Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Pôle philo de l’Université Populaire de Narbonne- Atelier de philosophie pour adultes (2005-2006)

On trouvera ci-dessous le compte rendu des neuf séances

de la deuxième année de l’atelier de philosophie sur le temps

de l’Université Populaire de Septimanie (Narbonne)

POLE PHILOSOPHIQUE

de l’Université Populaire de Septimanie (Cycle 2005 – 2006)

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES

Thème de l’année : Le rapport de l’homme au temps (2ième année)

SEANCE n° 1 (10h-12h15)

(30 participants)

Répartition des rôles.

Présidente : Marcelle; secrétaire de séance : Romain ; reformulateur et personne-ressource pour le texte : Michel.

1) Beaucoup de nouveaux nous rejoignent cette année.

Présentation de l’Université Populaire et ses objectifs ; son pôle philo dans ses composantes ; l’atelier de philo pour adultes.

Présentation de celui-ci :

- thème : le rapport de l’homme au temps ;

- histoire, fonctionnement :

1) croisement de discussion, écriture, lecture des écrits, étude de textes ;

2) coanimation : animateur permanent (michel T.), rotation à chaque séance d’un président de séance et d’un secrétaire de séance pour les comptes rendus ;

- souhait de récupérer certains des écrits.

- Esprit : collaboration réflexive et confiance.

2) Ecriture

10’ : « Ecrire deux idées fortes sur notre rapport au temps pour les nouveaux, sur l’atelier de l’an dernier pour les anciens ». (cf annexes).

3) Lecture des textes (avec droit de joker)

4) Discussion (30’)

Synthèse par Romain

Rapport au temps, rapport la mort

Après le moment d’écriture, un participant avoue s’étonner de constater que la question du rapport de l’homme au temps est bien souvent rattachée à la question du rapport de l’homme à la mort. S’ensuit une discussion sur ce rapprochement. Platon ne disait-il pas que « l’étonnement est le commencement de la philosophie » (Théétète, 155d) ? …

Il va se soi pour certains que l’être humain, marqué par la finitude, mêle ainsi ses rapports au temps et à la mort. Il n’y a rien là de négatif … « c’est une réalité ». Si le temps qui reste à vivre à chacun d’entre nous est tout à fait inconnu (un participant le dénomme « x »), la mort demeure la seule certitude. Se savoir mortel aiderait même à prendre conscience de l’importance du temps présent et du plaisir que l’on peut éprouver en le vivant pleinement. Si les mots d’Horace (« Carpe diem » : Cueille le jour, mets à profit le jour présent ; Odes, I, II, 8) et Ronsard (« Cueillez dès aujourd’huy les roses de la vie », in Sonnets pour Hélène) nous rappellent que la vie est courte et qu’il faut se hâter d’en jouir, cet idéal (impératif, injonction !) n’est-il pas intenable ? Vivre le seul présent nous est par ailleurs présenté comme impossible par une participante qui ne voit pas comment nous pourrions l’isoler des deux autres dimensions du temps que sont le passé et le futur.

Mais cette « réalité » de la finitude humaine, bien qu’indéniable, n’est pas nécessairement admise par tous. Certains la rejettent catégoriquement ; d’autres préfèrent renverser le « problème » en interrogeant leur rapport à la vie. La mort est-elle à ce point impensable ? Pour penser quelque chose, il faut un décalage dans le temps ; décalage que seule la mort des autres peut nous offrir. Parce qu’on ne connaît pas sa propre mort, on ne peut la penser ni la dire … mais simplement la vivre, le moment venu. Loin de se donner à penser, notre propre mort ne fait que renforcer notre rapport et notre attachement à la vie (« plus nous approchons de la mort, plus nous aimons la vie »).

Le principal problème est que l’on veut traiter de manière objective une question qui relève de notre structure, qui vient nous confronter à nos limites intimes (notre rapport à l’origine et à la fin). Si penser la mort nous est rendu impossible par l’absence de décalage dans le temps, peut-être devons-nous nous contenter d’une expérience de la limite finale pour essayer de la penser. On pense alors à Maurice Blanchot. Parce qu’il est passé très près d’être fusillé durant la Seconde Guerre Mondiale, il a pu se livrer par la suite à une critique de cet instant critique (Cf. L’instant de ma mort), mêlant alors sa réflexion sur son rapport à la mort à une autre (mais tellement « même ») réflexion sur son rapport au temps.

5) Synthèse de la discussion (5’)

6) Régulation et propositions de thèmes à aborder

Novembre : le temps et l’inconscient (introduction Marcelle)

Décembre : le Kairos, « moment opportun, propice » chez les grecs (introduction Romain)

Janvier : l’espace-temps, en partant de la théorie d’Einstein (introduction Gérard)

ANNEXES : TEXTES

Des idées fortes

J’ai été frappé l’an dernier de la façon :

  • dont les participants à l’atelier ont une approche du temps marquée par leur expérience personnelle en tant qu’individus ;
  • dont ils tentent de faire face au temps qui passe, perçu comme les rapprochant de leur mort, par des stratégies conscientes ;
  • dont la stratégie dominante s’avère, dans le ressenti du peu de temps qu’il reste, le choix d’activités sélectives qui promettent l’épanouissement, et la jouissance de l’instant présent.

Je m’interroge sur la caractéristique de ce temps de la modernité version « senior ».

N’est-il pas symptomatique d’une société :

  • individualiste, où l’individu est au centre de son monde, qui est pour lui le monde, et où la fin du monde est sa propre mort ;
  • matérialiste, au sens où c’est la mort, si elle est la fin radicale du sujet, qui donne dans sa dramaticité tout son prix au vif de la vie, c’est-à-dire le présent ;
  • hédoniste, au sens où est privilégiée la jouissance, qui ne peut exister que dans la présence de l’instant ?

Ce qui semble ainsi devenir un impératif de la modernité est-il possible, tenable, souhaitable, dangereux ? Y a-t-il des alternatives ?

Michel 10-2005

- Ce qui m’interpelle, m’intrigue, m’intéresse dans la question du rapport de l’homme au temps, de mon rapport au temps, c’est la « fuite irréparable » du temps (Fugit irreparabile tempus disait Virgile). Kaïros est par exemple celui que l’on peut éventuellement saisir si l’on est suffisamment prompt et efficace au moment où il se présente, au « moment opportun », à « l’instant propice », mais que l’on ne peut jamais rattraper ou saisir après-coup, par-derrière. Pourquoi donc courir après un temps insaisissable ? Pourquoi ne pas cultiver plutôt la saisie de l’opportunité ?

- Je suis également sensible à la question de l’alternance des rythmes que nous devrions, je crois, travailler, creuser, approfondir. Dans mon propre rapport au temps je m’évertue, autant que faire se peut, à cultiver tantôt la lenteur, tantôt la vitesse ; car on ne peut, je crois, s’en tenir exclusivement à l’une ou à l’autre. La saisie de l’opportunité exige une telle alternance.

Romain

Réflexion faite sur le travail en philo sur le Temps l’an passé

D’abord l’équation du Temps, que j’ai notée cet été en songeant à nos cours de Philo :

en aurais-je bien retenu la leçon ?

Le temps a trois dimensions :

- la durée (longueur) : en saurons-nous le commencement et la fin ?

- le vide : le rien est invisible, impalpable comme l’air, le vide rempli d’OH2 et du CO2 ; cette présence invisible étant esprit, souffle, énergie. L’énergie, volume et mouvement.

- Le Temps de la création (l’Art, la Naissance) : la création donne à voir des formes et des volumes.

Le temps est progression. L’homme a cherché des repères : nuit-jour, saisons, en rapport avec le soleil pour la conservation de sa vie, se nourrir et se protéger du froid. Le Temps est donc rythmé. Il est l’ordre de la vie. Je suis imbriquée dans cet ordre et fait ainsi partie intégrale du Temps.

« Demain » dans le Temps s’approche de moi, et plus que je considère le Temps passé, plus je m’interroge sur le Temps à venir, mais surtout sur la durée du Temps présent. Le Temps, cet espace-mesure, me provoque l’angoisse et je ne pense pas être la seule.

Le Temps est un Maître (il doit tout nous apprendre). C’est « lui » qui gère. « Le Temps fait bien les choses… » (si nous lui sommes bien disposés).

Le Temps est aussi assassin, il tue les jours…mais comme il revient après la nuit, il est notre espérance, et l’espoir est la quintessence de notre énergie vitale.

Anne-marie

Si c’ était à refaire Attendre

Des jours glissés entre nos mains Attendre, debout ou dans un lit,

Nous voudrions parfois refaire Attendre la mort ou la vie.

Quelques uns, et d’autres défaire, Attendre sans voir passer le temps

Les changer en des tournemains. Attendre le sommeil ou le néant.

Nous serions bien plus humains. Attendre le calme sans devenir sourd.

Attendre la nuit que vienne le Jour

Si nous eûmes ce savoir faire, Attendre dans la crainte la douleur.

Pouvoir retourner et parfaire Attendre un peu d’humaine chaleur.

Nos rapports entre cousins germains. Attendre brûlant l’éternel amour.

Attendre ce feu qui ronge toujours.

Choisir de sa vie en monceau Attendre n’est point un verbe oisif.

Ou remonter jusqu’au berceau, Attendre, cuisant, taille dans le vif !

Nul ne le peut marche en arrière. 1973

Car dans le sens que va le jour

Les souvenirs passent derrière.

Ayons les yeux que pour l’amour.

14/09/05 Anne de Lierre

alias Anne-Marie de Backer

SEANCE n° 2 : 5-11-05 (10h-12h15) : le temps et l’inconscient

(16 participants)

Répartition des rôles.

Présidente : Anne-Marie; introduction et secrétariat de séance : Marcelle ; animateur-reformulateur : Michel.

- Introduction : le temps et l’inconscient, le temps de l’inconscient… (Marcelle)

Par définition, on ne connaît pas l’inconscient, sauf à en percevoir quelques manifestations fugaces : lapsus, actes manqués, rêves, symptômes, et certaines formes graves de pathologie mentale où l’on a l’impression d’inconscient à ciel ouvert (Est-ce alors toujours de l’inconscient ?). C’est à partir de ces différents « observatoires » que les psychanalystes ont repéré les mécanismes structuraux de l’inconscient.

Mais chacun peut faire des observations directes sur la manière non chronologique dont se manifeste le temps dans les formations de l’inconscient.

On rencontre dans les rêves toutes sortes de fantaisies temporelles : les morts peuvent être encore là, on peut se sentir extrêmement pressé et ne pas arriver à avancer, ou au contraire, tomber vertigineusement et ne jamais arriver au fond.

On peut dans la vie se remettre dans des situations similaires même si elles n’apportent que des désagréments, comme si l’expérience n’avait laissé aucune trace : c’est ce que l’on appelle une répétition symptômatique.

Le mélancolique grave qui est sous le signe du « no futur », ressasse douloureusement le passé.

Une malade psychotique dit : « J’ai deux mille ans, j’ai enfanté mon père, ma mère, puis ma fille que ma mère a eue et m’a volée».

Ces exemples témoignent non de l’absence de temporalité, mais d’une temporalité autre que celle de la conscience : les liens de causalité sont perturbés, l’ordre des générations ne tient plus, ce qui est révolu, mort, persiste.

Cela permet par opposition de définir le temps, celui qui nous structure rationnellement, dans sa chrono-logie donc, tout simplement, comme ce qui passe.

Si on soutient l’idée que le désir inconscient se manifeste justement dans ces formations de l’inconscient, on se rend compte que précisément le désir, dans son fond, vise l’impossible, à savoir que le fleuve remonte à sa source. C’est la formule même du désir oedipien : qu’avec ma génitrice je ne fasse plus qu’un ! (voir ci-dessus les paroles de la malade psychotique). Mais si c’est là la visée ultime, inaccessible et impensable du désir, il ne peut se manifester que dans la recherche d’objets qui se substituent les uns aux autres parce que s’avérant toujours partiellement insatisfaisants. Cela fait que nous fonctionnons toujours, pourrait-on dire au « futur antérieur » : à la recherche d’un paradis qui est à la fois devant et derrière, perdu et à retrouver.

- Un autre versant de cette question du temps de l’inconscient, question complexe, est celle de la permanence de l’inconscient, autrement dit celle de sa durée : cela débouche aussi sur une réflexion sur l’identité du sujet. Quelle est dans le sujet la part de ce qui est fixe, structurel, et de ce qui ne cesse d’advenir dans un permanent réaménagement subjectif tout au long de la vie ?

La structure de l’inconscient a-t-elle une permanence (un réservoir de souvenirs par exemple) ou n’est-elle que dans sa manifestation, essentiellement discontinue ? Il ne paraît plus admissible de se représenter l’inconscient comme un stock, un sac d’où échapperaient de temps en temps des contenus. Il s’agit sans doute davantage d’un processus dont on connaît les mécanismes : condensation et déplacement. L’un se trouve dans l’axe synchronique (instantanéité), l’autre dans l’axe diachronique (durée).

En conclusion, ce que l’on peut repérer, c’est que la question du temps est strictement coextensive à la question de la nature humaine, avec un double mouvement de domestication rationnelle du côté du temps de la conscience, et un mouvement essentiellement contestataire dans les formations inconscientes.

- Discussion (10h30-11h15). Synthèse (Marcelle).

Le thème de la discussion mettant en jeu deux notions, la discussion a porté sur chacune d’elles :

  • Celle d’inconscient où plusieurs personnes ont souhaité élargir les manifestations de l’inconscient au-delà de celles qui avaient été citées dans l’exposé introductif : rêve éveillé, écriture automatique, surréalisme, etc. D’autres personnes ont réfuté la partition nette inconscient/conscient en évoquant des états préconscients (la méditation, le temps de la nuit, la rêverie, etc.) où la conscience du temps est modifiée.
  • Celle du temps : le temps a-t-il une réalité objective ou bien ne tient-il sa consistance que des événements qui s’y déroulent ( il faudrait se poser la question de savoir ce que l’on entend par événement ) ? Le temps n’est-il qu’une des catégories de la pensée comme le dit Kant ?

La temporalité ne prend forme que dans et par le langage (cf. le temps des verbes).

Le groupe semble avoir trouvé un consensus pour dire que les deux formes temporelles : la forme chronologique, pour ce qui est du fonctionnement conscient, et la forme non chronologique pour ce qui est du fonctionnement de l’inconscient, ont toutes deux leurs nécessités : “ Nous avons ainsi plusieurs vies ”.

Quelques citations : “ Le temps, hors temps de l’inconscient, est une revanche sur la cruauté du réel ” ; “ Le temps de l’inconscient singularise chaque être humain, il nous fait échapper à la pensée unique ” ; “ Le refoulement est une soupape nécessaire ”. Et de manière concomitante : “ Il est nécessaire d’avoir des repères temporels communs pour vivre ensemble ” ; “ L’éducation, (notamment celle de la propreté) vise à soumettre l’expression de nos désirs et de nos besoins à un cadre spatio-temporel compatible avec la vie en société ”.

Le langage se positionnerait sur les deux tableaux à la fois, capable de situer très finement les catégories du présent, du futur et du passé, capable aussi de présentifier des choses révolues, ou de dire involontairement son désir de nier les nécessités de la chronologie, sous forme de lapsus par exemple.

Enfin a été évoqué l’aspect éthique de la question du temps : donner du temps à l’autre et à soi-même, se mettre empathiquement dans le rythme de l’autre, être à l’écoute de son propre rythme.

- Pause (11h15-11h30)

- Ecriture individuelle (11h30-11h45)

- Lecture individuelle et réactions (11h45-12h05)

- Régulation de la séance (12h05-12h15)

ANNEXES : Textes

Le temps de l’inconscient qui s’invite, parfois, au temps qui court, explique la complexité du présent.

Avoir conscience de la part de déterminisme de ce « grain de sable » devrait permettre une meilleure acceptation de soi-même, et plus de patience pour ses proches.

Jean-François

Temps et inconscient ? Temps de l’inconscient ? Si temps et inconscient sont deux notions difficilement maîtrisables, qui échappent, que dire alors du temps de l’inconscient ? Le temps de l’inconscient nous serait-il d’autant plus inconnu, inaccessible, immaîtrisable et impensable, que les deux notions de temps et d’inconscient, « prises » indépendamment (si tant est qu’on les puisse « prendre »…), nous échappent ? Si le flou persiste quant à ce temps de l’inconscient, plus évidente est pour sûr notre inconscience du temps…

Romain

L’inconscient est une rupture, un intervalle, une respiration du conscient. C’est une soupape de sécurité de notre cerveau qui lui permet de vivre dans une forme d’équilibre, une balance de la pression psychologique et physiologique.

Cette discontinuité apparaît pendant les phases de repos, du sommeil, et peut également survenir pendant les phases actives.

Plusieurs psychanalystes ont indiqué, après certaines expériences, que dans la journée, donc en phase active, nous sommes sujets à de mini hypnoses naturelles, comme une sorte de rêve éveillé. A l’école par exemple, certains élèves sont surpris en train de « bayer aux corneilles » de ne plus être attentifs, de rêvasser.

L’inconscient (Unbewusste), inventé par le romantisme allemand et notamment par le philosophe Ernst Platner en 1776, doit à Schopenhaueur le mérite de l’avoir fait entrer dans le langage de la pensée contemporaine, et abolit la chronologie du temps. On rêve parfois d’évènements décalés, d’un phénomène ancien enfoui dans les limbes de notre mémoire, et qui resurgit inopinément et de façon aléatoire ; on se trouve dans un autre temps et dans une autre civilisation avec la sensation forte d’y avoir vécu. Cette vie limbique s’apparente à la métempsychose. Est-ce du domaine de la psychanalyse ou du domaine plus prosaïque de la parapsychologie ?

Les évènements extérieurs à notre moi interfèrent-ils avec notre inconscient ?

Les traumatismes de toutes sortes peuvent amener au disfonctionnement de notre conscience et nous faire glisser vers la paranoïa et des pathologies plus graves.

« Nos idées claires sont comme des îles qui surgissent sur l’océan des idées obscures » (Spinoza 1632-1677).

Hanna

Au fond, par son fonctionnement, l’inconscient réalise curieusement de fait le vœu que nous formulons souvent consciemment : « Oh temps, suspends ton vol ! » (Lamartine). Car il abolit le temps, plus exactement il l’abolit : plus d’oubli, de chronologie causale… Un passé vécu dans les rêves comme actuellement présent ; de la répétition du même, comme si rien ne se passait plus et recommençait, comme si l’on n’avait rien appris « entre temps »; du présent qui tente de refluer vers sa source, du futur qui voudrait réaliser un passé mythique, qui n’a même pas réellement existé…

Et pourtant, quand l’inconscient fait irruption trop fort sans les digues du surmoi et de la symbolisation, avec son désir (qui est l’essence du désir) de l’impossible d’arrêter le temps, c’est le tragique de la névrose obsessionelle (qui n’en finit plus de recommencer ses rites pour conjurer l’angoisse de la mort), ou la psychose mélancolique (qui a éteint la possibilité même de l’avenir).

Car, quand même, nous avons besoin que le temps passe, pour vivre le moins mal possible, pour que le temps soit et reste pour nous une question, un problème à plus ou moins bien gérer consciemment comme homme, c’est-à-dire être vivant non réduit à la dimension biologique de la temporalité…

Ambivalence donc de l’inconscient pulsionnel, sur lequel nous sommes sans maîtrise, mais qui en nous et malgré nous maîtrise tout de même quelque part ses pulsions ! Temps de la satisfaction déguisée de nos désirs inconscients : heureuse satisfaction de ces désirs pour un peu de bonheur dans nos rêves et le surréalisme, sage déguisement de nos désirs pour le profit de la civilisation… Un temps de l’inconscient aboli pour la conscience, et qui ne passe guère ; et plutôt un hors temps, qui n’est pas un temps mort mais vif : celui de la pulsion non consciemment maîtrisée, et pourtant civilisée, celui du désir nécessaire, mais régulé, de l’eros.

Michel 5-11-05

Existe-t-il un temps dans l’Inconscient ?

L’inconscient, on ne le connaît pas. Pourtant on peut l’observer, ou plutôt en constater les effets : par les rêves, les lapsus, les actes manqués, l’écriture automatique etc. Ce mécanisme du temps de l’inconscient qui s’exprime par notre identité est mu par le « désir ». Le désir se renouvelle par la mémorisation de la jouissance. Il évolue, se modifie et se déplace. Le désir est répétitif, mais se maîtrise, (plus au moins selon les individus).

La notion du Temps dans l’Inconscient n’est pas connue, mais seulement les événements, qui sont maîtrisables.

Dans l’inconscient il n’y a pas d’oubli, il y a compulsion, refoulement. On met les événements de coté (passer à autre chose…). Mais on ne le fait pas exprès.

Notre vécu s’entasserait donc dans des lieux, dans des cases, comme une armoire à tiroirs, qui sans nous prévenir pourraient s’ouvrir un peu. Ce temps, en connaissons-nous la durée ?

Puisque la temporalité ne peut que se connaître par le dire, par la reconnaissance de l’événement inconscient, existe-t-il donc vraiment un Temps dans l’inconscient ?

Pendant que je copie mon texte lu dans la séance, des idées se bousculent dans ma tête.

Je pense qu’à ce lieu de nos méandres, de notre cerveau où se situe la mémoire du foyer de notre alchimie affective, cet endroit correspond à mon sens à un espace, aussi petit qu’il soit. Ainsi que le lapsus qui sort de notre bouche prend du temps ; peut-être l’espace où il fut logé était trop plein.

Je me souviens d’une comparaison que fit mon professeur de yoga, au sujet de l’inconscient : « avec notre appareil de perception, nous enregistrons toutes les choses et événements qui nous entourent, les uns plus proches et plus forts que d’autres, négatifs, positifs, ou neutres. Notre Moi, qui est le corps entier, comme il est le pied, ou la main toute seule, est comme un énorme disque ou bande magnéto ». Je dirais à présent : comme un C.D. Il inscrirait la symphonie du monde, pour en faire un opéra de l’individu, qui valsera selon son propre rythme dans le bal de l’humanité. A travers une valse à deux, ou une valse à trois temps, le rythme de notre symphonie intime, celle de notre inconscient ; comme tout musique est rythmée par le Temps, mais nous ne savons son Tempo. Je ne peux m’empêcher d’associer cette idée à la musique, aux rythmes divers qui signifient le Temps, même en dehors de notre inconscient. Anne-Marie

SEANCE n° 3 (10h-12h15)

(16 participants)

SEANCE SUR LE KAIROS

Répartition des rôles :

- présidente : Anne-Marie ;

- introducteur de la séance et synthétiseur : Romain ;

- animateur et reformulateur de la séance : Michel.

  1. Introduction par Romain Jalabert (20’) : Kairos ou le moment opportun

Le terme de kairos a déjà été évoqué au cours de cet atelier qui se propose de réfléchir sur « le rapport de l’homme au temps ». Peu développées (car fugaces la plupart du temps), ces simples allusions appelaient un approfondissement d’une séance entière au moins …

C’est un terme grec que nous avons là ; un terme particulièrement difficile à traduire puisque Jacqueline de ROMILLY elle-même avoue trouver « nul équivalent à offrir ». Selon le philologue Allemand WILAMOWITZ, kairos n’a guère d’équivalent dans d’autres langues parce que « nous avons affaire là à une notion typiquement grecque ». Enfin Monique TREDE, à qui l’on doit un important travail sur le mot et la notion de kairos (thèse de Doctorat d’État soutenue en 1987, sous la direction de J. de ROMILLY), nous explique que « nous ne disposons pas en français de mot qui opère en des domaines aussi variés le même découpage conceptuel et, les ensembles notionnels étant différents d’une langue à l’autre, la traduction reste malaisée, flottante ».

Bien entendu, pour réfléchir et discuter au cours de cet atelier, je me devais de proposer un « semblant » d’équivalent pour notre langue française ; c’est pourquoi j’ai choisi d’intituler cette séance « Kairos ou le moment opportun ». Mais j’aurais très bien pu parler d’« occasion favorable », d’« instant propice » ou encore « décisif », sans trahir pour autant le mot. Très difficile donc de traduire ce terme grec, et d’autant plus que kairos n’avait à l’origine aucune valeur temporelle.

Le kairos, chez HOMERE, désigne un lieu névralgique du corps, un point critique. Certains étymologistes (dont R. B. ONIANS) font d’ailleurs le rapprochement avec le terme technique de kairos (accentué différemment), qui désigne la cordelette qui fixe l’extrémité de la chaîne au métier à tisser. C’est le terme kairios que nous rencontrons dans l’Iliade, pour indiquer « un lieu, une partie du corps particulièrement vulnérable, vitale, que vise l’ennemi avec une arme de jet afin d’entraîner la mort ». Si « le mot évoque un lieu névralgique dont la lésion peut être décisive », l’issue n’est pas pour autant nécessairement fatale. Funeste pour l’un, le kairos peut a contrario se révéler favorable pour l’autre ; d’où le sens qui s’est ensuite généralisé en Attique pour parler de celui qui saisit l’opportunité. C’est là l’ambivalence du mot kairos, que nous trouvons souvent lié à l’autre vocable grec krisis.

Mais comment du « lieu où tout peut se décider » est-on arrivé au « moment où tout peut se décider » ? Comment de « l’endroit » est-on passé au « moment » décisif ?

L’endroit, le lieu décisif, c’est le topos kairios que nous trouvons dans le corpus hippocratique et chez HERODOTE, au Vème Siècle avant notre ère. Ce topos kairios désigne alors le ou les endroits où les blessures (ainsi que les maladies) se révèlent être les plus graves ; et c’est précisément au cours de ce même Vème Siècle que se dégage la valeur temporelle du mot, notamment par l’expression kairos chronou (le point décisif du temps) que l’on trouve dans l’Electre de SOPHOCLE. Chez THUCYDIDE, le sens de « moment décisif » (tantôt favorable, tantôt défavorable) est plus fréquent encore. Dans le champ de la médecine, le moment décisif (venu compléter l’endroit décisif) est celui auquel il convient d’administrer le pharmakon, remède.

Au cours du IVème Siècle on assiste à une banalisation du terme dans l’acception favorable d’occasion. Dès lors la valeur temporelle du mot est fixée et kairos désigne la plupart du temps une division du temps, une période de durée variable mais limitée.

Qu’est-ce donc ce « kairos » qui se rapporte désormais au temps et finit même par le désigner en grec moderne ?

Kairos vient s’immiscer entre deux autres formes du temps, en grec :

  • Aion, temps immuable, éternité.
  • Chronos, le temps qui avance, déroule ; le temps qui dévore, qui avale ses enfants.

Et parmi les enfants du Titan CHRONOS on trouve ZEUS (le seul épargné) dont le fils le plus jeune est KAIROS, qui ainsi vient clore, couper, casser la descendance de son père. Cette idée de coupure est par ailleurs une piste pour certains étymologistes qui voient dans kairos la racine ker- (la mort, mais également le tranchant).

C’est de ce même IVème Siècle av. J.C. que date la représentation de KAIROS par le sculpteur grec LYSIPPE. Toute la symbolique du kairos semble contenue dans cette œuvre dont seules quelques reproductions subsistent :

  • Chevelure ramenée sur l’avant, chauve par-derrière, voilà ce qui caractérise le KAIROS de LYSIPPE (décrit dans l’Epigramme de POSEIDIPPOS). On ne peut saisir le kairos qu’au moment précis où il se présente (et en faisant montre de précision, d’adresse, de dextérité pour l’empoigner par la mèche). Avant, on ne peut rien (sinon se tenir à l’affût) puisqu’il n’est pas encore là. Après, il est trop tard, sa calvitie postcrânienne le rendant insaisissable une fois passé. Seul le moment opportun compte, le moment précis où il daigne se présenter.

« L’occasion a tous ses cheveux au front : quand elle est oultrepassée vous ne la pouvez plus révoquer ; elle est chauve par le derrière de la tête et jamais plus ne se retourne » (François RABELAIS, Gargantua, I, 37).

  • Tenant un rasoir dans sa main gauche, KAIROS est tranchant (d’où la piste étymologique à partir de la racine ker-). Nous pouvons voir là l’idée de rupture, de coupure dans la continuité spatio-temporelle.
  • La balance sur le fil du rasoir laisse imaginer qu’à tout moment tout peut basculer, qu’il peut partir (d’un côté comme de l’autre), à la moindre action de sa main droite. Nous pouvons rattacher encore à la balance l’idée de juste mesure (d’à-propos) contenue dans la notion de kairos.
  • Les ailes qui prolongent son dos et ses pieds laissent supposer une capacité à se mouvoir hors normes.

C’est sur une échelle temporelle très vaste que se situe le kairos, qui réclame d’une part une grande patience, parce qu’inscrit dans la durée (l’attente indéfinie du moment opportun, l’expectative) ; d’autre part une promptitude, vélocité nécessaire pour saisir un instant aussi fugace. Saisir le kairos demande une sage « alternance des rythmes » (pour reprendre un concept cher à Pierre SANSOT, dont le « bon usage de la lenteur » a bien souvent effacé un souci néanmoins véritable du « bon tempo », de « la juste mesure du temps », du kairos en somme…). S’il faut savoir se montrer patient et lent parfois, une grande vivacité (d’esprit et d’exécution) s’impose toutefois pour happer dans l’instant sans perdre le temps d’une trop longue délibération. C’est d’une incontestable intelligence de la situation qu’il s’agit là ; intelligence polymorphe faite de patience, disponibilité, acuité visuelle (que les Grecs nommaient eustochia), perspicacité, sagacité, promptitude, vivacité, adresse ou encore dextérité …

Quelques « pistes » à explorer, parmi tant d’autres …

Nous pourrions interroger le kairos en tant qu’instant, en tant que moment présent (ni avant, ni après) qu’HORACE nous invite à cueillir par son Carpe diem (« Cueille le jour »). Il s’agirait, en l’occurrence, de cueillir l’occasion. Mais l’on sait combien la connaissance est rebelle à l’instant qui est de l’ordre de l’insaisissable ; si difficile à appréhender que l’on se demande si on le peut penser.

N’y a-t-il pas néanmoins lieu de se demander (comme le fait Bertrand VERGELY dans l’article dont nous avons un extrait) si une telle attitude vis-à-vis du temps (vouloir vivre l’instant, vivre pour l’instant, vivre en un instant) est morale ? « N’est-ce pas suicidaire comme le passionné de tout sacrifier pour un instant ? ». Doit-on s’obstiner et passer son temps à traquer le kairos, à se tenir à l’affût ? Doit-on perdre son temps à le gagner ?

Enfin il conviendrait de s’interroger sur cette volonté de « cultiver » le kairos, comme ont tenté de le faire dès le IVème Siècle av. J. C. des disciplines comme la Médecine, la Politique ou encore la Rhétorique (dont le Gorgias de PLATON nous offre un bel exemple), cherchant à « élaborer un art de la précision et du pronostic » et voyant dans la maîtrise du kairos la clé du succès. Que penser d’une telle instrumentalisation du kairos ? Si tant est qu’on le puisse aussi commodément capturer et maîtriser …

2) Synthèse de la discussion (3/4 d’heure), par Romain :

Depuis qu’il planait au-dessus de nos têtes [penseuses], surgissait dans nos discussions de manière inopinée et furtive (mais souvent opportune), sustentait nos réflexions les plus diverses quant au rapport de l’homme au temps, le kairos méritait bien que l’on s’attardât sur son cas une séance durant. Foisonnant de pistes infiniment riches et variées, ce moment de discussion a permis de descendre un peu plus encore dans les profondeurs de ces petits instants qui jalonnent et constituent le temps qui nous préoccupe.

La première interrogation porte sur l’attitude qu’il convient d’adopter vis-à-vis du kairos. Peut-on, du point de vue de la moralité, en arriver à un usage purement stratégique du kairos ? Il s’agit de savoir si le kairos relève, à certains égards, de l’opportunisme (qui consiste à tirer profit des circonstances de manière excessivement intéressée). Si une telle instrumentalisation est une dérive possible et regrettable, doit-on pour autant s’en remettre à une vision du kairos comme simple disponibilité au hasard ? La question est désormais la suivante : « Doit-on attendre ou provoquer le kairos ? », et trouve même un prolongement à travers cette autre interrogation : « Est-ce en toute conscience que l’on saisit le kairos ou ne s’en aperçoit-on qu’après coup ? »

Il semble ressortir de ces premiers questionnements qu’une intervention minimale de l’individu s’impose pour saisir le kairos. Si chance et hasard devaient faire partie du large champ du kairos, cela n’irait sans doute pas sans l’implication du sujet pour faire in fine de cette chance (ou de ce hasard) un kairos. De même le kairos en religion résulterait de l’interprétation du signe divin (Pierre SANSOT ne parlait-il pas de « divine inspiration »…). Dans l’Épopée homérique par exemple, la Déesse ATHÉNA place bien souvent sur le chemin d’ULYSSE, son protégé, des éléments assimilables à des kairoi ; mais c’est précisément (et seulement) parce qu’ULYSSE est doué d’une intelligence particulière (la mètis, dont l’aptitude à saisir le kairos est une des multiples composantes) qu’il parvient à saisir ces kairoi. Le rôle d’ULYSSE, le polumètis, est alors absolument déterminant.

Il ressort d’autre part que le kairos demande bien souvent un « après-coup » (ou a posteriori) pour être reconnu et désigné comme tel, ce qui exclurait toute attitude « préméditative ». Seuls un savoir antérieur (que l’on dit souvent issu « de l’expérience ») et une prudence avisée pourraient être tolérés en amont du kairos, moment opportun dont le sujet n’aurait pas conscience dans l’instant (n’ayant pas le temps de délibérer). Le propre de la mètis (et donc de l’intelligence relative au kairos) étant d’être la plupart du temps « immergée dans une pratique qui à aucun moment, alors même qu’elle l’utilise, ne se soucie de l’expliciter », nous pensons pouvoir distinguer le sujet qui saisit le kairos de l’opportuniste qui ourdirait une stratégie propice à l’émergence d’un kairos purement artefactuel. Reste à savoir comment reconnaître le kairos (lorsqu’il se présente ou a posteriori) : savoir, intelligence, acuité visuelle ou encore capacité à donner du sens sont alors évoqués.

Quelques autres voies ont été explorées au cours de la discussion. Certaines personnes ont cherché à savoir si tout le monde peut prétendre à la saisie du kairos. Cette interrogation tout à fait légitime et pertinente résulte bien entendu du fait que la plupart de nos références de départ proviennent de l’aristocratie grecque. En faut-il pour autant déduire que certains milieux (en l’occurrence la société aristocratique) ou domaines d’activité (la politique, la médecine, la guerre …) seraient plus propices aux occasions favorables ? Il semble que les nombreuses recherches ayant croisé le champ de la mètis à ceux des artisans et des travailleurs de la terre suffisent à témoigner de l’étendue ainsi que de l’accessibilité du kairos. Si le kairos, sous des formes bien entendu très diverses, peut se présenter et être saisi par chacun d’entre nous, il faut toutefois prendre garde à ne surtout pas le banaliser et faire des « petits kairoi » de tout et n’importe quoi. Il faudrait même se méfier des « faux kairoi », ou d’une attitude (excessive) qui interprèterait tout comme kairos.

Enfin la richesse temporelle du kairos a été soulignée. Premièrement par l’évocation d’un « télescopage passé – présent ». Secondement lorsqu’une participante a précisé que ce sont en fait trois dimensions temporelles qui s’opèrent dans l’instant du kairos, puisqu’il faut composer avec les choses du passé (un savoir acquis dans le passé, le recours à des schèmes antérieurs), mais également avec l’avenir (comment savoir que cela ne se représentera plus ? Existe-t-il par ailleurs des choses qui au cours de notre existence ne se présentent qu’une seule fois ? Comment peut-on prévoir cela ?) ; le tout se croisant et se conjuguant dans l’instant présent …

Pause

3) Ecriture à partir de la discussion (1/4 d’heure)

4) Lecture des textes avec droit de passer son tour (1/4 d’heure)

5) Evaluation de la séance (1/4 d’heure)

ANNEXES : Quelques textes remis par les participants

A propos du temps de la modernité

Au 20ième siècle, dans le monde occidental, le progrès scientifique et technique, son exploitation économique dans l’espace social vidé de sens, a engendré une fragmentation et une accélération vertigineuse des modalités de fonctionnement de nos vies.

Cet emballement du temps collectif et individuel a un impact sur notre conscience du temps.

Le présent est devenu quantitatif : combien de choses puis-je faire et accumuler simultanément ? L’instant est happé par l’angoisse et la jouissance sans transcendance. L’avenir se construit sur des valeurs marchandes (le prêt à jeter nourrit la croissance), qui ne font plus rêver que des consommateurs obligés ou bien questionne nos craintes. Le passé devient lointain, préhistorique, époque où les trottoirs n’étaient pas des parkings.

La précarité s’étend au-delà des objets, contamine les secteurs fondamentaux de la vie (la famille, l’emploi) inaugurant la chosification de l’individu, multipliant les solitudes.

Le temps n’a de réalité que dans l’urgence, l’immédiateté ; il s’est rétréci dans la « bulle » individuelle frileuse et égoïste, loin de la conscience des générations, de l’espèce humaine, de l’autre, mon frère.

Or l’urgence est justement de redécouvrir la conscience de l’universalité de nos destins, la réappropriation de nos morts, de la mort des ancêtres en ce qu’ils me précèdent, me ressemblent et que je les continue. Ainsi, par l’assimilation de l’autre en moi, et de moi en l’autre, lorsque je mourrai, ce ne sera pas tout à fait. La conscience commune d’une continuité historique dans laquelle les « je » sont inscrits, ne me privera, au jour de ma mort, que de mon corps et de ma différence. La conscience qui ne vieillit pas, ne dégénère pas comme la matière, perdurera dans l’Autre. Lili 20-12-05

Kaïros : l’équilibriste !

Le « kaïros » est un concept intéressant parce qu’il est tout à la fois utile et difficile à définir.

Il est difficile à définir parce qu’il s’articule sur des ensembles d’oppositions dont on peut tenter de faire l’inventaire :

  • Articulation entre instantanéité et prise en compte des trois dimensions temporelles. Lorsque Kaïros passe il faut le saisir au vol, et cela non sans avoir pris en compte l’intérêt de la chose étant donné l’expérience du passé, l’état actuel de la situation, et le bénéfice escompté dans le futur.
  • Articulation entre prudence et prise de risque.
  • Articulation entre activité et passivité : Kaïros n’est pas seulement une opportunité qui me tombe dessus, il faut aussi que je sache la saisir. Il se peut aussi que ce qui m’est offert soit simplement l’occasion de ne rien faire, ou de « donner du temps au temps ». Quelque fois mon activité tiendra simplement dans l’interprétation positive que je ferai de la nouvelle situation ; je transformerai alors la simple rencontre fortuite avec l’événement, en kaïros.
  • Articulation entre hasard et déterminisme : il y a un événement impromptu et il y a un sujet dans sa spécificité, ce dernier va décider ou non de tirer bénéfice de cette rencontre, la décision elle même sera prise en fonction d’éléments structuraux et d’éléments circonstantiels.
  • Articulation entre fidélité à soi et ouverture à de l’hétérogène qui est une figure de la précédente opposition.
  • Articulation conscience / inconscience, qui recoupe aussi celle d’instinct / intelligence planificatrice : la décision est souvent prise dans l’urgence, il faut y aller au feeling, non sans avoir fait un bilan juste de la situation et des implications attendues.
  • Articulation entre humain et divin. Le hasard favorable est-il l’œuvre d’un dieu protecteur, est-il à mettre à mon crédit puisque j’ai su m’en saisir ?
  • Articulation entre moralité et immoralité ; cette dimension montre son importance par les dérives multiples qu’elle suscite : d’une part, avec l’opportunisme et ses connotations péjoratives de non respect de l’autre et de non respect de ses propres convictions (se laisser ballotter par les événements), d’autre part, avec une conception extensive de la notion de kaïros. Dans ce cas tout est occasion à ne pas manquer. Le vendeur a une affaire exceptionnelle qu’il vous réserve, mais il faut se décider très vite parce ce que tout le monde va s’y précipiter, ou bien vous rentrez dans le supermarché avec la liste de ce dont vous avez besoin et vous ressortez avec le caddy plein de soldes et autres promotions.

Prise dans ces contradictions, la notion de Kaïros suit une ligne de crête étroite, à la limite du conceptualisable, bien figurée dans sa représentation plastique attribuée par Lysippe, présentée ici à l’UPS de Léo. Sitôt découverte, elle nous devient incontournable. Merci Romain pour ce Kaïros à nous offert !

Marcelle le 16 12 O5

« Rien n’est joué. Tout se joue. Aussi faut-il être prêt à jouer à tout moment ». Cette notion de jeu m’interpelle, moi qui suis plutôt joueur, avec tout ce que cela implique de disponibilité intellectuelle, de sens tactique, de prise de risque, mais aussi de dilletantisme. Mais la vie n’est pas qu’un jeu, hélas, ou peut-être le je/ joueur n’en maîtrise-t-il pas toutes les règles !

Francis le 16 12 05

Kairos n’aurait pas eu de descendance. Comme l’instant, il ne fait que passer, et meurt aussitôt né si je ne le fais vivre. Son opportunité est à saisir par la barbichette dans le présent, sinon il disparaît. Je peux courir après, il est plus rapide, il crie « trop tard ! ». Il ne se retourne pas. Et je le regrette. Il n’est qu’un moment, et non de l’ordre du projet, de l’anticipation, de la prévision, de la programmation ; et donc d’une raison calculatrice, planificatrice, délibérative. Il n’est pas le fruit de la réflexion, car elle prend trop de temps, et l’occasion est passée, râtée. Et pourtant il s’inscrit, par les conséquences de le saisir au bon moment, dans un avenir favorable. Il introduit une rupture, une coupure : il y a avant, et il y a après, et si je l’ai attrapé, ce ne sera plus pareil, car il est significatif, il a été décisif. Kairos dans son émergence saisie au vol fait événement, irruption. Il zèbre ma vie.

Pourtant, dans la « version faible » du petit Kairos, presque tout pourrait faire, être ou devenir événement : l’hédoniste est un opportuniste du moindre kairos jouisseur, l’ascète du moindre kairos privateur. Toute rencontre tient du hasard, mais on peut fréquenter des lieux de rencontres…On peut ainsi instrumentaliser le kairos, à l’affût de la bonne affaire, de la superbe occasion qualité-prix, du meilleur rapport contribution-rétribution… Ce peut être une quête quotidienne, où l’occasion fait le laron.

Mais peut-on ainsi, dans son fantasme de maîtrise, provoquer le kairos, dont le caractère insaisissable se dérobe à qui voudrait le domestiquer ? Dans sa « version forte », ainsi défié, il ne reviendra plus : il nous était présenté, offert, il fallait être présent au présent, il aurait fallu prendre, et on a laissé passer, alors qu’il fallait jouer et risquer, et risquer pour gagner. Or on ne sait pas toujours sur le coup si ce sera pour le meilleur ou le pire. C’est l’avenir et le devenir qui en décidera. Ainsi en est-il du « coup » stratégique, médiatique, politique, économique, militaire, sportif, culturel, mais aussi bien relationnel, affectif… C’est aux conséquences qu’on reconnaît Kairos, souvent dans l’après « coup », chance et non guigne.

En quoi consiste donc cette saisie : instinct, intuition, pressentiment, feeling, intelligence émotionnelle ou sociale des situations ? Il en va d’un sujet qui pose un acte en contexte, à un moment précis, à l’articulation d’un hasard et d’une volonté, de ce qui ne dépend pas de nous en ce que çà nous arrive d’ailleurs, et de ce qui dépend de nous en ce que nous saisissons la perche tendue, avec disponibilité à ce qui se présente, et perception plus ou moins vague de l’intérêt de la chose, qui engage un avenir. Quelle éthique pour le kairos ?

Michel 19-12-05

Il est parfois difficile de trouver sa voie, il arrive de faire fausse route, mais l’action est toujours préférable à l’inertie. Il est des occcasions qui ne se représentent pas. « Aide toi, le ciel t’aidera ! ». Une relecture dans le temps permet de comprendre que les épreuves surmontées dans des situations qui engagent la vie ont souvent été bénéfiques, et que le choix fait au moment opportun a été le bon choix.

Jean-François

Qu’est donc ce Kairos, le moment opportun ? Est-il le passé qui surgit pour arranger le présent ? Est-il présentation de justesse, ou va-t-il faire basculer celui qui s’en empare ? Ce Kairos est-il dans le rythme du temps, comme l’aiguille de la montre qui tourne et re-indique la même heure ? Faut-il saisir le Kairos pour se positionner, se définir, se distinguer dans la vie ?

Le Kairos me fait penser à ce plus de jouir qui dynamise notre désir (la possibilité donné de tirer profit de l’instant nu).

Est-il toujours moral ? Il me semble que le moment opportun, ce Kairos, n’a rien à voir avec l’éthique en soi, c’est seulement ce que l’on fait avec qui déterminera une moralité ou une éthique selon l’issue, le résultat. Mais il me semble que celui qui saisit le Kairos obéit à sa propre moralité et peut ne pas avoir de moralité du tout, mais penser intérêt ou satisfaction immédiate, vers une finalité. Néanmoins le Kairos, cet instant que l’on saisit au vol, est parfois ravi à quelqu’un d’autre (Le joueur de rugby qui attrape le ballon et ignore ses compagnons de jeu court vite et réussit à marquer le but, il apporte un bénéfice commun, mais il vole ainsi la vedette aux compagnons de son équipe, et pour les spectateurs il est la « star ». Ce Kairos peut tout changer dans une vie. Mais pour pouvoir user de cet instant suprêmement optimal, à mon sens il faut d’abord le reconnaître, le voir et être prêt.

Restons vigilants.

Anne-Marie

Braves gens, il faut que je vous dise

Tout ce que j’ai de brûlant sur le cœur.

De notre vie j’ai fait l’expertise

Qui donc me tiendra pour cela rigueur ?

Vous qui courbez déjà vers la terre

Sentez l’attirance vers le tombeau.

Le souvenir des ans vous déterre

Les meilleurs instants.

Ce n’est que lambeau.

Vous comprendrez certes ma plaidoirie

Pour le bonheur, à chacun sa façon.

Nous sommes le cuir de la courroirie

Battus, apprêtés puis mis en caisson.

Pour cela jeunes gens prenez garde

Vous qui chaque jour guettez le bonheur

Que dans votre maison il s’attarde

Car à son départ vous serez en pleurs.

Et quand viendra l’heure terminale

Nous ravir la vie pendant la moisson,

Que soit tôt ou tard cette finale

Il ne sera plus temps pour la boisson.

Il vaut donc mieux vider le calice

Avant que devienne son goût amer.

Chaque moment cache un délice

Qui peut transformer un ruisseau en mer.

1976 Anne de Lierre

Que le collier des jours s’égraine en perles douces,

De couleurs arc-en ciel brillant sur l’An qui vient

Sans compter à rebours le temps qui nous retient

Que Bonheur et Santé vous collent à vos pouces.

Anne de Lierre

SEANCE n° 4 (10h-12h15) du 21-01-06

(20 participants)

SEANCE SUR LA NOTION SCIENTIFIQUE D’ESPACE-TEMPS

Répartition des rôles :

- président : Romain ;

- introducteur de la séance et synthétiseur : Gérard ;

- animateur et reformulateur de la séance : Michel.

1) Introduction par Gérard de la notion scientifique moderne d’espace-temps :

Nos idées actuelles sur le mouvement des corps datent de GALILEE et NEWTON. Avant eux les hommes croyaient ARISTOTE lorsqu’il avançait l’idée que l’état naturel d’un corps était d’être au repos et qu’il ne se déplaçait que sous l’action d’une force ou d’une poussée.

GALILEE démontra au contraire que la véritable action d’une force est toujours de modifier la vitesse d’un corps au lieu mettre celui-ci en mouvement.

NEWTON complètera cette découverte en stipulant dans ces deux lois que le corps accélèrera proportionnellement à l’intensité de la force.

Ex de la voiture : plus le moteur est puissant, plus l’accélération est grande, mais plus la voiture est lourde, plus l’accélération sera faible pour un même moteur.

En plus du mouvement, NEWTON découvrit la loi de la force de gravité « en voyant tomber une pomme dans son jardin » : tout corps attire un autre corps selon une force proportionnelle à la masse de chacun des corps.

Cette loi de la gravitation nous dit également que plus les corps sont éloignés les uns des autres, plus la force d’attraction sera faible. Elle dit encore que l’attraction gravitationnelle d’une étoile sur un corps est exactement le quart de celle d’une même étoile située à mi-distance de ce corps. Cette loi prédit les orbites des planètes avec une grande exactitude .

ARISTOTE et NEWTON croyaient que le temps et l’espace étaient indépendants. Pour des objets se mouvant lentement, c’est toujours vrai, mais plus du tout valable pour des objets se mouvant à la vitesse de la lumière.

La lumière voyage à une vitesse finie, mais très élevée. En 1676, l’astronome danois Ole christensen ROEMER observa que les lunes de Jupiter, disparaissant derrière celle-ci, n’étaient pas également espacées dans le temps ; il remarqua que ces éclipses étaient d’autant plus tardives que nous étions plus loin de la planète géante. Donc il affirma que la lumière de ces lunes mettaient plus de temps à nous atteindre quand nous en étions plus éloignés.

Il avança que la vitesse de la lumière circulait à 200 000 km/s, alors que la valeur moderne est de 300 000 km/s .

En 1887 Albert MICHELSON et Edward MORLEY découvrirent que la vitesse de la lumière était identique en tout point de l’espace, où que l’on se trouve.

Il fallut attendre 1905 et la loi de la relativité d’EINSTEIN pour attester que la lumière se déplace à la même vitesse en tout point de l’univers.

Sa théorie : E =MC2 (E=énergie, M la masse, C la vitesse de la lumière), voulait que rien ne puisse circuler plus vite que la lumière, car par suite de l’équivalence entre énergie et masse, l’énergie qu’un objet possède en raison de son mouvement augmentera sa masse et par conséquent il lui deviendra difficile d’augmenter sa vitesse.

Donc la théorie de la relativité à mis un terme à l’idée de temps et d’espace absolus. Nous devons accepter que le temps et l’espace ne soient pas complètement séparés pour former un concept appelé ESPACE-TEMPS .

L’Espace est courbe parce que la lumière est déviée par les champs gravitationnels. Mais ceci est une autre histoire.

Pour résumer : avant 1915, les corps se mouvaient, les forces attiraient ou repoussaient, mais le temps et l’espace continuaient sans altération .

Avec la théorie de la relativité générale, l’espace et le temps sont des quantités dynamiques,

qui pourraient se terminer dans le futur en se contractant sur eux- mêmes.

2) Informations complémentaires après la discussion (3/4 d’heure), par Gérard :

L’espace-temps est un concept difficile à concevoir sans un minimum de connaissances en astro-physique.

D’ARISTOTE et PTOLEMEE jusqu’à EINSTEIN, plus de deux mille ans ont occupé l’homme à mieux connaître l’univers dans lequel il vit. Pourtant encore aujourd’hui des notions aussi célèbres que la chute des corps, la gravitation, la relativité sont absconses pour la plupart d’entre nous.

La dicussion a révélé cette méconnaissance et en même temps a intéressé la plupart des participants.

Comment imaginer que l’on puisse vivre sur une si petite planète, dans un si petit système solaire, dans une si petite galaxie (1oo ooo années lumière de long sur 3o ooo de large), parmi des milliards d’autres galaxies, sans que cela provoque l’étonnement et la curiosité ? Cela nous renvoie à nos peurs et nos croyances séculaires, en mettant en cause l’anthropocentrisme.

Ces découvertes théoriques d’abord, puis confirmées par les faits et l’expérience sont les fruits de l’intelligence humaine .

Si aujourd’hui des sondes vont sur MARS et PLUTON (9milliards de km du soleil), c’est grâce à l’application de la loi sur la relativité. En 1969, des astronautes américains ont foulé le sol lunaire. Cette date historique est aussi importante que l’invention de l’écriture , la découverte de l’imprimerie, et internet maintenant .

Ce jour là Neil AMSTRONG s’est écrié : « c’est un petit pas pour l’homme mais c’est un grand pas pour l’humanité ! ».

Ce jour là, la notion qui voulait que la terre fût le centre de l’univers est symboliquement devenue obsolète. Ce fut aussi la victoire posthume de Giordano BRUNO, de COPERNIC et de GALILEE.

Donc les conséquences de la théorie d’EINSTEIN défient le sens commun et la vie quotidienne : car les êtres humains ne se déplacent pas à la vitesse de la lumière et les lois newtoniennes qui décrivent correctement le comportement d’objets soumis à des forces ne peuvent s’appliquer en présence de champs gravitationnels intenses et à des vitesses approchant la vitesse de la lumière.

On sait aujourd’hui que la gravitation et la vitesse ralentissent le temps et la longueur .Le temps est élastique.

Exemple : deux horloges atomiques sont situées aux deux extrémités d’un vaisseau spatial accéléré à la vitesse lumière, elles émettent simultanément des signaux lumineux en direction du centre du vaisseau. Un instant plus tard l’accélération du vaisseau va perturber cette simultanéïté. Le top de l’horloge inférieure semble tarder à ce produire ; pour un observateur placé à l’extérieur, ce top est retardé à cause de l’accélération du vaisseau, la trajectoire à parcourir vers le centre s’allonge ; pour un observateur placé à l’intérieur, l’horloge est plus lente ; donc le temps ralentit.

Donc si l’un des jumeaux prend place dans le vaisseau et l’autre reste à terre le premier verra s’écouler le temps plus lentement que le second et sera plus jeune à son retour sur la Terre.

La science est la clairière dans la forêt de ténèbres.

Patience, patience,

Patience dans l’azur,

Tout atome de silence

Est la chance d’un fruit mur

Paul Valéry

Pause

3) Ecriture à partir de la discussion (1/4 d’heure)

4) Lecture des textes avec droit de passer son tour (1/4 d’heure)

5) Evaluation de la séance (1/4 d’heure)

ANNEXES

Quelques textes remis par les participants

Il n’est pas facile de construire une réflexion philosophique à partir d’une notion scientifique. Cela suppose d’abord qu’on ait compris la notion, ce qui dépend du niveau de ses connaissances scientifiques, ou de l’habileté pédagogique de son vulgarisateur : sinon comment réfléchir à ce que l’on ne comprend pas ?

On peut philosophiquement tenter une réflexion épistémologique sur la notion : quelle est sa fonction dans une théorie, son articulation avec d’autres concepts, sa pertinence scientifique (par exemple son champ de validité)? C’est un travail de philosophe pointu ou de savant épistémologue… On pourra dire par exemple que la notion d’espace-temps prend son origine et son sens dans la théorie de la relativité d’Einstein, qu’elle s’articule avec les concepts de vitesse de la lumière, de masse et d’énergie, qu’elle est pertinente pour expliquer certains phénomènes non expliqués dans la théorie de Newton, qu’elle est nécessaire dès que l’on aborde des déplacements à une vitesse proche de celle de la lumière…

L’idée qu’il y a une relation entre l’espace et le temps nous est familière : la vitesse par exemple, espace parcouru pendant un certain temps (ex : 100 km à l’heure). Mais l’espace et le temps nous semblent deux choses distinctes (ex : l’espace est réversible, je peux revenir d’où je suis parti ! Le temps, non, sa flêche va du passé vers l’avenir…). De plus nous croyons spontanément (culturellement) que nous sommes dans un temps objectif, absolu, mathématiquement mesurable (celui de notre montre), qui passe à la même vitesse, seconde après seconde. Alors que la théorie de la relativité nous dit que espace et temps sont d’une part inséparables, d’autre part relatifs (un jumeau voyageant dans un vaisseau spatial à la vitesse de la lumière vieillirait moins vite que son frère resté sur terre, donc ils n’auraient plus le même âge : le temps va d’autant plus lentement que l’on va vite !).

La notion d’espace-temps nous dépayse profondément, en remettant en cause les catégories de notre perception : nous voyons au même moment des étoiles qui existent à des moments différents, et même qui n’existent plus depuis très longtemps (puisque la lumière qu’elles émettent met plus ou moins de temps à nous parvenir selon leur distance de la terre).

Ce dépaysement nourrit notre imagination : la science-fiction comme genre littéraire se nourrit abondamment de la conception d’Einstein !

Ma conscience ne vit pas dans le temps objectif de la science, mais dans le temps subjectif de mes émotions, qui le font passer plus ou moins vite dans le plaisir ou l’ennui. Mais la connaissance scientifique du temps est utile, car elle me permet de mieux comprendre comment fonctionne l’univers, de mieux appréhender aussi (dans les deux sens du terme), les conséquences sur ma vie quotidienne des découvertes scientifiques (on m’enlève des points à mon permis à cause de la mesure exacte de la vitesse de ma voiture par l’effet dopler du radar!), et elle nourrit mes rêves (voyager à la vitesse de la lumière pour visiter le cosmos, vieillir moins vite etc.)…

Michel 21-01-06

Temps et espace – Théorie de la relativité

Après l’exposé de la théorie de la relativité, on ne peut que rester perplexe devant la convergence entre d’une part les plus révolutionnaires avancées de la science avec Einstein, et d’autre part les conceptions les plus immédiatement intuitives qui nous font dire qu’espace et temps sont liés et relatifs (ex : la mesure du temps de notre vie quotidienne grâce au déplacement de l’aiguille sur le cadran, l’expression « plage horaire » dans notre langage quotidien etc.).

La perplexité s’accroît encore si on réalise que raisonnement basique et raisonnement scientifique newtonien se rejoignent aussi (si on reste dans une échelle de vitesse limitée), mais cette fois pour concevoir que temps et espace sont deux notions distinctes et non relatives.

L’imputation de relativité dans la science contemporaine ne recouvre pas purement et simplement le subjectivisme. Le non relativisme de Newton n’est pas la pointe du raisonnement scientifique actuel.

Est-ce que l’on peut s’arrêter à l’idée que ces recoupements inhabituels sont de purs hasards ? A ce point de la réflexion, on peut surtout dire que la notion de temps, dès lors qu’on y lie celle d’espace, s’avère singulièrement complexe.

L’autre observation consiste à dire que les découvertes d’Einstein, qui ont prolongé la théorie de la relativité, ont ouvert une nouvelle ère : celle de la manipulation de la colossale énergie de la matière. On sait bien ce qu’en sont les applications (médecine nucléaire, production d’énergie, mais aussi bombe atomique), qui ont donné à l’homme une surpuissance autant pour le bien de l’humanité que pour sa perte.

Marcelle le 21-01-06

C’est une petite anecdote que je voudrais évoquer. Une anecdote revenue à mon esprit au cours de la discussion, lorsque quelqu’un a rappelé que ce que nous percevons d’une étoile n’est que la lumière différée d’un astre éteint depuis longtemps déjà.

Je suis maître d’internat dans un lycée de la ville, et je me souviens d’un soir où visitant les élèves dans leurs chambres, je me suis trouvé « plongé » dans une discussion entre quatre élèves de seconde qui cherchaient à remonter le temps en s’appuyant sur cet écart temporel. Un long débat philosophico-scientifique tout à fait impromptu s’en est suivi, tandis que peu à peu le groupe s’étoffait de quelques autres adolescents tout aussi avides de solutionner le problème. Hypothèses, arguments et contre arguments fusaient ; tous s’évertuaient à nourrir cette réflexion commune par leurs idées ou intuitions. Au moment de clore le débat, le petit groupe convenait (avec une certaine pertinence) d’une possibilité de remonter le temps à condition d’arriver à se déplacer plus vite que la lumière. Je n’ose pas imaginer quelle eût été la déception de ces jeunes garçons à entendre de la bouche de Gérard que l’on ne peut se mouvoir plus vite que la lumière …

Romain

Entre le temps des commencements et le temps des finitudes, l’observation dans l’espace de « temps différents » dérange nos certitudes.

Puisse les progrès de la connaissance rassurer l’Homme sur sa condition, ses origines et son devenir !

Jean-François

Ma réflexion après la séance philo, après un exposé scientifique très dense par Gérard sur les considérations récentes qui relieraient la notion du Temps à celui de l’Espace dans notre univers :

Le concept de la science moderne « le Temps-espace » me pose problème. Et je m’interroge : que suis-je dans cet univers, moi petite partie du vivant ? Et me mouvoir dans cet espace dont les limites ne me sont pas connues, pas mesurables, quel trajet vais-je encore parcourir ?

Le temps proposé par la Science d’après ses calculs sur le trajet de la lumière à travers l’espace nous vient en courbes et est donc dévié : celles-ci font-elles pour moi individu partie de mon voyage sur terre, et de mes déplacements ?

Le destin de chacun et celui dans le lien social de tous, est- il à la mesure d’un temps à répétition, comme l’aiguille d’une montre ?

Je pense aux holocaustes, à tous les Oradours : sont ils inscrits dans cet espace -temps ? Ce

temps ne pourrait-il pas à ces lieux faire une courbe ? L’existence de l’univers devrait

ne mesurer que des espaces – bonheur, mais ceux-la sont éphémères.

Si les humains pouvaient faire leur avancement dans le temps, en faisant des courbes

et ainsi échapper à ces lieux des desseins funestes dans notre espace-temps, que le

Temps de notre monde serait beau !

Anne-marie.

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SEANCE n° 5 (10h-12h15) du 11-02-06

SEANCE SUR LA TRANSMISSION

Répartition des rôles :

- président : Anne-Marie ;

- introductrice de la séance et synthétiseuse : Marcelle ;

- animateur et reformulateur : Michel.

1) Introduction par Marcelle de la notion de transmission (1/4 h) :

La question de la transmission est liée à celle du temps. Parce que c’est un processus orienté, il détermine une temporalité irréversible. En tant que processus d’influence, il y a un avant l’acte de transmission et un après.

La nécessité de transmettre est aussi coextensive à la naissance et au développement de la civilisation. Si la transmission par les géniteurs des comportements propres à l’espèce se retrouve dans beaucoup d’espèces animales, la transmission des découvertes individuelles ou collectives est réservée à des espèces aux cerveaux particulièrement développés.

Le petit de l’homme naissant largement inachevé, il nécessite pendant de très longues années l’influence protectrice et éducative des parents. La matrice de l’enfant est donc celle de la civilisation représentée par les éducateurs, parents et enseignants etc. La liste ne peut être close. On doit aussi y joindre les institutions, celle du langage, de l’espace juridique (ex : droit successoral), les institutions éducatives…

Les modalités de la transmission sont extrêmement multiples et variées : elles peuvent être conscientes, volontaires, maîtrisées, ou/et involontaires, inconscientes, et se combiner de différentes façons entre le transmetteur et le récepteur (l’un a un projet bien arrêté, l’autre subit sans s’en rendre compte, l’un peut vouloir et l’autre le refuser, l’un et l’autre peuvent être libres ou contraints). Les véhicules de la transmission sont aussi multiples, écrits, oraux, de masse (mass-média), ou sans aucune médiation (identification).

Innombrables sont les activités humaines intéressées par la transmission :

  • C’est le projet principal de certaines institutions.
  • Education, enseignement, pédagogie : on y transmet au nom de la société qui a dévolu ce rôle (Ces institutions s’adressent plus volontiers à des enfants) ;
  • diffusion culturelle, informative, traditionnelle, historique. Le débat a souvent été de savoir si, véritablement, présent et avenir avaient à tirer bénéfice de la connaissance du passé. Le passé est passé, révolu (« du passé faisons table rase ») ; on peut toujours se poser la question de savoir si même, la tradition ne serait pas une entrave à la liberté de créer, dans le domaine de l’art par exemple ;
  • droit successoral et droit qui régit la filiation (transmission du patrimoine et du patronyme).
  • Occasions de transmettre sans le vouloir, sans le savoir, juste en parlant, en se comportant.
  • C’est l’objectif de la procréation : en tant qu’êtres vivants, nous les humains, sommes soumis à la nécessité de participer à la perpétuation de notre espèce, avec ses caractéristiques propres.

Au-delà de la transmission du patrimoine génétique, nous avons à transmettre, pour le dire de façon ramassée, la prise en compte du savoir de notre finitude. Si la formule est brève, elle a des conséquences immenses sur lesquelles nous reviendrons.

Problématisation

  • Le1er problème qui a déjà été esquissé est celui de la connaissance et de l’optimisation des processus de transmission : c’est le domaine de la pédagogie, de la didactique, des sciences de l’éducation.
  • Un 2ème problème est lié à la validité de ce qui se transmet. Demandons-nous par exemple si une tradition comme la vendetta est légitime. Qu’en est-il aussi de la transmission du pêché originel ?

Mais prenons l’exemple de la révolution française. Le moment de la révolution est précisément celui d’un changement radical, celui d’un virage à 180°. Pourquoi ? Parce que la bourgeoisie et le peuple ont jugé qu’il n’était plus acceptable que continuent à se transmettre pour les uns richesses et privilèges, et pour les autres misère et servitude. La terreur a alors tranché dans le vif en coupant des têtes, celle du roi, comme figure du père (de la nation). La notion de fraternité a alors émergé à côté de celle de liberté et d’égalité. Trois notions qui concourent chacune à leur manière à ouvrir une crise de la transmission et une ère d’individualisme.

  • Le 3ème problème permet de pointer que la visée de la transmission peut permettre de créer de la nouveauté plutôt que de rééditer ce qui déjà existe. On pourrait prendre celui de l’éducation artistique, qui doit permettre de devenir créateur à son tour, mais je développerai davantage l’exemple de la généalogie et de la nomination, qui encadrent la procréation humaine. Leurs principes sont l’occasion de mettre chacun à sa place, comme on dit « remettre quelqu’un en place ». C’est dire, tu n’es pas tout, tu n’es que le maillon d’une chaîne, tu as une place certes, celle de frère, de fils, tu peux changer de place pour devenir père à ton tour, grand père, et un jour ou l’autre tu t’éclipseras, et le monde continuera. Tu ne t’es pas auto-engendré, car le désir de tes ancêtres est la condition de ton être au monde, et à ton tour tu devras questionner ton désir de procréer pour engendrer un être non mû par l’instinct, mais par le désir. Bref, ton narcissisme doit être relativisé, car cet être nouveau sera un autre.

Transmettre la vie pour des humains, n’est pas se reproduire, (au moins jusqu’à maintenant !), c’est procréer, c’est à dire non pas produire un individu identique mais être responsable de fait qu’advienne un sujet. Etre sujet, c’est avoir un rapport complexe aux choses et aux autres, tout à la fois être semblable et différent ; c’est être tout à la fois distinct et inclus dans une communauté ; être libre et limité, conscient de sa puissance et de sa finitude. Ce sont ces tensions là qui produisent la position désirante. Au delà de la transmission génétique, c’est l’enjeu vertigineux de la procréation humaine.

Le concept de transmission est donc tendu :

  • entre reproduction du même et ouverture à de l’altérité ;
  • entre recherche de la pleine réussite de la transmission et prise en compte de sa nécessaire imperfection ;
  • entre éthique (au sens des valeurs, mais aussi au sens du respect de la position désirante), et politique (au sens de la praxis qui organise la continuité et le développement de la civilisation et de la culture).

Enfin pour ramener la question de la transmission à celle du temps, on pourrait espérer que la transmission dans la sphère privée et publique engage la civilisation dans le sens du progrès de l’humanité.

2) Discussion (3/4 d’heure) : synthèse de Marcelle

Un très riche débat a suivi l’introduction de Marcelle. Ce compte rendu ne peut refléter l’intégralité des propos, il essayera de ranger ceux-ci selon trois axes eu égard à la question du temps qui nous occupe cette année.

1) Coup de projecteur sur le passé et la recherche de sa pérennité

- La tradition est gage d’authenticité et de vérité.

  • La vérité étant une et indivisible, elle est transmise comme telle et on est prié de l’accepter. Le mode de transmission est alors autoritaire ou dogmatique, endoctrinant.
  • La transmission répond au besoin de demeurer pour les anciens, d’avoir des points d’appui stables pour les nouvelles générations, d’avoir un “ bagage ”.
  • La transmission inscrit ses traces, ses empreintes.
  • Politiquement ce sont les mouvements conservateurs, réactionnaires ; religieusement ce sont les fondamentalistes et les traditionalistes.

2) Coup de projecteur sur le présent qui souvent est synonyme de crise de la transmission.

- Certains régimes totalitaires ayant réalisé « le meilleur des mondes », procèdent à l’effacement méthodique des traditions.

  • De fait certains jeunes sont privés de la possibilité de la mise en contact avec la culture de leurs aïeux (immigrés de 2ème ou 3ème génération).

- Nous sommes actuellement dans une culture qui met en avant plus la réciprocité de la communication que l’unilatéralité de la transmission.

  • Le progrès très rapide des technologies est tel que les aînés sont moins compétents que les plus jeunes, donc que ce qui pourrait être le message des premiers est jugé globalement obsolète par les seconds.
  • Les objets ont une durée de vie très limitée, ils sont jetables ou se périment très vite (ex : l’informatique), si bien qu’il ne peuvent plus être transmis et qu’ils sont ainsi soustraits à toute dimension d’échange symbolique.
  • La crise de la transmission est globalement liée à la crise de la dimension symbolique, dans une société où prévaut l’image, une société qui a comme impératifs la consommation, la rentabilité, l’efficacité, la vitesse et même l’instantanéité.

3) Coup de projecteur sur l’avenir et la mise en continuité des trois dimensions du temps : passé, présent et avenir. Cette position postule la notion de perfectibilité qui sous-tend la posture désirante. Cette dernière conception semble rendre compte de l’orientation générale du groupe.

- La transmission est un “ aller ailleurs ” plus qu’un véhicule de l’ancien. Elle est transformation.

  • Elle suppose un message enthousiaste mais non dogmatique, ouvert à l’interrogation, qui fait confiance à l’interprétation du récepteur, et plus généralement aux générations futures. Dans cette configuration, le donneur peut même se trouver enrichi des retombées de son message : “ La transmission transcende le donneur ”, elle trans-forme le transmetteur.
  • Le donneur sait et accepte que son message soit métabolisé, enrichi par le récepteur ou même réfuté, car il sait bien que lui même a “ retravaillé ” les messages qui lui ont été donnés. “ La transmission est stérile si elle ne fait pas exister l’autre ” : on pourrait préciser qu’elle doit respecter la liberté de l’autre, et aussi qu’elle doit ouvrir à la création du neuf.

Pause

3) Ecriture à partir de la discussion (1/4 d’heure)

4) Lecture des textes avec droit de passer son tour (1/4 d’heure)

5) Evaluation de la séance (1/4 d’heure)

ANNEXES

Quelques textes remis par les participants

A propos de la séance précédente (sur la notion d’espace-temps) :

« Etre » dans un espace infiniment petit dans l’espace Univers infiniment grand !
Vivre dans un temps de vie humaine limité, dans un temps générationnel illimité !
Conjuguer ces deux états d’humain pour exister dans un « espace temps » défini par la science inhumaine !
Arrêtons de courir après ce temps qui tout en augmentant notre vue de l’espace réduit notre espace de vie…
Viviane

En prévision de la séance suivante (sur la trace) :

La transmission (trace-mission) donne à la trace la mission d’un dépôt, moins pour satisfaire le fantasme d’emprise ou d’empreinte d’un formatage par un format-eur, que pour donner à ceux qui viennent à l’humanité ou désirent apprendre, les fondements et matériaux pour construire et inventer leur façon de tracer eux-mêmes leur itinérance individuelle et collective : contrepoids à l’ignorance et à l’oubli du passé, contrepoint de la perte symbolique de celui qui manque, la trace manifeste le reste, ce qui reste et permet d’advenir, sous peine d’évacuer l’accès à l’humanité par la rencontre avec l’altérité.

Michel

De la transmission

En écoutant tout ce qui s’est dit sur le sens de la transmission et la crise de la transmission, il m’apparaît que pour qu’il y ait transmission il faut d’abord qu’elle soit dans une circulation à double sens, c’est à dire que le transmetteur, avec son désir et sa foi, ait un réceptacle en face de lui ou plutôt quelqu’un de « poreux » qui soit en mesure de recevoir et d’effectuer un retour. Nous retrouvons là une notion de communication.

La crise de la transmission viendrait d’une autorité (on le voit par exemple dans le monde de l’entreprise aujourd’hui) qui capitalise les richesses d’un patrimoine collectif par peur inconsciente (?) d’être dépossédée d’une valeur censée lui appartenir à elle seule. Est-ce que ne se pose pas là l’importance de la reconnaissance de la place de chacun dans le monde, de l’importance d’être en capacité de se relier et de se situer en tant qu’être humain dans une chaîne reliée à la nature toute entière, et donc de l’importance d’avoir des repères? Il me revient tout à coup, en pensant à l’importance de la relation pour se situer, que dans la pensée chinoise, le mot « chose » désigne une relation Est-Ouest, donc une notion d’horizontalité.

Qu’est-ce donc que la « chose » à transmettre? La relation n’implique t-elle pas d’abord de se situer en tant que sujet avant de penser l’objet de la transmission? Transmettre doit avoir un sens, une direction et implique pour moi la notion d’identité.

Porter un nom, avoir des racines, recevoir un héritage, avoir une place connue dans sa généalogie, connaître ses origines, être conscient de son histoire personnelle en rapport avec l’histoire collective, me semble primordial pour déterminer le sens, la direction que je donne à ce que je veux transmettre à partir d’un point d’émission stable. C’est pour cela qu’aujourd’hui, je conçois que donner des points de repères à la jeunesse pour qu’elle puisse se situer constitue un premier travail dans la transmission.

Nous retrouvons donc le « tout est relatif » d’Einstein et le « connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux » de Socrate. Dans ce sens, la philosophie a bien pour moi à voir avec la transmission, puisqu’elle contribue à ce que chacun puisse se définir pour se créer une posture, du même ordre que la « sculpture de soi » (M. Onfray).

J’aime beaucoup l’idée de Rollo May (dans son livre Le courage de créer), que l’œuvre d’art naît de la rencontre entre deux pôles.

Vue ainsi, sous l’angle de la création ou de la procréation que nous avons évoqué, j’aime à penser que la transmission ait à voir avec la capacité que nous aurions à « redonner à l’humanité la splendeur qui lui appartient ».

Ghislaine

A quoi me fait penser la transmission?

Orale ? Indispensable, mais de plus en plus rognée par ce monde moderne et ses méthodes de communication, qui n’ont jamais été aussi perfectionnées… Paradoxalement on n’a jamais aussi peu communiqué…

Ecrite ? Indispensable, vitale… Les écrits restent, les paroles s’envolent ! Et les gestes à montrer, à faire et refaire pour enfin parvenir à faire bien… La transmission sur une voiture, c’est ce qui transmet le mouvement du moteur aux roues… La transmission dans mon boulot d’infirmière, c’est passer les messages essentiels sur ce qui doit être fait : on apprend au suivant ce qu’on sait. La transmission du savoir a permis à l’homme d’évoluer, si on ne prend en compte que l’évolution positive. La négative ? A croire qu’elle se fait naturellement sans se la transmettre…

Babe

La crise de la transmission

- La modernité, comme son nom l’indique, ne fait pas de la transmission une de ses valeurs, sauf peut-être de manière minoritaire, les écologistes par exemple, qui se soucient de léguer une planète habitable aux générations suivantes. Mais si le souci de transmission n’est pas une priorité, cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas lieu. A l’insu de tout le monde, émetteurs et récepteurs, une certaine manière d’être au monde est véhiculée : impératif de rentabilité, de performance, de consommation, etc.

Les objets ont perdu leur valeur symbolique, ils se périment vite, et même sont à usage unique. Il n’est plus question qu’ils servent de “ témoin ” que l’on se passerait de génération en génération, comme c’était jadis le cas (ex : bijoux de famille, trousseaux de mariée, outils). Le beau linge brodé n’était jamais utilisé car sa valeur symbolique de lien inter-générationnel excédait largement la valeur d’usage.

Actuellement, c’est l’argent, l’argent qui n’a pas d’odeur, qui est le symbole dominant, quasi exclusif, mais c’est un symbole qui ne représente personne, ou bien n’importe qui, et n’importe quoi : il est malgré son apparente circulation tout à fait impropre à servir de lien entre les hommes et les générations.

- Autre réflexion : la notion de “ perfectibilité ” me paraît soutenir au mieux la logique de la transmission. Elle permet de penser que celui qui a le projet de transmettre, pense que la chose, d’une part en vaut la peine, mais que d’autre part, cette chose gagnera aussi à recevoir l’influence enrichissante du passage dans d’autres mains. Vérité et perfection n’appartiennent à personne mais leur recherche a comme effet l’ouverture à l’altérité et au lien social.

Marcelle

La légitimité de la transmission ?

- Première thèse : la transmission m’apparaît légitime dans son principe, car l’homme a besoin d’être éduqué. Faute de cette « institution » dans l’humanité, le petit d’homme demeure un infans qui ne parle pas, marche à quatre pattes, et ne peut développer son potentiel d’intelligence. En plus de son hérédité biologique, condition de possibilité de sa venue au monde, transmise de fait on doit lui transmettre en droit un héritage culturel (une langue, un patrimoine scientifique, philosophique, artistique, religieux, laïque etc.), qui lui donne des repères pour penser (des catégories mentales, des connaissances), et agir (des comportements adaptés, des « habitus » comme dit Bourdieu). Ces repères sont des fondamentaux sociaux (les normes de son ou de ses groupes d’appartenance), politiques (son identité de citoyen, d’européen, d’habitant du village terre), éthiques (les valeurs à prétention universelle, comme celles des droits de l’homme…). On ne peut se construire une identité sans savoir d’où l’on vient, sans mémoire individuelle et collective, sans connaître le passé qui nous a fait pour en faire à son tour de l’avenir. La trans-mission est en ce sens une mission intergénérationnelle parce qu’elle m’inscrit symboliquement et pratiquement dans une histoire, une filiation, me donne une identité, me sécurise et m’attribue une place…

- Deuxième thèse : mais la transmission peut être, et est aujourd’hui fortement contestée, en particulier pour les jeunes. Et ce doublement :

A) dans le contenu de ce qu’elle transmet : les traditions peuvent être considérées comme désormais inadaptées, les connaissances dépassées, les croyances puériles, les valeurs contestables… La non remise en question du passé et du transmis produit des sociétés conservatrices, voire réactionnaires, qui visent l’autoreproduction de gestes, institutions et valeurs stéréotypés, figent toute évolution, freinent le progrès. S’oppose au désir d’empreinte et de maîtrise du transmetteur le désir de changement, de rupture, amenant des révolutions dans la pensée, l’art, la politique (« Du passé faisons table rase ! »)…

B) dans la façon dont elle transmet : le transmissif peut être jugé dans ses méthodes autoritaire, (con)descendant, dogmatique, fabricateur de passivité, de formatage (passage au moule), voire de soumission, et entraîner la révolte. C’est la métaphore mécaniste de la transmission mécanique.

- D’où le questionnement : si la transmission est nécessaire dans son principe, et contestable dans ses contenus et ses méthodes, à quelles conditions peut-elle donner des racines pour inventer l’avenir, imaginer, créer du nouveau ?

Deux pistes à explorer :

A) Connaître les réponses données par l’humanité, mais à partir des questions qu’elle se pose, car elles peuvent amener d’autres réponses possibles. Transmettre une culture de la question en même temps que des réponses, pour que l’on puisse interroger celles-ci.

B) Proposer plutôt qu’imposer, pour éviter au receveur le sentiment d’un « arbitraire culturel » (Bourdieu), d’une autorité qui transmet sans aucun besoin de fonder sa légitimité en raison (science, philosophie) et en éthique. Une conception constructiviste de la transmission est souhaitable : c’est quand on s’approprie du transmis comme un construit, qu’on peut inventer ce qu’on transmettra plus tard…

Michel

L’incertitude temporelle de la transmission …

Quel lien entre la question de la transmission et celle du temps ? J’aurais envie de dire que c’est dans l’incertitude (mais aussi dans la complexité) de la transmission que réside ce lien. La transmission ne se décrète pas de manière unilatérale et nécessite, me semble-t-il, une disponibilité tant de la part du transmetteur (celui qui transmet ou se trans-met) que de la personne qui reçoit. Consciente ou inconsciente, voulue ou pas, la transmission reste une « affaire » qui se joue entre deux sujets de désir, et rien ne compte plus que le moment où ces deux désirs se croisent pour que transmission il y ait. On présuppose donc une possible transmission, mais on ignore quel sera le moment de la conjonction entre les deux désirs. Ce postulat de transmissibilité (qui m’est sans doute inspiré par le « postulat d’éducabilité » pointé par Philippe Meirieu, et sans lequel aucune entre-prise éducative n’aurait de sens) me semble reposer sur (l’acceptation d’)une temporalité in(dé)finie. Car la transmission prend du temps, un certain temps, un temps incertain : le temps qu’il faut ! On ne sait pas vraiment jusqu’où il faudra aller, combien de temps il faudra. Ce peut être très court comme infiniment long. Tant et si bien que j’aurais envie de parler d’incertitude temporelle en matière de transmission. « Le plus sûr est donc de n’être sûr de rien » (Voltaire).

Romain

« Du passé, faisons table rase ». Toute révolution se veut mise en cause de la transmission. Et pourtant, beaucoup de révolutions sont portées, inspirées par des messages ou des valeurs du passé qu’il s’agit d’imposer, de renouveler ou de recréer ou les trois en même temps. La transmission est propre à l’espèce humaine, elle est inhérente à son évolution parce qu’elle relie le passé au futur et le futur au passé. Une vraie transmission ne peut être qu’un dialogue, un va et vient, un aller retour. N’oublions pas le point de départ mécanique : la courroie de transmission de l’automobile, par exemple. Mais la rupture de la dite courroie ne coûte-t-elle pas très cher ou trop cher ?

Francis Rennes

Transmettre c’est donner ; mais avant de donner, il faut avoir reçu. C’est ce que l’on appelle

L’initiation. Cheminer dans sa vie personnelle, entrer dans la vie professionnelle, sociale, politique, spirituelle demande une initiation. On ne peut partir de rien.

Puis, un jour, à son tour, on transmet, modestement on initie.

C’est un dialogue permanent. Recevoir est un droit. Transmettre, un devoir.

Combien d’horreurs, de souffrances auraient été évitées si un certain juge d’instruction avait eu l’humilité de reconnaître son inexpérience et de profiter du savoir-faire de ses collègues : vous avez dit « transmission « ?

Andrée

La transmission

Peut-on transmettre un message qui soit universel ? L’universel peut-il exister sans le sacré ? Autrement dit les hommes peuvent-ils partager autre chose que ce qui les dépasse (ils n’ont jamais partagé la richesse)?

A partir de quels fondamentaux humains pourrait-on élaborer des valeurs partagées par tous et allant dans le sens du progrès de l’humanité ? Ou peut-on dégager une synthèse des différentes religions du monde ?

Comment transmettre sans contraindre, sans manipuler, sans exalter, sans contaminer, en éveillant curiosité, autonomie, respect de l’autre ?

Ne pourrait-on pas transmettre le questionnement sur les motivations qui poussent à transmettre ?

La « crise de la transmission » ne vient-elle pas du fait que la malléabilité des enfants les adaptent plus rapidement que nous à la modernité, et que nous ne leur proposons aucune réponse qui les dépasse, ayant perdu nous-même notre position symbolique ?

Lily

Si l’homme, comme les espèces vivantes, à sa naissance est à parfaire, il a reçu de ses géniteurs la part en lui qui lui permet d’être, cette part dominante qui le fait verbe, se mouvoir, évoluer et transmettre à son tour. Le géniteur autant que le récepteur subiront l’influence, consciente et inconsciente, de cet acte de transmission, cet élément donnant de l’un à l’autre. C’est ce qui les met constamment en évolution, en transformation, avec toutefois les limites de la construction de son propre « moi ». Transmettre nous transforme aussi. Essayer de transmettre ce que nous considérons comme le meilleur pour nous (donner le meilleur de soi…), est-il toujours positif pour l’autre ? Je m’interroge. Car « rien ne se crée, tout se transforme », même nos traces. Anne-Marie

Il me vient en transcrivant ce petit texte l’écho d’une phrase entendu par plusieurs participants : « Du passé faisons table rase !». Un court extrait d’un poème de mon premier recueil de poèmes « Au Cœur de la Vague » donne ma réponse (extrait de DEMAIN)

D’autres viendront au lever du jour…

D’autres iront sur le sol brûlé

Ensemencer la nouvelle aurore,

Tracer un horizon ondulé …

Où flotte un parfum de hier encore.

D’autres prendront le même refrain ;

Leur orgue peut changer de cantique.

C’est là l’héritage de DEMAIN,

Qui reçoit d’aujourd’hui sa musique.

Anne de Lierre

SEANCE n° 6 (10h-12h15) du 11-03-06

(21 participants)

SEANCE SUR LA TRACE

Répartition des rôles :

- président : Francis ;

- introducteur de la séance et synthétiseur : Alain ;

- animateur et reformulateur : Michel.

1) Introduction par Alain (1/4 h) :

Il y a peu de littérature concernant le concept de trace.

(Robert et Littré) : 13ème siècle ancien français “ tracier” issu du latin “ tractiare – tractus ” signifiant tirer un trait avec lenteur. La notion du sens figuré date de la fin du 13ème pour indiquer suivre, imiter les traces de quelqu’un. Par contre le sens de ce qui reste, l’impression dans la mémoire, ce qui subsiste des traces du passé est plus récent. Les dates relevant des expressions ayant ce sens apparaissent vers la fin du 16ème et début du 17ème siècle. Enfin, un dernier sens apparaît au milieu du 19ème siècle, la trace pour figurer une petite quantité. L’histoire du sens du mot « trace » nous permet d’ouvrir plusieurs pistes liées à cette notion :

1°) L’empreinte comme marque physique ou sur le plan figuré, psychologique.

Toutes les traces du passé questionnent la Vérité ( Platon.)

2°) L’indice, la petite quantité comme « paradigme indiciaire » (Carlo Ginzburg).

3°) La problématique de la trace écrite (développée par Jacques Derrida).

1°) LA TRACE è EMPREINTE

Dans le Théétète, Platon établit un rapport entre la Vérité et l’Erreur. L’“ eikon ” i.e. l’imagination renvoie au “ représenter une chose absente : tupos ”. Commettre une erreur proviendrait alors d’une détérioration de l’empreinte “ tupos ” ou d’une mauvaise représentation “ eikon ”. L’erreur peut dépendre du sujet, de son souvenir. Dans ce cas, l’erreur ne découle pas d’un défaut de la sensation elle-même ou de la pensée elle-même, mais dérive d’une mauvaise association (“ sunapsis ”) entre une sensation et une pensée.

Ce qui peut faire problème pour Platon, c’est une mauvaise relation entre la fidélité de l’empreinte et la projection de son image. Cette relation “ sunapsis ” dépend de l’association dialectique entre une sensation et une pensée. Le rapport au savoir ne pourra donc être que le produit d’une déduction logique d’une cause à partir de faits observés ou expérimentés. La fonction de l’argumentation sera d’étayer par le raisonnement l’opinion la plus vraisemblable possible entre l’empreinte “tupos” et sa projection dans une image “eikon”.

Ce tracé définit une démarche logique pour les sciences humaines :

  • d’une cause connue, on en déduit les effets (déduction) ;
  • des effets connus, on en déduit une cause (induction).

2°) LA TRACE è INDICE

On doit cette approche à un historien italien, Carlo Ginzburg, qui va développer un nouvel outil épistémologique où il s’agira d’interpréter le réel au travers du sens que l’on peut attribuer aux traces. Ginzburg établit une synthèse entre trois méthodes de recherche :

  • Peinture, les travaux de Morelli qui compare les détails les plus fins pour attester de l’authenticité d’une œuvre.
  • Littéraire, Conan Doyle et son fameux détective Sherlock Holmes qui reconstruit une scène à partir d’indices.
  • Psychanalyse, Sigmund Freud influencé par Morelli (cf. son étude sur Michel Ange), il réemploie le détail sous la forme du lapsus dans sa méthode psychanalytique.

Point commun entre ces trois domaines différents : leurs auteurs ont été formés comme médecins, pour fonder un diagnostic indirect à partir d’éléments difficilement observables directement (cf. le célèbre conte du roi Serendip inspirant Voltaire pour son Zadig.)

Bref, la déduction dérive des conséquences liées à une hypothèse pure, faisant la preuve de ce qui doit être. L’induction montre qu’une hypothèse fonctionne. L’abduction (Charles Pierce, philosophe de la pragmatique) présente une troisième démarche qui découle d’un processus de l’imagination liée à une hypothèse explicative.

3°) TRACE è ECRITURE

Avec Jacques Derrida c’est l’écriture elle-même qui est considérée comme trace. Il fait le constat que l’écriture a été définie à l’origine comme une seule technique pour conserver la parole de la science et de l’histoire. Or, avant d’être un objet, l’écriture est la condition même du savoir. De même, avant d’être un objet d’histoire, l’écriture est la condition qui ouvre le champ de l’histoire. C’est une critique fondamentale de la linguistique saussurienne et de l’approche platonicienne. Pour Platon, l’écriture n’a qu’un caractère d’extériorité, une technique qui n’a pas d’accès direct à l’intuition (cf. le Phèdre). Pour Derrida, l’écriture doit être pensée à partir de son niveau le plus élevé : en tant que processus de coproduction de l’homme et de la technique. L’homme invente la technique mais on peut aussi dire que la technique invente l’homme. La notion de la trace ainsi posée revient donc à penser ses développements d’extériorisation dans cette relation dialectique, où s’est construite la mémoire collective des premiers silex jusqu’aux mémoires numériques.

Pour conclure

Ces quelques approches de la trace, mais il y en d’autres, peuvent ouvrir quelques pistes de réflexion.

Quel intérêt peut-on avoir en distinguant ces problématiques plutôt que d’en retenir une seule ? Peut-on retenir quelque chose de commun dans ces trois démarches de pensée : déduction – induction – abduction ? Peut-on limiter notre connaissance à une seule dimension théorique de la trace, et en quoi une réflexion épistémologique peut-elle enrichir ce questionnement sur la trace ? Les nouvelles technologies pourront-elles conduire à renouveler le champ de réflexion sur la trace ?

2) Discussion (3/4 d’heure) : synthèse de Alain

Alain Delsol introduit le sujet en questionnant le rapport de l’homme au temps avec un angle particulier, la question de la « trace. Cette problématique aborde cet élément particulier de la « trace » selon trois aspects :

- La trace comme une forme de la pensée.

- La trace comme un indice pouvant servir d’élément pour formuler une hypothèse explicative.

- La trace comme un signe écrit afin de reconsidérer sa relation avec l’oral.

Lors de la discussion qui va suivre, un tiers seulement des participants interviendra ; certains estimeront dans le temps final de régulation qu’il leur est gênant d’intervenir quand une présentation leur paraît trop longue, trop érudite ou trop universitaire.

Les premiers intervenants interrogent les aspects biologiques de la trace. Un participant demande si « la mémoire n’est pas elle-même une trace ? » Pour une autre personne, c’est plutôt le processus de conception qui fait que l’homme donne vie à la « trace. » La « trace » serait une sorte de conséquence par rapport à ce qui peut être conçu. Par exemple, le concept de force peut se concrétiser dans une forme ou une relation ; ainsi l’écrou et la vis seraient la conséquence d’un principe conscientisé par l’homme : la force. Selon ce point de vue, tout objet ne serait que « trace » de ce que l’homme conçoit.

Mais, est-ce que l’on peut comparer ce type de forme de « trace » avec celle qu’aurait laissée un animal ou de façon plus pérenne les traces géologiques fossilisées dans le minéral ? Est-ce que les « traces » sédimentées par la nature au cours des millions d’années constituent des « traces » objectives ou des « traces » liées au raisonnement ?

Certains, pensent que l’on ne peut pas exclure non plus la « trace » que l’animal produit, parce que souvent elle est le produit d’une intention faite par l’animal dans le but de structurer un territoire. Dans ce cas, même s’il ne s’agit pas réellement d’un langage, la « trace » y joue cependant le rôle de signe. Cette remarque souligne que la « trace » n’est pas uniquement liée au temps, elle l’est aussi vis-à-vis de l’espace. Ainsi, le groupe s’interroge sur la « trace » dans son rapport au temps (c’est le thème global de l’atelier), mais également dans son rapport à l’espace, autrement dit avec des formes non humaines. Il nous faut donc débattre si la notion de « trace » est le propre de l’homme…

Ce que l’on cherche alors à définir c’est le concept de « trace. » Si l’on retient la « trace » dans sa relation à l’homme, encore faudrait-il distinguer la « trace » comme simple empreinte fortuite, simple reliquat sans intention, avec une « trace » lisible et descriptible qui est relevée au statut de signe. Mais ceci appelle encore quelques précisions. Une intervenante distingue la « trace » comme ce qui peut être lu, de la « trace » qui est laissée avec l’intention d’être lue et interprétée. Cette dernière relèverait dans ce cas du symbolisme capable de transmettre des informations objectives ou subjectives. Un autre intervenant demande si les nouvelles technologies permettent d’envisager le virtuel dans le champ de la « trace ? » Dans ce cas, c’est l’imagination qui serait à l’œuvre.

Pour conclure : la relation entre le sujet producteur de la « trace » apparaît liée à un récepteur désigné ou supposé. C’est parce qu’elle fait partie d’un langage humain que l’on pourrait parler de « trace. » Mais, peut-on penser que telle ou telle « trace » peut avoir l’ambition de prétendre au statut d’universalité ? La « trace » reste imprégnée de sa relation au temps, et chaque culture n’a pas toujours les mêmes présupposés philosophiques, ce qui laisse ouverte la question de l’universalité de la « trace », telle qu’on pourrait l’envisager dans la culture occidentale.

Pause

3) Ecriture à partir de la discussion (1/4 d’heure)

4) Lecture des textes avec droit de passer son tour (1/4 d’heure)

5) Evaluation de la séance (1/4 d’heure)

ANNEXES

Quelques textes remis par les participants

1) Sur la séance précédente (la transmission) :

Ma transmission

Qu’est ce que je lui ai transmis ?

Je la regarde à la dérobée

elle ma fille assise devant moi

jeune sévère très mince

lunettes rouges rectangulaires

yeux bleus très beaux myopes

comme ceux de son père

comme les miens

cheveux bruns bien tirés en arrière

grand front immense

souvent un petit pli fronce ses sourcils

visage fin pas très souriant

c’est ma fille c’est moi qui l’ai faite

et pourtant j’ai devant moi quelqu’un d’autre

différent avec son mystère

Qu’est ce que je lui ai transmis ?

pour qu’elle soit un peu distante

un petit peu sèche pas très bavarde

ne répondant pas à mes effusions

se laissant embrasser certes sans protester

comment lui dire qu’elle m’intimide

qu’elle me laisse sur ma faim en me tenant à distance polie mais ferme

qu’est ce qu’elle ne veut pas de moi ?

Qu’est ce que je lui ai transmis qu’elle ne veut pas reproduire ?

Mado

Ou puis-je en être dans mon parcours de récepteur et de transmetteur (bien que les termes me paraîssent trop techniques), quand je réalise avoir un mode de vie qui me semble en décalage avec ce que m’ont transmis consciemment ou inconsciemment mes ancêtres d’une autre culture et d’un autre pays?

Viviane

2) Textes à propos de la séance sur la trace

La trace contre l’oubli …

Quoi de plus inquiétant pour un être qui se sait marqué par la finitude que l’idée d’être un jour oublié et de n’être finalement « passé » qu’inaperçu ? Laisser trace … voilà qui semble pouvoir témoigner du « passage » d’un individu, et par-là même sustenter un espoir d’éternité ; car ainsi prise au sens de marque, d’empreinte, la trace apparaît comme ce qui reste, ce qui perdure dans la postérité, laissant entrevoir une certaine forme d’immortalité.

L’oubli, vertu (à sa manière) de la mémoire, est donc menacé par la trace qui empêche précisément de « tomber dans l’oubli » ; et la trace écrite me semble tout à fait représentative de cette « lutte contre l’oubli » puisque c’est notamment grâce à elle si certains faits et récits (autrefois abandonnés à la mouvance et à l’incertitude de la « tradition orale ») nous sont parvenus depuis l’Antiquité. Certains auraient même, paraît-il, conquis par l’écriture le statut d’ « immortels »…

Romain

Il me semble qu’il faudrait pouvoir distinguer dans la trace plusieurs niveaux :

celui du fait dans sa stupide existence (1), celui du signe (2), celui du message (3). Dès lors que l’on distingue ces termes, on voit bien que les places d’auteur et d’interprète se dessinent.

- Dans le premier cas, cela peut être aussi bien une chose, un être vivant, un homme qui a laissé quelque chose.

- Mais ce n’est qu’à la condition que quelqu’un, homme ou animal, ait interprété cette chose qu’elle prend statut de trace, de signe de l’occurrence d’un événement autre.

- Dans le troisième cas, il y a un auteur qui laisse trace de lui-même à l’intention d’un autre ou d’autres : le cas de l’écriture par exemple. L’écriture suppose clairement d’un côté, l’auteur qui a l’intention de laisser une trace, et de l’autre, celui qui déchiffre, interprète, le lecteur.

Par extension et de manière abusive, on peut “ vouloir faire parler les faits ”, alors que l’on ne se trouve que dans le second cas de figure.

Quant à la trace de manière générale, ces places d’auteur et d’interprète s’interpellent l’une l’autre, mais restent distinctes, car il peut y avoir interprète sans qu’il y ait eu volonté de laisser un message, il peut y avoir message qui reste non déchiffré, ou en attente de l’être (ex : la bouteille à la mer).

La psychiatrie est travaillée en profondeur par ces distinctions qui se traduisent là dans la distinction : signes/symptômes. Se pose la question de savoir si une manifestation pathologique est simple signe de maladie ou si elle est symptôme, c’est à dire interpellation de l’autre qui est invité à déchiffrer ce “ langage crypté ”. La tendance à l’américanisation tire du côté du signe au détriment du sens et de la dimension intersubjective contenu dans le symptôme. On mesure la perte qui s’opère du côté d’une psychiatrie humaniste, car les signes, il est facile de les abraser avec des médicaments.

Remarques sur le plaisir de laisser une trace :

- plaisir de laisser sa trace comme un beau serpentin régulier écrit sur la neige fraîche ! A quoi tient donc ce plaisir ? A pouvoir se relire, vérifier sa technique par la beauté du tracé, pérenniser un instant de plaisir, donner à son ego une autre dimension : celle d’une écriture sur la montagne ?

- A qui est destinée cette écriture ? A soi même sans doute, mais un moi divisé, un moi qui fait et un moi qui contemple son œuvre.

Enfin, la question de la trace trouve aussi sa place entre éthique et esthétique : belle (ou laide), témoignage d’une action bonne (ou mauvaise).

Marcelle

Trace et mission

La trace de nos origines et l’origine des traces

Il y a les traces que je découvre lorsque je viens au monde, qui me questionnent, et les traces que j’ai envie de laisser ou que je laisse, plus ou moins intentionnellement, qui constituent la mémoire de mon passage en ce monde. Dans l’acte de laisser une trace, la notion d’intention qui y est mise me semble importante pour en déterminer le sens et le devenir.

J’aime l’idée qu’en plantant une fève (pour reprendre l’exemple de Philippe), cette fève contient un programme de développement avec un devenir en puissance qui me dépasse. Je ne sais pas quelle forme exacte va prendre ce développement ni quel en est l’enjeu. Elle me renvoie à la génétique et l’idée de genèse. La graine que je vais semer contient en son germe une promesse, celle d’une croissance, puis d’une décroissance. C’est le cycle de la vie.

Je ne connais pas grand-chose de la philosophie, mais j’ai retenu une phrase de Voltaire qui dit qu’ « il est bon de cultiver son jardin ». Elle me fait penser au jardin d’Eden et aux mythes fondateurs de l’humanité avec la question de nos origines et du paradis perdu.

Avec son intention, un jardinier peut donner un sens à la croissance par l’entretien permanent de son coin de paradis et le soin apporté à la forme des végétaux de son enclos. C’est sa capacité créatrice jointe à celle de guide.

Créer et entretenir un blog ou une page Web personnelle aujourd’hui procède pour moi du même ordre, dans son principe : la nécessité de nourrir et entretenir régulièrement une intention pour cultiver son jardin et celui du monde.

Que ce soit dans la tradition orale ou celle du livre, qu’est-ce qui pousse l’être humain depuis la nuit des temps à raconter une histoire?

Lorsque je raconte une histoire à un enfant et qu’elle lui plaît, j’ai remarqué très souvent que la fois suivante, il faut que je la lui raconte à nouveau avec les mêmes détails sans changer un seul mot et rester au plus proche de la version originale, telle que je lui ai racontée auparavant. Le goût de l’originel, des saveurs d’antan, la recherche de l’authentique et de la tradition, toujours mis en avant dans nos publicités, cette nostalgie du passé (c’était souvent mieux avant) me fait constater, qu’ici, la trace prise en compte est une trace virtuelle : le souvenir évoqué d’un paradis perdu, originel.

J’ai cité, comme exemple de trace virtuelle, la reconstitution des parties disparues de l’abbaye de Cluny en image de synthèse. Je complète ici avec un autre exemple qui m’est venu aussi, à ranger pour moi dans la même catégorie : c’est le syndrome du membre fantôme, que l’on a constaté en particulier chez les amputés de guerre puis chez les personnes qui ont perdu un membre en général. Lors d’une amputation, des nerfs sont coupés. Il arrive alors que le cerveau perçoive des messages erronés, comme des sensations de chaud, de froid, de picotements, de fourmillement, de crampes, de douleurs au niveau du membre disparu. C’est ce qu’on appelle le syndrome du membre fantôme, qui donne l’impression à la personne de vivre toujours avec un bras ou une jambe dans son entier, même après une amputation. Ces sensations finissent par disparaître avec le temps. Les théories de la « douleur mémoire » et de la « porte de contrôle de la douleur » expliqueraient possiblement l’existence d’une image mémoire centrale du corps dans le cerveau. Même lorsqu’une partie du corps n’existe plus, cette image centrale demeure inchangée.

Ce phénomène m’évoque que, pour un être humain, faire le deuil de quelque chose ou de quelqu’un nécessite du temps et que, dans ce cas là, même notre corps peut nous raconter des histoires, en reconstituant par exemple le souvenir des parties disparues! La trace virtuelle se nourrit du manque.

J’ai rencontré un jour un homme dans l’obligation de faire amputer d’un doigt de pied sa fille, à cause d’un accident lors d’un voyage à l’étranger. En lui faisant remarquer que lui aussi était amputé des doigts d’une main, il me raconta alors que cela fait huit générations que les hommes de sa généalogie ont des doigts coupés à la main, par accident du travail comme lui. Il venait de transmettre le phénomène à sa fille cette fois. Voilà un phénomène transgénérationnel dont s’occupe en particulier la psychogénéalogie, qui prend soin d’en déterminer la genèse avec la psychologie. Il est observable par le symptôme (ici la perte d’une partie d’un membre qui entraîne une souffrance physique ou morale), mais surtout par sa traçabilité dans le temps, avec la répétition du phénomène. Comment s’opère dans ce cas la transmission? Par un « fantôme », terme psychanalytique pour désigner le non dit (cf. « L’Ange et le Fantôme, introduction à la clinique de l’impensé généalogique » de Didier Dumas). Dans ce cas, la transmission s’effectue secrètement, sans parole. C’est l’histoire du corps manquant et de la parole perdue qui s’inscrit là. Elle a son origine. Il faut mener l’enquête en suivant les traces qu’ont laissé les ancêtres pour la découvrir.

A ce propos, il y a des traces que j’aurais bien aimé trouver à ma naissance : des écrits par exemple qui me seraient adressés provenant de mes ancêtres, du type « A toi qui n’es pas encore né(e) » d’Albert Jacquard (un livre écrit sous la forme d’une lettre à son arrière petit-fils pour témoigner de son vécu du XXe siècle). « Je » suis les liens que je tisse avec les autres déclare ce généticien de formation.

Dans le tour de parole final, quelqu’un a évoqué la tragédie de la canicule de l’été 2003 et le fait qu’il reste encore aujourd’hui des corps non réclamés par les familles. J’en ressens de la tristesse. Force est de constater que lorsque des liens ont été brisés, il reste la misère de la solitude.

Incinérée ou non, l’idée que mes restes peuvent contribuer à fertiliser la terre me va bien. Je ne suis pas attachée à ce que l’on se souvienne particulièrement de moi après ma mort, mais je crois que j’aimerais être accompagnée pour franchir le Passage. En tous cas, j’aimerais pouvoir laisser en ce monde une « signature ». C’est à dire une construction qui contribue à maintenir une force de vie dont chacun pourra se nourrir. Ce sera peut-être juste une phrase, comme celle de Françoise Dolto qui indique sur sa tombe : « N’ayez pas peur! ».

Ghislaine

La trace

Il me semble que « laisser une trace » est essentiel pour l’être humain, notamment dans son refus de la finitude (la mort) et son besoin d’éternité. Cette trace peut être diverse : mur, vigne, enfant, dessin, écriture… Elle évolue avec le temps et les techniques : écriture, photo, image audio-visuelle… mais il y a toujours le même souci de laisser aux autres un témoignage de son existence, de son passage. L’inflation médiatique actuelle va dans ce sens : celui qui passe à la télé est sûr de connaître la notoriété (pour le présent) et de laisser une trace (pour l’avenir). Non seulement il existe mais il ne meurt pas. Illusion, sans doute.

Francis

De la trace (1)

La trace n’est pas, comme la rose, sans pourquoi.

L’homme sans passé est amnésique : il a perdu sa propre trace. Il ne sait plus qui il est parce qu’il ne sait plus d’où il vient, et ce qu’il est advenu. Celui qui ne peut raconter son histoire n’a pas, n’a plus, d’identité. Car l’identité, dit P. Ricoeur, est narrative.

L’homme n’est pas, au sens d’une essence, dit Sartre : il devient parce qu’il advient, il trace…

La trace est toujours celle d’un chemin, c’est-à-dire d’un cheminement. Celui d’un sujet qui trace un trajet par un projet. Tracer n’est pas réaliser un objectif préprogrammé : ce serait non le trajet d’un sujet, mais la trajectoire balisée, balistique, d’un objet déterminé. Cet itinéraire est une « itinerrance », par le double jeu du hasard et de la liberté : un déplacement qui trans-porte, borde au gré du vent, dans la métaphore spatiale et marine, mais le « transport » doit être pris au sens d’un enthousiasme, conatus (Spinoza), ou vouloir vivre (Nietzschte), et du changement et de l’évolution dans la dimension temporelle. Le sujet fait, et en faisant se fait : il est et fait histoire, sa propre histoire : il grandit, expérimente, mature, tâtonne, mûrit, prend consistance dans sa persistance, capitalise en couches géologiques son expérience, engramme, fait au total « œuvre de soi » (Pestalozzi).

Non seulement en traçant il laisse trace (mais de quoi et pour combien de temps ?), mais souvent il veut faire trace, laisser trace : projet de se survivre, de transcender le périssable :

- biologiquement, par la procréation, où l’individu se transcende par l’espèce (rien que de très animal) ;

- socialement, par les œuvres mémorables, petites ou grandes (on les appelle alors patrimoine de l’humanité) ;

- spirituellement, par une âme qui se voudrait et souvent se croit immortelle, réincarnable, où dans un corps un jour ressuscité.

Laisser trace. Dépôt du trajet d’un sujet : défi à la mort et à l’oubli, ces deux façons de ne plus exister, l’un pour soi, l’autre pour autrui.

Vouloir faire trace, d’une certaine hauteur, celle de la poussière d’étoiles, est d’un dérisoire achevé, et mérite le grand rire nietzschéen du mépris, vis-à-vis de l’orgueil d’un homme ambitieux sans sagesse, qui n’a pu s’accoutumer ni à l’insignifiance de son ego, ni à l’incontournable de la mort…

Mais c’est aussi le cri révolté du créateur, qui mute la suprême contrainte en ressource pour rebondir, pulse l’humanité de son message, et la nourrit de son œuvre.

Bâtir de la durée avec de l’éphémère, cultiver l’élan vital (Bergson) contre l’enthropie, telle pourrait être la tâche…

Michel

De la trace (2)

Le projet, c’est l’anticipation d’une trace à venir. On projette pour « marquer la réalité à la culotte », faire empreinte, trace pour soi et pour autrui : consciemment avec la volonté, inconsciemment par notre désir. Être ou faire trace, telle est la question du projet d’un sujet : tracer son avenir, et déposer de soi dans le monde.

La trace est souvent volontaire, pour marquer mon passage : ici, à un moment, sur terre et dans ma vie, in fine post mortem. Elle prolonge le passé, mémoire de mon existence par le souvenir des autres, témoignage de mes actes par mes œuvres.

Et même quand elle est involontaire, inconsciente (lapsus, acte manqué) ou non (l’ADN du cheveu qui trahit le violeur), elle peut produire de l’effet. Elle n’existe que dans le regard de l’autre (toute trace pour être doit être perçue), mais par cet effet, elle transmet (la trace est transmission) : une information à la police ou la justice (un indice), un matériau pour l’historien (archives, vestiges). Elle peut donc faire preuve, à charge ou à décharge. Et être donc manipulée, par exemple idéologiquement (effacer, falsifier, créer de fausses traces, faux témoignage). Elle doit être par conséquent rationnellement examinée dans son rapport à la vérité dans le droit, la science ou la philosophie. Toute trace issue d’une sincérité ou d’une authenticité est respectable éthiquement, mais épistémologiquement, elle n’administre pas la preuve (par exemple, avec la relativité de la perception, on peut se tromper de bonne foi dans un témoignage) : on n’a jamais fait la vérité avec seulement de bons sentiments, et si la franchise vaut dans la morale, elle ne suffit jamais dans la science, qui demande observation, expérimentation, vérification…

Ce qui sauve la trace d’un sens énigmatique, voire du non sens, c’est l’interprétation. Car la trace ne parle que rarement d’elle-même : elle ne fait sens que d’être interprétée. Certes on peut lui faire dire beaucoup de choses, et même contradictoires. Le risque du contre sens, c’est le prix à payer pour que la trace fasse sens. Ce qui sauve le livre sacré de la rigidité du littéral, parole adressée mais non interprétée, et comme morte dans sa scripturalité, c’est l’ouverture du symbolique, qui ouvre et non clôt la discussion, par l’exégèse et son herméneutique.

Michel

De la trace (3)

Dès qu’une matérialité sensoriellement perçue est nommée par l’homme « trace », il y a une attribution de sens. Toute trace n’est telle que d’être interprétée. Elle part d’une « texte » à décripter et le fait parler. Ma lecture de la dite trace (de la trace dite) est toujours indiciaire, indice de quelque chose, indexée sur ma culture et mon savoir qui contribuent à la construction du sens. La matérialité qui est nommée trace devient ainsi empreinte de quelque chose ou de quelqu’un.

Elle est trace rétrospectivement, dans l’après coup de sa lecture d’un réel ou supposé tel, Toute trace effective est au passé : c’est une mémoire incarnée, comme un souvenir déposé. Elle suppose une origine et une cause, postule un réel connaissable à partir d’une conjecture, dont on reconstitue un avant chronologique et une causalité logique.

Etablir la réalité d’une trace, c’est restituer, reconstituer, retisser ou élaborer une preuve, par identification , intuition, ou raisonnement : ainsi font la police, le juge, le détective, le journaliste, l’archéologue, l’anthropologue, l’historien, le psychanalyste etc. qui enquêtent…

Pourquoi cette passion généalogique de la trace ? Cette avidité de connaître le passé, individuel et collectif? Pourquoi faire resurgir, ou éviter l’oubli ? Trouver ou/pour retrouver, tisser de l’intergénérationnel, renouer pour dénouer, revenir aux racines ? Commémorer, c’est-à-dire se souvenir avec ? Pour quoi la mémoire serait-elle un devoir (le « devoir de mémoire ») ?

Michel

Où en suis -je par rapport à la trace?
En tant qu’individu, je ne sais la dimension ni la durée, ni la traduction de la trace que je laisse. Que restera-t-il de mon passage sur terre? Je suis une petite bille dans l’immense rouage de ce phénomène chimique qu’est l’existence de l’humanité. Et j’estime que j’ai de la chance. J’en déduis que la trace de mon passage sur terre peut être interprétée par quelques lecteurs, par quelques lectures, par mes descendants, par ceux qui m’ont connue, ou par mes écritures. Mais pourrais-je laisser trace affective autrement que directement? Je le pense en rapport mesurable avec le manque que crée notre disparition. Cette trace peut être interprétée de manière positive ou négative, selon l’affect du lecteur. Y travailler dans mon présent carresse mon ego, pour si peu que mon altruisme me fait matérialiser la trace pour mon ci-après: laisser un héritage, assurer mes descendants, laisser une oeuvre pour la postérité (je viens d’acheter un livre de Mémoires Posthumes, écrit par Randaye de son vivant. Il est mort en 1976, le livre est édité en 1989).
Bien des illustres savants, artistes et autres inventeurs nous ont précédés, ayant marqué leur époque. Nous trouvons encore leur trace. La trace de ceux ayant marqué le monde par la grandeur d’âme paraîtra par raisonnement déductif bien sympathique. Mais les tyrans dont on
se souviendra par raisonnement inductif, même si on voudrait les oublier, effacer les traces d’horreur, la mémoire humaine avec toutes ses techniques médiatiques pour longtemps encore provoquera leur résonance, si ce n’est pas par les traces imprimées dans la chair jusqu’à une lointaine descendance (Hiroshima et les lieux maudits des accidents nucléaires et autres holocaustes).
Et puis bien loin, plus loin dans le temps sur l’île de Pâques, les statues interpellent. Et en remontant vers Socrate, Platon et Aristote, l’écriture nous permet de savoir les pensées de ces philosophes de 499 ans avant J.-C. Mais l’archéologie nous apprend par l’interprétation de ses découvertes parfois bien virtuelles (ville sous la lave en Italie, Pompeï), la reconstruction d’après un schéma du passé. Ce serait du constructivisme, peut être à la manière hégelienne, constuire sa vérité vers le point oméga, comme une marche triomphale, n’est-ce pas aussi la dialectique de Platon?
Quant à ma trace ci-après, que la lecture en soit faite par raisonnement déductif où inductif, je souhaiterais laisser une trace à ceux que j’ai aimés, c’est eux qui décideront de sa dimension et de sa durée. Anne-Marie
Ci-après mon poème du jour et du sujet.
La trace
Tu marchais devant moi sur la plage du temps/
Je pouvais si bien emboîter ton pas dans le sable/
Mais le vent du printemps s’est levé/
J’avais du mal à avancer/
Et toi tu continuais/ tu m’as dit : viens/
Une vague avait tout effacé/
J’ai eu l’impression que tu me prenais par la main/
Mais tu n’étais plus là, ce n’était que ta voix dont je me souviens/
Depuis, je te cherche, il n’y a que vent, vacarme et brouillard/
Et derrière moi seulement mes propres pas/
Mais peut-être suis-je encore dans les tiens/
et je ne m’en aperçois pas.
Anne de Lierre

SEANCE n° 7 (10h-12h15) du 15-04-06

(13 participants)

SEANCE SUR LA VITESSE ET LA LENTEUR

Répartition des rôles :

- président : Philippe;

- introducteur de la séance et synthétiseur : Romain ;

- animateur et reformulateur : Michel.

  1. Introduction par Romain (1/4 h)

Festina lente (hâte-toi lentement)

Au prétexte d’ « être dans le vent »1, emportée par une logique économique orientée vers le profit, la productivité, la rentabilité, … notre société se laisse imposer un rythme effréné, immodéré, et la précipitation est devenue caractéristique de l’homme moderne. Dans l’ouvrage intitulé Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt pointait cette société économique, de consommation, qui nous condamne à l’éphémère, au fugace, au provisoire. Il va de soi que la lenteur n’occupe pas, dans un tel contexte, une place très confortable ; que ce climat utilitariste, technocrate, est plutôt propice au mépris de la lenteur. Lenteur trop souvent rangée du côté de la stérilité, quand elle n’est pas considérée comme perte.

Festina lente. Hâte-toi lentement. Voilà une injonction pour le moins paradoxale, qui encourage à aller lentement pour arriver plus vite à quelque chose ! Contrairement à ce que l’on présuppose de la lenteur, et qui fait qu’on lui préfère souvent la vitesse, il ne s’agirait pas là de perdre du temps, mais plutôt de prendre le temps, le « temps qu’il faut », pour justement ne pas en perdre. Pour l’énoncer en d’autres termes, on pourrait donc gagner du temps à le perdre.

On trouve dans la sagesse chinoise cette idée voisine que le chemin le plus direct n’est pas nécessairement le plus court, le plus rapide ; et que se vouloir trop presser est la pire des choses si l’on veut atteindre rapidement le but que l’on s’est fixé. La lenteur pourrait donc être une forme de vitesse, ou tout au moins source d’efficacité. Un proverbe japonais conforte cet état d’esprit : « Si tu es pressé, fais un détour ».

S’interrogeant à la fois sur les questions de la lenteur et de la philosophie, Pierre-Henry Frangne (Maître de Conférences en philosophie de l’art à l’Université Rennes II) nous dit que l’on trouve les éléments de ce paradoxe « chez Platon, le philosophe de ce qu’il appelle lui-même le « long détour », long détour sans lequel la pensée se perdrait dans l’immédiateté des sensations ou s’aveuglerait dans la fulgurance des apparences ». La pensée, selon Platon, doit passer par un long cheminement, une lente méthode (odos, en grec, désigne le chemin) qui permettrait de déjouer « les séductions des opinions, des évidences et des mots ». Pour penser, il faut « construire patiemment l’espace du dialogue vivant au sein duquel les positions changent et s’échangent sans arriver parfois à une solution, à un passage » (on parle alors d’aporie).

Socrate, contrairement à ses interlocuteurs, n’est pas pressé de répondre ; il construit sa pensée avec lenteur et rigueur. On lui reproche d’ailleurs cette lenteur qui endort, qui engourdit, qui paralyse ses interlocuteurs. Mais plus que sa lenteur, Platon pointe la tempérance dont fait montre Socrate (le Charmide en est un bel exemple). Car la tempérance est la sage conjugaison, dans un temps immuable que les Grecs nommaient aiôn, de la lenteur et de la rapidité. De chronos et de kairos pourrions-nous dire. Pierre Sansot, dans son ouvrage sur la lenteur, parlait d’ « alternance des rythmes ». Il y aurait donc une double et paradoxale exigence de lenteur et de rapidité ; le problème étant de penser, d’appréhender ce rapport lenteur – rapidité (qu’illustre extraordinairement la locution attribuée à l’Empereur Auguste : Festina lente), puisque l’erreur serait de les vouloir considérer indépendamment, de faire comme si lenteur et rapidité existaient en soi, tels des absolus. Le temps, inscrit dans un temps immuable que nous appelons éternité (aiôn), est à la fois passage (kairos) et durée (chronos) ; vitesse et lenteur.

Si la lenteur, à en croire Platon, peut se révéler profitable à la philosophie, que peut nous dire et nous apprendre la philosophie quant à la lenteur ? Autrement dit, quel intérêt pouvons-nous trouver à faire de la lenteur notre objet de réflexion, dans le cadre de cet atelier de philosophie ? La lenteur peut-elle être objet de philosophie ?

Beaucoup, sans pour autant parvenir à s’y soustraire, dénoncent ce rythme effréné, cette tyrannie de la vitesse que l’on dit propre à notre société contemporaine mais qui a pourtant inquiété à bien des époques si l’on en juge par les revendications de la lenteur (depuis Platon en passant par Saint Augustin au Moyen-Âge, puis chez Montaigne, Rousseau ou encore Baudelaire, …). Ainsi l’on assiste, aujourd’hui comme hier, mais davantage peut-être, à une véritable course vers une sagesse de la lenteur. Mais la lenteur a-t-elle encore sa place dans cette course folle ?

Appuyons-nous donc sur l’étonnement que peut susciter la locution Festina lente, étonnement avec lequel commence la philosophie selon Platon. Intéressons-nous à ce rapport double et paradoxal entre lenteur et vitesse. En quoi la lenteur peut-elle être source de rapidité (Cf. la fable du lièvre et de la tortue) ; et corrélativement, en quoi la rapidité (se presser) peut-elle être source de lenteur ? Le bon rapport lenteur – vitesse correspond-il à ce que l’on nomme « le bon tempo » ?

N’omettons pas, dans cette quête effrénée d’une sagesse de la lenteur, « que c’est la lenteur de la sagesse qui nous délivrera de ce désir d’immédiateté » qui parfois nous affole tant. Faisons donc bon usage de la lenteur !

Où courent-ils ? (texte de Raymond Devos)

Excusez-moi, je suis un peu essouflé ! Je viens de traverser une ville où tout le monde courait…Je ne peux pas vous dire laquelle…je l’ai traversé en courant. Lorsque j’y suis entré, je marchais normalement, mais quand j’ai vu que tout le monde courait… je me suis mis à courir comme tout le monde sans raison !

A un moment je courais au coude à coude avec un monsieur… Je lui dis : « Dites-moi… pourquoi tous ces gens-là courent-ils comme des fous ? », Il me dit : « Parce qu’ils le sont ! », Il me dit : « Vous êtes dans une ville de fous ici… vous n’êtes pas au courant. », Je lui dis : « Si, Si, des bruits ont couru ! », Il me dit : « Ils courent toujours ! », Je lui dis : « Qu’est-ce qui fait courir tous ces fous ? », Il me dit : « Tout ! Tout ! Il y en a qui courent au plus pressé. D’autres qui courent après les honneurs… Celui-ci court pour la gloire… Celui-là court à sa perte ! », Je lui dis : « Mais pourquoi courent-ils si vite ? », Il me dit :  » Pour gagner du temps ! Comme le temps, c’est de l’argent, plus ils courent vite, plus ils en gagnent ! », Je lui dis : « Mais où courent-ils ? », Il me dit : « A la banque ! Le temps de déposer l’argent qu’ils ont gagné sur un compte courant… et ils repartent toujours courant, en gagner d’autre ! » Je lui dis : « Et le reste du temps ? », Il me dit : « Ils courent faire leurs courses… au marché ! », Je lui dis : « Pourquoi font-ils leurs courses en courant ? », Il me dit : « Je vous l’ai dit… parce qu’ils sont fous ! », Je lui dis : « Ils pourraient tout aussi bien faire leur marché en marchant… tout en restant fous ! », Il me dit : « On voit bien que vous ne les connaissez pas ! D’abord le fou n’aime pas la marche… », Je lui dis : « Pourquoi ? », Il me dit : « Parce qu’il la rate ! », Je lui dis : « Pourtant, j’en vois un qui marche !? », Il me dit : « Oui, c’est un contestataire ! Il en avait assez de courir comme un fou. Alors il a organisé une marche de protestation ! », Je lui dis : « Il n’a pas l’air d’être suivi ? », Il me dit : « Si, mais comme tous ceux qui le suivent courent, il est dépassé ! », Je lui dis : « Et vous, peut-on savoir ce que vous faîtes dans cette ville ? », Il me dit : « Oui ! Moi j’expédie les affaires courantes. Parce que même ici, les affaires ne marchent pas ! », Je lui dis :  » Et où courez-vous ? », Il me dit : « Je cours à la banque ! », Je lui dis : « Ah !… Pour y déposer votre argent ? », Il me dit : « Non ! Pour le retirer ! Moi je ne suis pas fou ! », Je lui dis : Mais si vous n’êtes pas fou, pourquoi restez-vous dans une ville où tout le monde l’est ? » Il me dit : « Parce que j’y gagne un argent fou ! … C’est moi le banquier ! … ».

2) Discussion (3/4 d’heure) : synthèse de Romain

Cette synthèse rend compte à la fois du moment de discussion et du tour de table qui l’a précédé. Proposé lors de la phase de régulation de la séance précédente, ce tour de table a permis à chaque participant d’exposer brièvement son avis et ses attentes quant au sujet du jour.

Préjugés sur la lenteur

Il n’est pas rare de voir la lenteur dénigrée, avilie, vilipendée au profit de la vitesse (vitesse entendue comme rapidité et non comme simple rapport distance/temps) : « La vitesse, c’est bien ; la lenteur … c’est le contraire ». Par ces quelques mots, cette participante résume bien le cas de la lenteur que l’on rapproche trop souvent de la stérilité et de la vieillesse ; quand ce n’est pas de la mort. Il en est ainsi de l’opinion la plus répandue et cela semble tellement aller de soi qu’il faudrait presque s’y résoudre. Le faible taux de popularité de la lenteur devrait suffire à nous convaincre qu’il n’y a rien là de profitable et que si source d’efficacité et de sagesse la lenteur pouvait (au mieux) être, cela se saurait ! Si la lenteur a mauvaise réputation, c’est aussi parce qu’elle fait peur. Le ralentissement du temps suscite une angoisse : celle du temps qui s’arrête ; celle de la mort (ralentir, c’est mourir un peu). À l’inféconde et sinistre inertie souvent rattachée à la lenteur s’opposent la jeunesse, la fraîcheur et la richesse supposées de la vitesse (ne parle-t-on pas d’« élan vital » ?). Tandis que l’on déplore l’incapacité du lent à s’adapter, on encense l’incontestable polyvalence (omnipotence !) du rapide. Car c’est bien connu : « Qui peut le plus peut le moins » !

Éloge de la lenteur

La course frénétique à laquelle on assiste, et à laquelle on participe bien souvent (bon gré mal gré…), semble vouloir faire et placer un maximum de choses dans un minimum de temps. Au seuil de la boulimie, ce souci permanent d’efficience vise à remplir les vides, comme si la vie était à remplir … avant la mort ! Finalement, c’est à toute vitesse que les individus s’orientent vers la mort, pensant la repousser. La rapidité les précipite vers la mort tandis que la lenteur leur pourrait être au contraire un sage moyen de conserver la vie, ou tout au moins de la préserver. C’est une grande sagesse encore, au lieu de s’abandonner à ce monde de vitesse qui multiplie les évènements sans même les voir passer, que de savoir s’attarder aux choses qui le méritent (ou le nécessitent) et les savoir apprécier. Inutile de se précipiter pour se montrer déterminé car c’est bien au contraire par le (long) cheminement que l’on (se) connaît, découvre et que l’on se retrouve le mieux. En témoignent ces quelques associations faites entre « marche » et « réflexion » (ou « méditation »), entre « lenteur » et « douceur » (ou encore « saveur »). De plus, lenteur et vitesse ne sont parfois qu’illusoires selon le parcours que l’on emprunte et les limites qui le bornent. Un long parcours peut donner l’impression d’aller lentement alors que l’on court, mais il faut prendre garde également à ne pas se laisser griser par une fausse impression de vitesse. Mieux vaut parfois s’autoriser quelque détour ou musardise et prendre le temps d’une lente (mais profitable) décomposition pour atteindre une efficacité et une rapidité effectives. C’est le cas notamment des apprentissages où la rapidité peut s’avérer négative (une participante propose l’exemple du pianiste qui commence lentement, surtout pour apprendre la rapidité). Enfin le détour par la pensée chinoise (pensée sans fin, en terme d’écoulement) nous permet de relativiser les catégories dans lesquelles la pensée occidentale pense la vitesse et la lenteur.

À la recherche du « bon tempo » …

Au-delà de la simple opposition vitesse – lenteur, qui a vu l’expression des avantages et inconvénients de l’une et de l’autre, le côté indissociable des deux termes s’est imposé au fil de la discussion, et nous est alors apparue la question de l’articulation des deux. Car si la lenteur comme la vitesse irrite (la vitesse, de plus, bouscule), se pose la question du bon chemin, du bon temps pour traverser la vie et les intervalles qui la jalonnent. Le souci serait alors d’articuler au mieux vitesse et lenteur, de trouver le rythme qui convient aux diverses situations. Ne jamais agir ni arriver « trop tard » sans pour autant basculer dans la précipitation et le « trop tôt ». Cette juste mesure (ou « bon tempo »), fruit d’une sage alternance des rythmes (qui rompt la monotonie d’un rythme unique), serait la clé du problème et ouvrirait les portes de « la vie bonne ».

Car la difficulté est bien là : trouver « la bonne allure » (ralentir quand ça va trop vite, quand le stress nous gagne ; accélérer au contraire quand on patine, quand on s’enlise). L’idéal serait encore d’être capable d’aller suffisamment vite pour se débarrasser du contraignant et lentement pour profiter des choses meilleures, plus savoureuses. Les milieux paysans, dont certains ne voient qu’un rythme « tranquille » (tantôt envié et loué, tantôt dénigré), connaissent aussi des moments d’intense activité et au cours desquels leurs protagonistes doivent se montrer suffisamment prompts et efficaces (quand il s’agit par exemple, sous la menace d’intempéries, de rentrer une récolte), avant de reprendre un rythme tout autre, plus proche de la nature. La conjugaison de la lenteur et de la vitesse semble alors de rigueur et réussie (et donc possible).

Au terme de la séance, les participants semblent d’accord pour dire que « tout vient à point à qui sait attendre »… à condition de ne pas trop attendre et de se savoir hâter (avec lenteur !) quand les circonstances l’exigent.

Pause

3) Ecriture à partir de la discussion (1/4 d’heure)

4) Lecture des textes avec droit de passer son tour (1/4 d’heure)

5) Evaluation de la séance (1/4 d’heure)

ANNEXES

Quelques textes remis par les participants

  1. Séance sur la transmission

Nous ne sommes plus des « transmetteurs » mais des « communicants ». Dans notre société, transmettre a perdu sa valeur. La forme de relation humaine et sociale qui est valorisée et pratiquée est la communication. Nous sommes libres, égaux et fraternels, donc plutôt que de transmettre nous communiquons. Dans la communication, nous sommes à la fois transmetteurs et récepteurs, et cette simultanéité de position gomme le sens d’une vraie transmission. Pour que la transmission « fonctionne », il faut accepter l’autre dans une position d’autorité, et accepter d’être soi-même dans cette position.

Laurence

  1. Séance précédente (la trace) :

Le passé, pour moi, représente à la fois un poids et une valeur.
Il m’importe d’avoir un passé et d’en laisser des traces par l’écriture, la voix, ou autre…

Mes descendants pourront ainsi se référer à leurs ancêtres pour se positionner dans un parcours d’ »être ». Ils pourront également soupeser la valeur du legs, et mesurer de cette
manière le chemin parcouru.
C’est une base solide sur laquelle je m’appuie pour construire un futur tout aussi solide.

Viviane

  1. Vitesse et lenteur

Sommes-nous lents ou rapides de nature ? Chacun entend « l’admonestation » de son entourage, presse-toi ou calme ton impatience ! Aller vite en cas de nécessité ou réfléchir à deux fois pour être efficace. Pas si simple !

Le choix du bon rythme, sans être à l’abri de l’imprévisible, serait donc de ralentir la fuite dans l’activisme, pour retrouver la sagesse de la lenteur, ou ressourcer le manque d’allant, pour retrouver la vigueur. Si lenteur et vitesse vont de pair, la bonne alternance reste souvent insaisissable.

Hâte-toi lentement ! Utile devise sur les chemins de la vie !

Jean-François

Vitesse et lenteur

On a tendance à penser que la lenteur caractérise la vieillesse alors que la vitesse serait représentative de la jeunesse. Mais alors à partir de quand commence le vieillissement (les biologistes le situe autour de l’âge de 25 ans) ?

La vieillesse est un lent processus qui laisse du temps, de la durée. La jeunesse vit dans l’immédiateté du désir, de la pulsion, jouit du présent, et donne l’impression d’être atteinte de boulimie d’avenir instantané. Avec la lenteur, les trois temps restent reliés entre eux dans une infinie continuité. On lui reconnaît l’efficience requise pour accompagner la maturation des choses et des êtres, stabiliser les acquis, «déjouer la séduction des évidences » comme le dit Platon. Elle accompagne avec patience l’avènement de ce qui sourd des profondeurs et s’étale sur le long terme, tandis que la vitesse préside à l’urgence, au surgissement de l’événement, avec le risque de tomber dans la superficialité, le court terme.

Si la vitesse apporte le plaisir de la griserie, la lenteur amplifie le plaisir, savouration d’infinies richesses subtiles.

La première exacerbe les tensions dans la prise de risque : au niveau de la pensée, c’est le risque d’erreur, au niveau physique, c’est le risque d’accident. La seconde apporte sécurité, confort, détente, le temps de la réflexion permettant un grand échantillonnage d’arguments et le temps du mouvement assurant sa justesse.

Mais la maîtrise de la vitesse ne s’acquiert que dans un deuxième temps, après l’exercice lent de l’esprit ou du corps, et sa répétition jusqu’à l’automatisation libératrice et la montée progressive de la rapidité. La lenteur est le préalable à la maîtrise de la vitesse, sans laquelle elle n’est que ratage ou réussite aléatoire non reproductible ; elle est le garant de la maîtrise tant physique qu’intellectuelle de nos moyens ; c’est pourquoi la lenteur, qui n’est pas l’immobilité, consolide la vie et en même temps présente autant de risque que la vitesse d’être interrompue par un arrêt définitif.

Tout comme la vitesse donne l’illusion du plein par la quantité de possibles qu’elle induit ou de saturation explosive, la lenteur fait le plein de la qualité de ce qu’elle offre à savourer, ou par l’angoisse qui retourne ce plein en vide, tant à ce niveau là il est difficile de distinguer ce qui relève du sentiment d’Etre pleinement de celui du Néant.

Cet instant limite, où la conscience bascule dans l’angoisse par l’insupportable de la sensation de vide qualitatif procuré par la lenteur, ou du trop plein insupportable procuré par la vitesse, est le même que celui de l’extase ou de l’orgasme (« petite mort de la psychanalyse ), où la conscience se perd dans le « hors du temps, forme le creuset de l’expérience de la question du sens : de l’Etre ou du Néant ; comme si ce temps était l’interface où l’Etre et le Néant (plein/vide) fusionnent, tout en différant selon le sujet et son contexte. La question reste posée…

Lily

La lenteur dans le temps

« Rien ne sert de courir, il faut partir à point… ». S’il faut donc parler de la lenteur, je ne puis que penser d’abord à son contraire, c’est que son contraire est en rapport avec la réalité.

Le temps qui nous est imparti, et dans lequel nous inscrivons nos activités, nos projets de vie, est pour nous notre espace à parcourir. Si nous composons un planning qui nous parait bien sensé, nous sommes cependant soumis à des éléments extérieurs, qui parfois viennent entraver notre avancée dans notre programme, nous obligeant à des détours que nous n’aurions pas souhaités, ce qui impose plus de rapidité sur notre parcours (Panne de voiture, retard du train, maladie, ou autre incident qu’il soit banal ou grave).

La pensée nous permet de mesurer notre rapidité d’action. Si je veux par mesure de sagesse aménager dans mon espace –temps un temps mort, une aire de repos, une plage plus large, je réduis forcément mon action et dans ce cas je chemine vers la fin plus lentement. Et l’instant opportun, le Kaïros, s’éclipsera devant moi si je n’ai pas le rythme assez rapide pour le saisir, et tant pis pour moi.

Mais d’un autre coté la vitesse use, elle essouffle.

Le sportif de haut niveau arrête sagement sa folle course, sa carrière, avant d’être « fini », ou usé à un âge encore jeune. Le renommé footballeur Zidane, à 37 ans, vient d’annoncer son départ à la retraite, pour cette raison.(ne plus être performant). Le coureur sur un stade sera essoufflé, épuisé à la ligne d’arrivée. Le spectateur verra surtout la fuite en avant et la fin de la course, et même l’athlète ne se souviendra pas de sa vitesse mais surtout de son forcing. Par contre le promeneur sur une même distance aura à l’arrivée sa réserve d’air dans les poumons et pourra continuer sa route s’il le veut. C’est là je pense que nous ne sommes pas tous de la même vitesse : c’est comme les cours d’eau, les rapides et les lents, il y a pour les humains cette nuance. Lors d’un ralenti, il y a entrave quelque part, il me semble.

Quelle superbe peut-on voir lors d’un film au ralenti, dans les mouvements musculaires d’un athlète dans l’ultime effort avant la ligne d’arrivé, de même ceux d’un cheval en plein galop.

Cette merveille due à la vitesse, l’œil ne peut la voir lors de leur déplacement dans l’air. Le ralenti est de nature irréelle à mon sens, et le ralenti je l’associe à la lenteur.

La vitesse est en rapport avec la réalité de notre vie, la lenteur est un incident de parcours, qu’il soit positif ou non .Comme si on fait un faux pas par une fausse note dans le rythme de la valse du temps.

Cette valse à trois temps est celle que propose Jacques Lacan :

Un temps pour tout voir.

L’instant pour comprendre.

Le moment pour conclure.

Anne-Marie

La lenteur profonde

Vitesse et lenteur sont des notions constitutives du rapport au temps. La vitesse est, d’un point de vue scientifique, un rapport mathématique entre l’espace et le temps : 60km à l’heure. On va d’autant plus vite qu’on parcourt plus d’espace dans le même temps, ou le même espace dans un moindre temps. C’est aussi la promptitude, la capacité à accomplir une action en peu de temps (terme ici aussi relatif, car c’est en comparaison par rapport à d’autres, jugés plus lents). Le temps dont il est question est ici le temps objectif, comme grandeur quantifiable. Car le temps subjectif, psychologique, peut passer très vite avec l’intérêt, et lentement avec l’ennui, alors que le temps objectivement mesuré est le même. Relativité encore : vite ou lent par rapport à quoi, à qui, et surtout par rapport à quelles valeurs (la valeur non comme variable objective, mais comme principe éthique) ?

La modernité fait de la vitesse objective (le moindre temps passé à…) un impératif catégorique: « Vite », et surtout « Vite et bien », c’est-à-dire techniquement efficace, professionnellement performant, économiquement rentable. Et la lenteur apparaît comme un handicap : pas assez de rapidité, de vivacité, d’intelligence, de travail… Le temps étant de l’argent, la vitesse rapporte : elle est devenue une valeur, au sens marchand du terme. Et dans une modernité où les distances et le temps se sont raccourcies, c’est le rythme de vie tout entier qui en est transformé : « Dépêche- toi ». Pour être à l’heure du transport, de la copie rendue à l’école, du travail (ponctualité), du déjeuner, du rendez-vous…

Toujours se presser, être sous pression pour être à l’heure, finir à l’heure, ne pas perdre de temps, gagner du temps, tenir les temps. Difficile dans ces conditions de travail et de vie ne pas s’essouffler, de ne pas se stresser, d’aller « à son propre rythme », quand on court sans cesse après le temps pour ne pas être « dépassé », ou arriver le premier, c’est-à-dire dépasser les autres. Le problème de santé physique et psychique, d’équilibre, de « bonheur » est alors, face à la précipitation, de savoir ralentir quand c’est nécessaire.

Mais à le vouloir, encore faut-il le pouvoir, face aux contraintes externes de production, de compétition. Ou quand la vitesse est devenue une addiction, une ivresse dans l’emballement du désir, une fuite en avant dans l’hyperactivité (figure du « divertissement pascalien », qui évite le face à face avec soi et son propre vide) ; ou une prise de risque, dans le sport qui donne le goût de l’intensité de la vie dans le « dépassement » et le record, dans la voiture où l’accélération flirte avec la mort. « De plus en plus vite » : la vitesse comme jouissance, figure de l’extrême, mise en jeu (je) de ma vie.

Eloge du ralentissement donc. Non la lenteur qui désoriente, voire déprime, en cas « d’arrêt » maladie, de repos forcé, de retraite. Car il y a une lenteur amorphe, statique, aboulique, ennuyeuse, mélancolique, qui met de la mort dans la vie : du surplace qui piétine, de la marche trop lente qui fatigue, voire du retour en arrière (régression). Mieux vaut alors un rythme soutenu, qui dynamise, énergétise, surfe sur l’élan vital sans épuiser, alimente et circule en continu par sa tonicité (le « bon stress ») ; ou alors des alternances de rythme, avec des accélérations à bon escient, à l’image du second souffle, pour trouver le bon tempo, celui qui irrigue l’esprit et sonne juste pour un corps vivant.

Mais, quand il le faut, la lenteur choisie contre la vitesse subie : celle de la décompression, de la pause, de la reprise du souffle, de la respiration, du détour, de la rêverie, de la réflexion, de la « patience du concept » (Hegel), de la méditation, de la maturation de l’apprentissage : une lenteur pleine et dense, qui laisse le temps au temps et permet de savourer le présent, de cultiver la présence, de s’ouvrir à l’inattendu, de mûrir sans tirer la plante, marche consciente de son rythme et non course malgré soi, la lenteur profonde, démarche de pensée et sagesse de vie…

Michel

SEANCE n° 8 (10h-12h15) du 13-05-06

SEANCE SUR LA PRESENCE

Répartition des rôles :

- présidente : Anne-Marie ;

- texte préparatoire pour la séance : Michel ;

- synthétiseur : Josiane ;

- animateur et reformulateur : Michel.

  1. Texte préparatoire envoyé : Michel (1/4 h)

La présence

Approches conceptuelles : définitions

1) Dans notre atelier sur le rapport de l’homme au temps, la notion de « présence » nous concerne. Car la présence est un certain rapport au temps, celui du rapport au présent : la présence est un être-au-présent. Il y a une actualité de la présence. Certes il y a une présence du passé (le souvenir), ou du futur (le projet), mais ils ne sont présents qu’en tant que présents, en temps au présent, et non comme passé ou avenir, qui eux ne peuvent n’être encore ou être déjà qu’en tant que rendus présents, présentifiés. La « présence présente » l’est à l’instant même.

Mais la présence n’est pas réductible à l’instant, car la présence peut durer, alors que l’instant cesse. On peut être là maintenant, comme on pouvait y être déjà, ou y être encore si on reste.

2) Car la présence n’est pas seulement un « être-maintenant », dans sa dimension temporelle, elle est un être-là. La présence est aussi spatiale, et d’abord physique. C’est cette consistance qui lui permet de durer. On est là ou pas là, présent ou absent, on peut être acté sur une feuille de présence.

La présence s’affiche donc dans une double dimension, spatiotemporelle. Elle est hic et nunc, ici et maintenant. C’est un certain rapport de l’espace au temps : c’est l’être-là-à-ce-moment. La présence est circonstantielle, contingente : on aurait pu être (par exemple naître) ailleurs et à un autre moment (sauf dans un strict déterminisme). Elle s’affirme dans la dialectique de l’apparition/disparition, de l’arrivée et du départ, du bonjour et du au revoir, dramatique dans l’absentification radicale de l’adieu (la mort, sauf croyance en une résurrection ou réincarnation, est l’absentification absolue).

Il peut y avoir cependant présence physique sans présence mentale (la perte de conscience, l’élève qui fait « acte de présence » mais rêve, est métaphoriquement par rapport à l’ici spatial « ailleurs »).

3) Être là maintenant est une modalité d’être, de l’être, pour ce qui est. Car l’être par définition est : il est donc présence, par rapport à ce qui n’est pas (la figure radicale de l’absence est le non-être, le néant). Mais l’absence ne peut être réduite au néant : car si elle est un « n’être pas là », cela ne veut pas forcément dire qu’il y ait non existence, car il peut seulement y avoir une présence absente (ex : quelqu’un qui n’est pas là maintenant).

La présence manifeste donc de l’être : elle est toujours présence de, présence de quelque chose ou de quelqu’un, d’une personne ou d’un objet. Elle est épiphanie, manifestation d’un monde avec ses étants (les êtres). Elle introduit de la singularité et de la multiplicité dans le monde. Elle n’est pas forcément présence à soi : un objet ne sait pas qu’il existe, ni qu’il existe d’autres objets. Un homme conscient oui : la conscience est la condition de possibilité de la présence à soi, et un certain rapport de la présence au monde, de l’être-au-monde de l’humain. Dans cette façon de se mettre en relation avec le non moi, ou le moi comme soi, elle introduit une extériorité, un dehors, une différence.

4) Cette altérité de la présence s’affirme pour l’homme dans l’être-perçu, avec l’évidence de la sensation (ça existe puisque je le vois, la présence s’impose à moi, elle a les apparences d’une résistance du réel) et la tromperie de l’illusion (la présence qui se fait à tort passer pour réelle).

La version faible de la présence perçue est la neutralité sensorielle, l’indifférence émotive ou affective (le vu sans être regardé, l’entendu sans être écouté, la fadeur sans sucre ou sel, l’inodore, ou le contact anesthésié). La version forte pour le percevant est l’attention, la concentration, une réelle présence à : au monde (observation), à autrui (écouter vraiment, être attentionné), à Dieu (la prière), à soi (processus de relaxation physique, effort de mémoire), à sa pensée (travailler un objet de réflexion). Quelle est de ce point de vue la « présence à » dans « l’attention flottante » du psychanalyste, ou dans la méditation du bouddhiste ?

La version forte pour le perçu est la personne qui « a de la présence », c’est-à-dire dégage une énergie, une force, qui impose sa personnalité comme auteur de sa façon d’être, acteur de ses actes (artiste qui crève « naturellement » l’écran ou la scène, grand communicant, charisme du leader qui sait se mettre en scène…).

Problèmes posés à l’homme

Quels problèmes pose à l’homme la présence ? Et en particulier dans son rapport au temps, thème de notre réflexion.

- « Comment vivre sa présence au monde ? » est certainement la plus fondamentale pour l’homme, car elle met en jeu le sens de sa (la) vie (et de sa/la mort), la question du bonheur (Comment vivre bien ?), et convoque l’éthique (Comment vivre une vie bonne ?)

- Si la présence, c’est « être là maintenant », l’idéal (pour être heureux ou/et vertueux), est-ce de vivre le plus possible dans la présence (présence au monde, aux autres, à soi), chercher (ou consentir à) la présence à… ? Ou au contraire de tenter d’échapper à la pesanteur de la présence qui me cantonne à la contingence, l’immanence, à ce qui est, alors que tant de choses pourraient être (par le projet, le rêve, la création…), qui ne sont plus ou ne sont pas encore ?

- Comment être présent à soi ? Serait-ce coïncider avec soi ? Est-ce possible, comme dans les tentatives d’authenticité au niveau psychologique, de sincérité au niveau moral ? Et serait-ce d’ailleurs souhaitable ?

- Enfin si la présence, c’est la perception d’un être (l’être perçu), comment être sûr de la réalité de cette apparente présence, et en quoi consiste-t-elle ? C’est le problème de la connaissance qui est alors posé (Que puis-je connaître de la présence de… ?).

Michel 13-05-06

2) Tour de table de départ

3) Discussion (3/4 d’heure) : synthèse de

Pause

4) Ecriture à partir de la discussion (1/4 d’heure)

5) Lecture des textes avec droit de passer son tour (1/4 d’heure)

6) Evaluation de la séance (1/4 d’heure)

SEANCE n° 9 (10h-12h15) du 10-06-06

(15 participants)

SEANCE D’EVALUATION

Répartition des rôles :

- président : Gérard ;

- secrétaire de séance : Marcelle ;

- animateur et reformulateur : Michel.

Informations sur les prochaines séances des cafés-philo de Malpas (un samedi par mois) et Narbonne (un lundi par mois), du Printemps des Universités populaires à Lyon les 22, 23 et 24 juin.

Karine Lopez, qui a participé à toutes les séances cette année, a terminé un très intéressant master Conseil et Formation à Montpellier 3 (Direction M. Tozzi) sur Apprendre à philosopher dans les Universités populaires. Il circulera l’an prochain dans le groupe.

Partie 1 de la séance

1) Où en suis-je de ma réflexion sur le temps au bout de x séances (de 2ans et 17 séances à quelques unes)? (10’)

2) Tour de table de lecture des textes avec droit de joker. (15’)

3) Réactions au tour de table et discussion. (30’)

Quelques idées issues des textes :

- Allier le carpe diem au kairos !

- Il y a un conflit des temporalités : le temps de la police n’est pas celui de la justice. Le temps d’une élection est trop court pour des réformes profondes.

- Gérer le temps des autres est une forme de pouvoir absolu. Le CPE un emploi jetable, le CDI un emploi durable. Le lundi de Pentecôte a été perçu comme un impôt temporel.

- A regarder passer les gens dans la rue, on voit qu’ils sont dans des temps différents. Idem pour les collègues au travail, les enfants/adolescents/vieux, les malades/bien portants…

Il y a aussi différents rythmes individuels, et leur coexistence engendre dans la vie privée et publique des conflits (dépêche-toi/pas si vite). Il peut y avoir aussi déphasage des temps individuel/collectif. On peut souffrir de l’absence de synchronisation, et aussi tenter de se synchroniser (ex : le temps de l’écoute où l’autre prend le temps de se dire). Il y a aussi des temps sociaux différents : temps de l’agriculture et de l’industrie.

- On a envie de retenir le temps, et il nous pousse : pour aller où ?

- Vais-je vers l’avenir, ou l’avenir vient-il vers moi ?

- Que signifie « regarder le temps qui passe ? ».

- Le bonheur : arrêter le temps et vivre enfin un instant…

- Devenir vieux mentalement, c’est ne plus vivre que dans le passé, jusqu’à ne plus vivre le présent : avenir bouché, nostalgie de l’avant ?

- La pierre est dans le temps, nous sommes temps. Le temps comme miroir de la matière sur elle-même…

- On ne peut penser le temps que par référence à l’éternité, au non ou hors temps.

- On s’aimerait, homme mortel, éternel. Mais qu’est-ce l’éternité ? Et Dieu qui se fait homme donc temps? L’incarnation du Christ, mythe ou réalité, crée de la résurrection, une manière de ne pas mourir…

Partie II de la séance

Régulation des deux ans de travail et propositions pour la suite à partir des questions ci-dessous :

Petit questionnaire (voir réponses en annexe)

1) Qu’est-ce que j’attends de l’atelier de philosophie pour adultes de l’UPS ?

2) Quelles propositions pour l’an prochain ?

- Sur le contenu ?

a) Je voudrais continuer sur le rapport de l’homme au temps, et approfondir les notions, thèmes ou questions relatives au temps ci-dessous :

b) Je voudrais changer de thème et voilà la (les) notion(s) ou question(s) qui m’intéresserai(en)t :

- Sur la forme de l’atelier ?

Propositions pour l’an prochain

(Cette année, nous avons privilégié la formule : introduction par un participant, discussion, écriture, lecture (avec joker) de son écrit, régulation de la séance ; l’an dernier il y avait des textes de philosophes) :

- Il ressort des interventions que la majorité du groupe souhaite continuer sur le temps une troisième année, au moins quelques séances.

- Les thèmes à creuser qui reviennent : le retard (Romain proposera une introduction le 7 octobre 2006) ; la notion de rythme (individuel et collectif) ; comment se dit le temps dans la langue, les verbes (Francis veut bien y réfléchir pour décembre) ? Le temps dans ses dimensions économiques et politiques. Sont évoqués aussi : l’usure, le jetable et le durable ; le péché originel, l’origine, l’immatérialité du temps, le temps et les conflits humains, le projet, temps animal/temps humain, la mode, l’actualité, la modernité, le temps dans la religion, l’éternité, le temps et les philosophes, le destin, décadence et progrès, patience/impatience, l’attente, regret/remords/repentir, anticiper/programmer/planifier, mourir, le développement durable…

- Il est aussi proposé un rapport à l’altérité extérieur au groupe : court(s) texte(s) de philosophes, philosophes contemporains, un résumé des conceptions de 2 ou 3 conceptions du temps chez des philosophes, le résumé d’un livre par un participant, l’invitation d’un philosophe, le ciblage d’une séance sur un philosophe…

- D’autres thèmes sont proposés pour la suite : vérité, justice, responsabilité, globalisation et démocratie, influence des médias, image/imagination/imaginaire, mémoire, vie bonne, bonheur, connerie, conscience, espace/territoire, écriture, langage et subjectivation…

Et un sujet de son choix traité par un participant.

ANNEXES

TEXTES DE PARTICIPANTS A L’ATELIER

  1. Sur le temps

- Le temps est difficile à conceptualiser.

Le concept a besoin de clarté cognitive : et le temps nous est opaque, à commencer par celui de l’inconscient. La notion nous échappe, parce que la chose ( ?) se dérobe.

Le concept a besoin d’unité. Et le temps s’éparpille dans la multiplicité de ses dimensions et champs d’application : passé/présent/avenir ; temps subjectif/temps objectif ; temps individuel/temps collectif ; temps personnel/temps social, privé/public ; temps de la famille, de l’école, du travail, du loisir, de la retraite ; temps de l’enfance/adolescence/maturité/vieillesse ; temps de la matière, de la vie (biologique), de la conscience (psychologique, spirituel).

Le concept rationnel a besoin de cohérence, et l’appréhension du temps est contradictoire : flèche et cercle, avant et après, dehors et dedans, contrainte et ressource, subi et choisi, naissance et mort, vite et lent, éphémère et qui n’en finit plus, généreux et avare, l’être temps et l’avoir, relatif et absolu, subjectif et cadre commun, souffrance et bonheur etc.

- Le temps est complexe à vivre.

Il colle à l’être et l’existence, dimension essentielle et existentielle de la vie.

Comme la vie, c’est paradoxalement son caractère tragique qui en fait tout le prix

Michel

2) Sur les attentes vis-à-vis d’un atelier de philo pour adultes de l’Université populaire (après pour certains deux ans d’expérience)

Qu’est-ce que j’attends d’un atelier d’écriture philosophique ?

J’attends :

  • que l’atelier me pose des questions.
  • De pouvoir synthétiser et exprimer une opinion philosophique personnelle.
  • Un échange d’idées qui éclaire mes questions et m’ouvre des portes à la pensée humaine, à ma pensée personnelle. De trouver ensemble.
  • Un enrichissement personnel à travers les différents points de vue des autres participants. Questionner et mettre en doute mes propres points de vue. A travers l’hétérogénéité des âges, j’espère nourrir mes idées des autres.
  • Un lieu de travail commun, la rencontre avec l’altérité de chacun d’entre nous, qui me (et nous) permet d’élargir ma (et notre) pensée. Le tout dans la bonne humeur.
  • J’apprécie la rencontre de sensibilités et de croyances différentes ; la qualité de l’écoute, de la présence à l’autre ; apprendre à maîtriser ma pensée ; comment tirer la quintessence d’un texte philosophique.
  • J’ai trouvé ce que nous avons fait cette année très satisfaisant : introductions consistantes et débats. La possibilité de se confronter soi-même à la tâche de faire un exposé est très stimulante. Le temps d’écriture est très important. Stimuler sa pensée grâce à celle des autres.
  • La possibilité, à partir d’un thème, de se construire une pensée propre, un matériau pour comprendre et aborder les problèmes du monde actuel. Trouver ensemble des définitions, des postures qui s’enrichissent mutuellement. Trouver une parole publique.
  • Être moins con. Profiter de l’expérience et de la réflexion des autres pour l’objectif suscité. Apprendre à me détacher du contingent. M’ouvrir à des modes de pensée qui me sont étrangers. Se forger une opinion, apprendre à construire des arguments pertinents.
  • Des apports conceptuels. Des échanges d’idées et d’expérience ; de vécus. Des « habitudes de pensée philosophiques ». Une mise à distance d’idées toutes faites, de positions très affectives. De nouveaux questionnements et quelques réponses.
  • Qu’il me permette de découvrir et de conceptualiser ce que j’ai dans mon fors intérieur. Découverte par une sorte d’accouchement de ma pensée. Conceptualiser en découvrant l’histoire de la philosophie. La philo n’est-elle pas la critique de la pensée par elle-même ?
  • Développer mon sens critique, d’observation et de réflexion. Mettre en rapport différents points de vue. Interroger et attendre des réponses. Enrichir mes insuffisances sur le temps. Et en sciences philosophiques.
  • Approfondir et mettre en commun des réflexions philosophiques permettant, lors de débats, de faire émerger des notions communes, nouvelles ou contradictoires, avec comme fil conducteur un concept et différents thèmes s’y rapportant.
  • Eveiller mon sens philosophique afin d’éclairer de nouvelles facettes de mon vécu (cubisme). Contre-balancer l’étonnement philosophique (la prise de conscience) par l’attachement aux choses et aux êtres.

D’être une parenthèse : le seul endroit où on pose des questions que la vie courante évacue systématiquement, où on peut parler plus de dix minutes de la même question, sans être tenu par un impératif de décision ou d’action, où la contrainte d’écrire n’aboutit à aucune publication et aucun diplôme, où on n’est ni complètement lecteur ni complètement auteur, ni élève ni professeur. Simplement en éveil, face aux autres, avec les autres, avec l’a priori de la possibilité du désaccord, et l’a priori de la stabilité relative du groupe malgré les désaccords…

Bruno

J’aime les moments de lecture d’où jaillissent parfois des instants d’écritures intellectuelles ou poétiques qui ont été vraiment habités par leurs auteurs. J’apprécie ces instants quand les discussions ou pensées de chacun se déploient avec habileté pour comprendre, questionner et tirer sans cesse vers la lumière des paroles toujours trop recroquevillées dans leurs labyrinthes.

Peut-être j’attends, comme Godot, un instant d’où surgirait, telle une image virtuelle, cet objet philosophique, fruit de notre travail de réflexion, modelé par les entrelacs d’une polyphonie de pensées, et par la pensée d’auteurs convoqués au cours de la discussion. J’attends d’avoir une sorte de sensation, un « je ne sais quoi » qui semblerait être l’émanation de ceux que certains appelleraient : un objet de pensée, d’autres diraient une idée ou une vérité, d’autres appelleraient cela une construction.

Alain

Le point de vue de l’animateur

J’attends d’un atelier qui se dit et veut « philosophique » (et non par exemple littéraire, psychologique, citoyen etc.) un travail à visée spécifiquement philosophique, c’est-à-dire un type de réflexion :

  • qui formule des questions essentielles pour la condition humaine, s’enracinant dans des enjeux à la fois personnellement existentiels et humainement déterminants, pour construire le(s) problème(s) qui se pose(nt) à l’homme à travers cette question ;
  • qui tente de conceptualiser les notions dont on a réflexivement besoin pour poser ou résoudre le(s) problème(s) posé(s), en faisant les distinctions conceptuelles nécessaires, en déterminant le sens de ces notions, parce que l’on ne peut philosophiquement penser qu’avec les mots d’une langue naturelle ;
  • et enfin qui essaye d’argumenter rationnellement les tentatives de réponses à ces questions, en examinant ce qui peut les fonder, ou déconstruire les objections soulevées.

2) J’attends aussi que la dynamique de cet atelier construise une véritable communauté de recherche, à l’éthique communicationnelle, une réflexion collective, et me confronte constructivement à l’altérité incarnée. Car seul autrui, dans sa singularité, sa radicale différence, peut me surprendre vraiment, me déplacer cognitivement, m’enrichir de son expérience et de sa réflexion, et m’amener à une « pensée élargie » (Kant).

3) J’attends, pour que cette réflexion commune soit philosophique, que le vécu de chacun témoigne de l’enracinement de sa vision du monde dans le concret de son expérience, et qu’il illustre aussi ses idées ; mais aussi que ce vécu soit dépassé dans sa contingence et sa limitation par une réflexion plus générale et abstraite, passant de l’affect (ou de la métaphore) au concept, sur le registre de la rationalité.

4) J’attends enfin que soient privilégiées les modalités de fonctionnement qui favorisent l’expression et la confrontation des idées pour faire émerger une pensée réflexive. Je pense notamment – mais à l’atelier d’expérimenter de nouvelles formes, et de faire preuve d’innovation -, à l’utilisation et à la combinaison :

- d’introductions préparées qui, sous forme d’apports préalables, amènent au groupe des éléments de problématique, qui donnent d’emblée un certain recul et une certaine hauteur à la réflexion qui va s’engager ;

- ou/et de courts extraits d’auteurs (philosophes, ou poètes, romanciers, artistes…), qui amènent au groupe une altérité autre que celle du groupe, puisée au patrimoine de l’humanité ;

- de moments d’écriture (suivi de leur lecture), car la mise en mots de sa pensée dans la solitude devant la page blanche permet, avec la cohérence et la cohésion des processus rédactionnels, de formuler ce que l’on pense de façon plus précise et rigoureuse, de poser sa pensée, et de revenir, sur le moment et ultérieurement, sur sa trace.

- de discussions sur les questions, les notions et les arguments en jeu, appuyées ou non sur les éléments introductifs ou patrimoniaux, et les textes produits par les participants.

Le tact dans la préparation et le choix des textes, c’est que tout membre du groupe puisse comprendre ce qui est dit sans besoin d’une quelconque érudition : souci à la fois démocratique (pour éviter les effets de « distinction »), et pédagogique (langage adapté, vérification de la compréhension).

L’atelier de philosophie est un travail de la pensée, une jouissance aussi de ce travail, car il y a un plaisir de penser, et aussi un plaisir de penser collectivement, partagé au sein d’un « intellectuel collectif ».

La convivialité, toujours appréciable dans les relations humaines, doit y être cultivée, mais jamais au détriment de la qualité et des exigences de la réflexion.

Michel

1 « Être dans le vent : une ambition de feuille morte… » (Gustave THIBON).

« Être dans le vent, c’est avoir le destin des feuilles mortes » (Jean GUITTON).

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