Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Café philo Narbonne : comptes rendus des séances année 2002-2003

L’authenticité, une vertu ? un leurre ?

18/09/00 (Café philo n° 40, compte rendu fait par Alain)

 

Quarante participants ont ouvert cette 5ème année de café-philo. Nicole définit successivement l’authenticité : certification juridique, glissement vers le marketing, relation à la vérité. L’authenticité…

serait une vertu lorsqu’elle tend vers le bien, un leurre quand elle tend vers la tromperie. Comment fonder la vérité, l’authenticité de quelque chose et de façon plus compliquée comment fonder “ sa vérité profonde ” ? Nicole conclura avec San-Antonio, “ Bérurier dégouline d’authenticité ”.

Authenticité etimpossibilité

Les premiers intervenants pensent qu’il est difficile voire impossible d’évoquer un “ vérité profonde ” car ce sont les normes qui confirmeraient l’authenticité. Pour une intervenante, le rapport authenticité / sincérité appelle une réflexion éthique, qui est également en dehors de nous.

Authenticité etsensation

Un nouvel intervenant apporte une thèse inverse, ce qui importe serait d’être en conformité avec soi. Une discussion oppose alors des arguments pour dire que ce sont les normes qui influencent la certification de ce qui est authentique à d’autres arguments qui présentent la singularité du sujet comme garant de l’authenticité “ il faut éprouver en soi une sensationd’authenticité ”. Mais, une autre personne s’interroge “ suffit-il de développer cette singularité pour être vertueux, car cette sensation peut également être un leurre ? 

Authenticité et moi authentique

Un nouvel intervenant s’interroge si Socrate lui-même était un être authentique, car la parole de cephilosophe se double souvent de duplicité. Socrate, cherche-t-il le bien de l’autre ? Un autre intervenant répond que la ruse pédagogique du philosophe ne vise pas seulement à confondre une personne, les finalités du philosophe développent un réel souci de recherche de vérité et d’authenticité. Un nouvel intervenant note que ce type de raisonnement socratique met en relation l’homme etl’être, i.e. pose l’authenticité comme valeur ontologique ce qui suppose que derrière chaque homme se trouve un déjà-là, un moi authentique. Un autre intervenant demande si le langage, véhicule de la pensée, est suffisant pour faire émerger la prise de conscience chez un sujet qui jusque là était censé être dans l’erreur, dans l’inauthentique i.e. dans un rapport fauxentre ce qu’il est et son moi authentique ?

Authenticité et l’Autre

Un nouvel intervenant se réfère à Heidegger pour dire que le déjà pensé n’est pas forcément la première authenticité par rapport à soi et aux autres. L’authenticité s’effectuerait en dehors de la raison comme rupture entre le logos et la nature. Ladiscussion verse alors vers la psychanalyse, “ un sujet n’est jamais en adéquation avec lui même car avant de parler tout sujet est d’abord un sujet parlé ”. Nous serions face au paradoxe suivant : “ le signifié est défini par le signifiant, i.e. que l’homme avant de rencontrer la parole a déjà été nommé par la parole ”. La proposition faitepar la psychanalyse renverse la proposition socratique car pour parler à l’autre, pour parler du réel dans lequel l’autre s’inscrit il faudrait que son réel soit authentique, or pour la psychanalyse la construction du réel du sujet est un leurre, “ c’est un lieu de fiction ”.

Authenticité entre Faire et Dire

Un nouvel intervenant pense que la notiond’authenticité implique celle de l’être profond “ quand celui-ci se ressent en accord avec ses actes, quand je suis ce que je dis, quand il n’y a pas de différence entre ce que je fais et ce que je dis ”. Plusieurs participants pensent que ce qui fait douter de l’authenticité chez un individu c’est qu’il est à la fois authentique sur certains points et non-authentique surd’autres. En fait la richesse de l’individu conjugué au temps font qu’il y a à la fois doute sur l’authenticité et cohérence.

Pour conclure 

Tout le monde a été d’accord pour dire que l’authenticité des choses et des objets dépendait d’une certification sociale. Il y a eu désaccord pour définir l’authenticité de soià soi, de soi à l’autre et savoir d’où je suis défini. La psychanalyse pense que l’authenticité du sujet est structurée par l’inconscient qui est défini comme un langage. Dans ce cas, toute recherche d’authenticité serait illusion. Mais si l’inconscient, lieu du plaisir, peut nous amener à devenir d’authentiques sinistres on peut alors se demander si “ l’inauthentique recherche de la vertu ” de la philosophie qui prétend faire de nous des êtres sociaux capables de vivre ensemble, est une recherche authentique ou un leurre ?

 

La masculinité aujourd’hui, c’est quoi ?

23/10/00 (Café philo n° 41, compte rendu fait par Alain)

Environ quatre-vingt participants étaientprésents dans le nouveau lieu du café-philo : le Café de la Poste. Jean présente le thème de la soirée. Dans sa recherche pour définir les mots “ masculin ” ou la “ masculinité ” il constate qu’il y a dix fois moins de littérature sur ce sujet que sur celui de la “ féminité ”. Autre constat, hier le mot masculinitéétait abusivement idéalisé et aujourd’hui les mouvements féministes semblent abusivement dévalorisé ce même terme. Où se trouve la vérité ? Est-ce qu’aujourd’hui l’idée de masculinité peut se satisfaire de ces deux images ?

Masculinité et biologie

Pour un intervenant, pense que la masculinitéreste liée à la différence entre masculin/féminin, parce que la masculinité ne peut être définie par rapport à elle-même. Pour une autre personne la masculinité viserait autre chose qu’une différence biologique, l’ajout d’un quelque chose autre, un devoir par exemple induirait une faiblesse dans l’idée de la masculinité. Un autre intervenant pensequ’il y aurait une volonté, une intention d’imposer l’image de ce que doit être un homme dans la société, la cause ne serait donc pas d’ordre biologique. Une intervenante tire la conclusion que si la masculinité ne s’explique pas biologiquement alors on peut voir du côté de la culture.

Masculinité, culture, histoire et société

Selon unintervenant, la masculinité est une image culturelle pour imposer la concurrence entre les hommes, homme = domination, et cela conduit au machisme. Plusieurs intervenants s’interrogent sur le rôle de l’éducation, beaucoup constatent qu’une différence dans le comportement entre les deux sexes découle de la façon dont les garçons sont éduqués. La famille structurerait dans le rapportmère/enfant l’image de la masculinité. Une thèse différente est émise, selon un nouvel intervenant la masculinité se fonde sur des caractéristiques biologiques qui entraînent une inégalité liée à la force, c’est cette inégalité qui devrait être corrigée par le Droit. Un autre intervenant fait remarquer “ que la meilleure image del’âme, c’est le corps humain ”, mais si on fait l’hypothèse qu’une âme masculine puisse être enfermée dans un corps de femme et inversement on comprend alors que la frontière entre sexe est plus fragile qu’on ne le pense. Cette intervention repose le lien entre masculinité et biologie.

Selon une intervenante des causes historiques ont fait évoluer le rapport homme/femme. Lecapitalisme a utilisé cette opposition pour aliéner les travailleuses, puis les mouvements féministes on montré que ces différences n’étaient pas fondées sur la sexualité mais sur un rapport imaginaire. Pour une intervenante il n’y avait pas de questionnement de la masculinité quand celle-ci apparaissait évidente. Aujourd’hui, la société et les féministes émettentun soupçon sur l’identité de la masculinité, alors celle-ci est remise en cause, dans ce cas il conviendrait mieux de parler d’une masculinité sous l’angle du sexué et non seulement du sexualisé, autrement dit du simple rapport biologique.

Masculinité, religion et psychanalyse

Un nouvel intervenant évoque le problème sous un angle religieux, unconformisme idéologique après les années 68 aurait posée une forme d’émancipation des êtres pour les mettre dans le sens d’une société de consommation. Aujourd’hui, quelles sont les valeurs de la masculinité, l’horizon imaginaire s’est inversé avec raison parfois mais on peut discuter de la question de savoir “ avec qui l’homme va discuter une relation transcendante ? ”. Un nouvel intervenant note que la société judéo-chrétienne n’a jamais cherché à imposer le modèle d’une masculinité violente et dominatrice. Si la transmission est autre chose que du biologique alors la question de ce que l’homme (avec un grand H) doit transmettre reste toujours posée. Une nouvelle intervenante souligne que le changement de position del’image de l’homme dans la famille n’est pas sans conséquence pour la société. En effet, jusqu’alors il n’y avait pas d’ambiguïté entre le rôle de la mère et du père dans une famille. L’autorité du père était censé structurer l’enfant dans son éducation, actuellement les femmes disposent de ce pouvoir, la place des parents est devenu flou et remet encause l’imaginaire liée à la masculinité.

Pour conclure 

S’interroger à la masculinité aujourd’hui, c’est plutôt simple tant qu’on reste dans le domaine du biologique. Qu’on s’aventure dans la psychologie, la culture ou la morale alors tout devient compliqué. Comment faire pour définir les qualités de l’homme oude la femme ? Dès lors que celles-ci ne sont plus déterminées par des différences physiques et naturelles, les qualités des unes et des uns sont-elle irréversibles ? L’homme n’est-il pas un peu femme par ses qualités culturelles ? N’est-on pas face à des stéréotypes qui nous disent voilà l’homme, voilà la femme ! N’est-on pas un peu desdeux ?

 

Pourquoi a-t-on peur de la folie ?

20/11/00 (Café philo n° 42, compte rendu fait par Alain)

Soixante-dix participants étaient présents au Café de la Poste. Marcelle présente le thème de la soirée : nous aurions peur de la folie à cause de son aspect irrationnel, peur de ne plus pouvoir contrôler nos émotions, nos rêves, noscolères, de n’être plus nous-mêmes. La folie nous place hors de la norme avec le risque de n’être plus soi-même. Elle inquiète car si la folie s’acquiert alors on peut soi-même devenir fou. Et pourtant, la folie fascine car on recherche parfois ses états : ne plus être soi-même, goûter le risque et se faire peur. La folie c’est aussi : la souffrance dufou et du non-fou, être déconnecté du réel, des limites de la liberté, un autre rapport à l’autre… La folie questionne la psychanalyse mais aussi la philosophie.

La Folie est-elle une maladie comme les autres ?

Les premières interventions essayent de donner une série de définitions de la folie : maladie avec une perte de repaire du sens et dutemps, la folie serait plurielle chaque fou nuancerait telle ou telle forme de pathologie. C’est une maladie qui rompt ou rend difficile la communication avec les autres. Elle toucherait principalement ce que l’on appelle l’inconscient. Une intervenante évoque l’éloignement qu’elle éprouve vis à vis d’une personne folle qui est étrange et illogique, mais en même temps elle s’en ressent procheà cause d’un quelque chose de l’autre en soi qui agirait comme un miroir. Pour un autre intervenant, ce trouble face au délirant serait dû au fait que la folie fait un écho aux normes sociales qui nous ont structuré. Une intervenante s’interroge pour savoir si c’est la folie qui nous interpelle ou une forme d’originalité ou de transgression qui nous tente parfois. Une question est donc posée à propos de “ la dangerosité ” de la folie.

Folie et société

Selon un nouvel intervenant, on confond souvent le fou et l’original car le premier est irresponsable et le second ne l’est pas. Le fou ou le drogué est une personne qui ne maîtriserait plus les codes de la société, il est incapable de distancier ce qu’il est de cequ’il fait, il est donc incapable d’analyser ce qui est dans la norme et hors de la norme. Un autre intervenant souligne que le fou est un malheureux, c’est une personne qui souffre. Le fou ne saurait survivre sans l’aide du non-fou parce qu’un fou est incapable de se gérer lui-même, parce qu’il est incapable d’apprécier les limites du raisonnable et que ses rapports avec les autres sont quasiment impossibles, pour un fou tousles autres sont fous. Un intervenant définit la folie ainsi “ quelqu’un hors norme qui souffre et qui dépend d’autrui et qui met mal à l’aise son entourage ”. Les interventions suivantes proposent deux causes pour la peur de la folie. Selon un groupe d’intervenants, la folie ferait peur à la société parce qu’un fou est dangereux pour sa vie et celle des autres. Selon un second groupe d’intervenants, la folie inquièterait car la folie serait comme un miroir, et la société aurait peur d’une sorte de contagion.

Ainsi, la folie se présenterait sous les traits négatifs du visage d’un être souffrant, mais aussi sous les traits subversifs d’un révélateur remettant en cause les normes qui structurent la société.

Folie et Humanité

Un intervenant demande s’il existe encore de l’humanité lorsque le lien social est rompu par le fou. Une autre personne rappelle ce qu’écrivait le philosophe Alain “ un fou n’a pas d’âme, car l’âme dit non au corps, met à distance et nous permet l’humour ”. Ainsi, plusieurs personnes excluent l’existenced’une communauté de fous, c’est cet aspect qui donnerait à la folie un visage inhumain. Un nouvel intervenant note que la folie du nazisme contredit ce point de vue. En légalisant le meurtre dans la société la folie nazie fondait un autre rapport au réel car elle niait le tabou du meurtre qui fondait la société judéo-chrétienne. Il pense que plusieurs causes peuvent entraîner uncommunauté dans la déviance de la folie . En premier lieu la philosophie allemande qui avait perdu ses illusions dans l’individu et la dialectique hégélienne qui appréhendait la société dans son devenir, or la folie pouvait devenir fascinante en donnant consistance à ce qui ne sera jamais. En second lieu, la paranoïa jusque là contenue par la société se trouve tout à couplibérée dans les mouvements de foule.

En conclusion

Une pensée du rationnel qui n’inclut pas la déraison risque de faire sombrer toute communauté dans l’inhumain car la peur de “ l’humain trop humain peut nous rendre étranger à nous même ”. Notre questionnement de la folie reviendrait donc à savoir si la raison estsuffisante pour distinguer l’homme normal de l’homme fou. Peut-on vraiment séparer Apollon de Dionysos ? Héraclite pensait que dans le monde rien n’était permanent, tout est dialectique et en devenir. La construction de chaque être n’est-elle pas duale et dialectique, ne sommes nous pas faits à la fois d’une part d’Apollon et de Dionysos, d’une part de sagesse et de folie, d’une part de conscience et d’inconscience ? N’y a-t-il pas plus grande folie que de placer la folie hors de l’homme et d’en avoir peur ?

 

Croire ou Savoir ?

18/12/00 (Café philo n° 43, compte rendu fait par Alain)

Cinquante participants étaient présents au “ Café de la Poste ”. Laurent présente le thème de la soirée et différencie les valeurs conceptuelles qui séparent ces deux notions. Il s’appuie sur la critique que Wittgenstein opère du cogito cartésien, il y aurait donc une différence entre “ Je crois et je sais, car la seconde acception ne supporterait pas le moindre aspect métaphysique ce qui remettrait en cause le fameux -ergo sum- ”. En bref, le cartésianisme serait resté prisonnier dujeu du langage et aurait falsifié la réalité en supposant que “ Je ” était la condition du prédicat “ pense ”, i.e. que le pronom “ je ” était un énoncé suffisant pour mettre en évidence que “ quelque chose  pense ”. La philosophie contemporaine modérerait le rapport entre Savoir et métaphysique et soumettrait doncà l’analyse critique ce que nous disons lorsqu’on dit que “ l’on sait… ”.

Fondation de ces deux concepts

Selon les premiers intervenants, “ croire ” serait une adhésion sans preuve tandis que le fait de “ savoir ” impliquerait la notion de preuve. Les premières personnes qui interviennent établissent une hiérarchieentre “ savoir ” et “ croire ”. Croire ferait partie de la sphère individuelle alors que Savoir appartiendrait à une sphère plus large où la transmission serait possible. Ainsi, la croyance se fonderait plutôt sur de l’amour et le savoir sur la preuve. Il y aurait donc de la subjectivité pour la croyance et de l’objectivité pour le savoir. Une intervenante remarque que celan’empêche pas forcément la confusion entre ces deux termes car un “ savoir ” partageable peut aussi se construire sur une part d’irrationnel. Un nouvel intervenant note qu’il y a deux grands courants de pensée : ceux qui fondent la preuve sur les objets physiques et ceux qui fondent la réalité dans l’idée. Selon cet intervenant, il y a dans l’être humain une“ croyance ” plus forte que la “ raison ”, i.e. que l’on commence à penser, à avoir des évidences sans preuve. Un autre intervenant vient contredire cette position, rappelant que pour Kant c’est l’expérience possible qui fonde la démonstration. Il rappelle que dans l’antiquité l’héliocentrisme a été longtemps une croyance car indémontrable, ilfallut attendre les démonstrations de Kepler, plusieurs siècles plus tard, pour démontrer et fonder mathématiquement la preuve de l’héliocentrisme. Ainsi, le “ savoir ” se transmet mais son contenu n’est valable que lorsqu’il serait objectivé.

Bref, “ savoir ” apparaîtrait comme un moment du raisonnement, un moment d’un processus et non l’interprétationd’un processus. Mais, les mathématiques reposent également sur des postulats i.e. un principe indémontrable en quelque sorte une “ croyance ” nécessaire pour le raisonnement.

L’expérience du croire et du savoir

A ce moment là, la discussion se partage en deux, certains se font les défenseurs d’une séparation nette entre ces deux notions,d’autres y voient une frontière moins étanche. Selon un intervenant, le “ savoir ” serait un processus par lequel on apprend et qui passe forcément par l’expérience et la “ croyance ” renverrait à une autorité qui détient une connaissance. Une intervenante ajoute que le “ savoir ” impliquerait toujours une part de doute alors que la“ croyance ” nécessiterait une dose de conviction. Un autre intervenant s’interroge pour savoir si un croyant qui effectue une expérience personnelle et subjective, donc non partageable, peut définir sa croyance comme un savoir parce qu’il a fait l’expérience d’un processus spirituel ? Un nouvel intervenant souligne la fausse antinomie entre Croire/Savoir introduite par Kant, car l’homme serait unêtre de croyance ? Selon cet intervenant, il faudrait se méfier de vouloir tout traiter comme une structure logique, et de chercher la vérité et le pourquoi de tout ce qui nous entoure pour l’enfermer dans un logos grammatical. Or “ au-delà de la validation et de la preuve il faut garder une place pour l’être donc pour la croyance, car l’être n’est pas démontrable ”. Denouvelles interrogations sont posées pour comprendre s’il y a une supériorité du “ savoir ” sur la “ croyance ”.

En Conclusion 

En début de discussion nous établissions une relation hiérarchique entre “ croire ” et “ savoir ”. “ Savoir ” apparaissait objectif et partageable et “ croire ” relevait du subjectif et du singulier. Au fil du débat la frontière parut plus mince. L’hypothèse vint comme dernier rempart pour éviter la confusion. Dans ce cas, le “ savoir scientifique ” viserait la vérité au travers de l’expérimentation. Il s’agirait donc d’une vérité limitée dont la preuve serait soumise à une doublevalidation : une validité interne (les conclusions qui sont tirées des données de l’expérience) et une validité externe (généralisation et reproduction de l’expérience en obtenant toujours les mêmes résultats). Mais toutes les sciences ne peuvent pas apporter une validation expérimentale, par exemple l’astronomie. Donc, l’expérience n’est pas l’unique moyen pourfonder le “ savoir ”. Mais, peut-on “ croire ” qu’il y ait une préséance entre “ savoir ” théorique et “ savoir ” expérimental. Une question reste ouverte quant à “ savoir ” ou “ croire ” que c’est la théorie qui provoque l’expérimentation ou les résultats empiriques qui donnentnaissance aux théories ?

A-t-on le droit de ne pas naître ?

15/01/01 (Café philo n° 44, compte rendu fait par Alain)

Environ 50 personnes étaient présentes au "Café de la Poste" de Narbonne. Henri présente le thème de la soirée illustré par le cas d’une famille ayant un enfant handicapé et qui a fait un procès pour faire reconnaître que leur enfant n’aurait pas dû naître. La cour de Cassation du 17/11/00 a redéfini le statut de l’embryon "comme une personne humaine potentielle.". Une question surgit alors, le handicap est-il évaluable, qui a autorité pour le définir ? La question du handicap relève-t-elle de la science ou de la société civile ? La justice pose la question du droit subjectif : avoir droit à quelque chose. La philosophie interroge le sens du terme "subjectif" sur lequel la société civile et juridique fonde son discours pour définir la notion de handicap et de handicapé ?

Responsabilité de la mère ou de la femme ?

Un intervenant rappelle qu’ Aristote distinguait l’humain comme un être en acte par opposition à l’embryon défini comme un être enpuissance. La question pourrait donc être de savoir si l’on peut reconnaître dans l’être en puissance un être en acte ou à partir de quand ? Un autre intervenant affirme que la responsabilité incombe à la science qui dispose de moyens suffisants pour se prononcer sur les risques de l’enfant à naître. Une autre personne répond que la responsabilité reste entière dans ce cas : qui tranche la médecine ou lemédecin ? Une autre personne rappelle qu’un médecin est faillible et que la science n’est pas sûre à 100%, une future mère ne se laisse pas convaincre d’avorter sur de simples présomptions mêmes si elle est consciente qu’il y a effectivement des risques. Plusieurs interventions questionnent cette relation entre grossesse ou future mère et embryon. Certains pensent que cette décision appartient en dernier ressort à lamère. Mais, le choix est extrêmement délicat car dès qu’une femme est dans une posture de maternité, elle est fragilisée par un contexte affectif fort où il lui devient difficile de renoncer ou d’apprécier les suites de sa grossesse. Une nouvelle intervenante rappelle qu’une femme enceinte n’est pas forcément une mère, ni obligatoirement porteuse d’amour et que l’IVG n’est pas à définir comme une expulsion.La mère serait une femme qui accepte la maternité, c’est-à-dire qui accepte une représentation sociale. Une autre intervenante s’interroge sur la logique du comment réclamer un droit à ne pas naître si on n’est pas né ? L’arrêté de la cour de cassation serait tendancieux car il pourrait supposer qu’une femme qui avorte ne donne pas "une personne humaine potentielle".

Handicap biologique ou psychique

Une intervenante souligne les risques d’eugénisme selon la définition du mot "handicap", comme en Suède dans les années 30. Elargissement de la discussion, nouvelles interrogations : qui a le droit de demander à ne pas naître, les personnes nées sous X, les enfants abandonnés, …qui pourraient formuler cette demande ? Un nouvel intervenant pense que l’interruption de grossesse renvoie à une logique technique assez bien maîtrisée, mais il existe une autre logique spirituelle que la science ne peut prendre en charge. Comme l’annonçait Nietzsche avec la mort de Dieu, le créateur est devenu une créature. Jusque là Dieu expliquait le rapport entre l’Etre et la Nature avec l’avènement de l’homme "Ecce Homo" cette question lui appartient. Or, la science recule sans cesse la frontièreentre l’être et la nature. D’où ce bouleversement culturel dans le rapport entre "l’étant et l’être" ( le matériel et le spirituel). Le droit à ne pas naître n’est pas uniquement une question biologique c’est aussi une question d’éthique. Selon cet intervenant, il ne s’agit pas de se contenter de savoir si l’embryon ne dispose pas de conscience ou dispose d’une conscience potentielle, ce problème ne peut fairel’économie de la définition de ce que nous appelons "handicapé". La nature laisse à chaque individu une possibilité de s’adapter à l’environnement physique et psychique. Psychiquement tout individu naît immature avec un handicap psychique, celui du Désir. Tout sujet naît dans la nature puis renaît dans une société. Le rapport d’un sujet à l’Autre quel qu’il soit, biologique ou de substitutionne peut pas se suffire d’une explication scientifique. Toute structuration humaine implique une structuration du désir, or de ce point de vue nous sommes tous nés avec un handicap.

Pour conclure

Cioran a décrit la vie comme un torrent de souffrances, peint ses contemporains de façon cynique et a devisé de "Linconvénient d’être né". Comment peut-on juger de lavie de ses semblables, n’était-ce pas une des interrogations de cette discussion ? Cette discussion a tenté de tracer les frontières entre l’humain et ce qui ne l’était pas : en ce sens le droit de ne pas naître pouvait paraître comme un faux problème. Elle a élargi le concept de "handicap" jusqu’aux frontières de l’inconscient. Laissant Cioran à son journal intime, nous préférons nous envoler pour libérer l’être du labyrinthe de l’inconscient où son désir reste trop souvent prisonnier. Car si un être qui est né sans handicap biologique le reste dans son rapport à l’autre et au désir, comment pourra-t-il penser celui qui est né avec un handicap physiologique ?

 

Peut-on tout pardonner ?

25/02/01 (Café philo n° 45, compte rendu fait parAlain)

50 à 60 personnes étaient au rendez-vous au Café de la Poste, et Daniel Mercier (animateur du café-philo de Maureillan) remplaçait Michel. Marie-Josée lance la discussion sur le sens du mot pardon. Est-ce une acception religieuse, une faute à remettre ? Le pardon est-il associable à la culpabilité ? Peut-on pardonner au-delà de ce que la justice peut faire… Le débat est lancé :qu’est-ce que le pardon et qui peut pardonner ?

Coupable ou victime ?

Un intervenant s’interroge pour savoir si un groupe ou une communauté peut revendiquer l’offense au nom de victimes disparues ? Une autre personne demande si une communauté ou un peuple doit assumer l’héritage des fautes commises par sa communauté ? Un nouvel intervenant juge que la question de l’esclavage aux USA est impossible à pardonneraujourd’hui ; le transfert du refoulé n’est plus possible et le "tout pardonner" est inconcevable parce que les américains actuels n’ont plus la même origine que ceux d’autrefois. Les victimes et les offenseurs ont changé, le pardon a lui aussi changé. Une intervenante se demande si ce qui importe c’est "demander pardon ou le pardon lui même ?" car le pardon implique une logique de l’échange et un pari sur lechangement. Une intervenante sonde le côté sensé et insensé de l’héritage historique, car c’est une façon d’avancer à reculons, est-ce que le pardon ne peut pas se projeter dans l’avenir n’est-ce pas ce qui a permis des réconciliations impensables : Mandela en Afrique du Sud, les 2 Corée, le Japon et la Corée…

Un nouvel intervenant pense que le pardon est un palliatif qui n’efface pas la faute commise. Unintervenant souligne que pour l’église le pardon n’est pas l’absolution d’une méchanceté qui laisserait l’individu libre de recommencer, une confession n’est pas une rémission avant de recommencer, c’est un pardon qui n’efface pas l’oubli de la faute, c’est un geste d’amour pour aider celui qui a fauté à vivre. Un nouvel intervenant tente de distinguer la faute ; celle faite avec intention, et celle faite avec non-intention de faire du mal. Maissi le pardon est aussi un acte d’amour de quel amour parle-t-on ?

Déconstruction du pardon

Un nouvel intervenant propose de définir le pardon comme un moyen régulateur pour apaiser les tensions, il ne s’agirait pas d’agir politiquement ou de manière éthique mais de façon psychologique "je pardonne de la même manière que j’effectue un travail de deuil". Une autreintervenante pense que la dimension individuelle ne doit pas oublier le rapport juridique liant les hommes, "Papon est-il capable de demander pardon ?" Retour à la question initiale, qui peut demander pardon ? La victime dont on s’est débarrassé comment va-t-elle produire ce travail de deuil, ou comment pourra-t-elle ester en justice ? Un intervenant souligne que c’est l’énigme du pardon qui rend impossible le fait de pardonner."Il était impossible à un grec ou à un romain de pardonner c’est une invention judéo-chrétienne qui cherche à médiatiser la violence." L’impossible du pardonner serait donc chevillé au secret de l’amour i.e. "à une aporie du raisonnement, pensable seulement comme une éthique ou une éducation qui peut aménager autre chose que la comédie du pardon". Unautre intervenant pense au contraire que l’individu n’est pas responsable des fautes de l’humanité ; par l’amour agapé (compassion qui désigne l’amour et la morale) et l’amour eros les grecs pouvaient excuser quand il y avait des raisons. L’agape c’était la force que pouvait avoir l’offensé pour pardonner car l’obstacle au pardon c’est l’égoïsme. C’est pourquoi l’égoïsme ne pouvait être vaincu quepar l’amour compassion ou par la morale. Un intervenant pense au contraire que ce sont les traditions judéo-chrétiennes qui ont inventé une logique pour rompre le cycle de la violence : la loi du Talion une vengeance permise au lieu de sept, et le Christ qui est sensé avoir rompu complètement ce cycle. Ainsi, la logique de la revictimisation mettrait en danger cette tradition parce qu’en cherchant à désigner qui doit pardonner etl’être on réinstallerait le cycle de la violence plus qu’on ne chercherait à éliminer la logique de la violence.

Pour conclure

Il est difficile de pardonner et encore plus de tout pardonner. Logiquement c’est la victime qui paraît le mieux placée pour demander réparation, à condition qu’elle soit toujours ici-bas. Et quand le pardon devient possible la chose se complique, car le pardonsupposerait qu’il y ait de l’impardonnable ! Les stoïciens eux-mêmes pensaient que la première victime c’est l’offenseur car il se nuit à lui même, et pour cette raison il lui incomberait de demander pardon afin de réparer le trouble qu’il causerait dans le cosmos. Mais alors, seul celui qui fait le mal exprès consciemment et librement peut pardonner. Cette idée aurait plu à Ionesco car faute de tout pardonner on auraitpardonné à tous ceux qui ne savent pas ; puisque comme le disait Socrate " nul ne fait le mal volontairement". Mais depuis beaucoup d’eau sale a coulé sur l’eros et l’agape.

 

Peut-on aimer vraiment ?

26/03/01 (Café philo n° 46, compte rendu fait par Alain)

40 à 50 personnes étaient au rendez-vous au Café de la Poste, Marcelle lance ladiscussion sur la notion d’amour, quels repères avons-nous pour définir l’amour ? Est-on sûr d’aimer ? Est-ce une sensation, suffit-il de ressentir pour savoir ce qu’est aimer ? La durée pourrait être un indicateur mais est-ce une condition suffisante ?

Amour idéaliste ou matérialiste ?

Pour certains l’amour est un rapport à l’autre : aimer l’autre, être aimé ou les deux àla fois. Un clivage apparaît, l’amour est-il une valeur en soi, quelque chose d’universel ou la construction d’une singularité ? Pour la plupart des intervenants l’amour s’oppose à l’égoïsme mais comment savoir si l’amour incline plutôt à donner ou à recevoir ? Selon un intervenant l’amour serait lié à un manque en soi qui nous pousserait à combler cette insatisfaction, on s’émerveillerait alors de ce quel’autre a. Une intervenante pense que l’amour est un objet, par ex. "l’enfant pour la mère". Un autre note que la relation enfant/adulte est déséquilibrée, qu’en est-il entre deux adultes : est-ce un don, un abandon ou une construction faite à deux ? Un autre intervenant pense que s’il y a construction, le temps devrait jouer un rôle d’indicateur. De nouveaux intervenants proposent une visée romantique de l’amour : sortirde son monde intérieur, être touché par la sensibilité de l’autre y compris dans ses replis les plus sombres, on peut souffrir en aimant. L’amour est une chose dont on peut dire tout et son contraire, seul critère quand l’autre ne répond pas et me fait souffrir alors je sais que j’aime… Une nouvelle intervenante s’interroge si l’amour n’est pas simplement une invention pour perpétuer l’espèce, un masque cachant une sombrenégociation entre deux êtres. Un autre se demande s’il y a du matérialisme du côté de l’amour. La discussion oppose alors deux idées différentes ; l’amour comme un manque qui nous pousse vers l’autre et l’amour comme recherche de notre alter ego. Une autre intervenante propose l’amour comme un apprentissage, parce qu’on se cherche, on aime aimer et être aimé, ce serait comme une éducation sentimentale.

En bref,l’amour dans cette première partie de la discussion est défini comme un sentiment, soit comme un idéal oblatif (qq ch. qui nous porte vers l’autre), soit quelque chose qui passe par la négociation. Cependant, un aspect de la question reste en suspens : savoir si on aime "vraiment", suffit-il de croire qu’on aime ou qu’on est aimé pour aimer vraiment ?

L’amour est-il philosophe ?

Un nouvel intervenant remarque qu’il y a aussi l’amour de l’art, de la musique, de la peinture… et d’autres langues font des distinctions plus nuancées (love/like). Un autre intervenant trouve cela contradictoire car aimer des objets implique toujours une possibilité de quantifier la chose aimé, or selon cet intervenant on ne pourrait parler du concept "aimer" que lorsqu’un sujet prend pour objet d’amour un autre sujet. Un autre intervenant souligne que cerapport entraîne parfois en-soi beaucoup de déséquilibres, ceci nous pousse à exister et à poser des questions, en ce sens l’amour pourrait être philosophique. La discussion s’enlise alors sur une difficulté : comment articuler ce qui est de l’ordre du singulier et de l’universel. L’amour c’est aussi de la passion, du pulsionnel qui réduit la portée universelle et altruiste de l’amour. La question est donc de savoir s’il y a desconditions pour aimer ou s’il existe une idée de l’amour ? Un intervenant pense qu’il y a des conditions religieuses, aimer c’est avant tout aimer une seule personne et de façon sous jacente dans nos civilisation judéo-chrétienne c’est une façon d’aimer le monothéisme. La subversion des libertins pointait cette idée dans leur volonté d’aimer plusieurs et à plusieurs. Un nouvel intervenant souligne le cliché quand onparle d’être amoureux, mais c’est aussi une réalité. C’est une expérience psychologique forte où l’on convoque à la fois de l’universel et de la singularité parce que aimer ou se laisser aimer c’est chercher une créativité difficile sinon impossible et en même temps se mettre dans le plus grand danger car on devient vulnérable à l’autre. La tradition libertine comme la pornographie actuelle effectuerait un contresens, elle croit dévoiler la réalité cachée, en montrant et en parlant sexe, or la sociologie, la psychanalyse ont montré que l’amour est définitivement secret, et s’il y a un secret c’est vraisemblablement qu’il n’y a rien à voir.

Pour conclure

Parler d’amour passion est vraiment difficile car on sort de nos cadres de référence, aimer raisonnablement est-ce encore de l’amour ? Faut-il souffrir, avoir un idéal non atteignable pour penser qu’on aime vraiment ? Si on ne ressent pas ou plus suffisamment garde-t-on la certitude d’aimer vraiment ? Faut-il des réminiscences de l’objet perdu de la petite enfance pour faire renaître un phénix d’amour et de souffrance ? Et qu’en est-il de l’amour "pot-au-feu" celui que ne se manifeste ni par le désir pulsionnel, le manque de sentiment… cette immanence sansanxiété ne serait-ce pas cela aimer vraiment ?

 

L’efficacité est-elle une valeur ?

14/05/01 (Café philo n° 47, compte rendu fait par Alain)

40 à 50 personnes étaient au rendez-vous au Café de la Poste, Daniel présente le sujet avec humour puis nous sert une série de questions : peut-on mesurer l’efficacité, est-ce une performance ? Etre efficace c’estl’être plus que son voisin mais est-ce un but ou un moyen ? La problématique de cette question n’est-ce pas que l’efficacité est une valeur en tant que moyen ou est-ce une valeur parce qu’elle peut permettre une finalité ?

Efficacité valeur quantitative ou qualitative ?

Les premiers intervenants pensent l’efficacité par rapport au but poursuivi. Quelqu’un rappelle la contradiction par rapport au temps,"l’efficacité à court terme ou à long terme ?" Un autre pense que le mot valeur s’applique à ce qui oriente notre système économique, l’efficacité introduit de la rationalité. Un nouvel intervenant répond que l’efficacité peut être une valeur économique sans être un valeur éthique. Est-ce que les valeurs éthiques s’affaissent quand celles de l’économique s’accroissent ? Une discussion s’ensuit : l’efficacité ne serait pas un valeur en soi, elle est définie par son champ d’application. Cependant, on ne sait pas si on peut articuler les valeurs éthiques avec celles de l’économique. Nouveau questionnement une valeur doit-elle être partagée par un groupe ou une norme qui détermine un groupe ? Un intervenant explique l’aspect schizophrénique de la nouvelle économie "unindividu peut être à la fois employé salarié de son entreprise et actionnaire, quels seront ses choix ?" Un nouvel intervenant déplace la discussion dans le champ de la formation pour souligner que l’efficacité c’est un moyen de gérer des contraires : "l’efficacité du lecteur combine la vitesse avec la compréhension i.e. 2 propriétés différentes." Un nouvel intervenant rappellequ’Heidegger liait l’idée d’efficacité à celle des machines. En renvoyant l’idée d’efficacité dans la sphère du sujet on ramène cette idée dans le qualitatif, "l’essence de la technique n’a pas d’essence". Cet intervenant rappelle que la destination du sujet est de produire du désir or la contradiction c’est que le sujet c’est du qualitatif alors que l’efficacité technique c’est du quantitatif. Unautre pense que les idées peuvent être efficaces, l’art également. Le précédent interlocuteur lui répond que la machine n’est pas nécessairement outil elle est aussi ce qui fait fonctionner un système. Un nouvel intervenant constate que l’homme est de plus en plus dépassé par la machine la question est donc de savoir si la valeur propre de l’efficacité vaut-elle oui ou non ?

En bref, la discussion n’apas tranché pour définir si l’efficacité était une valeur personnelle, partagée ou universelle. L’efficacité comme moyen reste liée à des finalités qui restent à définir comme des valeurs. L’éthique ou la morale posée comme valeur absolue investigue la question des finalités.

Efficacité trop efficace.

Un intervenant lie le sens del’efficacité au bien de l’humanité. Un autre lui rétorque que l’efficacité anti-humanitaire a fait ses preuves. Une intervenante scinde l’efficacité ; l’occidentale tendant vers l’individu et l’orientale liée davantage au groupe. Une autre pense que la rationalité implique buts et moyens ; dans les pays occidentaux deux types contradictoires d’efficacité coexistent : celle de l’économie et celle des valeurs, leur tronc communserait la rationalité. Cet intervenant appuie son argumentation sur les travaux de Max Weber (protestantisme conditionnant le développement économique). Une autre personne souligne le lien entre efficacité et liberté, en s’interrogeant s’il ne faut pas admettre du lâcher prise. Pour un autre intervenant la liberté c’est maîtriser la nature ou travailler la maîtrise de soi et du désir, mais cette finalité esttoujours à rechercher car c’est une question liée à la morale ; comment quantifier du qualitatif ? Une question surgit, estime-t-on que la rationalité est une valeur fondatrice de l’efficacité ou alors serait-ce l’inverse c’est l’inefficace qui révèlerait ce qui est fondamental ? Un nouvel intervenant pense que l’efficacité entretient des rapports étroits avec l’angoisse, comme s’il fallait résister à ce qui estmortel, éviter la question de la mort. Un autre intervenant citant Mallarmé "Jamais un coup de dé n’abolira le hasard" affirme que le psychotique, le poétique contredisent la valeur de l’efficacité parce que la leçon du psychotique montre que le fou est paradoxalement tellement efficace qu’il n’existe plus en tant que sujet désirant, son efficacité déréalise son désir de sujet. Cet intervenanten conclut que l’inefficacité est l’ombre portée de la création du sujet et l’efficacité celle du côté machinique.

Pour conclure

Si l’efficacité n’est pas une valeur morale, donc une forme supérieure de l’esprit ; si elle ne peut pas régler nos comportements puisque par essence elle n’a pas de limites a-t-elle quand même une valeur par rapport à notre humanité ?En tant qu’êtres mortels nous sommes souvent amener à agir dans l’urgence pour pérenniser ce qui nous croyons utile à mettre en route. Mais d’un point de vue fondamental sommes nous efficaces pour aller plus vite vers la mort ?

 

Sur quoi fonder l’Autorité ?

03/09/01 (Café philo n° 49, compte rendu fait par Alain)

60 personnes entamaient cette 6ème année auCafé de la Poste. Michel rappelle que la Réforme au 17ème siècle écorna la représentation transcendantale puis la mort juridique du Pater Familias  des années 70 sembla avoir affaibli l’autorité politique, juridique, policière… Y aurait-t-il un déclin de l’autorité classique, décadence impliquant de refonder l’autorité sur ce qui aété perdu ? Faut-il recomposer l’autorité dans un nouveau contrat social ? Mais sur quoi fonder une nouvelle autorité : le savoir, les compétences ? Peut-on passer d’une autorité hiérarchique et verticale à une autorité horizontale favorisant l’interaction et la négociation ?

L’autorité comme : respect, rapportà la mort, déclin de la loi ?

Un premier intervenant pense que pour communiquer il faut un minimum de règles et de techniques opérationnelles. Ces règles de bases ne sont pas innées, actuellement elles volent en éclats “ l’incivilité dans la classe commence par un bruit de fond. Or obéir à la loi est déjà un problème enlui-même. ”. Une autre personne distingue l’autorité de la discipline et du respect de l’autre. Une intervenante relierait l’autorité à l’écoute, lien nécessaire en démocratie pour faire entendre la voix et la place de chacun, ainsi l’autorité serait fondée sur des valeurs et la société nous instituerait pour tenir quelque part un rôle. Un intervenant pense que le respect comme valeur n’explique pas ce qui fonde l’autorité “ respecter des valeurs n’est qu’une forme de régulation de l’autorité ”. Les personnes incarnant les valeurs fondées sur la régulation (fonctionnaire, homme politique…) sont contestées en période de crise. Un nouvel intervenant développe l’hypothèse que ce qui pourraitfonder l’autorité c’est la peur de mourir “ tant que la peur de mourir n’est pas réglée celle de l’autorité reste en suspens ”. L’autorité serait donc une soumission à la peur de mourir. Une intervenante relativise ce point de vue car cela reviendrait à réduire l’autorité au pouvoir “ qu’est-ce qui rend légitimel’autorité ? ”. Un intervenant émet un nouvelle hypothèse : il y aurait un déclin de la loi parce que la loi n’indique plus ce qu’est le bien, amorçant ainsi un renversement des valeurs qui conduit à la transgression des autorités constituées.

L’autorité : compétence ou éthique ?

Un intervenant proposealors le charisme comme “ autorité naturelle ”. Une polémique surgit, le charisme est dénoncé comme l’ouverture à la démagogie. Plusieurs intervenants posent la question de la compétence. Un intervenant rappelle que les Grecs avaient substitué le tirage au sort à la compétence pour choisir leurs magistrats. Une question est alors posée : l’autorité implique-t-elle unedose d’inégalité ? Une personne pense que l’autorité devrait être non impositive, jusqu’alors l’autorité se calquait selon une représentation sacrée de façon verticale peut-être faudrait-il l’appréhender de façon horizontale dans l’inter-relationnel. Un nouvel intervenant situe l’autorité au carrefour entre pouvoir/jouissance, au sens étymologique“ auctor ” (auteur) et “ augeo ” (augmenter) désignent celui qui écrit qui fait autorité et celui qui exerce non un pouvoir mais un puissance à pouvoir augmenter à autoriser ce qui est. Une personne demande alors “ si chacun est auteur de sa loi, ne faut-il pas qu’il existe un principe de raison qui soutienne le texte ? ” Plusieurs intervenantsreprennent alors le thème de la disparition de la puissance juridique du “ pater familias ” laissant un vide symbolique et psychologique dans le fonctionnement de la famille. L’image de la loi est brouillée dans la famille et dans l’école, il n’y a pas eu de changement  pouvoir =>responsabilité. Une personne souligne que la responsabilité n’implique pas que du pouvoir “ il n’y apas que des bénéfices ”. Ainsi, l’autorité ne serait pas uniquement du pouvoir, c’est aussi une responsabilité éthique. La question est donc de savoir au service de qui elle s’exerce. Un intervenant rappelle que J.J. Rousseau rêvait d’un contrat social où il esquissait l’autorité mais pour cela il fallait que l’homme change. Un dernier intervenant souligne le risque d’uneapproche trop technique concernant la recherche d’une gestion maximale de la compétence avec le risque de diminuer le principe de raison. A l’opposé du charisme il y aurait donc l’articulation des valeurs et des compétences qu’illustre la tragédie grecque. Antigone défend les “ lois non écrites ”l’éthique contre la fausse justice de la raison d’Etat.“ Aujourd’hui les mots sont blessés. Y aurait-il aporie de l’autorité ? Si oui il serait temps d’articuler des réponses techniques, cybernétiques, du sujet et du collectif dans la complexité des rapports démocratiques ”

En conclusion

L’autorité nécessite une éducation, une compréhension des valeurs avant de lesaccepter. Mais existe-t-il une science des valeurs ? Une société en crise cherche à réguler : ce sont des compétences techniques, elle s’interroge si telle régulation est juste ou injuste : c’est un autre type de compétence. Platon récusait les lois de la démocratie car seul le philosophe peut accéder à l’idée, les mortels restent à l’opinion et à la passion.Mais à quel moment l’idée de raison est dans la sphère du groupe, de la cité ou de l’universel ? Un premier principe pourrait être d’appliquer l’autorité sur soi et de s’accorder avec la liberté des autres.

 

Comment penser l’homosexualité aujourd’hui ?

08/10/01 (Café philo n° 50, compte rendu fait parAlain)

Une cinquantaine de personnes présentes au Café de la Poste se sont interrogées pour savoir comment penser l’homosexualité actuellement. Est-ce toujours un sujet tabou et sensible ? Le philosophe M. Foucault rappelait qu’en Grèce l’homosexualité représentait un statut particulier, l’avènement du christianisme changea cette représentation.L’homosexualité devint une faute, un délit. La question est de poser le problème de l’homosexualité en fonction de la biologie, relation contre nature qui empêche la reproduction ; en fonction de la psychanalyse, dysfonction d’une étape du développement de la libido : selon la position de l’Eglise et de la Justice qui punissait récemment l’homosexualitéd’emprisonnement. Actuellement tant au niveau du droit que des mœurs, on assiste à de profonds bouleversements. Aux USA les minorités homosexuelles n’hésitent plus à s’afficher et représentent des lobby puissants. Comment penser l’homosexualité aujourd’hui ?

Homosexualité, préjugés et procréation

Un premier intervenant réfutel’homosexualité comme sujet sensible ou tabou. Par son témoignage personnel, il tend à affirmer qu’afficher son homosexualité est une forme de combat, de déculpabilisation. Une autre personne remarque qu’on ne discute pas un témoignage. Mais, le témoignage d’un militant pour la reconnaissance de la minorité homosexuelle masculine apportera de la dynamique à la discussion. Une autrepersonne pense que ce type de combat est devenu banal car notre société est plus tolérante, n’est-ce pas davantage un problème individuel qu’une question de reconnaissance de minorité. Un autre intervenant conteste ce point de vue sur l’homosexualité comme combat d’arrière-garde. Un intervenant souligne qu’au niveau collectif il semble bien qu’on soit tolérant, mais qu’en est-il denotre tolérance aux préjugés sur l’homosexualité quand il s’agit d’un parent très proche ? Quelqu’un demande que l’on réfléchisse aussi sur l’homosexualité des femmes. Une autre personne pose la thèse de l’homosexualité comme accident, selon elle l’homosexuel est un être qui souffre et qui mène un combat intérieur contre lui-même. Des réactions font suite à cette affirmation. Une intervenante s’interroge pour savoir en quoi l’homosexualité gêne-t-elle ? Est-ce un problème social, pourquoi certaines sociétés en font-elle un tabou ? Un intervenant pense que l’Islam souffre d’une absence de discours : la thèse confrontée à l’anti-thèse, il y aurait un manqued’espace théologique empêchant l’émergence d’une pensée laïque. La non reconnaissance d’un principe de réciprocité fermerait l’espace de discussion possible. Un autre intervenant expose que le christianisme a expurgé la violence du même car la culture chrétienne se construit aussi avec ce qui est différent, elle ne cherche plus de bouc émissaire pour souder lasociété. Les préjugés auraient donc une fonction morale pour préserver la famille.

Un nouvel intervenant cite un article scientifique affirmant que l’homosexualité dériverait d’un certain type de chromosome. Une intervenante pense que les progrès scientifiques en matière de biologie et de reproduction ont bouleversé les normes culturelles de la société occidentale, la questionde l’homosexualité se déplace du biologique vers la psychologie. Une personne note que le problème dépend de la façon dont le sujet s’est construit, comment il a pu construire son identité d’homosexuel contre les préjugés sociaux. Cette personne souligne que l’identité masculine et féminine des couples hétérosexuels se reproduit dans les couples homosexuels. Un intervenantpose l’émergence des droits positifs comme une remise en cause de la tradition politique et laïque française et les préjugés qui en résultent. Selon cet intervenant, le PACS peut être vu comme une fragilisation du sujet abstrait (citoyen, nation… ). Le droit positif fait apparaître une fracture dans cette conception en reconnaissant que tous ne sont pas pareils, tous ne sont pas égaux de façon abstraite. Unnouvel intervenant voit dans le problème de l’homosexualité le retour du refoulé, question travaillée par la religion et l’inconscient. Un individu qui deviendrait homosexuel renverrait à l’insondable décision de l’être, à l’énigme du choix humain entre l’homosexualité et l’hétérosexualité. Un intervenant remarque quel’hétérosexualité a été liée à la fonction biologique parce qu’une société devait se reproduire et croître. En dissociant la procréation de la sexualité un élément de la modernité change l’argument porté contre l’homosexualité.

Pour conclure 

La question qui apparaît avecl’homosexualité c’est l’attitude qu’on a vis-à-vis d’autrui. L’homosexuel est-il un autre, est-il un peu de moi-même ? La libération sexuelle et des mœurs a-t-elle fait disparaître les préjugés ? Si oui l’homosexualité serait un problème dépassé or l’évolution du droit positif (ex. le PACS) montre qu’on toucheà l’évolution de la famille. On peut s’interroger pour comprendre pourquoi l’adoption ou la procréation biologique d’enfants par des couples homosexuels serait plus problématique que le cas des enfants abandonnés, orphelins… Comment penser l’homosexualité aujourd’hui ne renvoie-t-il pas au comment penser la façon dont une société valorise la procréation ?

 

Peut-on justifier le terrorisme ?

Lundi 13/10/01, n°52 compte-rendu fait par Alain

Soixante personnes étaient au “ Café de la Poste ” pour discuter de ce sujet. Bruno présente le thème : En France, la Terreur de 1793 fut une stratégie politique mise en place pour atteindre un but. Le terrorisme est-il opposable à la guerre ? La riposte de l’attaquer semblerait suffisante pour justifier la violence alors que les faits sont comparables ? Peut-on justifier le terrorisme dans le sens de justifier, ou celui de l’expliquer, ou de chercher à différencier de multiples notions du terrorisme ?

Guerre et Terrorisme

Un intervenant demande, si la violence de l’Etat ou celle d’une partie de la Sociétéest de même nature. Une autre personne oppose les termes “ résistant et terroriste ”, lors de la 2° guerre mondiale les “ résistants ” aident les Alliés, ce sont les occupants (les Allemands) qui parlent de terrorisme. Ne faut-il pas questionner les finalités ? Le terrorisme serait ainsi considéré comme l’arme du pauvre, cet acte prend du sens par rapport à celui qui le nomme, il yaurait de ce point de vue un aspect relatif du terrorisme. La question revient à savoir si on peut de façon objective définir un acte violent puisqu’on vient de noter l’aspect subjectif de la représentation du terme “ terrorisme ” ? Plusieurs intervenants interrogent l’action violente selon qu’elle éclate dans un cadre de guerre déclarée, larvée ou en temps de paix. Un nouvelintervenant pense que les événements du 11/09 sont nouveaux parce que le terrorisme n’est plus justifié au nom d’un territoire précis. Une autre personne souligne également une autre forme du terrorisme : les rapports violents dans des champs microsociologiques et marginaux. Ceux-ci peuvent-ils être justifiés dans un sens politique ? Un intervenant pense que tout conflit émanant d’un groupe restreint outrès large n’est qu’une autre façon de manifester un rapport de force. Justifier ou expliquer ces rapports de forces implique deux points de vue différents. Un intervenant établit un parallèle entre terrorisme et communication. Un individu ou un groupe utilise la violence lorsqu’il est en contradiction avec le reste de la société. La justification du terrorisme serait le point de vue du terroriste qui veut communiquer etl’explication du terrorisme renverrait au sens de l’acte du terroriste pour le terrorisme. Les médias amplifieraient ce phénomène en montrant en direct les avions percuter les tours du TWC. La discussion tente de différencier l’acte de guerre du terrorisme. Un intervenant définit la structure logique du terrorisme comme binaire et manichéenne parce qu’il y a absence de symbolisme. Le terrorisme ne propose pas d’espacede négociation. L’attentat terroriste est un événement qui ne renvoie à aucun modèle connu comme le montre celui du 11/09, alors que l’acte de guerre répond à des schémas conventionnels. Il y a des points communs tels que l’utilisation de la violence et la mise en jeu de la vie par les combattants. Mais le terrorisme n’est pas juridique, il ne repose pas sur un acte officiel. Une série de questionnements fait suite : la guerre serait justifiable et le terrorisme non ? le terrorisme est-il un fait moderne ? à partir de quel moment une forme de violence est terroriste ? cette forme de violence peut-elle être considérée comme juste ?

Tous les morts se valent-ils ?

Un intervenant demande si la religion augmente la violence, peut-on attribuer les attentats du 11/09 àl’Islam ? Peut-on expliquer le sacrifice de sa vie contre une vie éternelle ? Une autre remarque les contradictions des religions qui encouragent l’amour du prochain et le châtiment du non-croyant. Un intervenant rappelle que le Christ en prêchant que son royaume n’était pas de ce monde refusait la violence. Un intervenant dénote dans le Coran le manque d’une dimension historique par rapport au judéo-christianisme.L’Islam rejette ces deux autres religions, les sourates sont écrits de la main du prophète et de ce fait ne se discutent pas. Par contre la bible est écrite par des témoins et appelle des commentaires, des interprétations, des discussions. Ainsi, le judéo-christianisme porte en lui les éléments d’un esprit laïc. La question moderne pour l’Islam est de savoir s’il peut y avoir émergence de ce tiersmédiateur.

Pour conclure

Les religions n’empêcheraient pas les hommes de justifier le recours à la violence. Certains justifient leurs actes terroristes au nom de Dieu en utilisant des interprétations ou des discours contradictoires des textes sacrés. Mais, toute croyance matérielle ou spirituelle défend des intérêts. Comme l’énonçait Clauswitz la violencen’est que le prolongement de l’absence de politique par d’autres moyens. Les événements terroristes du 11/09 ont implosé les éléments d’analyses classiques. L’Amérique organisait et dominait le monde, la voilà stigmatisée. Elle avait le choix, au nom de l’humanisme convier les Etats pour faire émerger de nouvelles formes organisatrices du monde ou rétablir le statut quo enrépliquant à la violence terroriste par celle de la guerre. On connaît la suite.

 

Peut-on penser l’actualité ?

Lundi décembre 2001, n°53 séance ayant dérapée

Compte-rendu non fait, cette discussion fut, exceptionnellement, peu intéressante. Peu de monde ce jour là, quelques ivrognes au bar. On frisa le ridicule. C’est le chaos de lavie !

Peut-on réconcilier le citoyen et l’homme politique ?

Lundi /01, n°54 compte-rendu fait par Alain

Cinquante personnes étaient au “ Café de la Poste ”. Comment penser la coupure entre citoyen et homme politique : dégénérescence de la démocratie représentative ou émergence d’un nouveau type de démocratie ?

La professionnalisation du politique

Un intervenant s’interroge pour savoir si la réconciliation a existé dans l’histoire. Dans la logique de la représentativité, le professionnel de la politique tendrait à confisquer une partie du pouvoir aux citoyens qu’il représente en invoquant la complexité à gérer la “ chose publique ”. Il y aurait donc un conflit entre les intérêts de chacun, ainsi le problème de la confiance serait toujours en suspens. Un autre intervenant pense que les partis politiques exacerbent le professionnalisme des hommes politiques. Pour se faire élire, il faut faire des propositions et parfois des promesses qu’il n’est pas nécessaire de tenir une fois élu. Par ailleurs, un homme politique qui ne s’en tiendraitqu’à ce qui est réalisable avant les élections intéresserait-il l’électorat, aurait-il une chance d’être élu ? Or, l’élu après son élection qu’il tienne ou pas ses promesses n’est plus révocable, ainsi le système par représentation peut générer une crise de confiance. Un autre intervenant rappelle que les hommes politiques promettent facilement deschoses qu’ils ne tiendront pas. Plusieurs intervenants attribuent à la professionnalisation des hommes politiques la cause principale du fossé entre citoyens et élus du système représentatif. Le citoyen se sentirait peu à peu exclu du champ de la décision politique. En cas de crise, il rejetterait la responsabilité sur l’homme politique.

Un autre intervenant pense que la démocratie pardélégation est liée au problème du nombre. Il existe une distance entre l’homme politique et le citoyen, est-ce qu’un président peut rencontrer tous ses concitoyens ? Dans la cité Grecque, la communication se limitait à quelques milliers de citoyens. Dans nos sociétés, la communication s’adresse à plusieurs millions de citoyens. On est passé de l’Agora de la place publique auxmédias audiovisuels. Ce changement de distance a entraîné un changement dans la complexité des moyens de communication, rendant le pouvoir moins visible. Qui décide  l’économie ou la politique ? D’autres intervenants notent que les élections sont coûteuses, les campagnes fonctionnent selon les principes du commerce. Les médias tentent de toucher et convaincre un individu plus qu’un citoyen.L’égoïsme est exacerbé, le sens du bien commun s’éloigne. Une seconde cause est liée au discrédit. De plus en plus d’hommes politiques trahissent la confiance que leur avaient portée leurs électeurs. Par exemple, les députés votent une loi pour s’amnistier ou bien comme en Argentine les parlementaires s’augmentent leurs traitements avant de mettre l’économie du pays enliquidation.

Les intervenants cherchent alors à identifier ce qui peut donner du sens aux mots “ citoyen ” et “ homme politique ”. Rousseau déterminait la conscience de la volonté générale selon le principe de vertu. Or les revendications s’expriment le plus souvent au nom d’avantages empiriques (médecins, gendarmes…). Dans le système de démocratiereprésentative, le principe de vertu peut-il encore être le moyen radical pour penser la chose publique : par exemple une proposition est recevable si elle est pour le bien de tous. Mais les hommes ont-ils toujours été guidés par l’intérêt général ? Un intervenant indique que les associations participatives pourraient être un contrepoint à la délégation de pouvoir. Une jeune éluebrosse une réalité difficile dans sa petite commune. Son témoignage dépeint des concitoyens qui s’intéressent et disputent plus facilement pour des querelles de clocher que pour la gestion de la “ chose commune ”. Il existerait certes une pratique sociale pour régénérer une relation entre le citoyen et l’homme politique, mais cette ouverture demande un minimum de formation. Le témoignaged’une autre personne souligne une autre contradiction : pour l’instant ces structures citoyennes attirent peu de citoyens : désintérêt, manque d’information ou de formation ? Il semble que le premier pas à faire pour sortir d’une crise de confiance entre ces deux rouages de la démocratie serait que : le citoyen se réconcilie non avec le Politique mais avec la Politique. Bien sûr à conditionque l’homme politique restitue une partie de son pouvoir ? Par ailleurs le citoyen en s’impliquant davantage prendrait conscience des contraintes que rencontre l’homme politique pour gérer et administrer la “ chose publique ”.

Pour conclure 

On peut penser que la réconciliation entre le citoyen et l’homme politique appelle un citoyen capable d’agir etnon de réagir, un citoyen capable de penser la “ chose publique ”. Mais pour cela il faut du temps et une certaine pratique sociale à la citoyenneté. Cette pratique est-elle liée à des techniques ou à des valeurs ? Si elle dépend des techniques alors il faut laisser les clés de la cité aux technocrates. Si la gestion de la chose publique relève des valeurs, alors il faut que les technocratesrendent compréhensibles des dossiers complexes à l’adresse des citoyens, comme ils savent synthétiser les dossiers pour les hommes politiques. Dans ce cas, si la forme a été simplifiée alors tout citoyen peut s’exprimer sur le fond : est-ce que telle décision est possible, est-elle nécessaire, peut-on la remettre à plus tard… ?

 

Pourquoi consomme-t-on?

Lundi 25/02/02, n°55, compte-rendu fait par Alain

Une trentaine de personnes était présentes au “ Café de la Poste ” pour réfléchir au problème que suscite la course à la consommation. La diminution du temps de travail, l’allongement de la retraite et celui de la durée de vie entraînent un accroissement de nouveaux besoins. La sociétédu profit commercialise le loisir et transforme la satisfaction des besoins sociaux en biens de consommation. L’individu hésite entre les désirs de l’être et ceux de l’avoir : être sage ou consommer ? Épicure distinguait trois désirs ; ceux qui sont nécessaires, non nécessaires et superflus. Notre société de consommation est-elle un modèle d’anti-sagesse ? Laconsommation, est-elle un frein à l’épanouissement du sujet ?

Penser ou consommer ?

 Une première intervenante suppose que ce sont les médias qui inventent les besoins. Une autre personne note que l’on peut consommer pour soi mais aussi à cause des autres comme s’il s’agissait d’exister socialement grâce à la consommation. Un intervenant pensequ’après une société de production inégalitaire apparaît une société de consommation fondée sur la frustration. Il y aurait une sorte de piège, car on peut toujours s’abstenir de consommer. Cette dichotomie opposerait une logique liée à la consommation et une autre liée à l’être. Induction dangereuse parce que si on occulte le fait que les besoins sont déterminésdans les sphères du pouvoir financier, on oublie l’analyse relative à la question du pouvoir. Un intervenant remarque que l’on consomme parfois pour se normaliser, pour renforcer du lien social et non par vanité. Un nouvel intervenant pense qu’il peut y avoir du progrès grâce à la technique. Ce qui ferait problème relèverait plus du partage inégalitaire des biens à consommer qu’au fait que laconsommation engendrerait de la frustration. Une nouvelle question semble être posée : peut-on bâtir une société uniquement sur du progrès technique ?

Désirer ou consommer ?

Plusieurs intervenants distinguent alors différents critères relatifs à la notion de “ consommer ”. Pour les uns, on peut consommer des signes c’est-à-diredes choses virtuelles, la question serait donc plutôt de savoir ce qui se joue dans cette consommation du signe. Pour d’autres, il y aurait la consommation et la surconsommation, d’où la nécessité de s’interroger sur la notion du plaisir. Un intervenant précise que l’homme est un être de désir et de ce fait, il ne peut pas ne pas désirer, c’est pourquoi il faudrait distinguer le désir du besoin. Laphilosophie classique a envisagé l’homme sage comme un être qui est capable de gérer ses désirs ; la société de consommation fait tout pour que l’homme soit un individu qui désire, un consommateur. Un intervenant s’interroge : la question du bonheur se résume-t-elle à une accumulation de désirs transformés en biens consommables ? Une autre personne pense que l’objet ne peut jamais couvrir le désir parce que c’est le sujet qui est désirant, et le sujet éprouve toujours un manque qui n’est jamais comblé par la consommation. Ce point de vue psychanalytique expliquerait la course à consommer. Il s’agirait moins d’une recherche hédoniste vaguement déterminée par l’économie mais plutôt de l’insatisfaction qu’éprouve l’être humain. Selon un intervenant, la société ne ferait qu’exploiter une malédiction de la condition humaine. La société de consommation attiserait notre goût pour le désir superflu, elle infantiliserait un individu en ne faisant qu’exploiter cette tendance inscrite dans chaque individu. Ainsi, ce serait notre inconscient qui nous éloignerait et nous enfermerait dans cette “ caverne moderne ” de la consommationdes désirs superflus.

Pour conclure 

l’anti-dote reviendrait donc à mieux se connaître soi-même. Ce serait les premiers pas vers la pensée, les premiers pas pour renoncer à cette spirale infernale de la surconsommation déterminée par notre inconscient. Comme pour Tantale, la course à la consommation ne désaltèrerait jamais nos désirs. Ce désirrefluerait d’autant plus vite dès lors qu’il aurait été substitué par un quelconque bien de consommation. Aussitôt possédé l’objet perdrait les promesses qu’il prétendait tenir. Il manquerait toujours un “ je ne sais quoi ” dans cette course au “ toujours plus ” ; peut-être la part de l’autre qui s’évanouit dans l’objetconsommé. La beauté de l’objet n’accéderait jamais plus qu’à la qualité d’artefact ou d’un fugace mirage du visage d’Eros.

 

Est-ce que choisir c’est mourir un peu ?

Lundi 25/03/02, n°56, compte-rendu fait par Alain

Environ 60 personnes étaient présentes au “ Café de la Poste ” ce lundi pourdébattre sur notre rapport au monde réel. Est-ce que lorsqu’on choisit on renonce à être et donc en ce sens c’est mourir un peu ? Le choix est-il en rapport avec le devenir de l’être, est-ce un engagement, une opposition entre le réel et le virtuel ?

Choisir ou renoncer ?

Une intervenante se demande si le réel existe vraiment, de ce point de vue, choisirn’aurait pas beaucoup de sens. Question qui rebondit sur la liberté du sujet, choisit-on vraiment de mourir par exemple ? Un intervenant cite Spinoza pour qui la liberté ne serait que l’ignorance de nos déterminismes. Plusieurs intervenants s’interrogent pour savoir si l’individu est réellement conditionné. Une personne s’interroge si le fait de choisir constitue une action positive ou négative. Unnouvel intervenant met sur le même plan, choisir et agir parce que le choix implique un engagement, une affirmation, une volonté de puissance. Une intervenante inverse la relation entre choisir et être libre, elle ne pense pas qu’il y ait de la permanence dans nos renoncements, elle doute de l’existence d’un homme libre par essence parce qu’il n’est pas certain qu’on soit vraiment libre quand on choisit. Une nouvelle intervenantepense que c’est parce que le temps passe que l’individu serait obligé de choisir. Il y aurait des déterminismes de tous ordres, mais en dernier ressort c’est le fait de vivre qui nous obligerait à choisir. Nos prises de décision nous construiraient peu à peu. Plusieurs interventions soulignent que le choix est une spécificité humaine parce qu’il y a une part d’irréversibilité une fois qu’ona choisi, et d’autre part parce que pour choisir une chose il faut renoncer à autre. Un intervenant rappelle que tous les choix ne se valent pas, les obstacles n’ont que le poids qu’on leur accorde (P. Ricoeur). Une autre personne pense qu’une vie où l’on ne pourrait pas choisir serait une vie absurde.

Est-on libre quand on choisit ?

Plusieurs discutants cherchent à comprendre comments’élaborent nos choix, est-ce un rapport avec l’affectif, lors de la décision l’individu, fait-il des compromis, s’abandonne-t-il ? Est-ce un rapport entre la raison et le cœur ? Un intervenant aborde la question du choix de façon sociologique parce que sur Terre tout le monde n’a pas les mêmes possibilités ni au début de leur vie, ni pendant sa vie. Un nouvel intervenant affirme qu’on choisiraiten fonction d’un principe, d’une idée. Pour un autre le choix serait la responsabilité inscrite dans les valeurs que l’on veut défendre, ce choix se ferait aussi face aux autres. Une autre personne envisage le choix également comme une responsabilité de soi, quels que soient les déterminismes qui nous influencent la personnalité resterait une liberté. Une personne pense que le choix se passe au moment où ladécision est prise. Deux thèses font débat, pour certains c’est la raison qui constitue la voix royale de la prise de décision ; pour d’autres ce seraient le cœur traversé par la transcendance. La discussion se déplace alors sur ce qui fonderait le bon choix. Un consensus apparaît sur le fait qu’il faut sortir de l’ego pour tendre vers les autres et vers l’universel. Mais la question de ce quifonderait la liberté de nos choix reste ouverte : la raison ou dieu ?

Pour conclure 

Choisir avec l’idée de mourir un peu suggérerait une part de pessimisme parce qu’il faut renoncer à quelque chose. Paradoxalement cela revient à affirmer notre humanité et à rejeter nos instincts animaux et défendre ainsi notre liberté. Mais l’homme est-il comme le disaitSartre un individu condamné à choisir, sa liberté est-elle un fardeau ? C’est notre rapport au temps qui nous pousserait à passer du délibéré au choix. Or, certains de nos choix sont irréversibles et impliquent de ce fait notre responsabilité. S’interroger sur ce qui peut fonder nos choix, n’est-ce pas s’interroger sur ce qui fonde notreliberté ?

 

Sommes-nous fondamentalement seuls ?

Lundi 29/04/02, n°57, compte-rendu fait par Alain

60 personnes étaient présentes au “ Café de la Poste ”. Est-il préférable d’être seul ou mal accompagné ? Sommes-nous seuls dans la vie, est-ce facile ou difficile de se relier à l’autre ? Peut-onaborder seul les grandes questions métaphysiques ? Comment le sujet articule-t-il ce qui est de l’ordre du public et ce qui relève du privé ?

Solitude de Robinson et du Nomade ?

Beckett annonce dans Godot qu’“ on naît fou et certains le demeurent ”. Si les idéologies sont mortes, peut-être les peuples le sont aussi parce qu’il n’y a plus detranscendance pour sortir le sujet de sa solitude. Cette monstruosité des temps modernes rabattrait alors la sphère du privé et du public l’une sur l’autre. Un intervenant s’interroge pour savoir si la solitude est liée aux idées ou aux sentiments : je suis seul parce que mon cogito me place dans cette posture ou bien je suis seul parce que mes sentiments m’éloignent des autres ? Une autre personne pense que lasolitude est le résultat d’une incapacité relationnelle, toute relation “ normale ” telle que aimer ou travailler implique un sujet capable d’établir des liens avec les autres. Un intervenant pense que ce n’est peut-être pas confortable d’être seul. La société moderne placée sacralise l’individualisme, or le fait d’être un individu original et responsable écrasecelui qui est dans l’incapacité d’inventer ses propres valeurs. Une nouvelle intervention rappelle que l’éducation structure le sujet en évitant d’en faire un être seul ; Robinson sur son île n’est pas seul parce qu’il a en lui une culture, un calendrier. En fait lorsqu’on se sent seul, c’est peut-être un problème de société. C’est elle qui structure le sujet maisc’est la société qui déstructure quand elle donne l’impression au sujet qu’il n’est plus capable de porter un autre en soi alors s’installe un état d’isolement i.e. une forme de solitude qui s’apparente à une absence qui n’est pas physique mais mentale. La discussion oppose alors le nomade à Robinson. Le nomade expérimente l’autonomie, c’est une question de survie. La solituden’a pas le même sens pour lui. La solitude serait donc dépendante du contexte ? Mais cette question est-elle encore porteuse de sens pour comprendre la société post-moderne ?

Solitude de Robinson et du Nomade ?

Un intervenant déplace l’idée sociologique vers la psychologie. L’artiste assume sa solitude, car nécessaire pour sa création. De même la philosopheSimone Weil assume sa solitude pour s’engager dans une vie militante et mystique. Un nouvel intervenant évoque Mélanie Klein définissant la solitude comme la construction d’un sentiment intériorisé par l’enfant dès ses premiers mois. Autrement dit, n’est-ce pas parce que l’homme est fondamentalement seul qu’il recourt à une croyance ou transcendance pour éprouver son sentiment de solitude ? Ainsi, la capacité à supporter la solitude ferait partie de notre développement génétique. Une nouvelle personne propose d’unir la solitude à l’unicité i.e. à l’idée de l’existence d’un être idéal unique induisant la solitude comme forme originale. Une intervenante pense que ce type de solitude n’est plus un sentiment mais la marque d’une structure. Un intervenant met enrelation folie et solitude, solus (compter un), la folie c’est retrancher l’autre de la relation ternaire. Le fou se présente donc comme un sujet lunaire qui rompt ce rapport ternaire. Selon la psychanalyse tout sujet social est construit à partir de la triple relation : Enfant-Mère-l’Autre. C’est ce rapport rendu possible par la médiation de la parole qui permet la construction symbolique des êtres. Enconséquence, s’il existe un droit à la solitude celui-ce devrait savoir compter jusqu’à trois. Entre l’espace privé et public il y aurait donc un lieu tiers, et c’est le langage qui en effectuerait le passage.

Pour conclure

La condition humaine du “ penser par soi-même ” invite le sujet vers la solitude. Paradoxe d’une mise à distance del’autre et recherche de proximité, lieu de conflit, frontière entre l’individuel et le collectif. Sortir de l’individuel renvoie à un processus d’unification avec autrui mais pour éviter fusion et confusion faut-il encore accepter sa solitude. Autrement dit, l’éthique est ici convoquée pour répondre à ce mouvement dialectique entre “ l’aban-don ” du sujet lieu de cequ’il porte comme universel, et sa capacité à se créer un “ désert ” lieu de sa singularité.

 

La pudeur a-t-elle un avenir ?

Lundi 27/05/02, n°58, compte-rendu fait par Alain

“ Café de la Poste ” environ 60 personnes s’étaient donné rendez-vous pour deviser sur la pudeur. Est-ce un voile sur la sexualité, un secret masquant la différence entre sexe et désir ? La pudeur et la honte sont-elles semblables ? Si la pudeur marque une relation vis-à-vis de l’autre n’est-elle pas également une valeur nécessaire ? Dans ce cas s’elle n’existait pas, manquerait-elle ?

Pudeur et bas de robe

Selon un intervenant la pudeur est un code, défini dans un contexte souvent par des procédures non-verbales. Existe-t-il des nus réellement pudiques ? Un intervenant pense que le regard et le contexte ont une importance : sur une plage on peut dévoiler des parties du corps ce qu’on ne ferait pas ailleurs. Un intervenant souligne que la pudeur est contextualisée au niveau des faits même si le code civil (art. 230) la contingente. Un intervenant définit la pudeur comme un sentiment, c’est unjardin secret. Une autre personne évoque la relation entre pudeur et construction du complexe d’Œdipe, or la société en tendant vers l’impudicité du corps indiquerait à la pudeur de chercher à se nicher ailleurs, peut-être dans l’être ? Une intervenante fait le constat que dans nos société on est plus pudique pour l’argent que vis-à-vis du corps. Une autre personne pense quel’avenir de la pudeur dépendrait de la reproduction de ce qui en constitue ses limites. Par exemple, quand il existe un territoire pour les plages nudistes et un autre pour les textiles une frontière entre pudeur et impudeur apparaît. Un intervenant note que les “ camps ” de naturiste ont leurs codes, i.e. une intériorisation de l’interdit. Un intervenant cite Lacan qui écrivait que la limite de la pudeurétait déterminée par le bas de la robe. Ce à quoi une intervenante pense que la pudeur est à la fois une norme mais aussi une construction sociale, il existerait donc des limites difficilement transgressables mais qui pourraient évoluer avec le temps.

Bref, la pudeur est définie plutôt comme un jugement moral, une limite à ne pas transgresser dans sa relation avec autrui. Mais la question de savoir ce qu’il fautcacher ou montrer reste entière. En effet, on peut se montrer entièrement nu aux autres à condition de ne pas choquer ou agresser les autres. Frontière entre l’extérieur et l’intérieur du corps (l’âme ?), parler ou ne pas parler de ce qui nous est intime semble encore expliquer ce qui relève de la pudeur. Mais, le voyeurisme des médias ne traque-t-il pas déjà cette frontière ?Peut-on encore dire que la pudeur a un avenir ?

Pudeur ou Impudeur telle est la question

Un intervenant s’interroge : la pudeur est-elle une forme de respect de l’autre ou une fonction inhibitrice ? La loi n’est-elle pas ambivalente quand elle suppose définir ce qui doit rester pudique. Tout n’est pas contingenté par le code civil, comment déterminer ce qui peut être communà tous sans la régulation juridique ? Dans la société tout individu a des représentations différentes de ce qu’il considère comme limites, l’impudicité de l’art contemporain ne souligne-t-elle pas les risques de la transgression dans la désacralisation de l’humain ?. L’Art contemporain délaisse les beaux arts, il est impudique, provocateur et transgressif. Pourquoi cedéplacement est explicitement signifié dans l’art, représentation du réel, et non manifesté dans le réel ? Un intervenant s’étonne qu’on montre le “ cœur médical ” parce que si l’avenir de la pudeur tient au statut des images produites par la société alors l’impudeur des images anéantit la symbolique masquée jusqu’alors dans cet organe.La métaphore de l’amour disparaît comme celle de la beauté dans l’art contemporain. La débilité de l’intime des “ lofteurs ” dans un langage sans cesse appauvri disqualifie la pudeur. Le néo-fantasme produit par l’image ne signifie plus ce qu’il faudrait être mais à ce qu’il faudrait avoir

Pour conclure 

On peut entrevoir un avenirserein pour l’impudeur, car l’image transgresse sans cesse les limites de ce qui dessinait il y a peu les contours de la pudeur. Mais vraisemblablement ce scandale en cache un autre, ne plus être choqué par le nu c’est jeter un voile sur ce qui insupportable à regarder : la misère dans le monde, la famine, les guerres… Ce n’est plus ce sein qu’il convient de cacher, mais les effets catastrophiques d’une économie libérale sans pudeur ni limites.

 

Peut-on concilier le Droit à l’égalité et le Droit à la différence ?

Lundi 24/06/02, n°59, compte-rendu fait par Alain

Au “ Café de la Poste ” 50 personnes étaient présentes pour discuter le problème posé par la notion du communautarisme.En France, l’idéologie républicaine a défini le citoyen comme un être abstrait et universel détenteur du droit à l’égalité. Mais depuis les années 68, la revendication des particularismes liés à l’appartenance à une communauté a fait émerger un droit à la différence. Deux interprétations, par essence contradictoires, qui peuvent rentrer en tension.Peut-on articuler ces deux définitions du droit ?

Origine des deux Droits

Un intervenant met en doute le principe universel du droit à l’égalité, 1789 aurait imposé un droit communautaire parmi d’autres. Un nouvel intervenant signale que la revendication communautaire peut entraîner une forme d’aliénation. Une autre personne note que souvent une minorité estopprimée au nom du droit à l’égalité afin de ne pas défaire l’identité collective. La discussion oppose alors les libertés formelles et informelles. Les défenseurs du communautarisme soulignent les contradictions des valeurs républicaines “ liberté, égalité, fraternité ” qui rejettent aussi bien les homosexuels, les particularismes ethnologiques, les régionalistes… Un intervenant reconnaît que les différences existent dans les faits mais que dans ce cas il n’y a plus de droit. Un nouvel intervenant pense que le communautarisme dérange par son narcissisme, et parce qu’en dénonçant l’identité collective il met en péril le statut de nation. Pour une autre personne, la Révolution aurait inventé le concept de citoyen en abolissant les droitsinégalitaires de l’Ancien Régime. L’origine de ce droit serait universel parce qu’il dériverait de la philosophie des Lumières qui est fondée sur la raison. Pour un autre, la souffrance des hommes découlerait du principe d’inégalité parce qu’elle induit un fatalisme de la souffrance. Contre cette souffrance les hommes auraient déclaré un droit à l’égalité, maisc’est un droit qui est toujours à reconquérir. Un intervenant pense alors que si ce droit à l’égalité n’est pas naturel, il déracine l’individu et ne peut prétendre à l’universel. Selon cet intervenant, seul le message christique autoriserait une prétention à l’universel parce qu’il fait de chaque être humain un sujet unique. Contre cette opinion, un intervenant affirmequ’au contraire c’est la laïcité qui représenterait le lieu symbolique permettant la communication entre sujets et idées différentes.

Peut-on articuler droit à l’égalité et droit à l’inégalité ?

Une personne demande si le métissage des idées et des personnes pourrait concilier ces deux droits. Un autre intervenant note que lesminorités passent d’un ethnocentrisme à un autre, en transposant leurs valeurs qui étaient déclarées inférieures aux valeurs supérieures et de ce fait ne font qu’inverser le processus dominé/dominant. N’est-ce pas les limites du communautarisme qui se constitue sur ce qui est identique et rejette ce qui est lui est différent, c’est-à-dire l’image de l’autre ? N’y a-t-il pas illusion lorsque le communautarisme se réduit à ce qui le définit ? Si la couleur de la peau définit l’identité d’un groupe, cela n’empêchera pas qu’il y aura toujours des individus qui se sentiront différents ainsi que des sous-groupes revendiquant sans cesse de nouvelles différences. Peut-on faire de l’identitaire avec un seul signe alors que l’universel se propose comme unélément vide où l’on peut tout mettre ? Un intervenant propose qu’on puisse concilier les deux droits à condition de considérer l’individu comme un sujet unique. Mais, sur quoi fonder la conciliation entre tous les hommes si le collectif devient une somme d’individus ? Un intervenant pense que la tentation de rejeter le droit d’égalité et l’identité collective qui l’accompagnerésulte du libéralisme économique parce que celui-ci s’accommode parfaitement de l’inégalité des droits sociaux dans les différentes régions de l’Europe et du monde.

Pour conclure

La philosophie de la raison et des Lumières a inspiré le droit à l’égalité. La philosophie anglo-saxonne du sensible et de l’empirisme a influencéle droit à l’inégalité. Ainsi, les tenants du communautarisme contestent l’idée d’universalité du droit à l’égalité. Une réponse de conciliation pourrait être de savoir s’il existe une préséance entre ces deux droits. Mais chaque camp prétendra le contraire car ce qui est ennuyeux avec tout pouvoir c’est qu’il nie ce qui s’oppose à lui, et prétend universelles les lois qui le fondent. La démocratie a toujours constitué un progrès pour l’humanité en édifiant le droit sur la loi et non sur des faits. La question reste ouverte pour savoir si ce droit est universel ou non. Certains agiront au nom du doit universel pour apporter de l’espoir, d’autres plus prosaïquement pour partager parfois leur progrès avec d’autres qui leur sont différents. Nepourrait-on pas apprécier ces deux droits en termes de moyens plutôt que de finalités ?

 

Articuler des exigences intellectuelles sur un dispositif démocratique

Il s’agit ici de développer l’éducation à la citoyenneté par la prise de parole organisée, la délégation de certaines fonctions nécessaires au déroulement de la discussion et à la réflexion collective, et surtout en choisissant des débats porteurs de sens pour les enfants.

L’atelier de philosophie est mis en place dans une classe de C.M. 1 (enfants de 9/10 ans). Un “ atelier de philosophie ” est une séquence où on suscite la réflexion des élèves autour d’idéesqu’on pourrait qualifier de philosophiques. Il s’agit d’amener les élèves à faire des “ expériences de pensée ”, à effectuer des opérations intellectuelles où ils puissent penser par eux-mêmes en tentant de conceptualiser, problématiser argumenter (Tozzi, 1998) leur point de vue à propos de thèmes tels que : Sommes-nous tous pareils ? A-t-on besoin dejustice …

Il ne s’agit pas de transmettre un quelconque contenu de philosophie, mais d’inviter les élèves à adopter un geste mental (La Garanderie, 1987) qui favorise une pensée réflexive. Pour ce faire, une situation qui favorise un échange démocratique est mise en place. Les contenus des ateliers philosophiques rejoignent les injonctions ministérielles (B. O. 1995, 1999).

Ce chapitrerappelle en premier lieu les différents ajustements du dispositif, en second lieu l’intérêt de rattacher l’atelier de philosophie au programme d’Éducation Civique. Enfin, il décrit au travers des fonctions du dispositif les apprentissages spécifiques qui en découlent.

 

Mise en place du dispositif

Tout au long de l’année, le fonctionnement de l’atelier de philosophie (Alain Delsol, 2000) a été rectifié. Les premiers ateliers de philosophie ont débuté fin octobre. L’ensemble du groupe classe est regroupé chaque semaine le vendredi lors de la dernière heure. Vingt-quatre élèves s’assoient sur des bancs disposés en “ U ”, 3 animateurs (le président de séance, le reformulateur et le synthétiseur) leur font face. L’enseignant s’occupe d’enregistrer la séance à côté de l’élève qui tient le rôle de synthétiseur.

En janvier, des modifications sont apportées. Un groupe de neuf ou dix “ discutants ” prendra place au centre sur des bancs. Un second groupe de neuf ou dix élèves observera les “ discutants ”. Chaque observateur suivra un “ discutant ” et prendra des notes : que fait le “ discutant ” pendant la séance ; il donnera des conseils… Il pourra rédiger une question écrite et la poser soit à un élève soit à la cantonade au cours de la discussion. En fin de séance, il fera ses remarques à l’élève qu’il a observé. Chaque semaine le discutant deviendra observateuret vice versa.

Observateurs de discutants

Table des 3 animateurs micro

discutants

Maître

Observateurs des discutants observateurs d’animateurs

Ces rectifications apportent les changements attendus. La discussion engendre de véritableséchanges “ Je suis d’accord avec ce qu’a dit… parce que… ”, nous entrons enfin dans la discussion philosophique. Les observateurs de “ discutants ” interviennent également pour poser des questions. Les élèves tentent d’argumenter pourquoi ils sont d’accord avec telle thèse ou opposés à celle-ci.

 

Lien du dispositif avecl’éducation civique.

Le programme d’Éducation Civique incite les enseignants à partir de la vie de la classe pour que “ l’enfant découvre les règles de vie en société, les valeurs qui la fondent et fasse l’apprentissage de sa propre responsabilité . (…) L’enfant réfléchit sur les valeurs relatives à la personne et sur les normes de la vie encommun ; il acquiert peu à peu de celles-ci une pratique raisonnée. ” (I.O. 1995, pp. 28-29.et. 40). Dans le programme d’éducation civique, la première partie est consacrée à la construction d’une citoyenneté responsable : "respect de soi, respect de l’autre, devoir de responsabilité ; sens du débat démocratique ; écoute et respect de la parole de l’autre", laseconde est consacrée à la vie civique dans la société : déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, fonctionnement des institutions de la République. Le dispositif de l’atelier de philosophie met en valeur les notions de la première partie de ce programme et met en pratique celles du second volet en proposant aux élèves de vivre une situation fonctionnant selon les principes démocratiques des institutions de la République.

La démarche met en place une éthique communicationnelle : respect de la parole de l’autre, besoin de l’autre pour créer une “ communauté de recherche ” (Lipman, 1995) dans la discussion. Elle favorise chez l’enfant l’élaboration d’une pensée intellectuelle rigoureuse : savoir donner des définitions, penser ce que l’on dit, questionner, argumenter, défendre son point de vue, critiquer le point de vue d’un autre sans agressivité.

Rôle et effets du dispositif sur les apprentissages

Le président de séance est garant de la loi Il doit donner la parole aux discutants en évitant les choix sélectifs. Il doit rappeler à l’ordre ceux qui bavarderaient. Il donne la parole au reformulateur, puis au synthétiseur. Enfin, au milieu du débat il doit également inviter les observateurs des discutants à poser une question. Si la discussion s’anime, il doit jouer d’impartialité lorsqu’une forêt de doigts se lève. L’enfant incarne alors une partie du pouvoir du maître de classe, il intériorise la compréhension de ce qu’est la loi pour conserver la cohésion du groupe. Cette tâche était très appréciée, notamment par les élèves les plus faibles scolairement car elle valorise leur estime d’eux-mêmes.

Le reformulateur est moteur de la conceptualisation. Il s’agit certainement du rôle le plus formateur dans cet atelier. Cette tâche est fortement liée au contexte : le reformulateur doit écouter tous les élèves, retenir ce qu’ils disent, noter une partie de leurs discours puis restituer au groupe ce qui vient d’être dit. Il ne s’agit pas d’une simple redite, mais d’une microsynthèse : confirmer que la parole d’un élève a été entendue et comprise, généraliser en résumant les énoncés, reformuler dans un style indirect ce qui a été énoncé dans un style direct. Ainsi, l’action du reformulateur amorce les bases d’unecommunauté de recherche. Il considère toute parole comme étant importante, il n’effectue pas de jugement de valeur, il instaure un climat de confiance, de tolérance, d’écoute, de non-agressivité favorisant le débat. Mais pour que le débat se transforme en discussion philosophique, il convient que l’argumentation des élèves s’appuie sur des notions clairement conceptualisées. C’est cetype d’exigence intellectuelle que la reformulation tentera de mettre en œuvre.

Situation n° 1 ; Constance observatrice du reformulateur, puis reformulatrice, puis observatrice.







Séance n° 11, 17/12/99, thème : Qu’est-ce que c’est lajustice ?

L’adulte interroge Constance qui a observé le reformulateur, elle occupera cette fonction lors de la séance suivante. “ … j’ai observé que le reformulateur doit retenir les idées de tout le monde et les résumer un peu. ”

Séance n° 12, 14/01/00, thème Est-ce qu’on est tous pareils ?

Constance effectue le rôle de reformulateur. “ J’ai trouvé que c’était difficile parce qu’il faut savoir écrire vite et je ne sais pas le faire. Puis, il faut que je retienne souvent 3 exemples et c’est difficile. Ce rôle m’a paru plus difficile que quand j’observais. ”

Séance n° 18, 10/03/00, thème Comment choisir entre le travail et le jeu ?

• L’adulte demande à Constance “ Toi qui as déjà vécu ce rôle, quelles remarques peux-tu faire à Maud. ? ”.

• L’enfant répond “ Je trouve que c’était bien parce qu’elle était attentive, elle écoutait tout le monde. Puis, elle a su écrire vite etcomprendre bien ce que tout le monde a dit. 


Ces propos seront repris par la plupart des enfants qui effectueront ce rôle. L’élève prend conscience des fonctions nécessaires pour reformuler ce qui vient d’être dit. Mais lorsqu’il vit la situation il s’aperçoit que c’est plus difficile qu’il ne le pensait et trouve qu’écrire des notesrapidement c’est très difficile. L’enseignant donnera quelques conseils pour utiliser des abréviations, mais la tâche restera compliquée.

La prise de notes a induit chez les élèves qui ont une écriture peu soignée un effet inattendu. Certains enfants n’ont pas conscience qu’ils écrivent pour eux. Suite à cette tâche, deux élèves ont amélioré de façon spectaculaire leur graphie et par la suite, arrivant à se relire, ont su mieux utiliser leur brouillon dans des tâches de réécriture.

Situation n° 2 : Julien reformulateur.







Séance n° 21, 31/03/00, thème Doit-on respecter la parole de l’autre ?

Julien “ Je trouve que c’est dur de bien écouter ce que disent les autres, et de bien retenir. J’ai eu des difficultés parce qu’il fallait bien écrire tout en écoutant . Pour bien faire ce travail il ne faut pas être dans la lune. ”


Cet élève prend des notes mais elles ne sont passuffisamment lisibles pour qu’il puisse se relire. On peut penser que lorsque Julien dit que pour écrire “ il ne faut pas être dans la lune ” il veut dire qu’il doit mémoriser ce qu’il a entendu et compris. Or pour reformuler, on ne peut pas uniquement retenir de mémoire, il faut également s’appuyer sur sa prise de notes.

La situation suivante montre la capacité de restitutionlorsqu’un élève arrive à concilier l’écoute, la compréhension et une prise de notes suffisante. Un travail de reconstruction linguistique est nécessaire pour réaliser des microsynthèses : passer du style direct au style indirect.

Situation n° 3 : Maud reformule la prise de parole de 6 “ discutants ”.







Séance n° 17, 18/02/00, thème Comment choisir entre le travail et le jeu ?

Maud “ Guillaume affirme que c’est en travaillant qu’on obtient un résultat ; Anaïs a dit qu’elle n’était pas prêteuse comme la fourmi, puis Anaïs a ditqu’elle ne pensait pas que Laurie avait un caractère de fourmi. Alors, Laurie a dit qu’elle était un peu cigale parce qu’elle aimait regarder la télévision tout en travaillant. Puis, Emmanuel a dit qu’on pouvait se faire plaisir tout en travaillant. Puis, Constance a demandé à Laurie et à Laetitia si elles préféraient la télévision ou le travail et elles ontrépondu qu’elles préféraient la télévision. Je crois que c’est tout. ”


La situation suivante montre qu’une écoute active oblige le discutant à penser ce qu’il dit, donc à s’exprimer de façon intelligible. Le reformulateur est obligé de faire répéter un discutant lorsque son énoncé n’estpas suffisamment compréhensible.

Situation n° 4 : parole d’enfants : Constance reformulatrice et Alexandre discutant.







Séance n°12, 14/01/00, thème Doit-on respecter la parole de l’autre ?

• Alexandre vientd’essayer de définir le mot “ pareil ” “ On est tous pareils. Pareil ça ne veut pas dire forcément qu’on est pareil que tout le monde. On peut être plus grand, on peut être plus petit, plus gentil, moins gentil, voilà. ”

• Constance “ Alexandre, il a dit que… en fait je n’ai pas très bien compris cequ’il a dit, alors est-ce que tu pourrais répéter s’il te plait ? 

• Alexandre reprend avec moins d’hésitations et Constance reformule après lui “ Bon j’ai compris cette fois. Alors, il a dit que pareil ça veut dire qu’on a la même taille, qu’on est pareil de physique, et il a dit que égaux ç’est pas toutà fait la même chose que pareil si j’ai bien compris. Il a dit que égaux ça ne vient pas du physique ça vient d’autre part, puis à la fin ce n’était pas trop clair. ”


Le synthétiseur est moteur de l’argumentation. Ce rôle est complexe car il demande à l’enfant de pouvoir synthétiser les résumés dureformulateur et estimer si la discussion va dégager une problématique. Il tente de poser des questions lancées à la cantonade.

La situation suivante montre que la qualité du travail du synthétiseur dépend en partie de celle du reformulateur et de sa capacité à généraliser.

Situation n° 5 : Emmanuel, observe le synthétiseur (séance 11) puis synthétiseur(séance 11 et 14)







Séance 11, 17/12/99 :, thème : Qu’est-ce que c’est la justice ?

En fin de séance Emmanuel conseille au synthétiseur d’utiliser le résumé du reformulateur, Paul.

Séance 12, 14/01/00 : thème Doit-on respecter la parole de l’autre ?

Emmanuel a trouvé la fonction de synthétiseur beaucoup plus difficile que prévu “ Il faut tout regarder, voir si c’est bon, si la discussion ne tourne pas en rond. Puis, je trouve que Constance n’a pas bien reformulé. ”

Séance 14,28/01/00 : thème Qu’est-ce que c’est l’intelligence ?

Cette fois Emmanuel s’est mieux acquitté de son rôle. “ Je trouve que je me suis amélioré par rapport à la dernière fois. Constance les fait répéter quand ils disent des choses qui ne sont pas claires, mais j’ai encore du mal pour faire des résumés,c’est compliqué. ”


Les réponses d’Emmanuel montrent que la compréhension du rôle de synthétiseur n’est pas suffisant. Il a pris conscience de la difficulté lorsqu’il était observateur, il a même proposé un conseil judicieux “ écouter le reformulateur pour faire des résumés ”. Mais il se perdlorsqu’il doit faire son résumé car il faut garder à l’esprit la question initiale pour repérer les différentes thèses élaborées durant la discussion.

La situation suivante permet de découvrir comment une élève arrive à repérer les diverses thèses du groupe. Elle repère ce qui a été dit, elle n’hésite pas à lerépéter ce qui constitue une aide pour les autres enfants. Elle les aide à bien situer le problème, puis elle est capable de relancer la problématique en ouvrant la discussion vers une nouvelle piste de recherche. Nous avons choisi cet extrait car l’élève qui tient le rôle de synthétiseur Anaïs va reprendre les propos d’un élève discutant, Paul, or ces deux élèves nes’apprécient pas dans la vie de la classe, on pourrait dire qu’ils sont chien et chat. Regardons ce que Anaïs va dire des propos d’un élève qu’elle rejette d’un point de vue affectif.

Situation n °6 : paroles d’enfants, Paul est discutant et Anaïs synthétiseur.







Séance 24, 5/05/00 : thème – L’imagination est-elle un défaut ou un qualité ?

• Paul vient de dire ceci “  Alors moi je pense que l’imagination ce n’est pas du tout pareil que la vie parce que dans la vie on ne fait pas tout le temps ce qu’on veut, tandis que dans l’imagination on fait tout le temps ce qu’on veut. Quand on rêve on peut faire des cauchemars mais dans l’imagination, moi quand j’imagine je fais toujours des choses qui sont bien. Je ne sais pas si tout le monde fait comme moi, dans l’imagination on la choisit un peu, et en fait la vie ce n’est pas si simple que l’imagination. ”

• Anaïs fait la synthèse de ce que plusieurs élèves ont dit.“ Je vais dire ce que j’ai retenu. Alors il y a deux thèses, l’imagination c’est bien ou ce n’est pas bien. La troisième thèse ce serait l’imagination c’est bien et pas bien, est-ce que quelqu’un serait du même avis ? Et puis, Paul a dit quelque chose de très bien, il a dit que la vie ce n’est pas si simple que l’imagination. Et c’est vrai, je lereconnais, il a dit que l’imagination ça nous permet quand on est triste, d’être heureux.… voilà, autrement la discussion ça avance. 


On apprécie dans cette intervention la reprise de ce qui a été dit auparavant : Anaïs utilise un métalangage, elle domine son sujet “ il y a deux thèses ” puis proposeune troisième piste de réflexion . Enfin, elle souligne le passage intéressant énoncé par Paul, de plus elle insiste même sur le fait que ce qu’il vient de dire est pertinent. Il semble que le dispositif ritualise la parole, ce qui permet aux enfants de dépasser leurs conflits affectifs lorsqu’ils se plongent dans les exigences intellectuelles réclamées par l’atelier de philosophie.

Les discutants sont moteurs de l’argumentation. Ils tentent de donner des définitions, expriment leurs opinions mais également argumentent leurs propos : pourquoi ils sont en accord ou en désaccord avec les autres propos. Ici l’exigence intellectuelle du débat s’appuie sur la construction logique des phrases. On observera notamment les connecteurs logiques “ parce que…donc ” ainsi que le raisonnement desenfants.

Situation n° 7 : paroles d’enfants discutants







Séance 27  du 26/05/00, thème La raison du plus fort est-elle toujours la meilleure ? .

• Paul demande la parole, “ Le plus fort en fait, il a souvent tort je pense, mais il peut avoir raison parce que des fois on a un peu peur des plus forts que nous, des plus grands que nous, donc c’est le plus fort qui va l’emporter, et c’est pas nous. C’est sa raison qui pourra l’emporter même si elle est fausse. ”

• Anaïs demande la parole à son tour “ Alors moi, je suis pas trop d’accord avec Paul, parce que laraison du plus fort ce n’est pas forcément la meilleure, parce que d’accord le plus fort il peut se défendre avec des coups de poings et des coups de pieds mais celui qui est peut être avec un petit gabarit il est peut être intelligent et il peut raisonner en parlant mais ça ne veut pas dire que le plus fort, le plus musclé gagnera. Des fois ça peut être le plus faible qui gagne. ”

• Maud est la troisième à intervenir “ Moi je dis que ça peut être le plus faible, parce que comme le dit Anaïs, le plus faible est souvent plus malin que le plus fort. Le plus fort il peut être bête parce qu’il peut se dire qu’il est le meilleur qu’ un plus petit que lui. Mais le plus faible pourra être fort avec les mots. ”


Ces trois discutants ont exercé une fonction d’animateur et cette fonction a amélioré leur capacité d’écoute. On notera la cohérence de la discussion. Les enfants articulent vraiment leurs propos dans une communauté de recherche. Anaïs est “ un peu pas d’accord avec Paul ” elle reformule son énoncé ensuite elle dit pourquoi son point de vue estdifférent en opposant force physique à force d’intelligence. Maud reformule à son tour l’énoncé d’Anaïs pour dire son accord et définit l’intelligence “ être fort avec les mots ”.

Cependant, tout n’est pas parfait. Il est nécessaire que l’enseignant intervienne parfois lorsqu’un élève n’a pas fait l’effort de penser cequ’il dit. L’exemple ci-dessous en est l’illustration.

Situation n° 8 : dialogue entre un discutant Emmanuel et l’Enseignant.







Séance 27  du 26/05/00, thème : La raison du plus fort est-elle toujours la meilleure ?

• Emmanuel a déjà été animateur (cf. tableau n° 5), le président de séance lui a donné la parole “ Je vais répondre la question de Constance, je pense que je préfèrerais quand même être dans la peau du plus fort, même si je ne suis pas intelligent parce que je n’aimerais pas me faire tabasser ”.

•L’adulte “ Est-ce que tu veux dire que tu préfères être dans le rôle du méchant ? ”.

• Emmanuel “ Un peu, mais le plus fort il pourrait être sympa ”.

• L’adulte “ Mais dans l’exemple que nous avons étudié le plus fort n’est pas sympa comme tu le dis. ”.

• Emmanuel “ C’est vrai, les méchants ne sont pas sympathiques, mais ça peut arriver. Je préfère être quand même dans la peau du plus fort 

• L’adulte “  Mais le lâche est-ce celui qui veut discuter, arranger les choses, ou utiliser sa force sans comprendre ? ”.

• Emmanuel “ Leplus lâche c’est quand même le plus fort parce qu’il n’écoute rien ”.

• L’adulte “ Tu choisis d’être dans la peau du plus fort, parce qu’il a raison ou bien parce que tu as peur de prendre des coups ? ”.

• Emmanuel “ J’ai peur de recevoir des coups. Mais je préfère quandmême pas en donner. J’essayerais d’éviter. 

• L’adulte “Par rapport à notre exemple il faut choisir, pour savoir si la raison du plus fort est toujours la meilleure ”

• Emmanuel “ Donc en fait c’est compliqué de choisir ”.


Ici, il s’agit plus d’unentretien philosophique que d’une discussion philosophique. L’enseignant va aider l’enfant sur le chemin de la connaissance en faisant en sorte que la réponse soit donnée par l’enfant lui-même. Nous pouvons apprécier la richesse de ce travail avec la conclusion de Emmanuel “ Donc en fait c’est compliqué de choisir ”.

Les observateurs sont moteurs de la problématisation. D’une semaine à l’autre les élèves alternent le rôle de discutant et d’observateur. Ils écoutent les discutants, ils réfléchissent à une question qu’ils écrivent puis demandent la parole au président. Ils questionneront soit le groupe soit un discutant en particulier. Voici quelques exemples de questions qui sont en fait de véritables problématiques 

Situation n° 9 :paroles d’enfants observateurs de discutants.







Séances 22 et 23 , thème : Doit-on toujours dire la vérité ? 

• Paul “ Vous dites presque tous qu’il vaut mieux dire la vérité, mais desfois on ment, pourquoi ment-on ? ”

• Maud “ Est-ce que des fois vous ne mentez pas pour vous faire des amis, par exemple vous dites que votre père est pompier ou un métier dur comme ça ? ”

• Julien “ Ceux qui mentent sont des menteurs, mais comment appelle-t-on ceux qui disent la vérité ? ”.

• Emmanuel “  Si quelqu’un dit quelque chose sur la politique mais que la loi interdit, vous seriez d’accord ? ”.

• Constance s’adresse à Romain “ Si tu ne dis pas ton opinion parce qu’il y a des gens qui disent le contraire de toi, est-ce que tu es libre ? 


Ces exemples montrent que cesélèves restent attentifs à la discussion, et posent des questions pertinentes qui la relancent. La question de Paul invite les élèves à étudier l’autre aspect de la question en opposant vérité et mensonge. La question de Maud interroge sur l’incidence des petits mensonges. Julien demande au groupe une définition très philosophique. Emmanuel interroge le rapport opinion et loi. Constance propose uneréflexion d’ordre éthique.

L’éveil à la pensée est en cohérence avec les injonctions ministérielles. Cela implique de plonger les élèves dans une tâche non linéaire qui nécessite la mise en place de processus médiateurs. Le dispositif présenté dans ce chapitre favorise les interactions entre élèves et entre élèves et enseignant.

La littérature scientifique sur l’apprentissage présente un certain consensus pour démontrer que l’apprenant n’acquiert pas des concepts ou des méthodes de pensée par une simple transmission directe : l’enseignant montre et l’enseigné assimile. Selon Perret-Clermont, Nicollet (1988), Doise, Mugny (1981) tout apprentissage est contextualisé, ce qui présuppose que la construction dusavoir est d’abord sociale. La confrontation des opinions des élèves entraîne un déséquilibre interindividuel et intraindividuel, c’est-à-dire un conflit “ sociocognitif ”. Les élèves sont alors conduits à coordonner leurs opinions en vue d’élaborer un accord interpersonnel pour maintenir leur cohésion de pensée avec le groupe. On ne suppose pas qu’unélève comprendra un concept par le simple décodage linguistique et sémantique qui le définit. Par ailleurs, le recours aux théories génétiques ou cognitives restent à ce jour peu convaincantes. Les premières présentent l’activité mentale comme un processus de traitement de l’information, les secondes comme un système hiérarchisé de traitement d’informations. Mais toutcela n’aide pas à concevoir comment l’enseignement peut faciliter l’apprentissage. Le dispositif de l’atelier de philosophie induit une série de déséquilibres conceptuels, un certain nombre de confrontations authentiques pour aider l’apprenant à élaborer un certain formalisme de la notion débattue. Ainsi, lors de l’acquisition d’une notion abstraite l’apprenant construit à la fois“ avec ses structures cognitives et affectives ” (Piaget, 1974) et “ contre celles-ci ” (Bachelard, 1938).

Bibliographie

BACHELARD G., (1938), La formation de l’esprit scientifique, éd. 1996 Paris : Vrin

DELSOL A., (2000), “ Un atelier de philosophie à l’école primaire ”, Diotime – l’Agoran°8, Montepellier : CNDP

DOISE W. & MUGNY G., (1981), Le développement social de l’intelligence, Paris : Inter-Editions

LA GARANDERIE de A., (1987), Comprendre et Imaginer : les gestes mentaux et leur mise en œuvre, Paris : éd. du Centurion

LIPMAN M., (1995), A l’école de la pensée, Bruxelles : De Boeck Université

Ministère del’Education Nationale, (1995), Programmes de l’école primaire, Paris : CNDP

PERRET-CLERMONT A. N. & NICOLET M., (1988), Interagir et connaître : enjeux et régulations sociales dans le développement cognitif, Fribourg : DelVal

PIAGET J., (1974), La prise de conscience, Paris : Presses Universitaires de France

TOZZI M., (1998), Éléments pour une didactique de l’apprentissage du philosopher, Habilitation à diriger des travaux de recherche, Sciences de l’Education : Université Lumière Lyon 3

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