Intervention au 4ième Printemps des Universités populaires juin 2009
Contribution de Michel Tozzi aux problématiques
du 4ième Printemps des Universités populaires
Bobigny – Juin 2009
Problématique 1
Savoirs théoriques et savoirs d’expérience
L’université française, malgré de nettes évolutions dans la dernière période, enseigne traditionnellement davantage le savoir académique, comme « ensemble de connaissances scientifiques rationnellement élaborées ou culture humaniste généraliste », qu’elle ne permet de s’approprier des compétences, plutôt renvoyées à l’utilité du terrain professionnel, celui du métier, de l’entreprise et du marché du travail.
Elle a historiquement peu reconnu et pris en compte d’autres types de savoir que des savoirs théoriques, qui seraient de l’ordre du savoir-faire, de savoirs pratiques ou d’expérience, élaborés précisément hors de l’université, de la recherche officielle, mais dans des activités concrètes, pratiques, professionnelles ou non, par exemple artisanales, ou syndicales et associatives… Ces savoirs peuvent être individuels, mais aussi collectifs, élaborés dans et par des groupes de pratiques sociales…
La reconnaissance d’une qualification acquise en dehors d’un cursus universitaire et diplômant, par la VAE par exemple (validation des acquis de l’expérience) est très récente et encore peu répandue. Pourtant ces « savoirs » acquièrent progressivement, du point de vue épistémologique un statut et une légitimité, car ils ont valeur d’intelligence du monde, et de capacité à le transformer.
Un syndicat par exemple peut être considéré comme un « intellectuel collectif » qui se donne des catégories pour penser le monde, la situation des travailleurs, qui transforme aussi des situations et des sentiments d’injustice en revendications, qui élabore enfin des stratégies et tactiques pour les faire avancer.
La question est donc posée de savoir si une université populaire a vocation, vu sa spécificité, de diffuser, au même titre que des savoirs théoriques accessibles, des savoirs pratiques ou d’expérience, notamment émancipateurs, et lesquels.
Dans ce cas, il pourrait s’agirait de repérer quels sont ces savoirs, de reconnaître leur légitimité, la valeur à la fois épistémologique et émancipatrice de leur élaboration, et de les diffuser par des méthodes appropriées.
Qu’est-ce donc qu’un savoir pratique ou d’expérience ? Par exemple un « savoir social » ? Comment s’y joue le rapport à la théorie et à la pratique ? Quels savoirs peut-on ainsi définir et nommer? Lesquels apparaissent comme émancipateurs et en fonction de quels critères ? Comment les faire approprier dans une UP (Il y a là notamment des méthodes à construire : par exemple à base de récits ou de témoignages ; par des expérimentations en atelier etc.) ?
Problématique 2
Savoirs académiques et savoirs critiques
Une université populaire doit-elle diffuser tout savoir disponible, dès lors qu’il est scientifiquement garanti, parce qu’il s’agit de rendre le savoir démocratiquement accessible à tous, ou doit-elle diffuser préférentiellement des savoirs critiques ?
Mais qu’est-ce donc que le savoir ? En quoi se distingue–t-il d’une croyance ? Quelle différence entre croire et savoir ? Le savoir est-il en soi émancipateur ? Y a-t-il des savoirs plus émancipateurs que d’autres ? Faut-il distinguer savoirs académiques et savoirs critiques ? Qu’est-ce qu’un savoir académique et un savoir critique ?
- Un savoir est-il critique par son contenu (ex : il dévoile philosophiquement un préjugé, sociologiquement une dissimulation sociale cf. Bourdieu) : beaucoup de savoirs diffusés à l’université sont alors critiques, notamment dans certaines sciences humaines. Mais tout savoir n’est pas en soi et forcément critique. Un savoir-faire artisanal ne critique pas le réel mais le fabrique. Une œuvre d’art, type spécifique de « savoir esthétique », peut être « académique », conservatrice, ou révolutionnaire au niveau artistique ou sociétal.
Le problème est complexe. Ex. : il y a plusieurs écoles scientifiques en économie, certaines justifient économiquement le marché, d’autres le condamnent, d’autres le pondèrent. Il y a en la matière des questions scientifiquement vives, que discutent les spécialistes eux-mêmes. Des débats entre experts eux-mêmes (Et un gouvernement sait quels experts il va mettre en avant pour justifier ses décisions…). Que diffuser alors dans une université populaire sur les questions à la fois scientifiquement et socialement vives (chômage, retraites, nucléaire, OGM, bioéthique etc.) : toutes les théories ? Certaines ? En fonction de quels critères ? Est-ce la militance et les options politiques qui doivent privilégier telle ou telle école ? Mais on connaît aussi l’instrumentation idéologique du savoir : que les découvertes et la vérité aillent dans le sens de l’histoire qu’on veut (ex : le lyssenkisme en URSS qui lui a fait perdre des années de retard en biologie…). La vigilance épistémologique du chercheur par ailleurs militant s’impose sur la crédibilité scientifique du savoir diffusé.
- Ou/et le savoir est-il critique essentiellement par son usage social (critique versus conservateur voire réactionnaire). Car le savoir a des enjeux techniques, économiques, sociaux, politiques, par son impact réel sur le monde et son pouvoir d’émancipation des esprits. Doit-on dire qu’un savoir académique justifie le « désordre établi », et un savoir critique le dénonce (ex. : critique pour rétablir une statistique biaisée par le pouvoir, ou produire une contre-expertise) ? On parlera alors d’un usage critique des savoirs (ex. : donner des informations exactes aux riverains sur les dangers représentés par des rejets toxines d’une installation proche).