Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

L’Atelier de philosophie de l’Université Populaire de Perpignan (fev-juin 2007)

La précarité existentielle (Texte 1)

PRECARITE : “ Situation dans laquelle l’avenir, la durée, la stabilité ne sont pas assurés ”. Etymologiquement du latin precarius : “ Qui s‘obtient par la prière ” (de preces, la prière). On voit que l’on signifie par là quelque chose qui dépend de la volonté d’un autre (ici Dieu), qui a pouvoir sur moi.

Autre sens dérivé de celui-ci, issu de l’histoire, et toujours en cours : “ Qui ne s’exerce que par une autorisation révocable ”. Par exemple l’expression “ à titre précaire ” se dit de la détention d’une chose pour le compte d’autrui (le locataire jouit provisoirement d’un bien qui ne lui appartient pas).

- Qu’en est-il alors de la “ précarité existentielle ” ?

C’est celle de la vie, de notre vie, dont on dit et sait qu‘elle est précaire, parce que sa durée n’est pas assurée, mais limitée par les incontournables de l’accident, toujours possible, la maladie, souvent probable, la mort, absolument certaine. Elle a une échéance qui fait brisure, fracture, coupure, une fin, la fin. Un point de butée aveugle (car il est impensable, une limite à notre compréhension, un mystère) : sur la mort, il n’y a de certitude que sur son existence, notre seule certitude objective peut-être (tout être vivant mourra). Mais aucun savoir sur ce qu’elle est, et s’il y a quelque chose après : dire par exemple scientifiquement qu’elle se reconnaît à un électroencéphalogramme plat du cerveau ne nous donne guère de connaissance expérientielle ou philosophique sur elle, et épuise encore moins le sens de notre mort dans notre existence.

Personne (sauf Dieu peut-être, s’il existe), n’est éternel. D’où notre fantasme d’immortalité (les Grecs appelaient les Dieux les Immortels). Et c’est parce que nous ne savons rien sur la mort que nous croyons. La croyance, faute de savoir. Croyance en l’immortalité de l’âme par opposition au corps, à la résurrection ou à la réincarnation… ou qu’il n’y a plus rien pour nous après : encore de la croyance, même chez les athées.

Avenir précaire parce qu’à durée limitée … Mais aussi imprévisible. Malgré le projet, l’intention de planifier par la volonté, de faire serment, de prévoir (par la science ou le marc de café), notre avenir, en tant que conscience et liberté, c’est l’inconnu et le risque. Pensons au bonheur comme état, qui est au cœur de notre désir : mais la vie, la conscience sont temporelles, c’est un flux, une variation, un aléatoire générateur d’incertitude.

D’où cette instabilité qui caractérise notre vie, que nous sentons à la moindre expérience profonde (l’amour, le vieillissement…), vulnérable et fragile : impression quand on ne maîtrise plus sa vie d’un déterminisme, d’un destin : celui du sentiment du tragique de l‘existence (“ Tout homme dès qu’il est né est assez vieux pour mourir ” dit Heidegger ; “ De l’inconvénient d’être né ”). Et aussi, quand prédomine l’élan vital (force négenthropique devant la loi de la dégradation universelle), le sentiment qu’il s’agit pour vivre d’une lutte sans fin : “ struggle for life).

- Devant cette précarité existentielle, comment l’homme peut-il réagir ?

Le suicide par désespoir (courage devant la mort, mais lâcheté devant la vie) ? Le suicide par libre choix de sortir du monde au moment choisi (les stoïciens) ? Chercher à donner un sens à une vie d’homme dans un monde absurde (Camus) ? Faire des enfants pour prolonger sa vie, ou une œuvre artistique ou scientifique, léguée pour sa postérité ? Se consoler dans la religion, en cherchant ici-bas une vie sainte dans l’amour des autres et de Dieu, dans l’espérance d’une vie bienheureuse au-delà ? Rechercher la sagesse philosophique en apprenant à mourir (Socrate), ou à vivre (Spinoza) ; dans un plaisir mesuré (Epicure) ? En acceptant l’ordre du monde (Stoïcien) ou en visant la transformation révolutionnaire du monde (Marx) ?

Michel 10-02-07

La précarité de la relation affective dans le couple (2)

Il fut un temps en France où la relation affective à deux (hétérosexuelle) était institutionnalisée : par le mariage religieux, le couple se constituait pour l’éternité ; par le mariage civil, pour la vie. Car il y allait de la famille, cellule de base de la société. Les institutions religieuses et civiles donnaient un cadre juridique, et par voie de conséquence psychologique, à une relation interpersonnelle qui contraignait (interdiction du divorce, on pouvait même comme femme « être mariée », et non « se » marier), mais aussi protégeait (la femme de l’abandon de son mari, le père rassuré pour sa descendance).

Or on assiste aujourd’hui au « déclin de l’institution » (F. Dubet) : l’institution, ce qui fait « tenir debout » (statuere), et tenir dans le temps, s’est distendue (divorce, union libre) : le couple moderne, réduit aux parents et à leurs enfants, et fondé plus sur des sentiments que des conventions sociales, tend à devenir l’union de deux libres volontés, qui peuvent aussi librement se séparer. Là commence la précarité, constitutive du couple moderne : la non assurance de la stabilité et de la durée.

Cette évolution interroge philosophiquement plusieurs dimensions de notre rapport à autrui et nous-même :

- la liberté individuelle est désormais au centre du couple, avec ses notions de décision à prendre au jour le jour et en cas de crise. Liberté moderne, très individualiste, où je suis au centre de ma vie, dans laquelle j’inclus quelqu’un, au départ choisi. Qu’en est-il des conditions, de l’usage et des effets d’une telle liberté dans le couple moderne ? Pourquoi chercher à vivre en couple, quel est l’horizon d’attente du couple : la satisfaction sexuelle, l’affection mutuelle, la joie d’avoir un enfant, la sécurité affective et matérielle, la sortie de la solitude ?

- Mais si être libre, c’est pouvoir et devoir répondre de ses choix et de ses actes, cette liberté nouvelle, dans un couple relativement « désinstitutionnalisé », engendre une responsabilité éthique très grande (avec de surcroît la culpabilité qu’elle peut engendrer). En quoi peut donc consister ma responsabilité dans le couple vis-à-vis de l’autre (et indirectement vis-à-vis des enfants que nous eûmes en commun), et enfin vis-à-vis de moi-même (qu’en est-il de ma dignité dans cette histoire, de l’image psychologique et éthique de mon moi, de l’estime que je me porte)?

- La problématique de la coexistence de deux libertés : si nos libertés de sujet restent soumises à des contraintes matérielles (le logement, l’argent pour vivre), psychologiques (les aléas de la vie à deux, la quotidienneté, l’attirance vers un autre…), juridiques (obligations diverses, dont l’éducation des enfants) etc., reste qu’à tout moment je peux remettre aujourd’hui en question la viabilité du couple, et rompre. Car dans la relation intersubjective sont en jeu mon désir (partiellement inconscient), qui peut m’aveugler dans l’état amoureux, s’émousser avec le temps, est en son fond insatiable, d’où la tentation du changement ; mes passions (la jalousie, le ressentiment, la haine…) ; ma volonté (faire des efforts, des concessions, ou vouloir en finir), ma raison (m’expliquer les situations, discuter, négocier, gérer intelligemment les crises dans un sauvetage ou une rupture)… Peut-on esquisser une ontologie du couple : qu’en est-il de l’être du couple en tant que couple, au delà de ses déterminations biologiques, psychologiques et sociales ? Une phénoménologie du couple moderne : la façon d’être dans le couple à l’autre, la façon du couple d’être aux autres, la façon de chaque individu et du couple d’être à soi, dans, par ou malgré le couple ?

- Le rapport de l’homme au temps. C’est la précarité du couple moderne qui interroge : difficulté de s’engager durablement par incapacité de connaître, de se connaître et connaître l’autre ? Impossibilité de (se) prévoir, de prévoir l’autre, et d’anticiper à moyen et long terme (incertitude et imprévisibilité)? Déficit éthique d’engagement, du sens des obligations, de ce qu’exige une parole donnée, un serment : crise de la confiance en soi et en l’autre (liée à la crise des transcendances, notamment religieuse ? Doit-on dire que la précarité du couple moderne témoigne d’une liberté acquise et chèrement conquise, ou d’un égocentrisme, voir d’un égoïsme forcené ? D’une angoisse immaîtrisable de l’avenir et d’une défiance généralisée à l’autre le plus proche ? Où d’une adaptation intelligente à un monde aléatoire et incertain qui fait du couple une aventure, d’imprévisibilité vertu de surprise, de méconnaissance capacité de découvrir sans cesse, de complexité construction avec inventivité au jour le jour ? Chacun verra le rose ou le noir à travers sa propre expérience ? Mais que dire d’universel sur ces ambivalences de la modernité ?

Michel 10-03-07

La précarité sociétale (3)

Nous pouvons définir la précarité, objectivement et subjectivement, comme une situation d’instabilité, notamment dans un temps perçu comme limité, non durable. Les situations de précarité, lorsqu’elles sont subies plutôt que choisies, engendrent un sentiment d’insécurité, de crainte face à des risques, vécus comme dangereux, au présent et pour l’avenir. Ces risques peuvent être objectifs, de l’ordre des faits, ou fantasmés, puisqu’il s’agit d’une perception individuelle et/ou collective.

Le sentiment d’insécurité peut porter individuellement sur son corps, ses biens, sa situation sociale (il peut aussi porter plus collectivement sur son/ses groupes d’appartenance, l’espèce humaine, etc.). Il provoque un malaise, et des comportements réactifs, émotionnels, des stratégies d’anticipation (les assurances), de prévention (l’éducation), d’auto-défense (non confiance en la protection de l’Etat), de répression (la prison).

1) L’insécurité physique peut se caractériser par la peur de l’agression de l’environnement (travail dangereux pour le salarié, usine polluante pour le riverain, virus…), en particulier d’autrui (ex : attaque, viol). Peur d’une atteinte à son intégrité corporelle, et par voie de conséquence à son intégrité psychique (trauma), à sa santé, qui s’enracine profondément dans l’instinct de conservation de la vie (notre cerveau reptilien, le plus archaïque, perturbe dès son insatisfaction le cerveau limbique de nos émotions, et bloque le cerveau cortical de notre pensée).

2) L’insécurité sur les biens, c’est la peur d’une atteinte à ce que l’on possède, sa propriété. Cette forme s’est certainement développée avec la propriété individuelle (quand les biens sont collectifs, on n’a rien à perdre en tant qu’individu – ce qui ne veut pas dire qu’on ne défend pas le bien collectif d’un groupe dont on est membre). Celle-ci a pour effet que mes biens m’apparaissent comme le prolongement quasi-physique de ma personne : surtout dans une société capitaliste mondialisée, où le bonheur de l’être tend à se réduire à la jouissance hédoniste de l’avoir, où l’agression contre l’un de mes biens (ex : vol) est identifié à une atteinte directe contre ma personne. Le sentiment d’insécurité semble s’accroître avec les difficultés économiques et le déficit du lien social. Il est nourri par le fait que la propriété s’est accrue, et que l’inégalité de sa répartition subsiste ou s’accroît.

Ces deux peurs (insécurité vis-à-vis des biens et des personnes), sont des symptômes de la société contemporaine : individualiste (sentiment d’être d’abord un « moi-je » au centre, qui doit être objet de reconnaissance, et de tous les soins ; culte de la propriété privée) et matérialiste (le bonheur par l’avoir de la consommation). Elles correspondent à un besoin profond chez l’homme de tranquillité physique et psychique, et de confiance en autrui, qui, s’ils sont perturbés, nous constituent en victime (qui demande réparation par le droit ; ou se venge : « Pour une dent, toute la gueule », parole d’un légionnaire) : d’où dans l’éthique et le droit (de l’homme et du citoyen) l’obligation du respect des personnes et des biens.

Cette peur est politiquement instrumentalisée par la droite et l’extrême droite, qui lui donnent le visage d’un bouc émissaire (Cf. la théorie de René Girard), la figure de l’ « Autre menaçant » : l’étranger, parce qu’il est étrange, inquiétant ; violent, voleur et violeur en puissance…

La culture de l’insécurité manifeste ainsi le syndrome d’une crise du rapport à l’autre, dont on se méfie, et plus largement d’une crise du lien social. Elle peut réactiver psychologiquement des fantasmes archaïques : la « mère phallique », toute puissante, dévoratrice, dont il faut se protéger ; et alimenter des attitudes psychiquement, éthiquement et politiquement régressives : besoin d’un pouvoir fort mettant en péril la démocratie, primat de la punition sur la prévention, etc. On a pu dire ainsi que la France avait globalement, notamment à cause d’un sentiment d’insécurité croissant, viré à droite…

3) Mais le sentiment d’insécurité d’un individu, dû à sa précarité, peut aussi porter sur sa situation économique et son statut social : multiplication des « sans » (logement, papiers…), augmentation du chômage, de la pauvreté (bas salaires, baisse des retraites et de la protection sociale), de contrats précaires comme l’intérim ou les contrats, comme leur nom l’indique, « à durée déterminée », engendrés par la situation de guerre économique mondiale, les exigences de profit des actionnaires (capital financier), les politiques d’entreprise (rentabilité des profits, flexibilité de la main d’œuvre, dérégulation du marché du travail) ou d’Etat (démantèlement du droit du travail).

Le travail comme valeur assure une indépendance financière de subsistance et de satisfaction de besoins solvables ; une utilité sociale par la production de biens et services ; une insertion sociale dans un milieu professionnel ; souvent une réalisation personnelle par l’activité menée. C’est ce dont est privé le chômeur malgré lui, réduit à l’assistance économique et sociale, à un sentiment d’inutilité, à la privation d’un réseau relationnel et de solidarités professionnelles, à l’inactivité. Cela n’enlève en rien la réalité, dans de larges fractions du salariat, de l’exploitation économique, de la domination hiérarchique et de l’aliénation culturelle. Mais cela signifie la faible consistance sociale, voire ontologique, de l’état et du statut de chômeur.

La précarité sociale, c’est la difficulté pour les jeunes de rentrer sur le marché du travail, pour les travailleurs de bénéficier d’emplois stables, pour les industriels, artisans et commerçants de PME de résister à une concurrence mortelle, pour certaines personnes de se loger, et correctement, de se faire soigner, et correctement, de maintenir son pouvoir d’achat, etc. C’est l’incertitude d’assurer au présent et/ou pour l’avenir son autonomie, et d’assumer sa dignité, d’avoir du pouvoir sur sa vie, et sur son environnement. Les droits au travail, au logement, aux soins, à un revenu suffisant, et aussi à la culture, apparaissent ainsi comme les conditions de possibilité de la dignité humaine, qui comme dit Kant, n’a pas de prix. Mais elle a un coût, qui doit donner lieu à des politiques sociales de solidarités nationales et internationales (Car que dire des situations de précarité dans le monde, quand on habite un pays dit « développé » ?).

La précarité, sous ses différentes modalités, doit être philosophiquement comprise dans sa signification pour l’homme. Sous sa forme individuelle, elle prend la forme dans la modernité d’une triple insécurité physique, matérielle, sociale. Elle menace le corps, les biens, le statut professionnel, plus largement social, par rapport à des besoins primaires ou plus élaborés. Elle engendre des réactions affectives, et des comportements individuels et collectifs souvent régressifs. Elle crée aussi, au nom de la dignité humaine, des obligations morales, des droits politiques, des revendications justes, qui engagent chaque homme, chaque citoyen, chaque gouvernant. Michel 21-04-07

L’avenir de l’espèce humaine (4)

Il y a une question de l’avenir de l’homme.

Pendant le Moyen Âge, où la science est condamnée parce que menaçante pour le dogme catholique, on croit que l’homme ayant été créé par Dieu et son âme étant immortelle, l’avenir individuel de l’homme, avec une vie de foi et de charité, c’est l’espérance du Paradis pour la vie éternelle dans l’au-delà (sinon, c’est l’enfer).

A la Renaissance surgit une autre perspective : la confiance humaniste en un être libre, qui peut décider de sa destinée individuellement et collectivement. Commencent les utopies (Thomas More, Campanella…) d’un monde meilleur dès ici-bas, par l’élaboration d’une meilleure organisation sociale. L’usage de la raison et le développement de la science, dira Descartes au 17ième, rendra l’homme « maître et possesseur de la nature ». Cette idée d’une histoire humaine (espèce animale évoluée nous révèlera Darwin), qui va vers le progrès par la science et la révolution (française, plus tard prolétarienne) alimentera la philosophie des Lumières au 18ième, pour laquelle la science émancipe l’homme de l’obcurantisme religieux, pour aboutir au 19ième à l’idéologie positiviste (A. Comte) : le progrès technique et scientifique entraînera le progrès économique et social qui amènera le bonheur de l’humanité.

La rupture avec cet optimisme scientifique et sociétal de la modernité se produira dans la deuxième partie du 20ième, avec la bombe d’Hiroshima, l’impensable de la Shoa, la dictature stalinienne et l’irruption de dégâts écologiques majeurs (Tchernobil, l’Erika, etc.). Se diffuse, avec la post-modernité, l’idée d’un monde désenchanté, sans lendemains qui chantent socialement, et écologiquement inquiétant : les sols qui s’épuisent, des espèces qui disparaissent, des ressources limitées, une biosphère fragile, un monde pollué, l’effet de serre… Par l’effet conjugué d’une techno-science aux conséquences contradictoires (soigner le cancer et périr du nucléaire), et d’une mondialisation pilotée par la maximisation du profit à court terme, sans prise en compte sociale des défavorisés ou écologique de la planète terre pour le futur, l’avenir se brouille, avec l’opposition Nord-Sud, la montée du terrorisme, les interrogations sur les OGM, le clonage de l’espèce humaine, etc.

Nous assistons au paradoxe d’une espèce qui, malgré l’instinct de conservation qui anime toute espèce pour sa reproduction et sa survie, est capable de se faire disparaître de la planète. A moins que sa forme actuelle ne se nomme prise de conscience du danger encouru, lutte contre les excès de la mondialisation par la militance des adultes et l’éducation à l’écocitoyenneté des enfants, développement durable, et principe de précaution dans la recherche scientifique…

Michel 12- 05-07

Quelles stratégies face à la précarité humaine? (5)

Nous avons approché quatre figures de la précarité humaine, cette situation où l’avenir, la durée, la stabilité ne sont pas ou plus assurés.

- Deux concernant plus particulièrement l’individu : la précarité d’une vie, expérimentée dans l’accident, la maladie, la mort (« Tout homme, dès qu’il est né, et assez vieux pour mourir » dit Heidegger), précarité biologique et ontologique ;

- la précarité relationnelle, dans le rapport durable de l’engagement affectif et éthique vis-à-vis de l’autre, par exemple dans le couple moderne, qui n’est plus comme jadis en occident un « CDI » garanti par des institutions (mariage religieux ou civil).

- Et deux plus collectives : la précarité sociale, à travers la pauvreté dans le monde y compris dans les pays développés, la fragilisation aujourd’hui du contrat de travail, de la « sécurité sociale » (remboursement des soins, montant des retraites), le sentiment d’insécurité des biens et des personnes (délinquance, terrorisme) etc. ;

- la précarité de l’espèce humaine, révélée par la conscience écologique devant les menaces de l’industrialisation, la pénurie des matières premières, la pollution, l’effet de serre etc., mais aussi les OGM, le clonage…

Cette précarité existentielle, affective, sociétale, individuelle et collective rend l’avenir incertain, aléatoire, problématique, menaçant.

Comment réagir face à cette prise de conscience de la part sombre de l’existence ?

1) Il y a la réaction pessimiste – celle d’un tragique de l’existence humaine – pour laquelle la lucidité mène au désespoir. On va droit dans le mur : à quoi bon vivre puisqu’on va mourir ? C’est la dépression, maladie moderne de la conscience tragique, de l’individualisme solitaire, de la mésestime de soi, de l’avenir bouché. La liberté qui reste, comme le proposent les stoïciens, c’est de choisir le moment de partir (suicide philosophique d’un Sénèque) : encore faut-il en avoir le courage…

Si le lien social se distend, c’est la faute à l’individualisme triomphant, pour lequel, vu de mon égocentrisme, autrui est pour moi un problème (une gêne, comme la voiture de devant), et non un « visage » qui m’oblige à l’éthique (Lévinas). La mort de Dieu, de la transcendance, c’est la mort de l’homme comme verticalité, de la croyance en l’Autre : les valeurs s’en sont allées. Il n’y a même plus de grandes utopies alternatives ici-bas, de lendemains qui chantent.

La mondialisation a un double effet : socialement l’écrasement des plus faibles par les plus forts dans la compétition, écologiquement le sacrifice de l’avenir de la planète aux intérêts financiers à court terme des plus puissants. Il n’y a plus qu’à refuser d’avoir des enfants pour qu’ils ne connaissent pas ce monde ; fuir toute réflexion, se réfugier dans l’avoir, jouir intensément du présent dans l’hédonisme consumériste, pour se « divertir » comme le dénoncerait Pascal par rapport aux échéances inéluctables ; ou qu’à prier aujourd’hui dans l’espérance d’un au-delà …

2) Pour d’autres, le réalisme n’est pas forcément pessimiste : il faut « faire avec », se « bricoler » une vie vivable. La précarité n’a pas que des inconvénients : c’est parce qu’on est mortel que la vie a du prix et prend du sens, que je peux lui donner un sens en être libre et conscient. Sortir d’un couple qui stagne ou se fait mal, c’est tourner la page et rebondir, sans rester piégé à vie. La précarité peut être choisie dans l’union libre de deux libertés, dans un intérim qui me paye le temps libre dont je peux jouir ; elle développe des capacités d’adaptation aux situations nouvelles, imprévisibles, des résiliences. Puisque la vie est courte, autant aménager au mieux sa précarité : système D érigé en sagesse. Rechercher l’état amoureux mais sans trop en souffrir, s’entourer d’un petit cercle d’amis, ne pas angoisser pour ses enfants, chercher un travail pas trop contraignant, ne pas perdre sa vie à la gagner, ne pas en vouloir toujours plus, prendre le maximum de temps libre, profiter d’une nature gratuite, accueillir l’instant et ses opportunités, ralentir le rythme et se relaxer, faire du sport, manger sain, aller au café philo, cultiver la joie : un idéal de classe moyenne éclairée ?

3) Trouver cette précarité insupportable, et ne pas se résigner : avoir la rage de vivre, brûler sa vie, viser les extrêmes, vivre à cent à l’heure, se griser dans la vitesse, la drogue, l’internet rose…

Ou faire de la recherche scientifique, créer des oeuvres d’art ou mettre au monde des enfants pour s’épanouir et se survivre…

Ou alors militer. Opposer à la dureté d’une vie éphémère la générosité de l’amour et de l’amitié qui donne sens par le don.

Faire du prosélytisme religieux.

Opposer à la précarité sociale générée par le capitalisme, l’individualisme ou les dictatures un idéal de justice, d’égalité et de paix par la lutte émancipatrice, syndicale, politique, humanitaire. Jusqu’à se sacrifier individuellement pour une cause, la cause.

Résister dans sa vie par la force du collectif, mais aussi dans sa vie quotidienne par une attitude respectueuse d’autrui et de la nature, en donnant l’exemple d’une révolution culturelle possible chez l’individu.

Travailler à « une vie bonne dans une cité juste » (Ricoeur).

Il est instructif d’inventorier, face à la précarité humaine, la façon dont l’homme s’y prend pour faire face, pour ne pas perdre sa face d’homme ; d’élucider son inventivité pour vivre debout dans les contraintes, en s’appuyant même sur elles. Sombrer, bricoler, résister, où en suis-je ?

Et chacun de vous ?

Michel UP Perpignan 9-06-07

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