Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Le café-philo, quelle responsabilité pour le philosophe

Je développerai dans cet article trois thèses, soumises à discussion :

  1. Il est de la responsabilité du philosophe de profession ou du professeur de philosophie Note1 d’exercer, hors de l’école et dans la cité, un rôle à la fois philosophique et citoyen : le café-philo est… aujourd’hui dans cette perspective l’une des opportunités à saisir.
  2. Celui-ci peut amener, compte-tenu de sa formation et de ses compétences, un apport spécifique au café-philo, qui sera profitable à la dynamique citoyenne et réflexive de celui-ci à certaines conditions.
  3. La pratique du café-philo pourra, en retour, enrichir sa réflexion personnelle, et s’il enseigne, sapratique pédagogique, notamment de la discussion en classe.

LE CAFE-PHILO INTERPELLE LE PHILOSOPHE SUR SON ROLE DANS LA CITE

Dans la mesure où ce café s’autodésigne comme « philo », il est légitime que ce qualificatif interpelle le « philosophe », et que celui-ci l’interpelle à son tour : « Est-il bien philosophique, comme son nom le prétend ? ». On pourrait penserque c’est une affaire de pratique, à examiner par la faculté de juger au cas par cas, et même selon le moment, et que ce serait malhonnêteté intellectuelle que de condamner a priori ce que l’on ne connaît pas. Certains cependant accusent au nom d’un principe : café ne peut rimer avec philo parce qu’il s’agit d’un lieu de commerce et non d’étude, de consommation de boissons et debrassage populaire d’opinions. Refuser d’y mettre les pieds serait préserver une certaine idée de la philosophie : rompre avec la foule de préjugés et les préjugés de la foule, car de l’agitation de lieux communs ne saurait sortir la « création de concept » (Deleuze fuyait ainsi toute discussion Note2). Nombre de philosophes qui ont bien voulu tenter l’expérience ont été vite confirmés dans ce qu’ils pensaient déjà : narcissisme expansé de la prise de parole publique du moi, engluement dans l’opinion (doxologie) et volonté d’amener les autres sur sa position (sophistique). L’affaire est entendue.
Paradoxalement cependant, d’autres philosophes se sont mis à participer aux débats, voire à animer ou créer des cafés-philo.
Ils ne demandent certes pas à une assemblée de discutants, comme d’ailleurs à une classe terminale, de construire de la philosophie au sens doctrinal. Mais ils pensent que ce peut être un lieu où précisément peut se travailler, parce qu’elles s’y expriment, la mise en question des opinions.
« Y aller ou pas » divise donc lacommunauté philosophique elle-même. C’est notamment poser la question du rôle du philosophe dans la cité. Celui-ci doit-il rester dans l’université, où il contribue à élaborer la philosophie actuelle et à transmettre le patrimoine philosophique à ses étudiants ? Doit-il cantonner son action au lycée où il a pour mission d’aider les élèves à penser pareux-mêmes, et à préparer le bac ? Ou doit-il sortir du monde de la recherche et de l’enseignement et s’adresser au peuple ?
Le rôle du philosophe dans la cité est un vieux problème depuis les grecs : Diogène interpellait cyniquement tout homme sur son passage, fut-il un gueux ou Alexandre le Grand. Socrate pratiquait la maïeutique sur l’agora d’Athènes avec Ménon l’esclave. Platon appelait le philosophe à redescendre dans la caverne libérer les prisonniers etc. Pourquoi l’impertinence du philosophe s’arrêterait-elle aujourd’hui aux portes du monde clos de l’école, et dans le cadre « pépère » du salariat ? N’a-t-il pas un rôle public à assumer dans l’espace public et la société civile Note3 ? Le café-philo pourrait être l’un de ces lieux d’interaction rapprochée, moins distante que la publication de livres (rarement exotériques), ou la conférence-débat organisée autour de sa parole savante …
D’autant qu’il y a un lien originaire entre philosophie et démocratie. Pour la première fois dans la Grèce de Périclès, ce n’est plusl’autorité qui s’impose à un groupe, mais l’argument qui fait autorité, par et dans l’exercice d’une libre parole. Les philosophes des Lumières lieront au 18ème consubstantiellement la démocratie à l’instauration d’un « espace public » organisant le droit d’expression d’une pluralité d’opinions. Ouvrant ainsi le champ de l’argumentation dans la discussion, ladémocratie donne du même coup une égale légitimité à la parole du sophiste qui veut (con-)vaincre, et à celle du philosophe appelant à la recherche de la vérité par l’exercice de la raison universelle.
Là intervient la responsabilité du philosophe dans le débat démocratique : empêcher de rabattre la discussion sur le triomphe de l’opinion qui l’emporte parcequ’elle fait nombre ; garantir la qualité discursive du débat démocratique par l’exigence du « meilleur argument » (Habermas), celui qui place la vérité rationnelle de la position avant son efficacité persuasive, et institue l’assemblée en « communauté de recherche » (Lipman) sur fond « d’éthique communicationnelle » (Apple). Tel peutêtre l’enjeu du café-philo, où cette vigilance peut, si elle s’exerce, devenir effective, parce que c’est un lieu où il s’agit d’échanger sur des idées, et non de décider pour l’action, où l’on peut donc tenir à distance les intérêts stratégiques d’un groupe.

QUE PEUT APPORTER UN PHILOSOPHE AU CAFE PHILOSOPHIQUE ?

Cette vigilance réflexive ne va pas de soi dans undébat d’idées. Un simple échange d’opinions ne garantit en rien la « philosophicité » des débats. Parler n’est pas penser. Il ne suffit pas de dire ce que l’on « pense » pour penser ce que l’on dit. C’est même le propre du pré-jugé de s’exprimer d’abord, sans avoir problématisé son propos, sûr qu’il est de son enracinement dans l’expérience, ignorant de ses sources,englué dans le vécu, l’individuel, le contingent. La parole en public est par ailleurs un pouvoir, qui se prend et s’exerce, se mesure à d’autres dans une interaction qui n’est pas seulement rationnelle et cognitive, mais affective et personnelle. Sociale aussi : elle met en jeu une image de soi à conquérir et préserver dans le groupe, surface projective pour « sauver la face » (Gofman). De mêmeil ne suffit pas que la discussion soit démocratique pour qu’elle soit de facto philosophique. On peut répartir équitablement la parole et l’expression de préjugés.
La discussion au café-philo devient donc philosophique quand elle échappe à la conversation qui « associe » des idées au lieu de les articuler par rapport à une question et entre elles pour structurer uneélaboration. Quand elle devient un travail, individuel et commun, sur les opinions particulières et les représentations collectives, qui s’opère pas du tout, un peu, beaucoup, et selon les moments, dans chaque café-philo, pour chaque participant d’une part, pour le groupe de l’autre. Quand chaque position émise acquiert statut d’hypothèse en tant que discutable pour validation, dans uncollectif qui s’institue en « communauté de recherche » (et pas simplement confrontation d’affirmations, encore moins affrontement de personnes), sur des questions difficiles.
C’est sur le degré d’exigence de cette mise en travail que peut et doit intervenir le philosophe, mais aussi bien tout animateur ou participant qui fait preuve d’une attitude philosophique. Qu’entendre par là ? Il ne s’agitaucunement de modéliser, mais de proposer un « idéal régulateur (Kant), quelques pistes possibles, ni systématiques ni exhaustives, mais qui peuvent être les repères de « moments philosophiques » :

  • introduire brièvement la question par une problématisation du sujet. Entre autres (ex « L’amour est-il une illusion » ?), les enjeux diversqui font de la question un problème philosophique (l’amour engage la relation à l’autre); les concepts et relations entre concepts à creuser (amour et illusion) ; la définition provisoire d’un concept (sentiment de captation affective et sexuelle), la délimitation de son champ d’application (amour entre adultes, et non des enfants, de l’argent ou de Dieu), les thèses possibles (l’amourest une illusion nécessaire), et leurs présupposés (une réalité vécue qui ne correspond pas à sa perception) ; les questions subséquentes (peut-on aimer en sortant de l’illusion de l’amour ?), les axes de réflexion (moral : l’amour illusion est-il égoïste ou oblatif ? esthétique : n’est ce pas l’illusion de l’amour qui esthétise larelation à autrui ? métaphysique : l’amour est-il constitutif de l’émergence du sujet ?) ;
  • questionner une affirmation, une définition, la question elle-même, ses présupposés et conséquences, sa formulation même. Déplacer la question. Se laisser interpeller par les questions des autres et travailler ces interpellations.
  • conceptualiser une notion,c’est-à-dire faire évoluer sa définition première, la redéfinir au cours de la recherche en fonction des débats.
  • argumenter rationnellement, fonder son point de vue à partir de principes et de raisons ; formuler un doute sur une définition, une thèse, émettre des objections pertinentes ; répondre avec sagacité à des objections, sur le mêmeplan ou en changeant de registre. Argumenter avec les autres contre soi-même.
  • analyser un cas concret, et dégager le sens de cette analyse par rapport au sujet. Mais aussi s’élever au dessus de l’exemple pour gagner en universalité de son propos (ne pas parler de l’amour qu’en fonction de ses réussites ou échecs personnels).
  • reformuler uneintervention pour construire philosophiquement du sens. Souligner son lien avec la question travaillée, et son statut réflexif : tentative de définition d’un concept, énoncé d’une thèse, argument qui la fonde ou l’objecte, apparition d’une idée nouvelle faisant progresser la réflexion (ex : ouverture d’un autre champ d’exploration, changement de registre) explicitation d’une intuitionentrevue ou maladroitement formulée, rebondissement ou déplacement de la question … Articuler aussi l’intervention avec les précédentes : renforcement d’une position émise, argument supplémentaire, thèse opposée, objection à une thèse, un argument, réponse à un argument …
  • apporter de manière brève à partir d’uneintervention d’un participant, une position proche ou contraire de philosophe, dont l’énonciation est compréhensible sans aucune connaissance de la doctrine (exercice de vulgarisation très difficile, mais très formateur).
  • faire des synthèses partielles ou une récapitulation finale restructurant l’ensemble du débat par rapport à la problématique du sujet, éventuellement en écho par rapport à l’histoire de la philosophie, sans pour autant conclure…

Il ne s’agit donc de rien d’autre que d’en appeler essentiellement aux processus de pensée de toute démarche réflexive, plus ponctuellement à tel point de doctrine susceptible d’enrichir le débat. Et ce que l’on soit participant, ou chargé d’une fonctionparticulière : introducteur du débat, animateur, reformulateur, synthétiseur, avocat du diable etc.
Mais cette « vigilance philosophique » n’a selon nous de sens que si le philosophe se garde de certaines dérives, et en particulier :

la confiscation de la parole. Au café-philo, il s’agit de discussion, et non de conférence. On n’est pas à l’école : il n’y a pas àfaire la leçon, encore moins à donner des leçons. La parole doit circuler le plus largement possible, impliquer le plus grand nombre de participants, et de ce fait doit être organisée par des règles (par exemple sur l’ordre, le nombre et la durée des interventions). Non parce que la qualité d’un débat se juge à la quantité des intervenants. La parole ne garantit en rien la teneur de lapensée, et c’est le silence qui est souvent la condition de la réflexion. Et l’égalité du droit d’expression n’est en rien l’équivalence du poids philosophique des positions. Mais parce qu’on attend dans ce lieu des apports des participants l’intérêt d’une réflexion que l’on veut collective. Et parce que l’interactivité réelle avec l’altérité incarnée est un puissant ferment destimulation intellectuelle au niveau individuel. Le philosophe, qui est par excellence l’homme du discours réflexif, ne doit ici abuser ni du temps ni de son expertise. Il n’a ni le monopole des questions, car une question philosophique est celle de tout le monde, encore moins celui des réponses, car une question en cache toujours une autre : chacun peut ici apporter son expérience et ses idées personnelles, le savoir que lui confèrent sa formation, sa profession ou simplement sa vie. On attend simplement de lui -et c’est de sa responsabilité- une intervention philosophiquement dense, mais brève et claire. C’est pourquoi il doit éviter :
le terrorisme intellectuel. J’entends par là non la référence à la culture, et à la tradition philosophique, toujours enrichissante si elle accroîtl’intelligibilité du problème examiné. Mais la révérence à un auteur comme autorité en lieu et place d’argument ; l’étalement de noms, d’ouvrages et de termes techniques ; toute pédanterie qui obscurcit le débat plutôt qu’il ne l’éclaire ; et surtout l’allusion implicite – sans donner les clefs de compréhension à qui l’ignore – à tel auteur, œuvre, passage que l’onsuppose à tort évidemment connu de tous, ce qui permet d’établir sur un groupe, par connivence avec les seuls initiés, le pouvoir que confère la « distinction » (Bourdieu) d’un savoir non partagé.
– Un café-philo peut parfaitement fonctionner avec des « moments philosophiques » sans philosophe dans la salle, si l’animateur et quelques participants font preuve d’«attitudes philosophiques» comme ci-dessus définies. Inversement, il peut fonctionner à « profil bas » même avec des philosophes, si ceux-ci font des interventions longues, savantes, incompréhensibles, interviennent comme des « sujets supposés savoir », ce qui détruit l’esprit de recherche, et avec une animation « socio-culturelle » ou une gestion démocratique du groupe sans aucune exigenceintellectuelle.

QU’EST CE QU’UN CAFE-PHILO PEUT APPORTER AU PHILOSOPHE ?

Mais renversons la question. Si le philosophe peut apporter sa spécificité au café-philo, est- ce que la spécificité du café-philo peut apporter quelque chose au philosophe en tant que tel ? Nous le pensons, s’il ne se contente pas d’interpeller le café-philo, mais s’il se laisse interpeller par lui. Et ce notamment sur trois plans.

1. Se laisser déstabiliser par l’opinion.

Le propos peut sembler paradoxal, puisque c’est le rôle du philosophe de déstabiliser au contraire l’opinion. Que pourrait apprendre de l’opinion celui qui a pour fonction de la mettre en doute ?

  • J’ose pourtant affirmer (témoignage qui ne fait donc pas argument) que le café-philo déstabilise parfois ma pensée. Certaines formulations de sujets me surprennent(ex : « Pourquoi se compliquer la vie quand elle si courte ? », « T’as pas cent balles ? ») : je peine à entendre philosophiquement la question, à conceptualiser telle expression. Je ne peux plus convoquer spontanément des problématiques classiques, des auteurs incontournables sur le sujet, des réponses éprouvées, comme lorsqu’il s’agit de « sujets du bac », bref m’appuyer surma (dé- ?)formation professionnelle. Ces formulations m’obligent à penser, parce qu’elles n’ont pas été formulées par des philosophes qui les posent ou n’ont pas été élaborées de façon à ce qu’elles soient philosophiquement « traitables ». Je me trouve dans la position de l’élève qui le jour du bac n’a pas les « clefs » (ce que lesexaminateurs appellent d’ailleurs un « mauvais sujet »). Mais là, devant un sujet « non académique », plutôt que de dire qu’il est « mal formulé », je l’affronte, et il m’intéresse parce que je ne sais comment le prendre, parce qu’il fait énigme pour moi, problème, c’est-à-dire en grec difficulté, ce qui est la meilleure stimulation pour la pensée. Et lemême choc peut se produire vis-à-vis d’une position ou d’un argument que je n’avais pas prévus (Il y a dans l’opinion de l’ « imprévisible »).
  • « L’expertise modeste », voilà l’expérience que peut faire un philosophe au café-philo, comme « vierge » devant certains sujets posés par des non-philosophes, mais qui ont pour eux, souvent à juste titre, unenjeu philosophique. C’est cette confrontation aux non-philosophes qui peut être roborative, au même titre, mais différemment, que celles des grands philosophes. Toute position de surplomb, toute condescendance de « celui-à-qui-on-ne-la-fait-pas-en-philo », tout mépris pour le peuple Note4, considèré comme un « idiot culturel » (à tort selon Garfinkel), doit être interrogé, car ils pourraient priver le philosophe de sa puissance de douter Note5, de son goût de chercher et du désir d’apprendre. Ne peut-il donc pas y avoir une « doxa », une « opinionphilosophique » ? Celle du professionnel de la philosophie incapable de « s’étonner » (Aristote) même de l’opinion, parce qu’il l’a condamnée a priori Note6?

2. Apprendre à écouter

  • Le café-philo est un lieu (semi-)public, où l’on vient et part deson plein gré, s’autorise à être animateur, et se donne des règles de fonctionnement sans normes imposées. On est dans l’instituant. Un professeur de philosophie est donc là en tant que personne, libéré du salariat et de toute obligation professionnelle. Il n’a pas à réaliser des missions, traiter un programme, préparer à un examen, mettre des notes, rendre compte à uninspecteur ou à des parents.
  • N’ayant plus l’objectif explicite de formation, il peut adopter une autre attitude que celle de formateur : par exemple animateur, laissant le débat très ouvert, sans le souci de faire cours, « caser des contenus », introduire la séance dans une progression etc. ; ou intervenant à sa convenance en tant que participant,élaborant son positionnement en fonction des débats, et non de finalités institutionnelles …
  • Cette « décompression » par rapport à des contraintes extérieures peut le rendre plus disponible à la parole d’autrui, qu’il ne s’agit plus comme avec des élèves de différer ou de filtrer en fonction du fil directeur qu’il poursuit. La fonction dereformulateur depuis cinq ans au café-philo de Narbonne, dans la mesure où il s’agit davantage de structurer ce qui se dit et de faire rebondir sur le sujet que d’apporter du contenu, m’a personnellement appris à écouter réellement ce qui se disait, à faire un sérieux effort (et c’est un gros travail), pour comprendre les deux ou trois idées d’une intervention, et la façon dontelles s’articulent entre elles et avec la discussion en cours. Et ce d’autant plus que je suis libéré par mes coanimatrices de la présidence de séance, qui répartit la parole dans un groupe d’une cinquantaine de personnes, et de la synthèse à mis parcours et à la fin. Je soutiens donc l’idée qu’un philosophe peut apprendre à écouter au café-philo, capacité trèsutile pour un enseignant en classe, qui n’entend la plupart du temps des élèves que ce qui lui est utile pour poursuivre sa « leçon ».

3. Participer à des discussions.

  • Ce peut être une chance pour un professeur de philosophie de participer aux discussions de certains cafés-philo, et d’en animer. Le modèle dominant de l’enseignement philosophique français repose en effetsur un tryptique : la leçon du professeur comme « œuvre », l’étude des grands textes, la rédaction de dissertations. On ne parle même plus de « discussions ou de débats » dans le programme de philosophie publié en août 2000 (contrairement à la circulaire de référence de 1925 !).
  • Or nous faisons l’hypothèse que l’on peut apprendre à philosopher par la discussion, au même titre que par la lecture et l’écriture philosophiques, dès lors que s’expriment dans les débats certaines exigences intellectuelles. La pratique de certains cafés-philo peut donc être, pour la didactisation de l’oral et de la discussion philosophique à l’école, parents pauvres pour l’instant de l’enseignement 7, une « pratique sociale de référence », et ce d’autant plus qu’il y en peu dans la tradition philosophique (nous ne connaissons que des dialogues du type de ceux de Platon, écrits et avec seulement deux ou trois interlocuteurs, et les longs monologues successifs de la disputatio du Moyen Age).
  • Certainsprofesseurs de philosophie témoignent d’ailleurs de l’expérience formative de cette expérience pour l’animation de débats dans leurs classes terminales. Comme une telle formation, initiale ou continue, n’existe pas pour l‘instant dans les IUFM, compte-tenu de la tradition magistrale de l’enseignement philosophique (alors que paradoxalement commence à s’y développer une formation pour les professeurs d’école à la discussion philosophique à l’école primaire !), l’existence de cafés-philo nous apparaît essentielle comme espace d’expérimentation, voire de formation, pour une pratique innovante de l’apprentissage du philosopher.

CONCLUSION

Le café-philo est un enjeu actuel pour la philosophie et les philosophes. Il soulève le rôle de la philosophie dans la cité (qu’il faut «rendre populaire » selon Diderot) et celui du philosophe sur l’agora. Il interroge sur la place de la discussion dans la démarche philosophique et l’apprentissage du philosopher. Et partant sur sa fonction dans l’enseignement de la philosophie. Il n’est dès lors pas étonnant qu’il soit en débat comme pratique sociale porteuse de sens dans la communauté philosophique elle-même.

Michel Tozzi –Université P. Valéry, Montpellier 3
Contacts : michetozzi@aol.com

BIBLIOGRAPHIE

Sur la discussion philosophique
– Séminaire de l’INRP 1999-2001 sur « Pratiques de la philosophie en classe terminale » (coord. F. Raffin) – Artilces de F. Raffin, M. Tozzi, M. Verhelst, M. Vignard, E. Zernik (A paraître).
– L’oral argumentatif en philosophie, CRDP Langurdoc-Roussillon, 1999.Notamment articles de M. Tozzi (p.87-186) et G. Ferrandez (p. 247-261).
– M. Vignard, « La discussion philosohique : le discours philosophique à l’épreuve de sa popularisation, Cahiers Pédagogiques, n°401, fev. 2002.

Sur les cafés-philo.
– M. tozzi, « Un café-philo bien frais », Cahiers Pédagogiques, n0385, juillet 2000.
Et quelques articlespubliés dans Diotime l’Agora, CRDP Languedoc-Roussillon (le n° 50F).

N°1, mars 1999, O. Brênifier, « Les cafés philosophiques ».
N°2, juin 1999, P. Hardy, « Vous avez dit « café-philo » ? »
N°3, sept. 1999, J.F. Chazerans, « Fait-on de la philosophie dans les cafés-philo ? », et O. Brênifier, « La pratique du débat philosophique».
N°4, déc. 1999, P. Mengue, « Café-philo : le moment agoraïque de la philosophie ».
N°5, mars 2000, Y. Youlontas, « Débats sur l’agora tarnaise ».
N°6, juin 2000,A. Delsol, « Trois ans de café-philo ».
N°7, sept. 2000, « Déclaration des cafés philosophiques ».
N°9, mars 2001, M. Tozzi, « Les enjeux de l’animation d’un café-philo ».
N°10, juin 2001, P. Mengue, « Agora et vérité dans les cafés-philo ».
N°11, sept 2001, D. Mercier « L’animation d’un café-philo : quelle spécificité ? ».

- Le café-philo de Narbonne (1996-2000), Réflexions et débats (A. Delsol, M. Tozzi).


Notes
(Cliquez sur les pour revenir au texte)

1 – Par convention nous dirons désormais « le philosophe », sans préjuger de la question : « Les professeurs de philosophie sont-ils des « philosophes » ?

2 – Qu’est ce que la philosophie ?, Editions de Minuit, 1991, p.32-33.

3 – Marx et Sartre ont prôné pour leur part une interventiondirectement politique, et ont renouvelé la problématique de « l’intellectuel engagé ».

4 – C’est pourtant la position de Platon et Nietzsche par exemple, anti-démocrates parce qu’aristocrates de la pensée !

5 – Nous nous sentons en ce sens plus proche de Socrate qui « sait qu’il ne sait rien », ou de Descartes qui doute de tout. Non par relativisme doctrinal, mais par scepticisme méthodologique.

6 – Platon ne pensait-il pas qu’il y a des « opinions droites », Aristote que le discutable est plus de l’ordre du vraisemblable et du vrai, et Descartes qu’en morale il faut s’en tenir à des postions provisoires ?

7 – Celan’a pas toujours été le cas. Nombre d’enseignants de philosophie ont organisé des discussions après 68, dont gardent trace les recommandations sur le débat d’une circulaire de 1977.

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