Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Enseigner la problématisation, ou plutôt apprendre à problématiser ? 41

Intervention de Michel Tozzi,

Professeur des universités à Montpellier 3,

aux Journées d’études de l’Acireph (26-28/10/06 – ENESAD Dijon)

Aborder la question de l’enseignement philosophique par l’enseignement de la problématisation, c’est y rentrer moins par la liste des notions, des repères ou des auteurs du programme de philosophie français, que par ce qui est transversal aux cours, aux notions et aux œuvres : le noyau central des problèmes, à partir desquels réglementairement notions et œuvres doivent être ordonnées. Mais en insistant davantage sur le processus que sur le produit, car c’est la démarche de problématisation, selon le paradigme français de la dissertation, qui va permettre d’identifier, de construire et/ou de comprendre un problème : du coup la notion nous met au centre de l’apprentissage du philosopher comme processus intellectuel.

Si les problèmes philosophiques (ex : qu’est-ce que la vérité ? Est-elle désirable et peut-on l’atteindre ?), se sont progressivement posés et sont déposés dans l’histoire de la philosophie et ont eux-mêmes une histoire, ils peuvent être enseignés aux élèves comme des contenus, actant un patrimoine. Ce que l’on escompte par cette transmission de la tradition philosophique, c’est qu’elle va aider les élèves à apprendre à réfléchir, et notamment, par l’exercice obligé de la dissertation, à identifier les problèmes et problématiser les questions qui leur seront posées au baccalauréat (et plus largement dans et par la vie, finalité moins consumériste…).

C’est l’articulation ainsi communément conçue entre l’enseignement de la problématisation et son apprentissage que nous voudrions interroger.

Nous posons l’hypothèse didactique qu’il est plus heuristique de parler d’apprentissage de la problématisation que de son enseignement. Notamment parce qu’il ne suffit pas d’identifier un problème pour problématiser soi-même. Et nous affirmons même que pour penser l’apprentissage du philosopher en classe, partir de l’enseignement de la problématisation par un enseignant sans prendre en compte l’apprentissage du problématiser des élèves pourrait être un obstacle épistémologique et méthodologique.

Enseigner la problématisation

Qu’entendre en effet par « enseignement de la problématisation ? ».

Renaud Dogat nous en donne un exemple quand il dit : « Problématiser : expliquer un problème philosophique, c’est-à-dire donner une idée des principaux enjeux et thèses en présence ».

Il y a deux façons au moins d’entendre cet enseignement :

1) On peut le traiter historiquement et doctrinalement, à partir de l’histoire de la philosophie et de la démarche des philosophes dans leur oeuvre. On expliquera par exemple que chez Descartes, dans les Méditations métaphysiques, problématiser consiste, pour penser par soi-même, à inaugurer un questionnement sous la forme d’un doute méthodique, systématique et radical de nos opinions et certitudes, à rendre problématique nos affirmations, en argumentant notamment que la recherche de la vérité ne peut reposer sur la connaissance donnée par nos sens ou notre imagination, mais seulement sur notre entendement. Définir ce qu’est problématiser consiste alors à analyser la façon dont un ou plusieurs philosophes s’y sont pris personnellement pour problématiser.

Enseigner la problématisation, c’est donc ici par exemple expliquer la démarche du doute de Descartes.

On pourra se référer à des démarches de problématisation d’autres philosophes, les expliciter chacune dans leur spécificité, faire un inventaire de quelques exemples historiquement disponibles, montrer les points communs et les différences, esquisser peut-être une histoire de la problématisation selon les doctrines ou les courants etc.

2) On peut aussi traiter la notion philosophiquement, en élaborer pour sa propre réflexion une définition philosophique, problématiser la notion de problématisation dans ses enjeux (métaphysiques, éthiques…), et en construire le concept (le conceptualiser), puis exposer sa propre recherche en classe lors d’un cours. Donnons comme exemple la réflexion de N. Go, qu’il pourrait développer devant des élèves de terminale :

« Problématiser, c’est élaborer un problème… Si on crée des concepts, c’est parce que le processus d’élaboration du problème a besoin d’outils pour progresser… C’est parce que le donné de la culture, le plus souvent sous forme d’opinion et de croyances, dans l’ensemble des réponses toutes faites et suffisamment communément admises pour donner une impression de vérité et un sentiment partagé de certitude, ce donné ne suffit pas à élucider le réel dans son ensemble et en tant qu’il résiste… La lucidité (qui repose sur l’exigence de vérité) implique d’identifier en quoi consiste précisément la limite de nos moyens disponibles pour comprendre ou interpréter le réel. Poser un problème, c’est se donner les moyens d’une recherche qui consiste à dépasser les limites de ce qu’on croit connaître et qui justement nous empêche de connaître. C’est porter un regard nouveau, dépouillé de ses oripeaux, et qui consent à se doter d’outils les plus efficaces possibles (les concepts) pour vivre libre (émancipé de la fonction déterminante des déterminismes). C’est prendre la responsabilité de ce vertige qui surgit dès lors qu’on renonce aux illusions confortables qui font système, et devant le caractère implacable de la cruauté (ou crudité) du réel, dès lors qu’on cesse d’y appliquer nos représentations (qui ne sont que des protections contre le désarroi)…

Si je laisse de côté la définition académique (NDLR : scolaire de la dissertation), je crois pouvoir dire que problématiser, c’est maintenir permanente la vigilance d’une pensée loin de l’équilibre, qui, tout en élaborant ses concepts, s’interroge incessamment sur les motifs de sa propre construction (à la manière de la généalogie de Nietzsche, qui demande d’où vient ce besoin récurrent de vérité sinon d’une volonté de puissance faible)…
Pour ma part, si je pose des problèmes, c’est parce que je me demande ce qui fait que la vie vaut d’être vécue, et que je ne trouve pas de réponse dans le monde tel qu’il s’offre à moi. Il me semble que poser des problèmes, c’est nécessairement les vivre (sans quoi on en reste à l’élaboration intellectuelle) et prendre acte des résultats de la recherche, quoi qu’il en coûte (et le plus souvent, il en coûte beaucoup). Problématiser, c’est faire acte de courage (sans quoi ça n’est qu’une prétention bourgeoise, ou un exercice académique), cela implique d’aller jusqu’au bout du dépouillement (à la manière du joueur de poker qui, s’il perd, accepte de donner jusqu’à sa chemise ; mais à la différence du poker, en philosophie, on ne perd jamais, ou ce que l’on perd, c’est ce dont on n’avait pas besoin). Lorsque la pensée se dépouille, elle se rend disponible pour l’intuition, la contemplation, et elle est alors enfin capable des concepts adéquats pour accéder au réel. Tout ceci n’est possible que par le sens du problème. Problématiser, c’est mettre notre monde tout entier sur le tapis du jeu (et non pas simplement une idée), en étant prêt à le perdre si tel est le résultat de l’enquête.
… Poser un problème (ou problématiser), c’est mettre sa vie en question par le soupçon porté sur l’ensemble des réponses disponibles, par le courage de l’incertitude, par un travail d’examen et d’instruction qui en découle comme nécessité. Le problème n’existe alors qu’en vertu d’une nécessité intérieure, celle de répondre à la question : qu’est-ce qui fait que la vie mérite d’être vécue ?… ».

Enseigner la problématisation, c’est ici développer devant les élèves la conception et la pratique de la problématisation élaborée pour soi-même. Le cours est bien une « œuvre » du professeur de philosophie.

3) Il y a aussi une façon d’aborder l’enseignement de la problématisation, comme méthode de réflexion philosophique, à travers les exercices proposés aux élèves, que l’on trouve dans les ouvrages de méthodologie de la dissertation, de préparation aux épreuves de l’examen. Elle rejoint en partie les précédentes, mais de manière plus concrète, car on s’adresse moins aux apprentis-philosophes qu’aux futurs candidats, avec en tête une préoccupation de résultat.

Le processus de problématisation fait, dans ces ouvrages destinés aux classes terminales ou préparatoires, l’objet d’une didactisation.

Par didactisation j’entends la façon dont une activité de recherche, ici le champ de la philosophie (ex : le doute cartésien des Méditations) devient objet d’enseignement et d’apprentissage à l’école. On sait par les travaux des didacticiens qu’il se produit, dans le passage d’un champ de recherche à sa scolarisation, une transposition, une déformation, une reconstruction du savoir savant (ici philosophique) en matière enseignée. L’existence en France d’un type d’épreuve (la dissertation), évalué en classe et à l’examen, va notamment amener à formaliser scolairement ce qui est attendu de l’élève en matière de problématisation, en particulier dans son introduction : les ouvrages didactiques produits à cet effet donnent des définitions et des conseils de réalisation, ainsi que de nombreux corrigés d’enseignants censés montrer ce qu’il faudrait ou aurait fallu faire.

Il y a par exemple un large consensus didactique dans la corporation sur le fait qu’il s’agit de mettre à jour, dans l’introduction de sa dissertation, à partir de la question posée, un problème. Parce que, ajoute-t-on, l’on ne peut répondre à la question qu’en tentant de résoudre le problème. Il y a aussi des nuances selon les auteurs sur le processus de cette mise à jour :

- il s’agit pour les uns d’identifier ce problème, ce qui suppose qu’il était déjà là implicitement, et qu’il faut, en se souvenant du travail fait en classe, le reconnaître, le dévoiler, le découvrir, au sens de la découverte d’un trésor (philosophique). La connaissance des problèmes philosophiques déposés dans la tradition est alors fondamentale, et c’est pour beaucoup d’enseignants le rôle des cours que d’exposer ces problèmes et la façon dont ils sont traités par des auteurs, ce que l’on fait aussi par ailleurs par l’étude suivi d’œuvres.

Pour problématiser une dissertation, il faut donc reconnaître un problème philosophique classique. Ce qui caractérise un problème philosophique, ce sont ses enjeux pour la condition humaine, la difficulté à le résoudre, la pluralité des réponses possibles, y compris parfois son aporie. Cela ne s’invente pas, dira-t-on, et repose sur du savoir philosophique. On peut le reconnaître en analysant les termes du sujet, les notions présentes dans la question et leur type de relation, en questionnant la question, ses présupposés et conséquences, en dressant une liste de questions ordonnées qui dégage l’axe central du problème, en mobilisant les souvenirs des cours sur les notions ou les œuvres analysées jusque là. D’où la nécessité d’ « enseigner la problématisation », c’est-à-dire les problèmes philosophiques classiques, qui aideront les élèves à cette identification.

- D’autres, parfois les mêmes, parlent de construire ou reconstruire le problème. Reconstruire suppose une mise en scène du problème : expression des enjeux, façon dont un philosophe l’a historiquement posé, ou mise en tension de solutions classiques connues, de deux positions de philosophes différents ou contradictoires.

Construire est plus ambitieux : cela suppose que l’élève imagine de lui-même un problème central, perçoive les difficultés qu’il peut bien recéler (problèma signifie difficulté en grec), esquisse des oppositions pertinentes… Pour beaucoup d’enseignants, c’est difficile ou impossible pour la plupart des élèves. D’où la position précédente, d’enseigner les problèmes pour qu’ils les reconnaissent, et aussi la proposition de mettre explicitement au programme certains problèmes pour ne pas jouer à cache-cache, ou à tout le moins de déterminer davantage certaines notions du programme, pour réduire le nombre de problèmes possibles à l’examen.

Mais dans les deux cas, c’est le problème découvert ou inventé qui va soutenir le déroulement du devoir jusqu’à sa conclusion. La problématique est alors définie comme « l’art et la science de révéler le problème philosophique, puis de tenter de le résoudre » (J. Russ). Elle irait plus loin que la position du problème, en ce qu’elle cheminerait jusqu’à sa résolution. C’est le même type d’exigence, mais plus élevé (plus de connaissances philosophiques et plus d’imagination pour la mise en scène de la pensée), que l’on trouve en classe préparatoire…

Problématiser, dans ce type de didactisation, c’est en partant d’une question (ou d’un texte à commenter, réponse à une question explicite), (re)trouver un problème, dégager ses enjeux et ses difficultés, et explorer les solutions possibles pour les dépasser et le résoudre.

Il s’agit bien d’une didactisation, d’une transposition didactique dirait Chevallard, et même ou plutôt d’une création scolaire, dirait Chervel, car les philosophes eux-mêmes n’ont que très rarement fait de dissertations, sauf quand comme Rousseau et Kant ils passaient des concours ! Cette construction didactique est le fruit d’une histoire (la dissertation est une invention française de la fin du 19ième), et bien d’autres formes de didactisation sont possibles, et existent par ailleurs de par le monde. Mais en France, les gardiens de l’institution philosophique en font la démarche paradigmatique de l’apprentissage du philosopher (la dissertation comme « patrimoine incontournable de l’enseignement philosophique », disait-on dans le programme de 2000), condamnant seulement parfois ses dérives formalistes.

Apprendre soi-même à problématiser

Dans les figures de didactisation ci-dessus, où la problématisation est enseignée comme contenu historico-doctrinal ou méthodologique, le professeur estime que la démarche de tel philosophe, ou/et de plusieurs philosophes, ou/et sa propre démarche (sa conception de la problématisation comme contenu, la démarche de son cours sous forme dissertative, ou les exemples de problématisation donnés dans ses corrigés de dissertation), peuvent être un modèle à suivre pour les élèves, qui leur apprendra à problématiser.

La problématisation est la démarche de pensée par laquelle on problématise. Qu’est-ce donc que problématiser ? Voilà une question (qu’est-ce que ?) sur la définition d’une notion (problématiser). Pour qu’un élève apprenne à problématiser, il faut donc lui expliquer la problématisation, et lui donner des exemples, celui des philosophes ou le sien propre !

On lui dira par exemple de s’inspirer du doute cartésien pour mettre en question ses propres certitudes, comme autant de préjugés issus de son milieu familial et social, de son groupe de pairs, des médias etc. On lui expliquera comment problématiser. On lui donnera des exemples d’auteurs ou de corrigés. Et on lui demandera de le faire.

L’expérience montre cependant que la transmission de démarches sous forme de contenus déclaratifs (exposer comment Descartes fait ou comment on fait dans une dissertation) et injonctif (dire de faire comment on a montré), n’amène forcément ni à « désirer vouloir le faire » (car cela suppose que le sujet puisse y trouver un sens), ni à « savoir le faire », même s’il le veut : car il s’agit pour l’élève d’apprentissage, donc de a) désir, b) d’une compétence à construire, face à la tâche prescrite, dans une activité réelle. C’est la limite de toute pédagogie transmissive ou du modèle à imiter.

Dans cette perspective, la question ne peut plus être, ou pas exclusivement (car toute connaissance philosophique peut être formative, si elle n’est pas seulement apprise, mais habitée par une pensée qui la revisite) : « Que leur enseigner sur la problématisation pour qu’ils apprennent à problématiser? ». Car il ne suffit pas, et de moins en moins selon les types d’élèves, d’ « enseigner aux élèves pour qu’ils apprennent », et en particulier de leur enseigner des connaissances pour qu’ils développent des compétences. Ou plutôt les connaissances (sur la problématisation) ne deviennent opérationnelles que mobilisées pour et dans une activité (s’essayer à problématiser), confrontée à la résistance du réel (ici par exemple la posture assumée d’une visée de vérité, la difficulté de mettre en cause sa représentation du monde, l’adoption d’un rapport réflexif et non utilitaire à la langue pour penser etc.)

La question, lorsqu’elle est didactiquement posée, nécessite de clarifier « Qu’est-ce qu’apprendre à problématiser pour un élève? » (plutôt que : « Qu’enseigner sur la problématisation ? à des élèves ». « Apprendre » signifie moins ici « apprendre la problématisation à quelqu’un » (to teach, enseigner), mais « apprendre soi-même à problématiser » (to learn, apprendre quelque chose).

Cette « révolution copernicienne » (se mettre du point de vue de l’élève quand on est enseignant), aborde la question : qu’est-ce pour un élève que « problématiser » ? Et, puisqu’il s’agit pour lui d’un apprentissage, d’ « apprendre à problématiser » ? Il faut donc comprendre les processus de pensée que les élèves mettent en jeu face à une telle tâche, dans l’exercice de ce type d’activité, et quelles difficultés ils rencontrent dans l’exercice.

Nous avons travaillé pour notre part, dans les années 90, à une formalisation qui n’entrait par par l’enseignement de la problématisation, mais par son apprentissage. Nous envisagions la problématisation comme une compétence intellectuelle de l’élève à développer dans des activités diversifiées (discussion orale et formes diversifiées d’écriture), à un moment où l’approche par compétences était vigoureusement critiquée comme « pédagogiste et techniciste », bannie des programmes…

Problématiser, disions-nous plus exactement, d’un point de vue didactique (que nous distinguions d’un point de vue philosophique, variable selon les philosophes, parce que l’on s’y place du point de vue de l’élève), constitue « l’une des capacités philosophiques de base (avec conceptualiser des notions ou des distinctions notionnelles, et argumenter rationnellement son jugement), en vue d’apprendre à philosopher au cours d’activités complexes de réflexivité, développant des compétences à lire, écrire et discuter philosophiquement dans un rapport au réel qui met en jeu (comme enjeu) le sens et la vérité (la sagesse antique ajouterait : le bonheur) ».

Depuis 1998, nous avons travaillé à la mise en place de nouvelles pratiques à visée philosophique dans la cité (café philo et université populaire), et à l’école primaire et au collège.

La situation instituante de pratiques innovantes sans normalisation institutionnelle, l’absence de programme, de dissertation, d’examen, plus généralement d’évaluation, l’intérêt pour la l’oral et la discussion, et chez les enfants l’ancrage de l’éveil de la pensée réflexive dans la sensibilité et l’imagination, le travail du penser ensemble sur la littérature et le mythe etc., nous ont amené à d’autres formes possibles de didactisation.

L’expérience récurrente du questionnement syncrétique et radical des enfants, aux pourquoi essentiels et déstabilisants pour l’adulte, de la confrontation sociocognitive dans la discussion en classe, au café philo et dans l’atelier philosophique pour adultes de l’université populaire, nous a orienté vers une formalisation de la problématisation plus diversifiée.

Nous voudrions insister particulièrement sur un point qui nous semble au fondement de la démarche de problématisation : la place donnée, au-delà de la question, au questionnement, parce que c’est lui qui va donner sens (signification et direction), à la recherche qui s’initie. Un questionnement habité, « pour de bon » ou « pour de vrai » comme disent les enfants, qui n’a pas à être « dévolu » à l’élève par le maître, qui n’est plus « de commande » (scolaire, pour le contrôle ou l’examen), mais de « nécessité intérieure », par l’enjeu existentiel qu’il représente pour le sujet dès qu’il le soulève, le porte et doit le « supporter » (dans la polysémie du terme). La posture est ici essentielle, elle m’institue dans son urgence comme sujet pensant, me fait faire, comme dit J. Lévine, l’expérience du cogito : expérience fondatrice chez l’enfant pour entrer dans une démarche de problématisation.

On dissertera sans fin pour déterminer si on est au pire hors problématisation, au mieux dans ses préalables (positions de la plupart des professionnels de la philosophie, qui s’écrieront : où est le problème derrière la question !). Ou si la problématisation a déjà « commencé » (le commencement n’étant pas réductible à l’origine, selon la distinction deleuzienne). Nous pensons que le questionnement n’est pas réductible à la question (a fortiori au sens d’un sujet sous forme de question posée à un élève et un candidat). La question n’est parfois même pas clairement formulée chez celui qui s’interroge. Et pourtant la préoccupation est là, posée par la vie, reprise par une verbalisation qui s’essaye, et va ressentir la pensée comme un besoin. Car le questionnement (prenons l’exemple de la mort, dont la préoccupation surgit souvent vers quatre ans chez l’enfant), prend sa source dans l’émergence chez le sujet humain d’une énigme, dérangeante voire lancinante, qui demande impérieusement à être examinée, éclaircie, résolue, qui va chercher des mots pour se dire, une formulation, souvent sous forme de questions. Le questionnement est en ce sens déjà démarche, autoprescription à la recherche, et adresse implicite ou explicite à d’autres hommes pour comprendre, savoir, échanger. La problématisation c’est le cheminement initié et tracé par un questionnement authentique. Et commencer à problématiser, c’est entrer en philosophie. Nous sommes là au cœur de ce qui fait sens pour l’homme dans le philosopher, qui ne doit pas être (et risque d’être) éteint par la simple didactisation d’exercices scolaires. Ce sont les conditions du problématiser en classe terminale (la préparation au bac), qui font parfois oublier ce qui est central dans la démarche, et doit être pédagogiquement suscité, encouragé et accompagné, le questionnement authentique d’un sujet.

En résumé, problématiser c’est entrer dans une démarche de questionnement qui va nous habiter comme problème ouvert, parce que nous somme percutés par l’urgence existentielle et intellectuelle à résoudre une énigme : d’où la nécessité de l’expliciter, d’affronter la difficulté à la résoudre.

C’est pourquoi cette capacité de questionnement, à la fois originaire dans l’enfance et récurrente dans la vie, est nécessaire à développer pour celui, qui, dans ou hors l’école, et il n’y a pas d’âge requis pour commencer, veut apprendre à penser par soi-même. Dans une situation de formation, elle doit être didactisée, d’une part en clarifiant ce processus pour les apprentis-philosophes, d’autre part en proposant des situations pour favoriser son apprentissage.

Et c’est dès ce point d’interrogation que l’accompagnement d’un tiers instruit (professeur/animateur) est nécessaire pour travailler avec ce questionnement individuel, très vite collectif par sa portée universelle dès qu’il est assumé par un groupe (d’enfants, d’adolescents ou d’adultes). On peut ainsi apprendre à problématiser à l’oral, et pas seulement à l’écrit, par la confrontation sociocognitive dans un esprit de recherche, quand on est moins dans une logique de contradiction argumentative, que dans une démarche d’auto interrogation collective où on intègre dialogiquement la différence des points de vue, qui nous déplace dans notre façon de questionner et d’essayer de répondre aux difficultés rencontrées…

Nous ne voulons pas dire qu’il suffit de se questionner pour problématiser : il faut saisir les enjeux de ce questionnement pour la condition humaine, ce qui s’exprime chez les enfants par la gravité et l’urgence des questions qu’ils posent, mais n’est pas encore explicité, thématisé. Il faut aussi saisir en quoi il y a problème, c’est-à-dire difficulté à répondre à ce type de question, pourquoi la question est complexe, ouverte, impossible à résoudre techniquement, scientifiquement, et néanmoins susceptible de plusieurs types d’approches et de traitements, plusieurs réponses (y compris parfois aporétique…). Il sera bon alors de rencontrer à un moment du cheminement, de son cheminement, des philosophes, mais pas forcément d’emblée ou comme préalable, car ce qui compte, c’est l’origine en soi du questionnement, tout au moins lorsqu’il s’agit de penser par soi-même…

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