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Septi philo : « De l’origine à l’identité » Université Populaire de Narbonne (16 au 19 – 07- 09)

Septi philo : « De l’origine à l’identité »

Université Populaire de Narbonne (16 au 19 – 07- 09)

 

Introduction à la problématique

 

Michel Tozzi, responsable du pôle philo de l’UPS

 

L’initiative de cette manifestation revient à Alain Delsol, et a été ensuite relayée par Michel Tozzi, responsable du pôle philosophie de l’Université Populaire de Narbonne, dite de Septimanie en relation avec la brillante histoire de la ville. Elle a été ensuite soutenue par Nicole Cathala, adjointe à la culture et au patrimoine à la mairie de Narbonne. La nouvelle équipe municipale a mis en œuvre en juillet 2009 une manifestation qui faisait partie de son programme électoral : le Festival des Cultures de la Méditerranée. Elle a vu positivement l’initiative de ces journées organisées par l’UPS, qui pouvaient s’insérer en « off » de manière très complémentaire à sa propre manifestation.

Il semblait opportun à l’Université Populaire, de par sa vocation, d’accompagner les concerts proposés, les repas aux saveurs partagées, d’une réflexion spécifiquement philosophique autour des questions posées aux individus par la rencontre entre des cultures différentes.

Pour cette première édition, le pôle philosophie de l’UPS a proposé de centrer la réflexion sur la question de l’identité et des origines. L’identité peut s’analyser au point de vue individuel ou/et au niveau collectif. On peut la définir comme la conscience, pour un individu ou un groupe, de former une entité particulière et originale, et de forger cette unité et cette singularité par et dans une histoire et des projets. Le sentiment d’appartenance à une culture est un identifiant fort pour la construction des identités individuelles et collectives, au croisement de l’individuel et du collectif.

La question est actuellement sensible, voire polémique en France, par la confrontation délicate entre la constitution d’une société de fait de plus en plus multiculturelle, et la position juridico-politique républicaine (très différente des pays anglo-saxons), de l’intégration des individus un à un dans la nation, indépendamment de leurs appartenances religieuses et culturelles.

L’évolution de la société met dans les faits en crise le modèle républicain, qui doit faire face à des revendications identitaires d’individus et de groupes, débouchant sur le repoussoir du « communautarisme ». Celui-ci est une tendance au regroupement des individus en fonction de traits d’appartenance renvoyant à une origine, une histoire et des éléments communs établis, supposés ou fantasmés. Moins la République reconnaît des identités collectives, plus, avec l’accroissement de la diversité, celles-ci tendent à se manifester publiquement et se renforcer en réagissant face à cette non reconnaissance, menaçant de ce fait l’unité et la cohérence de la nation française. Comment donc articuler la diversité de fait individuelle et collective avec une citoyenneté et des valeurs communes ?

 

S’esquisse là, pour éviter le « choc des cultures », la problématique de l’interculturalité, dont a traité le vendredi matin dans une conférence la sociologue et politologue F. Lorcerie : comment penser et surtout vivre la coexistence d’individus et de groupes ayant une diversité d’origine, d’identité, de culture, de religion etc. ? Comment cette diversité peut être source de richesse, d’ouverture, et non de fermeture ou de conflit ? Doit-on repenser la forme française, géographiquement et historiquement située, de la laïcité ?

 

Il a été utile aussi, avec la philosophe S. Queval, au cours d’un parcours historico-philosophique le dimanche matin, de bien repérer comment se sont tissés progressivement les apports grec, judéo-chrétien et arabe dans notre pensée européenne, autour de la méditerranée.

 

Nous avons décidé d’explorer dans Septi philo ces tensions et complémentarités, en les envisageant sous différents aspects.

 

- Le premier café philo (le jeudi 16 juillet par l’équipe de Narbonne) – qui a pour sujet : « Pourquoi voulons-nous connaître nos origines ? » – a abordé la relation entre origine et identité, pour débroussailler des notions qui seront approfondies plus tard de façon plus sructurée. On peut entendre l’affirmation suivante, de la bouche de « communautaristes » ou parfois de sociologues : « Dis-moi d’où tu viens, et je te dirais qui tu es (position essentialiste), ou ce que tu deviendras (déterminisme prédictif) ». D’où tu viens, ce peut être un lieu, réel (pour l’étranger, l’immigré ou l’enfant d’immigrés…) ou imaginaire (l’idée que je me fais d’une terre ancestrale) ; c’est souvent une famille, un milieu, une « ethnie » (mot délicat à utiliser vu « l’ethnicisation » contemporaine du social[1]), une culture différente du lieu d’accueil. Nous entendons ici le mot culture au sens socio-anthropologique : une façon de vivre (habitat, vêtement, nourriture, éducation…) et de penser (représentation particulière du monde, historique à travers une mémoire collective, religieuse avec obligations et ses rites, philosophique avec ses catégories de pensée…).

Or on constate aujourd’hui chez les individus, et de plus en plus les groupes, le désir de connaître son ou ses origines, pour mieux se connaître, se donner des repères, se positionner, assumer ou rejeter ce qui nous a quelque part et en partie fait ce que nous sommes ou explique la façon dont nous sommes perçus.

- C’est individuellement la personne née sous x, ou adoptée qui veut connaître le donneur de perme ou les parents biologiques. C’est le patient qui en analyse cherche à remonter l’anamnèse du cours de sa vie. C’est l’autobiographie qui cherche à renouer tous les fils de son passé pour en trouver, construire ou reconstruire le sens. Plus généralement, parce que nous n’avons pas choisi de naître (autant que nous nous en souvenons), nous sommes à la recherche du mystère de la causalité efficiente et finale de notre existence : qu’en est-il du désir – ou du rejet – de ceux qui nous ont conçus ; qui étaient-ils pour me faire moi ? Sachant aujourd’hui à quel point la petite enfance conditionne notre inconscient et notre histoire future, où et comment s’origine mon histoire, sachant que cette chronologie tient souvent lieu de fondement[2].

- C’est plus collectivement un groupe qui veut restaurer (dans le double sens de connaître et valoriser) une mémoire oubliée, souvent niée ou humiliée : par exemple le génocide  pour les Arméniens, la Shoa pour les juifs, la colonisation pour les maghrébins ou les noirs.

Comment expliquer cette curiosité, quels sont ses enjeux, en quoi fait-elle sens ? Que recouvre ce désir, voire ce « devoir de mémoire » ? La mémoire faisant récit, en quoi rend-elle l’identité individuelle ou collective « narrative », comme le dit Ricoeur ?

 

Une première table ronde, présentée par F. Miquel, présidente du club Léo-Lagrange, et animée par M. Vidal, a posé quelques jalons théoriques: qu’est-ce que cette « identité méditerranéenne narbonnaise » du lieu où et d’où nous parlons à l’Université Populaire de Septimanie (par G. Gaudin)? Et afin de pouvoir réflexivement nouer les notions d’origine et d’identité, esquissées dans le café philo de jeudi, comment se pose philosophiquement « la question de l’origine » (D. Mercier), et « la question de l’identité » (R. Jalabert) ?

 

Ces questions sont philosophiques, mais prennent tout leur sens dans le vécu incarné des individus. C’est pourquoi ont été prévus le samedi après midi des ateliers philo sur la question de l’identité, impliquant plus existentiellement les participants (animés par D. Mercier, M. Pantalacci, M. Fréchou-Tozzi).

Qui suis-je ? Telle est la question posée. ? Question courte mais complexe. Car qui est ce qui ? Moi, je ? Qu’est-ce à dire ? Puis-je définir qui je suis en dehors de ce que je suis ? Dans la contingence hasardeuse et circonscrite de mon existence particulière, ou/et dans l’universalité de mon appartenance à la condition humaine Un être vivant, un être humain, une femme, un jeune, un occitan, un français, un européen, un citoyen du monde ? Un être fabriquant d’outils, désirant, parlant, agissant, pensant ? De la pulsion, une sensibilité, une raison ? Une conscience et/ou un inconscient ? Du même et/ou de l’autre ? Une personnalité sociale, qui partage avec d’autres des représentations et des habitus, ou radicalement différente, singulière, originale ? Pas facile de nouer, dénouer et renouer les fils…

 

- Alors que le premier café philo interrogeait l’identité par rapport à l’origine, au passé, à la mémoire, sur le versant de l’hérédité biologique et de l’héritage familial, social, civilisationnel, le second café philo (le samedi après-midi par J.P. Colin et l’équipe d’Agde) s’est demandé si l’identité n’est pas autant construction qu’héritage : « Peut-on construire son identité ? » : 

L’identité n’est-elle pas multiforme ? N’y aurait-il pas : d’une part l’identité statique/identique qui, comme la carte du même nom, ne se prononce pas sur le contenu de ce qu’elle désigne, mais seulement sur ce qui de son enveloppe résiste au temps et ne change pas ? Et d’autre part l’identité dynamique du moi qui pourrait s’édifier activement au fil du temps ? 

Comment alors, dans ce second cas, peuvent se combiner dans une vie ce qui est reçu/transmis, dans un déjà là qui nous précède et nous excède, et ce qui est activement construit ? Quels sont les processus à l’œuvre dans une telle construction : quel tri, quel bricolage entre résignation, acceptation, assomption, consentement joyeux, ou au contraire refus et rejet ? Et quid de la continuité et de la rupture, des réinterprétations contradictoires ou complémentaires, des surprises au détour des événements, des innovations et des inventions ?

 

- Pour éclairer toutes ces idées brassées, ont été rencontrés aussi le Dimanche matin, avec R. Jalabert et le chanteur B. Perren, quelques textes au cours d’une déambulation dans les rues de Narbonne, qui nous amènera à la conférence de S. Queval.

 

- Une deuxième table ronde, animée par R. Jalabert, a ensuite approfondi quelques points évoqués, à partir de doctrines ou d’auteurs reconnus :

  • l’idée que l’identité ne peut se penser sans une dialectique entre le même et l’autre: l’éclairage psychanalytique est ici particulièrement pertinent (M. Fréchou-Tozzi). Le dépassement de la  position narcissique et la résolution du complexe d’Œdipe amènent à la prise en compte de l’altérité, mais la tentation de rester dans la mêmeté est toujours là, amenant parfois de désastreux effets.
  • Un philosophe a particulièrement réfléchi sur la question de l’identité personnelle, P. Ricoeur. Il distingue deux versions du même de l’identité : l’idem, qui implique un noyau permanent au-delà des changements, qui renvoie à l’identité comme unité stabilisée (le caractère) ; et l’ipse, qui renvoie plutôt à la singularité d’un sujet qui au cours d’un trajet temporel fait des projets d’existence, assumant la dimension essentielle d’une identité humaine : la responsabilité éthique de ses actes (par M. Tozzi).
  • Le rapport entre identité, culture et individu est renouvelé par la pensée d’un philosophe canadien, Ch. Taylor, qui soutient, en rupture avec la matrice républicaine de la pensée française une position multiculturaliste : le droit à la reconnaissance de communautés dans une société multiculturelle, qui implique des droits spécifiques pour ces communautés (par R. Gautier).
  • La question de l’identité dans le taoïsme (par A. Delsol) nous décentrera de problématiques très (trop ?) occidentales. En effet, contrairement à nos société occidentales très individualistes, l’importance de l’individu dans des sociétés plus holistiques est fortement relativisée, comme dans certaines sociétés africaines ; et dans les cultures de l’Inde ou de la Chine, on perçoit différemment l’articulation entre individu et collectif, la place et le rôle de l’individu dans la société et plus globalement l’univers…

 

- Le dernier café philo (animé par D. Mercier et l’équipe du café Philosophia) a été tourné délibérément vers l’avenir : « Comment vivre et penser son identité, dans le cadre d’un projet de vie ? ». C’est l’option de la construction qui est ici privilégiée. Que faire de ce qui m’a fait, et de ceux qui m’ont fait ? La liberté est ici interpellée, à cause et au-delà des déterminations (faut-il dire des déterminismes ?) biologiques (nos gènes), sociologiques (nos habitus), psychologiques (inconscient et roman familial). De l’origine à l’identité reçue et transmise, du projet vers une identité à construire ou reconstruire, il est complexe pour un homme ou un groupe à la fois d’être et de devenir ce qu’il est ou veut être…


[1] Nous entendons par là une tendance à expliquer les problèmes sociaux plus par le recours à des « ethnies » qu’à des causes économiques, des classes sociales, qui sont en fait fondamentales).

[2] Si l’origine est événement et historicité (chronologie), le fondement est principiel et structural (il assure les bases et la forme de la personnalité).

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