «  Processus de conceptualisation de la notion d’amitié, définition du concept en compréhension par désignation des attributs qui permettent de le comprendre intellectuellement (le caractère électif et le caractère d’intimité de l’amitié » ; quand il dit : « Un ami, c’est plus fort qu’un camarade de classe, quand on se dispute, après on se parle à nouveau », il faut entendre « Approfondissement du contenu conceptuel de la notion d’amitié par recours à une distinction notionnelle entre ami et camarade (l’amitié survit au conflit, c’est une relation profonde et durable) » etc.

3) Faire analyser par les stagiaires ce qu’ils viennent d’expérimenter en formation.

Il ne suffit pas de vivre une situation, a fortiori nouvelle, pour la comprendre. Pour saisir les tenants et les aboutissants du dispositif proposé, le détour ploxojindeks bum

de l’analyse est nécessaire. Il permet une verbalisation du vécu et de l’action, qui favorise une conscientisation, une prise de conscience de ce qui s’est passé (le comment ?), et une tentative d’explication de pourquoi cela s’est passé ainsi. L’analyse d’une situation éducative dans sa globalité et ses détails, ou de la pratique d’un participant de la situation, ne consiste pas en un jugement de valeur sur la séance, sur l’acteur ou ses actes, mais en un effort d’intelligibilité pour éclairer ce qui s’est passé. Le jugement court-circuite l’analyse distanciée, en jouant sur le registre du normatif-affectif, au lieu du compréhensif-explicatif. L’expérience montre que le jugement est spontané, l’analyse acquise (d’où la nécessité de s’y entraîner) : il est difficile en effet de s’en tenir aux faits, ou à une hypothèse explicative, sans verser dans une appréciation positive ou négative (« tu aurais dû respecter la règle de priorité à celui qui n’as encore parlé »). L’analyse n’est pas non plus un conseil, tout aussi spontané lorsqu’on veut aider quelqu’un, car il porte sur l’avenir, alors que l’on analyse toujours une situation passée. L’analyse doit toujours précéder le conseil d’amélioration. Exemple d’analyse au niveau des faits : « Le président a été gêné pour choisir à qui donner la parole quand plusieurs mains étaient levées en même temps, le reformulateur a été embarrassé pour redire les propos de telle personne, le synthétiseur s’est organisé sur sa feuille pour prendre des notes, il avait vers la fin de la difficulté à se relire… ». Exemple d’analyse au niveau des hypothèses explicatives : « Tu n’as pas vu untel qui levait la main parce que tu regardais de l’autre côté ; je n’ai pas entendu ce qu’untel a dit parce qu’à ce moment j’avais décroché ». Exemple de conseil : « Quand il y a plusieurs mains levées, tu donnes la priorité à celui qui n’a pas encore parlé, puis à celui qui a le moins parlé jusqu’ici ;  si tu n’as pas compris ce qu’a dit un camarade, tu écoutes bien la reformulation du maître…».

4) Montrer des exemples de séances de philosophie en classe (observation directe ou vidéos), pour crédibiliser un discours théorique de formateur, et donner des pistes concrètes de transfert sur le terrain ; des types divers de séances, pour ne pas modéliser la formation par une simple pédagogie de l’imitation.

III) Exemples de stages

Voici quelques exemples personnels de ma pratique pour concrétiser ces orientations.

1) Sur la sensibilisation.

Il s’agit d’une intervention d’une demi-journée (3 heures), dans un institut de formation initiale (ex : IUFM, CFP), ou en formation continue (ex : regroupement pédagogique dans une circonscription du 1er degré un mercredi matin). Les formules que j’ai utilisées sont variées, mais contiennent les mêmes ingrédients. Exemple de scénario : conférence (1h), puis projection d’une vidéo avec des enfants (20’), ou l’inverse. Pause (15’), puis recueil de questions et réponses aux questions. C’est la « conférence-débat » classique, apport-questions-réponses. Je peux aussi commencer, après avoir brièvement campé le décor de la philosophie avec les enfants, recueillir nombre de questions, les classer, puis construire mon propos à partie de toutes les questions soulevées, et faire une projection pour terminer. Il y a là surtout un apport d’informations, dans l’objectif de motiver les participants à se lancer dans cette innovation. Il m’est arrivé aussi de mettre en place le dispositif, le faire vivre, puis l’analyser : on esquisse ici une dynamique de formation ; mais faute de temps, on a peu de temps pour analyser, et le dispositif n’est vécu qu’une fois.

Si je dispose d’une journée, la matinée est réservée au premier scénario, l’après midi à la mise en place du dispositif, avec l’explicitation et la répartition des rôles (30’), sa mise en œuvre (1 h), et après une pause (15’), son analyse (1h 15).

S’agissant d’une pratique innovante, que l’on ne connaît pas ou dont on a entendu vaguement parler, les informations visent à clarifier les objectifs poursuivis, les compétences attendues, et à construire une représentation plus précise de la pratique. La vidéo vient alors illustrer cette dernière : utilisation d’un montage de séances d’Anne Lalanne (IUFM de Montpellier), de collèges belges  (« Les grandes questions »), ou d’une séance que j’ai animée en CP… Dispositifs et pratiques de vidéo sont présentés comme des exemples à analyser pour avoir des pistes d’action, non comme des modèles à imiter, car c’est à chacun de se « bricoler » sa propre méthode en fonction du terrain, de ses choix méthodologiques, éthiques et politiques, et de sa personnalité.

2) Quels contenus informatifs ?

En ce qui concerne les contenus informatifs, que l’on va retrouver dans la sensibilisation et les diverses formations, voilà les éléments qui me semblent les plus éclairants, donnés sans ordre chronologique).

- Approche historique d’introduction de ces nouvelles pratiques : démarche de Lipman dans les années 1970, Québec et Belgique dans les années 1980-85 par le biais du cours de morale, France vers 1996-1998 (Agnès Pautard et l’AGSAS en maternelle, la Fondation 93 et Alain Beretestky en Segpa), la justification au départ de cette activité par la maîtrise orale de la langue ou l’éducation à la citoyenneté ; puis les premières formations (les stages de R4/quatre semaines de M. Bailleul sur la méthode Lipman à l’IUFM de Caen en 1998, ou d’E. Auriac à l’IUFM de Clermond-Ferrand, les premières maîtrises à l’Université (Montpellier 3), et les nombreux mémoires professionnels dans les IUFM à partir de 2000), le module de maîtrise en sciences de l’éducation de S. Queval à l’Université Lille 3, enfin la dizaine de thèses soutenues sur la question (Strasbourg 2, Montpellier 3)…

- Approche méthodologique des différents courants qui se sont développés en France, avec leurs objectifs, modalités et dispositifs spécifiques : Lipman, AGSAS-Lévine, Chazerans, Delsol-Connac-Tozzi, Brénifier-Institut de pratiques philosophiques… Compte tenu de la non institutionnalisation de la philosophie à l’école et au collège en France, des pratiques diversifiées ont vu le jour, même si la méthode Lipman a été la première à être appliquée. Il est essentiel de rendre compte de cette diversité. Distribution d’un tableau comparatif entre les diverses méthodes tiré de la thèse de S. Connac.

- Objectifs poursuivis dans ces nouvelles pratiques, et compétences développées. Les objectifs peuvent se cumuler, ou insister sur tel élément selon les pratiques mises en œuvre : construction identitaire de l’enfant par l’expérience structurante de se découvrir comme être parlant-pensant ; entraînement à la réflexivité (penser par soi-même, apprendre à philosopher par la confrontation de ses idées aux autres dans une « communauté de recherche » animée par un maître vigilant sur les exigences intellectuelles) ; développement langagier (maîtrise orale de la langue dans son genre débat) ; éducation par la discussion à la civilité sociale et la citoyenneté politique (apprentissage du débat dans une démocratie, d’une citoyenneté réflexive)… Pour ce faire, il faut apprendre à établir un climat de sécurité et de confiance dans la classe par l’encouragement à s’exprimer, le non jugement, l’entraide socio-cognitive, mais aussi à cultiver une exigence intellectuelle où chacun donne le meilleur de lui-même. Ces deux aspects complémentaires contribuent à construire la culture d’une « éthique communicationnelle » (Habermas). Ces objectifs sont explicités en termes de compétences recherchées pour les élèves (ex : savoir dans un échange réflexif « de quoi l’on parle » exactement en définissant les notions employées, et « si ce que l’on dit est vrai » en vérifiant si sa position est rationnellement solide…) ; et de compétences requises pour le maître (modification de son rapport au savoir et au pouvoir, élèves considérés comme « interlocuteurs valables » (J. Lévine)…

- Clarification des différents processus de pensée pour apprendre à penser par soi-même : problématiser, conceptualiser, argumenter. Leur compréhension est fondamentale pour que la discussion ait une visée philosophique.  Distribution d’un tableau des processus, assorti d’une fiche pour observer chacun.

- Contenus philosophiques. S’il est indispensable de clarifier les processus de pensée nécessaires à une réflexion philosophique, il n’est par contre pas possible de donner en peu de temps une formation philosophique sur des auteurs, courants ou doctrines. Sur des formations supérieures à la journée, j’introduis, quand je travaille sur des versions pour enfants des mythes platoniciens, les enjeux philosophique de ces mythes, quelques questions centrales et notions utiles pour aider à les travailler : on les trouvera dans mon ouvrage sur Apprendre à débattre sur les mythes (Chronique sociale, Lyon). F. Galichet a rassemblé des éléments philosophiquement structurants d’une quinzaine de sujets de débats dans Pratiquer la philosophie à l’école, chez Nathan. Quelques « repères » (distinctions conceptuelles du programme de philosophie en terminale) sont aussi utiles : par exemple savoir distinguer dans  la question « Peut-on avorter ? » la question de fait (est-ce possible techniquement ? Oui avec plusieurs méthodes), la question de droit (Est-ce possible juridiquement ? Oui en France à certaines conditions de délai, de lieu et de personnes compétentes), ou la question éthique, la seule philosophique (Faut-il moralement avorter ? Cela se discute…). De  même les distinctions possible/réel, apparence/réalité, réel/virtuel, vrai/vraisemblable etc.

- Description de la DVPD, avec ses différentes fonctions et leur intérêt, leur complémentarité, le cahier des charges de chacune, les règles de prise de parole, la coanimation entre le maître et le président de séance, la gestion de l’espace (table en rond, observateurs derrière…), et du temps de discussion (mise en place du dispositif, installation dans sa fonction de chacun par reformulation de son cahier des charges, temps de discussion, synthèse orale et écrite, phase métacognitive…). Distribution d’un schéma récapitulatif sur la DVPD.

- Rôle spécifique du maître, variable suivant les objectifs poursuivis. Dans notre méthode, il doit par exemple savoir écouter attentivement les élèves, ne pas intervenir sur le fond, mais veiller à la mise en oeuvre par les élèves de processus réflexifs de pensée, à l’aide de sa boite à outils conceptuels et d’accompagnement de la dynamique d’un groupe.

- Description des différents supports possibles. Si on part toujours des questions des enfants, puisées par exemple d’une boite pour les questions alimentée par les enfants, plusieurs supports sont utilisés et disponibles, qu’il faut faire connaître. Pour les enfants, il y a les mythes, les contes et légendes, la littérature de jeunesse, les ouvrages à visée philosophique ad hoc (ex : les romans de M. Lipman, les livres de M. Piquemal chez A. Michel, d’O. Brénifier chez Autrement Jeunesse, les Goûters philo chez Milan, Philoz’enfants chez Nathan, Chouette Penser au Seuil etc.). Pour les livres adressés plutôt aux adultes, enseignants ou parents, voir les ouvrages de M. Tozzi sur les mythes, d’E. Chirouter sur la littérature de jeunesse, de F. Galichet sur des exemples de débat, les aides de J.-C. Pettier sur les sites de Bayard pour les pages philo de Pomme d’Api ou Astrapi etc.). Distribution d’une bibliographie.

3) Formations plus longues.

Dans un stage sur deux jours, l’intérêt est de pouvoir vivre le 2ième jour au matin un autre exemple de DVPD, de façon à ce que les stagiaires vivent et analysent des fonctions différentes, et élargissent leur vision du dispositif. On peut l’après-midi travailler la question du transfert en classe, les difficultés que cette pratique pose (obtenir l’écoute, gérer la discipline, manque de formation philosophique etc.), comment commencer la séance, et comment la terminer, garder des traces, articuler l’oral de la discussion avec de l’écrit, poser des questions pour dépasser les exemples, relancer le débat etc. Si le premier jour je pars pour la discussion d’une simple question (Exemple : « Qu’est-ce que grandir ? »), le 2ième je développe une démarche à partir d’un album de jeunesse (Exemple : Yacouba), ou d’un mythe platonicien (Exemple : l’anneau de Gygès). Il s’agit de faire un parcours articulant didactique du français et didactique de la philosophie, où je mets successivement les stagiaires dans des postures différentes : compréhensive (compréhension littérale de l’histoire en étant capable de la reraconter) ; identificatoire ou projective, pour faire l’expérience mentale d’un dilemme (se projeter dans le héros et délibérer pour savoir ce qu’il va décider dans une situation problématique, éventuellement continuer l’histoire) ; interprétative (reprise conceptuelle du récit métaphorique : quel est, au-delà du descriptif narratif de l’histoire, son message humain, que nous dit-on de l’homme ?) ; problématisante (« Formulez une phrase interrogative sur une question que pose, me pose ce texte quant à la condition humaine ») ; vote pour choisir une des questions posées ; discussion sur cette question ; enfin analyse de cette discussion.

L’intérêt de formations plus longues (Cinq journées en alternance au cours de l’année de PE2, instituteurs débutants, au CFP de Montpellier), c’est de pouvoir montrer plusieurs vidéos avec des méthodes différentes, d’expérimenter chaque fois des DVDP avec des fonctions différentes et des sujets variés, de partir d’une question, puis d’un album de jeunesse, puis d’un mythe etc., de mettre en œuvre sur le terrain plusieurs expériences successives, et de les analyser de retour en formation… Ici la formation s’approfondit.

Il y a en France plusieurs pratiques de philosophie avec les enfants. La formation à chacune de ces pratiques est donc différente, car les objectifs, méthodes, outils, supports, compétences attendues des élèves, et en conséquence des enseignants, sont variés. La question est posée à la recherche de savoir si, au-delà de cette diversité, il y a un noyau identique, comme un dénominateur ou un tronc commun, que l’on trouverait dans chaque formation (Exemples : donner aux enfants la parole, savoir écouter leur pensée, ne pas leur imposer son point de vue…).

Il serait utile que chaque courant fasse un travail d’explicitation de ses objectifs et méthodes, comme je le fais ici pour la propre démarche, afin de favoriser cette comparaison, et qu’il donne lui-même sa version d’une telle comparaison, afin de les confronter entre elles…

 

 

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