Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Atelier de philosophie pour adultes de l’Université Populaire de Perpignan (2006-2007)

Les six séances de la première année de l’Atelier de philosophie pour adultes de l’Université Populaire de Perpignan, sur le thème de la précarité

Janvier à juin 2007

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Cycle sur la précarité (1er année)

Séance 1 du 27-01-07

(26 participants)

Animateur : Michel Tozzi

Président de séance : Romain Jalabert

Secrétaire de séance : Marcelle Tozzi

1) Présentation de l’atelier : la précarité dans notre existence

A la définir comme un état de fragilité dans lequel l’avenir, la durée et la stabilité ne sont pas assurés, la précarité et le sentiment qui s’y rapporte semblent se répandre dans notre société : de la précarité la plus médiatisée (l’insécurité face à la délinquance) à celle collectivement combattue par ceux qui la subissent (la précarité face à l’emploi – voir le récent mouvement des jeunes contre le CPE) ; en passant par d’autres formes individuelles et quotidiennes (la précarité des relations humaines et affectives – dans le couple par exemple), ou plus générales (l’avenir de nos retraites, les menaces écologiques face à la pollution et à l’effet de serre, la prolifération du nucléaire, …) ; jusqu’à la précarité la plus fondamentale, celle devant la mort, plus ressentie dans une société individualiste où la fin du monde, c’est ma propre mort !

Quel est le sens du sentiment de précarité pour l’homme, pourquoi devient-il aussi pesant dans la modernité ? Peut-on y faire face ?

Nous tenterons une approche philosophique, plus que psychologique, sociologique ou économique, du sens de la question de la précarité dans notre existence, aux différents niveaux évoqués plus haut.

Dates : les samedis 27 janvier, 10 février, 10 mars, 7 avril, 12 mai, 9 juin 2007, de 10h à 12h.

Lieu : annexe de l’Ecole des Beaux-arts (en face de l’école), rue Foch, Perpignan.

Animateur : Michel Tozzi, professeur des universités à Montpellier 3, directeur du CERFEE (Centre de Recherche sur la formation, l’éducation et l’enseignement), animateur de l’atelier de philosophie pour adultes de l’Université Populaire de Narbonne, et du Café Philo de Narbonne.

Méthode : les séances alterneront des apports accessibles à tous, des discussions entre participants, des moments brefs d’écriture personnelle et de lecture de textes. Aucun niveau préalable n’est requis, l’expérience personnelle et la réflexion rigoureuse de chacun suffisant à aborder les sujets abordés. La culture n’aura de sens qu’au service d’un groupe en recherche.

Les coanimateurs de l’atelier ne se placeront pas en position d’experts philosophiques, mais de facilitateurs et d’accompagnateurs d’une réflexion individuelle et collective en atelier.

Il est souhaitable de suivre le cycle en continu pour constituer un groupe permanent de réflexion, mais on peut suivre ponctuellement une séance.

2) PROGRAMME

Exploration des notions associées à la précarité, et questions que celle-ci pose à l’homme :

- Samedi 27 janvier, de 10h à 12h.

I) La précarité au niveau individuel.

A) La précarité existentielle (accident, vieillissement, maladie, mort…) :

- Samedi 10 février, de 10h à 12h.

B) La précarité affective dans les relations interpersonnelles, notamment le couple moderne :

- Samedi 10 mars, de 10h à 12h.

II) De la précarité individuelle à la précarité collective.

A) La précarité sociale (chômage, logement, prestations sociales, retraites etc.) :

- Samedi 7 avril, de 10h à 12h.

B) La précarité de l’espèce (« malbouffe », pollution, effet de serre, virus, clonage…) :

- Samedi 12 mai, de 10h à 12h.

Premières conclusions et propositions pour 2007-2008 :

- Samedi 9 juin, de 10h à 12h.

3) Exploration des notions liées à la précarité

Réfléchir sur la précarité, c’est une exigence de rigueur, implique de savoir de quoi l’on va parler, et ce que l’on va penser : d’abord donc définir le terme (on dit en philosophie conceptualiser). Mais pas en regardant le dictionnaire (on fait là du français) ; en travaillant sur sa conception première pour l’interroger et la faire évoluer, notamment par la confrontation aux autres.

« Précarité » est un mot du langage courant, très connoté aujourd’hui socialement, économiquement, politiquement, et plus fondamentalement existentiellement. Ce mot est une idée générale et abstraite (on dit en philosophie une notion). Qu’y mettons-nous chacun dessous ? Pour le savoir, faisons émerger nos représentations (on dit en philosophie opinions) de la notion. On peut chercher des synonymes, des mots opposés, des mots associés à la notion (pensée associative, qu’il faudra rendre progressivement plus conceptuelle).

D’une réflexion individuelle puis d’une mise en commun arrivent nos mots pour « dire » la précarité :

- Beaucoup de mots négatifs : Chômage, Pauvreté, Minima sociaux, Survivre, Misère, Au jour le jour, Privation, Mort lente, Morbidité, Souffrance, Désespoir, Fragilité, Vulnérabilité, Impermanence, Risque, Incertitude, Insécurité, Inquiétude, Instabilité, Avenir ?, Imprévisibilité, Non projet, Inéluctable, Menace, Soumission, Peur, Domination, Aliénation, Exclusion, Asocialisation, Désocialisation, Acculturation, Individualisme, Enfermement, Incompréhension, Perte de sens, Misère socioculturelle, Incompétence…

- Et des mots plutôt positifs : Autonomie, Adaptabilité, Système D, Stimulation, Assurance, Certitude, Force, Richesse, Temps libre, Opportunités, Fantaisie, Liberté, Dignité, Responsabilité, Combat, Révolution, Entraide, Partage, Protection, Lien social…

- Et Politique, Education, Religion…

Comment tressons-nous, tissons-nous, avec nos mots et ceux des autres, le champ notionnel de la précarité, sa trame conceptuelle (les notions dont nous avons besoin, et leurs relations entre elles, pour penser la notion de précarité)? Le travail est à faire par chacun d’entre-nous…

4) Premières définitions

Sur la base de cet exercice d’association d’idées, voilà les premières définitions qui ont été proposées par les participants. Définition de premier jet à conserver par chacun, pour voir si elle va évoluer au cours des séances, l’objectif étant de la complexifier. On peut les classer un peu arbitrairement dans trois catégories, bien que certaines fassent sans doute allusion à plusieurs plans à la fois. La précarité y apparaît le plus souvent comme quelque chose qui est à la fois douloureux et subi.

- Définitions très générales :

Déstabilisation qui vient fragiliser.

Incertitude menaçante et risquée.

- Approche existentielle

Inconnues et risques inhérents à la vie.

Etat de survie empêchant tout projet.

Fragilité liée à la condition humaine, plus ou moins accentuée dans un groupe social.

Impossibilité de construire un avenir.

Incertitude du lendemain dans un monde de plus en plus incertain.

- Approche socio-politique

Négation de l’individu.

La précarité, c’est la perte de la parole.

Processus politique qui nie la personne humaine.

Insécurité financière mais non mort sociale.

Se situer en dehors du système.

  1. Questionnements

Si on veut réfléchir à une notion qui tente de dire et penser le réel, il faut non seulement travailler sa représentation spontanée, mais explorer les questions qu’elle nous pose, puis s’attaquer à chaque question pour la problématiser : élaborer un des problèmes qu’elle soulève. Problema en grec : difficulté (à penser le réel, derrière la notion).

Voilà les questions formulées par les participants à propos de cette notion de précarité. Elles esquissent des pistes possibles de réflexion, des problématiques à construire…

Sentiment et état de précarité sont-ils universels ? Il y a-t-il des différences dans le temps et dans l’espace ?

- La précarité est-elle inhérente à l’espèce humaine ? Est-elle liée au processus de survie de l’espèce ?

- Qu’est-ce que la précarité occidentale par rapport à la précarité dans d’autres cultures ?

- Les hommes préhistoriques vivaient-ils mieux la précarité que nous ?

- Ne sommes-nous pas tous en situation de précarité ?

- La précarité serait-elle inévitable dans le contexte actuel ?

- La somme des précarités individuelles fait-elle une société précaire ?

Quel est le vécu de la précarité ?

- L’individu a-t-il conscience et comment de son état de précarité ?

- La précarité ne serait-elle pas subjective ?

- Comment voir s’il y a un chemin derrière le mur ?

S’accommoder au mieux de la précarité !

- Est-on condamné à la précarité ?

- Quel travail sur soi pour vivre avec ce sentiment ?

- Peut-on espérer qu’il y ait une réversibilité des conséquences de la précarité ?

- Comment utiliser la précarité pour en faire un atout ?

- A propos de ma propre précarité, comment en jouir ?

- Serait-il possible de jouir de la précarité des autres ?

- La précarité me freine-t-elle ou me stimule-t-elle ?

Quelles responsabilités : rechercher les causes, rechercher des remèdes.

- Les causes du processus de précarisation ?

- La précarité est-elle liée au processus de survie de l’espèce ?

- Quel lien entre précarité et (in)compétence ?

- La sédentarisation implique-t-elle la précarité ?

- Est-il acceptable qu’un système économico-politique institutionnalise la précarité ?

- Comment s’inscrire dans l’aide aux précaires et dans la lutte contre la précarité ?

- Responsabilité, investissement : comment participer à une relation d’aide ?

- Comment précariser ceux qui sont responsables de la précarité ?

Ces questions ouvrent des investigations que nous allons parcourir.

Université Populaire de Perpignan

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Séance 2 du 10-02-07

La précarité existentielle

(36 participants)

Animateur : Michel

Présidente de séance : Marcelle

Secrétaire de séance : Jacky

  1. Introduction par Michel : miettes philosophiques
  • Définition de la précarité.

PRECARITE : “ Situation dans laquelle l’avenir, la durée, la stabilité ne sont pas assurés ”. Etymologiquement du latin precarius : “ Qui s‘obtient par la prière ” (de preces, la prière). On voit que l’on signifie par là quelque chose qui dépend de la volonté d’un autre (ici Dieu), qui a pouvoir sur moi.

Autre sens dérivé de celui-ci, issu de l’histoire, et toujours en cours : “ Qui ne s’exerce que par une autorisation révocable ”. Par exemple l’expression “ à titre précaire ” se dit de la détention d’une chose pour le compte d’autrui (le locataire jouit provisoirement d’un bien qui ne lui appartient pas).

- Qu’en est-il alors de la “ précarité existentielle ” ?

C’est celle de la vie, de notre vie, dont on dit et sait qu‘elle est précaire, parce que sa durée n’est pas assurée, mais limitée par les incontournables de l’accident, toujours possible, la maladie, souvent probable, la mort, absolument certaine. Elle a une échéance qui fait brisure, fracture, coupure, une fin, la fin. Un point de butée aveugle (car il est impensable, une limite à notre compréhension, un mystère) : sur la mort, il n’y a de certitude que sur son existence, notre seule certitude objective peut-être (tout être vivant mourra). Mais aucun savoir sur ce qu’elle est, et s’il y a quelque chose après : dire par exemple scientifiquement qu’elle se reconnaît à un électroencéphalogramme plat du cerveau ne nous donne guère de connaissance expérientielle ou philosophique sur elle, et épuise encore moins le sens de notre mort dans notre existence.

Personne (sauf Dieu peut-être, s’il existe), n’est éternel. D’où notre fantasme d’immortalité (les Grecs appelaient les Dieux les Immortels). Et c’est parce que nous ne savons rien sur la mort que nous croyons. La croyance, faute de savoir. Croyance en l’immortalité de l’âme par opposition au corps, à la résurrection ou à la réincarnation… ou qu’il n’y a plus rien pour nous après : encore de la croyance, même chez les athées.

Avenir précaire parce qu’à durée limitée … Mais aussi imprévisible. Malgré le projet, l’intention de planifier par la volonté, de faire serment, de prévoir (par la science ou le marc de café), notre avenir, en tant que conscience et liberté, c’est l’inconnu et le risque. Pensons au bonheur comme état, qui est au cœur de notre désir : mais la vie, la conscience sont temporelles, c’est un flux, une variation, un aléatoire générateur d’incertitude.

D’où cette instabilité qui caractérise notre vie, que nous sentons à la moindre expérience profonde (l’amour, le vieillissement…), vulnérable et fragile : impression quand on ne maîtrise plus sa vie d’un déterminisme, d’un destin : celui du sentiment du tragique de l‘existence (“ Tout homme dès qu’il est né est assez vieux pour mourir ” dit Heidegger ; “ De l’inconvénient d’être né ”). Et aussi, quand prédomine l’élan vital (force néguentropique devant la loi de la dégradation universelle), le sentiment qu’il s’agit pour vivre d’une lutte sans fin : “ struggle for life).

- Devant cette précarité existentielle, comment l’homme peut-il réagir ?

Le suicide par désespoir (courage devant la mort, mais lâcheté devant la vie) ? Le suicide par libre choix de sortir du monde au moment choisi (les stoïciens) ? Chercher à donner un sens à une vie d’homme dans un monde absurde (Camus) ? Faire des enfants pour prolonger sa vie, ou une œuvre artistique ou scientifique, léguée pour sa postérité ? Se consoler dans la religion, en cherchant ici-bas une vie sainte dans l’amour des autres et de Dieu, dans l’espérance d’une vie bienheureuse au-delà ? Rechercher la sagesse philosophique en apprenant à mourir (Socrate), ou à vivre (Spinoza) ; dans un plaisir mesuré (Epicure) ? En acceptant l’ordre du monde (Stoïcien) ou en visant la transformation révolutionnaire du monde (Marx) ?

  1. Synthèse de la séance par Jacky

1) Présentation de l’atelier

Méthode. Rappel du programme annuel et des temps de la séance (voir compte rendu précédent), qui verront se succéder :

  • des apports accessibles à tous, livrés à la réflexion des participants (aujourd’hui par Michel Tozzi, professeur des Universités à Montpellier 3, directeur du CERFEE (Centre de recherche sur la formation, l’éducation et l’enseignement), animateur de l’atelier de philosophie pour adultes de l’Université populaire de Narbonne et du café philo de Narbonne ;
  • une réflexion collective à partir de questions posées à tous,
  • et un temps d’écriture et de lecture des écrits pour ceux qui le souhaitent.
  • Un retour sur le fonctionnement mettra un point final à la séance.

L’animateur rappelle la liberté absolue des participants (de venir, de se taire, d’écrire…), mais aussi que l’on va se nourrir des travaux de tous. Les co-animateurs de l’atelier tenteront de faciliter et d’accompagner la réflexion individuelle et collective en atelier.

2) Introduction de la séance

Visite à caractère philosophique de la notion de précarité

A la manière du penseur danois Kierkegaard, M. Tozzi propose à l’appétit des participants « quelques miettes philosophiques » .

L’origine d’un mot est souvent source de lumière : précarité vient de précarius, ce qui s’obtient par la prière : cela dépend donc de la volonté de l’autre, de son pouvoir sur moi; toutefois, par la prière il me reste la possibilité d’influencer. Cette précarité, dans certains cas, ne s’exerce que grâce à une autorisation révocable (cf. le terme juridique « à titre précaire ») et souligne le caractère de détention d’une chose pour le compte d’autrui.

La précarité existentielle suppose que la durée n’est pas assurée, que l’avenir est incertain, qu’on ne peut envisager une quelconque stabilité ; il faut regarder l’échéance, se résoudre à la mortalité biologique.

Beaucoup de fantasmes vont naître de ce constat, d’autant que la croyance commence là où le savoir s’arrête. Mais comment assumer la mort ?

Camus l’exprime par l’absurde, M. Conche en évoque la mise en scène : « Il faut nous efforcer de rendre notre mort tragique à nos yeux, pour que notre vie prenne du sens ». Cette imprévisibilité inquiète et l’homme a inventé, s’est inventé, des parades : prévisions, projets, pronostics… pour faire face. Pour certains, cette imprévisibilité est trop lourde à porter : alors le fatalisme les guette ; d’autres gardent l’espoir de prolonger la vie en donnant la vie, d’autres encore, instables, ont du mal à trouver leur place entre l’infiniment grand et l’infiniment petit.

Accablé par le destin, l’homme se donne des valeurs, s’invente des manières de se souvenir (cimetière..), lutte contre la néguentropie (processus de dégradation), organise la lutte pour faire reculer la mort. Bergson parle de l’élan vital, Nietzsche de volonté de puissance, du désir de survie. Kierkegaard nous dit que « la liberté est au fond du désespoir ».

Face à l’absurdité de la fin, quelles sont les stratégies adoptées pour faire face ? Camus propose : «La vie n’a aucun sens, donnez-lui en un ! ». La philosophie est-elle une consolation ? Une invitation au bonheur (qui exclut la tristesse) ou à la joie (plus profondément humaine, car elle intègre la tristesse). Le stoïcien propose de changer la façon de voir les choses, puisque l’on ne peut les changer.

Questions posées comme invitation au débat.

  • Quel est le sens de la précarité de l’homme ? Quelle couleur cela don- ne-t-il à notre existence ?
  • Comment faisons-nous face à cette précarité existentielle ?

3) Synthèse des réflexions au cours de la discussion (3/4 d’heure) sur :

- le groupe présent : que faisons-nous ici ? Nous avons la chance de confronter nos langages ! Nous sommes des nantis capables de dialoguer : ce n’est pas le cas de tout le monde.

- les questions posées : qu’inclut-on dans existentiel ? Est-ce essentiel ? Comment aborder la lourdeur de la question par la légèreté de la réponse ? Ma précarité est-elle la même que celle du voisin ? Comment peut-on nous même l’observer ? Comment à partir de ressentis différents, peut-on philosopher avec la visée d’universalité ?- – L’homme est un sujet pensant, contrairement aux (autres) animaux : peut-on vivre sans y penser ? Sans penser ? Comment prenons nous conscience de notre précarité?

- Cela dépend des moments, des circonstances : en fin de vie, quand la mort frappe à la porte ? Quand enfant, on prend conscience en même temps de la vie et de la mort ? A cause de difficultés financières ? Mais la précarité matérielle peut aussi rendre la liberté tant espérée ! Quand on donne la vie, que l’on passe le relais ? – Le fait du hasard : on ne choisit pas l’arrivée, mais on peut choisir le départ ; vivre est un accident, la vie n’est-elle pas une « maladie mortelle sexuellement transmissible » ? – Contraste entre les idées avancées : la vie est absurde, pourquoi doit-on lutter pour finalement mourir ? Est ce que cela en vaut la peine ? La vie est un cadeau , une dette ; je me dois de faire fructifier pour moi, pour les autres, ce que l’on m’a donné. La précarité c’est du piment : il faut profiter de cette inconnue.

- La religion comme aide : la religion introduit l’idée de l’âme, de la distinction à faire entre l’âme et le corps ; le corps mourrait main non l’âme. Le bouddhisme parle de l’impermanence et comment s’y préparer. L’au- delà et la promesse d’un autre monde rassure ; la religion comme pour nier la précarité humaine. – L’influence de la modernité : la question de la précarité devient plus douloureuse encore alors que paradoxalement l’espérance de vie des êtres humains augmente ; les média (entre autres) nous rongent petit à petit un peu de notre conscience ; l’épicurisme galopant, le souci permanent de rentabilité, la recherche constante de la performance et cette injonction à la jouissance exercent une forte pression.

Il reste, puisque l’on a trouvé des stratégies pour (sur)vivre, la question du sens ! Pourquoi ne pas transformer cette fin tragique en un acte, qui peut-être beau, pour donner de l’importance à ce que la vie a été ?

4) Régulation de la séance

21 personnes sur 35 ont pris la parole, au moins une fois dans la discussion. C’est un bon indicateur démocratique.

Changer de configuration spatiale, car il y a une très mauvaise acoustique.

Les écrits de participants

La précarité est un sujet tellement grave que je me suis permis de l’aborder avec fantaisie, en quatre idées :

  1. impossibilité de pouvoir conjuguer l’avenir au présent, et ne pas avoir assez d’avenir pour reconjuguer le passé.
  2. Et si c’était ne plus savoir s’émerveiller d’être le vainqueur d’un concours de circonstances?
  3. Quand je dis : « je suis en vie » je suis sûr qu’en écrivant en vie en seul mot (« envie »), je changerai ma perception de ma précarité existentielle.
  4. La précarité de ma pensée, (par la culture par exemple), est le salut de ma précarité existentielle.

Jacky

Supposant élucidée la question de la nature et des causes de la précarité, se posent encore celles du sens qu’elle revêt et celle du comment s’en débrouiller.

Devant les urgences de la vie, on coupe au plus court vers la deuxième de ces questions : il faut assumer, et on assume plus ou moins bien, de gré ou de force. L’atelier de philosophie donne l’opportunité de se poser la première de ces questions, celle qui toujours passe à la trappe : la précarité de notre existence a-t-elle un sens ?

Eh bien sans doute n’en a-t-elle aucun, mais elle est paradoxalement le support de tout sens. C’est ce que Camus dit lorsqu’il parle de l’absurde et de la nécessité de construire du sens. C’est aussi ce que dit Marcel Conche lorsqu’il invite à rendre sa mort tragique. Devant ce trop d’imprévisible, et d’insensé, l’homme, cet être de raison, est poussé à essayer d’organiser l’avenir, de remettre en ordre le passé, de tirer les enseignements des expériences, de découvrir les lois qui régissent les phénomènes, de fractionner le réel pour avoir des îlots d’intelligibilité, d’agir sur les événements, d’avoir des activités créatives, d’établir des liens sociaux. Ce sont donc toutes les activités humaines qui sont mobilisées pour faire contre poids à cette masse d’incertitudes dont n’émerge que la certitude d’une fin.

On peut faire une contre-expérience imaginaire : celle d’une vie qui ne serait pas précaire, d’une vie qui n’aurait pas de terme. Nous serions immortels. Mais dans ce cas, à quoi bon faire ou faire bien ? Nul besoin d’ordre ou de morale, puisqu’il n’y aurait pas la sanction que représente la mort qui peut survenir n’importe quand. Nul besoin non plus de regretter ou d’espérer.

Mais tout aussi dramatique serait aussi la situation où tout serait certain, organisé, planifié, où l’instant de ma mort me serait lui aussi connu.

Marcelle

Université Populaire de Perpignan

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Séance 3 du 10-03-07

(21 participants)

La précarité affective, notamment dans le couple

Animateur : Michel

Introductrice : Marcelle

Président de séance : Jacky

Secrétaire de séance : Romain

  1. Introduction par Marcelle

La précarité affective dans les relations interpersonnelles,

notamment dans le couple moderne

Un état de fait : la “ crise des CDI ”

  • les engagements évoluent vers une plus grande révocabilité que les institutions acceptent et même prévoient : divorces, PACS-DéPACS, plus grand usage des contrats, ce qui signifie que d’entrée de jeu sont prévues les clauses de rupture et la durée déterminée. Le serment, comme engagement à durée indéterminée, n’a plus court.
  • L’allongement de la durée de la vie en est une des explications, car on peut entendre que cela rende probable des changements d’orientation de la vie de chaque partenaire.
  • Un certain affaiblissement de la tradition rend également tout engagement plus instable ; par exemple, le regard de la famille ou de la société, qui était un frein à des ruptures conjugales n’a plus guère d’impact.
  • La crise des croyances religieuses fait que le serment ne se fait plus devant Dieu mais seulement devant des hommes ! Plus devant la société mais devant quelqu’un, et avec peu de contrainte.
  • Enfin la découverte de l’inconscient a ouvert l’ère du soupçon, car l’autre, même s’il est proche, reste non seulement un inconnu, mais aussi un inconnaissable. Il en est de même pour soi, puisqu’une très large part de nos propres désirs nous reste opaque. Nous faisons quotidiennement l’expérience de la surprise de soi et des autres, quelquefois bonne, quelquefois mauvaise.

Mais revenons à l’étymologie de précarité, du latin précarius : qui s’obtient par la prière. Cet aspect là nous met d’emblée dans la dimension de la demande faite à l’autre. La volonté et la décision de l’autre sont prises en compte. Nous arrivons à ce paradoxe que la précarité de la relation affective est aussi le témoignage d’un authentique lien à l’autre. Ceci est bien visible si on se réfère à l’époque du divorce interdit ou mal vu. Les unions persistaient alors que souvent l’amour avait fait place à la haine ou à l’indifférence.

L’aspect éthique de la question

La reconnaissance de la précarité des sentiments et des liens invite à une plus grande attention à soi et aux autres. Cela rend nécessaire un questionnement qui reste ouvert sur son désir et sur le sens de ses engagements, en même temps que sur la prise en compte de la liberté de son partenaire, car aucune institution ne garantit ou n’oblige absolument.

Cette situation n’est pas sans risque, celui de l’insécurité par exemple, ou celui du caprice, car il est bien difficile de se repérer dans un désir qui est largement inconscient. Enfin, la question de la précarité en soulève une autre qui est celle de la confiance, du soupçon, de la défiance vis à vis des autres et de soi-même.

  1. Synthèse de la discussion par Romain

« Je vis avec l’autre à titre précaire. »

A l’heure où quelques-uns (dont le sociologue François Dubet) annoncent « le déclin de l’Institution » (une Institution censée nous aider à statuere, à tenir debout) ; où s’engager et promettre semblent bien loin des esprits et parfois même de portée, n’y a-t-il pas lieu de reconsidérer cette prétendue forme d’insécurité qu’est la précarité des relations affectives ? Qu’est-ce qui peut faire fondement (et donc quelque part garantie) sur cette dialectique de la liberté consciente et du désir inconscient, où rien ne saurait se figer, et où au contraire tout invite à l’évolution et au changement ? Certains disent que seule la rigidité d’un contrat (comme le pacs ou le mariage … mais peut-être aussi un contrat tacite, interne au couple) permet de se sentir protégé, de faire tenir et durer l’union de deux libertés capables (à tout moment) de se dire non. Pour d’autres, c’est cette potentielle rupture qui fait tenir une relation affective dont la précarité semble constitutive. Une précarité inhérente au couple parce qu’inhérente à une nature humaine marquée par l’incertitude et l’aléatoire. Car comment puis-je m’engager et promettre aujourd’hui alors que j’ignore ce que demain je serai ? D’autres n’hésitent pas encore à avancer que seule la rencontre nous plonge dans une précarité affective que nous ignorions jusqu’alors.

Si nous avons pris le soin de proposer de reconsidérer une « prétendue » forme d’insécurité, c’est parce que certaines interventions ont clairement discriminé précarité affective et insécurité, s’efforçant même de faire émerger du positif de ces situations de « fragilité temporaire » et de « douleur » que sont les ruptures affectives. Car s’il y a souvent (inévitablement ?) souffrance et déstructuration, cela peut occasionner une profonde restructuration et se révéler comme facteur d’évolution et de changement. A condition de savoir s’en nourrir, l’imprévisibilité et même la rupture peuvent se muer en véritables sources d’enrichissement.

Au-delà de ces considérations, les participants se sont souciés d’explorer plus encore le rapport au temps et à l’autre qu’impliquent les relations affectives. D’une part parce que les attentes, mais aussi la profondeur de l’engagement, pourraient varier selon l’âge ; selon l’époque également puisque la liberté affective tendrait à devenir de plus en plus aisée (« Avant c’était l’opposé. Il n’y a pas de juste milieu ! »). D’autre part parce que la relation affective engage la liberté mais aussi la responsabilité. Quelque chose de l’ordre de l’éthique, de l’exigence, d’une obligation vis-à-vis de soi comme de l’autre, permettant de dépasser l’affect et sa versatilité.

S’efforçant de prévoir tous les paramètres, le contrat se veut le plus rassurant quant à la pérennité de relations affectives qui ne demeurent pas moins marquées par la précarité. Comment durer dans et malgré cette précarité ? Est-ce souhaitable ? Faut-il nécessairement chercher à être rassuré dans une situation précaire ? Peut-on faire encore aujourd’hui des Choix à Durée Indéterminée (CDI)? Autant d’interrogations posées qui ne trouvent d’autre issue que l’acceptation de ne pas posséder autrui et de ne vivre avec lui qu’à titre précaire … que les noms soient ou ne soient pas gravés au bas d’un parchemin.

ANNEXE

Textes des participants

Précarité affective, notamment dans le couple moderne

J’ai voulu retenir des discussions dans le groupe l’idée que conscience de la précarité affective et engagement ne sont pas forcément antinomiques. Il est même souhaitable qu’ils ne le soient pas, ne serait-ce que pour pouvoir vivre une relation riche sans être obsédé par l’idée d’une rupture possible. On peut prendre en compte l’aspect évolutif d’une relation affective, s’en accommoder de cela, y trouver même une stimulation.

Est-ce que pour autant il faut donner son assentiment de manière inconditionnelle ? Sûrement pas. La question devient alors : « Qu’est-ce qui, rendant la relation insoutenable, justifierait la rupture ? » : l’infidélité, la violence, une conduite immorale, l’extinction des sentiments, d’autres promesses, etc. Qu’est-ce qui fait limite ?

Au delà de ces exemples qui ne sont pas, par ailleurs, forcément rédhibitoires, il semble que la limite se trouve lorsque la marge étroite qui se situe entre le même et l’autre est outrepassée. Le partenaire, ami, amant, époux, est une subtile alchimie de même et d’autre, qui me ressemble et qui me dépayse, connu et inconnu, celui que je reconnais et celui qui me surprend. Le même domine-t-il, et c’est l’ennui ; l’autre prenant le pas, et c’est l’incompréhension, la peur parfois.

Si le principe de ce qui ferait rupture est en théorie assez simple, dans les faits, cela reste compliqué et aléatoire pour plusieurs raisons, qui tiennent d’abord au fait que la perception de l’autre est bien sûr subjective, sujette à variations et toute entachée d’imaginaire ; qu’il en est de même de ce que l’autre peut avoir comme représentation de moi-même.

On n’est pas vraiment sorti de cette auberge peu accueillante de la précarité !

Marcelle

Il fut un temps en France où la relation affective à deux (hétérosexuelle) était institutionnalisée : par le mariage religieux, le couple se constituait pour l’éternité ; par le mariage civil, pour la vie. Car il y allait de la famille, cellule de base de la société. Les institutions religieuses et civiles donnaient un cadre juridique, et par voie de conséquence psychologique, à une relation interpersonnelle qui contraignait (interdiction du divorce, on pouvait même comme femme « être mariée », et non « se » marier), mais aussi protégeait (la femme de l’abandon de son mari, le père rassuré pour sa descendance).

Or on assiste aujourd’hui au « déclin de l’institution » (F. Dubet) : l’institution, ce qui fait « tenir debout » (statuere), et tenir dans le temps, s’est distendue (divorce, union libre) : le couple moderne, réduit aux parents et à leurs enfants, et fondé plus sur des sentiments que des conventions sociales, tend à devenir l’union de deux libres volontés, qui peuvent aussi librement se séparer. Là commence la précarité, constitutive du couple moderne : la non assurance de la stabilité et de la durée.

Cette évolution interroge philosophiquement plusieurs dimensions de notre rapport à autrui et nous-même :

- la liberté individuelle est désormais au centre du couple, avec ses notions de décision à prendre au jour le jour et en cas de crise. Liberté moderne, très individualiste, où je suis au centre de ma vie, dans laquelle j’inclus quelqu’un, au départ choisi. Qu’en est-il des conditions, de l’usage et des effets d’une telle liberté dans le couple moderne ? Pourquoi chercher à vivre en couple, quel est l’horizon d’attente du couple : la satisfaction sexuelle, l’affection mutuelle, la joie d’avoir un enfant, la sécurité affective et matérielle, la sortie de la solitude ?

- Mais si être libre, c’est pouvoir et devoir répondre de ses choix et de ses actes, cette liberté nouvelle, dans un couple relativement « désinstitutionnalisé », engendre une responsabilité éthique très grande (avec de surcroît la culpabilité qu’elle peut engendrer). En quoi peut donc consister ma responsabilité dans le couple vis-à-vis de l’autre (et indirectement vis-à-vis des enfants que nous eûmes en commun), et enfin vis-à-vis de moi-même (qu’en est-il de ma dignité dans cette histoire, de l’image psychologique et éthique de mon moi, de l’estime que je me porte)?

- La problématique de la coexistence de deux libertés : si nos libertés de sujet restent soumises à des contraintes matérielles (le logement, l’argent pour vivre), psychologiques (les aléas de la vie à deux, la quotidienneté, l’attirance vers un autre…), juridiques (obligations diverses, dont l’éducation des enfants, une pension alimentaire) etc., reste qu’à tout moment je peux remettre aujourd’hui en question la viabilité du couple, et rompre. Car dans la relation intersubjective est en jeu ;

- mon désir (partiellement inconscient), qui peut m’aveugler dans l’état amoureux, s’émousser avec le temps, et reste en son fond insatiable, d’où la tentation du changement ;

- mes passions (la jalousie, le ressentiment, la haine…) ;

- ma volonté (faire des efforts, des concessions, ou vouloir en finir), ma raison (m’expliquer les situations, discuter, négocier, gérer intelligemment les crises dans un sauvetage ou une rupture)…

Peut-on esquisser une ontologie du couple : qu’en est-il de l’être du couple en tant que couple, au delà de ses déterminations biologiques, psychologiques et sociales ? Une phénoménologie du couple moderne : la façon d’être dans le couple à l’autre, la façon du couple d’être aux autres, la façon de chaque individu et du couple d’être à soi, dans, par ou malgré le couple ?

- Le rapport de l’homme au temps. C’est la précarité du couple moderne qui interroge : difficulté de s’engager durablement par incapacité de connaître, de se connaître et connaître l’autre ? Impossibilité de (se) prévoir, de prévoir l’autre, et d’anticiper à moyen et long terme (incertitude et imprévisibilité)? Déficit éthique d’engagement, du sens des obligations, de ce qu’exige une parole donnée, un serment : crise de la confiance en soi et en l’autre (liée à la crise des transcendances, notamment religieuse) Doit-on dire que la précarité du couple moderne témoigne d’une liberté acquise et chèrement conquise, ou d’un égocentrisme, voir d’un égoïsme forcené ? D’une angoisse immaîtrisable de l’avenir et d’une défiance généralisée à l’autre le plus proche ? Où d’une adaptation intelligente à un monde aléatoire et incertain qui fait du couple une aventure, de l’imprévisibilité une vertu de surprise, de la méconnaissance une capacité de découvrir sans cesse, de la complexité une construction inventive au jour le jour ? Chacun verra le rose ou le noir à travers sa propre expérience… Mais que dire d’universel sur ces ambivalences de la modernité ?

Michel

Université Populaire de Perpignan

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Séance 4 du 21-04-07

LA PRéCARITé SOCIALE

Animateur : Michel

Introducteur : Michel

Président de séance : Dorothée

Secrétaire de séance : Evelyne

1 / Accueil par Michel

- Accueil des nouveaux participants : rappel des visées de l’atelier, des règles de fonctionnement, du thème d’année, du calendrier ;

- le fonctionnement de l’atelier du 21/04/2007 :

* 1° temps : analyse du texte proposé par Michel (Le flexible et le précaire,

de E. Aujaleu , professeur de philosophie à Montpellier).

* 2° temps : discussion.

* 3° temps : écriture (écrire permet de poser sa pensée).

* 4° temps : lecture des écrits.

* fin de l’atelier : régulation.

- Information sur le 2° printemps des Universités populaires, les 22 juin (à partir de 17h 30) et 23 à Narbonne, le 24 au matin à Perpignan.

2 / Introduction par Michel

2-1/ texte du philosophe Rivarol (en exergue du document « Le flexible et le précaire ») :

- rappel de l’étymologie du mot précaire : « ce qui peut être obtenu par la prière ».

2-2/ lecture et éléments d’analyse du texte d’E. Aujaleu :

1° paragraphe :

- 2 modèles (paradigmes) : la stabilité opposée à la mobilité ; il faudrait se saisir des opportunités, « bougisme » (J.Attali : le nomadisme oblige à s’adapter à de nouveaux milieux ; interpénétration des idées).

Le début du texte d’E.Aujaleu met en lumière l’importance du langage économique dominant. Selon A.Gorz : le travail est un facteur d’insertion ; il a une utilité sociale ; il est l’exercice de compétences, connaissances et capacités, et l’opérationnalisation d’une culture. Le travailleur est un sujet de droit.

2° paragraphe :

- lexique : ontologie : science de l’être ; phénoménologie : la description de l’être (comment est-il en relation avec le monde ?). Déréliction : tragique.

- Dans une approche politique et éthique « …il faut distinguer la précarité « ontologique » (l’homme est mortel) et la précarité « sociale » (qui dépend de l’organisation des hommes) : la seconde ne découle pas de l’autre ! Au contraire, le fait de travailler donne un statut, la sécurité est un droit, et un « élément de l’estime de soi ». La dignité n’a pas de prix, elle ne s’achète pas. Il s’agit d’être reconnu en tant qu’Homme.

3° paragraphe :

-l’identité éthique du moi : amour + respect + estime ;

- l’expérience du mépris (dignité bafouée par l’image que me renvoie l’autre);

- Cf Hegel, la lutte pour la reconnaissance dans la relation dialectique maître-esclave, et la co-dépendance du maître et de l’esclave. L’esclave lutte pour sa reconnaissance par le maître ; ce qui est différent de la subordination, de l’exploitation et de l’aliénation.

- Le mépris provoque une blessure narcissique ; la restauration de la confiance en soi permet de faire l’expérience que l’on est un sujet humain.

Fin du texte :

- certains événements témoignent de la recherche de reconnaissance plus que de revendications;

- mais la lutte pour la reconnaissance ne saurait justifier l’usage de la violence…

3 / Discussion

Lancement par Michel :

La difficulté de cette séance est de rester dans une approche philosophique du concept de précarité sociale, d’envisager le côté éthique et politique (au sens d’une philosophie politique), et de ne pas s’engouffrer immédiatement dans l’économique.

Question : en quoi la précarité menace-t-elle la dignité de l’Homme ? Comment la dignité humaine peut-elle se traduire dans une justice sociale ?

Discussion (en caractères gras, les interventions de Michel).

* la relation « maître-esclave » et la recherche de reconnaissance.

- Y a-t-il une éthique du maître ? Laquelle ?

- Quelle reconnaissance possible dans un système capitaliste. Parle-t-on d’ »amour » ou de manipulation ? Comment l’épanouissement de l’homme est-il possible dans ce système ? Le travail rémunère mais n’épanouit pas (être & avoir !)

- La reconnaissance vient de la proximité interpersonnelle, physique. Aujourd’hui maîtres et employés sont éloignés, et les « maîtres » eux-mêmes sont dans la précarité (ex. : les cadres). Ces catégories (cf. Hegel, Marx) fonctionnent-elles encore aujourd’hui ?

- L’ouvrier recherche la reconnaissance de ses pairs, plutôt que celle de ses supérieurs. Il fait partie d’un groupe ; il a la reconnaissance de gens de même niveau.

- La reconnaissance, est-ce alors une lutte ?

* Ouvrier / esclave

- Reconnaissance dans le travail : esclavage moderne ? Où est l’évolution ? Même style de relation ; autre type de violence

- D’un point de vue dialectique : qu’est-ce qui demeure et qu’est-ce qui est différent?

- Achète-t-on l’homme ou son travail ? Est-ce la même chose ? L’esclave était acheté comme un bestiau, il ne choisissait pas. Le travailleur aujourd’hui n’est pas obligé, il peut choisir : il se vend, peut-être ; il n’est pas vendu.

- 2 idées contradictoires :

*Les esclaves acceptent le maître et ses successeurs (cf. La Boétie, Le discours sur la servitude volontaire)

*La société démocratique donne un statut de sujet à l’Homme, qui exerce son esprit critique sur le passé.

La précarité serait-elle le seul argument de la société pour continuer à tenir debout ?

- Le pré-supposé serait-il : n’y a-t-il pas de changement en dehors de la précarité ?

* précarité et changement

- Le contexte actuel de changement, de concurrence impose la précarité à tous et partout. La précarité des « patrons » précarise les travailleurs… mais les sociétés changent…

- L’homme est un animal social ; seul, il meurt ; la précarité le renvoie à sa solitude. Pourquoi ne pas partager les difficultés ? redistribuer le travail ? La flexibilité rend l’évolution possible si le groupe est autour.

- Ferons-nous l’éloge de la flexibilité ou la condamnerons-nous ? D’un point de vue dialectique, si la stabilité est à l’inverse du mouvement de la vie et que la précarité sociale fragilise l’individu… quelle articulation entre les deux ?

- La flexibilité serait une capacité de changement, induirait un choix possible ; la précarité serait subie

- La flexibilité serait-elle une réponse à la précarité ? La précarité est un état de fait (comme dans la marche, à chaque pas on est en recherche d’un nouvel équilibre).

La flexibilité (assortie de capacités et de moyens) permet l’adaptation, l’évolution ; sinon on est « sur la touche »

- La flexibilité permettrait-elle d’assumer la précarité ?

- Chacun cherche sa place dans la société ; la précarité est un système… la flexibilité un mot.

- Un point de méthode : la philosophie n’a que le langage et les mots pour penser. Dans l’atelier philo, nous devons mettre des choses sous les mots, pour penser le réel. La philosophie veut penser le réel à partir du langage, et permet de rentrer dans la complexité.

- Certains pensent qu’ils s’épanouiront dans la société. La précarité peut être choisie ou subie

*Précarité et progrès

- Aujourd’hui les choses évoluent très vite ; l’instabilité est partout y compris dans les savoirs. Le monde est « flou »…

- L’accélération de l’histoire et des progrès techniques et scientifiques génèrerait-elle le sentiment de précarité ? La difficulté d’adaptation, l’obsolescence, l’incertitude de l’avenir, la disparition des appuis stables, l’accélération économique, renforceraient-elles le sentiment de précarité ?

La disparition des certitudes entraîne la recherche de compensations…

Nous devons sortir de l’émotion du scandale, pour comprendre les logiques à l’oeuvre.

* Précarité et gestion du temps personnel

- Dans la précarité d’un emploi à mi-temps, par exemple, on n’est pas reconnu comme un être « complet », qui pourrait gérer librement son temps. Tout s’accélère et le monde devient « virtuel »

- L’instabilité dans le temps, la non-reconnaissance de la personne globale empêcheraient l’utilisation libre et créative de son temps

* Précarité et relations interpersonnelles

- Le maître est l’esclave d’autres maîtres ; l’esclave est soumis au maître.

- Mais aujourd’hui, le maître est « invisible » pour l’ouvrier, irrémédiablement lointain. Ce qui renvoie à une perception individualiste de soi. Seules des solidarités de proximité peuvent rassurer en créant de la chaleur humaine, de l’intimité.

- Hors des relations interpersonnelles, la reconnaissance est difficile. Dès que le lien social est rompu, la relation humaine devient virtuelle.

Objection : internet ! qui permet de rentrer virtuellement en contact. Le virtuel devient alors réel sur « la toile » … et la relation s’établit sans hiérarchie !

4 / écriture

Après ce temps de discussion, écrire une phrase, une seule idée que l’on retient, un aphorisme (voir en annexe).

5 / Régulation

- Question aux nouveaux participants sur cet atelier.

- Un lien à explorer : précarité / insécurité ; flexibilité / sécurité.

- Précisions : le programme de cet atelier a été conçu comme une démarche « ascendante » ; l’atelier n’est pas un débat contradictoire, mais une réflexion collective.

- Un groupe pourrait-il prendre la posture de « l’avocat du diable » ?

- La discussion sur le fond convient, mais évolution nécessaire sur la forme (prise de parole et écriture).

ANNEXE

Textes de participants

* La relation devenant de plus en plus virtuelle et lointaine, le sentiment de précarité est de plus en plus perceptible.

* La précarité fait partie du morcellement de notre société ; elle est devenue une arme pour les nouveaux maîtres.

* Je plie mais ne romps pas !

* Maître de qui ? maître de soi ?

* Il n’y a de reconnaissance que dans l’égalité.

* L’impermanence de l’être mise au service du maître.

* Ne s’est-on pas servi des liens entre les individus pour les ligoter, les étrangler, au profit de ceux qui en connaissent toutes les ficelles ?

* Convaincre, c’est se vendre ?

* Précarité, prière : invoquer le droit à la transformation évolutive.

* La précarité apparue au début de notre vie ne peut pas se résoudre dans ce système capitaliste.

* Contre la précarité subie, donnons priorité à toute information, éducation et échange.

* La triste réalité c’est le travail sans fin, comme Sisyphe roulant son rocher. Ne nous laissons pas manipuler

* « Une situation précaire, c’est celle qui ne s’exerce que grâce à une autorisation révocable » (cf texte de E. Aujaleu).

* Dire non à la précarité non choisie, et résister avec le temps.

* La précarité n’est pas un choix : elle est imposée par des contraintes extérieures. La flexibilité est le choix d’existence « le moins pire », quand on en a les moyens.

* Peut-on concilier flexibilité et minimum d’insécurité ?

* L’amour peut-il exister en économie ?

La précarité sociale

On pourrait effectivement s’attendre à ce que l’organisation sociale soit toute entière faite en sorte que, face au sentiment de précarité ontologique chez des êtres qui se savent mortels et vulnérables, chacun trouve dans cette organisation le maximum de sécurité possible. Or ce n’est pas ce que l’on constate, du moins dans nos sociétés modernes que l’on considère comme évoluées. Mais est-ce le cas pour chacun dans les sociétés plus traditionnelles ?

L’exemple de l’organisation sociale des vallées haut pyrénéennes antérieurement à la deuxième guerre mondiale, montre que si la sécurité optimale était assurée pour l’aîné(e), le sort des cadets était d’être des laissés pour compte, qui avaient pour choix d’être mousquetaires, curés, valet de leur aîné, ou de se débrouiller comme ils pouvaient. Dans ce cas la nécessité économique de ne pas partager des exploitations déjà trop petites dictait sa loi, favorisant les uns, jetant les autres dans la précarité. Que peut-on dire de cette société qui n’a pas de raison d’être moins pertinente que d’autres ? Qu’au dessus de l’intérêt de chaque individu, ce qui prévaut est la pérennité de la société elle-même.

Il faut aussi remarquer que le changement social ne pouvaient guère venir de ceux à qui était dévolu la meilleure part, car ceux-là, en principe, ne pouvaient vouloir que la perpétuation d’une telle organisation, tandis que les autres étaient conduits à inventer des solutions : devenir guides de haute montagne, contrebandiers, s’expatrier, etc. La précarité sociale de certains constitue une force de changement pour la société toute entière qui, en tant que corps vivant, serait sans cela livrée toute entière à la pente entropique du conservatisme.

C’est sans doute la même chose pour ce qui est arrivé à la société d’ancien régime. Ce n’est que parce que certains ont voulu faire cesser les privilèges que la révolution à eu lieu.

Mais nos sociétés modernes ont généralisé la précarité (sauf pour ceux qui se font attribuer dès la prise de leur fonction et quelque soient leurs résultatsultérieurs, des parachutes dorés). Ce qui fait loi actuellement ne semble pas être la pérennité du groupe social, mais quelque chose qui n’a pas grand chose à voir avec l’homme, c’est à dire le capital, qui a sa propre logique et sur laquelle il est bien difficile d’avoir prise. Les maîtres sont devenus invisibles, “ c’est le système ” qui commande : personne à qui demander des comptes, tentations de trouver des boucs émissaires (les étrangers, les jeunes, les fainéants…) Alors que faire pour ne pas tomber dans la désespérance ? Retrouver à la fois des solidarités de proximité, (associations, intégration dans des groupes, appartenances multiples, entrer dans la “ toile ”) mais aussi avoir des comportements citoyens (le vote, la syndicalisation, l’intérêt pour la préservation de l’environnement, etc.).

C’est faire le pari que la préservation de l’environnement, la construction du lien social et de la participation à l’élaboration de la société, offrent l’opportunité à chacun de trouver un sens à sa vie, un minimum de protection et de chaleur humaine.

Marcelle 20-04-07

Précarité et insécurité

Nous pouvons définir la précarité, objectivement et subjectivement, comme une situation d’instabilité, notamment dans un temps perçu comme limité, non durable. Les situations de précarité, lorsqu’elles sont subies plutôt que choisies, engendrent un sentiment d’insécurité, de crainte face à des risques, vécus comme dangereux, au présent et pour l’avenir. Ces risques peuvent être objectifs, de l’ordre des faits, ou fantasmés, puisqu’il s’agit d’une perception individuelle et/ou collective.

Le sentiment d’insécurité peut porter individuellement sur son corps, ses biens, sa situation sociale (il peut aussi porter plus collectivement sur son/ses groupes d’appartenance, l’espèce humaine, etc.). Il provoque un malaise, et des comportements réactifs, émotionnels, des stratégies d’anticipation (les assurances), de prévention (l’éducation), d’auto-défense (non confiance en la protection de l’Etat), de répression (la prison).

1) L’insécurité physique peut se caractériser par la peur de l’agression de l’environnement (travail dangereux pour le salarié, usine polluante pour le riverain, virus…), en particulier d’autrui (ex : attaque, viol). Peur d’une atteinte à son intégrité corporelle, et par voie de conséquence à son intégrité psychique (trauma), à sa santé, qui s’enracine profondément dans l’instinct de conservation de la vie (notre cerveau reptilien, le plus archaïque, perturbe dès son insatisfaction le cerveau limbique de nos émotions, et bloque le cerveau cortical de notre pensée).

2) L’insécurité sur les biens, c’est la peur d’une atteinte à ce que l’on possède, sa propriété. Cette forme s’est certainement développée avec la propriété individuelle (quand les biens sont collectifs, on n’a rien à perdre en tant qu’individu – ce qui ne veut pas dire qu’on ne défend pas le bien collectif d’un groupe dont on est membre). Celle-ci a pour effet que mes biens m’apparaissent comme le prolongement quasi-physique de ma personne : surtout dans une société capitaliste mondialisée, où le bonheur de l’être tend à se réduire à la jouissance hédoniste de l’avoir, où l’agression contre l’un de mes biens (ex : vol) est identifié à une atteinte directe contre ma personne. Le sentiment d’insécurité semble s’accroître avec les difficultés économiques et le déficit du lien social. Il est nourri par le fait que la propriété s’est accrue, et que l’inégalité de sa répartition subsiste ou s’accroît.

Ces deux peurs (insécurité vis-à-vis des biens et des personnes), sont des symptômes de la société contemporaine : individualiste (sentiment d’être d’abord un « moi-je » au centre, qui doit être objet de reconnaissance, et de tous les soins ; culte de la propriété privée) et matérialiste (le bonheur par l’avoir de la consommation). Elles correspondent à un besoin profond chez l’homme de tranquillité physique et psychique, et de confiance en autrui, qui, s’ils sont perturbés, nous constituent en victime (qui demande réparation par le droit ; ou se venge : « Pour une dent, toute la gueule », parole d’un légionnaire) : d’où dans l’éthique et le droit (de l’homme et du citoyen) l’obligation du respect des personnes et des biens.

Cette peur est politiquement instrumentalisée par la droite et l’extrême droite, qui lui donnent le visage d’un bouc émissaire (Cf. la théorie de René Girard), la figure de l’ « Autre menaçant » : l’étranger, parce qu’il est étrange, inquiétant ; violent, voleur et violeur en puissance…

La culture de l’insécurité manifeste ainsi le syndrome d’une crise du rapport à l’autre, dont on se méfie, et plus largement d’une crise du lien social. Elle peut réactiver psychologiquement des fantasmes archaïques : la « mère phallique », toute puissante, dévoratrice, dont il faut se protéger ; et alimenter des attitudes psychiquement, éthiquement et politiquement régressives : besoin d’un pouvoir fort mettant en péril la démocratie, primat de la punition sur la prévention, etc. On a pu dire ainsi que la France avait globalement, notamment à cause d’un sentiment d’insécurité croissant, viré à droite…

3) Mais le sentiment d’insécurité d’un individu, dû à sa précarité, peut aussi porter sur sa situation économique et son statut social : multiplication des « sans » (logement, papiers…), augmentation du chômage, de la pauvreté (bas salaires, baisse des retraites et de la protection sociale), de contrats précaires comme l’intérim ou les contrats, comme leur nom l’indique, « à durée déterminée », engendrés par la situation de guerre économique mondiale, les exigences de profit des actionnaires (capital financier), les politiques d’entreprise (rentabilité des profits, flexibilité de la main d’œuvre, dérégulation du marché du travail) ou d’Etat (démantèlement du droit du travail).

Le travail comme valeur assure une indépendance financière de subsistance et de satisfaction de besoins solvables ; une utilité sociale par la production de biens et services ; une insertion sociale dans un milieu professionnel ; souvent une réalisation personnelle par l’activité menée. C’est ce dont est privé le chômeur malgré lui, réduit à l’assistance économique et sociale, à un sentiment d’inutilité, à la privation d’un réseau relationnel et de solidarités professionnelles, à l’inactivité. Cela n’enlève en rien la réalité, dans de larges fractions du salariat, de l’exploitation économique, de la domination hiérarchique et de l’aliénation culturelle. Mais cela signifie la faible consistance sociale, voire ontologique, de l’état et du statut de chômeur.

La précarité sociale, c’est la difficulté pour les jeunes de rentrer sur le marché du travail, pour les travailleurs de bénéficier d’emplois stables, pour les industriels, artisans et commerçants de PME de résister à une concurrence mortelle, pour certaines personnes de se loger, et correctement, de se faire soigner, et correctement, de maintenir son pouvoir d’achat, etc. C’est l’incertitude d’assurer au présent et/ou pour l’avenir son autonomie, et d’assumer sa dignité, d’avoir du pouvoir sur sa vie, et sur son environnement. Les droits au travail, au logement, aux soins, à un revenu suffisant, et aussi à la culture, apparaissent ainsi comme les conditions de possibilité de la dignité humaine, qui comme dit Kant, n’a pas de prix. Mais elle a un coût, qui doit donner lieu à des politiques sociales de solidarités nationales et internationales (Car que dire des situations de précarité dans le monde, quand on habite un pays dit « développé » ?).

La précarité, sous ses différentes modalités, doit être philosophiquement comprise dans sa signification pour l’homme. Sous sa forme individuelle, elle prend la forme dans la modernité d’une triple insécurité physique, matérielle, sociale. Elle menace le corps, les biens, le statut professionnel, plus largement social, par rapport à des besoins primaires ou plus élaborés. Elle engendre des réactions affectives, et des comportements individuels et collectifs souvent régressifs. Elle crée aussi, au nom de la dignité humaine, des obligations morales, des droits politiques, des revendications justes, qui engagent chaque homme, chaque citoyen, chaque gouvernant.

Michel

Université Populaire de Perpignan

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Séance 5 du 12-05-07

21 participants

La précarité de l’espèce humaine

Animateur : Michel

Introducteur : Romain

Président de séance : Madeleine

Secrétaire de séance : Romain

  1. Introduction par Romain

La précarité de la planète et de l’espèce humaine

Introduction

La précarité de la planète que nous occupons et partant, celle de l’espèce humaine, voilà une question qui semble faire l’objet, et de plus en plus, de préoccupations.

La diversité des approches possibles doit nous inciter à nous interroger quant à la posture qui doit être la nôtre vis-à-vis de cette question ; à nous demander ce que pourrait être une approche philosophique en la matière.

Pour éviter les fourvoiements et garantir la teneur (ou du moins la visée) philosophique, notre propos ne devra pas céder à la tentation d’un discours purement écologique ou encore politique, même s’il peut bien entendu s’en inspirer à certains égards.

Pour essayer donc de (pro-)poser un cadre de départ à cette séance (cadre qu’il conviendra peut-être de réinterroger, éventuellement de compléter et pourquoi pas de compléter chemin faisant), prenons deux idées, deux conceptions du rapport de l’homme à la nature :

- René Descartes qui au Chapitre VI de son célèbre Discours de la méthode envisageait l’homme « comme maître et possesseur de la nature ». Si les termes et les intentions de Descartes peuvent largement se discuter, on peut néanmoins entrevoir l’idée que l’homme, soucieux de satisfaire ses désirs avant toute autre chose, appréhenderait la planète comme un objet parfaitement maîtrisable, et surtout sur lequel il aurait tous les droits ; un bien dont il disposerait à souhait et dont serait libre de jouir, en « maître et possesseur ».

- D’autre part nous avons cette phrase tantôt attribuée à Antoine de Saint-Exupéry, tantôt à Léopold Sédar Senghor :

« Nous n’héritons pas la Terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants ».

Ici l’homme n’est en aucun cas propriétaire de la Terre dont la jouissance qui lui est accordée se trouve par conséquent limitée et peut-être même révocable. Dès lors se pose la question de la responsabilité, au sens où l’homme pourrait être appelé à rendre des comptes, à répondre de ses actes à propos d’une planète qui ne lui appartient pas et dont il ne serait que le dépositaire, à titre provisoire.

Pensons au philosophe Hans Jonas qui, soucieux d’apporter une réponse aux problèmes posés par la civilisation technicisée (notamment les problèmes environnementaux et les questions du génie génétique, etc.), a tenté de définir une nouvelle forme de responsabilité, une forme d’éthique de la responsabilité (Cf. Le principe responsabilité). Nouvelle forme de responsabilité nécessaire chez l’homme ; à comprendre non comme une attitude, mais plutôt comme une faculté proprement humaine que tout homme est tenu d’exercer.

« La responsabilité jonassienne n’est pas une responsabilité qui naît de la propriété, ni avec l’obligation de réparer le tort causé à autrui (que l’humanité se reconnaît depuis des millénaires comme un principe de justice naturelle) ». Cette responsabilité (chez Jonas) interdirait à l’homme d’entreprendre toute action susceptible de mettre en danger soit l’existence des générations futures, soit la qualité de l’existence future sur Terre. Pour ces raisons l’homme devrait s’assurer que tout danger (« toute éventualité apocalyptique ») soit exclu(e) avant d’utiliser une technologie, mais la difficulté pour l’homme est d’anticiper les éventuelles conséquences que seule l’action révèle.

Voici donc deux conceptions qu’il conviendra de discuter, de questionner pour nous éclairer quant au rapport de l’homme à cette planète qu’il habite à la fois depuis si longtemps et de manière si fugace, passagère.

Peut-être pourrions-nous voir enfin quels cas de conscience l’une comme l’autre de ces conceptions peuvent entraîner. Car c’est aussi la sage articulation (et distinction) de la morale et de l’éthique qui garantira notre visée philosophique, au sens où le philosophe Marcel Conche fait de la distinction entre morale et éthique une des conditions pour qu’il y ait réflexion philosophique : la morale qui traite de nos devoirs indiscutables et pour laquelle, en nous y soustrayant, nous nions notre condition d’homme ; l’éthique (éthos en grec) relèverait du plus intime, « d’un choix de vie ».

  1. Synthèse de la discussion par Romain

Notre espèce pourrait bien arriver à se mettre en danger à force de mal fonctionner. En témoignent ces trop grandes disparités entre pays du nord et pays du sud qui pourraient entraîner à terme de grands bouleversements. Faut-il que l’instinct de conservation de l’espèce à laquelle nous appartenons soit si peu développé pour qu’elle se mette ainsi en danger ? Quoi qu’il en soit, il semble d’autant plus paradoxal que le danger provienne pour l’essentiel de celui des animaux qui est censé avoir la plus grande conscience de ce même danger : l’homme. Si certains comportements insouciants peuvent (ou tentent de) s’expliquer par le sentiment d’une histoire cyclique, n’y a-t-il pas lieu de penser encore que c’est la culture qui amène l’homme à la fois à prendre un tel risque et à croire qu’il parviendra toujours à trouver la solution (grâce à la culture elle-même). Est-ce par perversité que l’homme continue, en dépit des risques qu’il est en mesure de connaître, ou la précarité de l’espèce résulte-t-elle essentiellement d’une mauvaise organisation sociale ?

Deux points de vue semblent se profiler parmi les discutants :

- les uns pensent que tout est question d’enjeux de pouvoir, d’argent, d’une hiérarchie avec pour sommet avidité et profit ; une mise en danger de l’espèce humaine par des pouvoirs politique et économique contre lesquels le citoyen lambda ne peut absolument rien.

- Les autres estiment au contraire que la responsabilité relève du plus bas niveau et n’appartient pas qu’aux pouvoirs d’en haut. Parce que le danger provient de chacun d’entre nous, tout citoyen s’il s’en donne la peine peut faire sa révolution au quotidien.

Y a-t-il par ailleurs suffisamment de transparence dans cette recherche technique de plus en plus pointue et spécialisée, où les scientifiques eux-mêmes ne cessent de se contredire, pour permettre à quiconque de prendre part à la réflexion ? Comment distinguer dans ces querelles d’experts la part idéologique des arguments scientifiques ? Grande semble être la tentation de céder à un refus de tout savoir, à un principe de précaution qui, suivi trop à la lettre, pourrait dériver dans une forme d’obscurantisme misonéiste et empêcher la science de se développer. Pour éviter cet écueil, il serait bon de distinguer le savoir de l’application pratique ; mais philosophiquement parlant (et pensant !), que veut dire « être responsable de l’avenir de la planète » ? C’est une sorte de « responsabilité par anticipation » que nous trouvons chez le philosophe Hans Jonas lorsqu’il fait passer la responsabilité des actes passés à ceux que nous n’avons pas encore commis. Poursuivons plus encore le renversement au sein même de cet effort d’anticipation ; et plutôt que nous demander toujours quelle planète nous allons laisser à nos enfants, interrogeons-nous quant aux enfants qui seront confiés à cette même planète. Pour le formuler en d’autres termes, songeons aussi à éduquer nos enfants pour qu’ils respectent la Terre.

Conclusion : l’humanité, au contraire d’autres espèces, semble avoir conscience de son environnement, et son avenir n’est peut-être pas aussi compromis qu’on le dit en ce sens qu’elle progresse ; précisément parce que l’homme a une culture et une intelligence qui lui permettent de prendre conscience du danger. Dès lors, la précarité de l’espèce n’apparaît plus comme faiblesse mais comme moteur, condition d’une évolution rendue possible par cette même précarité qui force l’homme à se protéger et toujours inventer. Peut-être faudrait-il s’en remettre à cette idée marxiste qui veut que les hommes ne posent que les problèmes qu’ils sont en mesure de résoudre… A ceci près que les problèmes semblent s’accélérer considérablement et qu’il faudra composer de surcroît avec cette précieuse notion de temps.

ANNEXE

Textes des participants

La précarité de l’espèce

La précarité de l’espèce humaine me parait double.

Elle pourrait avoir une origine naturelle par la présence de caractères tendant à sa disparition, par extinction, comme des milliers d’autres espèces animales depuis l’apparition de la vie sur terre.

Elle pourrait également avoir une origine artificielle par sa propre intervention, par autodestruction.

La diminution de la fertilité, l’inadaptation aux changements du milieu ont été les causes naturelles les plus fréquentes de la disparition d’espèces animales ou végétales, alors que d’autres espèces ont traversé les millénaires en s’adaptant.

La diminution de la fertilité ne parait pas être un facteur actuel de disparition de l’espèce.

Elle a, depuis l’apparition des plus anciens ancêtres, fait la preuve de son aptitude à se reproduire et les perspectives futures tendent plutôt vers un surpeuplement.

L’inadaptation aux changements du milieu ne parait pas non plus un facteur actuel de disparition.

La maîtrise de plus en plus grande qu’elle exerce sur son environnement est un facteur important de sa survie à travers les millénaires. L’espèce a traversé des périodes glaciaires et des périodes sèches. Des populations vivent dans des milieux hostiles froids, torrides, désertiques ou humides. Chacune a développé une culture et des techniques lui permettant de vivre là où d’autres populations ne survivraient qu’au prix d’une adaptation parfois douloureuse et incertaine.

La civilisation industrielle a développé les palliatifs nécessaires à la vie dans les milieux hostiles de populations étrangères à ceux-ci.

Ces moyens artificiels permettent la survie immédiate mais pas l’adaptation.

On peut imaginer que l’espèce survivrait à un cataclysme naturel ou artificiel en inventant les moyens pour survivre d’abord et s’adapter ensuite.

L’homme a, contrairement à la plupart des autres espèces animales, conscience de son environnement et des effets de ses actes, et se préoccupe de plus en plus de sa préservation. Même si l’on considère que cet intérêt est tardif et souvent sélectif, il marque un changement important dans les comportements.

La précarité de l’espèce humaine pourrait avoir une origine artificielle dont elle serait l’auteur.

Je ne pense pas à un cataclysme nucléaire ou aux effets néfastes du réchauffement de l’atmosphère. En effet le premier me parait relever d’un scénario digne du film Docteur Folamour et donc peu vraisemblable. Une guerre atomique, même déclenchée par un militaire ou un politicien fou ne me parait pas possible, en raison d’une part des sécurités destinées à empêcher la réalisation de ce scénario, et d’autre part de la pratique des négociations au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU.

D’autre part, le scénario de l’attaque terroriste, s’il est imprévisible et échappe à toute convention internationale, ne conduirait pas à un conflit nucléaire. Les effets de l’attaque seraient limités et la concertation internationale empêcherait toute riposte spontanée d’états disposant de l’arme nucléaire.

Une manipulation génétique mal contrôlée pourrait être la cause de disparition artificielle de l’espèce humaine.

Le génie génétique étend son champ de plus en plus à l’humain ou à ce qui en est directement ou indirectement proche. On modifie des bactéries pour guérir certaines maladies telle que le diabète, on modifie des végétaux qui se retrouvent dans nos aliments sans maîtriser totalement leurs effets.

Une erreur de manipulation ou une conséquence à très long terme, non prévisible, pourrait introduire un gène de l’extinction de l’espèce sans que l’on puisse en prendre conscience et chercher un remède.

André

« Car la culture donne forme à l’esprit » (J. Bruner)… Cette culture, la nôtre, a-t-elle contribué à forger ce sentiment de précarité ? Ou bien nous aide-t-elle à nous ancrer dans la durée et dans le collectif de l’Humanité ? L’existence de l’individu est naturellement précaire. N’est-elle pas sublimée par son appartenance à l’Humanité ?

Evelyne

La précarité de l’espèce

L’énorme mouvement alarmiste sur la dégradation de l’environnement ne peut plus laisser quiconque indifférent face à l’avenir de notre espèce, et même à celui d’une planète vivable. Mais est-ce pour autant que nous avons individuellement, collectivement et politiquement les comportements conséquents ? Globalement, on peut répondre que non, et ceci pour de multiples raisons.

Même pour un homme de bonne volonté, les phénomènes mis en cause sont d’une telle complexité qu’il est difficile de démêler le vrai du faux, car même les scientifiques se contredisent souvent. Peut-être pensons-nous que le terme des conséquences de nos actes en ce domaine dépassent largement le temps qui nous concerne, même si nous pensons aux générations futures (jusqu’à quel niveau de descendance nous sentons-nous impliqués ?)

Mais peut-être l’homme est-il un être tout à fait paradoxal, capable de penser le temps, il ne peut prendre en compte le futur qu’en tant qu’il se sent concerné personnellement par celui-ci.

Capable de maîtriser de nombreuses informations, il lui est encore possible de faire comme s’il ne savait pas ; animal essentiellement social, il reste prédateur pour ses semblables, perdant de vue que s’il nuit (souvent par recherche du profit maximum) à d’autres hommes ou groupes humains, c’est à l’espèce dont il est, de fait, solidaire, qu’il s’en prend.

En fin de compte, il apparaît que l’écologie devrait se concevoir non seulement sous l’angle du respect de la nature, mais qu’il existe tout à fait conjointement une écologie humaine sans laquelle nous ne pouvons que hâter la fin par ailleurs inéluctable de notre espèce (Dans quatre milliards d’années, la terre sera une étoile morte…).

Marcelle

L’avenir de l’espèce humaine

Il y a une question de l’avenir de l’homme.

Pendant le Moyen Âge, où la science est condamnée parce que menaçante pour le dogme catholique, on croit que l’homme ayant été créé par Dieu et son âme étant immortelle, l’avenir individuel de l’homme, avec une vie de foi et de charité, c’est l’espérance du Paradis pour la vie éternelle dans l’au-delà (sinon, c’est l’enfer).

A la Renaissance surgit une autre perspective : la confiance humaniste en un être libre, qui peut décider de sa destinée individuellement et collectivement. Commencent les utopies (Thomas More, Campanella…) d’un monde meilleur dès ici-bas, par l’élaboration d’une meilleure organisation sociale. L’usage de la raison et le développement de la science, dira Descartes au 17ième, rendra l’homme « maître et possesseur de la nature ». Cette idée d’une histoire humaine (espèce animale évoluée nous révèlera Darwin), qui va vers le progrès par la science et la révolution (française, plus tard prolétarienne) alimentera la philosophie des Lumières au 18ième, pour laquelle la science émancipe l’homme de l’obscurantisme religieux, pour aboutir au 19ième à l’idéologie positiviste (A. Comte) : le progrès technique et scientifique entraînera le progrès économique et social qui amènera le bonheur de l’humanité.

La rupture avec cet optimisme scientifique et sociétal de la modernité se produira dans la deuxième partie du 20ième, avec la bombe d’Hiroshima, l’impensable de la Shoa, la dictature stalinienne et l’irruption de dégâts écologiques majeurs (Tchernobil, l’Erika, etc.). Se diffuse, avec la post-modernité, l’idée d’un monde désenchanté, sans lendemains qui chantent socialement, et écologiquement inquiétant : les sols qui s’épuisent, des espèces qui disparaissent, des ressources limitées, une biosphère fragile, un monde pollué, l’effet de serre… Par l’effet conjugué d’une techno-science aux conséquences contradictoires (soigner le cancer et périr du nucléaire), et d’une mondialisation pilotée par la maximisation du profit à court terme, sans prise en compte sociale des défavorisés ou écologique de la planète terre pour le futur, l’avenir se brouille, avec l’opposition Nord-Sud, la montée du terrorisme, les interrogations sur les OGM, le clonage de l’espèce humaine, etc.

Nous assistons au paradoxe d’une espèce qui, malgré l’instinct de conservation qui anime toute espèce pour sa reproduction et sa survie, est capable de se faire disparaître de la planète. A moins que sa forme actuelle ne se nomme prise de conscience du danger encouru, lutte contre les excès de la mondialisation par la militance des adultes et l’éducation à l’écocitoyenneté des enfants, développement durable, et principe de précaution dans la recherche scientifique…

Michel

Et un texte de réflexion récapitulative sur la précarité d’André :

Nous avons dit qu’est précaire ce qui est obtenu par la prière, donc accordé par faveur et soumis à une volonté supérieure qui peut remettre en cause, révoquer ce qu’elle a accordé.

Précarité sociale

La précarité s’oppose au droit.

Le droit résulte d’une obligation acceptée par le « débiteur » qui reconnaît ainsi la valeur supérieure de la loi.

La faveur est accordée par la volonté du « maître », c’est son bon vouloir qui accorde et qui peut révoquer unilatéralement. C’est l’arbitraire.

Mais le droit ne peut il être précaire ?

Il n’est, en principe, révocable que par la volonté conjointe des deux parties, le « débiteur » qui a reconnu une obligation et le « créancier » qui renonce à son droit.

Mais le droit devient précaire lorsqu’il est soumis au pouvoir discrétionnaire d’un seul ou d’une oligarchie gouvernant sans contrôle, monarchie absolue, dictature d’un seul ou d’une classe sociale, d’une ethnie ou d’une théocratie.

La loi qui crée un droit en contrepartie d’une obligation a pour finalité de protéger l’individu de l’arbitraire quelle qu’en soit l’origine.

Mais la loi peut être cause de précarité lorsqu’elle est l’instrument de l’arbitraire.

Le peuple souverain peut opprimer le peuple souverain au nom de la loi.

Précarité affective

L’affectif est le domaine de l’irrationnel et la relation affective est précaire parce qu’elle est incertaine, tributaire de la volatilité des sentiments.

Comment vont évoluer nos sentiments réciproques.

Le désir, l’affection, la tendresse, l’admiration, le respect, ont un négatif.

Les influences extérieures et les mouvements internes sont autant de causes de l’altération des sentiments.

La notion de relation affective s’oppose au mariage de raison ou au mariage arrangé qui ont prévalu jusqu’au milieu du 20° siècle dans les pays développés et prévalent encore dans de nombreuses cultures.

Elle implique la reconnaissance de l’autre comme une personne humaine et non plus comme une chose susceptible d’appropriation et en conséquence le droit de chacun de choisir son partenaire librement en dehors de toute considération d’intérêt patrimonial, de classe ou d’ethnie.

La liberté est réciproque, de s’engager dans une relation affective et de s’en affranchir, pour chacun des acteurs.

On ne peut pas revendiquer cette liberté pour soi et la refuser à l’autre.

Les sentiments prévalant, le maintien d’une relation qui les nierait ne peut plus être envisagé comme la seule issue.

La rupture devient la solution normale.

Précarité existentielle

La vie n’est elle pas précaire par essence ?

Nous naissons par le hasard de la rencontre de deux cellules et nous mourrons par la survenance de phénomènes que nous ne maîtrisons pas.

Nous craignons la précarité de notre quotidien, celle qui nous heurte de plein fouet contre laquelle nous ne sommes pas toujours armés. Cette appréhension nous pousse à rechercher la sécurité, matérielle, sociale, affective, mais la sécurité ne risque-t-elle pas de nous priver du ressort nécessaire pour réagir et transformer en avantage ce qui apparaît à priori comme un inconvénient ?

La recherche de la stabilité en opposition à l’insécurité de la remise en cause ne risque-t-elle pas de de produire l’immobilisme, la sclérose et la disparition.

« Nous autres civilisations savons que nous sommes mortelles ».

Des civilisations sont mortes pour s’être figées sur des conformismes empêchant toute évolution.

L’instabilité ne serait-elle pas un facteur essentiel du mouvement, de l’évolution et par là de la pérennité de l’espèce ?

La marche en avant est une succession de déséquilibres.

Une sphère, instable par nature est plus mobile qu’un cube.

L’immobilisme sociétal et son antithèse l’instabilité ne peuvent-ils pas être cause de précarité.

La flexibilité ne serait-elle pas la version positive de l’instabilité ?

La précarité sociétale ne trouverait-elle pas une réponse positive dans la flexibilité ?

Université Populaire de Perpignan

ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)

Séance 6 du 9-06-07

Quelles stratégies face à la précarité humaine ?

Animateur : Michel

Introducteur : Michel

Président de séance : Montse

Secrétaires de séance : Madeleine et Jean-Louis

  1. Introduction par Michel

Quelles stratégies face à la précarité humaine?

Nous avons approché quatre figures de la précarité humaine, cette situation où l’avenir, la durée, la stabilité ne sont pas ou plus assurés.

- Deux concernant plus particulièrement l’individu : la précarité d’une vie, expérimentée dans l’accident, la maladie, la mort (« Tout homme, dès qu’il est né, est assez vieux pour mourir » dit Heidegger), précarité biologique et ontologique ;

- la précarité relationnelle, dans le rapport durable de l’engagement affectif et éthique vis-à-vis de l’autre, par exemple dans le couple moderne, qui n’est plus comme jadis en occident un « CDI » garanti par des institutions (mariage religieux ou civil).

- Et deux plus collectives : la précarité sociale, à travers la pauvreté dans le monde y compris dans les pays développés, la fragilisation aujourd’hui du contrat de travail, de la « sécurité sociale » (remboursement des soins, montant des retraites), le sentiment d’insécurité des biens et des personnes (délinquance, terrorisme) etc. ;

- la précarité de l’espèce humaine, révélée par la conscience écologique devant les menaces de l’industrialisation, la pénurie des matières premières, la pollution, l’effet de serre etc., mais aussi les OGM, le clonage…

Cette précarité existentielle, affective, sociétale, individuelle et collective rend l’avenir incertain, aléatoire, problématique, menaçant.

Comment réagir face à cette prise de conscience de la part sombre de l’existence ?

1) Il y a la réaction pessimiste – celle d’un tragique de l’existence humaine – pour laquelle la lucidité mène au désespoir. On va droit dans le mur : à quoi bon vivre puisqu’on va mourir ? C’est la dépression, maladie moderne de la conscience tragique, de l’individualisme solitaire, de la mésestime de soi, de l’avenir bouché. La liberté qui reste, comme le proposent les stoïciens, c’est de choisir le moment de partir (suicide philosophique d’un Sénèque) : encore faut-il en avoir le courage…

Si le lien social se distend, c’est la faute à l’individualisme triomphant, pour lequel, vu de mon égocentrisme, autrui est pour moi un problème (une gêne, comme la voiture de devant), et non un « visage » qui m’oblige à l’éthique (Lévinas). La mort de Dieu, de la transcendance, c’est la mort de l’homme comme verticalité, de la croyance en l’Autre : les valeurs s’en sont allées. Il n’y a même plus de grandes utopies alternatives ici-bas, de lendemains qui chantent.

La mondialisation a un double effet : socialement l’écrasement des plus faibles par les plus forts dans la compétition, écologiquement le sacrifice de l’avenir de la planète aux intérêts financiers à court terme des plus puissants. Il n’y a plus qu’à refuser d’avoir des enfants pour qu’ils ne connaissent pas ce monde ; fuir toute réflexion, se réfugier dans l’avoir, jouir intensément du présent dans l’hédonisme consumériste, pour se « divertir » comme le dénoncerait Pascal par rapport aux échéances inéluctables ; ou qu’à prier aujourd’hui dans l’espérance d’un au-delà …

2) Pour d’autres, le réalisme n’est pas forcément pessimiste : il faut « faire avec », se « bricoler » une vie vivable. La précarité n’a pas que des inconvénients : c’est parce qu’on est mortel que la vie a du prix et prend du sens, que je peux lui donner un sens en être libre et conscient. Sortir d’un couple qui stagne ou se fait mal, c’est tourner la page et rebondir, sans rester piégé à vie. La précarité peut être choisie dans l’union libre de deux libertés, dans un intérim qui me paye le temps libre dont je peux jouir ; elle développe des capacités d’adaptation aux situations nouvelles, imprévisibles, des résiliences. Puisque la vie est courte, autant aménager au mieux sa précarité : système D érigé en sagesse. Rechercher l’état amoureux mais sans trop en souffrir, s’entourer d’un petit cercle d’amis, ne pas angoisser pour ses enfants, chercher un travail pas trop contraignant, ne pas perdre sa vie à la gagner, ne pas en vouloir toujours plus, prendre le maximum de temps libre, profiter d’une nature gratuite, accueillir l’instant et ses opportunités, ralentir le rythme et se relaxer, faire du sport, manger sain, aller au café philo, cultiver la joie : un idéal de classe moyenne éclairée ?

3) Trouver cette précarité insupportable, et ne pas se résigner : avoir la rage de vivre, brûler sa vie, viser les extrêmes, vivre à cent à l’heure, se griser dans la vitesse, la drogue, l’internet rose…

Ou faire de la recherche scientifique, créer des oeuvres d’art ou mettre au monde des enfants pour s’épanouir et se survivre…

Ou alors militer. Opposer à la dureté d’une vie éphémère la générosité de l’amour et de l’amitié qui donne sens par le don.

Faire du prosélytisme religieux.

Opposer à la précarité sociale générée par le capitalisme, l’individualisme ou les dictatures un idéal de justice, d’égalité et de paix par la lutte émancipatrice, syndicale, politique, humanitaire. Jusqu’à se sacrifier individuellement pour une cause, la cause.

Résister dans sa vie par la force du collectif, mais aussi dans sa vie quotidienne par une attitude respectueuse d’autrui et de la nature, en donnant l’exemple d’une révolution culturelle possible chez l’individu.

Travailler à « une vie bonne dans une cité juste » (Ricoeur).

Il est instructif d’inventorier, face à la précarité humaine, la façon dont l’homme s’y prend pour faire face, pour ne pas perdre sa face d’homme ; d’élucider son inventivité pour vivre debout dans les contraintes, en s’appuyant même sur elles. Sombrer, bricoler, résister, où en suis-je ?

Et chacun de vous ?

II) Synthèse de la discussion : Madeleine et jean-Louis

Comment nous situons-nous, dans cet éventail de réactions possibles, face à la précarité humaine, en tant qu’individu et en tant qu’homme ?

Il faut réfléchir sur la banalisation de la précarité, qui fait qu’elle ne nous scandalise plus.

La capacité de vivre avec la précarité est liée à la conscience que l’on en a. Le sentiment de précarité (existentielle, affective, économique) a une dimension personnelle : une situation précaire pour l’un peut être assumée par un autre. Chacun a une représentation personnelle de sa propre précarité par rapport à tel type de précarité. Faut-il les hiérarchiser, et en fonction de quel (s) critère (s)?

La précarité est-elle un ressenti subjectif ou/et une situation objective ? C’est un regard sur soi, mais aussi un regard de l’autre sur soi. Il faut distinguer la précarité choisie, et celle, plus fréquente, qui est subie

Le pessimiste, l’optimiste, ont-ils peur, chacun à leur façon, de la réalité ? Mais est-il raisonnable d’avoir peur ? Celle-ci est-elle bonne conseillère ? La peur, étant irrationnelle, ne peut être raisonnable. Elle peut être destructrice.

Il est de bon ton aujourd’hui, même à gauche, de vanter la précarité comme avantage des sociétés nomades, adaptatives. C’est oublier que le nomade reste attaché à un territoire : le touareg au désert, le pygmée à la forêt. Par ailleurs ceux qui passent aujourd’hui le plus facilement les frontières sont ceux qui détiennent du pouvoir, non les plus faibles…

La précarité est liée à la déstructuration du rapport de l’homme au temps et à l’espace. Elle participe de la destruction du sacré, qui enracinait dans la stabilité et la continuité. Être précaire, c’est se sentir coupé, vivre l’expérience d’une coupure, être déterritorialisé.

La précarité est devenu une idéologie qui peut inhiber les individus, les culpabiliser (c’est de votre faute si vous êtes chômeur!). Il semble utile de se déterminer face à elle collectivement, et pas seulement individuellement, pour ne pas laisser à ses enfants la société que l’on connaît. Car elle devient une méthode économique et sociale de gouvernance des hommes. La théorie néo-libérale nous enseigne que s’il y a précarité, chômage, c’est que l’homme est un individu non vertueux (Cf Cours de H. Solans). Dans ce cas, elle n’est pas forcément une fatalité : elle peut donner prise à des luttes.

La solidarité de proximité pour échapper à la solitude de la précarité ne semble pas suffisante comme solution à la précarité, même si elle n’est pas assimilable à la charité, quand il y a échange. Le groupe comme refuge peut d’ailleurs verser dans le communautarisme, qui ferme aux autres groupes.

  1. Décisions pour l’an prochain

Il apparaît en bilan de cette première année la prise de conscience par les participants de la complexité de la notion de précarité. C’est le rôle de la philosophie de nous immerger dans cette complexité, qui “ précarise ” nos opinions, ici dans l’intérêt de la profondeur de notre pensée. La majorité des participants souhaitent continuer l’an prochain à approfondir cette notion. Il est décidé de l’aborder à partir de notions auxquelles elle peut être associée : la responsabilité, la culpabilité, les rapports de force, le bouc émissaire…, avec certains apports philosophiques.

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