Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Café philo Narbonne : comptes rendus des séances année 2004-2005

Le mariage a-t-il encore un sens ?

Banquet de Léo, le 30/09/04

Animation M. Tozzi – Synthèse R. Jalabert

 

Dix-huit convives ont pris part à ce premier banquet philosophique de l’année. Alors qu’il était grandement concurrencé par des institutions comme le concubinage ou le Pacte Civil de Solidarité (P.A.C.S.), le mariage semble, à regarder les…

récentes revendications de la communauté homosexuelle, avoir encore un avenir devant lui. La relation entre deux êtres est très aléatoire, incertaine, leur union reposant sur deux « oui » tandis qu’un seul « non » suffit pour qu’il y ait rupture. Une institution comme celle du mariage vient apporter une garantie, une sécurité supplémentaire ; parce qu’elle unit enprésence d’un tiers (maire, prêtre, représentant de la société), elle prend acte et aide les individus à tenir leurs promesses, à « tenir debout » dans leur union (statuere : tenir debout) ; par sa « froideur », elle fait prévaloir le raisonnable. Faut-il que l’individu soit si peu fiable pour avoir ainsi besoin de l’institution ? A une époque où la montée de l’individualisme fait que beaucoup de personnes ressentent les institutions plus coercitives que permissives, où la dés-institutionnalisation de l’individu rend difficile le lien social, il semble opportun de se demander si le mariage, institution qui réglemente, a encore un sens. Puisque les possibilités ne manquent pas (union libre, concubinage, P.A.C.S., …), pourquoi certains choisissent-ils le mariage etd’autres non ? Qu’est-ce qui fait sens pour certains et pas pour d’autres ?

Est apparue au cours de cette discussion jalonnée par quelques intermèdes culinaires une multitude d’approches possibles de la question du mariage :

Dimension religieuse :

Le mariage religieux est souvent ramené au sacrement qu’il représente, rendant de ce fait les liens indéfectibles. Beaucoup regrettent toutefois la banalisation de la démarche religieuse de nos jours ; elle ne fait qu’altérer, voire même annihiler ce caractère sacré pourtant essentiel. Certains en viennent même à se demander si les jeunes trouvent un véritable sens dans le mariage religieux, un engagement spirituel, ou s’ils le font « simplement pour rallonger la cérémonie » (« pour ledécorum »). Bien qu’il ne s’agisse pas là de spiritualité mais plutôt de « faire bien », d’ « assurer le cérémonial », cela ne suffit-il pas pour qu’il y ait sens ? Quel qu’il soit… Nous trouvons donc là l’idée que sans qu’il y ait pour autant croyance, le mariage religieux peut avoir du sens, ne serait-ce que pour ce quiest d’apporter une solennité à la fête.

Dimension historique :

Une participante affirme qu’ au 18ème siècle on garantissait un cadre par le mariage. Le mariage n’a donc pas toujours été fondé sur l’amour : « c’était un mariage de convention ! ». L’évolution des mœurs a été très lente, certes, mais plus rapide durant les cent dernières années. Cela amène un autre participant à s’interroger sur l’évolution récente du mariage ; on ne pouvait le contourner dans les années 60, puis une évolution s’est produite (avec au passage Mai 68, l’accession à la contraception, …) ; se marier de nos jours, « ce serait plutôt se dire qu’on ycroît ». Un participant se risque à établir un parallèle entre la tradition et le mariage : « Quand la tradition a reculé, le mariage a reculé. Aujourd’hui la tradition revient, le mariage revient lui aussi ». Lorsque la question des biens est abordée, quelqu’un souligne qu’avant 1965 on ne pouvait se marier que sous le régime de la communauté des biens. Il conviendrait des’intéresser aux variations de sens possibles selon les générations successives.

Dimension sociale :

Un couple affirme avoir « plutôt cherché, en passant du concubinage au mariage, une reconnaissance ». Cette reconnaissance (sociale) passe parfois par la cérémonie, la solennité de la fête. Si le mariage a longtemps été un rituel imposé,c’est surtout par « peur du regard des autres », par souci du « qu’en dira-t-on ? » ; « le mariage a encore un sens car la personne seule est perçue de manière différente par les couples ». Pour une participante, il s’agit, dans le mariage, de « poser quelque chose devant les autres […] le mariage enlève la suspicion aux yeux de lasociété ; ainsi on est hors de danger par rapport aux autres […] le mariage ôte cette suspicion qui plane sur l’individu seul ». Le sens peut donc être donné de l’extérieur (certains « choisissent le mariage religieux pour faire plaisir à leurs grands-parents »). Selon un participant, on se situe toujours par rapport au mariage en fonction de la façon dont on se situe par rapportà l’ordre social.

Dimensions temporelle et individuelle :

Plusieurs participants soutiennent que le sens du mariage peut varier à la fois dans le temps et « en fonction de la personne, selon le temps qui passe à l’intérieur de la personne ». Le sens pourrait différer en fonction de la personne et de son âge : « à quarante ans, il ne s’agit pasd’une pression sociale mais d’un choix véritable » ; « le sens n’est pas le même à vingt ans et à quarante ».

Une participante apporte l’idée que le mariage témoigne du fait que l’individu ne s’appartient pas. Dans le mariage religieux par exemple, nous avons la fille qui entre au bras de son père et ressort à celui de son mari. Le sens social est qu’elle quitte une famille pour en fonder une autre, que s’opère une transmission de génération ; mais nous pouvons y voir également l’idée que l’on ne s’appartient pas à soi et ainsi abandonner l’égocentrisme propre à une perception de l’individu en tant qu’atome.

Dimension politique :

Un participant insiste sur l’engagementrépublicain dans le cas du mariage civil ; l’appréhender sous cet aspect-là peut selon lui conférer un sens supplémentaire au mariage civil mais aussi une certaine solennité. Nous avons également vu poindre la dimension politique du mariage lorsque le mariage homosexuel a été évoqué. Le législateur aurait l’intention, « pour biaiser la situation », de rendre leP.A.C.S. aussi important que le mariage. Cela ne risque-t-il pas, se demande un participant, de « vider la substance du mariage et altérer sa valeur symbolique » ? « Pourquoi les politiques n’ont-ils pas pris les devants avant par ce même biais ? ».

Dimension ethnologique :

La discussion a parfois eu une teneur ethnologique, voire anthropologique ; notamment autour de lasignification des rites dans les sociétés humaines et la façon dont l’institution règle les processus intergénérationnels (« Comment faire entrer un homme dans l’humanité ? »).

Pour conclure…

S’il ressort de cette soirée que le mariage rencontre encore un succès considérable, beaucoup s’accordent également à direque, quelle que soit l’évolution, la conception du mariage, de l’engagement (même lorsqu’il s’agit de raisons purement matérielles), cette démarche peut toujours trouver un sens. De manière générale, le sens à attribuer au mariage serait qu’il y a une cérémonie (civile, religieuse, communautaire…) symbolisant le lien et signifiant quelque chose de la stabilité.



Peut-on avoir du pouvoir et être (/rester) juste ?

Café philo de Narbonne, le 04/10/04

 

Près de soixante personnes se sont réunies au « Café de la Poste » pour ce deuxième rendez-vous de l’année. C’est là un sujet important, tant sur le plan individuel que collectif, déclare Michel lorsqu’il introduit la problématique.Après l’évocation du mythe de Gygès que l’on trouve dans La République de Platon, et dont l’idée d’un anneau magique octroyant un pouvoir est reprise par la trilogie du « Seigneur des anneaux », Michel énonce cette thèse qui veut qu’un homme (juste comme injuste) à qui l’on abandonne un quelconque pouvoir ne fait que suivre ses intérêts propres, ne sachant pas forcément ce qu’est le bien (« Nul n’est méchant volontairement », peut-on lire chez Platon). Alors, dans un tel contexte, il convient de se demander si le pouvoir est nécessairement corrompant…

Première partie : une multiplicité de formes de pouvoir

Sans pour autant proposer une véritable définition du pouvoir, les différentes interventions de lapremière partie mettent à jour une multiplicité de formes de pouvoir ; ainsi sont tour à tour évoqués le pouvoir de l’argent, du politique, du peuple, de la parole, mais encore celui qu’octroie le charme. Pour certains le pouvoir, « tout pouvoir » même, est liberticide et doté d’une force qui tend à soumettre et à incliner à l’obéissance, d’oùla nécessité de le contester, en ne le reconnaissant pas par exemple ; quelques uns se méfient avant tout de l’absolutisme : « Le pouvoir est fou, le pouvoir absolu rend fou absolument » (Alain). D’autres voient au contraire une nécessité dans le pouvoir qui se révèle indispensable pour échapper à la menace anarchiste : « on ne peut s’en passer »,soutient une intervenante. Le pouvoir serait alors un mal nécessaire, source d’ordre et donc « pas mauvais en soi »… « Tout dépend de qui l’utilise ! ». Pour ces « partisans » du pouvoir, celui-ci revêt des qualités et significations positives : puissance, responsabilité, éthique, …

Quelques autres semblent quant à euxs’accorder sur une nouvelle forme de pouvoir propre à la civilisation occidentale actuelle, un pouvoir dont se verraient dépossédés les politiques puisqu’il serait parcellaire ; tout individu endosserait alors la responsabilité de l’exercice d’un tel pouvoir aux dépens d’autres civilisations comme le Tiers-Monde. Un autre intervenant voit là « une posture plus positive où le pouvoir està chacun », et où chacun est par conséquent détenteur de la liberté. Chacun pourrait avoir le pouvoir par l’exercice de sa liberté propre (Cf. la dialectique hégélienne du Maître et de l’Esclave). « Tout le monde a sa part de pouvoir », renchérit un troisième intervenant.

Si plusieurs formes de pouvoir ont ainsi été évoquées, il ressort toutefois des propos tenus dans cette première partie que le pouvoir de l’argent est très probablement le plus prégnant dans notre société actuelle, société dans laquelle s’exposent de manière ostensible et impudique d’immenses fortunes et dont la capacité d’influence supplante bien souvent celle du politique. L’argent, selon une majorité d’intervenants, pervertit ses objets,les réduisant à un état de marchandise.

Seconde partie : Un puissant juste ?

Si la première partie de la discussion a révélé une multiplicité des formes de pouvoir, la seconde s’est plutôt intéressée à la question de la justice dans l’exercice d’un pouvoir. Un premier intervenant s’est d’abord essayé à unedéfinition du pouvoir, le présentant comme la capacité d’influencer autrui, d’imposer sa propre vision de la justice, sachant que « chacun a sa propre conception du juste ». Les manières d’opérer peuvent alors différer : la force, la séduction, mais aussi la ruse … Pour beaucoup le pouvoir est arbitraire (« et donc contestable »), d’oùl’exigence de justice. Bien qu’il soit connoté péjorativement de manière générale, le pouvoir ne pourrait-il pas, par le simple fait qu’il est inévitable et utile, être « rendu plus qu’acceptable… juste » ? Alors une intervenante suggère deux conditions pour que le pouvoir tende vers le « juste » : – Ne pas être absolu – Etrepartagé (nous retrouvons là les principes de la république –connus depuis Montesquieu– dont le souci majeur est de fonder une société juste). Un peu plus tard cette même intervenante complètera par une troisième condition : – Etre à durée limitée.

D’autres intervenants s’appuient sur l’idée confucéenne « Ne fais pas à autrui ce quetu n’aimerais pas que l’on te fasse », voyant dans ces mots ce qu’un individu à pouvoir devrait toujours se dire ; un « puissant » qui respecterait cette idée pourrait-il alors être qualifié de « juste » ? Enfin, certains croient en la nécessité d’un tiers « arbitreur », chaque homme étant porteur d’un désir depouvoir.


Pour conclure, il conviendrait de souligner que la vie en démocratie exige des individus qui la composent d’avoir le souci permanent de l’intérêt de tous ; mais au vu des dérives engendrées par le pouvoir mis entre les mains de nombre de ces individus dits « responsables », n’y a-t-il pas tout intérêt à toujours vouloir garantir unvéritable souci de justice et ainsi vouloir établir une sorte d’ « éthique du pouvoir » ?


Quand on vieillit, qu’est-ce qui reste et qu’est-ce qui change ?

Café-philo de Narbonne, le 08/11/04

Animation M. Tozzi – Synthèse R. Jalabert

 

Dans La République, Platon évoque le bateau deThésée qui, après mille années d’entretien par des générations successives de grecs, ne possède plus la moindre planche d’origine, et en vient à se demander s’il s’agit toujours du même bateau, si l’on peut considérer celui-ci comme étant identique à celui qu’a connu Thésée. Chez nous, êtres humains, toutes nos cellules se renouvellent tous les septans environ ; pourtant, nous demeurons… Quand nous vieillissons, est-ce qu’un noyau constitutif de notre personne perdure, tel un fil conducteur ? Autrement dit, devons-nous penser notre existence en tant que continuité ou en tant que changements, ruptures ? Cinquante à soixante personnes se sont penchées sur la question…

Qu’est-ce qui change ?

Vraisemblablement obnubilés,accaparés par la présence du verbe « vieillir » dans le titre, la plupart des participants se sont livrés, dans la première partie de la discussion, à une véritable apologie du changement. Le vieillissement infligerait au corps, mais aussi à l’esprit (et au caractère), des « changements évidents ». « Le physique est en constante évolution » peut-onentendre. Si beaucoup semblent assimiler cette évolution de l’être humain à une décadence, une décrépitude, quelques uns la perçoivent toutefois moins péjorativement, arguant une bonification pareille à celle que peut connaître le vin au fil des ans. « Rien ne reste ! », soutient un autre intervenant, « je ne suis pas le même qu’à dix ans, pas la mêmepersonne ». Et son voisin de renchérir qu’ « il faut rompre avec la volonté de notre société de croire que quelqu’un est toujours le même, indivisible, indestructible […] Je dis non ! La vieillesse dégrade le corps, puis l’esprit, au point que ce n’est plus la même personne ». Pour certains c’est le statut de la personne qui change au cours de l’existence (enfant, adolescent, adulte, retraité,…) tandis que d’autres voient le changement dans l’environnement de l’individu, dans tout ce qui l’entoure. Parmi tous ces changements évoqués, n’y a-t-il pas lieu de s’interroger pour savoir quels sont ceux qui relèvent du libre choix et ceux qui seraient plutôt de l’ordre du déterminisme ?

Qu’est-ce qui reste ?

Une participante rappelle que, bien que nos cellules se renouvellent, nous conservons le même noyau, le même A.D.N. : « C’est identitaire ; biologiquement, on est bien nous-même. On reconnaît une personne grâce à cela à n’importe quel moment de son existence ». Si tout le monde semble s’accorder à dire que notre patrimoine génétique demeuretoujours le même, quelques uns indiquent toutefois que d’autres éléments d’une personne subsistent. Des traits physiques par exemple, qui permettent de reconnaître une personne vingt ans après, ou à partir d’une photo ancienne. Une permanence subsiste. Ce qui reste alors n’est pas l’identité mais la ressemblance. Si les traits physiques peuvent perdurer, on peut vraisemblablement compter également sur lestraits de caractère, de personnalité. Ceux-ci « ne changent pas » : « un pommier reste un pommier ! ». L’identité reposerait sur notre caractère unique, qui ferait notre différence. Certaines personnes ont une structure plus ou moins forte, affirmée, et sont en conséquence plus ou moins perméables aux influences extérieures ; d’où l’importancepour les psychologues de se concentrer sur ce qui reste, sur le permanent, la structure psychologique de base (acquise très tôt). Parmi les éléments qui perdurent, ressortent encore le désir, tel un noyau identitaire logé dans l’inconscient ; et le passé, ce que l’on laisse derrière, logé dans la mémoire.

Du « changement dans lacontinuité »…

« Et l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens, Mais dans l’œil du vieillard, on voit de la lumière ».

Ces mots empruntés à Victor Hugo par un participant illustrent bien les contradictions mises à jour par Michel lorsqu’il reformule certaines interventions : « Tu dis que "ça change" mais que"quelque chose reste aussi" ».

« L’A.D.N. reste, mais l’environnement est aussi déterminant». « Les apparences manifestent un changement évident, mais on peut quand-même se reconnaître ; reste une permanence ». « On évolue sans cesse tout en gardant nos traits ». « Notre désir semble rester, mais son objet change ».« Il y a une structure psychologique de base, mais dans laquelle vont s’inscrire des informations de la vie ; cette structure peut subir des changements radicaux à l’occasion de traumatismes (les rites initiatiques dans certaines tribus) ». Toutes ces contradictions laissent transparaître une permanence sous le changement et supposent que l’on s’appuie sur la rupture pour continuer à vivre. Ainsi nous pourrions pensernotre évolution en terme de rupture comme de continuité.

Pour conclure… Il est à regretter que le terme « vieillir », qu’il fallait prendre au sens de « devenir », ait quelque peu biaisé la discussion qui s’est souvent focalisée sur le changement, la décrépitude associée à la vieillesse. Ceci malgré les quelques « chevaux blancs » (en référence au mythe platonicien de l’attelage ailé) qui se sont efforcés de tirer la discussion vers l’autre versant. Quoiqu’il en soit, l’enfant perdurera toujours dans l’homme devenu adulte aux yeux de ses parents qui verront toujours en lui et l’appelleront encore « le petit ».

 

Pourquoi devons-nous chercher lavérité ?

Café-philo de Narbonne, le 06/12/04

Animation M. Tozzi – Synthèse R. Jalabert

 

Environ quarante-cinq personnes se sont retrouvées au « Café de la Poste ». C’est sur l’allégorie de la Caverne (Platon, La République, Livre VII) que s’appuie Michel pour introduire la problématique ; allégorie qui semblecoïncider avec la naissance de la philosophie, de la réflexion, car le philosophe a un désir de vérité, de connaissance. « Libérez-vous de vos chaînes et venez voir la vérité », tel semble être le message de l’allégorie platonicienne. Mais pourquoi devons-nous chercher la vérité ? Cela vaut-il le coup ou ne vaut-il pas mieux s’accommoder avec le mensonge et l’illusion qui sont tout autant susceptibles de nous rendre heureux ?

Qu’est-ce que la vérité ?

Si « "vérité" est un des grands mots de l’humanité », beaucoup ont cependant rencontré quelques difficultés pour définir ce qu’elle est, et se sont limités dans un premier temps à essayer de dire ce qu’elle n’estpas. Ainsi la vérité s’est vue opposer au mensonge, à la croyance, l’illusion, mais aussi distinguer de façon nébuleuse de la réalité ou encore du vrai. Ont pareillement été distingués mensonge, illusion et contre-vérité.

La suite de la discussion verra deux thèses se profiler. Certains affirment qu’il pourrait n’y avoir qu’une seule vérité,« la vérité vraie », qui pourrait « mettre tout le monde d’accord ». D’autres soutiennent au contraire qu’il existe « une seule réalité, mais une multitude de vérités » ; la vérité deviendrait alors relative, chacun étant susceptible d’avoir la sienne. La vérité serait l’interprétation de laréalité. A cela viennent s’ajouter deux autres définitions : pour l’une la vérité serait l’accord de la pensée avec elle-même, une forme de cohérence nécessaire qui rendrait toute vérité impossible dans une pensée contradictoire ; l’autre verrait la vérité dans le consensus, un accord possible entre plusieurs personnes, une construction dansl’intersubjectivité (c’est le cas des vérités scientifiques).

Pourquoi ne devrions-nous pas chercher la vérité ?

On entend souvent dire que, selon les situations, certaines vérités ne sont pas bonnes à dire, que le mensonge peut même offrir parfois certains avantages ; c’est là la question de l’éthique introduite par le« devons-nous » de l’intitulé du débat : la franchise est-elle toujours préférable au mensonge ? Si la vérité peut parfois faire mal, est-ce bon de la chercher ? N’est-ce pas mieux de la cacher ? L’illusion n’est-elle pas au fond meilleure pour assurer le bonheur ? La vérité fait peur parfois, et c’est ce qui peut faire obstacle à sa recherche. Deplus, la vérité est jugée inaccessible par de nombreux participants. L’un d’entre eux évoque « l’inaccessible étoile » (chantée par Jacques Brel) pour la désigner. Si la vérité est hors de notre portée, à quoi bon la chercher ? Un autre participant poursuit : « la vérité n’est pas de ce monde, on y accède à la mort ettout se dénoue, tout devient enfin simple ». Nul besoin donc de la chercher (sinon pour trouver la mort) car la vérité, comme la mort, viendra tôt ou tard, tel un dénouement. La vérité serait in fine.

Pourquoi devons-nous chercher la vérité ?

Si de l’avis de beaucoup la vérité n’est pas toujours ce qu’il y a de mieux ; si elle peutêtre, à l’instar du mensonge, porteuse d’une ambivalence, source de joies comme de peines, la vérité n’en demeure pas moins importante pour l’Homme. « Parce que la vérité au moins combat le mensonge ! » lance une participante ; « Tout le monde cherche la vérité pour éviter de faire des erreurs et les mauvaises conséquences »(devons-nous la chercher seulement parce qu’elle est ainsi utile ?) ; « La recherche de la vérité peut avoir une fonction véritablement thérapeutique ». La vérité pourrait encore avoir, selon certains, une fonction libératrice, émancipatrice ; car elle nous met dans un rapport au savoir, elle nous permet de connaître, d’établir une cohérence ; « lavisée de la liberté est importante d’un point de vue subjectif pour ne pas être agi et agir soi-même ». Libres par la vérité nous le sommes encore à l’égard du mensonge : « on n’est plus occupé par le mensonge, elle facilite la vie ». Enfin c’est parce que la vérité est inatteignable que nous devons la chercher. Cette inaccessibilité de lavérité est la condition, le moteur de sa recherche (« c’est comme le désir »), et c’est cette recherche constante qui nous permet de ne pas rester figés, de grandir. Un participant compare d’ailleurs cette recherche de la vérité à ce qu’il nomme « l’histoire du voyage » : « le chemin est plus important que le but ». Et un autre de rajouter : « Le bonheur n’est pas de boire à la source mais de s’en approcher ».

Pour conclure, il est à souligner l’étendue du réseau conceptuel établi au cours de la discussion : rapport au sens, au savoir, à la liberté, au bonheur… ; mais encore la diversité des champs abordés : scientifique (construction collective, consensuelle dela vérité), juridique (vérité prononcée par un juge ou un jury), religieux (la vérité est révélée à l’Homme),… Une inquiétude se fait toutefois jour à l’idée de devoir ainsi chercher la vérité : et si quelqu’un venait à la trouver, que devrait-il en faire ?

 

Doit-il y avoir une limite au droit età la liberté d’expression ?

Café-philo de Narbonne, le 17/01/05

Animation M. Tozzi – Synthèse R. Jalabert

 

Plus de quarante personnes se sont démocratiquement exprimées pour choisir, en début de séance, le sujet de ce Café-philo « à la Marc Sautet ». Choisir, c’est renoncer ; il a donc fallu, pour n’en retenirqu’un seul, écarter (du moins pour ce jour) la plupart des thèmes proposés par les participants. Aux quelques autres suggestions (portant sur les "Lumières", la promesse, le hasard ou encore le refus), les participants ont majoritairement préféré réfléchir sur ce droit et cette liberté d’expression dont les médias (entre autres) semblent parfois abuser et que nous subissons souventmalgré nous. Il semble y avoir là un conflit de légitimité entre d’une part, une liberté et un droit d’expression qui sont le fondement de la démocratie (c’est la possibilité pour chacun de dire ce qu’il pense) ; et d’autre part un droit à l’information qui devrait nécessairement reposer sur la vérité. En d’autres termes, comment pourrait-on avoir une libertéet un droit d’expression (sans lesquels il n’y a pas de démocratie possible) compatibles avec l’exigence d’un certain rapport à la vérité et à l’exactitude dans l’information qui nous est adressée ?

De l’inaliénabilité du droit et de la liberté d’expression …

A une première intervenante qui se plaint d’avoirété parfois « agressée, choquée par certaines œuvres artistiques », une autre réplique par la nécessité d’une liberté d’expression absolue pour l’artiste, estimant que « si l’artiste ne peut librement s’exprimer, ce n’est pas la peine ! ». Alors un participant rappelle que « l’art est souvent en avance sur son temps et doncagresse, bouleverse, choque forcément » . Il ajoute que la liberté d’expression des artistes nous éloigne du totalitarisme, tandis qu’un autre participant souligne le caractère fondamental de l’inaliénabilité du droit et de la liberté d’expression dans toute société démocratique. Pour les partisans de la libre expression (de l’artiste comme du journaliste), nous sommes enmesure de résister aux diverses informations qui viennent à nous ; libre à nous de ne pas regarder ou écouter si quelque chose est susceptible de nous déranger. « Fermer le robinet d’informations » ou « diversifier ses sources », voilà qui pourrait suffire à nous protéger.

Nécessité d’une limite

Si tout le monde sembles’accorder sur l’idée que le droit et la liberté d’expression sont essentiels à la démocratie, nombre d’entre eux reconnaissent toutefois que l’on ne peut pas pour autant « dire n’importe quoi, n’importe comment, n’importe quand, n’importe où et à n’importe qui ». Si en théorie nous pouvons fermer les yeux, verrouiller les sources, dans les faits iln’en est pas complètement de même : « Nous subissons certaines choses malgré nous et notre liberté n’y peut rien. Tout le monde n’a pas la capacité de choisir, de ne pas se laisser faire ; quelque chose doit donc nous protéger ».

Quelle limite possible ?

« Un "tag", c’est un formidable geste d’expression, mais pas chezmoi ! ». En disant cela, cette participante énonce peut-être la première limite possible au droit d’expression. Cette limite voudrait que le droit d’expression s’arrête là où commence la diffamation ou l’atteinte à autrui. Une autre limite résulterait de l’exigence de vérité ; le droit d’expression serait subordonné à la vérité. Apparaissent alors deux principes susceptibles de légiférer sur le droit d’expression : le respect de la dignité humaine, d’autrui ; le rapport au réel, à la vérité. Il ne s’agit donc pas (plus) d’un droit absolu ; chacun, dans un régime démocratique, serait libre de s’exprimer, "sous réserve de …" respecter ces principes et de ne pas faire entrave aux autresdroits.

 

Pour conclure…

Conserver, garantir la liberté d’expression essentielle à la démocratie malgré l’introduction de limites (nécessaires), c’est là le paradoxe de la situation. Situation porteuse d’une antinomie qui n’est pas sans nous rappeler Kant voulant « cultiver la liberté sous la contrainte »… Soucieux de ne pasaltérer cette liberté individuelle, quelques participants dénoncent le caractère illusoire des limites qui seraient prescrites, imposées, appelant à l’éthique (ou déontologie) de chacun et, partant, à la responsabilité individuelle. Est également évoquée l’idée d’ « autorégulation », de l’expression comme de la réceptiond’informations. « On ne peut pas tout dire. Affirmer qu’on le peut est pervers car certaines choses ne se disent pas, il existe des principes moraux, c’est comme ça ! », lance une participante. La censure interne propre à chacun ne pourrait-elle pas nous éviter d’avoir à penser l’institution de limites à la liberté d’expression ?


Peut-on faire le bien d’autrui malgré lui ?

Café-philo de Narbonne, le 28/02/05

Animation M. Tozzi – Synthèse R. Jalabert

 

Qu’ils soient parents, éducateurs, travailleurs sociaux, enseignants ou médecins (, …), leurs intentions à l’égard des personnes qu’ils prennent en charge sont toujours supposées bonnes et orientées vers leur seul intérêt, leur seul bien. Malgré cela, ils se heurtent souvent au désir ou à la volonté de ces personnes, qui pensent que cela ne va pas dans le sens qu’elles voudraient. Confrontés à cette résistance, et à court d’arguments la plupart du temps, ils (parents, éducateurs, médecins, …) ont alors recours à l’irréfutable credo : « C’est pour ton bien ! »,censé témoigner de la pertinence et de l’altruisme de leur action. Intéressons-nous donc à ces personnes qui prétendent connaître et vouloir le bien d’autrui, et s’y emploient parfois contre sa volonté ou à son insu. Que l’on sache ou non ce qu’il y a de mieux pour lui, peut-on, doit-on (et jusqu’où) faire le bien d’autrui malgré lui ?

« Peut-on faire le bien d’autrui malgré lui ? » ?

La première partie de la discussion a vu la mise à jour des difficultés contenues dans le sujet. Difficultés d’ordre conceptuel dans un premier temps puisqu’elles amènent plusieurs participants à tenter d’exprimer leur propre conception du bien. Ainsi le bien sera tour à tour assimilé au « bon », au« bonheur », mais également distingué du « plaisir ». Il sera finalement convenu que le bien est une notion très relative : « ce qui est bien pour soi ne l’est pas forcément pour l’autre » (un participant rappelle que l’actuel président américain considère faire le bien du peuple irakien). Le souci de conceptualisation se déplace alors vers« autrui » qui peut être le même, le semblable (quand on considère son bien, on le considère comme semblable), mais peut encore être le « tout autre » (si on doit parfois lui imposer « son bien », c’est parce qu’il est « tout autre »). Puis la discussion met en lumière un conflit de légitimité entre le bien et le désir del’autre : le bien de l’autre doit-il passer avant son désir ? De même est pointée du doigt la question de la liberté de l’individu, notamment celle de l’enfant pour lequel on se demande s’il ne s’agit pas finalement que d’une liberté « en voie d’émergence ». Enfin sont soulignées les différentes acceptions du « peut-on » (est-cepossible ?, souhaitable ?) ainsi que l’importance du « malgré » dans l’intitulé, qui sous-entend que l’on n’a pas toujours le consentement de l’ « autre ».

Non !

Pour nombre de participants, une telle démarche vient menacer la liberté de l’autre ; certains voient même là « le nid de ladictature ». De plus, prétendre vouloir et faire le bien d’autrui, c’est se mettre dans une posture différente et même supérieure à la sienne. On remarque par ailleurs qu’au cours de la discussion « autrui » est la plupart du temps présenté comme étant inférieur. Qu’il soit évoqué à travers l’enfant, l’élève, le patient ouencore le « sans domicile fixe », il ne jouit jamais véritablement du statut d’égal. Mais le simple fait que l’autre est dépendant ne doit pas constituer un principe de justification ; qu’il ait ou pas le statut d’égal, on ne peut vouloir et faire le bien d’autrui sans son agrément. Car oser vouloir faire le bien d’autrui malgré lui, ce serait occulter, nier safaculté à résister. Or, la difficulté réside précisément dans le fait que l’autre, sujet désirant, très conjectural et pas toujours malléable, possède une grande capacité de résistance.

Oui …

S’ils se disent également gênés par le caractère asymétrique d’une telle démarche, certains participantsreconnaissent néanmoins qu’il est des situations au cours desquelles on se doit d’agir dans l’intérêt d’autrui même s’il faut pour cela faire fi de son sentiment ou de ses désirs. C’est le cas notamment des situations d’urgence qui exigent d’agir dans l’instant et au cours desquelles les individus impliqués ne sont pas toujours aptes au discernement. Ainsi une participante s’interroge sur lacapacité d’un « sans domicile fixe » pris dans le plaisir de l’alcool à juger, à évaluer ce qui lui est préférable lorsqu’il refuse toute charité par temps froid. Le devoir d’assistance à personne en danger n’exige-t-il pas de faire le bien d’autrui malgré lui ? Sont également évoqués les cas de maltraitance. D’autres participantspoursuivent même au-delà. Si entre adultes nous sommes censés être dans un rapport d’égalité, il en est tout autrement lorsqu’il s’agit d’éducation. « Ce que veut l’enfant n’est pas forcément son bien, celui-ci ne distinguant pas véritablement le bien du plaisir ». Alléguant un rapport adulte – enfant nécessairement asymétrique, une« infériorité naturelle évidente », ces participants soutiennent que « quand on est parent, on a le droit de faire sans l’accord de l’enfant », « c’est cela que l’on nomme l’éducation des enfants ! ». Enfin d’autres participants semblent dire que l’on peut faire le bien d’autrui malgré lui, mais « à conditiond’être cohérent », insistent-ils. Ainsi l’on comprend qu’un comportement exemplaire pourrait conférer une certaine légitimité …

Pour conclure, nous pouvons souligner le tiraillement des discutants entre d’une part l’intention première, tout à fait louable, d’agir dans l’intérêt d’autrui, pour son seul bien ; et d’autre part lesouci (éthique) de ne pas venir contrarier la volonté, la liberté d’autrui qui se peut parfois montrer « tout autre ». Mais avant de vouloir faire le bien d’autrui, suis-je capable de faire mon propre bien malgré moi ?

 

Où va la raison ?

Café-philo de Narbonne, le 07/03/05

Animation M. Tozzi – Synthèse R.Jalabert

 

Au cours du 18ème siècle (« Siècle des Lumières »), les philosophes les plus « éclairés » songeaient à une raison universelle susceptible de faire progresser les sciences, les techniques, et par là même l’humanité tout entière. Fermement convaincus des vertus émancipatrices de la raison, ces penseurs (à l’instarde Kant qui, dans l’opuscule Qu’est-ce que les Lumières ?, invitait à « oser se servir de sa raison ») ont ardemment avancé et soutenu la raison contre toute forme d’obscurantisme, quelle qu’elle soit. Cette idéologie rationalisante a perduré au 19ème siècle à travers le courant positiviste d’Auguste Comte, pour qui le triomphe de la science promettait l’accèsde l’humanité au bonheur. Mais cet élan rationaliste s’est vu remettre sérieusement en question au 20ème siècle, notamment après les drames de la Shoah et de Hiroshima. Dès lors la raison et la culture ne semblent plus protéger de la barbarie. La science, jusqu’alors source de progrès (dans le champ de la médecine notamment), peut aussi engendrer le pire (destruction massive). Qu’en est-il doncde la raison à l’aube du 21ème siècle ? Peut-on encore lui faire confiance après qu’elle nous ait montré de si sombres aspects ?

Qu’est-ce que la raison ?

Difficile de définir un terme qui rassemble autant d’acceptions. Assimilée à une faculté propre à l’homme et par laquelle il peut penser, la raison se voit opposer à la folie(« quand on perd la raison, on devient fou »). Lorsqu’elle désigne l’ensemble des principes permettant de bien juger, elle semble se confondre avec le bon sens, telle la bona mens évoquée par Descartes à l’entame du Discours de la méthode. Certains participants regrettent d’ailleurs que la raison ne soit toujours pas partagée, universelle, comme la voulaient les Lumières.D’autres interventions placent la raison comme ce qui s’oppose à l’intuition, au sentiment (car « elle nous ramène à la réalité ») ; mais encore comme ce qui est conforme à la justice, à l’équité. Enfin la raison qui nous intéresse est clairement distinguée du motif, du mobile, de l’argument qui vient expliquer ou justifier un acte (un participant cite Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point », Pensées, 277). Dans tous les cas les participants lui reconnaissent une visée de vérité, une proximité avec la vérité. La raison serait à la fois moyen de connaissance et moyen d’avoir prise sur le réel.

Du bon usage de la raison…

Personne n’avéritablement renié la raison (malgré ses conséquences les plus exécrables) au cours de cette discussion. Certains lui ont même reconnu « de bonnes raisons d’exister (pour nous faire progresser, pour baliser la connaissance, comme garde-fou face à l’irrationnel, comme équilibre dans un monde où tout est mouvant, …) », allant jusqu’à s’inquiéter du succès de l’ésotérisme. « Où irions-nous sans la raison ? », lance un participant qui fait valoir son droit au « joker ». L’hostilité exprimée à l’encontre de la raison vise surtout l’excès. « Trop de raison tue la raison », entend-on. « La raison permet de comprendre et en comprenant on a l’impression de toutmaîtriser », d’où le risque d’en faire un sombre instrument totalitaire. Une « raison raisonnante » (raison modeste qui se donnerait ses propres limites, sa juste place) devrait être consciente de ses limites, s’auto-limiter au nom de la raison elle-même.

Beaucoup se méfient de la raison instrumentale qui cherche sans cesse l’adéquation la plus absolue entre les moyens et les fins pouratteindre l’efficacité optimale (c’est le taylorisme dans l’entreprise, la didactique en éducation, …). La rationalité instrumentale, cela peut être efficace pour le meilleur comme pour le pire. L’atome, par exemple, ce peut être à la fois Hiroshima et le moyen de guérir le cancer. N’y a-t-il pas lieu de se demander si les dérives ne sont finalement pas imputables au manque de raison, à l’irrationnel, plutôt qu’à la raison elle-même ? Entendons par là qu’il faut distinguer la raison de l’usage que les hommes en font. Cessons de voir la raison comme l’antithèse de la folie. Cette dernière n’est peut-être pas déraison intégrale mais autre forme de raisonnement. Il pourrait y avoir une logique, un ordre derrière ce désordre apparent ; ce qui vient placer lafolie dans la continuité de la raison (en deçà ou au-delà ?) et rend cette dernière bien relative. Pour demeurer « raisonnable », la raison devrait alors se soumettre aux principes de non-contradiction et de causalité.

Enfin quelques participants se montrent sceptiques par rapport à la distinction généralement faite entre raison et intuition. On ne doit pas selon eux se limiter strictementà l’un ou l’autre mais dépasser cette opposition qui n’a pas lieu d’être. L’origine de la raison n’est peut-être même pas rationnelle. Pourquoi ne viendrait-elle pas d’une intuition, et la raison ne serait que « mise en forme », « fixation ». On remarque par ailleurs que les scientifiques partent souvent d’une intuition. Les philosophes des Lumières,eux-mêmes, n’étaient pas complètement enfermés dans la rationalité puisqu’ils étaient aussi écrivains, et par là même dotés d’une certaine intuition, sensibilité, imagination, …

Pour conclure, osons espérer qu’un usage raisonné de la raison saura nous éclairer face aux formes d’obscurantisme propres au 21ème siècle.


Que pouvons-nous attendre des promesses qu’on nous fait ?

Café-philo de Narbonne, le 11/04/05

Animation M. Tozzi – Synthèse R. Jalabert


Cinquante personnes se sont réunies au Café de la Poste pour deviser sur la promesse, entendue comme acte de langage qui engage dans l’avenir. De plus en plus marquée par la précarité, l’instabilité et l’incertitude, mais encore par des comportements individualistes et irresponsables, notre société nous encourage-t-elle à nous fier aux promesses que l’on nous fait ? La promesse y a-t-elle encore sa place ? Interrogeons-nous sur le sens et la valeur de cet acte d’engagement (qu’il soit verbal ou écrit) dans un tel contexte de mouvance. L’homme peut-il vivre sans promesse (sans se projeter dans le futur) ? Au nom de quoi la promesse peut-elle (/ doit-elle) être tenue et qu’en pouvons-nous attendre ?


Promettre ou ne pas promettre ?

La promesse apparaît par-dessus tout comme une projection vers l’avenir. Cela implique de la part de la personne qui promet la volonté d’être présente dans le futur, d’être encore en vie. Si nombre de participantsreconnaissent en cette projection un des aspects les plus positifs de la promesse, quelques uns dénoncent néanmoins son caractère aliénant ; car promettre équivaut selon eux à « perdre une part de sa liberté », « s’enchaîner soi-même ». La promesse génère l’attente de l’autre (dans le cas d’une promesse que l’on se ferait àsoi-même, on pourrait dire qu’il s’agit de « l’autre en soi ») auprès duquel on se trouve engagé. Pris d’une part entre une perspective de liberté et d’aliénation, d’autre part entre un avenir fait d’incertitudes et un avenir que l’on souhaiterait maîtriser par cet engagement, doit-on promettre ou ne pas promettre ? Telle est la question…

 

« Ne promettre que ce qu’on est capable de tenir » : une éthique de la promesse ?

« Admettre […] que chacun peut […] promettre ce qu’il lui plaît, avec l’intention de ne pas tenir sa promesse, ce serait rendre impossible toute promesse […] puisque personne n’ajouterait plus foi aux promesses, et qu’on en rirait comme on lefait de vaines feintes. »

(Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs).

Si la promesse est projection vers l’avenir, nous ne pouvons être tenus de la respecter de manière absolue, l’avenir étant imprévisible. Inutile encore de songer à promettre l’impossible puisque nul n’y est tenu. Si l’on admet ainsi que la promesse, parce que projetée et entendueentre êtres humains (entre êtres faillibles), ne peut être absolue (mais conditionnelle), seule la promesse « de bonne foi » peut être pardonnée en cas de déconvenue. La promesse « de mauvaise foi » (Sartre définissait la mauvaise foi comme le fait de se mentir à soi-même en toute conscience) ne pourrait l’être car elle ne serait que sombre duperie (ou « vainefeinte » chez Kant), confinant au mensonge.

Un compromis pour la promesse …

Dans une société aussi instable, faite de rapides évolutions et bouleversements inopinés, le « tope là » irréversible des maquignons ne semble plus de mise. Seul un contrat écrit pourrait (au mieux) rendre la réalisation de la promesse obligatoire d’un point de vuejuridique, même si l’on sait que des clauses de rupture (avec compensations) peuvent tout à fait être prévues lors de la contractualisation. Certains participants voient la nécessité d’un compromis si l’on veut continuer à promettre (à se projeter dans le futur) dans un tel contexte de mouvance. Pour ne plus être rigide au point de constituer « le boulet du futur », la promesse doitévoluer selon le contexte. Ce nécessaire compromis entre le souple et le solide est censé témoigner de l’intelligence d’une promesse qui s’adapte à la réalité mouvante qu’elle parcourt.

Pour conclure…

Si beaucoup de participants semblent penser qu’on ne peut attendre grand chose d’une promesse, tant l’avenir vers lequel elle tend est conjectural, toutdépend, insistent-ils, de qui la fait, quand, comment, à qui (« c’est une question de confiance »), pourquoi et en quelles circonstances ; seuls quelques détails « de bon sens » pourraient, de manière générale et toujours hypothétique, nous aider à anticiper l’issue du « contrat » : Une promesse « légère » etorale laisserait ouvertes des éventualités qui pourraient l’annuler, par opposition à une promesse plus « consistante » et écrite (« Les paroles s’envolent, les écrits restent », lance une participante). Enfin, une promesse immédiate est jugée plus « réalisable » qu’une promesse qui porterait sur du long terme et dont l’accomplissement serait, en conséquence, plus incertain.

 

Engagement politique et éthique philosophique sont-ils compatibles ?

Café-philo de Narbonne, le 23/05/05

Animation M. Tozzi – Synthèse R. Jalabert


Nous pouvons dire que c’est un sujet de circonstance que nous a proposé et introduit Fernand à quelques jours du référendum concernant la ratification du projetde Constitution Européenne. Si l’opinion courante a tendance à discréditer les hommes politiques en dissociant l’engagement politique de l’éthique philosophique, il conviendrait néanmoins d’interroger la nature de ce lien (depuis Platon, la politique hante les philosophes). L’engagement politique peut-il être un point d’ancrage concret du questionnement philosophique ou cet engagement dans le social vient-ilaltérer la pensée philosophique ? Près de quarante personnes se sont philosophiquement penchées sur la question…

L’éthique philosophique…

Pourquoi avoir adossé « philosophique » au terme « éthique » ?, s’interroge le premier intervenant. Selon lui, l’éthique ne doit pas être l’apanage du seulphilosophe puisqu’on parle d’éthique médicale, d’éthique des affaires, sportive ou encore éducative,…

Mais qu’est-ce que l’éthique ? Qu’a-t-elle de plus ou de moins que la morale ?

De nombreux participants annoncent une différence entre les deux termes ; mais il leur est pourtant difficile d’expliquer cette différence ou encore de dire lequel des deux sesitue au-dessus de l’autre. De manière générale, beaucoup considèrent la morale comme un ensemble de normes ou règles universelles et abstraites, destinées à régir les rapports entre les hommes dans le groupe social ; par opposition, l’éthique (« terme moins usité ») est perçue comme une sorte de conviction intime d’un être singulier qui résiste aux normesdominantes lors du passage à l’action, de la mise en application. Un participant parviendra à enrayer ce débat « éthique ou morale ? » par ses précisions étymologiques. Ethique (du grec êthikos, êthikê, lui-même dérivé de êthos : mœurs) et morale (du latin moralis, dérivé de mores : mœurs)auraient la même signification.

D’une prétendue incompatibilité…

Il apparaît très difficile pour certains participants d’imaginer une possible compatibilité entre un engagement politique (« à dimension collective », « souvent altruiste ») et une éthique qu’ils estiment individuelle (« sorte de convictionintime »). Comment transférer une éthique individuelle dans un engagement collectif ? Comment maintenir une éthique alors qu’on est dans le dialogue ? L’engagement, dans sa dimension collective, donnerait une force qui changerait l’éthique d’origine, au risque de la trahir. Car si « on ne peut s’engager seul », « la machine broie les individualités » et parlà même toute forme d’éthique… D’autres participants en viennent à se demander si l’éthique résiste « au choc du pouvoir », opposant la pureté du militant à la perversion de celui qui exerce le pouvoir. « Le pouvoir ne gomme-t-il pas les intentions les plus honnêtes ? », s’interroge un participant.

Pourquoipas ?

Voyant à l’œuvre une forme de mécanisme du bouc émissaire qui tendrait à ne voir dans les engagés politiques que des hommes pervertis par la visée du pouvoir (ou par le pouvoir lui-même), quelques participants s’élèvent contre cette idée que l’on perd nécessairement son éthique lorsque l’on est investi d’un quelconque pouvoir (quelqu’unrappelle par ailleurs que tous les engagés politiques n’ont pas nécessairement pour finalité d’exercer un pouvoir). Si s’engager, c’est se sentir responsable, il ne faut pas oublier non plus qu’éthique et responsabilité sont liés. Pourquoi vouloir ainsi dissocier l’engagement politique de l’éthique philosophique ? Martin Luther King, Nelson Mandela ou encore Gandhi, apôtres de lanon-violence, n’ont-ils pas fait montre d’éthique dans leur engagement ? (dans le cas de Nelson Mandela, peut-on dire qu’il a su conserver une certaine éthique une fois parvenu au pouvoir ?).

L’idéal, pour rapprocher engagement politique et éthique philosophique, serait de trouver un compromis qui limiterait le pouvoir et par là même les risques de voir l’individu s’écarter de sa ligne dedépart. Une limitation dans la durée (« l’éthique gagnerait à un renouvellement plus fréquent »), mais également par le partage (« en rendant le pouvoir collectif ») ; une limitation dans son exercice et dans le temps.

Pour conclure, on ne peut que se réjouir du bon déroulement de ce débat en cette période de grande effervescence politique.Par le truchement de la discussion philosophique, ce sujet qui en tout autre lieu aurait pu occasionner de virulentes querelles a été abordé de manière sereine, raisonnée, écoutante et respectueuse.


Peut-on transmettre son expérience personnelle ?

Café-philo de Narbonne, le 06/06/05

Animation M. Tozzi – Synthèse R. Jalabert



Quand on parled’ « expérience personnelle », il ne s’agit pas de connaissances, compétences ou savoir-faire que l’on peut aisément extérioriser, mais plutôt d’acquis profondément ancrés, enfouis, liés à une vie singulière et à la façon dont le temps a marqué cette vie. Si l’expérience personnelle est très subjective et originale, peut-on latransmettre ? Présupposant que cela est souhaitable, près de cinquante personnes ont devisé sur la possibilité et les modalités d’une telle transmission.

« Transmettre son expérience personnelle » ?

Transmettre et non pas se transmettre, car il serait risqué de vouloir faire de l’autre du même, ou pis encore, de se vouloir propager en l’autre.Transmettre au sens de faire passer, faire parvenir, communiquer ce qu’on a reçu. Faire passer donc et non pas faire part qui reviendrait à exprimer seulement. Parce qu’elle résulte de l’amoncellement subjectif, indistinct et indicible, d’événements qui jalonnent la vie de l’individu, l’expérience personnelle (à ne surtout pas prendre au sens d’expérimentation, rigoureuse et vérifiable) n’est pas transmissible, comme le sont savoirs, techniques et savoir-faire, par des mots ou démonstrations. L’expérience serait la façon dont un certain nombre d’événements (événements réels, auxquels le sujet est confronté) modifient la vie, et partant, la personne. Plus que l’expérience en tant que telle, il s’agirait de transmettre ses conséquences, leçonsou conclusions ; ce qu’elle féconde en la personne. Trans-mettre donc ce qui a trans-formé la personne (et pas nécessairement de manière positive), sachant que cette expérience personnelle est elle-même l’agrégat d’une multiplicité d’expériences (sentimentale, professionnelle, etc…).

S’il est une évidence qui se fait jour au cours de la discussion, c’est que lesavis sont bel et bien partagés. Entre ceux qui décrètent l’expérience intransmissible au prétexte qu’elle est trop subjective pour être entendue par l’autre, et ceux pour lesquels la transmissibilité de l’expérience personnelle ne fait aucun doute, la palette intermédiaire (très nuancée) laisse à penser que cette transmission ne va pas toujours de soi et reste soumise à conditions.

Transmissions volontaire et involontaire

Lorsqu’elle est volontaire, intentionnelle, la transmission résulte d’un projet sur l’autre. Mais encore faut-il un terrain propice ainsi que le consentement, la disponibilité et la réceptivité de cet autre (car on ne peut transmettre son expérience personnelle en dépit de l’autre). Certains participants considèrent laproximité affective entre les individus importante pour la transmission ; d’autres y voient au contraire une gêne, estimant le rapport haineux bien plus perçant, plus lucide (« parce que j’y risque ma peau »). Or dans cette dialectique du même et de l’autre, une bonne distance (ni trop « même », ni trop « autre ») semble primordiale pour que transmission il y ait. Ilfaut encore de la prudence et de la finesse pour transmettre ; faire des détours ; prendre des gants. Ainsi l’artiste, par le biais de son art, par l’art-ifice, tente d’exprimer son expérience personnelle. L’art atteignant l’inconscient, le spectateur peut alors à son insu se nourrir de cette expérience répandue dans l’œuvre d’art.

Mais de l’avis de nombre de participants,c’est surtout de manière involontaire, souterraine, et souvent très lente, qu’il peut y avoir transmission. Alors une certaine proximité contribuerait à cette transmission puisque le « destinataire » s’imprégnerait peu à peu, de manière invisible et à son insu même, de l’expérience personnelle propre à l’individu qu’il côtoie. C’est ainsi que l’on voit parfois des personnes (non sans quelque mimétisme) s’approprier gestes, comportements, attitudes ou schèmes de pensée émanant peu ou prou d’une expérience personnelle autre. C’est par le même phénomène d’imprégnation que circulent, se croisent et donc se transmettent les expériences personnelles dans le cas du compagnonnage. Comment expliquer encore, sinon par cephénomène d’imprégnation, que contrairement à la volonté des parents les enfants leur ressemblent parfois dans leurs défauts et leurs fantaisies, ou se voient encore transmettre précisément ce qui ne devrait pas l’être, ce qu’il ne faut pas faire ?

Pour conclure…

Si transmission d’expérience personnelle il peut y avoir, c’est de manière très lente et surtout partielle, car la transmission d’un tel capital ne peut être entière et être accueillie telle quelle par l’autre (sujet qui a déjà sa propre expérience personnelle). Il conviendrait alors de se demander que transmettre et ne pas transmettre ; mais le choix ne semble pas toujours possible. Quand il y a transmission, il n’est pas certain qu’au moins l’essentiel de l’expérience personnelle (ce qui est original, unique) parvienne à passer ; ou peut-être ne peut-on transmettre d’une expérience personnelle, subjective, que le non-subjectif…


Laisser un commentaire


google

couk