Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Atelier des Rencontres Crap sur le sens de l’école par l’articulation du savoir et de la loi

Plutôt qu’un compte- rendu, quelques réflexions.

  1. Le prof que l’on est devenu dépend en partie de :
    + l’élève que l’on fut. Du sens qu’il donnait à l’école. De son rapport au(x) savoir(s) et à la loi scolaire. De la façon dont il articulait les deux. Du bricolage de son expérience scolaire.
    + du milieu d’origine… (géographique, social et professionnel), du niveau/capital socio-culturel et économique des parents ; de leur projet scolaire et social sur l’enfant.
  2. Il y a ceux pour qui le sens de l’école allait de soi, donné par la famille : une continuité famille-école sans contradiction. On se sent sur des rails. On donne du sens parce qu’il nous est donné, le sens est transmis, et ça roule… Et il a ceux qui ont honte d’être de famille ouvrière, avec la rage de vouloir en sortir. Ou bien la famille où “ moins on en sait, mieux on se porte ”, et on cache alors ce que l’on apprend à l’école. Toutes ces situations, ces itinéraires où un projet scolaire et social s’est construit contre la famille et le milieu, dans la culpabilité d’une trahison : on seretrouve prof en ZEP, pour payer sa dette …
    – Heureusement l’investissement du désir dans un objet de savoir produit souvent un effet pacificateur quant à la loi scolaire. Heureux maître que d’avoir cet élève sage, motivé, travailleur. Celui-ci joue le jeu de la socialisation et de l’apprentissage : sa “ docilité ” en classe tourne toute son énergie vers le combatcognitif. Il se confronte à la normativité (Canguilhem) des savoirs scolaires, à ces lois internes au savoir qui le dotent d’une cohérence qui s’impose symboliquement à la raison (La démonstration en mathématiques, la règle de grammaire, la relation déterminée entre variables en physique etc .). L’apprentissage est comme un mystère dont il veut percer le secret,résoudre l’énigme, violer l’opacité et conquérir cet inconnu qui lui résiste. Cet effort d’apprendre, parce qu’il est désir, confronte à la limite de l’inaccessible, au savoir caché comme jouissance. (cf. Le Nom de la Rose).
    – Mais inversement, un rapport révolté à la loi scolaire, à l’institution qui veut imposer sa pacification sociale, au professeur qui la représente à travers l’interdit de la violence (vécue comme affirmative et auto-positionnement), dégrade souvent le rapport au savoir, qui ferait rentrer positivement dans le jeu scolaire, mais est en fait vécu comme soumission à des normes étrangères menaçantes. Les postures du rapport au savoir et du rapport à la loi se confortent donc souvent, que ce soit dans leur complémentarité positive, ou dans leur refus en bloc. Parce qu’il y a du rapport à la loi dans le désir de savoir, tout désir se confrontant à la loi structurante. Et parce qu’il y a du rapport au savoir dans le rapport à la loi, dans la mesure où chez l’humain celui-ci (par le processus de socialisation, par la construction du rapport à l’autre et au groupe), estapprentissage.
  3. On saisit bien cette articulation croisée dans l’évaluation, comme acte professionnel d’un enseignant, et situation vécue par l’élève.
    En effet le rapport au savoir est en grande partie le rapport à la vérité sur le réel. Il pose le problème du statut de l’erreur. Mais à l’école, l’élève perçoit souvent l’erreur comme une faute, et la notation comme une punition. Le mauvais résultat apparaît, parce qu’on n’a pas bien fait, comme la transgression d’une loi. Si cette interprétation de l’élève est possible, c’est parce que le professeur lui apparaît moins comme compétent sur un savoir que détenteur d’un pouvoir sur lui. Et qu’il se sent soumis moins à la normativité du savoir qu’à la dépendance vis-à-vis d’une personne ou d’une institution, c’est-à-dire à quelqu’un qui soumet plus qu’à la raison qui libère. La conception formative qui fait de l’erreur une étapeà franchir et non une faute à réparer permettrait de dépasser cette représentation, si l’évaluation sommative ne restait pas institutionnellement imposée dans sa fonction de certification et d’ “ autorisation sociale ” : la loi scolaire, c’est ce qui interdit ou autorise, par la notation, de passer dans la classe supérieure, aller dans telle section, avoir tel diplôme,se diriger vers telle profession …
  4. Autre chose est de penser le rapport au savoir en terme de contenu disciplinaire (une date en histoire) ou de compétence (ex : être capable d’annoter une frise chronologique). Car ce qui est en jeu, c’est dans le premier cas le rapport de connaissance sur le réel (problème de la vérité), et dans le second celui du pouvoirsur le réel. En tire-t-on toutes les conséquences sur la façon dont l’élève construit son rapport au savoir ?
  5. Comme un des objectifs de l’école insiste de plus en plus sur la socialisation, il en résulte l’évaluation de savoir-être (ex : être capable de coopérer). L’évaluation porte directement alors sur le rapport aux autres et au groupe,c’est-à-dire sur le rapport à la loi (puisqu’il s’agit alors “ d’apprendre la loi ”). La confusion est à son comble dans le rapport au savoir (-être) et le rapport à la loi : noter, c’est punir ou récompenser une bonne volonté socialisante (ou au mieux une attitude de critique/constructive).
  6. Quant au rapport à la loi, il s’agit dans une situation de formation de le construire. La question pédagogique étant : à quelle condition une sanction négative (punition suite à une transgression de la loi) peut-être formative ? Cette logique de formation-prévention se heurte à la logique de répression sociale face aux incivilités ou aux délits pénaux (viol, racket, vol, violence …) car une école, un prof, unesociété se défendent contre des agresseurs, des “ sauvageons qui doivent être civilisés, de force si nécessaire ”. Et l’on oublie que l’agresseur est aussi victime d’une violence scolaire et sociale, celle de l’exclusion. Le prof est donc pris dans la nécessité de bricoler des solutions entre auto-défense et formation d’autrui, et cette contradiction produitde la souffrance, entre culpabilisation de soi et victimisation de l’élève.
  7. Une pratique pédagogique peut articuler rapport positif au savoir et à la loi par le travail de groupes ou la discussion en classe. Car ces modalités ont une dimension à la fois pédagogique (mode de gestion de la classe et façon de procéder), et didactique (processus de co-construction et d’appropriationd’un savoir). S’y jouent indissolublement, dans le groupe d’apprentissage, un mode d’échange interactif impliquant organisation collective et régulation sociale, et des conflits socio-cognitifs sur des contenus précis. On peut apprendre dans et par le groupe, qui peut créer la situation d’acceptation des savoirs et des règles. La professionnalité aujourd’hui consiste àconstituer des groupes d’apprentissage conjuguant ce rapport positif au savoir et à la loi.

Michel Tozzi

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